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Conquérir et aménager l’espace
Etablissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles – www.chateauversailles.fr
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doit se réorganiser à l’intérieur d’un territoire fragmenté. « Les droits chemins sont bornés par les mu-
railles dudit parc et les vendeurs obligés de faire de grands tours » (Vincent Maroteaux).
Cette croissance se fait aussi au détriment de domaines existants qui peuvent être rognés (bien
d’abbayes, de duchés, de marquisats…), ou simplement absorbés. Parfois, cette extension est paral-
lèle à celle de propriétaires voisins. Avec le futur chancelier Philypeaux par exemple, le souverain
échange des biens dans le Grand Parc. Dans tous les cas, il s’agit de réduire les enclaves et de clari-
fier la délimitation du domaine, le roi ayant toujours affirmé son caractère privé.
Les tracés de Le Nôtre assurent le lien avec le château : ils sont premiers dans le processus de
restructuration territoriale. Le plan d’extension de la ville, conçu en 1786 en garde la trace.
Pour suivre la constitution du domaine de Versailles dans le temps, cliquer sur ce lien.
Jardin, parc et « grand-paysage »
Qu’en est-il des jardins ?
Pour Pierre-André Lablaude «… l’apport du célèbre jardinier apparaît tout à fait considérable dans le
passage du jardin fermé au jardin ouvert, du jardin au paysage, la conquête de l’horizon, la colonisa-
tion de l’espace éloigné, le tramage du territoire ou l’ouverture des perspectives… ».
La véritable nouveauté, est l’ampleur de l’application du jardin régulier et l’ouverture totale sur le pay-
sage, des jardins puis du parc, sans que le regard ne s’arrête sur une quelconque clôture. Les traités
de jardinage publiés avant que Le Nôtre ait vraiment percé marquent bien la différence : entre celui
de Boyceau en 1638, d’André Mollet en 1651 et le traité de Dézalier d’Argenville publié neuf ans après
la mort du grand jardinier en 1709, le jardin ouvert sur le paysage n’est plus celui de la quadrature qui
fait dialoguer la nature avec l’art dans son enceinte : la nature étant repoussée au-delà de celle-ci.
À l’âge baroque, le changement est considérable. « Je ne trouve rien de plus divertissant ni de plus
agréable dans un jardin qu’une belle vue et l’aspect d’un beau pays », dit Dézallier qui veut découvrir
« un grand nombre de bois, de rivières, de coteaux, de prairies ». Or nous savons que Le Nôtre
n’ayant pas laissé de traité, Dézallier est celui qui retransmet le mieux sa pensée, même si c’est de
façon fragmentaire.
Au XVIIe siècle, les grandes perspectives caractérisent le paysage construit le long d’axes majeurs de
composition. En Île-de-France, la faible inclinaison des terrains ne permet généralement pas
d’élaborer directement des vues plongeantes sur des cascades architecturées ou autres déclivités très
prononcées. À Versailles, sur trois kilomètres, le dénivellement n’est que de trente mètres, soit 1%.
Mais ce n’est pas ainsi que nous le percevons dans notre expérience de promeneurs.
De par sa formation familiale, mais aussi ses responsabilités de contrôleur des Bâtiments du roi qui
impliquent une grande connaissance des chantiers en cours, Le Nôtre maîtrise l’arpentage, le nivelle-
ment et toutes les questions d’ingénierie hydraulique. Il possède donc toutes les connaissances théo-
riques (son long séjour chez Simon Vouet le forme à la géométrie optique) et pratiques lui permettant
de mettre en œuvre sa vision des jardins conçus comme un investissement du territoire. Nous ne
devons pas oublier que durant la première moitié du XVIIe siècle, les ouvrages d’éducation « com-
mencent toujours par la cosmographie, se poursuivent par des notions de géographie et s’achèvent
sur les techniques d’arpentage et l’art des fortifications. Pour paraphraser les pères Arnaud et Nicole
de Port-Royal, ces deux derniers aspects sont les figures essentielles du discours territorial classique,
en quelque sorte, une grammaire de la transformation de l’espace où le travail sur la déclivité, les
ressauts et la vision lointaine est essentiel » (Thierry Mariage).
De plus, grand collectionneur d’œuvres majeures, son immense talent a obligatoirement été nourri par
sa connaissance des tableaux de Claude Lorrain, Paul Bril ou l’Albane, tous peintres paysagistes dont
il partageait le goût avec le roi. En 1693 ne lui offre-t-il pas le Port de mer au soleil couchant du Lor-
rain ?