Les Cahiers Numéro 93 Automne 2014 D’APRÈS L’ŒUVRE D’ALEXANDRE DUMAS ADAPTATION ET MISE EN SCÈNE DE FRÉDÉRIC BÉLANGER UNE PRODUCTION DU THÉÂTRE ADVIENNE QUE POURRA PRÉSENTÉE PAR LE THÉÂTRE DENISE-PELLETIER les trois mousquetaires Du 12 novembre au 12 décembre 2014 NOËL 1933 L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE DU 12 AU 29 NOVEMBRE 2014 Une coproduction du Théâtre de Fortune en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier © Catherine Gauthier Texte et mise en scène de Jean-Marie Papapietro DU 3 AU 20 décembre 2014 Idée originale de Chantal Grenier Scénarisation de Dominique Grenier Mise en scène de Jean Turcotte Une production du Théâtre Exaltemps en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier ©Luc Lavergne D’Artagnan et NOS PROCHAINS SPECTACLES 2015 a t n a C e c i r t Du 6 au 28 février La chauve suivie de La Leçon D’Eugène Ionesco Mise en scène Frédéric Dubois Du 11 mars au 1er avril 2015 Le Barbier Séville de De Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais Mise en scène daniel paquette Billetterie 514 253-8974 Réservations scolaires 514 253-9095 poste 224 © MADOC Presque majeurs Dix-sept ans, toutes mes dents. Comme d’Artagnan. Du moins, j’ose espérer qu’il les avait toutes, afin de mordre ainsi dans la vie de toute sa fougue, sa lucidité, ses élans conquérants et sa sexualité, même si elle semble légèrement contrainte par l’habit. Dix-sept ans. Passage obligé. Explosif, souvent. Je ne sais pas si c’est prévisible et de bon aloi de se reconnaître dans ce jeune aventurier qui s’affirme en enflammant son existence, mais devant ce parcours plein de candeur, de charme et de bravoure, personne ne doit déconsidérer la force d’un regard vif et provocateur, la grandeur d’une jeunesse qui revendique sa beauté et son territoire, la détermination de ces nouveaux adultes qui n’ont que faire des préjugés et qui prennent les armes bien plus pour prendre la parole que pour l’honneur. Et si, cependant, chez Alexandre Dumas, cette persévérance, ces alliances et ces promesses appartiennent plus à la culture du mâle qu’à la gent féminine, c’est la faute aux mœurs d’une époque qui aime à brandir facilement l’épée pour exécuter la fière danse du prétendant. Si, bien sûr, cette danse s’est passablement transformée depuis en mille et une façons de séduire, et que les femmes ne sont plus les spectatrices obligées de ces combats fiers et cruels, il n’en demeure pas moins que cette danse des fantassins armés possède du panache, de l’élégance et un engagement qu’il ne faut pas minimiser. L’équipe qui plonge avec ardeur dans D’Artagnan et les trois mousquetaires adapté du roman de Dumas donne la preuve de cet engagement. Et qui plus est, le maître d’œuvre Frédéric Bélanger peut nous faire croire brillamment que nous avons tous dix-sept ans. À dix-sept ans aussi, je lis Camus et je m’y perds un peu. Mais le plaisir de ces lectures me convainc rapidement que certains égarements sont des plus heureux. On pourrait dire que, comme Sisyphe, je trouve mon bonheur dans l’accomplissement et non dans le sens. C’est l’autre, pas le voisin ou l’ami, l’autre, celui qui ne nous ressemble pas à première vue, celui qui va à l’encontre des routes tracées, de la dite justice, celui qui sait autre chose que tout le monde, celui qui n’a pas les mêmes valeurs, celui qui est sur l’autre versant, c’est cet autre que j’ai rencontré avec Camus. Si le théâtre est toujours un peu politique, il faut parfois qu’il le soit non seulement par son geste mais dans tous ses sujets. L’Énigme Camus : une passion algérienne et son créateur Jean-Marie Papapietro nous convient à une rencontre plus polémiste que séductrice. Même si l’Algérie est beaucoup plus proche de nous maintenant qu’au moment où j’ai lu L’Étranger, il est toujours bon de s’en rapprocher pour bien entendre Camus – qui aurait 101 ans –, pour s’ouvrir à l’autre et ainsi contrer l’apathie qui nous guette. Et pour terminer, bienvenue à Jean Turcotte qui nous ramène ce Noël 1933, prolétaire et festif, pour contrer la tristesse et affronter nos égos dans ce monde qui a bien besoin d’élans de partage, de débats nationaux, d’appuis majeurs pour la langue, le théâtre, la musique et ce, pour bien clore un 2014 où, avouons-le, la ruse s’est enlaidie et la morale est devenue obsolète. Claude Poissant Directeur artistique D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 1 ÉQUIPE DE RÉDACTION Normand Baillargeon enseigne la philosophie de l’éducation à l’UQÀM. Il a publié des livres sur divers sujets qui l’intéressent et des articles dans toutes sortes de revues et de journaux. Enfant, il lisait Les Trois Mousquetaires chaque année. Plus tard il a eu une grande passion pour Alexandre Dumas et aurait voulu lire tous ses livres : mais il y en a tant qu’il n’y est pas arrivé. Il n’a toutefois jamais oublié ses amis mousquetaires et tout ce qu’il a appris d’eux, sur le monde et sur lui-même. Si vous vous prenez d’affection pour Dumas, il vous suggère, après Les Trois Mousquetaires, de lire Vingt ans après, puis Le Comte de Monte-Cristo. Hélène Beauchamp s’intéresse à l’évolution du théâtre professionnel au Québec et au Canada français au XXe et au XXIe siècle. Auteure d’ouvrages sur l’histoire de ces théâtres, sur le théâtre jeune public et sur les pratiques en éducation artistique, elle a reçu le Prix de carrière de l’Association canadienne de la recherche théâtrale (2009). Elle a enseigné à l’Université d’Ottawa puis à l’École supérieure de théâtre de l’UQÀM qui lui a conféré le statut de professeure émérite. Elle a récemment contribué à L’Absolu…un jour…Hommage à Françoise Loranger, sous la direction de Brigitte Purkhardt (2013). À l’Université d’Ottawa, elle est associée au projet « Parcours de formation en écriture dramatique dans le contexte de la minorité linguistique francophone » (CRSH) ainsi qu’aux travaux du « Chantier Ottawa : Construction d’une mémoire française à Ottawa ». Elle coordonne la rédaction des Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier depuis 2010. Anne-Marie Cousineau a agi comme conseillère dramaturgique pour Les Bacchantes (m.e.s d’Irène Tasembédo, Ouagadougou, 2012), pour Médée (m.e.s de Caroline Binet, 2011), pour Les Fourberies de Scapin (m.e.s de Daniel Paquette, 2007) au Théâtre DenisePelletier, ainsi que pour Outrage au public présenté à l’Institut Goethe par le Groupe Audubon (m.e.s de Caroline Binet, 2006). Elle a signé, aux éditions ERPI, les avant-propos de quatre comédies de Molière et page 2 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES celui de la réédition de Poussière sur la ville d’André Langevin. Avec Marie-Dominique Cousineau, elle a écrit une adaptation de Candide qui sera jouée à Amiens, en 2014. Elle a enseigné la littérature et le théâtre au Cégep du Vieux Montréal. Jean-François Gagnon est diplômé en interprétation de l’École nationale de théâtre du Canada et a travaillé principalement comme acteur pendant près de dix ans, jouant au Théâtre du Nouveau Monde, au Rideau Vert, au Parminou, avant de se spécialiser en arts de combat dramatique et en mise en scène, les deux disciplines étant complémentaires à sa passion pour le jeu physique de l’acteur. Concepteur de cascades et de combat dramatique, il est reconnu comme chorégraphe de combat, comme Fight Master par Fight Directors Canada et par l’International Order of the Sword and the Pen. Il est invité régulièrement pour donner des ateliers au Canada, aux États-Unis et en Angleterre. Étienne Liblanc est détenteur d’un baccalauréat en arts (spécialisation théâtre) de l’Université d’Ottawa ainsi que d’une maîtrise en théâtre de l’UQÀM. Depuis 2007, il enseigne la dramaturgie, l’histoire contemporaine du théâtre et l’analyse du spectacle au Collège Lionel-Groulx, dans les programmes de techniques professionnelles Interprétation Théâtrale et Production Théâtrale et dans les programmes préuniversitaires Arts et Lettres – Arts d’interprétation et Histoire et Civilisation – de même que l’histoire du théâtre québécois à l’École nationale de théâtre du Canada. Philip Wickham enseigne l’art dramatique au Cégep de Saint-Laurent. Il a complété une maîtrise en théâtre à l’UQÀM où il a également enseigné auprès de Martine Beaulne. Il a été membre de la rédaction de Jeu, Revue de théâtre pendant une quinzaine d’années, a dirigé certains dossiers importants de la revue – sur le costume, sur la guerre – et a créé L’Arbre du théâtre québécois avec Michel Vaïs. Il a monté quelques créations présentées dans le cadre du Festival Fringe de Montréal ainsi que des adaptations de pièces d’Arthur Miller et de Jean Genet. Il est un passionné de musique et de chant. Table des matières / Salle Denise-Pelletier LES CAHIERS / NUMÉRO 93 / AUTOMNE 2014 D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES 5 L’équipe du spectacle 7 Présentation et résumé 15 Acteurs et personnages 17 Entretien avec Frédéric Bélanger, metteur en scène DOSSIER DE FORT BELLES AVENTURES 23 Qui voudrait vivre sans amis ? 29 Les vrais mousquetaires 34 Le combat dramatique au théâtre 43 Pour en savoir plus… 44 Pour aller plus loin… Les Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier sont publiés sous la direction de Julie Houle, avec le soutien d’Anaïs Bonotaux-Bouchard. La rédaction des Cahiers est coordonnée par Hélène Beauchamp. Nous remercions les équipes de production, auteurs et metteurs en scène qui ont facilité la réalisation de ce numéro des Cahiers. Conception graphique et infographie : Passerelle bleue / Impression : Imprimerie Maska inc. ISSN 1188-1461 / BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DU CANADA / N.B. : Les opinions exprimées dans les articles de cette publication n’engagent que leurs auteurs. Théâtre Denise-Pelletier 4353, rue Sainte-Catherine Est Montréal (Québec) H1V 1Y2 Administration : 514 253-9095 Billetterie : 514 253-8974 www.denise-pelletier.qc.ca D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 3 Table des matières / Salle fred-barry L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE L’équipe et la compagnie 48 Entretien avec Jean-Marie Papapietro, auteur et metteur en scène © United Press International 47 NOËL 1933 L’équipe et la compagnie 56 Entretien avec Chantal Grenier, conceptrice, et Jean Turcotte, metteur en scène © Richard Hachem 55 Le Théâtre Denise-Pelletier (TDP) tient à remercier Le TDP est membre des Théâtres Associés inc. (TAI) et de l’Association des diffuseurs spécialisés en théâtre (ADST). Il est aussi partenaire de Atuvu.ca. page 4 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES L'équipe du spectacle D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES D’après l’œuvre d’Alexandre Dumas Adaptation et mise en scène de Frédéric Bélanger Une production du Théâtre Advienne que pourra présentée par le Théâtre Denise-Pelletier Salle Denise-Pelletier Du 12 novembre au 12 décembre 2014 Distribution par ordre alphabétique Guillaume Baillargeon.......................................... Athos Maude Campeau........................ Constance Bonacieux Louise Cardinal.................... La reine Anne d’Autriche Guillaume Champoux.........................................Aramis Robin-Joël Cool...................... Le duc de Buckingham, .......le capitaine de Tréville et le père de D’Artagnan Steve Gagnon...............................................D’Artagnan Stéphanie M. Germain...................... Milady de Winter Bruno Piccolo.....................................................Porthos Philippe Robert................................................................. ...................Le comte de Rochefort et le roi Louis XIII Claude Tremblay.............................................................. .............................Planchet et le cardinal de Richelieu Direction du Théâtre Advienne que pourra Direction artistique......................... Frédéric Bélanger Direction générale.................................. Sarah Balleux Équipe de production – Théâtre Denise-Pelletier Direction de production.........................Réjean Paquin Direction technique.......................................Guy Caron Attachée de presse.................................Isabelle Bleau Équipe de scène – Théâtre Denise-Pelletier Concepteurs et collaborateurs artistiques Chef machiniste......................................Pierre Léveillé Chef électricien.................................Michel Chartrand Chef sonorisateur........................................Claude Cyr Chef habilleuse................................. Louise Desfossés Chef cintrier......................................... Michel Dussault Décors et accessoires..........Francis Farley-Lemieux Éclairages............................................ Julien Laflamme Conception des costumes..................... Sarah Balleux Conception des masques................... Louise Lapointe Conception sonore............. Sébastien Watty-Langlois Chanson.............................................. Audrey Thériault Chorégraphies de combats....Jean-François Gagnon Assistance à la mise en scène...... Marjorie Bélanger Coach vocal....................................Marie-Ève Pelletier Maquillages.....................................Suzanne Trépanier Perruques......................................... Cybèle Perruques Coupeur.................................Gilles-François Therrien Couturière............................................. Priscillia Collin Patine........................................ Chloé Giroux Bertrand Le Théâtre Advienne que pourra est un lieu d’échanges et de partage, de recherche et d’exploration, de présentations et de discussion où, de l’essence même des projets, naît le désir d’élargir les horizons culturels des jeunes. Les spectacles, les lectures, les expositions, les séances d’animation théâtrale ou de médiation culturelle sont tous des prétextes pour faire connaître aux jeunes les coulisses de leur travail. Advienne que pourra voit le théâtre comme un outil essentiel dans l’apprentissage de leur identité. Au-delà des langues, des traductions, des codes, des croyances, des religions et des différences, la compagnie désire être le levier d’une ouverture sur le monde en offrant une expérience D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 5 L'équipe du spectacle théâtrale accessible et féconde, par le biais d’œuvres classiques, véritables passeports culturels pour un jeune public. Ses élans artistiques prétendent dépoussiérer, dynamiser ces grands classiques et parfois même faire découvrir des œuvres inédites. Décentraliser, démocratiser l’art et créer ses productions dans la région de Lanaudière, afin d’intéresser la population, et que celle-ci se sente privilégiée et fière de ses artistes et artisans. Le Théâtre Advienne que pourra désire faire de la culture une priorité de notre société. page 6 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES Elle croit en un théâtre populaire dans le sens le plus noble du terme. Un théâtre de solidarité et de convivialité qui va à la rencontre du public pour lui raconter une histoire et le faire rêver. Un théâtre qui invente, qui crée et qui n’oublie jamais qu’il n’existe qu’à travers les yeux de ce public. Site web : www.theatreadviennequepourra.com Présentation et résumé ~ Alexandre Dumas écrivant son roman. Par Maurice Leloir. Dumas séduit, fascine, intéresse, amuse, enseigne. Victor Hugo Le jeune et fougueux d’Artagnan part pour Paris avec l’ambition d’entrerau service du roi, chez les mousquetaires. À son arrivée dans la capitale en compagnie de son écervelé valet Planchet, il cherche querelle à trois gentilshommes qui, après les avoir conquis par sa bravoure, deviendront ses trois légendaires compagnons : Athos, Porthos et Aramis. Richelieu qui tentent de déshonorer la reine et de s’emparer du trône. Au cœur des conspirations insidieuses, seule la fine lame de d’Artagnan tracera la ligne entre les bons et les méchants… La fiction se mêle à l’histoire, le réel rencontre l’imaginaire. Rivalités, trahisons, secrets, intrigues amoureuses… D’Artagnan et ses trois fidèles amis nous entraînent avec panache à la cour d’un Paris tourmenté du XVIIe siècle. Ensemble, ils combattront la mystérieuse Milady, le perfide Rochefort et le crapuleux cardinal de D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 7 Présentation et résumé DUMAS ET D’ARTAGNAN populaire de la littérature française. Sa vie vaut à elle seule n’importe lequel de ses romans. Petit-fils Vous êtes plus qu’un grand écrivain, vous êtes une de mulâtre, il eut à combattre les préjugés de la société très conservatrice de la France monarchiste des grandes forces de la nature (Michelet) du XIXe siècle. En effet, son grand-père paternel, le Alexandre Dumas est sans doute l’auteur le plus marquis Alexandre-Antoine Davy de la Pailleterie, connu – peut-être avec Jules Verne – et le plus eut un fils d’une esclave de Saint-Domingue, MarieCésette Dumas à qui il doit son nom. Son père, Thomas-Alexandre Les personnages fictifs des Trois Mousquetaires. Rétoré dit Dumas Davy, fut ramené en France et reconnu en tant que fils naturel par le marquis. Général de l’armée républicaine pendant la Révolution française de 1789, il s’opposa à Napoléon Bonaparte, ce qui lui valut d’être disgracié sous l’Empire1. Il mourut en 1806 laissant sa femme pratiquement sans ressources. Alexandre Dumas, orphelin à quatre ans, voua toute sa vie une profonde admiration à son père. Alexandre Dumas naît en 1802 comme Victor Hugo, lui-même fils d’un général. Tous deux connaissent d’ailleurs des destins parallèles : une célébrité précoce, le scandale, le succès d’une pièce de théâtre qui donne un coup d’envoi au mouvement romantique, une carrière politique hasardeuse2 et l’exil à l’avènement de Napoléon III. Cependant, contrairement à Victor Hugo, Alexandre Dumas, malgré ses succès, ne sera pas reconnu comme un grand écrivain. Il attendra longtemps avant d’être étudié dans les manuels scolaires Premier Empire. Napoléon 1er (1804-1815) Dumas participera activement aux révolutions de 1830 et de 1848. Il s’exile en Belgique en 1851 autant pour fuir ses dettes que Napoléon III. De 1860 à 1864, il se met au service de Garibaldi qui se bat pour la réunification de l’Italie. 1 2 page 8 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES Photo Bruno Arrigoni ~ Général Dumas (1762-1806), père de l’auteur des Trois Mousquetaires. Par Olivier Pichat. et c’est en 2002 seulement que ses cendres rejoindront celles de Victor Hugo au Panthéon de Paris, dans une magnifique cérémonie qui lui rendra enfin les honneurs qui lui sont dus. Alexandre Dumas vit une enfance pauvre qui l’oblige, dès son adolescence, à gagner sa vie comme clerc de notaire. Mauvais élève, préférant fréquenter les bois plutôt que l’école de l’abbé Grégoire, il a, malgré tout, quelques rudiments de latin et de littérature. Vers l’âge de 18 ans, il se lie d’amitié avec Adolphe de Leuven qui lui fait découvrir Shakespeare et avec qui il écrit des vers et quelques vaudevilles. Comme son héros d’Artagnan, Alexandre Dumas, à peine âgé de vingt ans, part à la conquête de Paris, muni d’une lettre de recommandation. ~ Alexandre Dumas en 1832 par Achille Devéria D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 9 Présentation et résumé DUMAS À PARIS À 20 ANS - Alors, tu as un cheval, moi un fusil. Entre Paris et nous, vingt lieues et quelques forêts… L’un chasse, l’autre tient le cheval en guettant le garde-chasse… Il ferait beau voir que nous ne fassions pas quelques lièvres, des cailles et des perdrix : de quoi payer notre gîte à Paris… Vingt ans avant Les Trois Mousquetaires et Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas – fort de sa jeunesse et de sa soif de vivre – entre à Paris, la ville aux mille promesses. Prêt à conquérir la capitale, ce petit-fils d’une esclave noire, fils d’un général brutalement disgracié par Napoléon, rêve de théâtre, de littérature, de reconnaissance. Ivre d’histoire, romanesque en diable, avide de savoir, travailleur acharné, amant fougueux, il se jette à corps perdu dans l’écriture, dans l’amour, dans la vie3. - Oui, je connais un petit hôtel, rue des VieuxAugustins, qui… - En selle ! Avec un demi-cheval, la moitié d’un fusil, quatre lièvres, deux cailles, douze perdrix, Alexandre entre dans Paris, le lendemain soir, 3 novembre 1822. Pour y passer moins de deux jours, la première fois. Mais ce seront de riches heures où s’ébauchera la grande aventure théâtrale qui fera d’abord sa gloire. Avec quatre lièvres et douze perdrix... D’Artagnan est entré dans Paris sur un vieux cheval jaune, l’épée à la ceinture. Un peu moins de deux siècles plus tard, Alexandre Dumas y pénètre lui, en croupe d’un ami, armé d’un fusil de chasse et porteur de quelques pièces de gibier en guise de pécule. Il a vingt ans, lui aussi. Depuis trois mois, il a quitté sa mère et sa ville natale, où madame Dumas, veuve, tient un bureau de tabac. Voici comment cette aventure est racontée4. Un jour de novembre 1822, Dumas entend le pas d’un cheval et quelqu’un qui l’appelle de la rue. C’est son ami Paillet. Il se jette dehors : un ami, un cheval ! Et nous partons pour Paris ! - Avec quoi, Alexandre ? J’ai 28 francs… - Moi, sept… - Alors ?… Extraits de la 4e couverture du livre de Jean Lacouture, Alexandre Dumas à la conquête de Paris (1822-1831), Éditions Complexe, 2005. Par Dumas, et repris par Jean Lacouture. 3 4 page 10 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES L’emploi de bureau qu’il obtient chez le duc d’Orléans5 lui permet de vivre correctement et d’avoir assez de loisirs pour écrire. Il multiplie les aventures amoureuses et devient en 1824 le père d’un garçon qu’il ne reconnaîtra qu’en 1831. Cet enfant ajoutera sa gloire à celle de son père sous le nom d’Alexandre Dumas fils6. Avant d’être un romancier, Alexandre Dumas est un dramaturge qui connaît de son vivant un très grand succès. En 1828, délaissant le vaudeville, il écrit un drame, Christine, qu’il lit à la Comédie française, mais c’est Henri III et sa cour, joué au Théâtre Français en 1829, qui fait de Dumas le dramaturge du moment. La pièce est considérée comme la première pièce romantique un an avant la présentation scandaleuse d’Hernani de Victor Hugo. En 1831, il triomphe avec Antony, drame moderne qui fait pleurer tout Paris et dont le héros est un Futur Louis-Philippe qui régnera en France de 1830 à 1848. Alexandre Dumas fils, auteur de La Dame aux camélias, sera aussi, 20 ans après son père, un dramaturge célèbre. 5 6 ~ Photo d’Alexandre Dumas par Nadar, 1855. fils naturel. Cette pièce a été censurée jusqu’en 1870. C’est aussi en 1831 qu’il a une fille, Marie, qu’il reconnaît en même temps que son fils. La carrière dramatique d’Alexandre Dumas se poursuit jusqu’en 1838, mais elle s’essouffle et, sans l’abandonner complètement, Alexandre Dumas se lance dans un autre genre littéraire. Il a toujours écrit des nouvelles et des récits, des chroniques historiques et il conçoit peu à peu un vaste projet qui serait l’histoire du peuple français. Les progrès de la presse lui permettent de concrétiser ce projet grâce au roman-feuilleton. Travaillant en collaboration avec Auguste Maquet, il publie Les Trois Mousquetaires, en 1844, dans un journal quotidien bon marché, Le Siècle. D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 11 Présentation et résumé D’ARTAGNAN À 17 ANS En ce temps-là les paniques étaient fréquentes, et peu de jours se passaient sans qu’une ville ou l’autre enregistrât sur ses archives quelque événement de ce genre. Il y avait les seigneurs qui guerroyaient entre eux ; il y avait le cardinal qui faisait la guerre au roi et aux seigneurs ; il y avait l’Espagnol qui faisait la guerre aux seigneurs, au cardinal et au roi. Puis, outre ces guerres sourdes ou publiques, secrètes ou patentes, il y avait encore les voleurs, les mendiants, les huguenots, les loups et les laquais, qui faisaient la guerre à tout le monde. Les bourgeois s’armaient toujours contre les voleurs, contre les loups, contre les laquais ; souvent contre les seigneurs et les huguenots ; quelquefois contre le roi ; mais jamais contre le cardinal et l’Espagnol. Il résulta donc de ces habitudes prises, que ce susdit premier lundi du mois d’avril 1626, les bourgeois, entendant du bruit, […] se précipitèrent du côté de l’hôtel du Franc Meunier. Arrivé là, chacun put reconnaître la cause de cette rumeur. Un jeune homme… […] : figurez-vous don Quichotte à dix-huit ans ; don Quichotte décorcelé, sans haubert et sans cuissard ; don Quichotte revêtu d’un pourpoint de laine, dont la couleur bleue s’était transformée en une nuance insaisissable de lie de vin et d’azur céleste. Visage long et brun ; la pommette des joues saillante, signe d’astuce ; les muscles maxillaires énormément développés, indice infaillible où l’on reconnaît le Gascon, même sans béret, et notre jeune homme portait un béret orné d’une espèce de plume ; l’œil ouvert page 12 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES et intelligent ; le nez crochu, mais finement dessiné ; trop grand pour un adolescent, trop petit pour un homme fait, et qu’un œil exercé eût pris pour un fils de fermier en voyage, sans la longue épée qui, pendue à un baudrier de peau, battait les mollets de son propriétaire, quand il était à pied, et le poil hérissé de sa monture quand il était à cheval7. Car notre jeune homme avait une monture, et cette monture était même si remarquable qu’elle fut remarquée : c’était un bidet du Béarn, âgé de 12 ou 14 ans, jaune de robe, sans crins à la queue, mais non pas sans javarts aux jambes, et qui, tout en marchant la tête plus bas que les genoux […] faisait encore galamment ses huit lieues par jour. Malheureusement les qualités cachées de ce cheval étaient si bien cachées sous son poil étrange et son allure incongrue, que, dans un temps où tout le monde se connaissait en chevaux, l’apparition du susdit bidet […] produisit une sensation dont la défaveur rejaillit jusqu’à son cavalier. Et cette sensation avait été d’autant plus pénible au jeune d’Artagnan (ainsi s’appelait le don Quichotte de cet autre Rossinante), qu’il ne se cachait pas le côté ridicule que lui donnait, si bon cavalier qu’il fût, une pareille monture. Aussi avait-il fort soupiré en acceptant le don que lui en avait fait M. d’Artagnan père […]. http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Trois_ Mousquetaires/Texte_entier Lire, plus loin dans ce dossier, « Les vrais mousquetaires ». 7 } Alexandre Dumas. Impressions de voyages, 1838. De 1837 à 1848, Alexandre Dumas connaît sa période la plus féconde créant ses grands cycles romanesques : celui des Mousquetaires (Les Trois Mousquetaires, Vingt Ans après, Le Vicomte de Bragelonne), celui des Valois dont La Reine Margot, celui des Mémoires d’un médecin (Joseph Balsamo, Le Collier de la Reine, Ange Pitou, La Comtesse de Charny). Il adapte ses romans au théâtre et les fait jouer dans sa propre salle, le Théâtre Historique, entreprise démesurée et peu rentable qui finit par le ruiner. LE PÈRE DUMAS La révolution de 1848 à laquelle il participe activement inaugure une période difficile pour Alexandre Dumas. Couvert de dettes, il fuit la France et voyage dans toute l’Europe. N’ayant plus de journaux pour publier ses romans historiques, il crée ses propres journaux et se tourne vers le genre fantastique. Il commence aussi ses mémoires en 1847. Rêvant de partir en Orient, il affrète une goélette, mais son voyage s’arrête en Italie, en 1860. Il y demeure auprès de Garibaldi8 jusqu’en 1864. À son retour, il publie un roman, Les Mohicans de Paris mais, dès 1865, sa santé se détériore. Garibaldi est considéré, avec Camillo Cavour, Victor-Emmanuel II et Giuseppe Mazzini, comme l’un des « pères de la patrie » italienne. 8 Intérieur du Théâtre Historique de Dumas, Paris 1847. ~ Dumas en voyage – caricature 1838 D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 13 Présentation et résumé ~ Anne d'Autriche, portrait par Pierre Paul Rubens, ca 1622-1625 ~ Georges Villiers, 1er duc de Buckingham, portrait par Pierre Paul Rubens. Il finit ses jours chez son fils Alexandre, soigné par sa fille Marie. Il meurt en 1870 alors que la Prusse envahit la France et provoque la chute de Napoléon III. Tout ce que fait Alexandre Dumas est excessif comme lui-même. C’est un personnage énorme, doué d’un immense appétit de vivre et d’une énergie inépuisable qui lui permet de créer une œuvre aussi imposante que diversifiée, mais qui le mène aussi aux plus grandes extravagances. Il n’aurait cependant pas pu produire sans l’aide de nombreux collaborateurs qui avaient la charge de planifier et de documenter l’ouvrage à venir. Alexandre Dumas ne s’en est jamais caché. Il reste que le souffle qui anime ses œuvres n’appartient qu’à lui. À force d’intéresser, de passionner, d’enthousiasmer, de faire rire ou pleurer ces grands enfants qu’on appelle les hommes, ils ont fini par te considérer comme de leur famille, et ils t’appellent le père Dumas. (Alexandre Dumas fils) Claudette Lasserre Les Cahiers numéro 69, hiver 2008. ~ Louis XIII, après 1670, par Philippe de Champaigne. page 14 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES ACTEURS ET PERSONNAGES © Izabel Zimmer GUILLAUME BAILLARGEON ATHOS Dites au Cardinal que nous allons continuer de remplir notre devoir sacré qui est de protéger le Roi et que nous utiliserons tous les moyens possibles pour le combattre lui et ceux qui le suivent. © Martin Girard MAUDE CAMPEAU CONSTANCE BONACIEUX Demandez-moi mes secrets, je vous les dirai. Mais ceux des autres, jamais. © Michel Olivier Girard © Izabel Zimmer LOUISE CARDINAL LA REINE ANNE D’AUTRICHE Nous ne sommes jamais seuls… Nous sommes guettés, épiés… Le Cardinal est sur ses gardes, ses gardes sont sur moi. GUILLAUME CHAMPOUX ARAMIS Prends garde d’Artagnan, la femme a été créée pour notre perte. © Marjorie Guindon ROBIN-JOËL COOL LE DUC DE BUCKINGHAM Pour moi, le sacrilège tient en ce que deux âmes créées l’une pour l’autre soient séparées. LE CAPITAINE DE TRÉVILLE Un capitaine est un père de famille et les soldats sont de grands enfants qui doivent apprendre à respecter les ordres. D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 15 ACTEURS ET PERSONNAGES © France Larochelle STEVE GAGNON D’ARTAGNAN Je suis un homme d’honneur. Je peux vous assurer que je n’aurai aucun plaisir à vous tuer. © Julie Artacho STÉPHANIE M. GERMAIN MILADY DE WINTER La justice des hommes ne pardonne pas, elle condamne. © Émilie Gagné BRUNO PICCOLO PORTHOS Avant d’aller voir le capitaine, nous, vétérans mousquetaires, devons célébrer notre victoire et t’initier à la vie parisienne. © Jeremie Battaglia PHILIPPE ROBERT LE COMTE DE ROCHEFORT Son Éminence sait récompenser ses loyaux alliés. LE ROI LOUIS XIII La vérité est une question de perception. © Droits réservés CLAUDE TREMBLAY PLANCHET Ils sont inouïs, ces mousquetaires ! Au lieu d’avoir de l’ordre, de l’économie, de penser aux temps plus difficiles pendant les jours d’abondance, ça joue, ça boit et ça mange. LE CARDINAL DE RICHELIEU Je ne demande pas, j’ordonne. page 16 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC BÉLANGER, METTEUR EN SCÈNE D’HONNEUR, DE JEUNESSE ET DE FRATERNITÉ J’avais déjà fait ce genre de travail avec Le Bossu de Paul Féval pour Les Aventures de Lagardère en 2011 ; il faut nécessairement faire des choix. Dans un roman comme Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, qui a été publié sous forme de feuilletons dans les journaux de l’époque, il y a beaucoup de descriptions, de détails historiques qui sont lourds et inutiles au théâtre. On doit avant tout se concentrer sur l’action, en conservant l’essentiel de l’intrigue, et en faisant tout pour ne pas dénaturer les personnages. Dans ce roman en particulier, il existe deux intrigues principales : celle qui tourne autour de d’Artagnan et des bijoux de la reine de France, et celle qui relate le siège de La Rochelle par les troupes du cardinal de Richelieu, que nous avons éliminée. Cette intrigue aborde la guerre ~ Frédéric Bélanger et les questions politiques, alors que pour un spectacle qui s’adresse aux jeunes, nous pense entre autre à la superbe scène entre le Duc préférions nous concentrer sur la jeunesse de de Buckingham et Anne d’Autriche. Nous l’avons un d’Artagnan. peu resserrée tout au plus. À la différence d’autres mises en scène présentées au Théâtre DenisePelletier, qui abordaient l’œuvre de façon moderne, Est-ce que vous vous êtes servi de nous avons voulu revenir à une représentation plus l’adaptation que Dumas avait faite « historique ». Avec ma compagnie, le Théâtre de son propre roman ? Advienne que pourra, nous avions déjà monté une Oui, et j’ai lu plusieurs autres adaptations théâtrales, adaptation des Trois Mousquetaires à la Salle Fredvisionné plusieurs films. Dans la sienne, Dumas Barry, en employant des masques. Maintenant que combinait les deux intrigues. Ce romancier est un le spectacle est présenté sur la grande scène, grand dialoguiste, et certaines parties du roman nous avons choisi une toute nouvelle approche, sont identiques dans son adaptation théâtrale. Je en éliminant les masques et en mettant plus D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 17 ©Julie Perreault Comment fait-on pour passer d’un roman de 750 pages à une pièce de théâtre d’une durée de deux heures ? ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC BÉLANGER, METTEUR EN SCÈNE d’emphase sur les combats d’épée. Nous avons aussi choisi de laisser tomber le côté bon enfant de la première adaptation pour intégrer des aspects plus dramatiques du roman. De cette manière, le passage de l’adolescence à la vie adulte de d’Artagnan nous paraît plus crédible : c’est l’histoire d’un jeune homme plein d’espoir et de rêve qui arrive à Paris, et qui accède à une vie meilleure, } D'Artagnan page 18 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES mais qui doit en payer le prix. À travers son œuvre, on sent qu’Alexandre Dumas est un amoureux troublé, et il transpose cette vision cruelle de l’amour dans l’ensemble de ses romans et de ses pièces : tous les couples de cette pièce connaissent un sort malheureux. Pour contrebalancer, nous avons centré l’action sur l’amitié, la fraternité qui règnent entre d’Artagnan et les trois mousquetaires. Vous qualifiez votre texte d’adaptation libre du roman de Dumas. Est-ce que vous vous êtes permis beaucoup de liberté dans l’écriture ? J’essaie vraiment d’être le plus fidèle possible au texte de Dumas ; parfois, je fais dire un passage par un autre personnage, mais pour le reste, les répliques sont à peu près pareilles du roman à la scène. Ce doit être difficile, avec peu de moyens, de représenter autant de lieux sur une scène, alors que le roman nous fait voyager dans différentes régions de la France, à l’époque de Louis XIII ? J’ai eu l’avantage d’écrire le texte et de le mettre en scène, ce qui m’a permis de surmonter beaucoup de difficultés au fur et à mesure : j’ai misé sur les ambiances en passant d’un lieu à l’autre grâce à un simple changement de musique ou d’éclairage. Au départ, le scénographe Francis Farley-Lemieux et moi, nous voulions faire un spectacle d’époque où les spectateurs pourraient sentir le bois, la paille, le cuir. Du côté des costumes, leur apparence évoque le passé, mais les coupes sont plus cintrées, les tissus plus modernes. Nous cherchions à créer un objet théâtral où tout est mis au service du jeu des acteurs. Prenons la fameuse cape des mousquetaires, le chapeau et le fleuret. Jouer avec ces objets apporte des contraintes très riches pour l’interprétation. Peut-on être original avec une œuvre aussi connue ? C’est difficile de complètement renouveler l’image qu’on se fait des Trois Mousquetaires. Tout comme pour l’époque de Louis XIV, où on se représente facilement Versailles, Molière, le menuet, celle de Louis XIII nous renvoie aux silhouettes des mousquetaires. Nous n’avons pas besoin de nous ~ Porthos éloigner de cette image, que les jeunes connaissent bien, nous devons simplement l’actualiser. De notre point de vue, beaucoup trop d’adaptations du roman de Dumas embellissent les événements, en ne montrant pas la mort de l’amoureuse de d’Artagnan, Constance Bonacieux, par exemple. Nous cherchions à être plus fidèles à l’œuvre. Le roman de Dumas est construit tout en oppositions et en contradictions, il nous semblait important d’en tenir compte. D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 19 ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC BÉLANGER, METTEUR EN SCÈNE Souvent, on prend les combats d’épée à la légère, alors que les mousquetaires se battaient jusqu’à la mort, afin de sauvegarder leur honneur. Le cardinal de Richelieu, un des personnages de la pièce, a fait interdire les duels parce qu’à l’époque, de nombreux jeunes nobles s’entretuaient. D’Artagnan vient d’une famille qui considère les combats comme une marque de bravoure. Quand il arrive à Paris et qu’il se rend compte que les duels sont bannis, il est surpris. Il doit se cacher pour se battre. Dans la suite des Trois Mousquetaires de Dumas, le seul des quatre qui survit, c’est Aramis. La reine Anne d’Autriche ~ Le comte de Rochefort Comment peut-on qualifier cette œuvre : un drame, une comédie, une comédie dramatique ? Un peu de tout ça. Dans le roman, Dumas passe d’un registre à l’autre de manière assez radicale. Plus on avance dans le roman, plus l’intrigue est sombre, et c’est ce que nous voulions reproduire. En plus des romans, on sait que Dumas a écrit plusieurs drames romantiques qui, comme chez Shakespeare, recourent au mélange des genres. page 20 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES Dumas va dépeindre la femme à travers Milady de Winter comme une incarnation du mal. Oui, en même temps, nous voulions faire un portrait de Milady qui soit plus nuancé. Elle est garce, manipulatrice, orgueilleuse, elle fait un peu penser à la Marquise de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses de Laclos. Cela correspond à la vision qu’on avait des femmes à l’époque de Louis XIII autant qu’à celle de Dumas. Parmi les autres figures féminines de la pièce, l’amoureuse de d’Artagnan est sûrement la plus attachante. Constance Bonacieux est la jeune première typique, un peu naïve. Nous avons choisi de lui enlever son mari pour qu’elle soit plus indépendante. À l’époque, une belle femme comme elle était la maîtresse de plusieurs hommes. Nous préférions voir en d’Artagnan non pas un homme qui couche avec plusieurs femmes comme Dumas l’a écrit, mais comme un amoureux fidèle et sincère qui n’aime qu’une seule femme, qui lui rend cet amour réciproquement. Et il y a aussi Anne d’Autriche, la reine de France. ~ Le duc de Buckingham Dumas nous montre que les mœurs changent; celui qui survit, ce n’est pas le plus fort, mais bien le plus futé. Le roman dépeint un monde cruel, il est d’ailleurs construit sur une suite de vengeances. Une phrase de l’œuvre dit : « La justice des hommes ne pardonne pas, elle condamne ». Milady de Winter, le personnage féminin principal, est devenue un monstre à la suite de nombreux événements. Elle n’a pas eu le choix de devenir malicieuse pour survivre. Anne d’Autriche est mariée à un homme, le roi Louis XIII, qui n’est pas très intéressé par les femmes. Les deux avaient été mariés très jeunes, et ça leur a pris beaucoup de temps avant de donner un héritier à la France. Louis XIII aimait beaucoup l’armée, les combats, la chasse, il négligeait la reine. Et pourtant, dans le roman de Dumas, l’intrigue autour des ferrets qu’elle donne secrètement au duc de Buckingham est centrale. Dans notre adaptation, Anne d’Autriche devient une victime des complots ourdis par le roi et le cardinal, ce qui rend les scènes où ils se rencontrent plus tendues dramatiquement. Même le personnage D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 21 de Constance Bonacieux a des privilèges auprès de la reine qu’une simple bourgeoise ne pouvait pas avoir réellement à l’époque. Les Trois Mousquetaires, c’est réellement un monde d’hommes, un univers viril où d’Artagnan est le plus jeune de la bande. En réalité, les quatre amis sont assez jeunes. D’Artagnan a 17 ans, Aramis à peine 23 ans, Athos est dans la fin de la vingtaine. Nous entretenons la fausse image d’un jeune adolescent parmi des hommes mûrs. Nous avons choisi une distribution qui suggère que les quatre compagnons d’armes ont sensiblement le même âge. Ils sont encore juvéniles dans leur comportement. Leur vie se résume à faire l’amour, boire et se battre. Ils doivent tout de même faire face à un code d’honneur lié à la gentilhommerie. Pourquoi s’attache-t-on à un homme comme d’Artagnan ? D’Artagnan est un jeune homme qui a le cœur sur la main. Il fera beaucoup d’erreurs, il parle plus vite que sa pensée, il est rebelle, mais sans méchanceté. L’acteur qui le joue doit rendre son côté frondeur et baveux sympathique. D’Artagnan a été élevé avec des valeurs d’honneur, il veut défendre la patrie, le roi, à tout prix, il est même prêt à donner sa vie. La religion pèse aussi très lourdement. En termes plus modernes, c’est la fraternité qui compte : peu importe ce qui arrive, il doit sauver ses amis, sans penser aux conséquences de ses gestes. Leur vie se construit sur ces valeurs, comme dans la page 22 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES police ou les gangs de rue aujourd’hui, en dehors de quoi il n’y a rien. Il arrive souvent qu’un des quatre se retrouve avec une bonne somme d’argent et, plutôt que de la garder pour lui, il la partage avec ses compagnons, quitte à retomber dans la pauvreté. Les Trois Mousquetaires, c’est l’histoire d’une initiation à la vie où, après plusieurs épreuves, le jeune d’Artagnan accède à l’âge adulte, en se faisant offrir une promotion enviable auprès du cardinal de Richelieu, un des hommes les plus puissants de France. Philip Wickham Le cardinal de Richelieu DOSSIER DE FORT BELLES AVENTURES Qui voudrait vivre sans amis ? Dans Les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas (1802-1870), un écrivain français qui laisse une œuvre réellement immense, raconte les aventures d’un homme qui a bel et bien existé, mais qu’il a réinventé pour en faire un personnage de roman, Charles de Batz-Castelmore, comte d’Artagnan (vers 1611-1673). Ses aventures sont aussi celles de trois mousquetaires qui sont, eux, entièrement imaginés. Dès le début de l’histoire, ces quatre hommes deviennent des amis et ils le resteront toute leur vie, comme on l’apprend dans les autres livres que leur consacrera Dumas. Un philosophe de l’Antiquité appelé Aristote était persuadé que personne ne voudrait vivre sans ami, même, ajoutait-il, en étant comblé de tous les autres biens. Et comme l’adolescence est une période durant laquelle les amis ont une si grande importance, je pense que la plupart d’entre vous serez sans doute d’accord avec Aristote. ~ Les trois mousquetaires qui sont quatre amis. Celui-ci pensait aussi que si le désir d’avoir des amis vient rapidement, les amis, eux, arrivent bien moins vite. Cela, vous l’avez peut-être déjà découvert, vous aussi. C’est que les vrais amis sont rares. Qu’est-ce donc au juste qu’un ami ? Comment se fait-on des amis ? Comment les garde-t-on ? Dans Les Trois Mousquetaires, Dumas suggère des réponses à ces questions. D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 23 DOSSIER L’amitié est bien entendu un sentiment d’attachement et un désir d’intimité qui lient des personnes l’une à l’autre. Mais c’est un sentiment d’attachement particulier et bien différent de celui qui lient entre eux les membres d’une famille ou encore des amants. Le plus souvent, pour connaître l’amitié, il faudra, comme d’Artagnan le fait, sortir de la famille et aller dans le monde. C’est là qu’on se fait des amis. DIVERS TYPES D’AMIS Mais des amis, il y en a de toutes sortes. Certaines personnes sont nos amis simplement parce qu’on accomplit des choses avec elles : on travaille ou on étudie ensemble, par exemple. Ces amitiés-là, nées du hasard et fondées sur l’intérêt commun, ne sont typiquement pas les plus grandes ou les plus profondes. Le plus souvent elles cesseront quand on n’y trouve plus cet avantage : changez d’emploi, déménagez et il y a de fortes chances que vos amitiés, de travail ou d’études, ne survivront pas, si du moins c’est là tout ce qu’elles étaient. Un autre type d’amitié est fondé non pas sur l’intérêt, mais sur le plaisir que l’on en retire. Des membres d’un club, des gens qui partagent une passion commune ou qui pratiquent le même sport, le même hobby, sont dans cette catégorie. Aristote suggérait que si les gens plus âgés connaissent plus souvent le premier type d’amitié, ce second genre, lui, est plus fréquent chez les jeunes personnes. Qu’en pensez-vous ? Mais c’est là encore une fois une amitié où le hasard de la rencontre joue une grande part et qui est fragile puisqu’elle cesse dès que l’on cesse de ressentir le plaisir mutuel sur quoi elle se fonde. Si, par exemple, vous ne pratiquez plus le hobby qui vous a amené à faire partie d’un club, vous Poignée de main. Workshop Cologne, Tobias Wolter, 2006. page 24 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES © Chris Hau, 2012 cesserez sans doute bientôt de fréquenter ce club et ne verrez plus guère les amis que vous y aviez. Quand Dumas rencontre un ennemi Alexandre Dumas, qui avait beaucoup d’amis, avait aussi quelques ennemis, souvent des gens jaloux de ses succès. Mais on n’est pas Alexandre Dumas sans posséder un formidable sens de la formule et de la répartie, ce qui peut être très utile pour clouer le bec à ses ennemis. Voyez plutôt. Dumas était un quarteron — ce qui est le nom donné à une personne née de l’union d’un parent mulâtre et d’un parent Blanc. Un jour, il entre dans un salon où se trouve justement un de ses envieux ennemis. Certain d’être entendu par l’écrivain, cherchant à le provoquer, cet homme lance de sordides remarques racistes sur les « nègres ». Dumas ne bronche pas. L’autre continue dans la même veine, en englobant cette fois dans sa hargne les mulâtres, puis les quarterons. Dumas ne bronche toujours pas. Le triste personnage l’interpelle alors directement : — Vous devez vous y connaître, vous, en nègre, avec tout ce sang noir qui coule dans vos veines. Dumas réplique alors tout doucement et sans hausser le ton : — Certainement. Mon père était un mulâtre ; mon grand-père était un nègre ; et mon arrière grandpère un singe. Vous voyez, Monsieur: ma famille commence là où la vôtre finit. Ce qui naît entre les trois mousquetaires annonce quelque chose de plus et leur amitié, en effet, va durer longtemps. Pourquoi ? Comment ? Je dirais ceci. D’ARTAGNAN ET SES AMIS Leur amitié ne repose pas seulement sur l’intérêt ou le plaisir, mais aussi sur un grand respect pour certaines qualités qu’ils reconnaissent en l’autre et qui les inspirent : le courage, l’honnêteté, la fidélité, par exemple. Ces qualités, admirées, ils veulent les D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 25 DOSSIER disent leurs espoirs, évoquent leur passé. Cela ne cessera sans doute plus et bientôt, ils se confieront des secrets, parfois même se diront leurs quatre vérités. C’est qu’on peut dire à un ami des choses, des choses délicates et qu’on ne dirait à personne d’autre. Parfois même, quand il le faut, à regret mais parce que notre amitié repose sur la connaissance et sur la vérité, on pourra même dire du mal de lui à son ami. Un ami, disait joliment Oscar Wilde, c’est quelqu’un qui vous poignarde en face ! Une telle amitié est bien entendu rare. Elle demande du temps et ce n’est certainement pas une relation qu’on développe sur Facebook à coups de « like ». © Nevit Dilmen Un ingrédient qui peut aider à la faire grandir est d’accomplir, comme le font les mousquetaires et d’Artagnan, quelque chose de grand, quelque chose qui vous dépasse et de faire ensemble face à l’adversité. connaître chez autrui, les développer chez eux et les pratiquer tous ensemble. Et c’est d’abord cela, ce désir de connaissance et de perfectionnement, qui fait les vrais amis et les amitiés durables. L’intimité entre de tels amis est particulière. Un ami devient non seulement quelqu’un qui vous connaît très bien, et souvent comme personne d’autre, mais aussi quelqu’un qui vous aide à vous définir. D’un tel ami, étrangement, on pourra dire que c’est quelqu’un qui, quand vous le rencontrez, vous donne de vos nouvelles. Très vite, nos quatre héros se rencontrent de cette manière intime, se parlent de leurs amours, se page 26 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES Un pour tous… J’ai eu besoin d’aide. Mes amis étaient là… En 1830, Dumas fait jouer une pièce intitulée Christine. Le soir de la première, il faut se rendre à l’évidence : si la pièce est bien accueillie, elle doit tout de même être passablement retravaillée. Lourde tâche pour un auteur surmené. Après la première, ses amis se réunissent chez Dumas pour faire la fête ; mais l’auteur, épuisé, va bien vite se coucher, pensant à tout ce travail qui l’attend. Deux amis s’emparent alors du manuscrit et se mettent à la tâche. Toute la nuit, ils retouchent, ils coupent, ils corrigent, ils ajoutent et retranchent. À midi, quand il se lève, Dumas trouve, sur sa table de travail, sa pièce achevée, dans un état qui sera sa version définitive. Le nom de ces deux amis ? Victor Hugo et Alfred de Vigny, deux immenses géants du romantisme et de la littérature française. Quel écrivain n’aimerait pas avoir pareils amis ? TOUS POUR UN ! Un jour, un ami trouve Alexandre Dumas en larmes à sa table de travail. Il lui demande, inquiet, ce qui se passe. Dumas répond : « J’ai dû tuer Porthos ». Et en effet, dans Le Vicomte de Bragelone, qui clôt la trilogie des mousquetaires dont le deuxième épisode s’appelle Vingt ans après, Porthos meurt. Et Dumas, qui doit le « tuer » pour les besoins de l’histoire, le pleure, le pleure comme un ami auquel on serait très attaché. Si vous avez déjà, en lisant un livre, en visionnant un film, en assistant à la représentation d’une pièce de théâtre, vibré devant le sort d’un personnage de fiction, peut-être même pleuré devant ses malheurs, alors vous comprendrez le sentiment que Dumas a vécu, qui était sans doute plus fort encore chez lui, puisqu’il avait créé et en quelque sorte mis au monde Porthos. Mais si on peut être assez proche d’un être imaginaire pour pleurer à ses malheurs, pour nous réjouir de ses succès, pour nous inquiéter de son sort, peut-on dire que d’une certaine manière on est ami avec cet être ? Tout me donne à penser que oui, que la littérature, le cinéma, le théâtre et les arts en général peuvent produire cet extraordinaire effet. Et ces amis qu’ils nous présentent, nous aident, comme le font les amis réels, de chair et d’os, mais cette fois par le travail de l’imagination, à connaître et à mieux comprendre à la fois le monde et nous même. © HÉlène Beauchamp Un père et son fils, Méditerranée 1982 D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 27 DOSSIER C’est ainsi qu’avec Les Trois Mousquetaires, c’est une part du monde qui vous est révélée, en même temps, peut-être, qu’une part de vous même, que vous ignoriez jusque là. D’Artagnan — qui sait ? — deviendra peut-être votre ami, comme il est devenu le mien autrefois, et l’est resté. Pour le moment, j’aime à l’imaginer avec Porthos, Athos et Aramis en route pour Calais. Ils chevauchent ensemble, mais ne se parlent pas durant de longs moments, puisqu’avec de vrais amis on peut ainsi garder de longs silences sans que cela soit gênant. Ils avancent et ils savourent sans doute ce bonheur d’être ensemble, de se connaître et de travailler à une cause qui les dépasse et qui les unira sans doute encore plus fort, qui fera d’eux de meilleurs et de plus grands amis. Ce n’est pas seulement par intérêt ou par plaisir qu’ils sont amis et font ce qu’ils font : c’est parce qu’ils sont des amis qu’ils font ensemble ce qu’ils font. …et tous pour un ! Normand Baillargeon page 28 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES Les vrais mousquetaires ET LEURS ARMES… Les mousquetaires d’Alexandre Dumas père ont une telle vie, une telle présence que, pour la majorité des lecteurs, il est bien difficile d’imaginer d’autres mousquetaires que ceux-là. C’est Louis XIII qui, en 1622, décida de donner des mousquets, arme plus puissante que l’arquebuse, à sa compagnie de chevaux-légers, chargée depuis Henri IV d’éclairer en avant de la Cavalerie et de la Garde du Roi, avec mission « en toutes circonstances, d’entamer le combat par des escarmouches ». Les mousquetaires sont recrutés uniquement parmi les gentilshommes ayant déjà servi dans la Garde. L’accès aux mousquetaires, corps d’élite et de parade, proche du roi, représente une promotion. Chaque mousquetaire doit se monter, s’habiller et s’équiper à ses frais. Le roi ne fournissait que le fusil et le mousquet ; les pistolets et les épées devaient être achetés. ~ Mousquetaire en tenue de campagne avec sa casaque. Dès 1622, les mousquetaires, une centaine tout au plus, sont à la disposition du roi. Ils se distingueront d’abord dans les opérations de l’île de Ré, conduites par le cardinal de Richelieu contre les huguenots en 1626. Si Dumas a avancé la date de naissance de d’Artagnan, c’est pour lui permettre de participer aux premières heures de gloire des mousquetaires. ~ Un mousquet est une arme à feu portative à canon long, crosse d’épaule et platine à mèche ou à rouet. La longueur moyenne des canons était de 1,20 m et les balles pouvaient avoir un calibre de plus de 20 mm Jacob de Gheyn, 1607. . D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 29 DOSSIER Ils furent engagés par la suite dans toutes les grandes batailles où le cardinal de Richelieu recherchait un succès rapide avec une petite troupe très sûre, bien à lui et se donnant à fond. Mais, dès la paix revenue, ces hardis batailleurs n’hésitaient pas à se faire la main dans d’innombrables duels (ce que le Cardinal ne pouvait admettre). Il s’ensuivit maints incidents, rixes et assassinats. Le cardinal Mazarin, qui succéda à Richelieu comme ministre principal, n’apprécia pas davantage et, voyant dans cette troupe d’élite un foyer de dangereuses révoltes contre l’autorité publique, il supprima finalement la compagnie en 1646. Quand Louis XIV prit le pouvoir, il vit, au contraire, dans le rétablissement de cette brillante unité, un motif de gloire pour son jeune règne. En 1657, le corps des mousquetaires fut reconstitué, suivi d’une deuxième compagnie en 1663. L’effectif des mousquetaires était au début de 150, puis de 250, chacun ayant qualité d’officier bien qu’il fasse un service de soldat. ET LEURS HABITS… À une époque où l’uniforme militaire n’existait pas encore1, les mousquetaires faisaient grand cas de leur tenue, un habit somptueux, symbole de leur statut privilégié au sein de l’armée comme dans la vie civile. Symbole aussi de leur appartenance à un clan, le clan de ceux qui ont le droit de se faire tuer les premiers au service du roi. La simple vue d’un mousquetaire suffisait à inspirer le respect, l’admiration mais aussi la terreur car ils étaient assez chatouilleux et jouissaient d’une certaine impunité. L’habit faisait donc le mousquetaire. C’est pourquoi ils attachaient tant d’importance à leur allure. La casaque était une espèce d’uniforme avant la lettre. C’était une sorte de manteau court formé L’uniforme militaire date des années 1670 et donc de la deuxième partie du règne de Louis XIV. 1 page 30 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES de deux panneaux, un devant et un derrière, avec des manches ouvertes rejetées vers l’arrière. Une croix d’argent à flamme d’or se détachait sur le fond de velours bleu. À la guerre, l’étendard de la première compagnie des Mousquetaires était de satin blanc avec galons et franges d’or et d’argent, entourant l’image brodée d’une citadelle avec la devise : Quo ruit et lethum (Avec lui charge aussi la mort). Charmant programme ! La casaque se portait par-dessus le pourpoint mais n’était pas obligatoire à la ville. Le pourpoint et les chausses se devaient d’être à la dernière mode et aussi riches que possible. Le pourpoint est à l’homme du XVIIe siècle ce que le veston est à l’homme moderne. C’est un vêtement Portrait de Claude Deruet par Jacques Callot, 1630. © Ian W. Fieggen Trois ferrets différents. Cuivre, plastique, laiton. rembourré porté par-dessus la chemise. Ceux des riches sont en soie et ornés d’aiguillettes à ferrets. Depuis le Moyen Âge, les hommes comme les femmes, avaient l’habitude d’attacher les différentes parties de leurs vêtements avec des cordons ou des rubans nommés aiguillettes. Ces cordons ressemblent un peu à nos lacets. Les hommes suspendaient leurs chausses – leurs culottes – à leur pourpoint par une douzaine d’aiguillettes enfilées dans autant de paires d’œillets faisant le tour de la taille. Les braguettes des hommes étaient aussi fermées par des aiguillettes. Pour pouvoir mieux les enfiler à travers les œillets, les bouts se terminent par des pointes métalliques, en or ou en argent, plus ou moins décorées : c’est ce qu’on appelle les ferrets. Comme un lacet à deux bouts, les ferrets vont toujours par paires. Ces ferrets peuvent devenir aussi coûteux que des bijoux, comme ceux de la reine qui sont ornés de diamants. Les femmes les utilisaient pour soutenir la jupe mais aussi les manches qui ont toujours été séparées du corsage, d’où l’expression : « C’est une autre paire de manches ». Au XVIIe siècle on changeait plus souvent de manches que de chemise. Les ferrets d’Anne d’Autriche servaient probablement à attacher les volumineuses manches de l’époque. On aura compris que l’esbroufe vestimentaire faisait aussi partie de la stratégie des mousquetaires : il fallait en mettre plein la vue. La mode demandait la taille haute et fine. Il fallait, à défaut de bretelles, rattacher les chausses au pourpoint avec des aiguillettes. Le pourpoint en forme de cuirasse est souvent tailladé de crevés sur le devant. Il est porté légèrement ouvert en un élégant débraillé. Le bas des chausses se perdait dans les énormes bottes à entonnoir. Ces bottes étaient portées hautes pour chevaucher, mais à la ville on pouvait les rabattre pour former une sorte d’entonnoir. Cela donnait une fière allure mais posait problème en cas de pluie. Il ne fallait pas oublier de vider l’eau avant d’entrer chez une dame. D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 31 DOSSIER Sur le pourpoint on arborait fièrement le rabat, large col de lin bordé de dentelle et tombant sur les épaules. Cette pièce de linge coûtait fort cher car il fallait la faire blanchir et amidonner. La chemise était souvent noire de crasse sous le pourpoint mais le col devait être immaculé. La mode était au chapeau de castor à la mousquetaire : larges rebords gondolant de façon pittoresque et cavalière. Il était garni d’un panache fait de longues plumes d’autruche, teintes et frisées nommées pleureuses. Pour les mousquetaires, la couleur des plumes variait avec les régiments. laissait pendre sur le côté une mèche plus longue nommée cadenette. Les moustaches sont relevées en coquilles et frisées au fer. Pour maintenir leur forme la nuit, elles étaient pincées dans un petit appareil nommé la bigotière. Un mousquetaire, comme un gentilhomme, ne saurait se passer de gants. Ne serait-ce que pour le jeter à la figure de quelqu’un. Pour qu’un gant soit parfait, la préparation de la peau devait se faire en Espagne, la taille en France et la couture en Angleterre. D’où peut-être les fréquents voyages des mousquetaires en Angleterre ! Les gants étaient toujours parfumés pour couvrir les fortes odeurs naturelles dues au manque d’hygiène. L’épée, longue et effilée comme la rapière, était obligatoire, soutenue par le baudrier en cuir plus ou moins richement décoré. Épées pour le théâtre . J.Allen Suddeth, Fight Directing for the Theatre. ~ Mousquetaire de la garde avec mousquet, 1660. La chevelure se portait en désordre : longue et ondulée. Elle était savamment travaillée pour donner un aspect négligé et peu soigné. On page 32 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES Sous Louis XIII, l’épée était portée par un grand baudrier sans le secours d’un ceinturon. Le baudrier était une large courroie en cuir portée sur l’épaule droite, traversant la poitrine en oblique pour soutenir l’épée et son fourreau à gauche. Ce qui permettait de sortir rapidement l’épée avec la main droite pour trucider son adversaire avec toute l’élégance voulue. Les mousquetaires portaient tous des baudriers. Celui de Porthos était richement brodé d’or. Mais comme il n’avait pas les moyens de sa coquetterie, seul le devant était luxueux, le dos étant en vulgaire peau de buffle. Le manteau complétait la tenue. Ce terme désigna longtemps ce que nous appellerions une cape. Le manteau à la Louis XIII n’a donc pas de manches ~ Le ballet de la Merlaison par Maurice Leloir et permet de s’envelopper et même de se cacher le visage. Il était porté de cent d’Artagnan peut confondre celui d’une femme avec manières différentes, mais le plus souvent suspendu celui d’Aramis. La batiste est une étoffe de lin très à la Balagny, c’est-à-dire sur une seule épaule. Il fine et donc assez chère. servait de manteau de pluie, de cache-poussière et aussi de cache-misère. En campagne, il servait Dumas s’y connaissait en mouchoirs puisque le de nappe ou d’oreiller. Au combat, enroulé sur le jour du triomphe de sa pièce Henri III, il suait à bras gauche, il servait à parer les coups d’épée grosses gouttes et était tellement nerveux qu’il de l’adversaire. On ne se protège jamais assez. réduisit en charpie le fin mouchoir de sa maîtresse ! Le mouchoir en batiste d’Aramis Les hommes portaient des mouchoirs aussi raffinés et élégants que les femmes. C’est pourquoi Hélène Beauchamp2 Ce texte s’inspire de celui de Véronique Borboën, Cahier 44, automne 2001. 2 D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 33 DOSSIER Duel à l’épée par Jacques Callot, 1617. Le combat dramatique au théâtre LE THÉÂTRE HÉROÏQUE Les Trois Mousquetaires ! Un cadeau pour un concepteur de cascades spécialisé en escrime ancienne. Dans son livre Le Théâtre héroïque, Gabriel Letainturier-Fradin, historien, écrivain, maître d’armes et fervent de théâtre, s’exprime ainsi : Quels terribles pourfendeurs que ces beaux et vaillants mousquetaires qui ne mettaient rien au-dessus de l’honneur. Aussi, tandis que le romantisme de Dumas enthousiasmait les nombreux spectateurs accourus pour avoir la merveilleuse illusion de ces passionnantes épopées, et que les acteurs de l’époque étaient remplis de la foi et de l’ardeur de leurs créations, c’est là que la science du maître d’armes devait se signaler. Il devait régler page 34 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES avec art et avec soin la mise en scène de ces combats formidables et rapides comme la foudre1. Le romantisme héroïque d’Alexandre Dumas, intéresse toujours. Cette fiction a quelque chose d’enivrant quand elle vient chercher cette part de l’aventurier en nous. Et quelle qu’en soit l’adaptation, les cascades et les combats font toujours partie de l’aventure. Les mousquetaires, mystifiés par Alexandre Dumas, sont devenus des héros populaires. Sauveurs de la veuve et de l’orphelin et justiciers bien avant les Marvels2, ils se battent toujours sous la bannière d’un code d’honneur. Ces codes d’honneur qui tracent une ligne entre le bien et le mal existent depuis des Flammarion, Paris, 1914. Personnages de l’univers Marvel, super-héros et super-vilains, qui sont dotés de super-pouvoirs, et qui se combattent dans une lutte sans fin. 1 2 temps immémoriaux. On peut remonter plus de 2000 ans en arrière, dans la Babylone antique, pour trouver des codes de conduite sur le droit de la guerre et le comportement lors de combats, rappelant aux adversaires qu’il faut limiter les actes immoraux mis en œuvre par des belligérants. LA SCIENCE DES ARMES À la fin du XVIe, début du XVIIe siècle, la science des armes connaissait une grande effervescence. La fabrication des épées était en pleine transition et la rapière, qui avait fait son apparition à la fin du XVe siècle, était maintenant présente partout en Europe. En 1567, Charles IX donne son approbation pour la création de l’Académie d’escrime de Paris qui deviendra sous Louis XIII l’Académie des maîtres en fait d’armes de France. Les Rois reconnaissaient ainsi le métier de maître d’armes et donnait à l’Académie le pouvoir d’accréditation. À l’époque de Louis XIII et de ses mousquetaires, la pratique de l’escrime avait acquis ses lettres de noblesse et était considérée comme essentielle à l’éducation du gentilhomme, et même chez les moins nobles. Dumas n’avait pas tort quand il faisait dire au père de d’Artagnan : Vous êtes jeune, vous devez être brave par deux raisons : la première, c’est que vous êtes Gascon, et la seconde, c’est que vous êtes mon fils. Ne craignez pas les occasions et cherchez les aventures. Je vous ai fait apprendre à manier l’épée ; vous avez un jarret de fer, un poignet d’acier ; battez-vous à tous propos ; battez-vous, d’autant plus que les duels sont défendus et que par conséquent, il y a deux fois du courage à se battre 3. http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Trois_Mousquetaires/Texte_entier. Chapitre premier « Les trois présents de M. d’Artagnan père ». 3 Girard Thibault. Académie de l’Espee, 1628. D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 35 DOSSIER Académie de l’Espée de Girard Thibault d’Anvers où se démontrent par Règles mathématiques sur le fondement d’un Cercle mystérieux la Théorie et Pratique des vrais et jusqu’à présent inconnus secrets du maniement des armes à pied et à cheval. M.DC.XXVIII. (1628) Jerònimo de Carranza et son disciple Pacheco de Narvaez, maîtres d’armes espagnols qui furent les professeurs de Girard Thibault, sont les instigateurs du cercle mystérieux et de cette application de calculs géométriques dans l’analyse des déplacements. Cette application des sciences à l’art de l’escrime avait également fait l’objet du Traité sur la science des armes (Trattato di Scienza d’Arme, 1553) du maître d’armes Italien Camillo Agrippa (décédé en 1595). Connaître le maniement des armes était une question de survie même pour ceux qui ne se destinaient pas à une carrière de soldat, car tout était prétexte au duel sous le règne de Louis XIII, au point où le roi dut multiplier les édits interdisant le duel en menaçant les combattants de sanctions de plus en plus fortes. Mais nous sommes à la fin de la Renaissance et les guerres de religion et autres conflits pour des parcelles de royaume dominent la vie quotidienne. La formation de soldats est essentielle à la survie des royaumes et les maîtres d’armes se multiplient. Les techniques se perfectionnent dans leur efficacité meurtrière. La rapière avait également ses compagnes : la dague, la targe et la cape pour participer à un système défensif et offensif efficace. L’art du combat à l’épée était considéré comme une science et plusieurs publications cherchèrent à démontrer la complexité du savoir que demandait la pratique des armes. L’adaptation pour la scène du roman de Dumas par Frédéric Bélanger est dans le genre de la comédie héroïque. Les combats y sont nombreux et m’obligent, en tant que concepteur, à autant de page 36 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES questionnements sur les choix dramatiques que sur les techniques, les armes, le style, les gestes et les déplacements à utiliser dans mes chorégraphies. Cette production sera ma quatrième occasion de travailler sur Les Trois Mousquetaires, et l’impression du défi à relever est toujours présente. C’est toujours un plaisir de réinventer et de concevoir de nouvelles chorégraphies. Il faut comprendre également dès le départ que la « science du maître d’armes » dont parlait Letainturier-Fradin a connu une évolution fulgurante dans les derniers quarante ans, évolution à laquelle je suis fier d’avoir participé en innovant sur des façons de créer certaines illusions de combat, en introduisant en 1994 l’usage de la canne de combat dans des spectacles et l’utilisation de principes de biomécanique pour l’entraînement de l’acteur. Le maître d’armes d’escrime a fait place à un spécialiste en combat dramatique pour les arts de la scène et de l’écran, dont la connaissance touche autant à diverses disciplines d’escrime ancienne, de techniques en arts martiaux qu’à une connaissance du jeu physique et des principes de chorégraphie impliquant le corps dans l’espace. LE CONCEPTEUR DE COMBATS J’aime dire que je suis un spécialiste en arts de combat dramatique. Ce terme fut adopté par de nombreux praticiens en chorégraphie de combat dans l’ensemble de la communauté artistique internationale vers la fin des années 1990. Le combat dramatique, c’est l’art de raconter par des phrases de combat chorégraphiées et sécuritaires, une scène où la situation conflictuelle mène à des actes de violence. Un personnage ne s’arrête pas d’exister pour se battre ; c’est son histoire qui se raconte avec tous les enjeux humains qui s’y rattachent. Tous les gestes et déplacements que je place dans une phrase de combat, toutes les positions et attitudes corporelles, y compris la distance entre les adversaires, les moments d’immobilité, les regards, contribuent à la compréhension de l’histoire. Il est également plus important de servir l’effet dramatique que de rester strictement fidèle à une école de pensée ou à une technique martiale. Mais attention : l’acteur qui joue l’action physique d’un personnage dans une scène de combat ne fait pas semblant de se battre. Il doit s’investir dans la situation et y être autant absorbé que s’il était impliqué dans un vrai combat. J’étudie les diverses formes d’art de combat ou d’arts martiaux pour transposer certaines techniques à la scène ou au cinéma. Je suis en quelque sorte un vulgarisateur qui va décortiquer une action physique complexe pour aider l’acteur à la comprendre, l’intégrer et l’exécuter. Je puise mes sources dans divers systèmes d’attaque ou de défense en les adaptant à la situation dramatique et j’offre ensuite aux acteurs un découpage précis de chaque action physique pour permettre un travail synchronisé et sécuritaire avec le partenaire. Comme nous n’avons pas le temps, en répétition, de nous attarder à une formation sur chaque technique utilisée, il faut également que mon langage soit compréhensible pour tous. Si je fais exécuter une projection de judo et que je dis à un non initié : « Il faut déséquilibrer Uke dès le Taisabaki-Kuzushi lors d’un Tsuri-Komi-Goshi », je ne pense pas que j’obtiendrai le résultat désiré ! Par contre, si je décortique chaque action lors de la démonstration et que j’utilise un langage plus quotidien de pousser/tirer et de principe d’équilibre, j’arrive plus rapidement à faire comprendre l’effet recherché. Bien entendu, je présume alors du fait que l’acteur a de bonnes capacités physiques et que son pouvoir de mimétisme est acquis. Contrôle / Abandon Une scène de combat n’est pas qu’une didascalie, c’est la suite logique de la situation et des actions dans lesquelles les personnages sont impliqués, physiquement et moralement, tel que proposé par l’auteur. Cela représente souvent une catharsis pour le protagoniste. La performance d’une scène de combat dramatique fait appel à la qualité de la synergie dans deux domaines : le domaine de la technique et celui de l’expressif. La part de contrôle que doit posséder l’acteur/ l’actrice qui doit exécuter des mouvements de combat repose sur les règles à connaître pour s’assurer de la sécurité de tous, surtout lors d’une scène comportant des risques physiques. Le travail en est un de conscience corporelle pour acquérir les gestes moteurs précis. L’apprentissage de techniques physiques spécifiques à la gestuelle de combat fait appel à la souplesse, à la dextérité, la coordination, la concentration et la capacité anaérobique des participants/tes. Le travail avec partenaire en opposition implique la conscience de soi et des autres dans l’espace. Il faut aussi tenir compte de la respiration et du souffle D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 37 DOSSIER La biomécanique a pour but d’étudier et d’analyser les mouvements du corps humain et son interaction avec le milieu dans lequel il évolue. Le corps humain est un système articulé dont les muscles sont les moteurs internes qui permettent le mouvement. Cette structure est dirigée hiérarchiquement par le cerveau et le système nerveux. Si un acteur doit porter un autre acteur sur son dos, comment la charge est-elle répartie dans le corps ? Est-il bien enligné ? Utilise-t-il bien ses chaînes musculaires ? dans la relation entre le texte et le geste agressif ou violent. La part d’abandon est celle que doit posséder l’acteur/l’actrice pour permettre la spontanéité du moment. La pensée sous-jacente aux gestes se nourrit de pulsions émotives pour trouver la juste impulsion physique et permettre un juste découpage du moment dramatique avec ses découvertes et ses décisions, les choix et les stratégies du personnage. Équilibre Lors de situations exigeant un jeu physique et impliquant des risques, il ne faut pas laisser nos pulsions inconscientes agir sur nos impulsions. Il faut que notre attention (focus) - donc les émotions et les intentions que l’on prête au personnage ainsi que les gestes qui en découlent pour servir situations et circonstances - se concentrent ou se canalisent à travers une même impulsion qui lance son ordre d’action à l’organisation psychomotrice globale, c’est-à-dire le schéma corporel. Le schéma corporel fait appel à « tous les mécanismes et page 38 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES processus, aux niveaux moteur, tonique, perceptif et sensoriel, expressif (verbal et extra-verbal), processus dans et par lesquels le niveau affectif est constamment investi »4. Je pourrais résumer en disant qu’au théâtre, comparativement au cinéma, l’acteur travaille sans filet. Il doit apprendre l’ensemble de la chorégraphie du combat et doit la performer du début à la fin, à chaque représentation, sans se faire remplacer par un cascadeur ni obtenir de retouche au montage. La chorégraphie est également construite pour la scène : comme il n’y a pas de caméra pour faire des focus et permettre un découpage de l’action, c’est la chorégraphie qui raconte l’histoire et qui, par son découpage des actions physiques, crée des focus précis en jouant avec les rythmes, la mobilité et l’immobilité. Mesure En escrime le mot « mesure » exprime la distance qui sépare deux escrimeurs. Être en mesure, c’est Voir Jean-Claude Coste, Les 50 mots-clés de la psychomotricité, éditions Privat, 1976. 4 savoir maintenir la bonne distance autant pour les actions offensives que défensives. C’est aussi avoir du jugement, savoir allier prudence et témérité. L’escrimeur doit avoir de l’instinct, car la vitesse de réaction est primordiale pour savoir utiliser les opportunités, mais il doit également être patient et raisonné pour pouvoir, au bon moment, bloquer l’attaquant. Cette « mesure », en combat dramatique, devient une règle de sécurité avec laquelle travaillent les partenaires en opposition que sont les acteurs. La sécurité est d’ailleurs la première règle en art de combat dramatique : c’est ce qui régit tous mes choix. Je dois prévoir l’imprévisible. C’est pourquoi, dans mon processus, je m’attarde à toutes sortes de détails sur la qualité de l’alignement, de l’équilibre, sur la précision des gestes, etc. L’utilisation de la rapière au théâtre. J. Allen Suddeth, Fight Directing for the Theatre. Il est évident que je dois travailler selon les capacités de l’acteur. Mais ce n’est pas parce que l’acteur ne connaît pas les techniques de combat que je dois me limiter à des mouvements simples. Il faut que je pousse les acteurs à acquérir rapidement une compréhension physique précise des gestes et attitudes à intégrer, des déplacements assurant la distance désirée et de la façon de se connecter à la cadence et aux divers rythmes des actions. Temps L’importance du temps dans mon travail se retrouve sous divers aspects. Premièrement il me faut le sens de l’à-propos, expression qui dans les sports de combat veut dire : avoir la capacité d’agir ou de réagir au moment opportun. On utilise aussi l’expression anglaise « avoir du timing ». C’est un aspect du jeu qui demande plusieurs heures de répétition. On sait que le sportif prend des années pour développer cet instinct D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 39 DOSSIER qui lui permet de faire des choix de stratégie en une fraction de seconde et d’utiliser les moments opportuns selon les circonstances. Il ne s’agit donc pas seulement d’essayer de reproduire des gestes et d’en montrer la rythmique, il me faut aider l’acteur à comprendre l’impulsion. Deuxièmement, il y a le temps d’apprentissage des chorégraphies. L’acteur et moi n’avons pas le loisir de travailler de nombreuses heures pour assimiler les chorégraphies. Le temps est compté et je dois être méthodique et judicieux dans la façon de l’utiliser. La période la plus difficile est celle de la mise en place des combats, quand l’acteur s’initie aux mouvements. Je dois alors m’adapter à chacun tout en cherchant à servir la situation dramatique et les attentes du metteur en scène et en tenant compte des contraintes d’espace et de costumes. Il y a très peu de place pour des essais Marcher avec le mousquet dans la main, Jacob de Gheyn, 1607. et des erreurs. Il faut aussi que je tienne compte de la condition physique de l’acteur ou de l’actrice, de son âge et de son expérience en combat dramatique, de sa capacité à mémoriser les mouvements. Et ce qui est difficile à ce stade, c’est que les mouvements sont encore imprécis et lents, et que je suis un des seuls à ce moment-là à pouvoir imaginer ce que cela donnera. Le rythme d’apprentissage de chacun varie de très lent à rapide. Et attention ! Rapide ne veut pas dire meilleur, car parfois un acteur peut mémoriser rapidement un dessin brouillon des mouvements et avoir ensuite beaucoup de difficulté à corriger des mouvements mal assimilés. Je dois donc me demander si j’ose offrir des actions physiques plus complexes sachant qu’il est difficile de les modifier plus tard. J’essaie de choisir des page 40 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES actions que l’acteur aura la capacité d’intégrer et surtout de performer pour le public. Sécurité Malgré l’existence millénaire des arts de combat, l’organisation d’un système codifié sécuritaire universel pour le théâtre n’existe que depuis peu. Les arts de combat dramatique ont vu le jour principalement et prioritairement par souci de sécurité. Il n’y avait pas, avant 1969, d’approche commune. Dans les écoles de théâtre la formation se résumait aux cours d’escrime donnés par un maître d’armes, et quand il y avait des combats sur scène, chacun y allait de sa propre technique. Il va sans dire que les accidents étaient nombreux. Le célèbre acteur britannique Laurence Olivier en donne le témoignage dans sa préface au livre de William Hobbs Techniques of the Stage Fight 5 où l’auteur propose un système organisé et sécuritaire pour les chorégraphies de combat à l’escrime. de cet art en ont poussé plus loin les capacités expressives et l’apport à la formation. Mais c’est Henry Marshall qui changea le cours de l’histoire en proposant la fondation de la Society of British Fight Directors (S.B.F.D.)6. La S.B.F.D. implanta un nouveau système commun de formation avec un test final qui certifiait la compétence de l’acteur à exécuter une scène de combat. Toutes les autres écoles d’Angleterre ont rapidement emboîté le pas. Puis les écoles américaines ont suivi, en commençant par The Julliard School (New York) et puis l’École nationale de théâtre du Canada, section anglaise, grâce à Paddy Crean, acteur britannique, dont l’influence sur le combat de scène moderne a été marquante. Rapidement ces principes de sécurité furent appliqués dans les théâtres et au cinéma dans la communauté anglaise et se sont ensuite propagés lentement à l’échelle de la planète. Les artistes impliqués dans le perfectionnement Je ne me destinais pas vers les cascades. Diplômé en 1979 de l’École nationale de théâtre du Canada en interprétation, c’est en premier comme acteur que je gagnais ma vie ; mais j’avais déjà à cette époque une passion pour le jeu physique de l’acteur. J’ai fait ma première chorégraphie professionnelle en 1986 pour Rashomon que montait François Barbeau. Comme j’avais une formation diversifiée en arts martiaux, ayant pratiqué l’escrime, le judo et l’aïkido, et qu’en 1986 je pratiquais également des techniques d’épée et de sabre chinois, tout cela allié à mon expérience de comédien, j’étais bien content qu’on me propose cette nouvelle exploration dans l’univers du jeu physique. L’expérience ayant donné de bons résultats, François Barbeau m’a ensuite référé à André Brassard pour un Richard III au Théâtre du Rideau Vert. Ensuite, il y eu l’effet boule de neige, un travail menant à un autre. Et ces deux premières expériences m’ont poussé à rechercher Studio Vista Limited en 1967. Connue aujourd’hui sous le nom de British Academy of Stage and Screen Combat. 5 6 LA DESTINÉE EST FAITE DE CHOIX Figures de mousqutaires D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 41 DOSSIER quelles étaient les traditions en combat dans le domaine spécifique du théâtre, d’abord auprès de Robert Seale qui enseignait des techniques de combat pour acteur à York University (Toronto). C’est là que j’ai appris l’existence de la Society of British Fight Directors et de la Society of American Fight Directors, organismes auprès desquels j’ai continué ma formation jusqu’au niveau de Fight Director. Jean-François Gagnon © Mishastranger Groupe de Mousquetaires. Sculpture : Ville de Condom, France. page 42 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES Pour en savoir plus... Sur Alexandre Dumas La vie de Dumas est elle-même un roman. Elle est bien racontée dans le très richement illustré ouvrage de Biet, C., Brighelli, J-P., et Rispail, J-L. : Alexandre Dumas ou les aventures d’un romancier, Gallimard, Collection Découvertes, Paris 1987. Daniel Compère, D’Artagnan & Cie. Les Trois mousquetaires, un roman à suivre, Encrage Édition, 2002. Partant de l’étude du roman, Daniel Compère montre la richesse d’une thématique où se mêlent histoire et fiction, et d’où surgissent des personnages hors du commun. Jean Lacouture, Alexandre Dumas à la conquête de Paris (1822-1831), Éditions Complexe, 2005. « Vingt ans avant Les Trois Mousquetaires et Le Comte de Monte-Cristo (…) Alexandre Dumas – fort de sa jeunesse et de sa soif de vivre – entre à Paris, la ville aux mille promesses. Prêt à conquérir la capitale, ce petit-fils d’une esclave noire, fils d’un général brutalement disgracié par Napoléon, rêve de théâtre, de littérature, de reconnaissance. D’Aristote et sur lui Aristote n’est pas une lecture facile, mais il est un des plus grands esprits qu’on puisse connaître et vous ne regretterez jamais le temps passé en sa compagnie. Ses réflexions sur l’amitié se trouvent dans son Éthique à Nicomaque, Livres VIII et IX. Ivre d’histoire, romanesque en diable, avide de savoir, travailleur acharné, amant fougueux, il se jette à corps perdu dans l’écriture, dans l’amour, dans la vie. Pour préparer cette lecture, vous pouvez lire ma brève présentation de la morale d’Aristote, dans : Normand Baillargeon, Stéroïdes pour comprendre la philosophie, Amerik Media, 2010, pp. 97-102. Sept ans plus tard, il fait jouer sa pièce Henri III et sa cour. C’est un triomphe ! Quelques mois avant le Hernani de Hugo, la bataille romantique est lancée. À moins de trente ans, le jeune provincial est devenu la coqueluche du Tout-Paris. » Et pourquoi pas découvrir Aristote par un roman et faire connaissance avec son milieu, ses amis, son épouse, sans oublier Alexandre le Grand, qui fut son élève ? Je vous suggère pour cela, de A. Lyon, Le juste milieu, Alto, 2011. Simone Bertière, Dumas et les « Mousquetaires » : histoire d’un chef-d’œuvre, Éditions de Fallois, Paris, 2009. Sur la pratique des combats de scène Dale Anthony. Girard, Actors on Guard. A Practical Guide for the Use of Rapier and Dagger for Stage and Screen, New York, Routledge, 1997. Marie-Christine Natta, Le Temps des mousquetaires, Éditions du Félin, 2004 Comment expliquer la consécration universelle de ces quatre héros ? Qu’ont-ils de plus que Lagardère ou Pardaillan ? Sont-ils plus vifs, plus courageux, plus rusés ? Non. L’essaie de MarieChristine Natta tente d’apporter une réponse à cette énigme. Henri Troyat, Alexandre Dumas : Le cinquième mousquetaire. Grasset 2005. J. Allen Suddeth, Fight Directing for the Theatre, Heinemann, Portsmouth, N.H. 1996. D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 43 DOSSIER POUR ALLER PLUS LOIN... Les personnages… Dans son roman, Alexandre Dumas mélange personnages réels et personnages fictifs. Préparer des fiches biographiques et des portraits pour les personnages qui sont tirés de l’histoire : le roi Louis XIII, la reine Anne d’Autriche, le cardinal de Richelieu, le duc de Buckingham. Faire de même pour les personnages fictifs : D’Artagnan, Athos, Aramis, Porthos, Monsieur de Tréville, Rochefort, Planchet. Situer les personnages féminins et faitesen le portrait : Milady de Winter et Constance Bonacieux. Des actions nobles… On dit que Athos, Aramis et Porthos « ferraillaient » avant l’arrivée de d’Artagnan. Qu’est-ce que cela signifie ? S’agit-il d’une critique ironique de leurs actions ? L’action… L’action se situe entre 1625 et 1628. Est-ce que ces années sont significatives dans l’histoire de la France ? Que se passe-t-il ? Quelles sont les guerres en cours ? Pouvez-vous trouver les endroits où elles ont lieu ? Dictons… Selon un certain dicton, « l’habit ne fait pas le moine ». Expliquer ce dicton. Or d’Artagnan, à son arrivée à Paris, n’a pas l’habit de mousquetaire, « mais j’ai l’âme » dit-il. Et il ajoute : « Mon cœur est mousquetaire, je le sens bien ». Commenter ces rapports entre l’habit – les apparences – et la véritable nature d’une personne. Les expéditions… Sur une carte de France, établir le tracé des déplacements de d’Artagnan et de ceux de ses amis. Imaginer comment ces trajets se réalisaient à l’époque. D’Artagnan passe de la France à l’Angleterre pour aller récupérer les ferrets de la reine. Comment fait-il la traversée de la Manche ? Et aujourd’hui : comment ferait-il la même traversée ? Les déplacements se font aussi dans la ville de Paris. Sur une carte, identifier les différents endroits où d’Artagnan se retrouve, soit pour ses duels, soit pour voir les personnes qui lui sont chères. Y situer la prison de la Bastille. Quel est le bâtiment qui se trouve aujourd’hui Place de la Bastille ? page 44 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES On dit aussi que d’Artagnan entraîne ses amis dans des aventures « nobles ». À partir de la connaissance du roman ou de la pièce, définir ce que l’on entend par « nobles ». S’agirait-il d’aventures où l’on se porte à la défense des plus faibles, des plus démunis ? De celles et ceux qui sont menacés ? Choisir une occasion où il serait bon d’adopter pour soi et pour son groupe la devise : « Un pour tous et tous pour un ! » La langue parlée… « - Le Gascon est plein d’idées, dit Porthos avec admiration. -J’aime beaucoup l’entendre parler, dit Athos, son patois m’amuse. » Est-ce que cela rappelle certains commentaires sur le parler québécois ? Situer la Gascogne, province de France, et l'associer avec Gulliver, celui qui voyage au pays des géants. Philosopher en poète… Athos : « La vie est un chapelet de petites misères que le philosophe égrène en riant. » Philosopher sur l’amitié… « … quatre hommes comme eux, quatre hommes dévoués les uns aux autres depuis la bourse jusqu’à la vie, quatre hommes se soutenant toujours, ne reculant jamais, exécutant isolément ou ensemble les résolutions prises en commun ; quatre bras menaçant les quatre points cardinaux ou se tournant vers un seul point… » Philosopher avec Cyrano… Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, pièce écrite entre 1896 et 1897, s’inspire d’un personnage réel ayant vécu de 1619 à 1655. Le personnage de d’Artagnan y fait une apparition lors du duel entre le vicomte de Valvert et Cyrano : « À la fin de l’envoie, je touche ! » D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / page 45 Salle Fred-Barry Camus L’Énigme Noël 1933 page 46 / Salle fred-barry ©Catherine Gauthier Une passion algérienne L’ÉQUIPE ET LA COMPAGNIE L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE Texte et mise en scène : Jean-Marie Papapietro Une coproduction du Théâtre de Fortune en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier Salle Fred-Barry Du 12 au 29 novembre 2014 Interprètes Roch Aubert Mohsen El Gharbi Gaétan Nadeau Christophe Rapin Philippe Régnoux Concepteurs et collaborateurs artistiques Décors et accessoires.................... Romain Fabre Éclairages...........................................Martin Sirois Vidéo et son..............................Sébastien Godron Régie..........................Cynthia Bouchard-Gosselin Graphisme.............................. Noémie Roy Lavoie Administration ................................. Lise Lambert LA COMPAGNIE Le Théâtre de Fortune Le Théâtre de Fortune, dirigé par JeanMarie Papapietro, s’est donné pour mandat de produire et de présenter au public des spectacles conçus à partir d’œuvres fortes de la littérature universelle, quel qu’en soit le genre ou la forme. Depuis sa fondation en 2001, la compagnie a créé une quinzaine de spectacles. à mal l’imaginaire, le théâtre nous apparaît comme garant d’une parole vivante. C’est pourquoi nous allons vers des textes capables de stimuler à la fois la réflexion et l’imagination du spectateur, de parler de ce qui peut vraiment faire bouger les consciences à notre époque. Il ne s’agit pas pour autant de renouer avec le théâtre politique et « engagé » que nous jugeons trop réducteur dans ses prémisses. Plutôt un théâtre de la parole vivante, incarnée et révélée avec toute la puissance de création que lui confère la présence active de l’interprète. » Le Théâtre de Fortune a créé Abel et Bela de Robert Pinget à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier en 2002, et y a présenté Premier amour de Samuel Beckett en 2012. http://theatredefortune.com/ « Nous considérons le théâtre comme un authentique moyen de connaissance, un laboratoire où l’homme apprend à se découvrir et à se reconnaître. C’est aussi un lieu de respiration. Dans un monde de machines, de spéculations et de médias qui mettent L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE / page 47 LA PIÈCE Sous forme de théâtre-documentaire, Jean-Marie Papapietro explore les dernières années d’Albert Camus à travers son regard sur les troubles qui agitent l’Algérie à partir de 1954. « J’ai mal à l’Algérie, confie-t-il, comme d’autres ont mal aux poumons. » Ses interventions publiques pour trouver une solution au conflit donnent lieu, sur la scène du théâtre, à un débat contradictoire réunissant cinq intervenants. Des comédiens et un metteur en scène répètent une pièce. Elle n’est pas de Camus. C’est plutôt Camus mis en pièce(s) ; car Camus est au cœur du propos ; car les acteurs verseront, tout au long de la pièce, des pièces à conviction au dossier Camus ; car le public devra se faire une opinion sur la position controversée de Camus par rapport à la guerre d’Algérie, celle d’un enfant pauvre d’Alger, petit Français d’Algérie devenu écrivain majeur et penseur incontournable du XXe siècle, pour qui la liberté est une valeur fondatrice. Au début de la guerre d’indépendance de l’Algérie, Camus rêvait d’une colonie réformée, d’une Algérie réconciliée qui rende justice à tous ses habitants. Utopie ? Position réactionnaire ? Solution pacifiste ? multiformes. Aujourd’hui nous pensons qu’elle est devenue plus audible et surtout qu’elle mérite de l’être, car elle est en rupture avec les idéologies totalitaires qui nous ont fait et continuent de nous faire tant de mal. ENTRETIEN AVEC JEAN-MARIE PAPAPIETRO, AUTEUR ET METTEUR EN SCÈNE Avant de s’installer au Québec en 1991, JeanMarie Papapietro a mené parallèlement, en France et en Italie, une carrière de professeur (théâtre et littérature), d’animateur dans différents centres culturels et de metteur en scène. Avec le Théâtre de Fortune qu’il a fondé en 2001, il a déjà réalisé une quinzaine de productions. « Voir une mise en scène de Jean-Marie Papapietro, c’est aller plus loin que les frontières des apparences et savoir accueillir la parole et les vibrations intimes des êtres. Les rendez-vous artistiques auxquels il nous convie, depuis la fondation de sa compagnie, sont authentiques, sensibles, puissants. » (Brigitte Haentjens, Directrice du Centre National des Arts à Ottawa) La position de Camus sur l’Algérie a été complexe parce que ses liens avec son pays natal étaient La guerre d’Algérie ou Révolution algérienne (mais aussi guerre d’indépendance), est un conflit qui se déroule de 1954 à 1962 en Algérie, colonie française depuis 1830, et dont l’aboutissement est l’indépendance du pays le 5 juillet 1962 et l’exode de la population des Européens d’Algérie, dits Pieds-Noirs. En tant que guerre d’indépendance et de décolonisation, elle oppose des nationalistes algériens (FLN) à la France. Elle est à la fois un double conflit militaire et diplomatique et aussi une double guerre civile, entre les communautés d’une part et à l’intérieur des communautés d’autre part[.] page 48 / L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE D’où est venu le désir d’écrire et de monter cette pièce autour de Camus et de l’Algérie ? Jean-Marie Papapietro © Théâtre de Fortune Mon rapport à Camus remonte à très loin, à mon adolescence. Je l’ai connu indirectement, dirait-on, par mon père qui était dans la même classe que lui, au lycée d’Alger. Et moi-même, j’ai été dans la khâgne1 du même lycée ; on a même eu plusieurs professeurs en commun, mais avec beaucoup d’années d’écart, cependant. Et puis, j’ai un souvenir de Camus sur le quai du port d’Alger, avec sa gabardine, qui attendait le bateau pour retourner en France. Il faisait En argot scolaire français, il s’agit de la seconde année de classe préparatoire au concours d’entrée à l’École normale supérieure (sections littéraires). 1 La ville et le port d’Alger en 1921. L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE / page 49 souvent des allers-retours entre la France et l’Algérie, car il avait sa famille encore à Alger. Je ne situe pas exactement l’année, mais c’était pendant la guerre d’Algérie, à une époque de grandes tensions. Sur le quai, Camus avait l’air soucieux, préoccupé. Et on sait qu’en 1956, il est venu à Alger pour lancer son « Appel pour une trêve civile » et en est reparti très déçu, démoralisé, avec le sentiment d’avoir été utilisé, on dirait aujourd’hui instrumentalisé. Je n’ai évidemment pas osé lui parler, car j’étais trop intimidé. Ainsi, vous aussi avez connu une enfance algérienne. Né à Alger, j’ai passé là-bas toute mon adolescence. Je suis rentré en France avant la fin de la guerre d’Algérie, en 1959 — à l’époque on ne disait pas la France, mais la métropole. Mes grandsparents paternels ont décidé de rester en Algérie indépendante, mais ils ont dû fuir, en 1965, car la vie devenait intenable pour eux. Je n’ai pas vécu l’exode des « pieds-noirs » [les Français d’Algérie] de 1962. Et je n’en ai pas saisi l’ampleur ni la signification tout de suite, car il y avait alors, en France, une censure très forte sur ces questions : on n’était pas vraiment au courant de tout ce qui se passait. Aborder Camus sous l’angle de son rapport à l’Algérie constitue donc un projet engageant. Il me tient à cœur depuis longtemps, en effet. Au moment où l’on a voulu faire entrer Camus au Panthéon2, une idée du président Nicolas Sarkozy, j’ai écrit un texte dans la revue de la Société des Études Camusiennes pour dire qu’il était scandaleux de vouloir récupérer Camus et qu’il fallait le laisser dans son cimetière de Lourmarin, en Provence, à l’abri de toute récupération politique. J’ai repensé, alors, à ce que j’avais perçu de Camus quand je vivais là-bas, à sa marginalisation durant les dernières années de la guerre d’Algérie. Et peu après, en lisant Monument parisien où sont inhumés plusieurs grands personnages ayant marqué l’histoire de France. 2 page 50 / L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE ses carnets et Le Premier Homme3, j’ai compris sa douleur : l’Algérie le rendait malade. Quelle est cette énigme Camus à laquelle réfère votre pièce ? L’énigme Camus est celle-ci : pourquoi cet homme qui s’est toujours réclamé de la gauche — « malgré elle et malgré moi », disait-il — n’a-t-il pas souscrit à l’indépendance de l’Algérie, en rupture avec Sartre et Les Temps modernes4, comme avec ses amis Jean Daniel et Jules Roy, comme lui nés en Algérie, mais qui ont soutenu clairement la révolution algérienne ? Camus pensait dangereux de laisser au seul Front de libération nationale (FLN)5 la direction de l’Algérie, jugeant que c’était un parti totalitaire qui allait écraser toutes les différences, détruire l’Algérie plurielle qu’il avait connue avec des Kabyles, des Arabes, des Juifs, des Français, des Italiens, des Espagnols. Tout ce monde qui faisait l’Algérie d’avant 1962 a effectivement disparu avec le parti unique, la religion unique et même la langue unique imposés par le FLN. Les Kabyles ont dû se battre pour qu’on reconnaisse leur langue, qui n’est pas l’arabe6. Pourtant, Camus était très sensible à l’injustice faite aux Arabes ou aux Kabyles par le système colonial français… Tout à fait. Mais Camus a toujours été un réformiste, non un révolutionnaire. Il considérait qu’un régime pouvait être réformé, et qu’il ne fallait pas tout rompre. Il pensait qu’en Algérie, les choses pouvaient évoluer, que la France pouvait et devait Le Premier Homme, dont le manuscrit a été retrouvé dans la sacoche de Camus, après sa mort, raconte son enfance dans un quartier pauvre d’Alger. 4 Fondée par Jean-Paul Sartre, cette revue prend des positions anticolonialistes et appuie la lutte pour l’indépendance menée par le FLN. 5 Le Front de libération nationale mène la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. En 1962, les accords d’Évian conclus entre le FLN et la France, mettent fin à la guerre. 6 La Kabylie, région du nord de l’Algérie, est peuplée de Berbères (ou Kabyles) qui revendiquent toujours une reconnaissance de leur langue et de leur culture, certains mouvements autonomistes prônant même l’autodétermination régionale. 3 © United Press International ~ Albert Camus, 1957. faire des réformes. Camus a été victime de ce qu’on appelle le sens de l’histoire : dans la tête de la plupart des gens, le combat du FLN était le combat juste, le soutenir était juste et la position opposée était injuste. L’histoire a été simplifiée. À un moment de notre spectacle, on aborde une nouvelle de Camus qui s’intitule L’Hôte et qui parle d’un maître d’école — le double de Camus, quoi — qui doit livrer à la police un prisonnier arabe qu’on lui a demandé d’héberger pour la nuit. Le lendemain, l’instituteur conduit l’homme à un carrefour, le laissant libre de se rendre à la police ou de choisir la liberté. Le prisonnier prend le chemin de la prison. De retour dans sa classe, le maître découvre au tableau noir ces mots : « Tu as livré un des nôtres. Tu paieras ». On est en pleine ambigüité. Ce rêve de Camus d’un régime réformé, d’une Algérie réconciliée « qui rende justice en même temps aux deux communautés d’Algérie » (Chroniques algériennes) n’estce pas une utopie ? J’étais à Alger au moment du passage du général De Gaule, en 1958, quand des femmes musulmanes ont manifesté en enlevant et brulant leurs voiles. Ce sont des signes qu’une évolution était possible, que les choses auraient pu être autrement. D’ailleurs, le départ des pieds-noirs a été une catastrophe sur le plan de l’économie L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE / page 51 ~ Alger, 5 juillet 1962, fin de la guerre d’Algérie. et des infrastructures, laissant l’Algérie dans un état lamentable, ce que les dirigeants algériens ont rapidement constaté. En fait, ce qui a rendu les choses pratiquement irréalisables, c’est le déséquilibre démographique et religieux : neuf millions de musulmans et un peu plus d’un million de non-musulmans, juifs ou chrétiens… Or, pour les nationalistes algériens, la religion était ce qui distinguait absolument les Algériens des autres, une facette identitaire incontournable. Si les Européens voulaient rester en Algérie, ils devaient tôt ou tard devenir musulmans. page 52 / L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE Selon vous, la position de Camus s’explique-t-elle surtout par sa philosophie politique ou par son enracinement dans la terre de son enfance ? Les deux, je crois. Sur le plan éthique, c’est un homme qui se méfie des idéologies qu’il considère comme réductrices de l’être humain, qui est complexe et multiple. Et surtout, pour lui, il faut éviter toute forme de totalitarisme, lequel conduit toujours à un rétrécissement des libertés. Camus est un homme de liberté. Il voyait venir, avec le FLN, le danger du totalitarisme et il n’a pas eu tort. Au cours de la bataille d’Alger, en 1957, le FLN a terrorisé la population en jetant des bombes un peu partout au nom d’une cause qui se voulait juste. Pour Camus, une cause juste est disqualifiée par le terrorisme. Et Camus craignait que sa mère soit un jour victime d’une bombe. Sa mère fait partie de son attachement pour l’Algérie. Sa mère, qui est morte sept mois après lui, est restée là-bas, car elle considérait que c’est là qu’elle devait vivre. Dans Le Premier Homme, la mère est presque sanctifiée. Elle est l’antithèse vivante de l’idéologie, elle est entièrement dans le concret. Elle est une sorte de réincarnation de L’Étranger, complètement étrangère à toute cette violence autour d’elle, elle ne prend pas parti. Elle est un témoin. À un moment dans votre pièce, un personnage affirme : « Nous ne faisons que livrer les pièces du dossier ». Un peu comme dans un procès. Est-ce que cela décrit la forme de votre pièce ? On assiste à une répétition d’un spectacle sur Camus et l’Algérie presque abouti, mais pas encore terminé, avec la présence d’un metteur en scène qui fournit quelques informations, qui assiste les acteurs et les ramène au sujet quand ça s’égare. Les comédiens discutent entre eux de cette pièce, dialoguent parfois de manière assez forte et mettent des pièces au dossier, avec des extraits d’œuvres © Malik Mehni Monument aux martyrs de la guerre d’Algérie–Makam El Chahid, Alger, 1982. L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE / page 53 de Camus. L’idée, c’est de rendre le public témoin de ce drame qui isole de plus en plus Camus, de lui faire comprendre la position de l’intellectuel face à ce qui a tant fait souffrir l’homme. Dans le même passage, un autre personnage souligne le danger de créer une pièce « un peu trop didactique ». Avez-vous contourné ce piège ? J’espère qu’on l’évitera. Cela dit, ce type de théâtre fait le choix de fournir une matière à réflexion assez consistante. On n’est pas dans le divertissement tout le temps, il faut être attentif pour comprendre les enjeux. Mais dans une langue accessible, tout de même. On est dans un théâtre politique. Comme dans la tragédie grecque, où le citoyen devait être attentif aux discours antagonistes structurés et argumentés des personnages et prendre parti. Et j’ai l’impression que c’est dans l’air du temps, qu’il y a un appétit pour le débat. Le théâtre peut se permettre ce genre de polémiques. Et les questions posées par notre pièce rejoignent l’actualité : le terrorisme, les questions religieuses et les états théocratiques, les chrétiens d’Irak chassés de leur pays, le conflit israélo-palestinien, l’exode vers l’Italie des Africains chassés de chez eux par la misère ou les régimes autoritaires. Au Québec, on est dans une société assez calme, mais tout ça est à nos portes. Qu’aimeriez-vous que les jeunes qui verront la production retiennent de la pièce ? Qu’ils comprennent que le nationalisme peut être la pire des choses quand il devient exclusif, autoritaire, intolérant. C’est la principale leçon de Camus. Propos recueillis et mis en forme par Anne-Marie Cousineau Note : ce texte est conforme à la nouvelle orthographe. page 54 / L’ÉNIGME CAMUS : UNE PASSION ALGÉRIENNE L’ÉQUIPE ET LA COMPAGNIE NOËL 1933 Idée originale : Chantal Grenier Scénarisation : Dominique Grenier Mise en scène : Jean Turcotte Une production du Théâtre Exaltemps en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier Salle Fred-Barry Du 3 au 20 décembre 2014 Interprètes Olivier Berthiaume................................ Gédéon Jean-Sébastien Bonneau...................... Antoine Tommy Chouinard.................................. Léopold Chantal Grenier..........................................Rose Dominique Grenier........................... Marguerite David Leboeuf............................................ Aimé Marie-Andrée Lemieux.......................Euphémie Nathan LeLièvre........................................Émile Marise Provencher...................................Yvette Marie-Michèle Rivest......................... Madeleine Catherine Savoie....................................Pauline Concepteurs et collaborateurs artistiques Direction vocale ............................ David Leboeuf Musique et environnement sonore..................... ...................................Jean-Christophe Verbert Décors ................................ Dominique Grenier Costumes ........................... Dominique Grenier Éclairages . ............................. Maude Serrurier Chorégraphies......................... Nathan LeLièvre Accessoires....................................................... ................. Véronique Pilon, Dominique Grenier Régie............................................. Maude Serrurier Conception graphique.......... Catherine Gauthier LA COMPAGNIE Le Théâtre Exaltemps Fondé en 2009, le Théâtre Exaltemps s’est donné pour mandat de mettre de l’avant des parcelles d’histoire, des événements, de grands personnages voire même de tracer des portraits d’époque à travers l’art théâtral. Au fil de leurs créations et de leurs projets, les membres de la troupe – qui sont majoritairement issus de la formation en théâtre musical du Collège Lionel-Groulx – se sont tournés vers la musique et la chanson qui portent l’émotion, intime ou grandiose, et qui plongent le spectateur dans une époque donnée avant même que le texte ne prenne son envol dramatique. Des œuvres de répertoire aux créations originales, la compagnie visite des moments historiques qui ramènent les spectateurs à leurs propres racines ou les font voyager vers des lieux inconnus et fascinants. Passionnés d’histoire, les artistes ont l’ambition de lancer des pistes de réflexion et de soulever un intérêt, à travers le théâtre, pour notre histoire et celle de notre monde. Fondée en mai 2009, la compagnie a déjà cinq spectacles à son actif : Noël 1933, le Cabaret Swing, le Cabaret fourre-tout, Peau d’âne, la princesse sans nom et Un Noël Exaltemps. Noël 1933 a été présenté une première fois à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier en décembre 2012. http://www.theatreexaltemps.ca/ NOËL 1933 / page 55 Le spectacle Montréal, le quartier Saint-Henri, 24 décembre 1933. La crise économique frappe durement. Une poignée de Canadiens français se préparent à réveillonner et c’est dans une ambiance festive que Marguerite et Gédéon reçoivent la famille à souper. Ailleurs, quatre orphelins se font jeter à la rue, mais le charme des festivités opère et les rencontres heureuses chassent les infortunes. La solidarité des uns sauve les autres et un nouveau nationalisme naît dans le cœur de ces Québécois tournés vers l’avenir. La crise des années 1930 oblige ainsi à aborder les thèmes sombres de la pauvreté, de la méfiance et du racisme. Or, Noël 1933 demeure avant tout un portrait lumineux de la famille. L’intégration simultanée de l’histoire et des harmonies vocales au théâtre confère à la pièce un caractère unique. Information tirée du dossier de presse de la compagnie Théâtre Exaltemps http://www.theatreexaltemps.ca/wp-content/ uploads/2012/03/NOEL1933_dp2012_br.pdf © Maxime Tremblay Originaire de Québec, Chantal Grenier est l’un des membres fondateurs du Théâtre Exaltemps. La pièce Noël 1933 a émergé de ses idées et passions. En 2009, elle a tenu le rôle de Marie dans le court métrage La Mort de Marie de Jacob Larochelle. Le court métrage ROXXX du réalisateur Guillaume Monette, pour lequel elle a prêté sa voix, a gagné le prix du jury du concours américain Real Rock Tour 2010. Elle exerce aussi ses talents de chanteuse au sein du Cabaret fourre-tout depuis mai 2011 et de la production Un Noël Exaltemps en 2011. En 2012, elle signe Peau d’âne, la princesse sans nom, un théâtre musical inspiré du conte de Charles Perrault au sein duquel elle interprète le rôle de la Fée marraine. Chantal effectue avec bonheur scénarisation et mise en scène auprès de différents organismes dont le Mouvement national des Québécoises et Québecois, la Maison nationale des Patriotes et le Réseau ArtHist. Depuis avril 2013, elle joint sa voix à Annick Lessard et Andrée Gibeau au sein du groupe jazz-swing Les Charlottes. Elle tient le rôle de Rose dans la pièce Noël 1933 depuis sa création en 2009. page 56 / NOËL 1933 Jean Turcotte termine sa formation en art dramatique à l’UQÀM en 1985. Depuis on a pu le voir jouer dans près d’une quarantaine de productions théâtrales et ce, sur presque toutes les scènes de théâtre montréalaises, mais aussi en tournées québécoises, canadiennes et européennes. Il a joué autant des textes de répertoire, que des créations contemporaines et des adaptations littéraires pour la scène. Associé depuis ses débuts au travail de recherche et de création du Groupe de la Veillée, il joue aussi avec plusieurs autres compagnies de théâtre montréalaises. Depuis l’automne 2001, il enseigne aussi le jeu à l’Option Théâtre du Collège Lionel-Groulx. © Michel Auclair ENTRETIEN AVEC CHANTAL GRENIER, CONCEPTRICE ET JEAN TURCOTTE, METTEUR EN SCÈNE © Richard Hachem Racontez-moi un peu la genèse de ce spectacle… Chantal Grenier – Notre compagnie a été fondée en mai 2009 en ayant le mandat de combiner théâtre et histoire, deux grandes passions de ma vie ! Notre premier projet était de monter Berlin, ton danseur est la mort d’Enzo Cormann, une pièce se déroulant en Allemagne en 1932 et 1946. Nous avons donc réussi à obtenir le Studio-théâtre de la Place des Arts comme lieu de présentation. Mais une succession d’événements a fait en sorte que ce projet n’était pas encore prêt en août 2009. Nous avons alors pris la décision de nous rabattre sur quelque chose d’un peu moins complexe, mais toujours en gardant un aspect historique à la création. Quelques années auparavant, nous avions déjà monté un spectacle très léger autour du thème de Noël, et plusieurs arrangements de chansons du temps des Fêtes étaient déjà réalisés. De plus, les dates de présentation (soit en décembre) tombaient à pic… Donc, nous sommes partis de cette première mouture et très rapidement, nous avons écrit le spectacle, trouvé la distribution et finalisé les arrangements musicaux. Cette idée de créer une pièce se situant au Québec en 1933 revenait constamment dans nos réunions et échanges. Le parallèle à faire entre une période de crise économique, une période assez sombre de notre histoire, et la période traditionnellement festive de Noël produisait une sorte d’opposition intéressante à exploiter. Ainsi est née la première version du spectacle : Noël 1933, portrait d’une époque en parlures et en chansons. Bien sûr, cette première version n’était pas tout à fait parfaite : certaines scènes étaient peut-être un peu décousues, l’intégration des chansons de Noël semblait parfois un peu maladroite, certains personnages restaient à définir… NOËL 1933 / page 57 Et vous avez procédé en 2010 à l’écriture d’une nouvelle version ? CG – En effet. Lors de la réécriture du spectacle, nous nous sommes fixé trois objectifs. Premièrement, le fil dramatique de la pièce devait être plus précis. Deuxièmement, les onze personnages devaient être clarifiés et plus approfondis. Et finalement, les quatorze chansons choisies devaient bien entendu soutenir ce même fil dramatique et aider à individualiser les personnages… Tout ça en moins d’une heure et demi de spectacle ! N’était-ce pas périlleux de demander aux comédiens de chanter a cappella toutes les chansons du spectacle ? CG – Chanter a cappella, c’est un créneau que nous aimons beaucoup. Nous adorons le style barbershop, les arrangements vocaux, les chorales… En tant qu’interprète, nous considérons comme assez unique l’expérience du chant a cappella en chœur de Noël 1933. Il est rare qu’on nous demande ce type de performance dans un spectacle théâtral. Personnellement, rien ne me fait plus frissonner que de chanter ma partie et d’entendre soudainement l’effet d’ensemble de toutes les autres voix combinées…Je ne deviens ainsi qu’un instrument dans toute cette formation musicale complexe. C’est merveilleux ! © Richard Hachem En faisant le choix d’une distribution d’une dizaine de personnes, ça va un peu dans ce sens-là, dans cet esprit choral du spectacle. Avec une distribution plus restreinte, il est évident que le spectacle deviendrait plus abordable, plus facile à vendre, plus facile à faire tourner, mais les harmonies ne seraient pas aussi riches. page 58 / NOËL 1933 Jean Turcotte – De plus, dans toutes ces harmonisations vocales, il y a comme une sorte de « monde idéal », celui de toutes ces différences vocales qui réussissent, le temps d’une chanson, à CG – Oui. Dès le début, nous voulions concevoir une scénographie assez sobre, mais avec l’arrivée de Jean à la mise en scène en 2010, nous avons davantage assumé ce choix. CG – Le chant a cappella nous permet aussi une plus grande solidarité entre comédiens sur scène. Nous sommes toujours en groupe, vocalement prêts à nous supporter les uns les autres. JT – En effet, tout est très dépouillé pour être en résonance avec ce qui se passe dans le spectacle. Mais je dois avouer que cela est aussi en lien avec mes premières amours du théâtre. Parfois, les scénographies trop réalistes me lèvent le cœur… et m’enlèvent bien du plaisir en tant que spectateur. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas aussi le spectaculaire, mais n’oublions pas que le pouvoir du théâtre, c’est le pouvoir de l’évocation. La scénographie du spectacle est très dépouillée. Est-ce voulu pour rejoindre les thèmes de la pauvreté et de la privation présents dans la pièce ? © Richard Hachem se rencontrer, à s’assortir et à s’enrichir dans cette communauté sonore. À travers les interprétations a cappella, il se produit là un effet fabuleux et très prenant. NOËL 1933 / page 59 © Richard Hachem En allant bien souvent dans le « rien », il y a quelque chose de spectaculaire qui peut se produire. La théâtralité est alors affirmée, laissant toute la place aux acteurs. CG – À la blague, nous avons presque pensé intituler ce spectacle « Huit caisses et onze comédiens » ! Plus sérieusement, nous nous sommes dit que le texte et les costumes étaient suffisamment réalistes… nul besoin alors d’en ajouter avec des effets scénographiques pouvant nous éloigner du propos dramatique. Chantal, en 2010, vous proposez à Jean Turcotte de se joindre au projet en tant que metteur en scène. Pourquoi aller chercher quelqu’un de l’extérieur pour un spectacle qui avait déjà été créé un an auparavant ? page 60 / NOËL 1933 CG – Parmi les idéateurs initiaux du projet, Dominique Grenier, ma sœur jumelle, conseillée par Anne-Marie Olivier, a procédé à la réécriture du texte. David Leboeuf a quant à lui pris en charge la partie musicale et moi, la mise en scène. Tout à coup, je me rendais compte que jouer dans un spectacle, chanter dans un spectacle et le produire tout en en faisant la mise en scène… tout cela commençait à peser beaucoup sur mes épaules. Je crois aussi qu’à ce moment charnière de l’évolution du projet, il nous fallait une personne de l’extérieur qui pourrait nous guider, et qui aurait aussi cette facilité à diriger des acteurs. J’avais vu Jean Turcotte jouer dans le spectacle L’Amour incurable à l’Espace Libre et je suis tombée amoureuse de lui ! Sans le connaître, en le voyant sur scène, je me suis dit que c’était exactement le style de jeu que je voulais pour Noël 1933. Y allant avec mon instinct, j’ai pris alors le pari qu’il pouvait nous amener à ce style de jeu. très bien passé. La réception a été superbe. Cela nous a confirmé que nous avions un spectacle gravitant bien sûr autour du thème de Noël, mais, comme l’a dit Jean, sans être « sur » Noël. JT – Quand Chantal m’a appelé pour me confier la mise en scène, je n’en revenais tout simplement pas. Qu’elle ait pensé à moi de cette façon particulière m’a vraiment touché… Je me disais que cette fille-là avait des intuitions qu’elle n’hésitait pas à suivre. Cette façon de travailler me plaisait et m’interpellait beaucoup. Faire une mise en scène quand vous n’êtes pas de l’équipe originale de création, est-ce difficile ? J’ai de surcroît une fascination personnelle pour l’Histoire, ayant étudié pendant deux années dans un programme d’histoire à l’Université de Montréal. Le fait que cette pièce se déroule dans un milieu ouvrier en pleine crise économique et que le spectacle comporte tout ce côté folklorique avec des chansons a fini par me convaincre. Voilà en somme pourquoi j’ai accepté cette audacieuse proposition. JT – Pour avoir eu le pur bonheur de travailler avec la metteure en scène Brigitte Haentjens, je me disais bien souvent qu’elle a cette force d’avoir l’air de ne rien diriger. Mais elle fait des choix de départ les plus justes qui soient. Je me disais que si un jour je faisais moi aussi de la mise en scène, je me rappellerais cette leçon de Brigitte. Quand Chantal m’a approché, c’était tout le contraire, tous les choix importants étaient déjà faits… j’ai alors pensé aux alpinistes qui disent « écouter la roche » pour trouver le passage, le chemin de leur ascension. J’avais alors envie, et je m'en sentais capable, de m’amuser avec ça en Et le côté magique de Noël vous a peut-être aussi séduit… JT – Étrangement, non ! Contrairement à Chantal, je ne suis pas vraiment un fervent de Noël. Quand j’étais jeune, j’avais des éruptions de boutons quatre mois avant que le temps des Fêtes commence… Je détestais malheureusement Noël à m’en confesser. Bon, ne vous inquiétez pas, j’ai réussi à me réconcilier avec cette fête au cours des années. © Richard Hachem Mais il faut noter qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un spectacle uniquement « sur » Noël, mais plutôt sur l’époque, sur la crise économique. En fait, Noël est un prétexte dans cette pièce. CG – L’an dernier, nous avons présenté la pièce le 15 janvier à Terrebonne et nous nous demandions alors comment elle serait reçue. Le public était-il déjà las d’entendre parler de Noël ? Et tout s’est NOËL 1933 / page 61 plus d’avoir une grande confiance en Chantal et en toute la distribution. Est-ce que cette version du spectacle que vous allez présenter à la Salle Fred-Barry en 2012 est différente de celle que vous avez présentée auparavant ? CG – C’est sensiblement la même que celle que nous avons présentée depuis 2010. Il y a eu plusieurs arrangements musicaux faits par David Leboeuf. En fait, douze chansons sur quatorze sont arrangées originalement par David. Seules les chansons « Le Cantique des cloches » et « Les Douze Jours de Noël » n’ont pas été réarrangées. page 62 / NOËL 1933 Ce qui est agréable à Fred-Barry, c’est que nous adorons ce genre de salle, car c’est très intime. Il y a une grande proximité avec le public. Nous serons aussi contents d’initier ou de rafraîchir la mémoire par rapport à l’histoire du Québec sans prétention pédagogique. Nous voulons ainsi allumer l’intérêt du public sur cette partie de notre histoire. Vous souvenez-vous de Camilien Houde ? Et qui était Louis-Alexandre Taschereau ? Y avait-il de l’antisémitisme à cette époque au Québec ? Voilà le genre de questionnements que le spectateur pourra se poser au cours de la représentation… Propos recueillis et mis en forme par Étienne Liblanc. L’ÉQUIPE DU THÉÂTRE DENISE-PELLETIER Directeur général Directeur artistique Directrice administrative Directeur de production Responsable des infrastructures et directeur technique Directrice des communications Adjointe aux communications Attachée de presse Conseiller au directeur artistique Responsable des services scolaires Adjointe aux services scolaires Gérant Préposées au guichet Chef machiniste Chef éclairagiste Chef sonorisateur Chef habilleuse Chef cintrier Coordonnateur technique (Salle Fred-Barry) Techniciens Accueil Responsable de l’entretien Patrice Jolin Préposé à l’entretien Éric Belleau Équipe des bénévoles Lucette Bernèche Gratia Dumas Aline Gauthier Andrée Hassel Guy Caron Carmen Lebrun Julie Houle Janine Limoges Anaïs Bonotaux-Bouchard Nicole Poulin Isabelle Bleau Jean-Simon Traversy CONSEIL D’ADMINISTRATION Claudia Dupont Stéphanie Delaunay Président * Monsieur Pierre-Yves Desbiens CPA, CA, CF, MBA Marc-André Perrone Vice-président Finance et administration Isabelle Durivage Institut NEOMED Geneviève Bédard Trésorière * Madame Lisa Swiderski, CA, MBA Jacynthe Legault Vice-présidente Pierre Léveillé Opérations Investissements Michel Chartrand Banque Nationale du Canada Claude Cyr Secrétaire Benoit Lestage, LLB, D. Fisc. Directeur principal Louise Desfossés Service de fiscalité internationale Pierre Lachapelle Mazars Administrateurs Thomas Asselin Ghislain Dufour Président & Directeur de création Sophie Boivin 73DPI Raphaël Bussières Nathalie Barthe Anthony Cantara Directrice, Architecture d'information Brigitte Deshusses JDA Software, Innovation labs Mathieu Dumont Sylvain Boucher, Martin Dussault Associé, services de certification Michel Dussault Ernst & Young s.r.l. / s.e.n.c.r.l. Martine Gagnon Alexandre Gohier Luc Bourgeois Michel Harvey Comédien Louis Héon *Rémi Brousseau Martin Jannard Directeur général Robin Kittel-Ouimet Théâtre Denise-Pelletier Marjorie Lefebvre Jean Leclerc Pier-Emanuel Legault Comédien et metteur en scène Louis Léveillé Michel Maher *Claude Poissant Serge Pelletier Directeur artistique Carlos Diogo Pinto Théâtre Denise-Pelletier Étienne Prud’homme Martha Rodriguez Geneviève Bédard Président honoraire Gilles Pelletier Ghislain Blouin Membre honoraire Françoise Graton Virginie Brosseau-Jamieson * Membres du comité exécutif Émilie Carrier-Boileau William Couture Simon Faghel-Soubeyrand Jaz Gauthier Kemp Sébastien Hébert Anne-Marie Jean Jacynthe Legault Collette Lemay Annie-Claude Letarte Félix Martin-Morin Félix-Antoine St-Jacques Rémi Brousseau Claude Poissant Manon Huot Réjean Paquin page 63 NOS PROCHAINS SPECTACLES Mademoiselle © Guy Bernot Molière Texte et mise en scène Hubert Fielden Du 14 3 au au20 30décembre janvier 2015 2014 Victor Hugo mon amour Du 11 au 28 février 2015 De Simon Boulerice Adaptation et Mise en scène Jean-Guy Legault © Olivier Barrette D’Anthéa Sogno Mise en scène Léo Munger Chat room D’Enda Walsh Mise en scène Sylvain Bélanger Traduction Étienne Lepage Du 4 au 21 mars 2015 Zur bains 2015 Les Javotte Du 25 mars au 11 avril 2015 Mise en scène Monique Gosselin Du 5 au 15 mai 2015 Billetterie 514 253-8974 Réservations scolaires 514 253-9095 poste 224 P ri x d u p u b l ic é t u d i a n t 2 0 1 3 - 2 0 1 4 © Robert Etcheverry Luce Pelletier pour commedia de Pierre Yves Lemieux. Une production du Théâtre de l’Opsis en partenariat avec le Théâtre Denise-Pelletier. Conception du décor Jean Bard pour MARIE TUDOR de Victor Hugo. Une production du Théâtre Denise-Pelletier. Conception des costumes Julie Le Breton pour Marie Tudor dans MARIE TUDOR de Victor Hugo. Une production du Théâtre Denise-Pelletier. Daniel Paquette pour LE CID de Corneille. Une production du Théâtre Denise-Pelletier. © Luc Lavergne Interprétation féminine Conception des éclairages Luc Bourgeois pour Goldoni dans commedia de Pierre Yves Lemieux. Une production du Théâtre de l’Opsis en partenariat avec le Théâtre Denise-Pelletier. Jocelyn Proulx pour commedia de Pierre Yves Lemieux. Une production du Théâtre de l’Opsis en partenariat avec le Théâtre Denise-Pelletier. © Marie-Claude Hamel Interprétation masculine Environnement sonore et musical Julie Gagné pour l’Infante dans LE CID de Corneille. Une production du Théâtre Denise-Pelletier. Philippe Brault pour MARIE TUDOR de Victor Hugo. Une production du Théâtre Denise-Pelletier. © Robert Etcheverry Rôle de soutien féminin Rôle de soutien masculin Prix du public étudiant 2013-2014 Dave Jenniss pour Moineau dans zone de Marcel Dubé. Une production du Théâtre français de Toronto et du Théâtre La Catapulte, présentée par le Théâtre Denise-Pelletier. Coup de cœur de l’année © Robert Etcheverry © Sylvain Sabatié © Luc Lavergne © Marie-Claude Hamel © Robert Etcheverry © Marie-Claude Hamel Spectacle de l’année MARIE TUDOR de Victor Hugo. Mise en scène de Claude Poissant. Une production du Théâtre Denise-Pelletier.