Une entrevue avec le metteur en scène Frédéric Bélanger

D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / pAGE 17
D’HONNEUR,
DE JEUNESSE
ET DE FRATERNITÉ
Comment fait-on pour passer
d’un roman de 750 pages à une
pièce de théâtre d’une durée de
deux heures ?
J’avais déjà fait ce genre de travail
avec Le Bossu de Paul Féval pour Les
Aventures de Lagardère en 2011 ; il faut
nécessairement faire des choix. Dans un
roman comme Les Trois Mousquetaires
d’Alexandre Dumas, qui a été publié sous
forme de feuilletons dans les journaux de
l’époque, il y a beaucoup de descriptions,
de détails historiques qui sont lourds et
inutiles au théâtre. On doit avant tout se
concentrer sur l’action, en conservant
l’essentiel de l’intrigue, et en faisant tout
pour ne pas dénaturer les personnages.
Dans ce roman en particulier, il existe
deux intrigues principales : celle qui
tourne autour de d’Artagnan et des bijoux
de la reine de France, et celle qui relate
le siège de La Rochelle par les troupes
du cardinal de Richelieu, que nous avons
éliminée. Cette intrigue aborde la guerre
et les questions politiques, alors que
pour un spectacle qui s’adresse aux jeunes, nous
préférions nous concentrer sur la jeunesse de
d’Artagnan.
Est-ce que vous vous êtes servi de
l’adaptation que Dumas avait faite
de son propre roman?
Oui, et j’ai lu plusieurs autres adaptations théâtrales,
visionné plusieurs films. Dans la sienne, Dumas
combinait les deux intrigues. Ce romancier est un
grand dialoguiste, et certaines parties du roman
sont identiques dans son adaptation théâtrale. Je
pense entre autre à la superbe scène entre le Duc
de Buckingham et Anne d’Autriche. Nous l’avons un
peu resserrée tout au plus. À la différence d’autres
mises en scène présentées au Théâtre Denise-
Pelletier, qui abordaient l’œuvre de façon moderne,
nous avons voulu revenir à une représentation plus
« historique ». Avec ma compagnie, le Théâtre
Advienne que pourra, nous avions déjà monté une
adaptation des Trois Mousquetaires à la Salle Fred-
Barry, en employant des masques. Maintenant que
le spectacle est présenté sur la grande scène,
nous avons choisi une toute nouvelle approche,
en éliminant les masques et en mettant plus
ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC BÉLANGER,
METTEUR EN SCÈNE
~
Frédéric Bélanger
©JULIE PERREAULT
pAGE 18 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES
d’emphase sur les combats d’épée. Nous avons
aussi choisi de laisser tomber le côté bon enfant de
la première adaptation pour intégrer des aspects
plus dramatiques du roman. De cette manière,
le passage de l’adolescence à la vie adulte de
d’Artagnan nous paraît plus crédible : c’est l’histoire
d’un jeune homme plein d’espoir et de rêve qui
arrive à Paris, et qui accède à une vie meilleure,
mais qui doit en payer le prix. À travers son œuvre,
on sent qu’Alexandre Dumas est un amoureux
troublé, et il transpose cette vision cruelle de
l’amour dans l’ensemble de ses romans et de ses
pièces : tous les couples de cette pièce connaissent
un sort malheureux. Pour contrebalancer, nous
avons centré l’action sur l’amitié, la fraternité qui
règnent entre d’Artagnan et les trois mousquetaires.
ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC BÉLANGER,
METTEUR EN SCÈNE
}
D'Artagnan
D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / pAGE 19
Vous qualifiez votre texte d’adaptation
libre du roman de Dumas. Est-ce que vous
vous êtes permis beaucoup de liberté
dans l’écriture?
J’essaie vraiment d’être le plus fidèle possible au
texte de Dumas ; parfois, je fais dire un passage
par un autre personnage, mais pour le reste, les
répliques sont à peu près pareilles du roman à
la scène.
Ce doit être dicile, avec peu de moyens,
de représenter autant de lieux sur une
scène, alors que le roman nous fait
voyager dans diérentes régions de la
France, à l’époque de Louis XIII?
J’ai eu l’avantage d’écrire le texte et de le mettre en
scène, ce qui m’a permis de surmonter beaucoup
de difficultés au fur et à mesure : j’ai misé sur les
ambiances en passant d’un lieu à l’autre grâce à un
simple changement de musique ou d’éclairage. Au
départ, le scénographe Francis Farley-Lemieux et
moi, nous voulions faire un spectacle d’époque
les spectateurs pourraient sentir le bois, la paille, le
cuir. Du côté des costumes, leur apparence évoque
le passé, mais les coupes sont plus cintrées, les
tissus plus modernes. Nous cherchions à créer
un objet théâtral tout est mis au service du
jeu des acteurs. Prenons la fameuse cape des
mousquetaires, le chapeau et le fleuret. Jouer avec
ces objets apporte des contraintes très riches
pour l’interprétation.
Peut-on être original avec une œuvre aussi
connue ?
C’est difficile de complètement renouveler l’image
qu’on se fait des Trois Mousquetaires. Tout comme
pour l’époque de Louis XIV, où on se représente
facilement Versailles, Molière, le menuet, celle
de Louis XIII nous renvoie aux silhouettes des
mousquetaires. Nous n’avons pas besoin de nous
éloigner de cette image, que les jeunes connaissent
bien, nous devons simplement l’actualiser. De
notre point de vue, beaucoup trop d’adaptations
du roman de Dumas embellissent les événements,
en ne montrant pas la mort de l’amoureuse de
d’Artagnan, Constance Bonacieux, par exemple.
Nous cherchions à être plus fidèles à l’œuvre. Le
roman de Dumas est construit tout en oppositions
et en contradictions, il nous semblait important
d’en tenir compte.
~
Porthos
pAGE 20 / D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES
Comment peut-on qualifier cette œuvre:
un drame, une comédie, une comédie
dramatique?
Un peu de tout ça. Dans le roman, Dumas passe
d’un registre à l’autre de manière assez radicale.
Plus on avance dans le roman, plus l’intrigue est
sombre, et c’est ce que nous voulions reproduire.
En plus des romans, on sait que Dumas a écrit
plusieurs drames romantiques qui, comme chez
Shakespeare, recourent au mélange des genres.
ENTRETIEN AVEC FRÉDÉRIC BÉLANGER,
METTEUR EN SCÈNE
Souvent, on prend les combats d’épée
à la légère, alors que les mousquetaires
se battaient jusqu’à la mort, afin de
sauvegarder leur honneur.
Le cardinal de Richelieu, un des personnages
de la pièce, a fait interdire les duels parce qu’à
l’époque, de nombreux jeunes nobles s’entretuaient.
D’Artagnan vient d’une famille qui considère les
combats comme une marque de bravoure. Quand il
arrive à Paris et qu’il se rend compte que les duels
sont bannis, il est surpris. Il doit se cacher pour
se battre. Dans la suite des Trois Mousquetaires de
Dumas, le seul des quatre qui survit, c’est Aramis.
~
Le comte de Rochefort
La reine Anne d’Autriche
D’ARTAGNAN ET LES TROIS MOUSQUETAIRES / pAGE 21
Dumas nous montre que les mœurs changent;
celui qui survit, ce n’est pas le plus fort, mais
bien le plus futé. Le roman dépeint un monde
cruel, il est d’ailleurs construit sur une suite de
vengeances. Une phrase de l’œuvre dit : « La justice
des hommes ne pardonne pas, elle condamne ».
Milady de Winter, le personnage féminin principal,
est devenue un monstre à la suite de nombreux
événements. Elle n’a pas eu le choix de devenir
malicieuse pour survivre.
Dumas va dépeindre la femme à travers
Milady de Winter comme une incarnation
du mal.
Oui, en même temps, nous voulions faire un
portrait de Milady qui soit plus nuancé. Elle est
garce, manipulatrice, orgueilleuse, elle fait un peu
penser à la Marquise de Merteuil dans Les Liaisons
dangereuses de Laclos. Cela correspond à la vision
qu’on avait des femmes à l’époque de Louis XIII
autant qu’à celle de Dumas.
Parmi les autres figures féminines de la
pièce, l’amoureuse de d’Artagnan est
sûrement la plus attachante.
Constance Bonacieux est la jeune première typique,
un peu naïve. Nous avons choisi de lui enlever
son mari pour qu’elle soit plus indépendante. À
l’époque, une belle femme comme elle était la
maîtresse de plusieurs hommes. Nous préférions
voir en d’Artagnan non pas un homme qui couche
avec plusieurs femmes comme Dumas l’a écrit,
mais comme un amoureux fidèle et sincère qui
n’aime qu’une seule femme, qui lui rend cet amour
réciproquement.
Et il y a aussi Anne d’Autriche, la reine de
France.
Anne d’Autriche est mariée à un homme, le roi Louis
XIII, qui n’est pas très intéressé par les femmes.
Les deux avaient été mariés très jeunes, et ça
leur a pris beaucoup de temps avant de donner
un héritier à la France. Louis XIII aimait beaucoup
l’armée, les combats, la chasse, il négligeait la reine.
Et pourtant, dans le roman de Dumas, l’intrigue
autour des ferrets qu’elle donne secrètement
au duc de Buckingham est centrale. Dans notre
adaptation, Anne d’Autriche devient une victime
des complots ourdis par le roi et le cardinal, ce
qui rend les scènes ils se rencontrent plus
tendues dramatiquement. Même le personnage
~
Le duc de Buckingham
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