Molière à la bonne franquette
Avant tout, il faut saluer la témérité de l’équipe des Galeries qui bravait les nuages
menaçants dans le ciel namurois jeudi soir, tandis que leurs collègues de plein air, dans les
ruines de l’Abbaye de Villers-la-Ville ou au Château du Karreveld à Bruxelles, jetaient
l’éponge face au crachin. Les Namurois invoqueront le microclimat de la région, d’autres
diront que les dieux du ciel ont un penchant pour Molière : une miraculeuse éclaircie a
accompagné la première du Médecin malgré lui dans la cour du Musée de Groesbeeck de
Croix.
Pour cette première escale d’une tournée prévue jusque fin août, la troupe a pu mesurer la
popularité de sa formule, sillonnant depuis 36 ans les demeures chic ou pittoresques de la
Belgique francophone. En effet, malgré les prévisions météo peu encourageantes, les
spectateurs étaient là, pressés les uns contre les autres sur des gradins bondés, avec une palette
d’astuces anti-intempéries dignes du plus expérimenté des scouts : capuches, cirés,
couvertures. Le déluge pouvait s’abattre sur Namur, on n’allait pas les déloger de leur théâtre.
Défi ultime aux foudres du ciel, la mise en scène de Bernard Lefrancq ouvre sur des draps
immaculés séchant sur une corde à linge. Mais ce rideau de scène improvisé est resté sec
tandis que Martine, épouse du bûcheron Sganarelle, vaquait à son ménage tout en fomentant
une vengeance contre son mari, pochetron à la main leste. Rencontrant deux bougres à la
recherche d’un médecin, elle leur dit que son époux est docteur, mais ne l’avoue qu’après
avoir été battu.
Hypocrite Hippocrate
Voici donc Sganarelle rossé et emmené chez Géronte, dont la fille, Lucinde, devenue
soudainement muette, doit être soignée. L’occasion pour Molière de railler une médecine plus
hypocrite qu’Hippocrate, cachant son ignorance sous un pompeux sabir latin. Et c’est parti
pour l’attirail habituel, entre saignées, clystères et quantité d’extravagances purgatives pour
perfuser la farce.
Quand on sait que Molière lui-même sillonnait les villages avec ses saltimbanques et son
théâtre de tréteaux avant de jouer pour le Roi, on ne peut qu’approuver la modestie joueuse du
spectacle des Galeries : un décor sans prétention, mais pas sans trappes et autres surprises
scénographiques, pour abriter une mise en scène à la bonne franquette, qui laisse tout
simplement opérer la bouffonnerie de Molière. On n’est pas tout à fait convaincue par les
intermèdes musicaux un peu bancals, mais la bonne humeur de la troupe est tout bonnement
contagieuse. Bref, un Médecin à prescrire.
Catherine Makereel, Le Soir, 16/07/2011