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“La Maladie de l’Islam” de Abdelwahab Meddeb
“L’organisation créée par Ben Laden échouera comme tout mouvement similaire a échoué à travers l’histoire, c’est une leçon
extraite de la pratique humaine.”
Cette prédiction péremptoire est de l’écrivain et poète tunisien Abdelwahab Meddeb, auquel les attentats du 11 septembre 2001 et les scènes
de liesse, marginales mais bien réelles, qui les ont accueillis ici ou là dans le monde musulman, ont inspiré La Maladie de l’Islam, un livre
engagé contre l’intégrisme. Cette “maladie de l’Islam”, comme l’intolérance, fut celle du catholicisme, et le nazisme celle de l’Allemagne,
souligne l’auteur, a pour symptômes “la xénophobie” et “l’antisémitisme” et le “nivellement par le bas” de la pensée.
Elle fait aujourd’hui des ravages jusque chez les jeunes musulmans d’Europe, où des “semi-lettrés” diffusent une religion réduite à des normes
de conduite stéréotypées,s’alarme-t-il. Fils et petit-fils de théologiens à la Zeitouna, la prestigieuse université islamique de Tunis, Meddeb est
convaincu que l’Islam n’est pourtant pas d’“une nature différente” du christianisme et qu’il peut, comme lui, évoluer : intégrer le débat,
accepter la controverse, la liberté de “penser autrement”, la “polyphonie”. “Les plus grands amnésiques sur l’Islam, ce sont les musulmans eux-
mêmes”, souligne l’écrivain, professeur de littérature comparée à Paris X et animateur de l’émission Culture d’Islam sur la radio France
Culture. Son livre évoque la dette de la pensée européenne aux sciences, aux techniques et à la philosophie arabes du temps où l’Islam
fleurissait à Cordoue, ou à la poésie arabe qui a inventé le mythe de l’amour fou. Mais après plusieurs siècles de déclin, les réformateurs
musulmans du XIXe siècle ont voulu “moderniser l’Islam” en s’inspirant de la modernité venue d’Europe, un mot d’ordre aujourd’hui devenu
chez les intégristes “islamiser la modernité”.
Attaché au modèle français de la laïcité, Abdelwahab Meddeb plaide pour que l’école, notamment, fasse connaître la civilisation musulmane,
restaure la part arabe de l’Europe, une manière aussi, selon lui, de combattre l’influence de Le Pen et sa vision de l’histoire. Lucide, l’écrivain
se garde bien de confondre l’Islam avec la maladie qu’il a engendrée. Mais vigilant, il ne se prive pas de pointer “la part indéniable qui y
prédispose” et qui réside dans la lecture littérale du message divin qui fait l’objet d’un “accès sauvage” en ces temps. “La lettre coranique,
soumise à une lecture littérale, peut résonner dans l’espace balisé par le projet intégriste et peut obéir à qui tient à la faire parler dans
l’étroitesse de ses contours”, fait-il remarquer. Ce littéralisme trouve ses sources au IXe siècle auprès d’Ahmed Ibn Hanbal, fondateur du
hanbalisme, un des quatre courants juridiques de l’Islam sunnite. (Les autres courants proviennent de la pensée des imams Malek, Chafi’i et
Abou Hanifa.) La doctrine d’Ibn Hanbal, qui donnera naissance au wahabbisme, l’idéologie de l’Arabie Saoudite inspirée par Mohamed Ibn
Abdelwahab (1703-1792), insiste plus que les autres sur le retour à la lettre pure et sur l’imitation des Salaf, les anciens de Médine, ce qui
revient à vouloir appliquer en chacun et en chaque siècle le modem idéalisé de la cité du Prophète. Entre les deux figures, le chaînon
intermédiaire est représenté par le théologien syrien Ibn Taymia (mort en prison en 1328), la référence d’Ali Belhadj, qui est aussi souvent cité
dans la littérature sanguinolente du GIA. Deux autres figures apporteront leur voix à l’intégrisme. Il s’agit de l’Égyptien Sayyid Qutb (1926-
1929) et du Pakistanais Abou Al-Ala Mawdudi. Irrigué par l’intolérance, l’intégrisme finira naturellement par s’exprimer sous une forme
violente. C’est le terrorisme, quoi qu’en pensent les esprits plus enclins à charger “l’étranger” qu’à assumer leurs responsabilités. “Pour
désamorcer l’adhésion à l’intégrisme, un Islam officiel s’est senti en situation favorable pour reprendre le discours des islamistes à son propre
compte sans en endosser les ultimes conséquences, celles qui prêchent l’action violente et insurrectionnelle”,souligne à juste titre l’écrivain
tunisien. Une remarque qui vaut d’être prise pour un avertissement de la part de ceux qui se drapent de costume, mais pour distiller les mêmes
valeurs que celle de Ali Belhadj. “L’écart entre les valeurs émanant des deux instances est tel qu’il risque de produire des sujets schizophrènes
susceptibles de régler leur division intérieure en se soudant dans l’unité que leur propose l’intégrisme de la clandestinité et de l’action
violente.” L’Égyptien Mohamed Atta, un des “pilotes” du 11 septembre 2001, est la parfaite illustration de ce paradoxe. L’autre paradoxe, c’est
l’alliance entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite, “conjonction détonante idéalement illustrée par l’émergence d’un Oussama Ben Laden, le
diable du diable, le wahabbite du wahabbite, qui ne fait que pratiquer un passage à l’acte du discours d’exclusion et fanatique diffusé à
longueur de journée dans les mosquées d’Arabie Saoudite”. Ben Laden est l’exemple parfait de l’américanisation du monde : l’expression d’une
frustration anti-occidentale par des moyens typiquement occidentaux.
A. O.
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