Dans ce contexte, l’éthique représente à la fois l’horizon de la relation
théorie/pratique et de la relation formation/sujet. Elle est comprise en tant que
démarche d’“interrogation d’un sujet sur la finalité de ses actes (…) interrogation
qui le place d’emblée devant la question de l’Autre” (Meirieu,1991, 11) et devient
expérience éthique au moment où le sujet fait un «retour au-dedans de lui-
même»(Fortin, 1993), s’engage dans une «pratique de soi», c’est-à-dire agit sur
lui-même, entreprend de se connaître, se contrôle, s’éprouve, se perfectionne, se
transforme (Foucault, 1984). Cette expérience est décrite par Fortin (1993) comme
une brèche qui s’entrouvre sur l’expérience morale normative, une
autodétermination qui permet au sujet d’élaborer son projet transformateur de lui-
même et qui l’entraîne à traverser les épreuves de l’étrangeté, de la dérive hors
norme, du vide et de la réponse. C’est le processus de l’advenir d’un sujet avec
d’autres. On saisit alors que la réflexion et l’expérience éthique dépasse la
déontologie, dimension plus normative, pour rejoindre la question du sujet et du
sens de l’agir humain (Gohier, 1997) et ainsi s’inscrire de plein fouet dans un acte
de formation qui fasse partie d’une praxis.
La praxis se conçoit également en tant qu’acte de penser et d’agir en solidarité (Gadamer,
1990). Une solidarité interne entre la théorie et la pratique, la pensée et l’agir. Une
solidarité interne entre ce que je suis et ce que je puis devenir, “soi-même devenant autre”
(Giroux, 1997), mais aussi, une solidarité externe dans une rencontre véritable avec l’autre
et les autres. Cette praxis ouvrirait sur le “possible” et sur une relation éducative qui
pourrait se développer “entre sujets engagés chacun pour leur part dans un processus dont
la visée n’est plus l’achèvement mais un état d’inachèvement” (Imbert, 1985, 7). La praxis
constitue ainsi une “pensée agissante”, “une action de la pensée” éminemment bousculante
au plan institutionnel et politique.
Cette dynamique s’est opérée concrètement par le travail d’auto- et de co-
formation soutenu par la lecture-écriture-réécriture et la médiation de l’autre et des
référents culturels. Je tenterai de témoigner de ce parcours qui fut le mien en le
structurant selon les segments de spirales que j’ai pu identifier comme les plus
significatifs aux plans expérientiel et réflexif et dans leurs interactions mutuelles.
«Dans ce miroir je suis enclos»[2]
Premier tour de piste : le «mal» et l’indignation
Mon premier tour de piste au plan expérientiel s’est réalisé autour de mon rapport
au «mal.» J’ai toujours vécu avec le sentiment profond d’être unie à l’humanité
tout entière. L’aliénation, la souffrance des autres sont miennes, tout autant que
leur émancipation, leur mieux-être. Déjà toute petite, je constate que le mal (ou le
manque d’amour) existe autour de moi: la guerre, la faim, la course aux
armements, les abus, exploitations et injustices de toutes sortes, la dégradation de
l’environnement, etc. Non seulement je constate les manifestations du «mal,» mais
j’observe également, qu’à différents moments, une partie du monde provoque et/ou
assiste au spectacle de la misère de l’autre sans se sentir liée à son destin.
Inversement, je me sens personnellement interpellée, concernée et responsable par
tout et de tout ce que je considère injustifiable au plan moral. Toutes ces
aberrations, ces manques éthiques, liés au silence désespéré et désespérant de mes
éducateurs devant mes questions insistantes, ainsi que mon propre silence et mon
inaction devant les faits provoquent mon indignation. C’est dire que si longtemps
j’ai cru que c’était le manque d’éthique des autres qui causait principalement ma