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Assemblée plénière de la Commission des évêques
d’Europe chargés des médias (CEEM)
Vatican
Novembre 2009
« La culture de l’Internet et la communication de l’Église. » En entendant ce
thème, les trois évènements qui ont bousculé la vie de notre Eglise au cours de
l’hiver dernier me sont revenus à l’esprit. Je veux parler de « l’affaire », c’est
ainsi que les médias ont désignées ces évènements, l’affaire Williamson, de
celles de l’excommunication de Recife et des propos sur le préservatif dans
l’avion menant le pape au Cameroun. Trois affaires qui ont secoué la planète
internet. Elles ont été jugées emblématiques de la manière dont l’Eglise
institutionnelle communique et dont les internautes chrétiens ou non
réagissent. Elles ont révélé les forces et les faiblesses de la communication de
l’Eglise dans le contexte d’une culture internet triomphante.
Suite à l’affaire Williamson le Saint Père a reconnu lui-même que la curie
n’avait pas mesuré l’enjeu d’internet. Ou, pour le citer plus exactement : « Il
m’a été dit que suivre avec attention les informations auxquelles on peut
accéder par internet aurait permis d’avoir rapidement connaissance du
problème. J’en tire la leçon qu’à l’avenir au Saint-Siège nous devrons prêter
davantage attention à cette source d’information. »
Face à la critique portant sur le fait que le pape n’avait pas été mis au courant
des propos négationnistes de Mgr Williamson disponibles sur le net, le pape ne
s’est attaché dans sa lettre aux évêques qu’à internet comme source
d’information, comme bibliothèque virtuelle.
Il est bien d’autres aspects qui motivent le choix du thème de réflexion de notre
assemblée. Ce sont ces aspects que nous allons aborder au cours de ces journées,
aspects parmi lesquels on peut citer l’émergence de la Web generation, les
bouleversements dans l’organisation du temps et de l’espace, dans la manière de
s’informer et de communiquer, les conséquences ecclésiologiques, les effets sur
le gouvernement même de l’Eglise, la place de la religion sur le marché internet,
les manières d’y proclamer l’Evangile et d’y être Eglise.
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Ne nous leurrons pas. Ne faisons pas l’autruche. Internet se transforme,
transforme notre société et ne peut pas ne pas transformer l’Eglise, ne peut pas
ne pas transformer notre manière d’être et d’agir en Eglise, au risque de ne plus
être témoins du Christ dans le monde d’aujourd’hui !
Avec internet, nous assistons à une révolution copernicienne qui a déjà ses effets
sur notre manière d’être dans notre relation au monde, de nous situer dans le
monde, d’interagir avec le monde. La prise de conscience par l’Eglise
institutionnelle de l’importance d’internet est là. Nul doute. La preuve en est
encore aujourd’hui. Mais savoir surfer sur la vague internet est une toute autre
histoire.
Internet est un révélateur, un marqueur. Soit vous savez communiquer, soit vous
ne le savez pas, soit vous êtes crédible soit vous ne l’êtes pas, soit vous répondez
aux attentes soit vous êtes dans votre bulle, soit vous êtes prophète soit vous êtes
le dernier des Mohicans, soit vous êtes vivant soit vous êtes fossile, soit vous
connaissez la langue internet soit vous ne la connaissez pas et vous ne pouvez
pas communiquer. Je compare souvent le mode de présence de l’Eglise dans le
monde des médias et sur internet à ce qui est demandé à un missionnaire devant
partir vers des terres inconnues. Que demande-t-on à un missionnaire avant son
départ ? De connaître la culture du pays dans lequel il se rend et d’en apprendre
la langue. Ne devrions-nous pas avoir la même attitude pour ce qui est de la
présence dans les médias ?
De nouveaux langages se constituent sur internet, utilisés par les jeunes.
Abréviations, photos et émoticons, fichiers audios et vidéos sont prépondérants.
La culture digitale se dote de sa propre grammaire, d’une langue en constante et
rapide évolution. (LOL, MDR) Notre génération a trop tendance à considérer
comme superficiel tout ce qui est bref, instantané, porté sur l’émotion. Serait-ce
que nous serions plutôt tournés vers l’écrit, les longs développements, la qualité
de l’argumentation par les épais dossiers que nous devons traiter, les livres de
théologie et les thèses que nous avons lus ou que nous lisons encore ? Mais à y
regarder de plus près, l’Eglise dans son histoire n’a pas considérés comme seuls
vecteurs de vérité les longs traités de théologie. Elle a su exprimer sa foi de
manière concise et percutante. Qu’il suffise de citer la proclamation du kérygme
dans les Actes des Apôtres. Elle a su utiliser des formes de communication non-
verbale. Qu’il suffise de penser aux icônes, aux fresques et mosaïques de nos
églises, aux vitraux et aux sculptures sur les tympans de nos cathédrales. Elle a
su provoquer les émotions. Qu’il suffise d’écouter ses chants et ses musiques.
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Nous proclamons « une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père », mais
il existe bien mille et une manières d’exprimer cette foi. Et l’aggiornamento
demandé par le Pape Jean XXIII nous pousse à réactualiser sans cesse la
manière dont nous proposons la foi aux nouvelles générations.
Nous sommes dans un monde pluraliste, nombreux sont ceux qui, grâce à
internet, peuvent avoir accès à tout et donner leur avis sur tout. L’Eglise ne peut
pas ne pas en tenir compte. Avec la sécularisation, la mondialisation, la montée
d’internet, notre vision du monde, de la vie, de la mort, et considérée par
certains comme un produit parmi d’autres sur le marché des religions. L’Eglise
ne peut pas communiquer comme si d’autres conceptions et interprétations du
monde n’existaient pas. Elle a une Parole, un message d’amour à proclamer,
mais elle se doit aussi écouter et Internet est une formidable chambre d’écho de
la vie du monde.
Un ami a fait l’étude des sites chrétiens en français les plus consultés. Il en
ressort que les sites catholiques en France viennent loin après les sites
évangélistes alors même que les évangélistes sont une minorité par rapport aux
catholiques dans notre pays. Comment cela se fait-il ? Pour lui les raisons en
sont les suivantes :
La première c’est que « Les évangélistes écoutent et les catholiques parlent. »
Par il veut dire que les évangélistes sortent d’eux-mêmes pour se mettre
d’abord à la place des autres. Ils répondent aux besoins. « Que veux-tu ? »
demande Jésus au paralytique, à l’aveugle-né. Autrement dit, « De quoi as-tu
besoin ? Quel est ton désir le plus profond ? Je peux y répondre. » La
communication commence toujours par l’écoute. D’où sa question : l’Eglise
catholique parlerait-elle à partir d’elle-même sans prendre suffisamment en
considération ce que vivent les gens ?
La seconde raison du succès des sites évangélistes par rapport aux sites
catholiques, c’est que « les sites catholiques sont centrés sur eux-mêmes » et
« considérés comme outils et non comme un monde à évangéliser. »
Par là, il veut dire que nos sites sont des extensions ou des duplicata de nos
feuilles paroissiales, de nos bulletins diocésains. Ils sont à usage interne. Ils
parlent la langue des initiés à l’usage exclusif des initiés. Les sites évangélistes,
au contraire, veulent atteindre les internautes, utilisant internet comme outil et
vecteur d’évangélisation.
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D’accord ou pas avec cette analyse, il n’en demeure pas moins que nous
pouvons prendre pour notre compte la nécessité d’écouter le monde pour mieux
l’aimer et lui parler.
Si les sites institutionnels avec leur lourdeur sont nécessaires, les électrons libres
peuvent l’être aussi. Quelqu’un comme Napoléon est certainement diversement
apprécié dans une assemblée comme la nôtre, mais permettez-moi cependant de
parler de lui pour une comparaison. Napoléon savait user dans une bataille aussi
bien de la cavalerie lourde comme les Dragons enfonçant les flancs de
l’adversaire, que des Voltigeurs venant piquer ces mêmes flancs tels des
mouches du coche.
Un site internet devrait pouvoir mettre en contact avec Jésus-Christ et une Eglise
vivante, une communauté se vit l’unité et la charité. Loin de trouver cela, les
internautes se trouvent bien des fois confrontés à un « système », qui certes a ses
avantages une fois qu’ils en ont franchi le seuil, mais qui, dans un premier
contact, fait davantage écran que courroie de transmission, n’ayant pas pour lui
la souplesse de l’amour.
Ces voltigeurs de l’Evangile, je les vois dans les blogs créés par des laïcs. Cela
entre dans le champ propre de leur activité, de leur vocation et de leur mission
de baptisés dans l’Eglise et dans le monde.
La 44e Journée mondiale des communications sociales qui aura lieu le 23 mai
prochain aura pour thème : « Le prêtre et la pastorale dans le monde digital : les
nouveaux médias au service de la Parole ». En choisissant ce thème, le pape
place l’urgence d’une évangélisation par le monde digital et du monde digital
dans le cadre de l’Année sacerdotale. Il s’agira d’ « encourager les prêtres à
affronter les défis qui naissent de la nouvelle culture numérique » comme l’a
souligné le communiqué de presse. Mais à mon sens, il ne s’agit pas d’un
appel à tous les prêtres à créer son propre blog. Il s’agit plutôt d’un appel aux
prêtres à s’entourer de laïcs compétents pour la mise en œuvre de leurs sites
paroissiaux ou de mouvements, un appel à collaborer, un appel à accompagner
les laïcs qui se lancent (ou qui se sont déjà lancés) dans l’évangélisation par
internet. C’est un appel à voir comment nous pouvons aider les internautes à
discerner les sites catholiques de ceux qui se réclament comme tels mais ne le
sont pas toujours.
Les médias réduisent souvent l’Eglise au pape et à quelques cardinaux. Raison
de plus pour que les évêques et les prêtres laissent toute leur place aux laïcs sur
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le net. L’Action catholique consistait à évangéliser le même par le même,
l’ouvrier par l’ouvrier, l’étudiant par l’étudiant, la femme par la femme, le
patron par le patron, etc. Il nous faut retrouver cette intuition en ce qui concerne
le net, et si ce n’est évangéliser le net, du moins évangéliser par le net. Seule la
présence de chrétiens laïcs compétents et éclairés sur le net, s’exprimant en tant
que chrétiens, pourra montrer qu’on ne peut réduire l’Eglise à sa hiérarchie et au
pape.
Permettez-moi de décliner quelques propositions en ce sens :
- Dans la jungle des offres gratuites et des possibilités médiatiques, les chrétiens
doivent apparaître avec un plus. Ce « plus » n’est pas un gadget, c’est le levain
absolument indispensable pour que la pâte monte, c’est la lampe dans la maison,
c’est le phare dans la nuit du monde et de nos vies. Mais il est absolument
nécessaire de venir sur le marché du net avec ce « plus ».
- L’Eglise ne peut pas toucher tout le monde, en même temps, avec les mêmes
contenus, sur les mêmes médias. Elle ne peut pas apparaître avec un discours
monolithique. Les vies sont diverses, le monde est segmenté, l’Eglise se doit de
diversifier son offre. Qui veut-on rejoindre, où, comment, pourquoi et pour quoi
faire, pour mener vers quoi ? Tout ceci ne doit-il pas être pensé avant toute
création de site ?
- Bien mesurer avant toute mise en ligne de la manière dont telle ou telle image,
tel ou tel propos pourra être entendu, reporté, colporté, interprété. On peut
mettre en ligne en connaissance de cause, mais on ne devrait jamais être surpris
par les réactions et courir après les démentis et les rectifications. Si l’on est
surpris par une réaction, c’est que l’on a mal analysé la situation avant de parler,
donc pas été suffisamment à l’écoute. Bien réfléchir avant, et être spontané et
réactif malgré tout. Le web est la culture du spontané.
- Il y a plus de 25 ans je disais que les cathédrales du XXIe siècle seraient
médiatiques. Aujourd’hui ces nouvelles cathédrales sont à construire sur le net.
Dans l’histoire de l’Eglise, dans le même temps que la charité se faisait
inventive pour répondre aux nouveaux besoins, les anciennes structures
subsistaient. Pour nous aussi, tout en assurant la vie de nos paroisses et de nos
diocèses, nous devons avoir le souci de continuer à être là où sont les gens, là où
le monde change, et donc à nous rendre sur You Tube, My Space, Facebook et
autres. Ce n’est certes pas sans question, quelle forme de lien social se tisse
entre les connectés ? Ces réseaux posent la question des frontières de l’intimité.
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