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Léger, D. (Fall 2005). Comme on imagine les anges et non comme sont les reflets. Essai de réintégration de
l’ombre dans une praxis éducative Educational Insights, 9(2).
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Comme on imagine les anges et non comme sont les reflets.
Essai de réintégration de l’ombre dans une praxis éducative
Diane Léger
Université du Québec à Rimouski, P.Q
Le témoignage d’un segment de parcours de formation personnelle et professionnelle
Les éducateurs forment-ils des personnes adaptées à la culture et aux normes sociales
portées par une morale ou des sujets qui adviennent à eux-mêmes dans une position
éthique? Face à cette question occultée mais centrale en éducation, tant dans la perspective
de l’éducateur que de l’éduquée, j’ai pris le pari de l’éthique et me suis engagée dans un
processus qui m’a menée à travailler sur mon propre passage entre une éducation morale
(poièsis) et une éducation éthique (praxis). Un passage qui fait question non seulement
dans mon histoire singulière mais également dans la problématique plus générale des
finalités et des pratiques de l’éducation.
C’est dans une approche d’inspiration phénoménologico-herméneutique que s’est installé
de lui-même le travail d’écriture d’une praxis éducative. Il s’agit d’un travail concomitant
d’élaboration intellectuelle au coeur des concepts en jeu (éducation, morale, éthique, praxis,
ombre) et d’approfondissement en soi du sens profond de l’expérience par des récits
autobiographiques, des extraits poétiques, journalistiques ou de correspondances
(indignation, peur, désir, silence, parole, création) en solidarité avec soi-même, les autres et
le monde. C’est ce travail d’écriture qui m’a menée au processus de réintégration de
l’ombre. Comme on imagine les anges et non comme sont les reflets,[1] c’est donc le récit
l’ombre. Comme on imagine les anges et non comme sont les reflets,[1] c’est donc le récit
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d’un parcours; celui d’un passage difficile de la morale à l’éthique, de l’image d’un soi-
objet à l’auto-création continuée d’un sujet à travers une démarche de recherche et de
formation. C’est un récit de devenir, un récit d’éducation. .
Je tenterai ici de témoigner des différents tours de piste réalisés au cours de la recherche et
de la rédaction de ce mémoire de maîtrise achevé en 1998. Le pari est gros, car la démarche
s’est poursuivie depuis dans le cadre d’une recherche doctorale orientée vers la formation
initiale à l’enseignement mais toujours dans le même mouvement, celui d’une praxis
éducative. Cette praxis éducative s’est imposée dans mon parcours personnel et dans mon
parcours professionnel de formatrice et de chercheure comme une façon de survivre à mon
indignation face aux absurdités, aux manques d’éthique d’une humanité dont je me sens
partie et responsable. Elle s’est présentée à moi comme une démarche éducative pour éviter
de sombrer dans le nihilisme ou dans le dogmatisme (Daignault, 1994) et tenter de créer de
nouveaux rapports avec moi-même, les autres et le monde.
La praxis éducative
Quelques précisions sur le concept de praxis éducative s’avèrent nécessaires pour
comprendre l’orientation, le sujet et la structure de ma démarche de recherche. La
praxis éducative, en tant que processus de formation dans une visée éthique, a
constitué le contexte théorique sur lequel s’appuie toute ma recherche. Qualifié de
philosophie pratique, ce concept est à la fois un ancrage fondamental de la visée
éthique et un principe structurant de cette même visée (Ricoeur, 1990). La praxis
éducative est une démarche qui ne trouve pas sa valeur dans la production d’un
résultat extérieur et prédéterminé, mais qui est fin absolue et action qui ne s’achève
jamais. La praxis est un «acte à travers lequel le sujet (…)non seulement exerce et
développe ses capacités, mais encore, ne cesse de s’auto-créer, d’ex-sister (sic), à
travers l’auto-création et l’ex-sistence d’un autre/d’autres sujets (Imbert, 1987,
19).
La praxis est un concept philosophique qui engage des rapports de réciprocité entre
la théorie et la pratique, mais également entre la formation et le sujet. Ces rapports
s’organisent autour d’une visée éthique, comme l’illustre la figure suivante.
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Figure 1: Schéma de la praxis en tant que concept unificateur.
La relation entre théorie et pratique est ici considérée en tant qu’unité entre la
philosophie et l’action (Gramsi, 1984) dans une dynamique entre
l’approfondissement de l’expérience singulière du sujet (la pratique), dans une
perspective phénoménologique, et l’élaboration dans les concepts (la réflexion
théorique), dans une perspective herméneutique. Le schéma suivant illustre cette
dynamique en deux spirales dont les mouvements sont liés l’un à l’autre dans la
praxis.
Élaboration
théorique
ancrée dans
les référents culturels
Approfondissement
expérientiel ancré dans la
singularité du sujet
Figure 2: La praxis et les spirales phénoménologique et herméneutique (Daignault, 1994)
La relation entre le sujet et la formation constitue quant à elle la réalité matérielle,
l’ancrage spatio-temporel dans lequel et avec lequel la praxis prend forme : le
pilier du projet transformateur. La formation est entendue ici dans son acception
existentielle d’une quête de sens indissociable du sujet qui la porte; qui correspond
à la visée phénoménologique d’ «apprendre à être» (Carré, Moisan, Poisson,
1997). Le sujet se forme dans un rapport à la fois direct (l’expérience sensible,
l’inscription du sujet dans l’espace) et un rapport réfléchi (l’expérience narrative,
son émergence dans la langue) à lui-même, aux autres et au monde. «Rendre
possible l’émergence d’un sujet de désir, capable de prendre les initiatives qui lui
permettront de s’accomplir comme personne dans l’estime de soi, la sollicitude
pour autrui et le respect des institutions quand elles servent la justice» (de Villers,
1994, 58-59), tel est l’objectif ultime de la formation du sujet dans une visée
éthique.
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Dans ce contexte, l’éthique représente à la fois l’horizon de la relation
théorie/pratique et de la relation formation/sujet. Elle est comprise en tant que
démarche d’“interrogation d’un sujet sur la finalité de ses actes (…) interrogation
qui le place d’emblée devant la question de l’Autre (Meirieu,1991, 11) et devient
expérience éthique au moment où le sujet fait un «retour au-dedans de lui-
même»(Fortin, 1993), s’engage dans une «pratique de soi», c’est-à-dire agit sur
lui-même, entreprend de se connaître, se contrôle, s’éprouve, se perfectionne, se
transforme (Foucault, 1984). Cette expérience est décrite par Fortin (1993) comme
une brèche qui s’entrouvre sur l’expérience morale normative, une
autodétermination qui permet au sujet d’élaborer son projet transformateur de lui-
même et qui l’entraîne à traverser les épreuves de l’étrangeté, de la dérive hors
norme, du vide et de la réponse. C’est le processus de l’advenir d’un sujet avec
d’autres. On saisit alors que la réflexion et l’expérience éthique dépasse la
déontologie, dimension plus normative, pour rejoindre la question du sujet et du
sens de l’agir humain (Gohier, 1997) et ainsi s’inscrire de plein fouet dans un acte
de formation qui fasse partie d’une praxis.
La praxis se conçoit également en tant qu’acte de penser et d’agir en solidarité (Gadamer,
1990). Une solidarité interne entre la théorie et la pratique, la pensée et l’agir. Une
solidarité interne entre ce que je suis et ce que je puis devenir, “soi-même devenant autre
(Giroux, 1997), mais aussi, une solidarité externe dans une rencontre véritable avec l’autre
et les autres. Cette praxis ouvrirait sur le “possible” et sur une relation éducative qui
pourrait se développer “entre sujets engagés chacun pour leur part dans un processus dont
la visée n’est plus l’achèvement mais un état d’inachèvement (Imbert, 1985, 7). La praxis
constitue ainsi une pensée agissante”, “une action de la pensée éminemment bousculante
au plan institutionnel et politique.
Cette dynamique s’est opérée concrètement par le travail d’auto- et de co-
formation soutenu par la lecture-écriture-réécriture et la médiation de l’autre et des
référents culturels. Je tenterai de témoigner de ce parcours qui fut le mien en le
structurant selon les segments de spirales que j’ai pu identifier comme les plus
significatifs aux plans expérientiel et réflexif et dans leurs interactions mutuelles.
«Dans ce miroir je suis enclos»[2]
Premier tour de piste : le «mal» et l’indignation
Mon premier tour de piste au plan expérientiel s’est réalisé autour de mon rapport
au «mal.» J’ai toujours vécu avec le sentiment profond d’être unie à l’humanité
tout entière. L’aliénation, la souffrance des autres sont miennes, tout autant que
leur émancipation, leur mieux-être. Déjà toute petite, je constate que le mal (ou le
manque d’amour) existe autour de moi: la guerre, la faim, la course aux
armements, les abus, exploitations et injustices de toutes sortes, la dégradation de
l’environnement, etc. Non seulement je constate les manifestations du «mal,» mais
j’observe également, qu’à différents moments, une partie du monde provoque et/ou
assiste au spectacle de la misère de l’autre sans se sentir liée à son destin.
Inversement, je me sens personnellement interpellée, concernée et responsable par
tout et de tout ce que je considère injustifiable au plan moral. Toutes ces
aberrations, ces manques éthiques, liés au silence désespéré et désespérant de mes
éducateurs devant mes questions insistantes, ainsi que mon propre silence et mon
inaction devant les faits provoquent mon indignation. C’est dire que si longtemps
j’ai cru que c’était le manque d’éthique des autres qui causait principalement ma
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j’ai cru que c’était le manque d’éthique des autres qui causait principalement ma
souffrance et celle du monde, je peux dire aujourd’hui que c’est également mon
propre manque d’éthique face à moi-même, comme face aux autres et face au
monde, qui m’indigne profondément. Paradoxalement, cette indignation est animée
par ma foi profonde en l’être humain et ainsi en l’éducation. Je voudrais mieux
comprendre ces refus d’être et de devenir, les miens comme ceux des autres, pour
pouvoir agir, pour pouvoir peut-être leur donner un sens et ainsi m’éduquer et
éduquer.
L’approche autobiographique m’a permis d’approfondir mon histoire singulière de
ce rapport au mal et m’a menée à élaborer une réflexion relative à cette expérience
qui soit ancrée dans les référents culturels, notamment autour des concepts de
morale, d’éthique et d’éducation, de telle manière que cette histoire singulière ait
pu faire écho dans l’histoire d’autres personnes ainsi que dans un domaine de
recherche particulier.
Second tour de piste: élaboration de la problématique de l’éthique et de sa
place en éducation (et plus particulièrement en formation des maîtres)
À partir de ce parcours expérientiel, mon deuxième tour de piste s’est amorcé
autour de la question suivante : «Comment faire pour développer une compétence
éthique chez les futurs enseignants afin qu’éventuellement, ces derniers puissent
faire de même avec leurs futurs élèves»? Cette question avait été soulevée par le
Conseil supérieur de l’éducation (1990) dans son rapport annuel 1989-1990 intitulé
«Développer une compétence éthique: une tâche éducative essentielle.» Ce rapport
inscrivait la problématique éthique dans la sphère publique québécoise. Au
moment où le contexte occidental contemporain est marqué par une crise des
fondements culturels, sociopolitiques et métaphysiques (Morin, 1997), le sens
éthique des décideurs mais aussi celui de chaque individu (Boivert et Olivier,
2000) est interpellé; l’école, les enseignants et leurs formateurs le sont également.
Dans ce rapport, le Conseil tentait de définir les grands axes de cette «compétence
éthique»de façon opératoire en proposant des pratiques pédagogiques susceptibles
de favoriser leur développement.
À partir des critiques formulées autour de ce rapport (Bégin, 1997) et de mes
lectures sur le concept d’éthique se dessine un nœud concernant cette façon
déductive et verticale de définir une compétence éthique et les conditions de son
développement à partir d’une position axiologique et contextuelle donnée.
Contrairement à la morale, l’éthique ne se situe pas dans une démarche logique et
déductive. Elle se situe plutôt dans le questionnement en amont de l’introduction
de l’idée de la loi morale (Ricoeur, 1985). Elle est “ interrogation d’un sujet sur la
finalité de ses actes (…) interrogation qui le place d’emblée devant la question de
l’Autre (Meirieu, 1991, 11). Il y a donc éthique quand parl’acte grave de
position de liberté un sujet s’arrache au cours des choses (arrachement) et
cherche à rompre les liens qui emprisonnent l’autre (déliement) et ainsiquand à
l’affirmation pour soi de la liberté, s’ajoute la volonté que la liberté de l’autre
soit (Ricoeur, 1985, 42-45).
J’en comprends que la réflexion éthique contemporaine dépasse largement le cadre
déontologique ou encore une compétence professionnelle déterminée et opératoire
(CSÉ, 1991; MEQ, 2001a), pour rejoindre la question du sens de l’action humaine
(Gohier, 1997, 199). Un sens qui est entendu dans son acception d’une direction,
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