l’emporta en quelques mois furent à
la hauteur des combats sans faille
menés pour son « pari de civilisa-
tion ». Un mois avant de mourir, dans
une tribune publiée par Le Monde, il
envoyait une sorte d’ultime message,
dans la continui de ses convictions,
sur les « deux positions » à maintenir
absolument ensemble : le refus sans
concession des « horreurs » com-
mises au nom de l’islam, mais aussi
« ne jamais cesser de transmettre les
merveilles de l’islam en ces temps de
désolation », des merveilles qu’on
trouve notamment dans le « corpus
du soufisme », le « moteur » de
toute morale « est l’éthique du don et
de l’altérité ».
Jean-Louis Schlegel
LES VOYAGES
D’ABDELWAHAB
MEDDEB
Poète et homme de parole,
Abdelwahab Meddeb avait un sens
aigu de la conversation (le conversar
andalou), qui pouvait aller de pair
avec un hédonisme, la recherche d’un
plaisir commun, celui qui frappait
déjà dans ses premiers récits, Talis-
mano et Phantasia1. Mais s’il aimait
partager les joies de la table avec
d’autres, converser avec lui ne signi-
fiait pas qu’on parlait de tout et de
n’importe quoi. On ne perdait pas
son temps à fustiger les ennemis et les
imposteurs : il pratiquait un art de
l’amitrobuste, une amit qui oblige
chacun à sortir de ses convictions,
voire de ses gonds, un art que l’on res-
sentait intensément en l’écoutant
dans son émission Cultures d’Islam
sur France Culture (une aventure
radiophonique que poursuit désor-
mais Abdennour Bidar). qu’il fût,
Meddeb « donnait de la voix », se
faisait entendre, extrayait les paroles
du plus profond de la mine du lan-
gage et du corps : le poème commen-
çait ainsi non sans vigueur dans cette
exigence des paroles partagées. Voilà
pourquoi les amitiés pouvaient durer.
L’écriture en marche
L’amitié était aussi robuste dans
un sens très physique : il fallait se
dépenser avec lui, bouger, vagabon-
der, sortir. Abdelwahab était un voya-
geur qui tenait difficilement en place.
Le poème était pour lui indissociable
d’un parcours, d’une randonnée (les
99 Stations de Yale, Aya dans les
villes2…). Ceux qui ont eu la chance
de marcher longuement avec lui dans
des villes proches ou lointaines, en
Europe, au Moyen-Orient ou ailleurs,
en savent quelque chose : son écri-
ture passait par des déplacements
corporels, des noms de lieux, de
villes… Comme s’il fallait se tenir
« entre les lieux » et non pas à l’écart,
entendre les résonances du Japon à
Belo Horizonte, de Tunis à Tanger ou
Santiago du Chili. Quelques souve-
nirs personnels : le mausolée d’Ibn
Arabî dans la crypte de la mosquée
Journal
1. Abdelwahab Meddeb, Talismano, Paris,
Christian Bourgois, 1979, 2eéd. Paris, Sindbad,
1987 ; Phantasia, Paris, Sindbad, 1986.
2. A. Meddeb, les 99 Stations de Yale,
Montpellier, Fata Morgana, 1995 ; Aya dans les
villes, Montpellier, Fata Morgana, 1999.
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