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et religio au cœur même de chaque Moi. Si donc une telle éthique et
religion est en un certain sens la culture même, toute culture véritable-
ment vivante ne peut manquer de renvoyer à un Absolu immédiat au
lieu de s’ériger elle-même en absolu par un projet d’autonomie illu-
soire, comme la technique se le propose aujourd’hui. Un savoir bâti
sur un voir théorique, scientifique, technique, monétaire, etc.,
implique une maîtrise du vu qui doit s’intégrer dans le projet du voir
qui lui est supérieur en tant qu’objectivité, progrès, bien commun.
C’est une logique implacable qui préside à l’activité de ce sujet occi-
dental de la connaissance, c’est-à-dire de cet homme-vision se mode-
lant finalement sur ce qu’il voit: il ne devient pas seulement principe
d’objectivité, comme dans la philosophie classique, mais finalement
l’objet lui-même, comme dans les épistémologies modernes héritières
de cette philosophie de la connaissance-lumière.
L’analyse phénoménologique de la toute-puissance et de la domi-
nation dans la culture est construite ici à partir de l’hétérogénéité entre
le voir ekstatique et le vivre immanent ou religieux. Cette distinction
ne se révèle donc pas seulement possible, mais d’une importance
décisive pour fonder une véritable liberté créatrice obéissant à la
modalisation des lois intérieures ou pathétiques de la vie. L’éthique et
la religion du non-voir de la vie exclut que n’importe quel «autre»
soit obligé de s’exhiber par le discours, l’action efficace ou les confes-
sions idéologiques. La légitimité de sa vie ne réside en effet dans
aucune démonstration visible, mais dans le fait transcendantal de sa
«naissance» dans la vie absolue et par celle-ci. Ce respect qu’on peut
appeler méta-éthique est donc, en même temps, religieux puisque le
lien culturel avec autrui émane du lien commun qui immerge chacun
en la vie absolue. Cette éthique culturelle ou cette culture éthique
implique, par conséquent, une évaluation catégorique du savoir maté-
riel et objectif comme relatif –le savoir subjectif étant le seul à être
absolu. De cette manière, il n’est bien entendu pas question de cesser
d’organiser le monde matériel afin que la vie – qui est «nécessité de
vivre» et donc répétition – soit possible en suivant son mouvement
propre. On n’y cherche toutefois plus l’essentiel de ce que nous
sommes. Toute idéologie se trouve ainsi exclue sion entend ici par
idéologie la réduction de la vie humaine et transcendantale en
dernière analyse à un aspect partiel, qu’il soit d’ordre biologique,
social, politique, confessionnel ou philosophique3. Une phénoméno-
3. Sur la critique de l’idéologie, cf.HENRY, Marx. T.I.Une philosophie de la
réalité, pp.368 et suiv.; S.BRUNFAUT, «D’une fantastique à une fantomatique de l’af-
fect. L’ambivalence de l’idéologie dans le Marx de Michel Henry», Revue Interna-
tionale Michel Henry n°1, 2010, pp.101-119.
ROLF KÜHN196
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