Des maquisards allemands
dans les Cévennes
Par Éveline et Yvan Brès(1),
auteurs de plusieurs ouvrages.
La participation des Allemands antinazis à la Résistance sur le sol
de France a jusqu’ici été largement occultée : sans doute dérangeait-
elle l’imagerie “résistancialiste” de l’immédiat après-guerre.
Pourtant, le TA, c’est-à-dire le Travail allemand entre autres,
l’infiltration de la Wehrmacht et des services administratifs
de l’occupant par des Allemands et des Allemandes antifascistes –,
a lui aussi contribué à la libération de la France : des maquisards
allemands ont pris part aux combats pour la liberté. C’est l’histoire d’un
maquis composé essentiellement d’Allemands une quarantaine
qu’Eveline et Yvan Brès relatent ici, depuis les camps d’internement
français jusqu’à la libération de Nîmes, en août 1944.
Jeunes patriotes et Antifascistes allemands dans la clandestinité, Alpes-Dauphines, été 1944 ©
Musée de la Résistance Nationale - Champigny-sur-Marne
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Tout le monde s’accorde pour reconnaître une très grande hétérogénéiparmi les
émigrés allemands des années trente(2), et ceux dont nous allons parler n’en consti-
tuent qu’une catégorie particulière. Pour la plupart, communistes engagés, ils
avaient quitter leur pays dès le début de l’année 1933, l’incendie du Reichstag
ayant permis au nouveau pouvoir de préciser concrètement quelles étaient ses
intentions. Ils s’étaient réfugiés alors dans divers pays d’Europe, parfois, même,
provisoirement, en Sarre. En 1936 et 1937 beaucoup avaient rejoint les Brigades
internationales en Espagne et, à la fin de 1938 ou au début 1939, ceux-là avaient
reflué vers la France, avec leurs camarades espagnols, pour aboutir généralement
dans les camps pyrénéens.
Cependant, la Lozère allait dès lors, exceptionnellement, être aussi concernée : des
“ex-miliciens” – des ressortissants allemands – étant astreints à résidence à Saint-
Étienne-Vallée-Française dès le 23 décembre 1938 et certains étant internés à
partir du 14 février 1939 au camp d’héber-
gement de Rieucros, près de Mende, créé
pour recevoir tous les “indésirables” que l’on
ne pouvait expulser de France.
À la déclaration de guerre, les Allemands
émigrés restés en France étaient regroupés
dans des camps. Leurs compatriotes qui
avaient combattu en Espagne auraient sou-
haité pouvoir s’engager dans l’armée fran-
çaise pour se battre contre les nazis. Mais on
ne leur offrait qu’une possibilité : la Légion étrangère, qu’ils refusèrent. Au début
de l’année 1940, on créa un corps intitulé “les prestataires”, formé de ces exilés qui
allaient au sein des CTE, les Compagnies de travailleurs étrangers participer
sur divers chantiers ou dans diverses usines à des travaux, notamment de défense
nationale.
Lors de l’invasion par la Wehrmacht, ces Allemands exilés connurent l’exode vers
le sud de la France et furent regroupés dans des camps, comme par exemple celui
de Langlade, à 12 kilomètres à l’ouest de Nîmes. Par la suite, ils devaient être rat-
tachés à des GTE, les Groupes de travailleurs étrangers, qui avaient un double but,
tout d’abord de contrôle et de surveillance, mais aussi de mobilisation d’une
main-d’œuvre : les travailleurs étrangers furent ainsi employés dans diverses
entreprises auprès desquelles ils étaient souvent détachés. Au début de
l’automne 1942, il y avait, dans le Gard et la Lozère, deux GTE : le 805e, qui avait
son centre à Rochebelle, un quartier d’Alès, et le 321e, à Chanac, situé à une ving-
taine de kilomètres à l’ouest de Mende.
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Lors de l’invasion
par la Wehrmacht,
ces Allemands exilés
connurent l’exode vers
le sud de la France
et furent regroupés
dans des camps.
L’occupation de la zone dite “libre”
Le 11 novembre 1942, les troupes d’occupation nazies envahissent la partie méri-
dionale de la France, restée jusque-là “zone libre”. Dès lors, l’insécurité grandit
encore pour les antifascistes allemands, et en particulier pour ceux qui dépendent
des GTE, ils sont fichés sous leur véritable identité.
C’est ainsi qu’un certain nombre d’entre eux seront pris ou s’évaderont et, si l’on
compare les effectifs du camp de Chanac entre le 17 juillet 1941 et le 15 décem-
bre 1942, le constat montre une diminution sensible des personnes présentes : les
Allemands passent de 64 à 42, les Sarrois de 35 à 28, les apatrides de 20 à 14, les
Autrichiens de 18 à 12. Par contre, les Espagnols, que l’on intègre depuis peu dans
les GTE, sont passés de 5 à 67.
Pendant les mois qui suivent, la région du Collet-de-Dèze, avec Pénens comme
pôle d’attraction, sert de refuge à plusieurs exilés allemands, soit en situation régu-
lière – détachés du 321eGTE en tant que bûcherons –, soit en situation irrégulière
s’ils ont déserté leur groupe, qu’il s’agisse du 321eou du 805e. Certains sont
orientés vers le secteur huguenot, par la filière des pasteurs résistants avec, pour le
départ, les pasteurs Joseph Bourdon à Mende et Franck Salles à Alès, et, pour l’ar-
rivée, le pasteur Marc Donadille, à Saint-Privat-de-Vallongue. Ce dernier intèg-
rera le communiste allemand Richard Hilgert, venu de Rochebelle, dans la cho-
rale du temple, pour les fêtes de Pâques de 1943 et aux côtés du secrétaire de la
cellule locale du parti communiste…
Par ailleurs, à la suite de l’occupation de la zone Sud, en janvier 1943, une direc-
tion du Travail allemand le TA pour le Sud se constitue à Lyon, avec une
antenne à Marseille ; cette direction lyonnaise du TA dispose d’agents de liaison
susceptibles de toucher les antifascistes dans les diverses régions.
Pendant ce temps, en Lozère, lhiver 1943 sera marqué par des arrestations de Juifs
ou d’antifascistes allemands. Heureusement, ces arrestations seront parfois contra-
riées par l’intervention de résistants français qui ont encore sur le ur de n’avoir rien
pu faire contre les rafles et déportations de Juifs au mois d’août précédent.
À l’approche de la mi-mars 1943, les résistants de l’organisation Combat(3) sont
informés par le NAP, le Noyautage des administrations publiques, que cinq antifas-
cistes allemands travaillant à l’aciérie de Saint-Chély-d’Apcher, Otto Kühne un
ancien député communiste de Reichstag en tête, doivent être arrêtés le lende-
main. Un asile leur est procuré à Bonnecombe, à 25 kilomètres de Marvejols, dans
une baraque de bûcherons, à 1 300 m d’altitude. Un autre Allemand du 321eGTE
rejoint rapidement le groupe, qui constitue alors le premier maquis de la zone
Gard-Lozère.
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Le 13 mars, à Pénens, deux bûcherons sont arrêtés par les Feldgendarmen ; leurs
camarades sont prévenus que leur tour ne saurait tarder. Dès lors, ils doivent plon-
ger dans la clandestinité, mais ils restent dans le secteur en attendant que soit trou-
vée une solution. Tout le monde se mobilise, la direction du TA à Lyon et son
représentant à Nîmes, le pasteur Donadille, le percepteur du Collet-de-Dèze,
responsable de Combat(4), les résistants communistes et socialistes. Quand les exilés
allemands évoqueront plus tard leurs souvenirs sur ces temps difficiles, ils noteront
tous le soutien qu’ils ont alors trouvé auprès de la population, qui n’a pas moins
conserqu’eux nombre de souvenirs émus : Finalement, ils pourront au mois de
mai se rendre sur des chantiers de bûcheronnage dans le sud de la Drôme Les
Baronnies avec l’apparence de la légalité car munis de « vrais faux papiers ».
Ainsi, pour les uns et les autres, c’en est fini de la vie dans des camps officiels (5).
Jusqu’en novembre 1943 la situation évolue peu. Les Allemands antifascistes,
malgré quelques alertes, trouvent la sécurité dans les chantiers forestiers de la
Drôme. Ceux du maquis de Bonnecombe continuent à bénéficier de l’aide de la
Résistance lozérienne, malgré les coups très durs qui la frappent durant cette
période. Ils sont toutefois obligés de changer de lieu à deux reprises.
Regroupement au maquis dans les Cévennes
Fin novembre 1943 la Résistance lozérienne décide de transférer les maquis de
Haute-Lozère dans la région la plus propice des Cévennes. C’est le pays du schiste,
du Camisard et du châtaignier, ainsi que des « chazaus » — les fermes abandonnées,
nombreuses à cette époque. Les maquisards allemands, notamment, y trouvent des
conditions exceptionnellement favorables : le relief ; une population huguenote
prête à sympathiser pour avoir connu elle-même la persécution entraînant la résis-
tance ou l’exil ; l’arbre à pain ; le tout assorti à des possibilités de logement, le niveau
de (dé)population se trouvant à un seuil permettant encore provisoirement l’accueil
des étrangers à la région. Ils vont être là comme des poissons dans l’eau.
Ainsi au début de 1944, Otto Kühne et ses camarades, accompagnés de quatre fran-
çais dont Louis Veylet, s’installent dans les maisons vides du hameau déserté de La
Fare, qui domine la haute vallée du Gardon de Saint-Germain (de Calberte), rejoi-
gnant ainsi le maquis dirigé par François Rouan, dit « Montaigne », lui aussi ancien
des Brigades internationales, d’où son appellation de « Brigade Montaigne ».
Dès lors la direction du TA à Lyon, ayant conservé la liaison avec Otto Kühne,
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décide de profiter de cette occasion pour rassembler là, sous l’autorité de celui-ci,
les antifascistes allemands qui, faute de connaître suffisamment le français, ris-
quent d’être arrêtés à tout moment et ne peuvent faire du renseignement ou de la
propagande auprès des troupes d’occupation, mais qui, en tant qu’anciens des
Brigades internationales, sont tout désignés pour participer à la lutte armée. Ainsi
les agents de liaison vont battre le rappel. Le 5 février 1944 arriveront de Séderon
les derniers bûcherons de la Drôme revenant dans les Cévennes pour rejoindre le
maquis. Ils y trouveront vingt à vingt-cinq de leurs camarades déjà regroupés, et,
dans une ferme voisine, deux allemandes, anciennes des Brigades internationales
qui vont jouer le rôle de courrier et d’infirmière.
La Brigade Montaigne va finalement être composée en très grande majorité
d’Allemands, plus trois Autrichiens, un Luxembourgeois, deux ou trois
Espagnols, deux Tchèques et deux Yougoslaves. Quant aux Français Louis
Veylet et ses trois camarades venus avec lui
de Haute-Lozère ayant été arrêtés le 27 jan-
vier par deux gendarmes du Collet-de-Dèze
et mis en prison ils ne sont représentés,
outre Montaigne, que par un jeune pasteur
que les maquisards allemands décriront plus
tard comme ayant la bible à la main et un
revolver en poche. C’est le pasteur Pierre
Chaptal(6). Celui-ci, encore étudiant en théologie, desservait à l’origine tout un sec-
teur de Résistance, avec ses maquisards et ses réfractaires au STO il s’est alors plus
particulièrement attaché au maquis de La Fare. C’est avec beaucoup d’émotion
qu’il nous parle aujourd’hui des Allemands qu’il y côtoyait : “J’avais vingt ans, et ce
qui m’a le plus impressionné, c’était de me trouver parmi des hommes dont certains avaient
l’âge d’être mon père, des hommes qui je le savais avaient déjà derrière eux dix ans de
lutte contre le national-socialisme(7), car ils étaient pour la plupart d’idéologie marxiste. À l’é-
poque, je ne savais trop ce que représentait le marxisme; je ne le connaissais, bien sûr, qu’à tra-
vers les livres. Mais ce que je savais, cest que j’avais à faire à des hommes qui avaient cruel-
lement souffert pour leurs idées… et qui étaient disposés à entendre un jeune de mon âge leur
parler de sa foi et de ses raisons de sistance. Le jeu était un peu inégal, mais, très vite, ces
Allemands ont su gagner mon affection parce qu’ils m’ont ouvert leurs bras en disant : Mais
tu es des nôtres !’
“J’étais fasciné en les écoutant me raconter dans quelles circonstances ils avaient dû quit-
ter leur pays. L’un d’eux, par exemple, avait partir d’Allemagne précipitamment, lais-
sant sa femme et ses enfants ; il savait déjà que sa femme risquait d’être prise et envoyée
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Il se peut que nos
enfants soient en face,
mais ça ne fait rien !
La lutte vaut plus que
nos enfants.
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