Compte-rendu de la soirée libre-expression Les Droites extrêmes en Europe Martine Lignières-Cass ou 11 février 2016 - Billère Députée de la 1ère circonscription des Pyrénées-Atlantiques Lors d’une soirée libre-expression consacrée aux droites extrêmes en Europe, Martine LignièresCassou, Députée des Pyrénées-Atlantiques, a reçu Monsieur Jean-Yves Camus, politologue, le 11 février 2016 salle de Lacaze à Billère. Introduction de Martine Lignières-Cassou Jean-Yves Camus est chercheur associé à l’IRIS - Institut de Relations Internationales et Stratégiques -, spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe. Il dirige également l’équipe de l’Observatoire des radicalités politiques au sein de la Fondation Jean Jaurès qui analyse les mouvances extrêmes dans leurs dimensions électorales, idéologiques et activistes, en inscrivant les événements récents dans leur temps long. Ces travaux permettent de cerner les passerelles personnelles et idéologiques entre les différents mouvements, mais aussi entre ces mouvements et l’ensemble du champ politique français. Ils permettent également de saisir les évolutions socio-géographiques de leurs électorats et leur lien avec le discrédit dont souffrent les partis de gouvernement. Monsieur Camus a synthétisé ses recherches dans son dernier ouvrage « Les droites extrêmes en Europe » paru au Seuil en novembre dernier, en collaboration avec Nicolas Lebourg, qui fait également partie de l’Observatoire des radicalités politiques. C’est un travail titanesque dont la synthèse effectuée dans ce livre est indispensable pour qui veut comprendre comment et pourquoi des partis extrêmes, nationalistes, populistes et xénophobes recueillent une audience, - audience qui est variable selon les pays européens – de nos jours. Reste que dans toute l’Europe, le populisme marque des points, jusqu’à atteindre, en France, plus d’un tiers de l’électorat. Il analyse les dénominateurs communs de ces droites extrêmes en Europe – le plus visible étant « l’utopie d’une société fermée propre à assurer une renaissance communautaire ». L’offre politique représentée par le FN dans notre pays, est celle d’un « souverainisme politique, économique, culturel » qui promet à l’électeur d’être protégé de la globalisation tout en bénéficiant de la protection de l’Etat-providence, ce qui n’est pas autre chose que le concept de la préférence nationale. Selon Jean-Yves Camus, la seule explication économique ne suffit pas à expliquer la montée des extrêmes en Europe. Le score de l’extrême droite dépend d’une offre politique cohérente d’une part, et d’une demande sociale autoritaire d’autre part, celle-ci étant induite par le sentiment de la déconstruction d’une communauté de destin. On peut lire dans l’enquête annuelle du CEVIPOF sur la confiance des Français, parue à la mi-janvier 2016 que 47% des sondés en arrivent à souhaiter « un homme fort » à la tête du pays, qui ne se préoccuperait ni des élus, ni du parlement. 1 Dans sa stratégie de conquête, Marine le Pen est à la recherche d’un mode opératoire en accord avec son temps : « afficher une ligne laïque est un signe intelligible de dédiabolisation pour les observateurs médiatiques » Monsieur Camus a noté dans ses travaux que si le FN veut passer d’un parti aux excellents scores de premier tour à un parti de gouvernement, il n’a pas d’autre choix que celui d’un virage libéral. L’exemple finlandais est révélateur : Le Parti des Finlandais, extrémiste, est entré dans une coalition gouvernementale des droites et a dû faire quelques reniements pour participer au pouvoir. Cela peut donner des idées au FN qui a atteint 28% des voix au 1er tour des régionales de décembre mais qui ne peut guère espérer dépasser la barre des 30% sans alliés. En édulcorant son discours, sur le volet économique notamment, le FN mise sur une scission de la droite classique, l’aile la plus radicale de la droite pouvant alors se déplacer vers le parti frontiste. Pour Jean-Yves Camus, taxer le populisme de menace fasciste contre la démocratie est un contresens. Pourquoi, des pays qui ont parfois subi la crise économique, qui s’ouvrent au multiculturalisme, n’ont-ils pas connu une émergence des extrêmes droites ? C’est le cas en Irlande ou en Islande. En Espagne, où plus d’un jeune sur deux est sans emploi, les listes d’extrême droite n’y ont même pas fait 1 % des voix Alors que l’extrême droite est donc quasi absente d’une certaine partie de l’Europe, elle gagne du terrain dans certains pays (Danemark, Suède, Pologne). Comment expliquer cette fracture ? Intervention de Jean-Yves Camus Celui-ci travaille depuis 30 ans sur les radicalités politiques de droite. Il analyse particulièrement le FN, en le comparant avec des mouvements similaires en Europe. Deux mois après la sortie du livre « Les droites extrêmes en Europe », celui-ci est traduit en anglais, publié aux Etats-Unis et traduit en coréen. C’est l’image de l’Europe et de la France qui se joue à l’étranger : ces sujets n’intéressent pas que les universitaires et chercheurs étrangers mais également les médias. Beaucoup d’articles paraissent à l’étranger sur les questions des réfugiés, de la politique migratoire européenne et sur la laïcité, valeur propre à la France, difficile à expliquer et à traduire. LE POPULISME On associe souvent extrême droite et populisme mais c’est un concept piégé. Les autres partis classiques se servent tout autant des ressorts du populisme mais dans la bouche de ceux qui le dénoncent, est sous-entendue une forme de dédain pour le peuple. En 2005, lors du référendum sur le projet de traité constitutionnel européen, le « non » l’avait emporté et on traitait alors d’imbéciles, ceux qui avaient voté contre. Le populisme est un système politique dans lequel la démocratie représentative est remplacée par la démocratie directe. On peut parler de populisme lorsqu'est remis en cause globalement, le fonctionnement du système politique. Ainsi, deux conceptions s’affrontent en Europe occidentale : - Le peuple délègue sa souveraineté aux parlementaires, Ce système politique est remis en cause car il tient le peuple à distance, coupant son lien direct avec l’Etat : il gomme les véritables intérêts du peuple car les élus dévoient la fonction qui leur est confiée. Aujourd’hui, 67% des Français font confiance à leur maire mais 80% estiment les parlementaires et les partis politiques contreproductifs et nocifs. Or, sous la Vème République, les pouvoirs du Parlement ont été considérablement réduits. Sous la IIIème et la IVème République, les partis politiques rassemblaient beaucoup de militants. Le militantisme structurait le débat. Il y avait du maillage, du lien social et de l’idéologie, sans jeux d’appareil. On observe une hausse tendancielle du taux d’abstention dans toute l’Europe occidentale ce qui contribue à avoir des élus issus du vote d’une minorité, comme aux Etats-Unis. 2 L’enjeu est donc de reconquérir, de produire de la mobilisation. Aujourd’hui, il y a plus de monde dans les cortèges FN que dans les manifestations syndicales. LE FRONT NATIONAL Le populisme est accolé aux électeurs du Front national par les observateurs or, c’est un style, pas une idéologie selon Jean-Yves Camus. Si le Front national se heurte à un plafond de verre (barrière invisible à laquelle le parti se heurte et qui l'empêche de passer le second tour des élections pour accéder au pouvoir) certaines idées qu’il défend se retrouvent appliquées. Il y a aujourd’hui de la part des électeurs, une forte demande d’autorité et d’identité, comme un choc en retour des idées de mai 68, dans un mouvement de balancier de la société française. Les enfants des parents soixante-huitards demandent de l’ordre et formulent également un demande identitaire : ce sont les vrais problèmes des prochaines années. Qu’est-ce qu’être Français ? Quels sont les droits et obligations qui vont avec ? Pour Jean-Yves Camus, le Front national compare la Nation à un organisme vivant : les cellules y ont un agencement précis. On considère que cet organisme est malade lorsqu’un corps étranger s’y est introduit car il produit du désordre. C’est comme cela que cette famille politique voit l’étranger. La posologie est alors soit de détruire la cellule soit de détruire le corps étranger. Le FN demande que la société ne soit plus ouverte à tout vent et critique dans le même temps, la globalisation. Il est exact et il faut l’admettre à gauche, que la globalisation produit du désordre. Des classes sociales ont bien été atteintes, du fait de la financiarisation de l’économie qui n’est pas régulée. Ce manque de régulation réduit les leviers des politiques pour contrer des entreprises gigantesques. On l’a vu en Argentine, pays « vautourisé » par des sociétés qui ont tenu dans leurs mains cet Etat, devenu exsangue. Entre 4 et 6 millions de Français votent pour le Front national depuis les années 90. Ce n’est pas la stigmatisation qui régulera cette situation mais le fait d’expliquer à ses électeurs qu’ils se trompent de réponse. Or, les questions que pose le FN correspondent effectivement à des situations anxiogènes vécues : chômage, baisse du pouvoir d’achat, délocalisations… L’immigration est propre à toutes les sociétés, à toutes les époques. Renvoyer les électeurs à leur racisme n’est pas non plus la solution. L’arrivée massive des réfugiés nécessite qu’on leur explique que la France s’honore en les accueillant. LES DROITES EXTRÊMES EN EUROPE La préférence nationale est régulièrement mise en avant dans le discours des droites extrêmes. Ce discours est tout aussi porteur dans des pays où la crise économique sévit que dans des pays épargnés comme la Suisse ou la Norvège. Grâce au pétrole de la mer du Nord, le Fonds souverain rend les Norvégiens sereins sur 4 à 5 générations. La montée des idées extrêmes n’est donc pas liée directement à la crise : il y a des populismes de prospérité. Ces idées ne prennent pas en Espagne et au Portugal qui sont de jeunes démocraties (la dictature prévalait jusqu’à la fin des années 1970) et où l’extrême droite, arc boutée sur son passé, est dans la nostalgie de ses anciens leaders. Si l’extrême droite renouvelle son logiciel – comme le fait Marine le Pen – elle a peut être des chances de réussir. Mais le Front national n’est pas le mieux placé en Europe. Son passé et ses racines lui collent à la peau. Avec encore dans ses rangs des militants des années 30, 40 et 50, la dédiabolisation ne réussit pas complètement. Si une majorité de Français déclare ne pas vouloir voter pour ce parti, cela est dû à ses racines historiques : le Front national est né à l’intérieur de l’extrême-droite. Ce n’est pas le cas en Italie ou aux Pays-Bas où ce sont des droites qui se sont radicalisées. Ainsi, le Néerlandais Geert Wilders quitte le Parti populaire libéral et démocrate avec lequel il était en désaccord sur les questions de l’Europe et de l’immigration, pour fonder son propre parti nationaliste. Ce retour en force du souverainisme est lié au fait, selon Jean-Yves Camus, que l’Europe a une mauvaise image à 3 cause du déficit démocratique (la Commission a un rôle prépondérant). Aussi, l’Europe est incapable d’avancer unie : on l’a vu dernièrement dans l’absence de gestion commune des flux de réfugiés. Si l’on pouvait voir émerger une Union Européenne réussissant à se mettre d’accord sur les fondamentaux et nous expliquer ce qu’est être européen, cela serait un bon début. Il faut du tangible pour les années à venir. Dans notre pays, les questions de l’immigration, de l’identité et de l’islamisme peuvent amener un glissement de la droite vers l’extrême droite car notre récit national s’effiloche. A contrario, l’Irlande, Etat jeune (créé en 1922) – qui a connu une très sévère crise financière et où le multiculturalisme est présent depuis 30 ans - possède un récit national dans lequel tout le monde communie. La guerre d’indépendance est un récit fondateur qui ne faiblit pas et qui lui permet de surmonter les angoisses, compréhensibles par ailleurs. Jean-Yves Camus souligne le paradoxe de l’extrême droite française, présente dans l’arène politique depuis une trentaine d’années : Lorsque Jean-Marie le Pen prenait la parole, cela suscitait des réactions mais aucune réponse sur les vrais problèmes que le FN pointait du doigt. On a aujourd’hui un FN dont les sondages nous montrent qu’il aurait atteint ses limites. Si ses scores sont importants, il touche néanmoins un plafond. Le noyau dur de ses électeurs constitue au plus, 15%. Si, en 2017, la gauche conserve le pouvoir, elle doit résoudre le problème fondamental de l’inversion de la courbe du chômage. Si la droite emporte l’élection, elle sera confrontée à la même question, tout en ayant fait des promesses - qu’elle ne tiendra pas - aux électeurs du FN. Alors, cet électorat de droite qui était resté fidèle jusqu’à présent à l’UMP puis à LR pourrait être tenté de rejoindre le FN. 4