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Des maquisards allemands
dans les Cévennes
Par Éveline et Yvan Brès(1),
auteurs de plusieurs ouvrages.
Jeunes patriotes et Antifascistes allemands dans la clandestinité, Alpes-Dauphines, été 1944 ©
Musée de la Résistance Nationale - Champigny-sur-Marne
La participation des Allemands antinazis à la Résistance sur le sol
de France a jusqu’ici été largement occultée : sans doute dérangeaitelle l’imagerie “résistancialiste” de l’immédiat après-guerre.
Pourtant, le TA, c’est-à-dire le Travail allemand – entre autres,
l’infiltration de la Wehrmacht et des services administratifs
de l’occupant par des Allemands et des Allemandes antifascistes –,
a lui aussi contribué à la libération de la France : des maquisards
allemands ont pris part aux combats pour la liberté. C’est l’histoire d’un
maquis composé essentiellement d’Allemands – une quarantaine –
qu’Eveline et Yvan Brès relatent ici, depuis les camps d’internement
français jusqu’à la libération de Nîmes, en août 1944.
Tout le monde s’accorde pour reconnaître une très grande hétérogénéité parmi les
émigrés allemands des années trente(2), et ceux dont nous allons parler n’en constituent qu’une catégorie particulière. Pour la plupart, communistes engagés, ils
avaient dû quitter leur pays dès le début de l’année 1933, l’incendie du Reichstag
ayant permis au nouveau pouvoir de préciser concrètement quelles étaient ses
intentions. Ils s’étaient réfugiés alors dans divers pays d’Europe, parfois, même,
provisoirement, en Sarre. En 1936 et 1937 beaucoup avaient rejoint les Brigades
internationales en Espagne et, à la fin de 1938 ou au début 1939, ceux-là avaient
reflué vers la France, avec leurs camarades espagnols, pour aboutir généralement
dans les camps pyrénéens.
Cependant, la Lozère allait dès lors, exceptionnellement, être aussi concernée : des
“ex-miliciens” – des ressortissants allemands – étant astreints à résidence à SaintÉtienne-Vallée-Française dès le 23 décembre 1938 et certains étant internés à
partir du 14 février 1939 au camp d’hébergement de Rieucros, près de Mende, créé
Lors de l’invasion
pour recevoir tous les “indésirables” que l’on
par la Wehrmacht,
ne pouvait expulser de France.
ces Allemands exilés
À la déclaration de guerre, les Allemands
connurent l’exode vers
émigrés restés en France étaient regroupés
le sud de la France
dans des camps. Leurs compatriotes qui
et furent regroupés
dans des camps.
avaient combattu en Espagne auraient souhaité pouvoir s’engager dans l’armée française pour se battre contre les nazis. Mais on
ne leur offrait qu’une possibilité : la Légion étrangère, qu’ils refusèrent. Au début
de l’année 1940, on créa un corps intitulé “les prestataires”, formé de ces exilés qui
allaient – au sein des CTE, les Compagnies de travailleurs étrangers – participer
sur divers chantiers ou dans diverses usines à des travaux, notamment de défense
nationale.
Lors de l’invasion par la Wehrmacht, ces Allemands exilés connurent l’exode vers
le sud de la France et furent regroupés dans des camps, comme par exemple celui
de Langlade, à 12 kilomètres à l’ouest de Nîmes. Par la suite, ils devaient être rattachés à des GTE, les Groupes de travailleurs étrangers, qui avaient un double but,
tout d’abord de contrôle et de surveillance, mais aussi de mobilisation d’une
main-d’œuvre : les travailleurs étrangers furent ainsi employés dans diverses
entreprises auprès desquelles ils étaient souvent détachés. Au début de
l’automne 1942, il y avait, dans le Gard et la Lozère, deux GTE : le 805e, qui avait
son centre à Rochebelle, un quartier d’Alès, et le 321e, à Chanac, situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Mende.
L’occupation de la zone dite “libre”
Le 11 novembre 1942, les troupes d’occupation nazies envahissent la partie méridionale de la France, restée jusque-là “zone libre”. Dès lors, l’insécurité grandit
encore pour les antifascistes allemands, et en particulier pour ceux qui dépendent
des GTE, où ils sont fichés sous leur véritable identité.
C’est ainsi qu’un certain nombre d’entre eux seront pris ou s’évaderont et, si l’on
compare les effectifs du camp de Chanac entre le 17 juillet 1941 et le 15 décembre 1942, le constat montre une diminution sensible des personnes présentes : les
Allemands passent de 64 à 42, les Sarrois de 35 à 28, les apatrides de 20 à 14, les
Autrichiens de 18 à 12. Par contre, les Espagnols, que l’on intègre depuis peu dans
les GTE, sont passés de 5 à 67.
Pendant les mois qui suivent, la région du Collet-de-Dèze, avec Pénens comme
pôle d’attraction, sert de refuge à plusieurs exilés allemands, soit en situation régulière – détachés du 321e GTE en tant que bûcherons –, soit en situation irrégulière
– s’ils ont déserté leur groupe, qu’il s’agisse du 321e ou du 805e. Certains sont
orientés vers le secteur huguenot, par la filière des pasteurs résistants avec, pour le
départ, les pasteurs Joseph Bourdon à Mende et Franck Salles à Alès, et, pour l’arrivée, le pasteur Marc Donadille, à Saint-Privat-de-Vallongue. Ce dernier intègrera le communiste allemand Richard Hilgert, venu de Rochebelle, dans la chorale du temple, pour les fêtes de Pâques de 1943 et aux côtés du secrétaire de la
cellule locale du parti communiste…
Par ailleurs, à la suite de l’occupation de la zone Sud, en janvier 1943, une direction du Travail allemand – le TA – pour le Sud se constitue à Lyon, avec une
antenne à Marseille ; cette direction lyonnaise du TA dispose d’agents de liaison
susceptibles de toucher les antifascistes dans les diverses régions.
Pendant ce temps, en Lozère, l’hiver 1943 sera marqué par des arrestations de Juifs
ou d’antifascistes allemands. Heureusement, ces arrestations seront parfois contrariées par l’intervention de résistants français qui ont encore sur le cœur de n’avoir rien
pu faire contre les rafles et déportations de Juifs au mois d’août précédent.
À l’approche de la mi-mars 1943, les résistants de l’organisation Combat(3) sont
informés par le NAP, le Noyautage des administrations publiques, que cinq antifascistes allemands travaillant à l’aciérie de Saint-Chély-d’Apcher, Otto Kühne – un
ancien député communiste de Reichstag – en tête, doivent être arrêtés le lendemain. Un asile leur est procuré à Bonnecombe, à 25 kilomètres de Marvejols, dans
une baraque de bûcherons, à 1 300 m d’altitude. Un autre Allemand du 321e GTE
rejoint rapidement le groupe, qui constitue alors le premier maquis de la zone
Gard-Lozère.
Le 13 mars, à Pénens, deux bûcherons sont arrêtés par les Feldgendarmen ; leurs
camarades sont prévenus que leur tour ne saurait tarder. Dès lors, ils doivent plonger dans la clandestinité, mais ils restent dans le secteur en attendant que soit trouvée une solution. Tout le monde se mobilise, la direction du TA à Lyon et son
représentant à Nîmes, le pasteur Donadille, le percepteur du Collet-de-Dèze,
responsable de Combat(4), les résistants communistes et socialistes. Quand les exilés
allemands évoqueront plus tard leurs souvenirs sur ces temps difficiles, ils noteront
tous le soutien qu’ils ont alors trouvé auprès de la population, qui n’a pas moins
conservé qu’eux nombre de souvenirs émus : Finalement, ils pourront au mois de
mai se rendre sur des chantiers de bûcheronnage dans le sud de la Drôme — Les
Baronnies — avec l’apparence de la légalité car munis de « vrais faux papiers ».
Ainsi, pour les uns et les autres, c’en est fini de la vie dans des camps officiels (5).
Jusqu’en novembre 1943 la situation évolue peu. Les Allemands antifascistes,
malgré quelques alertes, trouvent la sécurité dans les chantiers forestiers de la
Drôme. Ceux du maquis de Bonnecombe continuent à bénéficier de l’aide de la
Résistance lozérienne, malgré les coups très durs qui la frappent durant cette
période. Ils sont toutefois obligés de changer de lieu à deux reprises.
Regroupement au maquis dans les Cévennes
Fin novembre 1943 la Résistance lozérienne décide de transférer les maquis de
Haute-Lozère dans la région la plus propice des Cévennes. C’est le pays du schiste,
du Camisard et du châtaignier, ainsi que des « chazaus » — les fermes abandonnées,
nombreuses à cette époque. Les maquisards allemands, notamment, y trouvent des
conditions exceptionnellement favorables : le relief ; une population huguenote
prête à sympathiser pour avoir connu elle-même la persécution entraînant la résistance ou l’exil ; l’arbre à pain ; le tout assorti à des possibilités de logement, le niveau
de (dé)population se trouvant à un seuil permettant encore provisoirement l’accueil
des étrangers à la région. Ils vont être là comme des poissons dans l’eau.
Ainsi au début de 1944, Otto Kühne et ses camarades, accompagnés de quatre français dont Louis Veylet, s’installent dans les maisons vides du hameau déserté de La
Fare, qui domine la haute vallée du Gardon de Saint-Germain (de Calberte), rejoignant ainsi le maquis dirigé par François Rouan, dit « Montaigne », lui aussi ancien
des Brigades internationales, d’où son appellation de « Brigade Montaigne ».
Dès lors la direction du TA à Lyon, ayant conservé la liaison avec Otto Kühne,
décide de profiter de cette occasion pour rassembler là, sous l’autorité de celui-ci,
les antifascistes allemands qui, faute de connaître suffisamment le français, risquent d’être arrêtés à tout moment et ne peuvent faire du renseignement ou de la
propagande auprès des troupes d’occupation, mais qui, en tant qu’anciens des
Brigades internationales, sont tout désignés pour participer à la lutte armée. Ainsi
les agents de liaison vont battre le rappel. Le 5 février 1944 arriveront de Séderon
les derniers bûcherons de la Drôme revenant dans les Cévennes pour rejoindre le
maquis. Ils y trouveront vingt à vingt-cinq de leurs camarades déjà regroupés, et,
dans une ferme voisine, deux allemandes, anciennes des Brigades internationales
qui vont jouer le rôle de courrier et d’infirmière.
La Brigade Montaigne va finalement être composée en très grande majorité
d’Allemands, plus trois Autrichiens, un Luxembourgeois, deux ou trois
Espagnols, deux Tchèques et deux Yougoslaves. Quant aux Français — Louis
Veylet et ses trois camarades venus avec lui
de Haute-Lozère ayant été arrêtés le 27 janIl se peut que nos
vier par deux gendarmes du Collet-de-Dèze
enfants soient en face,
et mis en prison — ils ne sont représentés,
mais ça ne fait rien !
outre Montaigne, que par un jeune pasteur
La lutte vaut plus que
que les maquisards allemands décriront plus
nos enfants.
tard comme ayant la bible à la main et un
revolver en poche. C’est le pasteur Pierre
(6)
Chaptal . Celui-ci, encore étudiant en théologie, desservait à l’origine tout un secteur de Résistance, avec ses maquisards et ses réfractaires au STO il s’est alors plus
particulièrement attaché au maquis de La Fare. C’est avec beaucoup d’émotion
qu’il nous parle aujourd’hui des Allemands qu’il y côtoyait : “J’avais vingt ans, et ce
qui m’a le plus impressionné, c’était de me trouver parmi des hommes dont certains avaient
l’âge d’être mon père, des hommes qui – je le savais – avaient déjà derrière eux dix ans de
lutte contre le national-socialisme(7), car ils étaient pour la plupart d’idéologie marxiste. À l’époque, je ne savais trop ce que représentait le marxisme; je ne le connaissais, bien sûr, qu’à travers les livres. Mais ce que je savais, c’est que j’avais à faire à des hommes qui avaient cruellement souffert pour leurs idées… et qui étaient disposés à entendre un jeune de mon âge leur
parler de sa foi et de ses raisons de résistance. Le jeu était un peu inégal, mais, très vite, ces
Allemands ont su gagner mon affection parce qu’ils m’ont ouvert leurs bras en disant : ‘Mais
tu es des nôtres !’”
“J’étais fasciné en les écoutant me raconter dans quelles circonstances ils avaient dû quitter leur pays. L’un d’eux, par exemple, avait dû partir d’Allemagne précipitamment, laissant sa femme et ses enfants ; il savait déjà que sa femme risquait d’être prise et envoyée
dans des camps – ainsi que ses enfants. Je demandais à ces Allemands : ‘Mais comment
pouvez-vous, vous Allemands, vous situer par rapport à la jeunesse allemande qui
est sous l’uniforme ? Comment pouvez-vous combattre contre votre pays ?’
C’était pour moi, en tant que jeune, l’élément qui me bouleversait le plus. Et là-dessus, j’ai
été tout de suite rassuré : leur conscience avait fait le tour de la question. Otto [Otto
Kühne] mais aussi Anton [Anton Lindner] m’ont répondu : ‘Il se peut que nos enfants
soient en face, mais ça ne fait rien ! La lutte vaut plus que nos enfants.’”
“Ce qui était peut-être le plus bouleversant chez ces Allemands, au maquis, c’était leur
extrême gentillesse. Ils étaient très bons : et puis très soucieux de plaire à la population, de
se faire aimer. Tout cela pour plusieurs raisons : parce qu’ils étaient allemands et que les
Français étaient légitimés par les circonstances à considérer les Allemands sous un jour
très négatif. D’autre part, et à cause de cela-même, ils avaient le souci de ne pas être une
charge pour la population et d’accepter le mieux possible toutes les conditions qu’on leur
imposait, sans la moindre récrimination. Ainsi, certains n’aimaient pas tellement les châtaignes sèches – les bajanas – mais ils en consommaient beaucoup, avec un plaisir tout au
moins apparent, et ceci parce que c’était un produit du pays qui leur était offert.”
“Mieux encore, au départ, les Allemands du maquis, à la limite, ne souhaitaient pas avoir
à lutter contre les miliciens français. Ils voulaient lutter contre les Allemands. Je me souviens que j’avais quelque peine à leur faire comprendre que nous n’avions pas que
l’Allemagne hitlérienne comme ennemi en France : qu’à côté des nazis allemands, il y
avait aussi des nazis français, et que nous ne pouvions pas ainsi faire une distinction entre
Français et Allemands. Et que le fascisme, au fond, était la même maladie ici et là-bas.”
Dans ces conditions, on conçoit que les “étranges” maquisards de La Fare soient
rapidement adoptés par les Cévenols. Les premières armes sont fournies par les paysans de l’endroit : des Mausers de la Première Guerre mondiale ramenés en 1918 et
servant depuis aux battues au sanglier. La population locale, boulanger et hôtelier
en tête, aide efficacement le groupe pour son ravitaillement. Par ailleurs, Antonin
Combarmond, dit “Mistral”, résistant de Saint-Geniès-de-Malgoirès, procure
quelques armes récentes et équipe – en partie – les hommes en couvertures, souliers
et tenues du 1er régiment de France, réquisitionnées – en quelque sorte – dans les établissements de confection Paulhan, à Saint-Jean-du-Gard.
Le temps des combats et des pérégrinations
Le 12 février 1944, La Fare est attaquée par 120 GMR, des Groupes mobiles de
réserve, des unités paramilitaires qui composaient une gendarmerie supplétive
que le gouvernement de Vichy utilisa souvent pour lutter contre les maquis. Les
maquisards, inférieurs en nombre et en armes mais prévenus, échappent au piège
et rejoignent le Plan de Fontmort, haut lieu de la guerre des Camisards.
Cependant, le hameau est brûlé.
La brigade Montaigne va s’installer alors dans un lieu stratégique, une ferme appelée “le Galabertès”, située dans le quadrilatère Saint-Martin-de-Lansuscle, SaintGermain-de-Calberte, Saint-Etienne et Saint-Croix-Vallée-Française, bordé sur
trois côtés par les Gardons de Saint-Martin-de-Lansuscle, de Mialet et de SaintCroix-Vallée-Française.
Dans ce même secteur se trouve également la ferme de La Picharlerie. Celle-ci
abrite le maquis-école, constitué par des jeunes réfractaires au STO, et va bientôt
héberger également le maquis Bir-Hakeim, originaire du Sud-Ouest et constitué
par des baroudeurs ayant à leur tête Jean Capel, dit “Barot”.
Un certain accord s’établit entre les trois groupes : Barot demande à la brigade
Montaigne de lui apporter son concours en cas d’attaque, en lui promettant en
échange de lui fournir des armes, tout comme au maquis-école. Il le fait d’ailleurs
grâce à la récupération à Toulouse d’un stock caché par l’armée française d’armistice.
Le 7 avril 1944, une patrouille de quatre Feldgendarmen est anéantie par les hommes de Barot, près de Saint-Étienne-Vallée-Française. Le 8 avril, deux compagnies
d’une Ost Legion – constituées d’ex- prisonniers de l’armée soviétique – venues de
Avec vous, nos
Mende et renforcées par une section de
camarades allemands,
GMR, attaquent le secteur et subissent des
nous avons aujourd’hui
battu les Boches.
pertes sévères ; Bir-Hakeim doit compter, de
son côté, deux prisonniers qui seront ultérieurement fusillés. Un différend naît alors
entre Barot d’une part, et Otto Kühne et les antifascistes allemands d’autre part :
en effet, prévoyant une attaque prochaine de grande envergure, les maquisards
allemands veulent que les maquis changent de position, ne serait-ce que pour éviter de faire courir des risques à la population locale, tandis que Barot décide de rester et de se battre sur place. Otto Kühne et les siens s’inclinent.
Le pasteur Pierre Chaptal, qui désapprouvait la position de Barot, commenta ainsi
le comportement des maquisards allemands : “Il y avait toujours chez eux une triple
préoccupation, à savoir qu’ils ne voulaient pas compromettre la population, qu’ils voulaient bien sûr préserver leur unité aussi, mais qu’ils ne voulaient surtout pas se désolidariser des maquisards français, leurs camarades de combats. Or, c’était très difficile de
concilier les trois. Et ils l’ont toujours fait en sacrifiant leur propre intérêt. C’est ce qui me
les a fait aimer énormément. Ils choisissaient au fond de se sacrifier, quand le commandant français, moins expérimenté qu’eux-mêmes, prenait des décisions un peu à la légère,
voire inconsidérées. Ce qui fut le cas ici.” Le 12 avril 1944, alors que Barot est absent,
un contingent de troupes allemandes, fort d’environ 2 000 hommes, dont la plupart appartiennent à la 9e Panzer division, cantonnée à Nîmes, encercle le dispositif tenu par les 120 maquisards du Galabertès et de La Picharlerie, et se retire
brusquement le 13 avril, vers midi, pour une cause inconnue – peut-être la fausse
nouvelle d’un débarquement allié à Agde – en emmenant ses morts et ses blessés.
Quant aux maquisards, ils ont réussi entre-temps à s’échapper en passant au travers de la ligne d’encerclement, généralement à la faveur de la nuit. Un seul d’entre eux est tué : Louis Veylet, qui était revenu dans le groupe après avoir été libéré
de prison.
Début mai, le maquis Bir-Hakeim, auquel se sont ralliés quelques jeunes du
maquis-école ainsi que François Rouan, dit “Montaigne”, et l’ancienne brigade
Montaigne, à présent commandée par Otto Kühne, se trouvent à nouveau réunis,
au “château des Fons”, aux abords du mont Aigoual. Barot, devant aller récupérer
un parachutage d’armes dans l’Hérault, propose – ou, peut-être, impose… – à Otto
Kühne un marché : il lui laisse les armes qu’il lui a fournies mais, en échange,
Barot prend avec lui non seulement les membres de l’ancienne brigade Montaigne
qui ne sont pas allemands, mais encore huit de ceux-ci, dont un Autrichien, des
hommes qui ont une expérience de chauffeur de camion ou de tir à la mitrailleuse,
depuis leur passage dans les Brigades internationales. Barot et son groupe renforcé
s’en vont le 8 mai.
Les Fons sont attaqués, le 12 mai, au petit matin, par une colonne motorisée de la
Wehrmacht, forte de 500 à 600 soldats, accompagnée par des gendarmes français,
mobilisés – semblent-t-il – de force, à cette occasion. Grâce aux précautions prises,
Otto Kühne et ses hommes – ceux que n’a pas emmenés Barot, c’est-à-dire à peine plus
d’une vingtaine de combattants – ne se laissent pas surprendre et réussissent à se dégager. Pendant que les assaillants incendient le château, les maquisards prennent le chemin en direction de l’est, pour gagner le secteur des FTP, les Francs-tireurs et partisans,
eux-mêmes alors en relation avec les responsables de la MOI, en vue de rejoindre les
rangs des FTPE, les FTP étrangers, qui en dépendent(8). Ils fixent leur camp à une
dizaine de kilomètres au-dessus de la Grand’Combe, à La Baraque.
Dans le même temps, le groupe Bir-Hakeim, toujours flanqué des sept Allemands et
de l’Autrichien, rentre de son équipée – peu réussie – dans l’Hérault. Trouvant le
“château des Fons” incendié, il gagne La Borie-La Parade, en plein Causse Méjean –
ou Méjan –, après un bref séjour sur l’Aigoual. Ceux des hommes qui effectuent le
déplacement à pied n’y parviennent, épuisés, que le 27 mai au soir, ayant été retardés
en cours de route par diverses alertes. Le lendemain, dimanche de Pentecôte, au petit
matin, La Borie-La Parade est encerclée par les troupes d’occupation de Mende, les
Arméniens de l’Ost Legion. À 16 heures, alors que les assaillants ont seulement
8 morts, on déplore la perte de 25 maquisards tués, dont Barot. Les munitions s’épuisant, 27 hommes, dont la moitié est blessée, se rendent, promesse leur ayant été
faite d’être considérés comme prisonniers de guerre ; ils seront emmenés à Mende,
livrés à la Gestapo, torturés et fusillés le lendemain, à La Tourette, une commune de
Badaroux. Pendant la nuit du 28 au 29 mai, sur place, des soldats de la Wehrmacht
venus de Millau pour assurer la relève et effectuer le ratissage tuent encore, ici ou là,
9 maquisards. Les pertes sont lourdes : 61 morts, dont quatre Allemands et
l’Autrichien. Rares sont les rescapés ; parmi ceux-là, trois Allemands rejoindront
leurs camarades à La Baraque.
Du 30 mai au 6 juin 1944, les maquisards du groupe Otto Kühne, rattaché aux
MOI, doivent faire face aux Waffen SS d’Alès. Ces derniers – des Français, en
dehors des chefs – utilisent dans le secteur, contre les agents de liaison ou les
petits groupes, une tactique particulière : déguisés en maquisards ou se faisant passer pour des résistants, ils se déplacent à deux ou trois voitures, enlèvent l’un
d’eux et, sous la torture, se font indiquer un point de chute, un rendez-vous ou
une cache. Ainsi disparaissent quatre agents de liaison allemands, dont deux femmes qui, après avoir été affreusement torturées, sont jetées dans le puits de mine
de Célas, avec 30 autres résistants. Un terme sera mis à l’activité de ces Waffen SS
le 5 juin, à proximité du Collet-de-Dèze : une embuscade leur est tendue alors
qu’ils circulent – en uniforme, cette fois – dans trois voitures, et, sur 17, 14 d’entre eux seront tués. Face à face, des Waffen SS français avaient trouvé des maquisards allemands… Ce soir-là, un paysan cévenol devait dire à Otto Kühn : “Avec
vous, nos camarades allemands, nous avons aujourd’hui battu les Boches.” Cela ne manquait pas de sel, puisque “ces Boches”, en l’occurrence, étaient des compatriotes
français sous uniforme nazi…
Des Cévennes libérées à la libération de Nîmes
Le 6 juin, Waffen SS et miliciens viennent incendier le hameau de La Rivière, près
duquel avait eu lieu l’embuscade. Mais, ce soir-là, commence à circuler la nouvelle
du débarquement en Normandie. Dès lors, les troupes d’occupation et leurs collaborateurs ne se risquent plus guère à traverser les Cévennes, qui sont pratiquement libérées. Les maquis s’étoffent et se structurent, alors que des parachutages d’armes – bien
tardifs – viennent compléter l’équipement. Les antifascistes allemands, rejoints par
quelques déserteurs de la Wehrmacht ou de l’organisation Todt, constituent l’essentiel de la 104e compagnie, dite “Compagnie allemande”, dirigée par Martin Kalb.
Cette 104e compagnie va prendre part dans le Gard aux combats de la Libération.
Dans la soirée du 23 août, cinq compagnies, dont la 104e, enfermées dans un train
de marchandises déclaré “Transport de la Wehrmacht”, sont dirigées, depuis
Alès, vers Nîmes, et rassemblées pendant la nuit à ses abords immédiats. Le lendemain matin, c’est l’entrée dans la ville. Le Sarrois Norbert Beisacker descend
l’emblème à croix gammée qui flotte au fronton de la caserne Montcalm pour le
remplacer par le drapeau tricolore. À proximité, Richard Hilgert et Hermann
Leipold, depuis leur nid de mitrailleuse, prennent à partie une colonne de la
Wehrmacht en retraite. Accrochée et stoppée, celle-ci est neutralisée, et les blessés ne seront pas peu surpris d’apprendre plus tard, à l’hôpital, de la bouche de
Martin Kalb, la part que des Allemands antifascistes avaient prise dans leur
défaite.
Le 4 septembre 1944, la 104e compagnie prendra part, à Nîmes, au défilé de la
Libération, Norbert Beisacker portant le drapeau tricolore.
■
Article déjà paru dans la revue Hommes & Migrations, n°1148, novembre 1991
1. Éveline et Yvan Brès sont les auteurs de Carl Heil, speaker contre Hitler, les Éditions de Paris, 1994 et d’Un maquis
d’antifascistes allemands en France (1942-1944), les Presses du Languedoc, Max Chaleil éditeur, 1987.
2. Palmier, Jean-Michel, /Weimar en exil/, Payot, 1988.
3. En particulier quatre professeurs du cours complémentaire de Marjevols : H. Cordesse, qui sera préfet de la Lozère à la
Libération ; J. Huber ; M. Pierret et L. Veylet, ce dernier relevé de ses fonctions par Vichy.
4. Il sera sous-préfet de l'arrondissement de Florac à la Libération.
5. Ils avaient connu les camps pyrénéens à l'issue de la guerre d'Espagne et autres camps d'internement créés à la déclaration
de guerre, les camps de "prestataires" en 1940, les camps de regroupement au moment de la débâcle, les GTE, etc.
6. Le pasteur Chaptal nous a écrit à ce sujet : "Il est vrai qu'à l'époque il m'arrivait d'avoir un revolver en poche (calibre 6,35).
Celui-ci remplaçait pour moi de cyanure. Ma seule arme véritable était la bible".
7. Et le pasteur Chaptal a toujours en mémoire l'air du "Chant de la Brigade Thälmann" qu'ils avaient ramené d'Espagne en
Cévennes et chantaient, entre autres, sous les châtaigniers.
8. Ces maquisards furent d'ailleurs généralement appelés les "MOI", voire les "MOÏ" (et non les FTPE).
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