
Interview
L’hyperspécialisation de la chirurgie de demain
Chirurgien urologue, Professeur à l’Université Paris Descartes,
Membre de l’Académie Nationale de Chirurgie, fondateur et président
de l’École Européenne de Chirurgie, Guy Vallancien nous livre sa vision
de la chirurgie de demain.
L’hyperspécialisation de la chirurgie
est-elle inéluctable ?
G. V. L’hyperspécialisation en chirurgie est, en
effet, un évènement inéluctable qui ne fera que
s’amplier parce que les techniques sont de
plus en plus complexes et les instruments
de plus en plus divers. Le chirurgien ne peut
plus opérer comme il le faisait auparavant.
Au sein de sa spécialité, il devra développer
des compétences dans un domaine précis. Si
l’on prend l’exemple de l’urologie, certains pra-
ticiens prennent en charge les cancers, d’autres
les incontinences urinaires ou le traitement
des calculs. Ils sont de plus en plus focali-
sés sur un nombre restreint de pathologies
avec des moyens spéciques. Ce sont donc
de véritables équipes opératoires qu’il faut ras
-
sembler dans les blocs modernes.
L’hyperspécialisation passe
par des changements technologiques,
quels sont-ils ?
G. V. La chirurgie a largement bénécié des
progrès dans les domaines de l’informatique
et de la robotique. Nous allons voir émer-
ger de véritables «ingénieurs opérateurs»
qui seront des médecins totalement formés à
la technologie, et même pour certains actes
chirurgicaux spécifiques, à une machine
donnée. Il faut toutefois comprendre que la
valeur ajoutée du médecin réside dans la
décision de l’acte et dans la prise en charge
globale du patient, mais pas seulement
dans la réalisation du geste.
Quel nouveau rôle pour le chirurgien ?
G. V. La valeur ajoutée du médecin peut sembler
faible en quantité mais importante en qualité. Le
malade recherche aujourd’hui une forte capa-
cité d’écoute et d’empathie de la part de son
médecin pour lui permettre d’être mieux guidé
dans sa décision. C’est pourquoi le praticien
doit retrouver une certaine disponibilité pour
se concentrer sur les actes pour lesquels sa
valeur ajoutée est forte. Aux USA ou au Japon,
par exemple, ce sont les Inrmiers Anesthésistes
qui se chargent des sutures nes et, dans le cas
de la chirurgie coronaire, des prélèvements de
la veine saphène, et non le chirurgien.
Comment cette hyperspécialisation
s’intégrera-t-elle dans les structures
de soins ?
G. V. L’évolution dans le temps se fera vers
le regroupement des acteurs. Les chirur-
giens devront se regrouper pour atteindre
une taille critique permettant d’assurer la
totalité de la prestation liée à la spécialité.
Toutefois cela ne signie pas la mise en place
d’un cloisonnement de la chirurgie comme
certains le craignent. Ces équipes hyperspé-
cialisées auront ainsi la possibilité d’évoluer
plus facilement vers d’autres techniques. Les
salles d’opération seront alors redistribuées
en plates-formes interventionnelles dans les-
quelles les différents spécialistes (radiologues,
chirurgiens, anesthésistes…) pourraient œuvrer
avec leur matériel spécique (scanner, IRM).
On devrait assister à une révolution consi-
dérable de la structure même des hôpitaux
et des cliniques qu’il faudrait concevoir dif-
féremment. Parallèlement, des écoles de for-
mation appropriées aux nouveaux outils infor-
matiques et d’ingénierie vont se développer. La
simulation commence d’ailleurs à s’implanter
dans les universités avec la mise à disposition
de simulateurs anatomiques.
Quelle va être la place du patient
dans ce système de soins ?
G. V. Le patient est aujourd’hui au cœur du
système de soins. Ses attentes évoluent.
Il ne se contente plus d’être fataliste
et reconnaissant. L’évolution des tech-
niques et l’amélioration constante des
résultats le poussent à espérer le risque
«zéro». Pour faire évoluer un système de
santé, il nous faut nous intéresser avant tout
au «résultat patient» qui va nous guider
vers la bonne réforme. Certains retours
d’information lors de réunions « médecin/
patient» que l’on avait organisées, nous ont
fait modier nos pratiques. Un des exemples
a été l’angoisse de la sortie, que l’on mesurait
mal, et que nous avons prise en compte. Par
ailleurs, de nombreuses mises en cause
sont dues à des comportements ou à une
relation médecin/patient de mauvaise qua-
lité. Pour exemple, annoncer un cancer ou
une complication ne s’invente pas mais doit
s’apprendre. La mise en place de média trai-
ning serait d’ailleurs très utile pour limiter les
mises en cause.
Quelle est la principale conséquence de
cette hyperspécialisation en matière de
responsabilité ?
G. V. La responsabilité devient nécessai-
rement une responsabilité par équipe et la
formation spécique de chacun amènera à plus
de sécurité. L’évolution des praticiens se fera
vers des compétences médicales plutôt que
chirurgicales. •
Actualités
La valeur ajoutée
réside dans sa
décision de l’acte
et dans la prise
en charge globale
du patient.
Pour faire évoluer
un système de
santé, il nous faut
nous intéresser avant
tout au « résultat
patient » qui va
nous guider vers
la bonne réforme.
Guy Vallancien
Chirurgien urologue
Colloque
du 12 octobre
2013
De gauche à droite: Frédéric Bizard,
Économiste de la Santé. Dr Antoine
Watrelot, Président d’Asspro. PrJean-
Luc Harousseau, Président de la HAS.
DrPhilippe Cuq, Président de l’UCDF.