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morale. D’une phrase, il en résume l’objet : elle correspond à la « visée de la vie bonne, avec
et pour les autres, dans des institutions justes »
1384
.
1.2. Le triangle éthique
Trois pôles sont donc constitutifs de la visée éthique : le pôle-je, le pôle-tu et le pôle-il.
Nous les retrouverons chez Edith Stein. Ajoutons que les « trois composantes de cette
définition sont également importantes »
1385
. L’éthique implique une juste corrélation entre les
pôles je, tu et il. Ôter l’un de ces pôles reviendrait à la fragiliser. Le je (pôle-je) est appelé à
rencontrer l’autre (pôle-tu) au cœur de la communauté humaine dans laquelle s’impose la
médiation de la règle (pôle-il). Par ailleurs, à chacune de ces visées correspond l’exigence de
la norme.
Le « pôle-je »
Parler d’un pôle-je, c’est souligner l’importance d’un moi libre, d’un moi qui pose sa
liberté, qui est conscient de ses capacités. Il sait qu’il peut agir. Etre et pouvoir sont
étroitement liés : « je suis très exactement ce que je peux, et je peux ce que je suis. Il y a là
une corrélation tout à fait primitive entre une croyance et une œuvre. Il y a une éthique
d’abord parce que, par l’acte grave de position de liberté, je m’arrache au cours des choses, à
la nature et à ses lois, à la vie même et à ses besoins. La liberté se pose comme l’autre de la
nature »
1386
. Cette liberté, qui n’est encore que potentielle, aura à s’incarner dans les tâches de
toute une vie : vie sociale, économique, politique, familiale… C’est au travers de l’action que
la liberté pourra se réaliser. La liberté n’est donc pas immédiate, mais elle a à se découvrir et à
grandir à mesure de sa mise en œuvre : « c’est parce que la causalité de la liberté ne
s’appréhende pas elle-même dans l’immédiateté qu’elle doit se découvrir et se recouvrer par
le grand détour de ses œuvres, donc s’attester dans l’action. Le je peux doit être égalé par tout
un cours d’existence, sans qu’aucune action particulière en témoigne à elle seule »
1387
.
D’ailleurs, la conscience de la capacité d’agir est marquée par une opacité, signe de la
fragilité de la liberté humaine. Il s’agit de « l’inadéquation ressentie par chacun entre son
désir d’être et toute effectuation. On peut parler ici de faillibilité pour désigner cet écart entre
l’aspiration et la réalisation. Cet aveu d’inadéquation, d’inégalité de soi à soi teinte de
1384
P. R
ICŒUR
, Ethique et morale, dans P.
R
ICŒUR
, Lectures 1. Autour du politique (1990), Paris, Seuil, 1991,
p. 257.
1385
Ibidem, p. 257.
1386
P. R
ICŒUR
, Avant la loi morale : l’éthique, dans Encyclopaedia Universalis, Symposium, I, Paris, 1978.
1387
Ibidem.