Livret: La part éducative dans le travail de l`assistant familial

Observatoire départemental de la protection de l’enfance
Synthèse réalisée par Yvette Garnier-Moulin, sur la base de sa thèse de doctorat
en sciences de l’éducation intitulée « Reconnaissance et éducation informelle,
étude à partir de la formation diplômante des assistants familiaux ».
Les Après-M’
de la protection
de l’enfance
La part éducative
dans le travail
de l’assistante familiale
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Les «nourrices» ont toujours été pour moi une source de questionnements, autant sur le plan personnel que
professionnel. De 1972 à aujourd’hui, de l’agrément auquel je devais participer comme assistante sociale de
secteur, à l’accompagnement à l’écriture d’ouvrages collectifs sur leur pratique, en passant par les décisions de
signalements d’enfants en danger comme responsable d’une circonscription d’action sociale et les subtils moments
du Diplôme d’Etat d’Assistant Familial (DEAF) comme formatrice, j’ai découvert là des familles particulières. Aussi
je voudrais présenter ma façon d’aborder le parcours de reconnaissance engagé par cette profession, non pour y
armer quelques idées sur leur rôle spécique car elles peuvent le faire mieux que moi, mais pour engager un
dialogue sur l’éducation familiale ou chacun des acteurs doit pouvoir apporter ses pratiques et ses compétences,
y compris celles qui restent aujourd’hui encore cachées dans l’évidence du quotidien.
Un bref rappel de l’historique de ce métier précédera une analyse de la reconnaissance établie par la loi de 2005
et le référentiel de compétences, ensuite en s’ appuyant sur mon travail de doctorat seront abordés les vécus de
20 assistantes familiales
1
, dont 9 étaient récemment diplômées et comment leurs propos interpellent la poursuite
du processus de professionnalisation.
Yvette Garnier-Moulin
1 C’est au regard de cette étude, mais aussi de la place tenue par les femmes dans ce métier, que nous privilégions le féminin
pour en parler.
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La part éducative dans le travail
de l’assistant-e familial-e
L’histoire des nourrices en France, comme forme sociale et solidaire de soins et d’éducation apportés aux
enfants « qui ne sont pas les siens », a évolué en fonction d’enjeux contradictoires, sociaux, politiques et
économiques. Les reconnaissances de ce métier suivent l’évolution de la place de l’enfant dans nos sociétés
occidentales, mais elles dépendent également de la place attribuée à la femme, à l’économie domestique et
à l’éducation familiale au cours des siècles. Il convient de replacer brièvement l’historique du métier d’assistant
familial qui, encore aujourd’hui, inuence les représentations de ce métier.
« Garder » les enfants des autres :
une « occupation » en quête
de reconnaissance pendant des siècles.
Jusqu’à la fin du 18ème siècle, les enfants élevés
par leur mère sont une exception pour l’ensemble
des classes sociales. La « fonction d’élevage » des
premières années est liée au corps de la femme,
(nourrir l’enfant au sein est réservée aux domestiques
ou à un sous-prolétariat). Malgré le souci porté aux
indigents, malades et enfants abandonnés par
certaines œuvres et hôpitaux généraux2 en réponse
à la très forte mortalité infantile et aux craintes du
vagabondage, l’enfant reste généralement une gène,
en particulier dans les villes. La place de celles qui les
élèvent est donc peu valorisée.
Au 19ème siècle, d’un point de vue économique, la
division à l’œuvre depuis le 17ème siècle entre, un
travail productif valorisé et un travail domestique
renvoyé dans la sphère du privé, se renforce. Le jeune
enfant devient un être humain dont il faut envisager
l’avenir (sa mise au travail), les questions sociales
deviennent alors des enjeux centraux. Les femmes
sont ainsi renvoyées dans la sphère domestique et,
l’éducation des enfants, ce travail naturellement
féminin qui n’a aucune valeur économique, les laisse
dans la dépendance du mari. « Le système donne aux
femmes des responsabilités domestiques lourdes en
même temps qu’il permet d’armer que ces femmes
ne travaillent pas » (S. Agacinski, 1998).
La nourrice est celle dont on peut attendre le meilleur
comme le pire et chaque parent oscille entre la plus
totale conance et la plus grande méance. Cette
femme, qui garde les enfants pour de l’argent, est
suspecte . Au regard des conditions sordides des
placements, la vindicte se porte sur les nourrices plus
que sur les parents qui souvent « oublient » de les
payer. La majorité d’entre elles sont issues du milieu
rural, très pauvres et n’ont pas d’autres possibilités
d’emploi.
C’est sous l’influence du pouvoir médical qu’une
politique plus interventionniste se met en place à
partir des années 19203. Il convient de veiller à la
bonne santé physique des enfants placés. Mais il
faudra attendre les ordonnances de 1945 pour voir
une véritable organisation des services de protection
de l’enfance, puis le décret de 1956 qui mettra en
2 Exemple : Œuvres de Vincent de Paul
3 Exemple : Œuvre du docteur Grancher
4
place les conditions de collaboration entre famille
d’accueil et les services ASE4. En 1962, un nouveau
décret annonce les conditions d’un agrément (ne
faisant pas de différence entre les nourrices « de
jour » et les nourrices « temps plein »). La fonction
de salarié, avec les droits sociaux qui lui sont associés,
est reconnue progressivement dans les années 1977,
1979, 1980 et 1992 (plus tardivement par rapport aux
autres métiers de la petite enfance).
Après l’influence hygiéniste qui avait le souci des
enfants placés jusqu’au milieu du XXème siècle, ce
sont les pédo-psychiatres qui prennent le relais et
qui, grâce à leur approche clinique des enfants
placés traumatisés par la dernière guerre5, vont faire
reconnaître la nécessité des soins psychiques à leur
apporter. Une nécessité de formation pour celles
qu’on appelle alors « assistantes maternelles » fait
suite à ce constat.
Si dans les premiers temps la formation est basée sur
le volontarisme, celle-ci devient obligatoire en 1992.
Cela constitue un tournant essentiel dans le processus
de professionnalisation, ce dernier sera clairement
réaffirmé dans la loi de juin 2005, apportant un
cadre plus strict à la formation, proposant un diplôme
d’état, intégrant les assistantes familiales au sein des
équipes de travailleurs sociaux.
Aujourd’hui un récent rapport d’état6 fait état de
plus de 80 000 enfants placés en famille d’accueil
au niveau national. Or, la plupart des départements
voient arriver les départs en retraite de ces familles
d’accueil alors que les besoins restent importants,
des campagnes de recrutement sont engagés
par certains. Il est un fait que pour des raisons
tant économiques que sociales et politiques,
ce mode d’accueil reste privilégié dans toute la
communauté européenne, (même si le processus de
professionnalisation enclenché en France ne semble
pas partagé dans les autres pays européens).
En France, les recrutements récents montrent un
changement de prol des candidatures, de plus en
plus d’hommes se sentent concernés par ce métier
d’accueil, même si les femmes restent largement
majoritaires, le niveau scolaire et professionnel des
postulants-es augmente. Le métier n’est plus un
« petit boulot », une voie d’insertion dans le monde
salarié, mais un véritable choix parmi d’autres qui
s’opère souvent vers la quarantaine. S’il s’envisage
toujours dans un souci de qualité de vie familiale,
la dimension « d’un service social » élaboré au sein
d’une équipe pluri-professionnelle est de plus en plus
présente et la nécessité d’être formé à ce métier n’est
plus remise en cause.
Le référentiel de compétences, élaboré dans la loi
de Juin 2005, cadre les modes de certication du
diplôme et organise la formation en trois domaines
de compétences7. De l’avis général des professionnels
du secteur, cette loi est une réelle reconnaissance et
j’ai tenté dans mon travail de recherche, de savoir si
elle répondait aux attentes des assistantes familiales,
et si non, pourquoi ?
4 ASE : Aide Sociale à l’Enfance
5 Nous pensons plus particulièrement aux docteurs Myriam David, P. Soulé, Lebovichi...
6 Rapport de novembre 2011 de Mme M. Derain nommée «Défenseuse des enfants»
7 DC1 : l’accueil de l’enfant, DC2 : la socialisation de l’enfant, DC3 : la communication professionnelle
5
2005 : Une formation, un diplôme d’état,
une place au sein des équipes
Une reconnaissance professionnelle
réelle mais partielle
La loi de 2005 offre d’abord aux assistants-es
familiaux-les la possibilité d’obtenir une légitimité
sociale, en dehors de cadres de références spéciques
et limités, comme leur propre famille ou leur
employeur, et il peut apparaître regrettable que cette
légitimité ne soit qu’optionnelle8.
Le travail de théorisation, préalable à la mise en place
de la loi, a permis l’élaboration d’un référentiel qui
fait de cet emploi « l’un des rares métiers spécialisés
de la protection de l’enfance » (A. Oui, 2010). Le
dénuement et la solitude dans lesquels ont été
laissées les femmes qui accueillaient les enfants
placés n’existent plus. Les approches de la médecine
et de la psychanalyse ont pu justier l’importance de
suivis professionnels réguliers et complémentaires
où les assistants-es familiaux-les sont des acteurs
centraux qu’il est nécessaire de former9.
Notons néanmoins que c’est par un corpus
juridique que s’est amélioré la profession, et si la
reconnaissance se développe dans la forme du droit,
un chemin reste à faire pour que la place sociale
qui leur est ainsi attribuée soit eective auprès des
familles, des équipes10 et de la société en général.
Si on regarde de plus près cette théorisation, il
apparaît de « compétence » renvoie essentiellement
au domaine managérial, comme des actions reposant
sur un programme institutionnel que les individus
doivent savoir effectuer correctement. Les termes
« moyens », « outils », « ressources », « besoins » et
« savoirs » utilisés dans ce référentiel renforcent cet
aspect managérial et individualiste des compétences,
alors que celles-ci nous apparaissent plutôt dans
une approche de type cognitiviste, comme des
savoirs d’usages qui s’élaborent dans un processus
permanent et dans des rapports à un environnement
toujours spécique.
En poursuivant un peu cette analyse, à partir d’un
classement des verbes utilisés par exemple, on
peut observer que les capacités les plus attendues
sont : l’observation, l’adaptation et la coopération.
Ces actions sont en premier lieu la réponse aux
attentes des équipes qui les accompagnent, d’autres
compétences citées comme, « savoir repérer » ou
« savoir répondre » sont envisagées « en sachant
avoir recours à l’équipe pluridisciplinaire ». On ne
relève pas moins de six rappels à l’équipe et aux
règles de l’institution.
Ce qui apparaît surprenant dans cette formalisation,
c’est l’absence d’autres capacités qui font à l’évidence
partie du socle des pré-requis nécessaires pour
assurer ce métier : citons pour exemple les capacités
organisationnelles (dans l’espace, la temporalité,
le relationnel familial), les capacités réactives et
créatives, les capacités réflexives, et surtout les
capacités dites du care relevant globalement du souci
d’autrui ( avec cette dimension dite « de l’amour »
que revendiquent les assistantes familiales). Certes,
comme le dit S. Euillet (2010) ce référentiel porte sur
les compétences spéciques attendues, mais il laisse
dans l’ombre d’autres compétences dont on estime
qu’elles sont déjà élaborées dans le cadre familial.
La question se pose alors de savoir si ces compétences
sont envisagées comme encore naturellement
féminines ou comme naturellement présentes dans
ces familles d’accueil ? Est-ce à dire qu’elles n’ont pas
à être exprimées, rendues visibles et valorisées ? Ou,
ne pouvant être acquises dans ce cadre institutionnel,
ces compétences de base n’ont pas à être reconnues
par un référentiel d’État ?
8 Les assistants-es familiaux-les ne sont pas dans l’obligation de passer le DEAF à la n de la formation.
9 La formation des «nourrices» a longtemps été sujet à débats.
10 Voir à ce propos le DSTS-Master de S. Le labourier «les assistants familiaux entre droits salariaux et intérêts de l’enfant,
des travailleurs sociaux en quête de reconnaissance», 2009.
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