CULTURE ET RECHERCHE n° 106-107 • numéro spécial • décembre 2005 5
Saint-Hilaire, Louis Pasteur et Claude
Bernard. Les grandes oppositions théori-
ques et métaphysiques sur la nature du
vivant (matérialisme, vitalisme, détermi-
nisme, hasard, liberté, nécessité,
finalisme, etc.) – les doctrines du vivant –
à la fois classiques et novatrices, alimen-
tent les réflexions de ces chercheurs et
des nombreux commentateurs. Ainsi,
Claude Bernard n’est pas seulement le disci-
ple dépassant son maître Magendie dans
l’art de la « dissection » physiologique. Il
fait des hypothèses et des expériences
potentiellement corroborantes; il élabore
une méthode, c’est-à-dire des procédures
de conceptualisation de ses objets d’étude.
Les sciences de la vie ne travaillaient pas
encore selon ces critères, contrairement à
certaines parties de la physique (Galilée,
Torricelli). On peut dire ici que pour Claude
Bernard, les idées priment sur le fait mais
que le fait permet aux idées d’acquérir une
consistance. Ainsi, à des titres divers, des
savants comme lui font œuvre de scienti-
fiques tout en « philosophant » sur leurs
objets d’investigation, sur les formes de
l’enquête scientifique.
Reconnaissons encore que non seulement
ces écrits valent pour leur importance histo-
rique et pour la portée de ce qui s’y
condense en terme de pensée et de concepts,
mais qu’ils sont aussi – c’est un aspect
peu souligné – exemplaires de ce qu’une
langue – le français – peut faire quand il
s’agit de décrire et analyser la profusion des
formes et des manifestations du vivant. Le
français des savants du XIXesiècle sait, le
plus souvent, se faire précis sans aridité,
inventif sans être évasif, adéquatement
indécis (travail de l’hypothèse) sans être
hésitant, etc. C’est aussi cet usage de la
langue qu’un tel corpus peut exhiber. Les
Balzac et les Zola, entre autres, lecteurs des
savants de leur époque, ne s’y trompaient
pas quand ils se penchaient sur ces œuvres.
C’est pourquoi nous souhaitons mettre en
avant l’idée d’un patrimoine culturel : la
terminologie des sciences naturelles est
extrêmement profuse et spécialisée ; de
surcroît, elle est fluctuante et dépendante
des « traditions » de recherche, des métho-
des ou des domaines.
Disposer de corpus denses et variés (chro-
nologiquement et thématiquement) offre la
possibilité de comparer les usages termino-
logiques et intellectuels. Si les anglophones
ont une « Intégrale Darwin » (aussi bien
papier qu’électronique), il serait dommage
qu’aucun des grands savants biologistes du
XIXesiècle français ne bénéficie d’une telle
postérité éditoriale. Par surcroît, il ne s’agi-
rait pas seulement d’une édition électroni-
que mais d’un hypertexte, c’est-à-dire un
objet textuel sans équivalent car combinant
les avantages d’ores et déjà reconnus d’un
« corpus électronique » (informatisation des
fonctions classiques de la forme livresque)
et le profit inhérent à l’hypertexte, en tant
qu’il peut donner lieu à de nouvelles offres
de lecture et d’appréhension des textes.
Georges Vignaux
Directeur de recherche au CNRS
Programme Colisciences,
Équipe « Hypertextes et textualité électronique »,
Maison des sciences de l’Homme Paris Nord
1. G. Vignaux, D. Piotrowski, A. Attali, M. Silberstein.
2. Ce site, architecturé par Marc Augier (université
de Nice-Sophia Antipolis), est unique en son genre,
à l’exception notable du site « Lamarck » construit
par l’historien des sciences Pietro Corsi et son
équipe, mais dont la vocation, différente, s’inscrit
dans le champ de l’histoire des sciences et de
l’édition critique (www.lamarck.net).
3. S. Moscovici, G. Vignaux, « Le concept de
thêmata », in : C. Guimelli éd., Pratiques et
transformations des représentations sociales. Paris :
Delachaux et Niestlé, 1994.
4. J.-L. Lebrave « Hypertextes, Mémoires,
Écritures ». Genesis, n° 5, 1994.
5. S. Normand, E. Bruillard, « Que révèlent les
discours de futurs enseignants sur leur
compréhension du fonctionnement des
applications informatiques ». Point de vue,
Sciences et techniques éducatives, vol. 8, n° 3-4,
2001, Hermès Science, p. 435-445.
6. Ces expérimentations ont été conduites par
Julie Solviche, sous la direction de Georges
Vignaux et avec les collaborations de Marc
Silberstein et Patrick Jardin dans le cadre de la
médiathèque de la Cité des sciences et de
l’industrie.
ACTUALITÉ
Références sur les fondateurs de l’hypertexte
• Bush et le Memex
Brève présentation de Vannevar Bush : http://www.iath.virginia.edu/elab/hfl0034.html
As we may think : http://www.theatlantic.com/unbound/flashbks/computer/bushf.htm
ou http://www.isg.sfu.ca/~duchier/misc/vbush/
• Douglas Engelbart
Brève présentation : http://www.iath.virginia.edu/elab/hfl0035.html
Augmenting Human Intellect : A Conceptual Framework
(http://www.histech.rwthaachen.de/www/quellen/engelbart/ahi62index.html)
•Ted Nelson et l’hypertexte
Brève présentation : http://www.iath.virginia.edu/elab/hfl0155.html
Projet Xanadu : http://xanadu.com/
Autres références
Balpe J.-P., Lelu A., Papy F., Saleh Techniques avancées pour l’hypertexte. Paris : Hermès, 1996.
Bruillard E. Les machines à enseigner. Paris : Hermès, 1997.
Chartier R. « Révolutions et modèles de lecture, xve-xxesiècles ». Le Français aujourd’hui, déc.
1995, n° 112, p. 6-15.
Piotrowski D., Silberstein M. « Le prototype HyperCB : Principes, architecture et
fonctionnalités d’un hypertexte », in : Ghitalla, F. dir. « La navigation ». Les cahiers du
numérique, vol. 3, n° 3, 2002, Paris : Hermès [n° spécial].
Piotrowski D. L’hypertextualité ou la pratique formelle du sens. Paris : Honoré Champion, 2004.
Vignaux G. « L’hypothèse du livre électronique », Les cahiers de médiologie, n° 10, 2000.
Vignaux G. Penser et organiser. Le démon du classement. Paris : Seuil-philo, 1999.
Vignaux G. Du signe au virtuel : les nouveaux chemins de nos intelligences. Paris : Seuil, 2003.
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