une nouvelle donne dans les relations commerciales internationales

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Commissaire européen chargé du Commerce
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Conférence internationale COFACE
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Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Vous avez formulé le thème de cette conférence sous forme interrogative et vous
avez eu raison.
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En posant cette question, vous exprimez parfaitement l'idée fortement répandue
selon laquelle l'Europe et les Etats-Unis sont à la fois les moteurs et les
dépositaires du système commercial international. Il est vrai que les chiffres sont
éloquents : les deux régions représentent près de 40 % du PIB mondial et des
échanges internationaux globaux (les imports cumulés des deux zones s'élèvent à
environ 2000 ¼SOXVGHGXFRPPHUFHPRQGLDOHVWIDFWXUpGDQVOXQHGHOHXUV
deux monnaies ; Europe et Etats-Unis sont enfin les pays qui ont noué les réseaux
d'accords commerciaux les plus denses, et leur influence dans le système
multilatéral est évidemment très forte.
Les vingt premiers mois de mon expérience de négociateur commercial
communautaire m'ont pourtant convaincu d'une chose : l'examen des questions
commerciales à travers le seul prisme de la relation transatlantique est
excessivement réducteur.
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Premièrement qu'un système commercial multipolaire était en train d'émerger avec
le rôle grandissant d'acteurs nouveaux comme l'Inde, l'Afrique du Sud ou le Brésil ;
deuxièmement que le temps de la diplomatie commerciale discrète était terminé car
des problématiques liées au commerce comme la sécurité alimentaire,
l'environnement ou la diversité culturelle sont devenues des préoccupations de
premier rang dans le débat public. Les responsables européens et américains ne
peuvent donc plus gérer le système à deux, même en y mettant les formes, comme
ils le faisaient auparavant. C'est d'ailleurs parce que les règles du jeu ont changé
que le système cherche ses marques.
Cela dit, Europe et Etats-Unis restent évidemment les acteurs très puissants. Leur
relation est toujours l'épine dorsale du système même si elle ne suffit plus à en
assurer la bonne marche. Je consacre d'ailleurs une partie importante de mon
temps à cette relation transatlantique, que ce soit au travers des contacts fréquents
avec mes homologues américains, soit via les discussions avec les autres acteurs
de la relation transatlantique, qu'il s'agisse des entreprises dans le cadre du TABD,
ou des consommateurs avec le TACD, ou du Congrès sur lequel je reviendrai.
C'est à la lumière de cette expérience personnelle que je vais essayer de répondre
à la question que vous m'avez posée. Je voudrais d'abord vous dire quelques mots
sur l'attitude, telle que je la perçois, de la classe dirigeante économique et politique
américaine vis-à-vis du système commercial international. Je dois préciser que ces
impressions ne concernent pas seulement l'attitude de la nouvelle administration
Bush.
Mon sentiment est au contraire que dans ce domaine, les habitudes sont assez
profondément enracinées et que les changements d'administration entraînent
moins de ruptures que de continuité.
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Pour dire les choses de manière abrupte, les entreprises et la classe politique
américaine me paraissent partagés entre des sentiments contradictoires :
il existe incontestablement d'un côté une tentation forte de ne pas jouer le jeu
institutionnel international. Cette inclinaison à l'unilatéralisme est liée au
sentiment de puissance singulière et plus prosaïquement à la crainte de devoir
se soumettre à des décisions contraires aux intérêts nationaux immédiats.
Vous vous souvenez qu'à Marrakech, c'est l'Europe qui a dû se battre pour obtenir
que l'OMC soit érigée en organisation internationale de plein droit et à l'époque, les
Etats-Unis n'étaient pas très chauds pour cette idée. Les positions les plus récentes
de l'administration sur Kyoto ou sur les pratiques fiscales déloyales pour ne pas
parler du Traité de non-prolifération nucléaire ou de celui sur les mines
antipersonnel, pour inclure l'administration précédente, nous démontrent que ce
sentiment selon lequel l'Amérique n'a pas de comptes à rendre aux autres reste
fort.
Dans le domaine commercial enfin, ce n'est pas faire injure aux américains que de
dire qu'ils ont parfois du mal à se conformer aux décisions de l'OMC qui leur sont
défavorables comme le montre l'exemple des panels que nous avons gagnés
contre leur législation antidumping.
Je me dois toutefois de reconnaître que les difficultés que rencontrent les Etats-
Unis à accepter les conséquences du multilatéralisme sont aussi liées à leur
appareil institutionnel.
L'influence considérable du Congrès sur les affaires commerciales telle qu'elle est
organisée par la Constitution américaine et renforcée par le système de
financement des campagnes électorales est notamment un élément de
complication pour l'administration dont on ne saurait négliger ni la portée, ni les
conséquences. Il ne fait pas de doute que le changement de majorité au Sénat qui
s'est produit il y a quelques jours est un événement tout sauf anecdotique. Comme
vous pouvez l'imaginer, nous suivons le processus de réorganisation des
Commissions en cours, avec le plus grand intérêt.
d'un autre côté, les américains ont de longue date fait le choix d'une diplomatie
commerciale active. C'est évidemment leur intérêt bien compris car leur faible
ouverture commerciale apparente masque une forte dépendance financière vis-
à-vis du reste du monde.
Aujourd'hui, les américains soupèsent les avantages comparés des approches
régionale et multilatérale pour obtenir les meilleurs résultats en termes
d'élargissement des débouchés et de diffusion de leurs propres règles, normes et
standards à leurs partenaires commerciaux.
Ce dernier point est crucial dans des secteurs comme les télécommunications, les
normes comptables ou les services financiers.
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Je n'ai pas besoin de vous préciser que ces hésitations et ces tensions
contradictoires ne facilitent pas particulièrement la gestion de notre propre relation
commerciale avec les Etats-Unis. Il faut d'ailleurs reconnaître que cette relation elle-
même n'est pas exempte de contradictions :
elle est, pour une part, fondée sur le partenariat, car nos deux économies et nos
entreprises sont de plus en plus imbriquées : l'Europe est le premier partenaire
commercial des Etats-Unis qui sont eux-mêmes, le premier partenaire
commercial de l'Europe, et cette double primauté est vraie aussi pour les
investissements directs.
Au total, les flux commerciaux entre les deux zones ont représenté 427 milliards
d'euros en l'an 2000, le solde net étant de 35 milliards en faveur de l'Europe. Cette
interdépendance se reflète au niveau industriel avec le développement de
stratégies transatlantiques dans un nombre croissant de secteurs, qu'il s'agisse des
médias, des télécommunications, des industries de défense ou de l'industrie
pharmaceutique.
Je ne prendrai que l'exemple de l'aéronautique où la rivalité entre Airbus et Boeing
ne peut pas masquer le fait que jusqu'à 40 % de la valeur des avions européens est
américaine. Imbrication forte, donc, mais qui reflète plus une situation de
concurrence globale que de complémentarité. Les entreprises européennes et
américaines chassent souvent sur les mêmes terres. C'est ce qui explique les
frottements commerciaux que nous devons gérer dans des secteurs comme l'acier,
l'aéronautique ou les télécom. C'est aussi ce qui explique qu'une certaine rivalité
puisse apparaître dans la "course à l'influence" vis-à-vis de tel(le) ou tel(le) région
ou pays tiers. Le cas de la Chine est, à cet égard, éloquent. Je crois que nous y
avons pour l'instant bien tiré notre épingle du jeu.
Vous le voyez, le contexte dans lequel nous devons gérer la relation commerciale
transatlantique est complexe et contrasté. Depuis que j'ai pris mes fonctions, j'ai
souhaité structurer notre politique vis-à-vis des Etats-Unis autour de deux principes
: nous devons d'abord rechercher une gestion maîtrisée de nos différends
bilatéraux ; nous devons ensuite sans cesse travailler à développer l'intérêt des
Etats-Unis pour une intégration dans le système global.
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L'OMC nous offre un bon moyen pour défendre nos droits : l'instrument de
règlement des différends. Vous le savez, les occasions de conflit entre l'Europe et
les Etats-Unis dont les économies sont si interdépendantes, ne manquent pas. Nos
partenaires nous ont d'ailleurs attaqués sur la banane et les hormones. Nous avons
de notre côté contesté leur régime d'aides fiscales à l'export ainsi que leur régime
de copyright ou certains aspects de leur législation antidumping. Il faut toutefois
ramener les choses à leur juste proportion : aujourd'hui, plus de 98% du commerce
euro-américain est à l'abri des disputes.
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Nous devons malgré tout être conscients que la multiplication de ce type de cas
rendrait vite la situation incontrôlable. J'ai donc, avec l'accord des Etats membres et
du Parlement européen, souhaité structurer notre approche en matière de
différends bilatéraux, notamment avec les Etats-Unis, autour de trois principes :
d'abord, rechercher franchement et honnêtement des solutions aux problèmes
existants. Il y aurait certes un certain confort intellectuel à laisser l'inéluctable
logique juridique aller à son terme et à attendre de l'autre qu'il se mette en
conformité avec les décisions du panel en ignorant qu'il doit lui aussi faire face à
des contraintes locales et des réalités politiques.
Mon approche n'est pas celle-là. Je crois que nous avons démontré dans l'affaire
de la banane que lorsqu'il y a une vraie volonté partagée de parvenir à une solution,
alors il est possible de débloquer les choses. Et je peux témoigner ici que Bob
Zoellik a eu dans cette affaire, comme nous-mêmes, une approche réellement
constructive.
Permettez-moi aussi de souligner que cette affaire démontre bien le souci des
européens de pleinement appliquer les décisions de l'OMC, même lorsqu'elles ne
nous sont pas favorables. Mais avoir une approche politique ne signifie pas
renoncer à nos droits. Je suis d'ailleurs convaincu que toute mollesse ou
concession indue de notre part serait le meilleur moyen d'encourager
l'unilatéralisme de nos partenaires. C'est la raison pour laquelle j'ai été
particulièrement vigilant ces derniers mois pour défendre les droits des entreprises
européennes sur le marché américain, qu'il s'agisse du rachat de Voice Telecom
par Deutsche Telecom ou de Sillicon Valley Group par l'entreprise néerlandaise
ASML ;
le second principe qui guide notre politique est de ne recourir au conflit juridique
que comme extrémité ultime. Croyez-moi, les sollicitations pour partir en guerre
contre nos partenaires commerciaux ne manquent pas. Ma responsabilité est
d'abord de tout faire pour parvenir à des solutions non conflictuelles.
Je peux vous assurer que nous avons résolu beaucoup de conflits potentiels,
notamment avec les Etats-Unis, de cette manière et je compte bien maintenir cette
démarche à l'avenir.
C'est dans cet esprit que je saisis ces temps-ci toute occasion qui m'est donnée
pour convaincre les américains de renoncer à l'usage de mesures de défense dans
le domaine de l'acier comme certains pourraient en avoir la tentation ;
enfin, nous ne perdons pas de vue qu'il faudrait améliorer encore le système de
règlement des différends pour mieux l'adapter aux réalités du commerce
international. L'arme des sanctions a montré ses limites. Mon souhait est que
nous parvenions à promouvoir autant que possible des mécanismes permettant
à la fois de garantir la mise en œuvre des décisions de l'OMC sans entraîner de
distorsions sur les échanges comme peuvent le faire les sanctions.
Cela étant dit, tant que le système actuel restera en vigueur, nous ne renoncerons
pas à l'usage des sanctions si cette voie est la seule que nous puissions emprunter
pour défendre nos intérêts.
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