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n 1995, l’essai NINDS t-PA Trial était publié, mon-
trant pour la première fois l’efficacité du t-PA donné
dans les trois premières heures de l’infarctus cérébral.
Où en est-on 10 ans plus tard ? Seuls 2 % des patients atteints
d’infarctus cérébral sont traités par t-PA aux États-Unis d’Amé-
rique (EUA). Et en France ? Par exemple en 2003, en Île-de-
France, il y a eu 110 thrombolyses parmi les 25 000 AVC qui sur-
viennent chaque année, soit 0,44 %…
Actuellement, la Société française neurovasculaire recommande de
n’utiliser le t-PA dans l’infarctus cérébral qu’au sein d’une unité de
soins intensifs neurovasculaires (USI-NV), où les compétences
requises sont réunies (encadré). Il est donc préconisé de transférer
le patient dans une USI-NV. C’est ce transfert qui est le principal
frein à la thrombolyse. Lorsqu’il y a une place, dans 80 à 90 % des
cas, le patient y arrive hors délai (au-delà de la troisième heure).
QUELLE PEUT ÊTRE LA PLACE DES MÉDECINS
URGENTISTES ET DE LA TÉLÉMÉDECINE ?
Comme pour la thrombolyse dans l’infarctus du myocarde, le
nombre de thrombolyses d’infarctus cérébraux ne décollera que
lorsqu’elles seront réalisables par les médecins urgentistes. Mais
sans le recours à une expertise neurologique, il a été montré que
le risque de complication hémorragique cérébrale symptoma-
tique pouvait augmenter jusqu’à 16 %, ce qui est totalement inac-
ceptable et explique les recommandations de la SFNV (et de
l’AFSSAPS). La solution réside peut-être dans l’utilisation de la
télémédecine. Le neurologue vasculaire de garde dans son USI-
NV pourra examiner le patient par visioconférence, l’interroger,
et visualiser son scanner. Il pourra ainsi valider l’indication posée
par le médecin urgentiste du traitement par t-PA. Le t-PA pourra
ainsi être débuté immédiatement sur place par le médecin urgen-
tiste (y compris dans le coin le plus reculé de France), puis le
patient sera transféré en USI-NV.
Cette stratégie, déjà utilisée aux États-Unis, au Canada et en
Allemagne, n’a pas encore été validée en France. Il faut d’abord
démontrer l’efficacité et la tolérance de cette procédure par un
essai randomisé versus la procédure actuellement recommandée
par l’AMM (transfert immédiat en USI-NV et thrombolyse si le
malade arrive dans les temps). Cet essai est en cours à Paris dans
le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique
(PHRC), à l’hôpital Bichat, en connexion avec 10 services d’ur-
gence d’hôpitaux investigateurs (Beaujon, Louis-Mourrier,
Ambroise-Paré, Avicenne, Nanterre, Argenteuil, Compiègne,
Provins, Melun, Lagny). Réponse dans deux ans après l’inclu-
sion d’environ 350 patients.
ET LES USI-NV, OÙ EN EST-ON ?
On aurait tort de penser que la prise en charge de l’accident vas-
culaire cérébral (AVC) à la phase aiguë se résume à la thrombolyse.
En fait, le traitement qui, jusqu’à ce jour, a été démontré comme
étant le plus efficace est la prise en charge en USI-NV (encadré I).
Cela diminue de 30 % la mortalité à 4 mois, réduit considérablement
la durée de séjour des patients (ils font moins de complications à la
La Lettre du Cardiologue - n° 388 - octobre 2005
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ÉDITORIAL
P. Amarenco*
*Centre d’accueil et de traitement de l’attaque cérébrale, hôpital Bichat, Paris.
Unités de soins intensifs neurovasculaires :
où en est-on ?
Stroke units: where are we going from here?
Encadré. Compétences réunies dans les unités de soins intensifs
neurovasculaires.
Maîtrise de l’examen neurologique
Maîtrise des diagnostics différentiels d’un AVC : au moins 15 % des cas ne
sont pas des AVC, 15 à 20 % sont des AVC du tronc cérébral de sémiologie
difficile, inhabituelle et souvent déroutante
Lecture experte du scanner cérébral ou de l’IRM
Certification pour le score du NIHSS
Certification pour le score ASPECT
Connaissance du traitement thrombolytique, de ses complications et de leur
prise en charge
Connaissance des alternatives thérapeutiques et de leurs indications
Prise en charge immédiate physiothérapique, orthophonique, ergothérapique,
psychologique
Respect des procédures de mobilisation
Respect des procédures de reprise de l’alimentation
Respect des procédures de prise en charge des complications immédiates de
l’AVC : œdème cérébral, épilepsie, pneumopathie d’inhalation, hyperglycémie
et décompensation d’un diabète, hyperthermie, complications thromboembo-
liques, troubles du rythme et décompensation cardiaque, etc.
La Lettre du Cardiologue - n° 388 - octobre 2005
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suite de leur AVC) et diminue leur handicap. On estime que sur
1000 patients traités, 50 de plus retournent indépendants à leur
domicile ; il y a 40 décès et 10 institutionnalisations en moins, com-
parativement à une prise en charge “classique” dans un service de
neurologie, de cardiologie ou de médecine interne.
Ainsi, les Agences régionales d’hospitalisation (ARH) ont décidé
d’aider au développement d’USI-NV. Malheureusement, la période
ne s’y prête guère… On voit des projets éclore ici et là. Est-ce avec
l’opportunité d’obtenir un poste de praticien hospitalier (PH) et
quelques agents supplémentaires (très peu), souvent sans l’exper-
tise ultrasons des neurologues impliqués et sans la moindre publi-
cation dans le domaine, que l’on fera des USI-NV dynamiques,
efficaces et compétentes, participant à la recherche clinique pour
faire avancer les choses ? L’avenir le dira car le mouvement est
purement sous le contrôle et la volonté des ARH. On aurait pu
espérer éviter un saupoudrage des moyens, contre-productif, et au
contraire les concentrer sur certains sites afin d’obtenir la masse
critique nécessaire en personnel médical et non médical. Il paraît
évident qu’il vaut mieux une USI-NV de 10 lits avec 4 ou 5 méde-
cins spécialisés et le personnel non médical nécessaire, que deux
unités (souvent distantes de quelques kilomètres, au moins en Île-
de-France) de 5 lits avec 1 ou 2 médecins et la moitié du person-
nel nécessaire… Mais les choix actuels sont autres.
QUELLE PEUT ÊTRE LA PLACE
DES CARDIOLOGUES DANS L’ÉTABLISSEMENT
DES USI-NV ?
Les neurologues vasculaires partagent avec les cardiologues exac-
tement les mêmes concepts de traitement de phase aiguë et de pré-
vention ; seul l’organe cible change. Certains centres de cardio-
logie sont prêts à mutualiser des lits de leur USIC. Cela peut en
effet aider considérablement à commencer une prise en charge spé-
cifique de l’AVC. Nous en avons fait une expérience extrêmement
positive et riche à Bichat, avant d’avoir nos dix lits d’USI-NV auto-
nomes. Mais une infirmière ou une aide-soignante de cardiologie
ne peut pas passer facilement de la prise en charge du syndrome
coronarien aigu à celle de l’ischémie cérébrale aiguë sans le vou-
loir et sans s’y être formée. Cela veut dire qu’il est indispensable
que les lits d’AVC au sein de l’USIC soient pris en charge par un
personnel spécifique, sans rotation sur les autres lits d’USIC. Cela
veut dire aussi que ces lits d’USIC deviennent dans les faits des
lits d’USI-NV avec un personnel médical et paramédical qui lui
est dédié. On ne peut pas demander à l’interne, au chef ou au PH
de cardiologie de superviser la prise en charge d’un AVC, comme
il ne viendrait pas à l’idée de demander au neurologue vasculaire
de superviser la prise en charge d’un syndrome coronarien aigu.
Cela dit, dans une USI-NV, on a tous les jours besoin du cardio-
logue car nos malades ont des troubles du rythme, des insuffi-
sances cardiaques, des ischémies coronaires, des sources car-
diaques d’embolie cérébrale à dépister, etc. Cette proximité
USIC/USI-NV est donc utile, sinon souhaitable, voire même
indispensable. En termes de recherche, elle est, potentiellement,
extrêmement productive.
PRÉVENTION DE L’ACCIDENT VASCULAIRE
CÉRÉBRAL ET DÉPISTAGE DES ACCIDENTS
ISCHÉMIQUES TRANSITOIRES (AIT)
En termes de soin, la collaboration USIC/USI-NV peut aboutir
à un fonctionnement en commun de certains moyens, comme
l’optimisation de la prévention secondaire par des structures
communes de prévention ainsi que nous la mettons en place à
l’hôpital Bichat avec la cardiologie, la diabétologie et la néphro-
logie. En effet, le développement des USI-NV, de la thrombolyse
et de la prise en charge de la phase aiguë de l’hémorragie et de
l’infarctus cérébral ne doit pas faire disparaître l’importance de
la prévention de l’AVC. Nous sommes tous des “risquologues”.
Mieux vaut prévenir que guérir… Les cliniques d’AIT doivent
se développer, et les cardiologues ont aussi leur rôle de soutien
à jouer dans ces unités. Le service SOS-AIT de Bichat l’illustre,
avec une augmentation de 300 % du nombre d’AIT reçus (en
hôpital de jour et de nuit) et une diminution de la durée de séjour
à moins de un jour (comparativement à 8 jours en moyenne en
France selon le PMSI : programme de médicalisation du système
d’information). Cela est, entre autres, dû à la participation active
des services de cardiologie et de neuro-imagerie.
UN TOURNANT
La prise en charge de l’ischémie cérébrale à la phase aiguë comme
en prévention est à un tournant et ne s’improvise pas. Elle requiert
beaucoup de professionnalisme, d’organisation et de compé-
tences pour ne pas décevoir. La neurologie interventionnelle
pointe le bout de son nez et pourrait connaître un essor impor-
tant. L’expérience des cardiologues doit inspirer et accompagner
l’effort de la neurologie vasculaire. Les neurologues vasculaires
vivent une époque formidable : l’attaque cérébrale peut être pré-
venue et guérie. Les neurologues auraient tort dans ces circons-
tances de développer des structures qui s’avèreraient à terme
inopérantes parce que les compétences requises n’auraient pas
été au préalable véritablement réunies pour offrir les soins légi-
timement attendus par les patients et leurs familles.
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