Contes chinois
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Je donne donc, ainsi qu'elles sont sorties d'un travail pénible pour
moi qui ne suis qu'un apprenti, ces traductions de quelques contes
chinois.
Ce qui frappe, au premier abord, c'est le caractère essentiellement
bourgeois de ces récits ; ici point de princesses sur des chars de feu,
point de cascades d'or, mais de bons rentiers, qui donnent des ordres à
leurs bonnes, font ranger avec soin les couverts après dîner, font
changer les places à table à l'arrivée d'un nouveau convive, s'occupent
du déménagement et du bail illusoire à faire avec un nouveau
propriétaire ; tout cela est bourgeois, c'est la vie de province de chez
nous. J'ai déjà eu une fois l'occasion de le faire observer, le Chinois est
l'être le plus bourgeois, le plus familial qui existe ; quand, après avoir
traversé les capitales de la Russie, les fleuves, la Sibérie, les déserts, je
suis arrivé au lever du jour en Chine, j'ai été émerveillé, non pas tant par
la richesse et les couleurs des vêtements et coiffures des femmes, que
par le sentiment de me sentir chez moi. La ménagère, aussi bien la
Chinoise avec ses pieds mutilés, que la musulmane avec ses souliers à
talon central destinés à donner aux passants l'illusion d'une Chinoise,
allait au marché appuyée sur sa canne, suivie de sa servante portant le
même filet qu'avenue des Ternes ; dans ce filet s'entassaient, après
discussions dont le timbre variait du grave au suraigu, des radis roses de
la grandeur d'une betterave, des choux de la fraîcheur d'une salade, des
cailles, des perdrix, etc... Les enfants carottaient des sous à leur mère
pour aller acheter des friandises ou regarder dans la boîte du montreur
d'images. Sur le trottoir, en face des grands magasins, succursales de
Pékin, s'étalaient de petites échoppes, comme entre le Printemps et les
Galeries, où se vendaient des dés en plomb, du sulfate de cuivre pour les
yeux, des publications plus ou moins légères, et comme chez nous, sous
le manteau, des cartes transparentes et des images, très drôles pour un
observateur froid, mais en somme d'une libidinosité évidente.
Tout cela ne tire pas à conséquence, c'est une question de milieu. Je
me rappelle avoir été à Tunis vers 78 avant l'occupation française et
être monté au Dar-el-bey avec quelques colons ; nous avons été voir