Un drame symboliste sur la scène contemporaine : Maeterlinck à

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Textyles
Revue des lettres belges de langue française
7 | 1990
Marcel Thiry prosateur
Un drame symboliste sur la scène contemporaine
: Maeterlinck à Belfast
Louis A. Muinzer
Éditeur
Le Cri
Édition électronique
URL : http://textyles.revues.org/1817
DOI : 10.4000/textyles.1817
ISSN : 2295-2667
Édition imprimée
Date de publication : 15 novembre 1990
Pagination : 197-202
ISBN : 2-87277-001-1
ISSN : 0776-0116
Référence électronique
Louis A. Muinzer, « Un drame symboliste sur la scène contemporaine : Maeterlinck à Belfast », Textyles
[En ligne], 7 | 1990, mis en ligne le 09 octobre 2012, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://
textyles.revues.org/1817 ; DOI : 10.4000/textyles.1817
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Tous droits réservés
UN DRAME SYMBOLISTE
SUR LA SCENE
CONTEMPORAINE
MAETERLINCK A BELFAST
Tout metteur en scène contemporain, même un simple amateur comme
moi, devrait être commentateur critique autant que producteur de pièces. Dans
cette ère de recherche en vue d'un nouveau théâtre qui remplacerait lesformes
démodées toujours dominantes dans le théâtre traditionnel, une analyse basée
sur l'engagement concret d'un metteur en scène dans une pièce peut parfois
nous en dire plus qu'une monographie académique et peut même nous inciter
à de nouvelles expériences, de nouvelles productions et de nouveaux styles,
éventuellement jusqu'à atteindre notre but ultime: un théâtre digne de lever
le rideau sur un nouveau millénaire.
.
Il y a deux ans, des membres de la troupe des Delphic Players de Belfast
et moi avons monté Les aveugles de Maeterlinck dans un style nouveau et, je
pense, original. Je désirerais écrire quelques pages à ce propos pour deux
raisons très simples: d'abord parce que ce travail a été l'une des e~périences
les plus prenantes que j'aie eues dans le théâtre, ensuite parce que mon témoignage pourrait encourager une réévaluation de la manière dont on met en
scène le maître belge et certains de ses contemporains, les dramaturges qui
écrivent dans la fascinante.mouvance du Symbolisme. Avec le recul, je suis
convaincu que la force particulière de notre mise en scène à Belfast réside dans
le traitement moderne d'une pièce symboliste fm de siècle.
Dans le théâtre, comme dans tous les autres arts, les Symbolistes ont
compris que leur mouvement utilisait un procédé universel, multiforme, qui
est le symbolisme lui-même. Par conséquent, dans Les aveugles, l'art de
Maeterlinck tire une partie de sa force d'un des motifs les plus profondément
ancrés dans la tradition du drame européen: l'aveuglement. Sophocle a fait
une utilisatibn mémorable de ce motif dans Œdipe, et Shakespeare dans Le
Roi Lear, tandis q}!eSamuel Beckett en a fait un élément-clé de sa Fin de
partie. Par une étrange coïncidence, les Delphic Players eux-mêmes ont
récemment monté trois autres pièces dans lesquelles l'aveuglement figure
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thématiquement: Les aveugles de Michel de Ghelderode (pièce qui porte le
même nom que celle de son prédécesseur), The Cat and the Moon du poètedramaturge irlandais William Butler Yeats et Shoot du Norvégien Finn
Carling.
Comme Sophocle, Shakespeare et Beckett, chacun de ces trois auteurs
utilise le symbole de l'aveuglement pour atteindre ses objectifs dramaturgiques. Cela prendrait ici trop de temps de comparer et de distinguer le traitement de ce thème par Maeterlinck avec chacun d'entre eux, mais une brève
analyse du développement de ce motif chez Finn Carling nous aidera à apprécier et le drame de Maeterlinck et la mise en scène dont il a été l'objeL
Carling est un de nos brillants contemporains dont les fictions aussi
bien que les drames plairaient au tempérament belge et mériteraient une
traduction en français. Cependant, c'est un auteur intellectuel et ironique,
quoique plein d'une profonde compassion humaine, et sa pièce Shoot diffère
beaucoup des Aveugles. Dans la pièce du Norvégien, un personnage aveugle
et seul cherche mystérieusement son chemin à tâtons, en présence de trois
personnes- un couple marié et une jeune fille - qui, elles, voient. Ce
curieux aveugle possède une profonde clairvoyance humaine qui le situe à
l'écart des trois «voyants» avec leurs peurs de mortels, leur sentiment de
solitude et leur perception lacunaire. Dans la pièce de Carling, ce sont les
«voyants », et non pas l'aveugle, qui reflètent donc l'humanité, c'est-à-dire le
public. Dans Les aveugles, la situation est tout à fait différente: les douze
per~nnages qui parlent sont aveugles; depuis les vieux grincheux jusqu'à la
jeune mère folle et à la superbe jeune fille, tous incarnent les peurs humaines, la solitude, etc., de ceux qui regardent le spectacle. Comme nous le
verrons, cette constatation que personnage et spectateur ne font qu'un a été
une clé pour notre mise en scène de l'étrange drame de Maeterlinck.
Toutefois, avant d'aborder la mise en scène proprement dite, nous
devons nous demander encore ce qui, dans le symbolisme de l'aveuglement
chez Maeterlinck, est spécifiquement symboliste. Ici, je le confesse, je dois
avancer intuitivement, car malgré mes années d'intérêt pour le mouvement, je
n'ai jusqu'à présent trouvé aucune défmition concise du Symbolisme qui me
satisfasse véritablement Quoi qu'il en soit, pour moi un des traits majeurs
du Symbolisme des Symbolistes est sa capacité d'éveiller à une mystérieuse
attente. Sa suggestion par les sons, les mots ou les images est attirante mais
insaisissable: on écoute, on lit, on regarde l'œuvre d'art symboliste comme
on attend la venue d'une révélation...qui de toutes façons n'arrive jamais tout
à fait. Mais cette révélation est réelle et est ressentie comme devant être
réelle. Donc, parce que Les aveugles est par excellence un drame sur l'attente,
il ne me semble pas seulement être une pièce symboliste mais une pièce qui
définit le genre. Maeterlinck a élaboré un symbole puissant, l'a développé et
l'a amené au bord de la conscience quand sa pièce se termine.
Cependant, si nous considérons la ligne narrative de la pièce, il semble
que l'œuvre contienne non pas un mais deux thèmes fondamentaux: aveuglement et mort Les douze personnages de Maeterlinck sont assis autour de la
scène et attendent le retour de leur ami et guide qui, sans qu'ils l'aient reconnu, est assis parmi eux; à la fin, la mort arrive apparemment pour prendre le
premier rôle et vider la scène de toute vie humaine. Néanmoins, l'ultime
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signification de la pièce, la signification dont nous attendons l'émergence
dans me attente angoissée me semble unique. Les aveugles sont assis de nuit
(moment de «cécité» naturelle) dans une «très ancienne forêt septentrionale»
et attendent leur ami prêtre qui est assis «vers le fond de la nuit», «enveloppé .
d'un large manteau noir », vêtu en fait d'un manteau noir comme la nuit et
comme l'obscurité aveugle dans laquelle vivent les personnages. Enveloppé
de nuit, il est, lui aussi, un des aveugles: «Les yeux muets et fIXesne regardent plus du côté visible de l'éternité », disent les didascalies introductives de
Maeterlinck. Plus loin, son sommeil de mort trouve un écho obsédant dans la
somnolence de certains personnages eux-mêmes. «Vous m'avez éveillé!» et
de dormais aussi », disent deux des aveugles au début de la pièce. Leur
position dans d'obscurité aussi bien que l'assoupissement de certains d'entre
eux renforce l'équivalence symbolique du cadavre et des aveugles. Aveuglement et mort ne sont donc pas des concepts séparés dans la pièce, mais sont
liés comme un processus est lié à son terme. L'aveuglement est l'état terrible
et profondément solitaire de l'homme qui attend ce qui lui donnera sens: ce
sens est l'aveuglément final, l'opaque blancheur de la mort. Dans l'univers
sombre de la pièce, quels sont les êtres qui voient finalement? Le bébé innocent de la jeune fille folle, qui ne peut pas parler, et le chien tout aussi incapable de parole, qui flaire la mort. Et à ce moment-là, qu'est-ce qui est à
voir?
«On dit que vous êtes belle comme une femme qui vient de très loin»,
dit le sixième aveugle à la jeune femme. «Je ne me suis jamais vue», réplique-t-elle... Qui peut dire à quoi elle ressemble réellement?
.
Le Symbolisme de Maeterlinck possède une simplicité organique presque terrifiante. Mais ce n'est pas le rôle du metteur en scène de clarifier ou
d'isoler ce que Maeterlinck voulait dire : il ne doit pas réduire le Symbolisme
à une allégorie superficielle mais élaborer, dans le public, au niveau inconscient les conditions de la découverte, au fur et à mesure que la pièce les
déploie devant lui. En utilisant nos techniques de mise en scène, cela n'a pas
été trop difficile à réaliser. Les nuances du Symbolisme, les qualités oniriques
de la pièce ont été suggérées par un éclairage en demi-jour du plateau irrégulièrement ponctué de lumières vives. Persuadée que la «poésie de la scène» ne
dépendrait ni d'un équipement en éclairage sophistiqué ni d'un autre matériel
superflu, notre troupe a utilisé des sources d'éclairage expérimental comme
un filtre bleu placé devant un projecteur de diapositives conventionnel et une
grosse lampe-torche placée à cette fm sous un siège dans le public. Les effets,
comme d'habitude dans les mises en scène, furent obtenus grâce à la débrouillardise et à l'inventivité plutôt qu'à des dépenses exagérées. Avec les prières
marmottées de l'aveugle pieuse, les gémissements de la jeune mère folle, le
bruissement des feuilles et les paroles plaintives des voix effrayées parlant
dans la pénombre, notre équipe de production a créé une atmosphère dense et
mystérieuse dans laquelle l'esprit critique du public se libère de toute convention, dans laquelle le spectateur qui s'y laissait aller pouvait progressivement
percevoir la Présence ultime de la pièce de Maeterlinck.
Excepté notre recours à l'invention ad hoc plutôt qu'à un équipement
coûteux pour réaliser l'ambiance scénique des Aveugles, la production que j'ai
évoquée jusqu'ici aurait pu très bien être jouée dans un théâtre conventionnel
n'importe où en Europe. Ce qui assure cependant l'impact de la mise en scène
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du Delphic n'est pas tant les éclairages ni les effets spéciaux que la place du
public et des acteurS.Notre longue et riche tradition de mise en scène vise à
briser la barrière érigée dans cette scène à l'italienne démodée que nous possédons hélas, en héritage du 19ème siècle. Comme d'autres groupes à la recherche d'un renouvellement de la tradition théâtrale, les comédiens du Delphic
s'efforcent de revitaliser la relation acteurs-spectateurs en déttuisant la vision
frontale bidimensionnelle de la scène, devant laquelle le public contemple
passivement une image «plate ». A l'opposé de la passivité et de cette frontalité plate, nous nous sommes ralliés aux anciens Grecs et aux Elisabéthains
qui jouaient Sophocle et Shakespeare sur un plateau «poussé» en plein
milieu du public 1. Dans une mise en scène des Delphic Players, le public
embrasse toujours l'action sur deux, trois ou éventuellement quatre côtés; il
participe au spectacle selon plusieurs angles de vue et est littéralement aspiré
sur la scène par les «courants dramatiques» qui ciIculent à travers l'espace de
jeu. Par-dessus tout, les spectateurs ainsi impliqués aident à donner corps au
spectacle par la puissance de leur imagination, puissance renforcée et provoquée par le décor et les lumières. Ainsi le public devient un élément crucial
du spectacle, comme il l' était sur les pentes de l'Acropole ou au Théâtre du
Globe.
Mais est-ce que nos principes de mise en scène étaient valables pour
Maeterlinck? Après tout, le symbolisme belge, avec l'œuvre de maîtres
comme Khnopff, Delville et Degouve de Nuncques, possède une solide tradition picturale, et ses images peintes en deux dimensions sont proches des
effets visuels de l'ancienne scène frontale. Le traitement de la pièce de Maeterlinck en termes de pe.intureou de sculpture a affaibli ces affmités stylistiques
et a occasionné une Certaineperte pour l'œil. La perte majeure est celle d'une
image qui, je le suppose, était consciemment ou inconsciemment dans
l'esprit du dramaturge quand il a établi la scène au début de sa pièce. Là, il a
placé six aveugles de chaque côté de leur chef mort, vraisemblablement d'une
façon linéaire. Bien que le prêtre soit en retrait, nous pouvons certainement
voir dans ce tableau l'image «peinte» de Jésus et de ses douze apôtres à la
dernière Cène; ici, hélas, pas d'Eucharistie, pas de vie rituelle ou spirituelle
parce que le «Sauveur» est mort. Mais même sans faire le rapport avec cette
puissante image inconsciente, quelque chose du même effet thématique a été
réalisé sous une forme plastique en plaçant les aveugles symétriquement dans
l'espace de jeu tridimensionnel et en présentant la figure du prêtre mort
presque comme s'il était une icône enchâssée, un dieu mort dans sa niche. En
général, l'efficacité théâtrale d'un plateau «en éperon» contrebalance la perte
d'effets picturaux et sert bien le texte.
Finalement, il y avait là matière à une distance esthétique. Avec son
absence de réalisme familier, avec ses styles exotiques et son sujet inhabituel,
le Symbolisme maintient ceux qui en font l'expérience dans une émotion très
intime: la part individuelle de l'être s'ouvre à une image puissante et lui
permet de plonger dans les profondeurs de sa personnalité; en opérant ainsi,
le sens de la «mystérieuse attente» mentionnée plus haut commence à se
1 Disposition scénique dite «en éperon» «<thrust-stage»).
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lever de l'intérieur. Mais si cette image et la pièce qui la contient
est si
proche qu'elle emporte l'émotion, alors le néceSS8Ü'edétachement est perdu.
Or, comme le «théâtre» utilisé par les Delphic Players, à ce-moment-là, était
de dimensions réduites, notre mise en scène des Aveugles était naturellement
intime et ne laissait qu'un petit «espace émotionnel» entre acteurs et
spectateÙfS.Le résultat,je vous l'accorde, aurait pu être décevant; mais il ne
le fut pas Au contraire, j'ai trouvé que l'intimité de notre mise en scène était
l'un des aspects les plus enthousiasmants et les plus réussis du spectacle:
l'intimité ne détruisait pas la rêverie symboliste, mais simplement l'accélérait et l'intensifiait. Cette progressive mise à distance de l'individu par
rapport à l'œuvre d'art n'est pas, je le découvrais, une caractéristique du
Symbolisme lui-même mais du style de vie en vogue à la fm du 19ème
siècle. Les langueurs de Des Esseintes chez Huysmans ou celles de Lord
Henry Wotton chez Wilde ne sont pas fonctionnelles mais esthétiques; il
était tout à fait possible de traiter Les aveugles d'une manière à la fois plastique et intime sans violer l'.art de Maeterlinck. En effet, témoin de cet Age
d'Anxié-té (comme le nomme W.H. Auden), la pièce gagne énormément à
être mise en scène dans le style des Delphic Players parce qu'elle est ainsi
branchée sur notre propre longueur d'ondes.
TIest temps de passer maintenant à une description du plan complet de
la mise en scène. Dans une confortable salle de dimensions moyennes, un
plateau légèrement allongé a été installé, avec une rangée de sièges le long
des deux grands côtés et une rangée sur le petit côté. Sur le quatrième côté, le
fond de la scène, le prêtre mort est assis, tandis qu'au milieu du plateau est
placé à peu près parallèlement aux grands côtés un entremêlement de branches
qui remplacent, comme obstacle, «l'arbre déraciné» et les «quartiers de roc»
du texte. Quand le public s'était assis, les lumières générales s'éteignaient
laissant l'espace de jeu et le prêtre mort éclairés seulement par un jeu irrégulier d'ombres et de lumières. Comme il n'y a pas de rideau sur une scène «en
éperon », les acteurs devaient faire une entrée; il la faisaient par une porte
située à côté du prêtre mort et, dans leur rôle d'aveugle, et' commençaient à
longer lentement un des longs côtés du plateau; pendant ce temps, les
femmes aveugles (qui se trouvaient dans le fond) se séparaient par ordre et
allaient s'asseoir sur le côté du plateau en regardant vers l'intérieur; le reste
des acteurs se déplaçait le long du petit côté en avant-scène (marchant tout
près du public) puis ils tournaient et s'avançaient le long du côté opposé aux
femmes, trouvant leur place au fur et à mesure qu'ils tombaient le long du
bord de la scène. Quand cette entrée était terminée, les deux groupes de six
interprètes se retrouvaient assis en face l'un de l'autre, ils se regardaient à
travers les bouts de bois et les branches et se trouvaient placés virtuellement
aux pieds des spectateurs- Dans la semi-obscurité, il n'était pas facile de voir
où «fmissaient» les acteurs et où «commençait» le public. Ceci fonde, bien
sûr, en termes théâtraux scénographiques mon observation antérieure à propos
du Symbolisme de Maeterlinck; les personnages incarnent l'aveuglement
mortel du public et ne font qu'un avec lui. Ainsi, deux groupes de gens
aveugles et abandonnés sont assis l'un en face de l'autre dans l'ombre, et
chacun de ces groupes contient ensemble acteurs et spectateurs; en fait, tous
étaient acteurs dans le drame de Maeterlinck. Par une curieuse coïncidence, la
limite d'ombre entre interprète et spectateur était même brisée à un endroit
par l'un de nos acteurs qui, handicapé, pouvait difficilement s'asseoir par terre
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avec les autres; il choisit donc de s'asseoir dans le public entre deux spectateurs. Comme son rôle était l'un des plus désespérants du spectacle, il a dO
avoir un effet «refroidissant»sur les personnes «réelles» installées à côté. de
lui!
'
L'impact conscient que cette trouvaille scénique d'embrasser ainsi le
public a eu sur les spectateurs, je n'ai pas les moyens de le connaitre ; bien
sûr, l'effet de la représentation se passait au niveau inconscient: un appel
aux forces endormies de la conscience jusqu'à ce que le spectacle les réveille.
Avec son humanité déchirante et ses voix pathétiques pleurant dans un désert
obscur, le magnétisme 'des Aveugles s'exercerait même avec une disposition
bidimensionnelle. Nous espérons, en tous cas, que la mise en scène des
Delphic Players a apporté quelque chose de plus qu'une nouvelle dimension à
une pièce ancienne: une immédiateté moderne, une sensibilité contempo-
raine.
.
Envisagé avec l'esprit du Delphic, le drame Les Aveugles de Maeterlinck prend sa place auprès de En attendant Godot de Samuel Beckett en tant
que fascinant «jeu d'attente» du répertoire moderne. On trouve des similitudes
dans les deux pièces et il est très possible que le dramaturge irlandais ait été
influencé par le belge en écrivant son classique du 20ème siècle. Mais la
comparaison est même plus importante pour révéler les différences entre les
deux œuvres. Beckett exprime l'absurdité de l'attente, rincertitude de sarésolution, les ambiguïtés de son contexte humain; nous qui regardons la pièce
dans la salle noire, nous ne sommes pas des observateurs passifs, nous attendons activement Godot. bien que son arrivée soit incertaine. Nous sommes
donc tous Vladimir et Estragon, Didi et Gogo. Mais nous sommes aussi les
aveugles de Maeterlinck, figures non pas d'absurdité mais de pathétiqUedont
la tragédie non équivoque est qu'un Godot terrifiant est en/ait arrivé.
Dans le théâtre, on avance à tâtons pour réaliser quelque chose, on a
grand besoin à la fois de logique implacable et d'absurdité, de fatalité autant
que de futilité, de terreur autant que de rire, et de poésie partout : une poésie
qui transcende prose et vers, Maeterlinck et Beckett. et qui inonde notre scène
d'humanitéet de clairvoyance.
.
Depuis des décennies, nous chérissons notre Beckett, mais chérissons
aussi Maeterlinck et sa tradition. Pour moi du moins, sa pièce sur notre
condition d'aveugles mortels a ouvert une porte sur une mise en scène
symboliste pour notre temps. Que des hommes et des femmes d'une vision
pluslargequelamiennemesuiventparcetteporte.. .
.
Luis A. Muinzer
Queen's University Belfast
-
(traduit de ranglais par Isabelle Dumont)
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