Catho et pour l'étude du genre, c'est possible?
Publié sur Slate.fr le Vendredi 16 septembre 2011
Certains catholiques sont non seulement en faveur des nouveaux manuels de SVT qui introduisent l'étude
du genre au lycée, mais revendiquent même que l'Evangile soutient cette dernière.
- Un crucifix dans une salle de classe à Rome, le 3 novembre 2009. REUTERS/Tony Gentile -
80 députés UMP, rejoints ce lundi par 113 sénateurs, ont envoyé le 30 août une lettre à Luc Chatel
pour leur demander le retrait des nouveaux manuels de SVT des lycéens. En cause, un chapitre qui
propose quelques lignes sur les gender studies américaines, selon lesquelles l’identité sexuelle n’est
pas réductible au sexe biologique, mais dépend aussi d’une construction sociale.
Dans cette lettre, les députés reprennent une critique déjà formulée par l’Enseignement catholique
en mai dernier. Le 5 septembre, l’Association des Familles Catholiques a d’ailleurs adressé une
lettre de soutien à ces députés.
Cette vision ne représente pas celle de la totalité des catholiques. D’autres, moins médiatisés, se
sont exprimés publiquement en faveur de ces nouveaux manuels. Qui sont-ils? Jeunes blogueurs
discrets ou représentants plus âgés d’associations homosexuelles et féministes, ils n’en ont pas pour
autant perdu la foi. Homosexuel, féministe et catholique? Oui, c’est possible.
L’association FHEDLES (Femmes et Hommes, Égalité, Droits et Libertés dans les Églises et la
Société), anime depuis 10 ans un centre de recherche et de documentation intitulé «Genre en
Christianisme», qui a pour objet «l’étude critique de la construction religieuse du genre et de ses
modes d’influence dans la société civile».
En réaction à la demande de Christine Boutin de retirer les nouveaux manuels de SVT le 31 mai
dernier, le communiqué de la FHEDLES est cinglant:
«Nous affirmons que tous les catholiques ne partagent pas les inquiétudes et refus qui font jour à
propos des analyses de genre. Il est nécessaire que les jeunes comprennent l’origine des
discriminations et des injustices entre les sexes (…) Disqualifier les théories du genre en les faisant
passer pour une idéologie de l’indifférenciation est une malhonnêteté.»
Une méconnaissance des gender studies
Pour ces catholiques libéraux, parler d’idéologie pour qualifier les gender studies traduit une
mauvaise connaissance du sujet.
Anthony Favier est agrégé d’histoire religieuse et milite pour l’association d’homosexuels chrétiens
David et Jonathan. Il a aussi été formé aux gender studies durant son cursus universitaire. Sur son
blog Penser le genre catholique, il décrypte la manière dont les catholiques conservateurs
comprennent les études sur le genre.
Bien avant la polémique des manuels de SVT, des catholiques s’étaient déjà prononcés contre les
gender studies. C’est le cas, par exemple, de l’Association des Familles catholiques, dont la
commission juridique a publié en 2007 un rapport sur la théorie du genre.
Mais dans ce type d’analyse, les catholiques conservateurs ne prennent pas le temps de citer les
auteurs des gender studies: Ann Oakley, Rubin Gayle, Nicole G. Albert… En revanche, ils citent
des auteurs qui sont contre l'étude du genre! Ce qui donne une approche tronquée du sujet.
Anthony Favier a notamment identifié deux auteurs qui reviennent systématiquement. Le premier,
explique-t-il, est Tony Anatrella, consulteur au conseil pontifical pour la famille et psychanalyste:
«Il fait une lecture extrêmement malhonnête et caricaturale du sujet. Pour lui, les associations
homosexuelles et féministes forment un lobby, qui a inventé une théorie selon laquelle chacun
choisit son sexe comme il l’entend! C’est faux! À la limite, on peut comprendre comme ça le genre
avec Judith Butler, mais elle est très contestée. D’ailleurs elle se revendique plus du mouvement
Queer, mouvement radical qui s’intéresse aux sexualités alternatives. Elle-même est critique de
travaux qui étudient le genre. Ces catholiques veulent faire croire que Judith Butler est la chef de
file du mouvement des genres!»
Le deuxième auteur souvent évoqué par les catholiques hostiles aux gender studies est Jacques
Arène, psychanalyste et éditorialiste à la revue chrétienne La Vie. Anthony Favier analyse sa
démarche:
«Pour lui, si les homosexuels ont eu des droits, c’est qu’ils ont manipulé l’opinion publique après
les ravages du SIDA et en inventant le concept d’homophobie –donc il n’y croit pas-. Il appartient
aussi aux "masculinistes", des anti-féministes qui pensent qu’on a dévirilisé les hommes. Comme
c’est un psychanalyste, il s’appuie sur Freud, qui était très attaché à la figure du père, représentant
de l’autorité, du surmoi moral.»
Pour Anthony Favier, la seule expression «théorie du genre» est erronée:
«C’est une appellation utilisée par ces catholiques. À Paris VII, on parle de sociologie du genre,
d’histoire du genre. Le terme "théorie" sert à montrer qu’il ne s’agit pas de science mais d’une
idéologie.»
L’Eglise catholique, elle-même créatrice de genre?
Si l’Eglise a tant de mal à accepter les gender studies, c’est sans doute parce qu’elle se sent visée
par ce que ces études dénoncen: la réduction de l’identité sexuelle au sexe biologique. Ce qui
conduit à déclarer qu’un homme doit se comporter de telle manière, tandis qu’une femme doit se
comporter d’une autre.
L’Eglise assigne en effet aux hommes et aux femmes des rôles et des qualités bien distincts.
L’institution est donc elle-même «créatrice de genre».
C’est ce que dénonce l’association FHEDLES. Alice Gombault, secrétaire générale de l’association,
reconnaît les progrès du Concile Vatican II en terme d’égalité entre les hommes et les femmes dans
l’Eglise. Mais selon elle, ces progrès ne sont que théoriques:
« Dans la théorie, les choses ont changé: on ne peut plus dire que les femmes sont inférieures aux
hommes. Un principe d’égalité est acquis. Des interprétations de la Bible ne sont plus acceptées,
comme le "Femmes, soyez soumises à vos maris" de Saint Paul.»
En 1988, pour la première fois, un pape aborde des propos nouveaux concernant les relations entre
femmes et hommes: dans sa lettre apostolique sur la vocation et la dignité de la femme, Jean-Paul II
parle d’«égalité essentielle» et de «parfaite réciprocité entre eux».
Cette nouvelle vision se poursuit en 1995, quand le pape écrit aux femmes du monde entier. Il y
exprime des regrets et reconnaît la responsabilité de l’Église dans la dénaturation et la réduction en
esclavage des femmes.
Alice Gombault regrette que «ce progrès ne soit pas suivi de faits pratiques». Aujourd’hui, par
exemple, seuls les hommes ont le droit à l’ordination (sacrement qui permet de devenir prêtre), au
motif que les femmes ont un charisme différent: on leur prête des qualités particulières comme
l’accueil, l’écoute. Elles sont donc animatrices de catéchisme, ou chargées de l’accueil dans les
paroisses…
Cette différenciation entre le rôle des hommes et les femmes dans l’Eglise se fait même dès le plus
jeune âge, raconte Alice Gombault -:
«Il y avait eu un certain progrès quand on a permis aux petites filles d’être enfant de chœur comme
les garçons. Mais aujourd’hui, des évêques y sont opposés. Dans certaines paroisses, les petites
filles apportent le pain et le vin jusqu’en bas de l’autel, et ensuite ce sont les petits garçons qui le
montent à l’autel. Il y a une vraie barrière du sacré!»
L’Evangile transcende les sexes
Si l’Eglise est en désaccord avec la sociologie du genre, l’Evangile, au contraire, la soutient,
affirment les catholiques libéraux.
Jacques*, 25 ans, catholique fraîchement diplômé de l’ENS Lyon, a suivi pendant sa formation des
cours de gender studies. Pour lui, les études de genres ne sont pas incompatibles avec le
christianisme. Les deux discours, pour Jacques*, mettent en avant la "personne", avant le sexe
féminin ou le sexe masculin:
«En fait, plutôt qu’un homme ou une femme, on est avant tout une personne devant Dieu. C’est ce
que dit l’apôtre Paul (Ga 3/28): "Il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni
femme, car tous vous êtes un en Jésus Christ".»
Les gender studies expliquent que le sexe biologique n’a pas forcément d’influence sur la sexualité
des êtres humains? «Même discours dans l’Evangile!», affirme Christine Pedotti, 50 ans,
théologienne et co-fondatrice des associations catholiques féministe Le Comité de la Jupe et la
Conférence Catholique des Baptisés de France. Elle explique:
«L’Eglise a toujours dit que l’être humain n’était pas soumis par sa sexualité biologique. C’est en
se basant sur ce concept que l’Eglise soutient le célibat ecclésiastique. Dans l’Evangile selon
Mathieu, chapitre 19, verset 12, il est même dit: "il y a des eunuques qui se sont fait eux-mêmes
eunuques pour le Royaume!"».
Le baptême lui-même est exempt de toute distinction entre les deux sexes, remarque Christine
Pedotti:
«On baptise les hommes et les femmes avec exactement le même geste. Il n’y a aucune variante,
aucune différence. Ce qui n’est pas le cas dans d’autres religions.»
Mais après le baptême, il semble que la totale égalité entre les hommes et les femmes dans l’Église
soit quelque-peu oubliée…
Noémie La Borie
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