RECHERCHES QUALITATIVES / vol.25(1) 66
fonde cette dernière, en effet, nous contraindrait à voir dans le phénomène de la
rêverie autre chose que la rêverie elle-même, nous placerait dans un autre temps
que le temps vécu, nous ferait relier le souvenir d’enfance à un événement
positif, dans tous les cas à un événement qui a eu lieu, qui s’est inscrit dans
l’étendue du temps et de l’espace, qui s’est transformé en document pour la
conscience et en archive pour la mémoire.
Dans le préambule de « La poétique de la rêverie », Bachelard (1960),
en évoquant l’exigence d’objectivité de la psychologie, pose ainsi une question
qui marque l’inéluctable divergence de son projet qui se réclame de la
phénoménologie, de celui de la psychologie objective, moderne, qu’on a fondé
sur un concept de méthode hérité des sciences naturelles. Le philosophe, en
méditant cette rupture épistémologique, écrit :
Tout serait plus simple, semble-t-il, si nous suivions les bonnes
méthodes du psychologue qui décrit ce qu’il observe, qui mesure
les niveaux, qui classe les types – qui voit naître l’imagination
chez les enfants, sans jamais, à vrai dire, examiner comment elle
meurt chez le commun des hommes ?
Mais un philosophe peut-il devenir psychologue ? Peut-il plier
son orgueil jusqu’à se contenter de la constatation des faits alors
qu’il est entré, avec toutes les passions requises, dans le domaine
des valeurs ? Un philosophe reste, comme on dit aujourd’hui, en
situation philosophique, il a parfois la prétention de tout
commencer ; mais hélas, il continue… Il a lu tant de livres de
philosophie ! Sous prétexte de les étudier, de les enseigner, il a
déformé tant de systèmes ! Quand le soir est venu, quand il
n’enseigne plus, il croit avoir le droit de s’enfermer dans le
système de son choix. Et c’est ainsi que j’ai choisi la
phénoménologie dans l’espoir de réexaminer d’un regard neuf les
images follement aimées, si solidement fixées dans ma mémoire
que je ne sais plus si je me souviens ou si j’imagine quand je les
retrouve en mes rêveries. (p. 2)
Bachelard, en nous invitant dans un lieu épistémologique qui se situe à
mi-chemin de la confidence personnelle et de la déclinaison de son parcours
philosophique, laisse clairement deviner les motifs l’ayant persuadé de renoncer
à « psychologiser la rêverie ». D’entrée de jeu, en effet, Bachelard (1960) établit
avec insistance qu’il ne souhaite pas réduire l’expérience8 de la rêverie à un fait
psychologique. « La phénoménologie, insiste-t-il, est fondée à prendre l’image
poétique dans son être propre, en rupture avec un être antécédent » (p.3). Ni la
psychanalyse, à qui il attribue la préséance du symbole et du désir, ni la
psychologie scientifique, qu’il intègre au mouvement positiviste, ne saura, pour