L’adhésion cellulaire,une sonde de l’environnementmécaniquedanslestissus
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donne lieuàuncomportementcellulaireprécis.Ainsi,
sur unsubstratdontlarigiditéexcède quelquesdizaines
de kPa, lescellulesétablissentdesadhésionsstablesdans
le tempsetde taille notable (plusieurs µm2 ,cesontles
zonesbrillantesde lafigure2a ,comme celle pointée parla
flèche rouge). Cetype particulierd’adhésions,appelées
adhésionsfocales ,déclenche une cascade de réactionschi-
miquesquiinfluencel’expression génique,laproliféra-
tion etlasurvie cellulaire. Bien aucontraire,pour des
substrats plus souples,on observedesadhésionstransi-
toires,comme l’illustrelafigure2b:lespoints fluores-
cents,de taille inférieureauµm2comme celuipointépar
laflèche verte,ontdesduréesde vie inférieuresàla
minute. Cesadhésionstransitoiresvontde pairavecla
miseenmouvementde lacellule. Ilapparaîtdoncqueles
cellulesdestissus sondentlespropriétésmécaniquesde
leur environnementetyadaptentleur activitéchimique.
Lesmécanismesàl’origine de lasensibilitédescellu-
lesdestissus aux propriétésmécaniquesde leur environ-
nementfontaujourd’huil’objetd’intensesrecherches,à
lafoisauniveaumoléculaireavecl’aide d’outilsbiochimi-
ques,etàl’échelle de lacellule grâceaudéveloppementde
techniquesd’application etde mesuredeforceslocales
(voirparexemple l’article de B.Ladoux danscenuméro,
p. 94). Notrecontribution iciest de proposerunmodèle
purementmécaniquepour comprendrecomment,parle
biaisde sesjonctionsadhésives,une cellule déposée sur
unsubstratpeut sonderson environnement.Cemodèle
supposel’existenced’uncomplexeprotéiquelocaliséde
manièrehomogène danschacune desadhésions,qui
déclenche une activitédesignalisation en réponseàsa
déformation mécanique. Nous proposonsdoncl’exis-
tenced’un«mécano-senseur »présentdanschaquesite
adhésif. Nous montronsqu’untel scénario rend compte
de ladynamiqueobservée desadhésionsetouvredenou-
veaux horizonssur lacompréhension ducouplage entre
adhésion etréponsecellulaire.
Dupointde vuedelaphysique,cemodèle interroge
le(s)principe(s)quigouverne(nt)ladynamiqueàl’échelle
de lacellule. Lescellulespossèdenten effetunréservoir
d’énergie quasiillimité,quifaitqueleur évolution n’est a
prioripasguidée parlarelaxation vers unéquilibre. Dans
le cadredecescénario,nous montronsqueladynamique
desadhésionssemble êtrecontrôlée parlaquantité
d’énergie quelacellule investitpour fairevarierlataille
dusiteadhésif :l’adhésion ne granditquesil’ajout d’un
élémentrapportedel’énergie àlacellule. Cecisedifféren-
cie desmécanismesde croissancedessystèmesinertes
comme parexemple lescristaux,oùdanscecasladyna-
miqueest contrôlée parlavariation dupotentiel chimique
desatomesindividuels.
Lesadhésionsfocales,desjonctions
adhésivessous contrainte
Lescellulesanimalesontleur forme fixée parl’analo-
gued’unsquelette,le cytosquelette. Cederniersecompose
de polymèressemi-rigides,parmi lesquelslesmicrotubu-
les(longueur de persistance1de quelquesmillimètres)et
lesfilaments d’actine (longueur de persistancedel’ordre
de 17µm). Contrairementàunsqueletteosseux,lachar-
pentedescellulesest dynamique. La dynamiqueentrela
polymérisation/dépolymérisation de cesfibrespermetàla
cellule d’adaptersaforme oude sedéplacer.Maislaprinci-
pale fonction ducytosquelettequinous intéresseiciest
son aptitude àexercerdesforces:le cytosqueletteest àla
foisle squeletteetle muscle de lacellule.
Commentcesfibresexercent-ellesdesforces?Enpre-
mierlieu,grâceàlapolymérisation. Attachéesàune extré-
mité,l’ajout d’unmonomèreàleur autreextrémitése
traduitparune forcedepoussée pouvantatteindre10pN.
Ensecond lieu,certainesprotéines,lesmoteurs molé-
culaires,sontcapablesde fairecoulisserune fibreparrap-
port àl’autre,comme dansunmuscle. Cemécanisme
permetde développerdesforcesde l’ordrede1.5 pNpar
moteur.
Lecytosqueletted’actine joueunrôle-clé dansl’adhé-
sion cellulaire. Lesadhésionsfocales,quisontcesadhé-
sionsstablesobservéeslorsquelacellule est déposée sur
unsubstratrigide (figure2a ),ysontconnectées.Parle
biaisde moteurs moléculaires,cecytosqueletteexerceune
forcedetraction sur le siteadhésif,comme schématisé
sur lafigure3.Cetteforcedetraction semble êtreassimila-
ble àune contrainteconstante,de l’ordrede5nN/ µm2:
plus l’aired’adhésion est grande,plus laforcetotale exer-
cée parlacellule est élevée. Chaquesiteadhésif exerce
ainsiune forcecompriseentre10et30nNsur le substrat.
C’est cettecapacitéàtirersur le substratquipermetaux
cellulesde sonderlespropriétésmécaniquesde leur envi-
ronnement.Eneffet,lescellulesdontl’activitédemoteurs
moléculairesciblésest inhibée (etquidoncn’exercent
plus de forcessur leurs adhésions)nesontplus capables
de formerd’adhésionsfocales.Ilneresteplus quedes
adhésionsextrêmementtransitoires,cequiproscritla
miseenmarche de lamachinerie de division cellulaireou
de différentiation.
Figure2–La morphologie desadhésionsdiffèresuivantlespropriétésméca-
niquesdusubstrat.(a)Adhésionsfocalessur unsubstratrigide (40kPa). (b)
Adhésionstransitoiressur unsubstratmou(3.5kPa). Barre:10µm.Extrait
de Pelhametal.,PNAS, 94,13661(1997).
1. Longueur en dessous de laquelle le polymèreapparaîtcomme rigide.