L’unité de la France revêt une importance tant juridique que
symbolique. La monarchie s’est, dès le Moyen Âge, efforcé de
garantir l’unité territoriale du royaume. Le droit des gens ne
présentait toutefois aucune unité, la société étant déjà multi-
culturelle. La règle de droit applicable était fonction de la qua-
lité de l’individu, de sa religion ou bien encore de sa situation
géographique (I). La Révolution marqua une rupture, du moins
une évolution, en consacrant notamment les principes d’unité,
d’égalité et d’universalité, ce qui entraîna l’unification du droit
applicable (II).
I. L’unité du royaume
et les communautés de l’ancien droit
L’unification de la France a été l’un des plus grands chantiers
de la monarchie. Si l’affirmation du pouvoir royal a permis de
construire un royaume unitaire (A), elle n’est cependant pas
parvenu à mette fin à l’extrême diversité de l’Ancien Droit (B).
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CONSTRUCTION UNITAIRE
DE L’ÉTAT ET SA REMISE
EN CAUSE
14 Le communautarisme : la République divisible?
A. La construction d’un royaume unitaire
L’autorité royale s’était estompée depuis Dagobert et les
« rois fainéants » s’étaient ensuite effacés devant l’autorité des
maires du palais. Après que Pépin le Bref se fut emparé du pou-
voir en 751, les Carolingiens développèrent une conception éle-
vée de l’État et restaurèrent l’empire. Le règne de Charlemagne
se solda néanmoins par un échec. L’économie s’était effondrée,
de sorte que les finances publiques restèrent sommaires. Aussi,
les agents du pouvoir royal ne pouvant être rémunérés, des
terres issues du domaine royal leur furent attribués pour les
rétribuer. Les comtes en furent les premiers bénéficiaires, ce
qui affaiblit et appauvrit le pouvoir royal. En outre, alors que la
réussite politique de l’empire carolingien impliquait son unité,
Charlemagne décida de le diviser. LOrdinatio imperii de 817, qui
assurait l’unité au profit de Lothaire, fut même anéantie par son
père, Louis le Pieux. Seul le traité de Verdun mit fin, en 843, aux
luttes familiales, mais il entraîna un partage de l’empire entre
Louis le Germanique, Charles le Chauve et Lothaire. À la mort
de ce dernier, cinq royaumes avaient remplacé l’ancien empire
carolingien. Parallèlement, la vassalité se développa. L’idée
d’un lien personnel d’homme à homme y était prépondérante,
l’obéissance n’étant que la contrepartie de la protection. Les
évolutions militaires qui se produisirent sous Charles Martel ne
firent que renforcer cette tendance, car le service militaire se
doublait d’une lourde contribution financière. De nombreux
propriétaires abandonnèrent leurs terres au profit des Comtes,
pour échapper aux charges de l’armée. Ces Comtes devinrent
ainsi des vassi du roi qui, en échange, concéda de nouvelles
terres. Ils disposaient toutefois de leurs propres vassaux, plus
enclins à leur obéir qu’à reconnaître l’autorité royale. De vastes
principautés territoriales, telles les duchés de Bretagne et de
Bourgogne, apparurent. Des princes héréditaires gouvernaient
Construction unitaire de l’État et sa remise en cause 15
souverainement ces véritables États et devinrent alors plus
puissants que le roi.
Ayant le pouvoir d’élire le roi, les Grands désignèrent
Hugues Capet en 987. Le règne des premiers Capétiens fut
modeste. Le domaine royal n’était plus délimité que par
Orléans, Laon et Senlis. Le roi s’en considérait, en outre,
comme le propriétaire, de sorte qu’il pouvait en disposer libre-
ment, notamment par des ventes. De grands princes territo-
riaux se partageaient le reste du royaume.
Un renouveau se produisit toutefois au début du XIIesiècle,
sous le règne de LouisVI le Gros. Le roi devint alors seul maître
de son domaine. Il utilisa les règles du droit public et du droit
privé, notamment la patrimonialité des fiefs, pour rattacher de
nombreux fiefs au domaine royal (mariage, commise, succes-
sion, achat…). L’intégrité territoriale du royaume fut donc for-
mellement consacrée par l’édit de Moulins en 1566. Le roi
n’était plus que le gardien du royaume et ne pouvait rien pos-
séder en propre. Le domaine de l’État fusionna avec le territoire
national.
Apparaît également l’idée que le roi est au sommet de la
société féodale. Il est ainsi admis, au milieu du XIIIesiècle, que
les rapports féodo-vassaliques ne peuvent pas jouer contre le
roi, ce qui rétablit la suzeraineté royale, rapidement remplacée
par la souveraineté royale. Parallèlement, le roi s’émancipa
également des influences étrangères qui pesaient sur le
royaume, qu’il s’agisse de l’empereur ou du pape. Le rétablis-
sement de la souveraineté royale permit la mise en place d’une
autorité publique s’exerçant sur l’ensemble du royaume et de
ses habitants. Le gouvernement central, issu de la lointaine
Curia Regis, put se mettre en place.
Enfin, la monarchie absolue de droit divin, qui s’imposa au
XVIIe, marqua le triomphe du pouvoir royal. La notion d’État fut
précisée autours de trois caractères. L’État était en effet auto-
16 Le communautarisme : la République divisible?
nome et existait indépendamment de la personne du roi. Il était
ensuite perpétuel, d’où la continuité des lois et des traités. Il
était enfin indivisible, car lui seul, et non le roi, bénéficiait de la
souveraineté. La royauté devint absolue. Le roi tenait son pou-
voir de Dieu et ne rendait compte qu’à Dieu. Il décidait donc tou-
jours en dernier ressort. L’État s’imposa face à la « Nation orga-
nisée », les assemblées politiques, tels les états généraux,
perdirent de leurs pouvoirs et ne furent plus réunies qu’en
temps de crise. Les autonomies locales furent remirent en
cause, notamment dans les « Pays d’élection », directement
soumis au pouvoir royal.Assurer la cohésion politique et garan-
tir l’assimilation des provinces rattachées au royaume furent
des priorités. L’organisation administrative ne fut toutefois
jamais uniforme. En outre, si la fin de l’Ancien Régime, la
royauté était globalement parvenue à unifier politiquement et
territorialement le royaume, de nombreux particularismes juri-
diques subsistaient.
B. La diversité de l’ancien droit
Le morcellement de l’autorité publique, aux premières
heures de la royauté, entraîna une extrême diversité des droits
applicables. Schématiquement, deux « systèmes juridiques »
cohabitaient, le droit romain au Sud du royaume et le droit cou-
tumier au Nord. Si le droit romain avait été adopté par l’en-
semble des Gallo-Romains avant la chute l’empire d’Occident,
les Grandes invasions le firent pratiquement disparaître avant
le Xesiècle. Il réapparut toutefois dans le sud du royaume au
XIIesiècle, après la redécouverte en Italie du Corpus juris civilis.
Il y fut alors largement enseigné et diffusé, rapidement désigné
par les termes de « droit écrit ». Au contraire, au nord du
royaume, le droit était coutumier et résultait de la répétition
d’usages qui acquéraient ainsi au fil du temps une valeur obli-
gatoire. Ces coutumes ne présentaient que peu d’unité. De mul-
tiples coutumes locales, parfois réservées à un village, complé-
Construction unitaire de l’État et sa remise en cause 17
taient les coutumes générales d’un Pays. La féodalité influença
durablement le droit privé. La diversité des conditions juri-
diques résultait de la diversité des états. Chaque service devant
être rendu permettait de revendiquer les privilèges qui en
constituaient la contrepartie. La noblesse, le clergé et le tiers
état n’étaient donc pas soumis aux mêmes règles de droit. Les
clercs n’étaient, par exemple, justiciables que des Tribunaux
ecclésiastiques, les officialités. Plus encore, l’Église avait
imposé, dès le Xesiècle, sa juridiction en matière matrimoniale.
Le droit corporatif constituait également une importante source
du droit. Les communautés de métiers encadraient strictement
l’activité économique grâce au pouvoir réglementaire qu’elles
s’étaient arrogées. Elles étaient toutefois animées par de puis-
santes solidarités. Leurs membres bénéficiaient de franchises
ou d’immunités qui servaient tout à la fois leur bien propre et le
bien commun. L’inégalité était donc la règle, car chacun s’em-
ployait à se distinguer des autres.
L’affirmation du pouvoir royal entraîna cependant une cer-
taine harmonisation du droit. L’unification politique du royaume
permit, dans une large mesure, son unification juridique.
L’origine la plus lointaine du mouvement conduisant à la codi-
fication fut, en 1454, l’ordonnance de Montils-lès-Tour exigeant
la rédaction des coutumes. Plusieurs centaines de coutumiers
furent rédigés et diffusés avec l’invention de l’imprimerie. Ces
coutumes furent ensuite réformées à de nombreuses reprises
sous le contrôle des Commissaires royaux, dont l’intervention
contribua à leur unification. Des jurisconsultes, tel Loisel avec
les Institutes coutumiers, s’efforcèrent également de les étudier
et de les comparer. La Coutume réformée de Paris de 1580
devint même une coutume type, un modèle.
Parallèlement, le pouvoir royal s’efforçait de codifier sa
propre législation. C’est ainsi que, sur l’ordre d’Henri III,
Barnabé Brisson, président au parlement de Paris publia en
1587 un recueil de plusieurs milliers d’actes royaux. Bien qu’il
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