Le 15e jour du mois, mensuel de l'Université de Liège
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Le 15e jour : C'est la "madeleine de Proust" où, par les faits d'une simple saveur, tout un pan du passé
revit pour donner naissance à une œuvre. Vous allez faire faire saliver Jacques Dubois, "père spirituel" des
journaux de l'ULg et spécialiste de Marcel Proust !
H.D. : Notre mémoire autobiographique met en œuvre un processus qui nous permet, en quelque sorte,
de voyager dans le temps. Et, effectivement, le souvenir resurgit souvent à la faveur d'une association
d'idées, d'une image, de la sensation de la "petite madeleine"... A présent, les chercheurs commencent
à mieux saisir les mécanismes complexes qui permettent, au départ de nos perceptions, de stocker puis
de récupérer, c'est-à-dire de reconstruire, comme un puzzle mental, des moments de vie passée. Les
observations comportementales progressent de front avec d'autres découvertes résultant notamment des
nouvelles technologies d'imagerie du cerveau et de son fonctionnement. On constate - et on parvient à
visualiser ces phénomènes - que les émotions jouent un rôle déterminant, aussi bien dans le processus
de mémorisation que dans la récupération des souvenirs. Les épisodes marqués par les émotions ont
tendance à mieux s'ancrer dans notre mémoire et à être plus facilement réactivés. Ainsi, chez les individus
les plus jeunes, les souvenirs de sentiments négatifs, comme la peur, sont souvent les plus vifs. Cela
correspond à la nécessité d'apprendre à éviter les dangers. Mais, dans le même temps, ces souvenirs
émotionnellement chargés sont entachés de toutes sortes de distorsions : erreurs, omissions, ajouts, etc.
Le 15e jour : Vous venez de publier, dans "Emotion", une étude avec Martial Van der Linden et Frank Larøi
sur les faux souvenirs. Peut-on y voir un rapport avec la nostalgie ?
H.D. : Ce que nous récupérons, ce qui nous revient en mémoire n'est pas une restitution fidèle de ce que
nous avons perçu ou vécu à l'origine. Les chercheurs tentent de comprendre le pourquoi et le comment
de ce processus, et c'est un chemin aussi long que complexe. Ce que les Allemands appellent "Oostalgie"
traduit bien la capacité que nous avons à idéaliser, voire à travestir nos souvenirs. Mais, même si on
réajuste les souvenirs aux émotions, aux sentiments du moment ou à l'image qu'on a de soi, en retour,
ces souvenirs agissent sur notre état d'esprit. Chez les personnes âgées, la nostalgie d'un heureux passé
agit comme un régulateur des émotions présentes. D'un état de tristesse ou d'une émotion négative, la
nostalgie conduit à un apaisement. C'est, dès lors, comme le désir, un levier puissant que les publicitaires
ne manquent pas d'exploiter, surtout en période de crise !