Introduction
Le concept d’intentionnalité de la consсience joue un rôle prépondérant dans la
philosophie d’Emmanuel Levinas. Сe sujet a occupé l’attention du philosophe durant de
nombreuses années: en tant que découverte la plus significative et contribution la plus
importante de la phénoménologie, puis en tant que fil conducteur de sa propre pensée.
L’importance de l’idée d’intentionnalité, ainsi que l’héritage des idées de Husserl dans sa
propre philosophie nous permettront de comprendre à quel point Levinas reste un
phénoménologue. Sur ce point, nous adhérons au propos de Yasuhiko Murakami pour qui :
« presque tous les commentateurs interprètent métaphysiquement1 Lévinas et pratiquement
personne n’a jamais essayé une lecture véritablement phénoménologique de l’ensemble de
l’œuvre de Levinas... La pensée de Lévinas devient plus phénoménologique lorsqu’il recherche
le vécu non-théorique et non-thématique que lorsqu’il critique la primauté de la théorie et de la
représentation dans la phénoménologie.»2
Chez Levinas nous pouvons distinguer trois niveaux de discussion : éthique, esthétique
et phénoménologique. Le niveau phénoménologique conditionne les deux premiers. En effet,
les définitions des niveaux éthique et esthétique ne proviennent que des analyses
phénoménologiques que Levinas entreprend dans ses premières œuvres philosophiques. Les
analyses de l’acte intentionnel et la signification des sensations dans cet acte permettent à
Levinas de dégager une autre sorte de conscience non-intentionnelle. Le caractère inouï de la
tentative de Levinas réside dans cette volonté de saisir les deux facettes de la conscience en
inversant la terminologie phénoménologique : l’acte par le non-acte, ou autrement dit, l’activité
par la passivité, la continuité du temps par la discontinuité des moments « non-récupérables »,
le sens constitué par la rupture de tout sens, la forme de la pensée par sa matière. Cela ne
signifie pas le simple retour dans la métaphysique (comme certains ont pu le critiquer), dans le
sensualisme ou encore dans le naturalisme de notre existence. Il s’agit d’un demi-retour qui
nous mène aux interstices de la phénoménologie intentionnelle et qui nous indique la voie de
dépassement de ses antipodes (le naturalisme de la conscience et la métaphysique). D’après
Levinas, il s’agit ici du sens de la transcendance véritable ou selon ses termes : « l’excedance ».
Il convient donc de parler non pas de « surcroît » (surplus) en haut inaccessible, mais de
« surcroît » en profondeur accessible phénoménologiquement dans les analyses des
phénomènes du corps et de la sensibilité. L’expérience de notre propre subjectivité nous donne
1 Par exemple D.Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, Combat, L’Éclat, 1991 ou
F. Dastur dans son article «Lntentionnalité et méthaphysique » // Positivité et transcendance, Presses
Universitaires de France, 2000.
2 Yasuhiko Murakami, Lévinas Phénoménologue, Éditions Jérôme Millon, Grenoble, 2002, pp. 11-14.