
N°140 – 2e trimestre 2013 5
Ne pas rouvrir la boîte de Pandore des risques extrêmes
Le résultat des élections italiennes a ravivé les vieilles peurs quant à l’avenir de la zone euro, à un moment où la plupart des
marchés acceptaient l’idée selon laquelle la crise de la dette européenne, tout en restant un problème majeur, avait été ramenée à
une échelle régionale. Les autres problèmes sont gérables, si la boîte de Pandore des risques extrêmes n’est pas rouverte.
Tout d’abord, le risque économique a globalement baissé. La croissance sera proche de 2% à partir du deuxième
trimestre aux États-Unis, même en tenant compte des conséquences significatives des restrictions budgétaires. La stagnation
du PIB au quatrième trimestre 2012 a clairement été un accident lié à des facteurs techniques : les indices ISM et les enquêtes
suggèrent un niveau de croissance acceptable dans les mois qui viennent. Comme nous l’avons toujours soutenu, il n’y a pas
eu d’atterrissage en catastrophe en Chine et la croissance devrait être tout à fait acceptable en 2013 (près de 8%), en
grande partie grâce aux mesures de relance mises en œuvre en 2012, qui continuent de faire effet. Nous prévoyons même un
léger resserrement de la part des autorités chinoises en 2013, ces dernières cherchant une croissance plus soutenable avec
moins d’inflation. La zone euro restera en territoire quasi-récessif durant la majeure partie de l'année, avec de plus un fort
risque baissier à court terme (cf. infra), mais ne décevra pas ; puisqu’il n’y a pas d’excès d’optimisme sur cette région.
Austérité, récession, gains de compétitivité via la déflation : la situation de l’Europe est bien connue.
Le risque politique s’est également réduit, sauf en Europe. Aux États-Unis, la polarisation reste certes élevée à
Washington, mais les parties en présence ont montré qu’elles savaient ne pas aller trop loin. Le problème de la « falaise
budgétaire » a été découpé en sous-parties plus faciles à gérer, qui sont traitées (ou remises à plus tard) séparément. Les
tensions politiques sont à leur tour quelque peu retombées. La transition politique se passe sans heurt en Chine et la
stabilité semble acquise. Il y a certes des tensions avec le Japon, mais aucun signe d’impérialisme agressif à proprement parler
(pas de tensions particulières avec Taiwan, par exemple).
La principale menace reste le risque politique en Europe. L’Italie n’est actuellement pas gouvernable, le gouvernement a
été mis en péril par des affaires intérieures et les signaux lancés par la France (réforme-t-elle ou non ?) sont, au mieux, mitigés.
Avec un taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans de près de 60% en Espagne et en Grèce et de 37% en
Italie, le risque de la tentation populiste est sérieux et durable : le marché va devoir s’y habituer. L’histoire récente
suggère que, lorsqu’un pays est au bord du précipice (comme l’était la Grèce au moment des deuxièmes élections législatives
en juin 2012), les électeurs font généralement le choix de la raison. Mais nous n’en sommes pas encore là en Italie ou en
France. À l’échelle européenne, le rythme des réformes baisse déjà, en raison de l’approche des élections en Allemagne. À cet
égard, l’Europe connaîtra une certaine faiblesse jusqu’en octobre.
En ce qui concerne les risques de marché, la menace la plus vraisemblable vient du retour possible, et même probable,
de la volatilité, retour lié au léger resserrement attendu en Chine et à un discours potentiellement moins favorable au QE
(assouplissement quantitatif) de la part de la Fed, avec la baisse graduelle du chômage. Mais cela ne tiendrait après tout que
d’une certaine normalisation : une volatilité anormalement basse pendant une période anormalement longue n’est pas
souhaitable, dans la mesure où elle encourage les opérations de portage de toute nature. Un risque plus dangereux serait alors
l’explosion de bulles sur certaines classes d’actifs surévalués, mais il nous semble que ce risque est limité, tant que la Fed
conserve une approche prudente. Les actifs les plus surévalués (cf. article Risques – Perspectives Macro de décembre 2012)
étaient l’or et le yen, qui ont tous deux continué à s’ajuster au premier trimestre. Aucune classe d’actif ne devrait subir de forte
baisse, selon nous. Nous tablons à l’inverse sur une progression graduelle, mais erratique, des actifs risqués (et une correction
des valeurs refuges), lorsque la croissance américaine retrouvera la région des 2%.
Le principal problème reste le risque politique européen. La BCE a fait ce qu’elle avait à faire, mais les règles étaient
claires : les pays de la zone euro devaient se montrer plus sérieux, en particulier en ce qui concerne les réformes structurelles
et l’exécution du budget. La BCE attendra des résultats avant de faire davantage ; tandis que les gouvernements pourraient
être tentés de jouer la montre, en attendant que les choses s’améliorent d’elles-mêmes ou grâce aux consommateurs de
dernier ressort (américains, allemands ou émergents). Ce « jeu » dans lequel chacun a intérêt à ne rien faire et à laisser l’autre
céder le premier est dangereux et pourrait amener les marchés à rouvrir la boîte de Pandore du risque systémique. Il n’est dès
lors pas étonnant que tout le monde surveille l’Italie… et la France.
Hervé GOULLETQUER Jean-François PERRIN
Croissance chinoise : pas d’atterrissage en catastrophe en vue
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Contributions à la croissance
demande (a/a, %)
Conso. Investissement
Commerce ext. PIB total
Source : CEIC, Crédit Agricole CIB
Un exemple de risque politique futur : le chômage en Espagne
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1995 1998 2001 2004 2007 2010 2013
Chômage des jeunes (<25 ans)
Chômage total
Source : Bloomberg,
Crédit Agricole CIB