société industrielle et évoquer déjà les problèmes de l’environnement, près de
40 ans avant la passion écologiste qui nous reviendra via les Etats-Unis ».
C’est au sein de ce mouvement de pensée que s’est forgée l’assise
intellectuelle de Jean-Marie Soutou. Le groupe Esprit de Pau, qu’il contribue
à fonder en 1934, fut pour lui comme une Université, un lieu d’étude, de
débats et de rencontres avec des intellectuels. Cette formation atypique
contribuera à affermir son intelligence et son jugement; elle se poursuivra
pendant la guerre par une autre formation encore plus rude, faisant appel à
d’autres qualités dont il était tout aussi riche: ce sera l’école du courage qui
fera de lui un intellectuel engagé dans le combat contre l’occupant au sein
de la Résistance lyonnaise.
Jean-Marie Soutou participe dès 1936 aux Congrès de la Revue Esprit à
Jouy-en-Josas, où ses interventions, au nom des non-intellectuels, contre
l’abus des abstractions, lui valent la sympathie et bientôt l’amitié durable
d’Henri Marrou. Avant tout, il est conquis par la personnalité d’Emmanuel
Mounier, sa totale liberté face aux idées reçues et aux pouvoirs constitués,
son inspiration évangélique contagieuse: «Mounier c’est le contraire de
l’imposture », dira-t-il plus tard.
De son côté, Mounier s’intéresse à ce jeune Gascon au physique mince
et aigu, au regard à la fois profond et léger, comme s’il répugnait à cesser de
sourire. Dès ce moment-là, une amitié commence entre les deux hommes
tandis que la proximité de l’Espagne va donner à Jean-Marie Soutou
l’occasion de devenir un témoin privilégié de l’une des grandes
confrontations idéologiques du xx€ siècle. En effet, la guerre civile espagnole
vient d’éclater à nos portes. Le 17 juillet 1936, les troupes de l‘armée
régulière espagnole, stationnées au Maroc, entrent en rébellion. Le
lendemain, le mouvement s’étend à la péninsule et, le 25, un gouvernement
insurrectionnel s’établit à Burgos. L’Espagne est coupée en deux.
Aussitôt, Emmanuel Mounier s‘inquiète du sort du correspondant
d’Esprit en Espagne, José Maria Semprun-Gurrea, avocat et professeur de
Droit, veuf de Susana Maura, elle-même fille de l’homme politique libéral
Antonio Maura. Au déclenchement de la guerre civile, J.-M. Semprun est
resté fidèle au gouvernement républicain, bien qu’il soit un catholique
pratiquant. Or, la famille Semprun, le père, la belle-mère et les sept enfants
Semprun-Mama passent leurs vacances de l’été 1936 à Lekeitio sur la côte
du Golfe de Biscaye. Emmanuel Mounier leur envoie précipitamment Jean-
Marie Soutou pour prendre de leurs nouvelles et leur offrir l‘aide du groupe
Esprit.