13/12/04 15:41 Page 1 Le courrier des pays de l’Est Le courrier des pays de l’Est J'ai 40 ans…1964-2004 Le système économique. Des pseudo-réformes à la destruction créatrice ● Fragmentations et recompositions. Allemagne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, URSS ● Est-Ouest. Des échanges contrariés ● Le CAEM. Echec d'une mutualisation imposée ● La consommation. Des pénuries à une abondance mal répartie ● L'emploi. Du droit au travail pour tous à l'explosion du chômage ● L'énergie. Atout ou handicap ? ● Les industries de défense. Une mue douloureuse ● Le monde agricole. Eternel perdant ? ● Les transports. Entre routes cahoteuses et projets pharaoniques ● Repères bibliographiques 1964-2004 Numéro conçu et réalisé par Céline Bayou, Jaroslav Blaha, Marie-Bernard Clauzier, Marie-Agnès Crosnier, Daniela Heimerl, Michèle Kahn, Edith Lhomel, Laurent Rucker Imprimé en France Dépôt légal : décembre 2004 DF 08202-3-1046 ISSN : 0590-0239 CPPAP N° 0209 B 05929 13 € N° 1046 ■ novembre-décembre 2004 ● J'ai 40 ans… 1964-2004 Avant-propos dF novembre-décembre 2004 BIMESTRIEL N°1046 exe couv CPE 1046 BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALEEUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE RUSSIE CAU-CASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAU-CASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE Le courrier des pays de l’Est J’ai 40 ans... p 2-3 CPE 1046 couvEXE 16/12/04 17:28 Page 1 Comité scientifique Secrétariat général du Gouvernement Direction de La Documentation française 29-31, quai Voltaire 75344 Paris Cedex 07 Téléphone : 01 40 15 70 00 Télécopie : 01 40 15 72 30 www.ladocumentationfrancaise.fr Gilles Andréani Directeur du CAP, ministère des Affaires étrangères ● Hélène Carrère d'Encausse de l'Académie française ● François David Directeur général de la Coface ● Alain Etchegoyen Commissaire général au Plan ● Lionel Fontagné Directeur du CEPII ● Pierre Hassner Chercheur au CERI ● Marie Lavigne Institut des sciences mathématiques et économiques appliquées ● Michel Lesage Professeur, Université Paris I ● Jacques Lévesque Professeur, Université du Québec, Montréal ● Marie-Claude Maurel Directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales ● Thierry de Montbrial Directeur de l'IFRI ● Grégoire Postel-Vinay Chef de l'Observatoire des stratégies industrielles, ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ● Jean-Pierre Saltiel Président, Rothschild Conseil International ● Jean-Pierre Trotignon Directeur général du CFCE et d’UBIFrance Comité éditorial Directeur de la publication Olivier Cazenave Rédactrice en chef Marie-Agnès Crosnier Rédacteurs Céline Bayou, Jaroslav Blaha Daniela Heimerl, Michèle Kahn Edith Lhomel, Laurent Rucker Secrétariat d’édition Marie-Bernard Clauzier François Bafoil Directeur de recherche CNRS au CERI ● François Benaroya Conseiller pour les affaires économiques internationales auprès des directeurs de la DREE et du Trésor ● Alexis Berelowitch Directeur du Centre franco-russe en sciences sociales de Moscou ● Jean-Pierre Broclawski Chargé de mission, Direction de la prévision ● Dominique Colas Professeur, IEP Paris ● Jean-Luc Delpeuch Directeur de l’École nationale des Arts et Métiers de Cluny, ancien Secrétaire général adjoint SGCI ● Gérard Duchêne Directeur du ROSES ● Farid El Alaoui Professeur, ESSC Angers ● Renaud Girard Journaliste ● Bernard Guetta Journaliste ● Marie Mendras Chercheur, CERI ● Claire Mouradian Directrice de recherche au CNRS ● Jean-Yves Potel Conseiller de coopération scientifique, technique et culturelle à l’Ambassade de France à Varsovie ● Georges Sokoloff Professeur, INALCO ● Gérard Wild Chargé de mission, CEPII A nos lecteurs Téléphone : 01 40 15 71 48 Télécopie : 01 40 15 67 88 [email protected] Deux nouveautés concernant Le courrier des pays de l’Est © La Documentation française En allant sur le site http://www.ladocumentationfrancaise.fr En application de la loi du 11 mars 1957 (art.41) et du code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l'éditeur. Il est rappelé à cet égard que l'usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l'équilibre économique des circuits du livre. Religions, pouvoir et société Europe centrale, Balkans, CEI ● Le Vatican et les pays d'Europe centrale. De l'Ostpolitik aux concordats Jean-Yves Rouxel ● Les musulmans des Balkans. Ou l'islam de "l'autre Europe" Nathalie Clayer ● Les religions et l'Etat en Russie. Une relation équivoque Agnieszka Moniak-Azzopardi ● Les Eglises ukrainiennes. Entre Rome, Moscou et Constantinople Natalka Boyko, Kathy Rousselet ● Le christianisme en Asie centrale. Miroir des évolutions politiques Sébastien Peyrouse Articles et documents Pétrole russe et investisseurs étrangers. Des intérêts divergents Catherine Locatelli Le chômage en Russie et en Ukraine Natalia Logvinova La Ligue des familles polonaises. Montée en puissance d'un parti anti-européen Katarzina Czernicka Portrait Le Centre d'analyse sur les stratégies et les technologies de Moscou (CAST) Laurent Rucker ● Inscrivez-vous pour recevoir gratuitement La Lettre électronique mensuelle du CPE ● Abonnez-vous ou achetez un n° en ligne, à des tarifs préférentiels Avertissement au lecteur Les opinions exprimées dans les articles n’engagent que leurs auteurs. Ces articles ne peuvent être reproduits sans autorisation. Celle-ci doit être demandée à La Documentation française. N° 1045, septembre-octobre 2004 Numéro spécial Retrouvailles européennes Conception graphique Contacts Le dossier Europe centrale et orientale 2003-2004. Composition Annie Borderie Studio des éditions de La Documentation française Titres récents parus dans Le courrier des pays de l’Est Albanie Edith Lhomel, Bosnie-Herzégovine Michel Roux, Bulgarie Nadège Ragaru, Croatie Daniel Thomas Estonie Antoine Chalvin, Hongrie Liliane Petrovic, Lettonie Céline Bayou, Lituanie Géraldine Bertrand, Macédoine Nadège Ragaru, Assen Slim Pologne Dorota Dakowska, Antoine Danzon, Marc Lantéri, République tchèque Jaroslav Blaha Roumanie Edith Lhomel, Serbie-et-Monténégro Daniela Heimerl, Slovaquie Jaroslav Blaha, Slovénie Fabienne Beaumelou, Urska Planinsec Annexes : chronologies 2003-2004, tableaux des grands indicateurs économiques, principales formations politiques, résultats des dernières élections, composition des gouvernements, sélections bibliographiques. N° 1044, juillet-août 2004 (268 p.) Commandes La documentation Française 124, rue Henri Barbusse 93308 Aubervilliers Cedex FRANCE Téléphone 01 40 15 70 00 Télécopie 01 40 15 68 00 www.ladocumentationfrancaise.fr Nos librairies Paris 29-31, quai Voltaire 75007 Paris FRANCE Lyon Cité administrative La Part-Dieu 165, rue Garibaldi 69003 Lyon FRANCE Tarifs 2004 Numéro simple : 13 € Numéro spécial : 19 € Abonnement d’un an (6 numéros) France : 80 € Europe : 86 € DOM-TOM : 84,20 € Autres pays : 92 € Supplément avion : 15 € p 2-3 CPE 1046 couvEXE 16/12/04 17:28 Page 1 Comité scientifique Secrétariat général du Gouvernement Direction de La Documentation française 29-31, quai Voltaire 75344 Paris Cedex 07 Téléphone : 01 40 15 70 00 Télécopie : 01 40 15 72 30 www.ladocumentationfrancaise.fr Gilles Andréani Directeur du CAP, ministère des Affaires étrangères ● Hélène Carrère d'Encausse de l'Académie française ● François David Directeur général de la Coface ● Alain Etchegoyen Commissaire général au Plan ● Lionel Fontagné Directeur du CEPII ● Pierre Hassner Chercheur au CERI ● Marie Lavigne Institut des sciences mathématiques et économiques appliquées ● Michel Lesage Professeur, Université Paris I ● Jacques Lévesque Professeur, Université du Québec, Montréal ● Marie-Claude Maurel Directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales ● Thierry de Montbrial Directeur de l'IFRI ● Grégoire Postel-Vinay Chef de l'Observatoire des stratégies industrielles, ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ● Jean-Pierre Saltiel Président, Rothschild Conseil International ● Jean-Pierre Trotignon Directeur général du CFCE et d’UBIFrance Comité éditorial Directeur de la publication Olivier Cazenave Rédactrice en chef Marie-Agnès Crosnier Rédacteurs Céline Bayou, Jaroslav Blaha Daniela Heimerl, Michèle Kahn Edith Lhomel, Laurent Rucker Secrétariat d’édition Marie-Bernard Clauzier François Bafoil Directeur de recherche CNRS au CERI ● François Benaroya Conseiller pour les affaires économiques internationales auprès des directeurs de la DREE et du Trésor ● Alexis Berelowitch Directeur du Centre franco-russe en sciences sociales de Moscou ● Jean-Pierre Broclawski Chargé de mission, Direction de la prévision ● Dominique Colas Professeur, IEP Paris ● Jean-Luc Delpeuch Directeur de l’École nationale des Arts et Métiers de Cluny, ancien Secrétaire général adjoint SGCI ● Gérard Duchêne Directeur du ROSES ● Farid El Alaoui Professeur, ESSC Angers ● Renaud Girard Journaliste ● Bernard Guetta Journaliste ● Marie Mendras Chercheur, CERI ● Claire Mouradian Directrice de recherche au CNRS ● Jean-Yves Potel Conseiller de coopération scientifique, technique et culturelle à l’Ambassade de France à Varsovie ● Georges Sokoloff Professeur, INALCO ● Gérard Wild Chargé de mission, CEPII A nos lecteurs Téléphone : 01 40 15 71 48 Télécopie : 01 40 15 67 88 [email protected] Deux nouveautés concernant Le courrier des pays de l’Est © La Documentation française En allant sur le site http://www.ladocumentationfrancaise.fr En application de la loi du 11 mars 1957 (art.41) et du code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l'éditeur. Il est rappelé à cet égard que l'usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l'équilibre économique des circuits du livre. Religions, pouvoir et société Europe centrale, Balkans, CEI ● Le Vatican et les pays d'Europe centrale. De l'Ostpolitik aux concordats Jean-Yves Rouxel ● Les musulmans des Balkans. Ou l'islam de "l'autre Europe" Nathalie Clayer ● Les religions et l'Etat en Russie. Une relation équivoque Agnieszka Moniak-Azzopardi ● Les Eglises ukrainiennes. Entre Rome, Moscou et Constantinople Natalka Boyko, Kathy Rousselet ● Le christianisme en Asie centrale. Miroir des évolutions politiques Sébastien Peyrouse Articles et documents Pétrole russe et investisseurs étrangers. Des intérêts divergents Catherine Locatelli Le chômage en Russie et en Ukraine Natalia Logvinova La Ligue des familles polonaises. Montée en puissance d'un parti anti-européen Katarzina Czernicka Portrait Le Centre d'analyse sur les stratégies et les technologies de Moscou (CAST) Laurent Rucker ● Inscrivez-vous pour recevoir gratuitement La Lettre électronique mensuelle du CPE ● Abonnez-vous ou achetez un n° en ligne, à des tarifs préférentiels Avertissement au lecteur Les opinions exprimées dans les articles n’engagent que leurs auteurs. Ces articles ne peuvent être reproduits sans autorisation. Celle-ci doit être demandée à La Documentation française. N° 1045, septembre-octobre 2004 Numéro spécial Retrouvailles européennes Conception graphique Contacts Le dossier Europe centrale et orientale 2003-2004. Composition Annie Borderie Studio des éditions de La Documentation française Titres récents parus dans Le courrier des pays de l’Est Albanie Edith Lhomel, Bosnie-Herzégovine Michel Roux, Bulgarie Nadège Ragaru, Croatie Daniel Thomas Estonie Antoine Chalvin, Hongrie Liliane Petrovic, Lettonie Céline Bayou, Lituanie Géraldine Bertrand, Macédoine Nadège Ragaru, Assen Slim Pologne Dorota Dakowska, Antoine Danzon, Marc Lantéri, République tchèque Jaroslav Blaha Roumanie Edith Lhomel, Serbie-et-Monténégro Daniela Heimerl, Slovaquie Jaroslav Blaha, Slovénie Fabienne Beaumelou, Urska Planinsec Annexes : chronologies 2003-2004, tableaux des grands indicateurs économiques, principales formations politiques, résultats des dernières élections, composition des gouvernements, sélections bibliographiques. N° 1044, juillet-août 2004 (268 p.) Commandes La documentation Française 124, rue Henri Barbusse 93308 Aubervilliers Cedex FRANCE Téléphone 01 40 15 70 00 Télécopie 01 40 15 68 00 www.ladocumentationfrancaise.fr Nos librairies Paris 29-31, quai Voltaire 75007 Paris FRANCE Lyon Cité administrative La Part-Dieu 165, rue Garibaldi 69003 Lyon FRANCE Tarifs 2004 Numéro simple : 13 € Numéro spécial : 19 € Abonnement d’un an (6 numéros) France : 80 € Europe : 86 € DOM-TOM : 84,20 € Autres pays : 92 € Supplément avion : 15 € N° 1046 novembre-décembre 2004 le courrier des pays de l’Est Sommaire J’ai 40 ans... 1964-2004 Avant-propos 3 Le système économique. Des pseudo-réformes à la destruction créatrice 6 Fragmentations et recompositions. Allemagne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, URSS 24 ● Est-Ouest. Des échanges contrariés 39 ● Le CAEM. Echec d’une mutualisation imposée 52 ● La consommation. Des pénuries à une abondance mal répartie 65 L’emploi. Du droit au travail pour tous à l’explosion du chômage 80 ● L’énergie. Atout ou handicap ? 93 ● Les industries de défense. Une mue douloureuse 107 ● Le monde agricole. Eternel perdant ? 124 ● Les transports. Entre routes cahoteuses et projets pharaoniques 148 Repères bibliographiques 1964-2004 161 ● ● ● ● Ce numéro a été conçu et réalisé par Céline Bayou, Jaroslav Blaha, Marie-Bernard Clauzier, Marie-Agnès Crosnier, Daniela Heimerl, Michèle Kahn, Edith Lhomel, Laurent Rucker 1 N° 1046 novembre-décembre 2004 Comment lire J’ai 40 ans... Cette livraison est entièrement dédiée au 40e anniversaire du Courrier des pays de l’Est, né en 1964. Pour illustrer la façon dont la revue a rendu compte de cette période, dix thèmes ont été retenus. Ils sont loin de fournir une vision globale du paysage éditorial de la publication, mais donnent quelques coups de projecteurs sur des aspects qui nous semblent représenter au mieux l’évolution qu’a connue la région étudiée. Ces différents thèmes sont synthétisés et mis en perspective dans une introduction (en italique), puis traités à partir d’extraits d’articles ayant été publiés dans la revue. A la fin de chacun des extraits figurent le nom de l’auteur, son appartenance professionnelle, le titre de l’article et le numéro dans lequel ce dernier a été publié. Par manque de place, l’approche transversale a été privilégiée, ce qui prive donc le lecteur des contributions portant sur l’analyse d’un pays, d’une région, des relations bilatérales, etc. Pour ceux qui souhaiteraient poursuivre ce voyage dans le passé, des bibliographies rappellent ce qui est paru dans la collection sur tous les thèmes traités. 2 le courrier des pays de l’Est J’ai 40 ans... Avant-propos Du limogeage de Nikita Khrouchtchev à l'entrée dans l'Union européenne de huit pays de l'ex-camp socialiste, Le courrier des pays de l'Est a parcouru à ce jour tout ce chemin en cherchant à lui donner sens. «Fournir une information sérieuse, indépendante et régulière à ceux qui étaient appelés à entrer en relation avec l'URSS et les démocraties populaires», tel était le credo des quelques chercheurs, enseignants, journalistes, acteurs économiques réunis par François de Liencourt en cette fin de 1963. Diplomate, notamment à Moscou, il avait assisté, navré, à la mise en place du rideau de fer et ne souhaitait rien tant que le rétablissement des contacts, ce qui passait, selon lui, par une bonne connaissance de cet «autre monde». C'est donc à cette mission que sera dédié Le courrier des pays de l'Est dont la création, aux premiers jours du printemps 1964, doit beaucoup à l'enthousiasme contagieux et à la ténacité de son fondateur. Son projet bénéficie d'ailleurs du soutien de personnalités, comme Hélène Carrère d'Encausse, François Perroux, le père Chambre, Marc Ferro, Marie Lavigne, Basile Kerblay… qui forment un comité de parrainage et un comité d'orientation. De cette date à août 1968, la revue réalisée alors avec notamment les concours de Bernard Féron (rédacteur en chef) et de la regrettée Amber Bousoglou (secrétaire de rédaction), qui se sont ensuite illustrés l'un et l'autre au journal Le Monde, paraît toutes les deux semaines et donne une place privilégiée aux thèmes économiques, même si des événements politiques peuvent être commentés dans l'éditorial et dans la rubrique «Nouvelles générales». Sa couverture géographique est très étendue puisque, dès les premiers numéros, la Chine communiste a sa place aux côtés de l'URSS et de l'Europe de l'Est, ainsi que, plus épisodiquement, d'autres pays du camp, comme Cuba et le Vietnam. Le Centre national du commerce extérieur (CNCE, devenu Centre français du commerce extérieur, CFCE), présent dès les premières heures, puisque Le courrier des pays de l'Est est imprimé sur ses rotatives deux fois par mois, acquiert une importance prépondérante après le voyage du Général de Gaulle en URSS (juin 1966) qui a, entre autres, donné un coup de fouet à la demande d'informations sur ce pays et, dans la foulée, sur l'ensemble du monde communiste. C'est en effet, cette institution qui prend en charge, à partir de septembre 1968, l'intégralité du financement de la revue, sa direction restant aux mains de JeanPierre Saltiel, militant ardent de la coopération Est-Ouest, tandis que la rédaction en chef revient à Georges Sokoloff (Groupe d'études prospectives sur les échanges internationaux du CNCE, qui deviendra finalement le Centre d'études prospectives et d'informations internationales près le Commissariat général au Plan). Si cette transmission du témoin s'inscrit dans l'air du temps (le voyage présidentiel en URSS), elle est également favorisée par la création 3 N° 1046 novembre-décembre 2004 en 1967, au sein de la Documentation française, du Centre d'études sur l'URSS, la Chine et l'Europe orientale (le futur Ceducee), chargé de rassembler l'information économique sur les pays de l'Est pour la diffuser auprès des administrations et des milieux d'affaires français, et dont la direction est confiée à Françoise Barry. L'équipe formée par celle-ci a été aussitôt associée à la réalisation de la revue aux côtés de celle entourant Georges Sokoloff au CNCE et qui en demeurait la locomotive. A partir de septembre 1968, Le courrier des pays de l'Est devient mensuel (à raison de dix parutions par an) et son contenu exclusivement économique, mais garde de la première formule la place importante accordée à la rubrique «Informations économiques et commerciales», constituée tout d'abord de brèves qui, au fil du temps, vont s'étoffer pour devenir de véritables articles. Fin 1975, le CFCE se retire du jeu et le périodique est repris par La Documentation française. Ce changement s'explique par des raisons d'ordre financier, mais il entérine également la reconnaissance du rôle croissant joué par les collaborateurs du Ceducee dans la réalisation de la revue : à cette époque, sur une équipe totale de 19 rédacteurs, 12 émargeaient à la Documentation française. Enfin, il était logique de rapprocher Le courrier des pays de l'Est du Ceducee, comme allait le montrer l'étroite symbiose qui s'établirait entre activités documentaires et travail rédactionnel. A partir de janvier 1976, la rédaction en chef est assurée par Françoise Barry, Georges Sokoloff devenant conseiller scientifique et le Groupe d'études prospectives internationales continuant de participer activement à la publication. 4 Placée sur d'autres rails, celle-ci n'en poursuit pas moins la même trajectoire, tout en cherchant à présenter l'information sous une forme plus élaborée. La structure du sommaire est modifiée à diverses reprises et enrichie : aux articles, qui s'organisent selon la distinction dossier/ varia, s'ajoutent une page consacrée à l'actualité politique dans la région tenue par Thomas Schreiber, journaliste à Radio France internationale, ainsi que des recensions d'ouvrages et, plus tard, des comptes rendus de colloques. Par ailleurs, deux livraisons spéciales, Le panorama de l'URSS (février-mars 1979, 256 p.) et Le panorama de l'Europe de l'Est (août-septembre-octobre 1986, 304 p.) ont connu un certain succès de librairie. La perestroïka gorbatchévienne, puis l'effondrement des régimes communistes vont, pendant un temps, captiver l'attention du public, qui prend brusquement conscience de sa méconnaissance d'une partie de la planète. Le courrier des pays de l'Est ne pouvait que profiter de cette redécouverte et les abonnements ont atteint, dans les années 1990-1991, un niveau inégalé. Les bouleversements intervenus à l'Est rendaient toutefois indispensable une réflexion sur les moyens de renouveler l'offre éditoriale de la Documentation française sur cette zone, qui, rappelons-le, était particulièrement abondante. Ainsi, trois de ses publications traitaient des pays de l'Est avec, il est vrai des périodicités différentes et des thématiques spécifiques : la série URSS, puis Russie de Problèmes politiques et sociaux, les deux annuels des Etudes de La Documentation française, Le courrier des pays de l'Est, sans compter les articles ou numéros spéciaux publiés dans Problèmes le courrier des pays de l’Est économiques. Une étude approfondie a été engagée début 1997 sur l'évolution de la diffusion de ces périodiques, les besoins de leur public respectif, l'état de la concurrence. A l'examen des différents scénarios imaginés, il est apparu raisonnable de concentrer l'effort éditorial relatif à l'Est sur un seul support, à savoir Le courrier des pays de l'Est, les autres publications devant cesser de paraître. Ce dernier devient pluridisciplinaire à partir de janvier 2000, évolution d'ailleurs confortée par la nécessité de plus en plus impérative de croiser les grilles de lecture politique et économique. Parallèlement, le champ géographique couvert a été resserré pour ne plus concerner que les Nouveaux Etats indépendants (issus de l'URSS) et les pays d'Europe centrale et orientale. Mais alors qu'il fallait mobiliser toutes les compétences rédactionnelles, la séparation, devenue effective début 2002, entre revue et centre de documentation a retiré à la première une partie de ses forces vives. Enfin, une nouvelle étape a été engagée en janvier 2004 avec le passage à une périodicité bimestrielle et un format «livre» plus maniable. Une lettre électronique mensuelle est, en outre, proposée gratuitement. par la revue au cours de ces quarante dernières années qui, nourris par une lecture régulière et attentive de la presse locale, parfois par des études de terrain, ou rédigés par des chercheurs de la région, se veulent au plus près de la réalité. Quand on se souvient des difficultés à se procurer l'information, puis à la décrypter pour la rendre intelligible, on ne peut qu'apprécier ce souci de clarté, d'objectivité et d'exhaustivité qui ont été et demeurent les maîtres mots de cette revue. A revisiter ces 490 numéros, on prend conscience à quel point la connaissance du passé est une clé de compréhension du présent. Cette observation générale et, somme toute assez banale, vaut tout particulièrement pour des pays ayant vécu pendant si longtemps sous une chape de plomb. A cet égard, force est de reconnaître l'extrême diversité des articles publiés Grâce à tous ceux qui s'investissent dans sa réalisation, Le courrier des pays de l'Est continue de remplir la mission que lui avaient assignée ses fondateurs : améliorer la connaissance de ces vingt-sept pays, qu'ils soient entrés dans l'Union européenne, s'apprêtent à le faire ou en soient devenus des «voisins» plus ou moins proches. Ce numéro n'a pas pour ambition de retracer quarante ans de l'histoire de pays passés du communisme à la démocratie, mais de montrer comment Le courrier des pays de l'Est a rendu compte de cette évolution. Et, à ce propos, deux remarques méritent d'être faites. D'une part, il n'a jamais été question que la revue «colle» à l'actualité, le principe réaffirmé par tous ceux ou celles qui se sont succédé à sa tête étant de maintenir un certain recul par rapport à l'événement. Et d'autre part, en ayant assuré une veille assidue durant tant d'années, elle apporte un témoignage sur des régimes aujourd'hui disparus et généralement ignorés par les générations les plus jeunes. 1964-2004... 5 N° 1046 novembre-décembre 2004 Le système économique Des pseudo-réformes à la destruction créatrice Comment réformer l’économie planifiée sans remettre en cause ses fondements politiques et idéologiques ? Comment améliorer l’efficacité du système tout en préservant son caractère socialiste ? Comment donner une certaine autonomie aux producteurs tout en maintenant le contrôle de l’Etat et du Parti sur l’économie ? Les partisans des réformes en URSS et dans les pays est-européens n’ont eu de cesse de rechercher une réponse à ces questions. Sans succès. Des réformes «Liberman-Kossyguine» à la perestroïka insufflée par M. Gorbatchev en passant par les expériences «libérales» mises en œuvre en Tchécoslovaquie en 1968 ou en Pologne à la fin des années 1970, aucune n’a pu être menée à son terme. Trop timides ou trop audacieuses, heurtant les intérêts de la bureaucratie ou ayant un coût politique inacceptable, les raisons des échecs sont multiples mais leur cause profonde est identique : toute réforme agissait comme un puissant révélateur chimique des faiblesses structurelles du système. Par conséquent, elle plaçait inévitablement ses concepteurs devant une contradiction insurmontable : poursuivre l’œuvre entreprise en risquant de porter atteinte à la légitimité du système ou y mettre un coup d’arrêt − souvent brutal −, mais avec le danger de voir la crise s’aggraver. Jusqu’à l’arrivée de M. Gorbatchev au pouvoir la seconde solution a été privilégiée. Toutefois, ce 6 choix censé préserver les pays socialistes du capitalisme a eu le résultat inverse. Il a accru leur dépendance externe envers le monde capitaliste où ils sont allés chercher capitaux, technologies et débouchés commerciaux. Si cette politique a fait illusion, ce ne pouvait être que pour un temps. Au cours des années 1980, tous les maux se sont cristallisés : creusement de l’endettement, recul de la productivité, retard technologique. Les réformes gorbatchéviennes, à la fois trop tardives et trop improvisées, ont provoqué une crise systémique, politique, économique et sociale qui a fini de détruire la légitimité d’un régime déjà bien entamée. Avec le recul, le quart de siècle qui sépare la chute de Nikita Khrouchtchev de celle du mur de Berlin apparaît comme une période de longue crise économique rampante, masquée par l’imposante puissance militaire soviétique. Faible productivité du travail, pénurie de biens de consommation, crise énergétique, chômage caché, appareil industriel vieillissant furent autant d’indicateurs d’une détérioration continue de la situation économique au cours des années 1970 et 1980 que l’on pouvait déceler, y compris entre les lignes des rapports toujours triomphalistes des planificateurs. Si le système économique des pays du «socialisme réel» n’était pas uniforme, loin s’en fallait, si chacun a exploré des Le système économique voies différentes pour tenter de résoudre les problèmes auxquels tous étaient confrontés, il n’en reste pas moins que nulle part − à l’exception peut-être de la Biélorussie d’Alexandre Loukachenko − l’économie planifiée n’a survécu à la chute du mur de Berlin et à la disparition de l’URSS. La sortie du socialisme et l’entrée dans le marché ont remis au premier plan différences et disparités. La perspective d’intégration à l’Union européenne a eu un puissant effet mobilisateur qui a incité les pays d’Europe centrale et orientale à engager rapidement de profondes réformes. La Russie, quant à elle, a vu la crise se prolonger pendant près d’une décennie, jusqu’au krach financier de 1998. Au cours de cette période, le modèle rentier exportateur, déjà en germe à l’époque soviétique, a été consolidé à la fois par opportunisme et par défaut. Si la Russie a adopté et mis en œuvre nombre de mécanismes de marché, il lui reste encore néanmoins un long chemin à parcourir avant d’être à égalité avec les économies occidentales. Ceci étant, force est de reconnaître qu’en moins de quinze ans le plan a cédé la place au marché sans convulsion majeure − les guerres en ex-Yougoslavie ou dans le Caucase ont d’autres racines qu’économiques − ; par ailleurs, les populations ont fait montre d’un remarquable dynamisme et de formidables capacités d’adaptation au prix il est vrai d’un coût social souvent élevé et d’un accroissement des inégalités. Une priorité : accroître la productivité «La réforme de la gestion de l’économie soviétique adoptée en octobre 1965, assouplissait le système de la planification, intéressait matériellement le courrier des pays de l’Est les ouvriers au résultat de leur travail et octroyait l’autonomie financière aux entreprises. Elle a été étendue le 1er juillet 1966 à des entreprises qui emploient 8 millions de travailleurs. Expérimentée d’abord dans deux entreprises de l’industrie légère, Maïak et Bolchevitchka, la réforme a été appliquée le 1er janvier 1966 dans 43 entreprises employant 300 000 travailleurs et, à partir du 1er avril 1966, à 200 autres comptant 700 000 salariés. Dans l’esprit de ceux qui en ont pris l’initiative, la réforme doit accroître la productivité des entreprises : 1 % d’accroissement à l’échelle nationale équivaut à un gain annuel de 2 milliards de roubles. Selon les calculs soviétiques, l’accroissement de la productivité sera assuré pendant la période quinquennale à venir pour 70 % par le progrès technique et pour 30 % grâce à l’encouragement matériel prévu par la réforme. […] Cette réforme ne saurait donc être envisagée sans un vaste mouvement de modernisation des équipements. […] Pour réussir dans son entreprise, l’URSS a besoin de nouveaux cadres spécialisés. […] Certains auteurs soviétiques préconisent à cet effet une répartition plus judicieuse du personnel existant. D’autres prônent la rationalisation du travail : ils montrent que le “centre de pesanteur de la campagne d’accroissement de la productivité se trouve au sein des entreprises mêmes”. Il apparaît également que l’URSS sera tenue de faire un énorme effort de développement du secteur tertiaire de l’économie, faute de quoi on ne saurait concevoir l’arrivée de nouvelles masses de travailleurs dans la vie active de la société. […] Pour trouver des “réserves” de main-d’oeuvre, il faut déconcentrer l’industrie et édifier un secteur tertiaire moderne qui, dans de nombreux districts de l’immensité soviétique, n’existe même pas à l’état embryonnaire. 7 N° 1046 novembre-décembre 2004 Il semble donc que le côté “révolutionnaire” de la réforme ne réside pas tant dans ses principes doctrinaux que dans la quantité de biens nécessaires à l’industrie et au secteur tertiaire de l’Union, des républiques, des régions, des districts et des municipalités. Sans cet équipement, la réforme ne serait ni rentable, ni même imaginable. Comment est appliquée la réforme ? Les autorités ont communiqué les premiers résultats obtenus et signalé les réactions psychologiques du personnel intéressé. ● Pot de terre et pot de fer On sait que l’application de tout décret important promulgué à Moscou exige, pour des raisons géographiques, le déclenchement, plus ou moins rapide, d’une vaste campagne d’explication. Dans le cas d’espèce de la réforme décrétée en octobre 1965, les autorités ont mis en oeuvre tous leurs moyens de propagande afin d’amorcer à l’échelle du territoire euro-asiatique un débat sur le thème de la lutte contre les débordements irrationnels de la bureaucratie et pour l’accroissement de la productivité des entreprises, de l’esprit d’initiative des travailleurs et de l’esprit d’affaires des cadres. […] L’application de la réforme a été étroitement suivie au sein des entreprises intéressées par des économistes qui y sont attachés. Ces experts se sont réunis en mai 1966 au siège de la Commission de planification (Gosplan) de Moscou pour dresser un premier bilan de la tâche accomplie. Il en résulte que “le nouveau système stimule une haute efficience de production”, que “les entreprises intéressées ont exécuté dans leur ensemble et même dépassé leurs plans de production et d’accumulation de profits ; elles ont accru de 7 % (par rapport à la même période de 1965) 8 leur productivité et augmenté les salaires”. Peu après, la Pravda (26 mai 1966) a donné les premiers échos des résultats de l’extension de la réforme aux 200 autres entreprises en soulignant que les rapports parvenant de ces entreprises sont de nature à inspirer du courage et que “l’on assiste à un authentique essor de l’indépendance et de l’initiative économique”. Ainsi, dans un reportage sur l’application de la réforme en Biélorussie, Ekonomitcheskaïa gazeta (n° 18, mai 1966) écrivait que “parfois la réforme se heurte notamment à l’incapacité de certains “managers” qui vivent de leur bagage ancien de connaissances, s’abstiennent de compléter leur savoir technique et économique, et dont l’activité se réduit à une gestion bureaucratique grossière”. “Les dirigeants de ce type continuent d’agir sans discernement selon les principes “davaï-davaï” (produire en quantité sans tenir compte de la qualité et des possibilités d’écoulement) et le plan à tout prix”. D’autres directeurs refusent encore de faire confiance à leur personnel. La revue concluait cette note critique en remarquant qu’afin d’assurer à la réforme les meilleures conditions d’application, “un grand travail reste encore à faire dans les domaines de la spécialisation des entreprises, de la rationalisation du fonctionnement, de la modernisation des équipements et de l’amélioration de la planification interne de la production”. Pour y parvenir, ajoutait la revue, “il est indispensable que le Parti élève à un plus haut niveau ses méthodes de contrôle et que les directeurs se pénètrent de la nécessité de parfaire leur style de gestion”. […] Jusqu’au lancement de la réforme, il y avait un semblant de justification dans le mythe selon lequel les producteurs ne vendaient pas leurs services, mais effectuaient des prestations librement consenties. Et le dialogue du pot de terre avec le pot de fer aurait pu s’éter- Le système économique niser si l’administration n’avait pas eu recours finalement à un moyen fort simple : intéresser matériellement les producteurs, et avant tout les travailleurs manuels, à la recherche des “réserves”. Et, vue sous cet angle, la réforme apparaît comme étant conçue pour éliminer les griefs réciproques de l’administration et des entreprises ; l’administration reproche aux entreprises leur manque de dynamisme, alors que les entreprises se plaignent de la tutelle de l’Etat. Tout se passe comme si ce dernier disait aux entreprises admises aux nouvelles conditions de gestion : “Vous êtes maintenant des adultes émancipés, chargés de votre propre comptabilité de pertes et profits, à vous et à votre personnel de vous “débrouiller” pour faire de l’argent et vivre mieux”. Et la méthode n’a pas manqué de porter ses fruits. […] Mais où est donc dans tout cela ce “premier pas vers une économie à l’occidentale” que certains commentateurs ont cru trouver dans la réforme ? A notre sens, l’innovation repose sur le fait qu’en se décidant à octroyer le statut d’autonomie financière (khozrastchiot) aux entreprises, l’Etat […] a rétabli la vérité sur la fonction économique des producteurs qui se traduit par la vente de services. La réforme a donc rendu possible un véritable dialogue entre l’administration et les producteurs. Ces derniers disent maintenant : “Nous soucier des intérêts de l’entreprise ? D’accord. Mais à condition que nos salaires augmentent”.» Alexandre Guthart «Les premiers mois de la réforme économique en URSS» CPE, n° 62, 21 septembre 1966, pp. 17-35 Les voies multiples de la réforme «On suppose trop facilement, en général, que les réformes économiques adoptées et réalisées dans les pays socialistes d’Europe représentent une le courrier des pays de l’Est copie fidèle du système soviétique. Si l’on y regarde de plus près, on remarque, au-delà d’une orientation globale similaire, des différences sensibles entre le système soviétique d’une part et les nouveaux mécanismes économiques des pays socialistes d’autre part ; en outre, ces pays, pris isolément, ont chacun leur originalité dans la manière de concevoir leur réforme et ne mettent pas l’accent sur les mêmes aspects. Assurément l’évolution des pays socialistes (URSS incluse) va actuellement dans le même sens : rationalisation de la planification, recherche de l’efficacité économique non plus par des moyens d’action bureaucratiques et centralisés mais par l’emploi d’instruments “indirects laissant davantage place à l’autonomie des unités productives”. Mais certains éléments caractéristiques pour l’URSS ne se retrouvent pas dans les autres pays socialistes, notamment la grande difficulté qu’éprouve l’Union soviétique pour concilier la logique de la direction sectorielle des activités économiques et les nécessités de la coordination dans le cadre territorial. Cette difficulté tient d’une part aux vastes dimensions du pays, d’autre part à la structure fédérale de l’Etat. Sur le dernier point l’URSS pourrait se comparer à la Yougoslavie, mais l’administration économique yougoslave, que ce soit au niveau territorial ou par branches, encadre beaucoup moins, de toutes façons, les unités productrices, pour que le problème puisse se poser dans des termes comparables. Inversement l’URSS ne connaît pas la forte dépendance à l’égard du commerce extérieur qu’éprouvent les économies des autres pays socialistes, plus petites et moins diversifiées, dépendance qui explique pourquoi dans certains de ces pays la réforme des mécanismes du commerce extérieur a dominé l’ensemble de la réforme économique. […] 9 N° 1046 novembre-décembre 2004 ● Trois situations En ce qui concerne la procédure de la réforme, un élément commun se retrouve partout : c’est une décision du Parti communiste, à la suite d’une réunion plénière du Comité central, qui a donné le coup d’envoi (par exemple en juillet 1965 en Pologne, en janvier 1965 en Tchécoslovaquie, en octobre 1967 en Roumanie), les modalités de réalisation étant ultérieurement précisées, en général après discussion publique du projet dans la presse, lors de réunions, etc., par les organes supérieurs de l’Etat. L’application pratique des décisions prises diffère par contre sensiblement. On peut en gros distinguer trois situations. Les pays qui optent pour une introduction progressive de la réforme, avec mise en place échelonnée des éléments auxiliaires de celle-ci (révision des prix, réévaluation des bilans des entreprises). Ainsi, en Bulgarie, les principes généraux du nouveau système ont été publiés en décembre 1965, approuvés en avril 1966 ; au début de 1967, 65 % de la production industrielle brute était fournie par les entreprises transférées au nouveau système, qui doit être généralisé en 1968. En Pologne, après les décisions de juillet 1965, la réforme s’est appliquée dès 1966 à la plupart des branches et entreprises, ses divers éléments étant introduits par touches successives : réorganisation du financement des investissements en avril 1966, correction des prix au 1er janvier 1967 (une révision générale des prix avait eu lieu en 1960), adoption à la fin de 1966 du statut des unions d’entreprises, réglementation du système d’attribution des primes en 1967. En RDA, la réforme a commencé en 1963, après qu’en janvier de cette année le sixième congrès du Parti eut adopté son programme et posé la nécessité d’un perfectionne● 10 ment de la planification ; c’est en 1964 qu’ont été introduits les nouveaux prix de gros, que l’autonomie financière a été conférée aux unions d’entreprises ; en 1965, la redevance sur le capital productif a été expérimentée pour être généralisée ensuite ; au cours des années 1965 et 1966, la réforme a progressivement gagné l’ensemble des activités économiques (industrie, commerce intérieur et extérieur, agriculture, transports) en même temps qu’était réorganisée, à partir du début de 1966, l’administration économique ; actuellement, on peut considérer que le nouveau système est entièrement installé, et la RDA a ainsi coiffé au poteau l’ensemble des pays socialistes. C’est au moment même où s’achevait la réforme allemande que la Roumanie s’est jointe au mouvement, en définissant les grandes lignes du perfectionnement de la gestion et de la planification économiques, par une décision du Parti d’octobre 1967 : l’application en sera échelonnée sur deux ans. Les pays qui ont opté pour une préparation théorique très minutieuse de la réforme, et une expérimentation de ses éléments avant l’adoption de dispositions définitives, pour pouvoir l’introduire d’un seul coup ensuite. En Hongrie, le Parti a approuvé le principe de la réforme en novembre 1965 et en a confirmé les orientations en mai 1966 ; pendant dix-huit mois, les pièces du nouveau système ont été assemblées (réforme des prix, du commerce extérieur, de la planification, de la gestion de l’entreprise) ; le nouveau mécanisme est introduit dans sa totalité au 1er janvier 1968. En Tchécoslovaquie les choses sont un peu plus confuses : il semblerait à première vue que ce pays se range dans la catégorie précédente des économies intégrant progressivement la réforme. En réalité, ce que l’on a appelé la première étape de celle-ci n’a consisté qu’en une série de mesures de redressement de l’économie tchécoslovaque, la plus durement ● Le système économique touchée par le ralentissement de croissance caractérisant les pays socialistes en 1963-1964 : la production industrielle n’y a augmenté que de 0,6 % en 1963, 4,1 % en 1964 contre 6,8 et 7,5 % pour l’ensemble du Comecon. Aussi en janvier 1965, le parti tchécoslovaque a-t-il posé les bases d’un nouveau système, expérimenté partiellement pendant deux ans et introduit seulement au 1er janvier 1967 sur la base d’une loi de juillet 1966 relative aux “conditions générales de l’activité économique des entreprises”. La Yougoslavie enfin peut être considérée en état de réforme permanente depuis 1950, date de l’abandon du centralisme dans la planification et des méthodes autoritaires de direction. Les mesures adoptées par l’Assemblée fédérale à la fin de juillet 1967 font franchir une étape nouvelle au système yougoslave de l’autogestion : l’ouverture sur l’extérieur est accentuée, le financement de l’activité économique est assaini par la réduction du volume des subventions et par un allègement corrélatif des obligations envers l’Etat ; la participation des travailleurs à la gestion est accentuée. ● ● Rationaliser la gestion Les économies socialistes étant ainsi sommairement situées, quels sont les traits communs des réformes réalisées ou en cours ? Leur caractère le plus évident est la revalorisation du rôle du marché, beaucoup plus hardie et vigoureuse qu’en URSS. Si l’on se réfère aux analyses des économistes de ces différents pays, celui-ci est néanmoins subordonné à la planification, exception faite de la Yougoslavie où les entreprises ont effectivement une grande autonomie, dont elles ne se servent pas toujours à bon escient. Là où, dans tous les pays, on souhaite réellement établir les conditions de la concurrence de marché, c’est vis-à-vis le courrier des pays de l’Est de l’extérieur ; les entreprises socialistes doivent pouvoir affronter directement le marché international, capitaliste spécialement. Ainsi, l’autonomie des entreprises continue à s’exercer dans le cadre du plan ; elle est tempérée par l’encadrement des unités productrices de base, sous forme d’unions d’entreprises de types divers ; l’orientation des activités productrices fait de plus en plus appel à des mécanismes économiques et financiers ; enfin, comme on l’a déjà souligné, l’accès aux échanges extérieurs est facilité aux entreprises. […] Ce très bref aperçu de l’état des réformes économiques montre que pour le moment il n’est pas question, dans les pays socialistes, de rétablissement des mécanismes de marché dans le sens “capitaliste” du terme. Il s’agit avant tout de mettre au point de meilleurs instruments pour la planification, de rationaliser la gestion des entreprises. Chaque pays cherche ici sa voie, avec plus ou moins de succès. Sans doute les réussites ou les échecs des uns se répercuteront-ils sur les résultats des autres.» Marie Lavigne, maître-assistant à la Faculté de droit et de sciences politiques et économiques de Strasbourg «Bilan de la réforme économique dans les pays socialistes» CPE, n° 104-105, 19 juin 1968, pp. 25-48 L’Est, à l’abri de la crise ? «L’organisation de type soviétique comporte toute une série de défenses érigées contre les forces économiques “aveugles”. Ces défenses ont largement pour principe commun la mise hors circuit des mécanismes marchands. Or on peut se demander si, de ce fait même, les économies de l’Est ne s’exposent pas à subir le contrecoup de la crise actuelle. Le schéma économique classique de type soviétique n’a certes pas été 11 N° 1046 novembre-décembre 2004 conçu avec la seule préoccupation de le rendre invulnérable aux crises endogènes comme exogènes. Néanmoins, ce souci était incontestablement présent à l’esprit de ses architectes. En outre, il se trouve que certaines des caractéristiques dont ils ont doté l’organisation économique, même pour des raisons étrangères à la volonté de la placer à l’abri des crises, peuvent être considérées comme faisant partie d’un dispositif anti-crises. On sait que, de façon très générale, le système repose sur l’abolition des mécanismes marchands, ou, pour le moins, sur une forte restriction de leur champ d’action interne. Ainsi, la substitution d’un système de prix imposés et fermes aux prix flexibles du marché est censée éliminer, par définition, toute manifestation patente de tensions inflationnistes. De même, la garantie du plein-emploi par la Constitution, associée à l’idée que le travail n’est pas une marchandise, met hors-la-loi tout chômage apparent. […] ● L’envers d’un système défensif Il faut bien voir cependant que les différents types de “défenses” dont est bardé le système ne le rendent pas réellement invulnérable aux perturbations de l’économie mondiale ; sous certains aspects, elles se trouvent, paradoxalement, à l’origine même de la sensibilité de l’économie de type soviétique à de telles perturbations. […] Ainsi, est-ce la singularité des systèmes de prix nationaux des socialismes d’Etat qui a pratiquement exigé d’eux l’adoption, pour leurs échanges mutuels, d’un ensemble de prix internationaux dérivé des prix mondiaux. Du coup, par le jeu d’une sorte d’effet de “résonance”, les mouvements qui affectent ces derniers retentissent nécessaire- 12 ment sur les prix pratiqués à l’intérieur du CAEM. […] Un autre envers du système général de protection de l’économie contre les forces du marché a été de priver les appareils de production des pays de l’Est d’un système de guidage endogène de leur activité. Ainsi ne doit-on sans doute pas s’expliquer le transfert, en provenance d’Occident, de pans entiers d’une structure industrielle moderne vers les pays de l’Est uniquement par le moindre niveau de développement économique général de ces derniers. L’absence d’un mécanisme socio-économique moteur qui produise sans cesse, en les liant d’ailleurs indissolublement, innovations technologiques et productions nouvelles semble devoir rendre compte de façon plus fondamentale de cette dépendance de l’Est vis-à-vis de l’Ouest. Du coup, la propension à l’autarcie “réelle” de la planification centralisée, déjà nécessairement limitée dans nombre de pays est-européens par l’exiguïté de leur taille économique, se trouve battue en brèche. Et la volonté d’autarcie “fonctionnelle” des animateurs du système se trouve elle-même contrecarrée. L’ampleur des achats auparavant effectués en Occident a provoqué vis-à-vis de lui un endettement et des charges de remboursement suffisamment importants pour qu’il ne puisse guère être question de fermer immédiatement les économies de l’Est aux influences extérieures. Ne serait-ce que de ce simple fait, celles notamment de ces économies qui dépendent le plus de l’Ouest vont se trouver exposées − par le jeu d’un “effet de contamination” direct cette fois − à l’impact de la crise. Au niveau des prix comme à celui des quantités, elles ne peuvent pas en effet ne pas être tributaires des perturbations affectant l’activité économique mondiale. […] Du point de vue interne, la stagnation d’un secteur d’exportation impor- Le système économique tant peut évidemment constituer un frein à la croissance générale. La question la plus importante pourtant réside naturellement dans l’accroissement de l’endettement extérieur vis-à-vis de l’Ouest. On peut certes considérer que les pays de l’Est les plus concernés décideront de résoudre provisoirement cette question par des procédures de refinancement (en profitant opportunément des baisses de taux d’intérêt que les phases de récession entraîneront en Occident), repoussant ainsi vers le futur le plus gros des difficultés intérieures associées aux charges de remboursement des emprunts. Mais on doit également envisager l’hypothèse d’une restriction notable, par ces pays, de leurs importations en provenance d’Occident. De telles restrictions auraient pour effet : de “tendre” à brève échéance les ressources générales disponibles ; de compromettre les possibilités de croissance à moyen terme, en soustrayant de l’investissement intérieur les équipements occidentaux qui, selon certaines études, sont justement ceux qui permettent d’obtenir une amélioration de l’efficacité marginale des investissements ; d’inaugurer peut être à l’Est une nouvelle phase de repli sur soi, aux implications multiples. ● ● ● Parmi ces implications, on peut retenir principalement le risque d’une désorientation de la croissance des pays de l’Est. ● Une sécurité illusoire Mais on est en droit de se demander si les progressions prévues par les plans, à supposer qu’elles se réalisent effectivement, ne seraient pas assez largement illusoires, car conduites suivant une structure de production arbitrairement imposée. Il en serait ainsi notamment s’il se créait une rupture suffisamment profonde avec l’économie occidentale pour faire perdre à le courrier des pays de l’Est cette dernière son rôle de “boussole extérieure” du développement oriental. Un tel “égarement” de la croissance pourrait être également favorisé par la mise en branle accélérée des rouages internes du dispositif anti-crise. Les autorités risquent en effet d’exiger de ce dispositif la plus grande efficacité − pour sauvegarder la stabilité des prix intérieurs, et le maintien d’un taux d’activité élevé − au moment même où les circonstances s’y prêtent le moins bien. Agissant ainsi, elles ne feraient qu’accentuer davantage encore la divergence entre les orientations qu’elles imprimeront autoritairement à l’activité de production, et celles que commanderait une expression plus libre des nécessités économiques réelles. […] Dans l’ensemble, il apparaît que les effets de la crise seront nettement plus diffus à l’Est qu’à l’Ouest. Bien que cette caractéristique ne soit pas, comme on l’a laissé entendre, véritablement positive, il est vraisemblable qu’elle sera politiquement exploitée comme une forte présomption en faveur de la supériorité du système socialiste. A court et moyen termes du moins, c’est la détérioration, pour certains pays esteuropéens, de leurs “terms of trade” vis-à-vis de l’URSS qui constitue le problème le plus aisément prévisible et le plus préoccupant de la zone. Du fait de la place élevée que ces pays occupent dans la hiérarchie des niveaux de revenu par habitant au sein du CAEM un des premiers effets de la crise pourrait être d’accélérer, dans un premier temps du moins, le mouvement d’égalisation des niveaux de développement comparés dans cette région du monde. Il serait sans doute peu avisé d’interpréter cette tendance comme le signe d’une cohésion accrue du système oriental. L’apparition de fortes tensions sur certains marchés nationaux de biens de consommation peut au contraire 13 N° 1046 novembre-décembre 2004 préluder à des soubresauts politiques, au moins localisés. […] Il est assez concevable en définitive qu’en ces temps de crise l’image extérieure du camp socialiste, en tant qu’îlot mondial de sécurité pour ses habitants et de solidarité entre ses gouvernements, puisse être assez bien préservée : elle n’en sera pas moins illusoire.» Georges Sokoloff, Groupe d’études prospectives internationales (CFCE) «Les incidences de la crise mondiale à l’Est» CPE, n° 196, mai 1976, pp. 3-12 accru dans le système économique. Cette réforme s’appuie sur les points fondamentaux suivants : La projection obligatoire du plan national annuel sur les entreprises a été supprimée, et désormais, même du point de vue formel, le plan de l’entreprise ne fait plus partie intégrante du plan macro-économique. Dorénavant, seul le plan quinquennal a force de loi, alors que le plan annuel ne contient plus d’objectifs obligatoires pour les entreprises. ● En ce qui concerne les inputs, la planification directe sous sa forme classique était indissociable du système d’approvisionnement matériel et technique qui, lui aussi, a été supprimé. A l’exception de quelques produits, l’affectation centralisée des marchandises a disparu, faisant entièrement place, en principe, à l’approvisionnement par le marché. ● La Hongrie en route vers le marché «En 1968, la Hongrie a accompli une réforme économique globale véritable et, depuis lors, le système de gestion économique du pays présente des différences qualitatives par rapport au système classique de l’économie planifiée tel qu’il apparaît pour l’essentiel dans les autres pays du CAEM. Cette réforme est une réforme économique, ce qui signifie qu’elle a pratiquement laissé intact l’ensemble du mécanisme politique, ainsi que les secteurs de la vie sociale à la frontière de la politique et de l’économie : tels le système institutionnel de l’administration de l’Etat, le système organisationnel des entreprises et la position des cadres moyens. C’est là une différence considérable par rapport aux tentatives de réforme tchécoslovaque de la même époque. ● Une réforme radicale et globale Le caractère radical et global de la réforme hongroise signifie avant tout que le rapport entre les entreprises et la hiérarchie administrative de l’Etat − et dès lors le comportement des entreprises − se sont modifiés et que le rôle de la monnaie, moyen principal de l’intégration, s’est considérablement 14 Les relations entre les entreprises et le budget sont désormais instituées sur la base de l’imposition. La situation a donc changé par rapport à la période où une entreprise ne recevait que les fonds nécessaires au financement de la réalisation d’un objectif du plan et où le budget retenait automatiquement la part du bénéfice imposée qui restait après que l’entreprise eut provisionné ses fonds propres. ● Le système des prix, autrefois entièrement administratif, a été remplacé pour moitié par un régime de prix libres et pour un tiers par des prix encadrés par un plafond maximum et un minimum. ● Un lien s’est établi entre les salaires et les bénéfices : les salariés sont rémunérés au prorata des bénéfices, par conséquent l’évolution des rémunérations dépend du volume du profit. De ce fait la direction de l’entreprise est tenue d’augmenter ses profits à cause de la pression venant du bas. ● Le caractère multi-sectoriel de l’économie socialiste est reconnu et les inté- ● Le système économique rêts individuels et de groupe apparaissent désormais comme légitimes. Cela signifie en fait l’émancipation du secteur coopératif, le soutien des activités des coopératives autres qu’agricoles et la reconnaissance du caractère fondamental de l’intérêt matériel. En rapport direct avec cette libéralisation, l’idée de la libre circulation de la main-d’œuvre a été admise. ● Les organisations de base chargées de l’exploitation du capital social sont les entreprises et non pas les groupements qu’elles constituent − combinats ou unions − qui eux, par leur contenu économique, sont des organisations de direction intermédiaire. En principe, le seul indicateur de succès de l’activité de l’entreprise est le volume du bénéfice par rapport aux moyens engagés. Il semble que cela soit une particularité de la gestion économique hongroise si on observe la pratique des autres pays de l’Est, notamment les mesures de réforme engagées dans les années 70 qui, par les regroupements d’entreprises, suppriment pratiquement l’autonomie au niveau des entreprises. ● Le principe de base de la régulation économique est devenu “l’égalité devant la justice” ou, selon la terminologie hongroise, la normativité. C’est, dans son essence, la concrétisation du marché régulé où non seulement le plan, mais aussi le budget, les régulateurs économiques et la politique financière sont les instruments de la volonté centrale. Ces instruments d’importance identique contrôlent pleinement la cohérence du plan. ● Les organisations locales du Parti “ne peuvent jamais et nulle part prendre en main les tâches de direction de l’administration de l’Etat”.» ● Laszlo Csaba, Institut d’économie mondiale de l’Académie des sciences de Hongrie «Le nouveau souffle de la réforme économique hongroise» CPE, n° 293, mars 1985, pp. 3-21 le courrier des pays de l’Est Le dilemme de Gorbatchev «Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Gorbatchev, et surtout depuis ces deux dernières années, les Soviétiques vivent une situation paradoxale : ils recouvrent des libertés individuelles, notamment celle de s’exprimer, font l’apprentissage d’une participation plus active à la vie politique de leur pays, découvrent des pages entières de leur histoire, assistent à une véritable explosion culturelle. En même temps, ils voient se dégrader leur niveau de vie et péricliter l’économie. Inflation, déficit budgétaire, pénuries quasi générales, ces maux ne sont pas nouveaux ; ils érodent l’économie soviétique de longue date, mais si auparavant on cherchait à les dissimuler, désormais on les commente à l’envi. Leur aggravation, en revanche, conduit à s’interroger sur leur lien avec la politique de réforme poursuivie actuellement. Or, la réponse est claire : la détérioration conjoncturelle ne procède pas de la réforme, mais plutôt de l’absence de réforme. Pour tout un ensemble de raisons, étroitement imbriquées, les changements escomptés dans les comportements des opérateurs économiques ne se produisent pas, le système continuant à fonctionner grosso modo comme auparavant. […] ● Blocages et rigidités Comme cela s’était déjà produit lors de la réforme de 1965 et au mépris de l’interdiction qui leur en est expressément faite dans la loi sur l’entreprise, les ministères ont continué de s’immiscer dans la gestion courante de celle-ci et de la soumettre à un contrôle permanent. 15 N° 1046 novembre-décembre 2004 L’autonomie de l’entreprise reste donc un leurre, puisque celle-ci ne peut disposer librement de sa production ni gérer elle-même ses relations avec ses partenaires et cela durera […] tant que ne sera pas instauré un marché des biens de production. […] La perestroïka a toujours été présentée − et continue de l’être − comme incontournable car seule à même de remettre en selle l’économie. Aujourd’hui, cette analyse apparaît d’autant plus juste que la preuve a contrario en est donnée : l’absence de réforme s’est accompagnée, pour ne pas dire s’est traduite, par une dégradation de la conjoncture économique. […] Dirigeants et économistes estiment tous, sans de plus amples explications, que l’économie est désormais sortie de l’état de “pré-crise” où l’avait trouvée Mikhaïl Gorbatchev en mars 1985. Sans doute, voient-ils dans ce postulat une consolation à la liste sans fin des difficultés actuelles dont personne n’avait prévu qu’elles prendraient une telle ampleur. […] Mécontentement de la population face aux pénuries croissantes, à l’allongement des files d’attente et aux difficultés d’approvisionnement, exaspération des citadins face à l’afflux des “porteurs de sacs” venus d’ailleurs, la presse n’en finit pas de décrire la déception des Soviétiques quant aux effets de la perestroïka sur leurs conditions de vie et, ce faisant, elle l’entretient et l’exacerbe. D’économique, le problème des pénuries est devenu politique, leur persistance, leur aggravation détournant la population des projets de réforme et représentant, en outre, une menace pour la paix sociale. Les dirigeants soviétiques le savent et Mikhaïl Gorbatchev en a fait en personne très concrètement l’expérience en septembre 1988 lors d’une tournée en Sibérie, où il fut pris à partie par des ménagères de Krasnoïarsk se plaignant des magasins vides, du manque de logements et d’équipements sociaux. 16 ● Un seul remède Au terme de quatre années de gorbatchévisme, les dirigeants soviétiques se trouvent face à un dilemme : comment à la fois tenir le programme de réformes libérales dont ils ont pris l’engagement et redonner au plus vite la santé à l’économie, ce pourquoi ils n’envisagent qu’un seul remède, renforcer le contrôle de l’Etat. Ils ont tranché, choisissant de procéder en deux étapes et de commencer par l’assainissement de la situation économique. Ainsi peuvent-ils, sans perdre la face, différer toute décision concernant la réforme des prix, en l’absence de laquelle la poursuite de la perestroïka économique reste un vain mot, mais jugée socialement trop risquée tant que les magasins seront vides : lors du Plénum du Comité central de mars 1989, l’assurance a été donnée à la population que les prix des principaux produits alimentaires ne seraient pas modifiés dans les deux-trois ans à venir. […] Tout continue donc à se dérouler selon le schéma pré-établi, mais l’on ne voit plus très clairement la direction suivie par ce processus, d’autant que la date de son aboutissement semble très éloignée.» Marie-Agnès Crosnier, Le courrier des pays de l’Est «La perestroïka embourbée» CPE, n° 339, avril 1989, pp. 3-21 Une transformation brutale «Au cours de ces cinq dernières années, l’histoire s’est brusquement accélérée pour la Russie, au point que le visage qu’elle présentait en 1991 s’est bien souvent effacé des mémoires. D’où l’attente maintes fois exprimée à l’Ouest qu’elle applique sans faille les principes du jeu démocratique et les règles de l’économie de marché, et d’où la déception quand elle y déroge. Or, et pour s’en tenir au domaine éco- Le système économique nomique, c’est oublier que ce payscontinent a entrepris dans un laps de temps finalement très court des transformations phénoménales qui demeurent, par leur ampleur, sans équivalent dans l’histoire. Et, de fait, l’économie russe de 1996, où la politique monétaire joue un rôle crucial, où le secteur privé est devenu prédominant, où le commerce extérieur est le moteur de la croissance, etc., a peu de choses à voir avec celle de 1991, plongée dans le plus grand désordre par la dislocation du corset de fer de la bureaucratie centrale. Mais en même temps, les diverses pathologies engendrées par le système soviétique, comme la corruption et la délinquance économique de plus ou moins grande envergure n’ont fait que s’aggraver avec la transition vers le marché et l’affaiblissement de l’Etat. Ce dernier, en effet, qui ne remplit encore que très imparfaitement ses fonctions intrinsèques (assurer la sécurité publique, faire appliquer le droit, lever les impôts), a, par ailleurs perdu une bonne part de son pouvoir d’arbitrage avec la fusion des intérêts du pouvoir et du capital. C’est de ce bilan contradictoire que jugeront les électeurs lors de la présidentielle du 16 juin 1996. […] ● Des méthodes contestées Si l’entreprise de sabotage des réformes a disparu avec le Soviet suprême en septembre 1993, il n’en reste pas moins que la transition continue de faire l’objet d’un débat interne aussi passionné en 1996 qu’aux premiers jours de sa mise en oeuvre. Le principe n’en est, certes, jamais remis en cause, mais les méthodes employées sont fortement contestées, car jugées complètement inadaptées à une économie aussi atypique que celle de la Russie, cette succession d’erreurs tactiques risquant de déboucher sur une désindustrialisation du pays accompagnée d’un chômage massif. Or, ce négativisme, relativement répandu dans la classe politique et les milieux écono- le courrier des pays de l’Est miques, tranche radicalement avec l’attitude bien plus conciliante de la communauté internationale. L’aide à la Russie, qui de bilatérale est devenue multilatérale en 1992, a en effet été bien souvent destinée, pour diverses raisons géopolitiques, à confirmer le soutien du monde extérieur à Boris Eltsine au moment où celui-ci allait se trouver confronté à des échéances importantes dans son pays. L’attribution par le FMI en février 1996, à quatre mois de la présidentielle, d’un crédit de 10,2 milliards de dollars au titre de la “facilité de financement élargie” en est le dernier exemple. […] Mais l’aide financière de la communauté internationale à Boris Eltsine pourrait bien être aussi une arme à double tranchant, car, outre les soupçons pesant sur son détournement, elle avive le sentiment d’humiliation d’une population déjà meurtrie par la perte du statut de grande puissance essuyée par son pays. […] ● L’Etat prédateur Le problème budgétaire de la Russie tient moins à un excès de dépenses qu’à la non-réalisation des objectifs fixés en matière de rentrées fiscales. […] L’Etat n’engrange pas l’intégralité de ce qui lui est dû. Les carences de l’administration fiscale, ainsi que celles de la police ad hoc censée l’épauler y sont sans doute pour beaucoup, mais la complexité d’un système comportant une multitude d’impôts et taxes, pouvant entraîner des taux cumulés élevés, ainsi que des exonérations tout aussi nombreuses et souvent taillées sur mesure pour telle entreprise ou région, est également en cause. Enfin et surtout, les contribuables se montrent rétifs à remplir leur devoir civique, considérant l’Etat comme un prédateur plutôt que comme le premier responsable de l’organisation de la vie économique et sociale du pays. 17 N° 1046 novembre-décembre 2004 Un aussi mauvais recouvrement de l’impôt traduit, à n’en pas douter, la faiblesse des institutions fédérales, mais aussi l’absence de consensus national sur l’idée de l’Etat et des fonctions collectives qu’il remplit. […] Quand ils ont engagé les réformes, les dirigeants de la Russie, pas plus que leurs conseillers russes et occidentaux, ne soupçonnaient que les conséquences pourraient en être aussi douloureuses pour la population. Personne non plus n’envisageait qu’elles s’installeraient aussi durablement et rien n’a été mis en place pour amortir les chocs. Or, si la population a supporté dans un premier temps ces nouvelles épreuves, approuvant même, dans sa majorité, les changements en cours, il semble que désormais sa capacité de résistance soit bien entamée. […] La reprise de l’inflation en septembre 1994, alors qu’elle semblait en voie d’être jugulée, la généralisation des retards dans le paiement des salaires ont alors retiré au pouvoir russe la confiance d’une majorité de l’opinion. […] Les conséquences des réformes n’ont cependant pas toutes été entièrement négatives pour les Russes. Ainsi, les avantages acquis concernant le droit au logement n’ont pas été remis en cause : les loyers et charges n’amputent toujours qu’une très faible part du budget des ménages, bien inférieure à celle que leurs homologues occidentaux consacrent à ces postes. De plus, la possibilité a été donnée à tous les occupants de logements du secteur d’Etat d’en devenir propriétaires à part entière, moyennant le paiement de droits modiques d’enregistrement. Les autorités régionales et locales tentent, par ailleurs, avec plus ou moins de succès selon l’autonomie budgétaire dont elles disposent, de protéger des décisions les plus rigoureuses des autorités centrales une population qui représente aussi et surtout un électorat. 18 Enfin, la vie quotidienne des Russes s’est trouvée transformée du tout au tout par la disparition des pénuries, ainsi que par les nombreuses opportunités de consommer inconnues sous le régime soviétique. Et les plus chanceux auront fait des placements fructueux avant que ne s’effondrent les sociétés d’investissement fondées sur le dispositif de la pyramide. ● Une formidable capacité d’adaptation Mais tout cela est sans commune mesure avec la formidable capacité d’adaptation des Russes face au retrait de l’Etat-providence et des employeurs qui recourent de plus en plus au chômage technique ou versent les salaires avec plusieurs mois de retard. Ainsi, quand ils le peuvent, ils recherchent un second emploi. Mais ils ne présentent pas tous les conditions requises, l’âge, le sexe, le niveau d’éducation et le lieu de résidence constituant autant de facteurs discriminants. Une autre solution, pratiquée à une bien plus grande échelle, conduit la plupart des citadins à cultiver une parcelle de terrain dont les produits sont en priorité destinés à l’autoconsommation, mais peuvent aussi, le cas échéant, être vendus au marché. S’y ajoutent les “navettes” susceptibles de rapporter ponctuellement des gains substantiels et bien d’autres activités se situant parfois à la limite de la légalité. Enfin, la solidarité des parents et proches permet souvent à ceux qui sont moins bien armés pour faire face aux conditions de cette nouvelle existence, de conserver néanmoins une certaine dignité.» Marie-Agnès Crosnier, Le courrier des pays de l’Est «Bilan économique de la présidence Eltsine 1991-1996» CPE, n° 408, avril 1996, pp. 3-27 Le système économique Le rattrapage, un horizon lointain pour les PECO «C’était en 1989, au moment de la commémoration du bicentenaire de la Révolution française, que les peuples polonais, hongrois, tchèque et slovaque, est-allemand, roumain et bulgare, ont renversé les régimes communistes, opté pour la démocratie et l’économie de marché, et pris le chemin de l’intégration à l’Union européenne (UE). C’est dix ans, jour pour jour après la réunification de l’Allemagne, que la population serbe a, en octobre 2000, fait à son tour sa révolution tranquille, mettant, après neuf ans de guerres dans l’ex-Yougoslavie, le point final à un demi-siècle de communisme en Europe centrale. […] Quel bilan tirer des évolutions économiques, irrégulières et contrastées, observées au cours de ces premières années de transition dans les dix pays candidats ? Quelles sont les perspectives à long terme pour ces pays ? A quels horizons l’intégration au sein de l’Union leur permettra-t-elle de rattraper les niveaux de vie occidentaux, une espérance majeure de leurs populations ? […] ● Trois groupes de pays Les chiffres disponibles font clairement apparaître trois groupes de pays qui ont connu des évolutions très différentes au cours de ces dix dernières années. Tous sont passés par une phase de forte chute d’activité après les changements politiques de 1989-1990 et l’effondrement du système d’économie centralisée ; mais la dépression a été plus ou moins profonde selon les pays, et certains en sont sortis plus vite et dans de meilleures conditions que d’autres. le courrier des pays de l’Est Cinq pays au contact direct de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Slovénie, sont apparus très tôt dans la situation la plus favorable. Leur voisinage avec les pays de l’Union leur a permis de réorienter rapidement leurs échanges extérieurs vers l’Ouest, et les a aidés à mettre en œuvre efficacement les réformes nécessaires à la renaissance ou au développement de l’économie de marché. Le point bas de la dépression a été atteint dès 1991 en Pologne, en 1992 ou 1993 dans les quatre autres pays, avec des niveaux d’activité inférieurs de 20 % environ aux maxima atteints en 1988-1989. La nouvelle croissance s’est engagée dès 19921993. Elle a atteint depuis un rythme élevé, de 5 à 7 % par an en Pologne, de 4 à 6 % pour les autres, sauf pour la République tchèque qui a connu une récession en 1997-1998. Les cinq pays ont à présent retrouvé ou dépassé leur niveau d’activité de 1988-1989, parfois très largement (+ 30 % pour la Pologne). Deux pays plus excentrés par rapport à l’Union, la Roumanie et la Bulgarie, ont éprouvé davantage de difficultés pour libéraliser et privatiser leur économie, accomplir les réformes institutionnelles nécessaires, attirer les investisseurs et trouver de nouveaux partenaires commerciaux à l’Ouest. En conséquence, la dépression y a été plus marquée, le volume de leur PIB chutant d’un tiers entre 1988 et 1992. Un redémarrage s’est amorcé, mais il a été immédiatement suivi d’une rechute en 1996 en Bulgarie et en 1997 en Roumanie : aux effets de politiques hésitantes en matière de réformes se sont ajoutés ceux de la dépression prolongée et des crises financières en Russie et en Ukraine, ainsi que les conséquences de la guerre dans l’exYougoslavie. L’activité économique était ainsi retombée, en 1999, à un niveau inférieur pour la Bulgarie, équi- 19 N° 1046 novembre-décembre 2004 valent pour la Roumanie au point bas de la dépression atteint en 1992, avant qu’une nouvelle reprise ne s’amorce en 2000. Enfin les trois Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) ont, eux aussi, connu des évolutions marquées par la géopolitique et l’histoire particulière de la région. Ils ont commencé récemment à bénéficier de leur proximité de la Suède et de la Finlande (membres de l’UE depuis 1995) ainsi que de la Pologne et de l’Allemagne, mais leur économie est néanmoins restée très influencée par leurs relations avec la Russie : c’est pourquoi la chute d’activité a été très profonde, de 40 à 50 % entre 1989 et 1993. La reprise s’est amorcée depuis 1995, encore hésitante, avec un ralentissement en 1998-1999 sous l’effet de la crise financière russe, suivi d’un nouveau démarrage en 2000. […] Il apparaît que les pays candidats ont largement réussi à rétablir leurs grands équilibres après les crises des premières années : l’inflation a partout été ramenée à moins de 10 % par an, sauf en Roumanie où elle atteignait encore 40 % en 2000, et elle poursuit sa baisse ; les déficits publics ont été contenus et sont inférieurs à 5 %, voire 3 % du PIB ; l’endettement public a été réduit dans tous les pays à moins de 40 ou 50 % du PIB (sauf encore en Bulgarie) ; l’endettement extérieur est stabilisé à des niveaux normaux (de l’ordre de 40 % du PIB en général), bien que la croissance se soit accompagnée dans tous les pays d’une augmentation des importations plus prononcée que celle des exportations. Bref, plusieurs des pays candidats, en particulier ceux du premier groupe mentionné plus haut (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie), apparaissent susceptibles dans un avenir assez proche de respecter les critères de Maastricht, ce qui devrait leur permettre d’entrer dans la zone euro assez rapidement après leur adhésion. 20 Par ailleurs, les privatisations, élément clé pour l’instauration d’une économie de marché à l’européenne, ont partout progressé rapidement en dépit des résistances politiques et de divers autres problèmes : la part du PIB produite par le secteur privé semble à présent se stabiliser à un niveau de l’ordre de 70 à 80 % dans la plupart des pays, la Roumanie et la Slovénie faisant figure de retardataires avec une part comprise entre 50 et 60 %. […] ● Un scénario de convergence après l’élargissement A quels rythmes devraient croître les économies des pays candidats pour rattraper dans un délai raisonnable les niveaux de richesse de l’actuelle Union à quinze ? Dans le premier groupe des cinq pays limitrophes de l’UE, le rattrapage économique, amorcé depuis 1993 à partir de niveaux relativement élevés, pourrait venir à terme vers 2015-2020. La Slovénie, déjà apparemment aussi riche que le Portugal ou la Grèce, pourrait voir son revenu par habitant rejoindre la moyenne communautaire dès 2010-2015 ; la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie feraient de même entre 2020 et 2025 ; la Pologne, partant d’un niveau moyen plus bas, ne rejoindrait les autres pays que vers 2030. Dans les trois Etats baltes, en raison d’un démarrage plus tardif et d’un plus faible niveau de départ, le mouvement de rattrapage pourrait difficilement s’achever avant 2025-2030. En Roumanie et en Bulgarie, enfin, les revenus moyens sont restés à un niveau très bas après la rechute de 1996-1997 : même en supposant que la reprise amorcée en 2000 se prolonge par une longue période de croissance de plus en plus forte, il ne semble pas raisonnable de penser que le PIB par habitant puisse rejoindre la moyenne ● ● ● Le système économique communautaire avant les années 20302035. […] Le rideau de fer a disparu de la carte politique, mais sa trace se lira longtemps encore sur la carte économique dans les écarts importants des richesses relatives. En 2000, les 105 millions d’habitants des dix pays candidats représentaient 28 % de la population des Quinze, mais leurs PIB (370 milliards d’euros évalués aux taux de change courants) 4,5 % seulement du PIB global de l’UE. En raison de ce décalage, des montants d’aide, faibles au regard du budget de l’Union, auront un fort impact en termes de points de croissance supplémentaires pour les bénéficiaires. Les seules “aides préadhésion” des fonds Phare, Ispa et Sapard vont apporter en moyenne aux économies des dix pays candidats près de 1 % de PIB supplémentaire chaque année, alors que leur coût représentera seulement 0,04 % du PIB total de l’UE, et à peine plus de 3 % du budget communautaire. Mais encore faut-il, bien sûr, que les montants d’investissements programmés soient effectivement engagés, puis décaissés pour que puissent être lancées les myriades de projets conçus par les autorités des pays candidats, avec l’accord et parfois l’assistance de leurs correspondants des institutions européennes.» Michel Gaspard, chargé de mission au ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement, ancien Conseiller pré-adhésion en Hongrie «L’intégration des PECO. Scénario pour l’avenir» CPE, n° 1014, avril 2001, pp. 4-14 Une économie en reconstruction «L’économie russe, avec la crise de 1998, était arrivée au terme de sa première étape de transformation. Cette première phase reposait sur un objectif et une philosophie quasi exclusifs : briser la colonne vertébrale du le courrier des pays de l’Est système soviétique afin de rendre impossible tout retour en arrière. Si l’opération a été réussie, elle a entraîné à sa suite l’ensemble de l’économie et de la sphère sociale, laissant un pays largement désemparé. Largement, mais pas totalement. La déflagration de 1998, qui a, tout à la fois, sanctionné le succès de la politique de stabilisation macroéconomique et mis en évidence ses limites a, en effet, ouvert la porte à une seconde période de réformes : la reconstruction après la phase de “nettoyage”. Trois grands facteurs se sont alors conjugués pour faire du mandat du président Poutine une période propice pour l’avancée des réformes structurelles. Le premier est lié à l’héritage légué par ses prédécesseurs. La décennie 1990 avait ainsi permis d’entamer largement le chantier de la restructuration. […] Le deuxième facteur favorable aux réformes, directement lié au premier, a tenu à une conjoncture macroéconomique exceptionnelle pendant quatre ans. Le “coup de pouce” offert par l’environnement extérieur, avec des prix du pétrole et des matières premières exceptionnellement élevés pendant toute la période, sera ainsi venu s’ajouter aux effets de la dévaluation pour autoriser et amplifier le rebond de l’économie russe. Le troisième facteur est lié au contexte politique. Le président Poutine a bénéficié, dès son élection, d’une Douma recomposée, relativement docile et favorable aux réformes, ce qui n’était pas le cas pour les gouvernements précédents. Même s’il n’a pas été univoque et sans réserve, le soutien des parlementaires s’est révélé efficace tout au long de la période. S’appuyant sur cette base solide, V. Poutine a entrepris de s’affranchir progressivement des groupes de pression qui avaient contribué à son élection, mais qui disposaient d’un pouvoir d’interférence élevé sur le processus de décision politique. […] 21 N° 1046 novembre-décembre 2004 Le processus de réformes structurelles aura donc bel et bien bénéficié d’une volonté politique relativement claire tout au long du mandat Poutine et un grand nombre d’évolutions auront effectivement été concrétisées. Pourtant, dans le même temps, les observateurs demeurent souvent suspicieux, arguant du faible impact des mesures adoptées sur les structures et les règles du jeu économique en Russie. En d’autres termes, la première présidence de V. Poutine se serait résumée à un travail de fourmi législatif, évitant soigneusement de toucher les thèmes sensibles susceptibles de mettre en jeu des intérêts bien établis. L’observation démontre que, lorsque de réelles avancées ont été effectuées, trois ingrédients étaient réunis : une nécessité de faire évoluer des structures inadaptées (régime fiscal pesant et complexe, impossibilité de financer les retraites, absence de stimulant au développement de l’agriculture, ...) ; le dégagement d’un consensus suffisant parmi les principaux groupes de pression (élites économiques, administratives, et régionales, institutions financières internationales et, dans une moindre mesure, opinion publique) ; un accord global sur la marche à suivre (baisse de la pression fiscale, introduction d’éléments de capitalisation dans le régime de retraites, nécessité de permettre les transactions sur les terres agricoles comme condition au développement du secteur). ● Un goût d’inachevé Dresser un bilan des réformes sous la présidence Poutine s’avère un exercice malaisé. En termes purement quantitatifs, celui-ci se révèle incontestablement positif, les parlementaires ayant adopté trois fois plus de textes de lois qu’au cours des législatures précédentes. En termes de contenu, il apparaît éga- 22 lement encourageant. Certes, aucun chantier n’apparaît pleinement abouti, mais la plupart ont fait l’objet d’avancées concrètes, généralement dans le sens souhaité tant par les institutions financières internationales que par les observateurs indépendants. Qui plus est, il eût été utopique de penser que des problématiques aussi complexes puissent se résoudre sans heurts et sans débats, quelles que soient la volonté politique et l’efficacité des instruments aux mains des autorités. Il demeure que le processus laisse un goût d’inachevé. Plus précisément, à la question de savoir si les réformes structurelles menées par le président Poutine ont favorisé une véritable transformation de l’économie russe, la plupart des observateurs sont tentés aujourd’hui de répondre par la négative. Structurellement, celle-ci reste, en effet, largement conforme au modèle rentier exportateur qui s’est progressivement mis en place dans les années 1990 : prépondérance des secteurs de matières premières et de produits énergétiques (40 % de la production industrielle, 80 % des exportations, 70 % de l’investissement, 50 % des recettes fiscales), d’où une forte exposition aux aléas de la conjoncture internationale ; indigence des secteurs de transformation (10 % seulement de la production industrielle totale), de ceux à forte valeur ajoutée et des petites et moyennes entreprises (leur nombre n’a pas progressé depuis quatre ans et stagne autour de 1 million, pour l’essentiel dans le tertiaire) ; creusement des inégalités entre une élite très fortunée et une grande majorité en butte à des conditions de vie précaires ; concentration des leviers de contrôle économiques et politiques ; faible compétitivité internationale, etc. […] Dans le même temps, le visage qu’offre la Russie apparaît, à bien des égards, très différent de celui d’avant la crise : Le système économique assainissement de la situation, mais aussi des procédures budgétaires et monétaires ; amélioration du climat des affaires ; maîtrise de la situation financière globale ; quasi-disparition des pratiques de troc et d’impayés ; renforcement de l’efficacité du proces- le courrier des pays de l’Est sus de décision favorisant la complémentarité des relations économiques sur l’ensemble du territoire, etc.» Gilles Walter, économiste «Tour d’horizon. Les réformes économiques en Russie» CPE, n° 1038, septembre 2003, pp. 14-23 Pour plus d’informations lire dans Le courrier des pays de l’Est Michel Lesage, Georges Sokoloff, Jean-Pierre Saltiel, «La réforme de la gestion de l’économie soviétique», n° 40, 4 novembre 1965, pp. 5-47. Georges Sokoloff, Gérard Wild, «Intégration économique et tensions politiques en Europe orientale», n° 114, février 1969, pp. 49-74. Claude Bornecque, Georges Sokoloff, «La Hongrie, économie ouverte», n° 135, novembre 1970, pp. 57-73. «Une interprétation historique des crises récentes de l’économie tchécoslovaque», n° 160, février 1973, pp. 5-18. Françoise Lemoine, avec la coll. de Wilhelm Jampel, «Les nouvelles tentatives de la réforme économique en Pologne», n° 164, juin 1973, pp. 7-15. Chantal Beaucourt, Marie-Agnès Crosnier, Wilhelm Jampel, «Les réaménagements du mécanisme économique en Union soviétique et en Europe orientale», n° 242, juillet-août 1980, pp. 3-55. Gérard Duchêne, «Une nouvelle approche des économies de type soviétique», n° 224, octobre 1980, pp. 41-54. Thomas Schreiber, «Pouvoir politique et réforme économique en Hongrie», n° 254, septembre 1981, pp. 4-10. Xavier Richet, «La réforme des prix de 1980 en Hongrie», n° 254, septembre 1981, pp. 29-39. Marie-Agnès Crosnier, «Bilan des années 1981-1985 en URSS : l’immobilisme», n° 304, mars 1986, pp. 5-26. Gérard Wild, «Perspective de croissance en Europe de l’Est et commerce avec l’Ouest», n° 309-310-311, août-septembre-octobre 1986, pp. 276-296. Marie-Agnès Crosnier, «Russie 1992 : le saut dans l’inconnu», n° 368, avril 1992, pp. 3-27. Christophe Leonzi, «La transition économique dans les Etats baltes, une marche à trois temps vers l’Occident», n° 403, octobre 1995, pp. 3-16. Daniel Gros, «Quel système économique pour l’Europe du Sud-Est après la guerre ?», n° 444, novembre 1999, pp. 66-78. Marie-Agnès Crosnier, «Réformes économiques. Des dérapages à l’embardée», n° 1004, avril 2000, pp. 39-55. Arnaud Mehl, «Les systèmes bancaires dans les PECO. Etat des lieux au terme de dix ans de transition», n° 1009, octobre 2000, pp. 48-63. Philippe Perret, «La réforme économique en Russie. Deuxième étape de la transition», n° 1015, mai 2001, pp. 35-50. 23 N° 1046 novembre-décembre 2004 Fragmentations et recompositions Allemagne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, URSS L’ordonnancement du continent européen a changé avec l’effondrement des régimes communistes, bouleversant radicalement le paysage territorial et politique de ce qui fut l’Europe de l’Est. L’Allemagne s’unifia, alors que trois fédérations implosaient − la Tchécoslovaquie pacifiquement, la Yougoslavie sous l’effet des conflits armés et l’URSS sous la pression des revendications indépendantistes des républiques qui la composaient. L’URSS et la Yougoslavie se distinguaient par la présence de diverses «nationalités», et deux nations cohabitaient sur le territoire tchécoslovaque. A contrario, l’Allemagne fut divisée en deux Etats qui abritaient le même peuple. La disparition du rideau de fer − frontière idéologique − a conduit à l’unification d’un pays et à celle du continent européen, tout en permettant l’apparition d’Etats souverains par la transformation des frontières intérieures des anciennes fédérations en frontières internationales. Les mouvements simultanés d’unification et de fragmentation ont ainsi profondément modifié non seulement la donne européenne, avec une Allemagne agrandie dans une Europe élargie et différenciée, mais également ce qui fut une aire politique intégrée après l’incorporation dans le bloc communiste, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de toute une série de pays. 24 Alors clés de voûte de l’ordre européen, les deux Allemagnes, ayant progressivement acquis au sein de chaque camp une certaine puissance, avaient des intérêts qui leur étaient propres. Depuis la signature de l’accord de Berlin du 20 septembre 1951, leurs relations économiques ont ainsi suivi une logique, plus sensible aux méandres des politiques intérieures de chaque Etat qu’aux à-coups des relations Est-Ouest. Ces échanges mutuels ont procuré des bénéfices économiques pour la RDA, et répondaient à des intérêts politiques pour la RFA. Ce modus vivendi dominé par le pragmatisme a permis à Berlin-Est de profiter notamment de la technologie occidentale pour rester compétitive sur les marchés internationaux, mais a également donné la possibilité à ses citoyens d’améliorer leur niveau de vie. Pour Bonn, le commerce avec «l’autre» Allemagne faisait partie de la Deutschlandpolitik : obtenir, par la voie économique, un rapprochement entre les deux Etats, voire permettre à la RDA d’adopter certains aspects des économies occidentales. Néanmoins, l’unification allemande, le 3 octobre 1990, s’est révélée très coûteuse à bien des égards, mettant en exergue les difficultés de l’intégration de deux économies de types aussi différents. Aux frontières orientales de l’Allemagne, un autre pays connaissait de fortes tendances centrifuges. Jusqu’aux débuts des années 1990, le problème national Fragmentations et recompositions tchéco-slovaque n’avait pas attiré l’attention des capitales occidentales ; celles-ci furent donc fort surprises de constater, après l’effondrement du communisme, à quel point les Slovaques aspiraient non seulement à affirmer leur identité, mais aussi à rééquilibrer leurs relations avec les Tchèques au point de soulever la question du maintien de l’Etat commun. Depuis les origines de ce dernier (1918), le dualisme tchéco-slovaque, porté par des différences historiques, culturelles, religieuses et économiques est en fait resté intact. Sous la Première République (1918-1939) comme au cours de la période communiste, les Slovaques eurent le double sentiment d’être écartés du processus de décision et de ne pas recevoir ce qui leur était dû des ressources allouées par le gouvernement central. Les Tchèques, de leur côté, se refusèrent longtemps à admettre l’approche slovaque et à renoncer au principe supra-national. A partir de 1990, l’Etat tchécoslovaque s’est déconstruit de manière pacifique et négociée, jusqu’à ce que soit entérinée sa dissolution au 31 décembre 1992. Les bouleversements dans le bloc soviétique ont également révélé à la communauté internationale la grande précarité de l’union des «Slaves du Sud» qui s’est enfoncée dans une lente crise de légitimité après la mort de Tito (1980) : non seulement l’illusion d’une voie particulière du socialisme s’est dissipée, mais le principe d’une entité étatique fondée sur une communauté de destin «yougoslave» a été balayé par les nationalismes. Les tendances centrifuges furent toujours latentes dans la société yougoslave et les disparités de développement ont contribué à exaspérer les conflits nationaux. Enfin, la dislocation de la Yougoslavie socialiste (1989-1991) s’est accompagnée de violences extrêmes qui ont conduit l’Europe à s’interroger sur sa capacité d’agir, alors que les Etats le courrier des pays de l’Est successeurs, une fois leur souveraineté et leur identité confirmées, aspirent à se rapprocher de l’Union européenne. En URSS, le changement est venu d’en haut et les chances de réussite dépendaient de la possibilité de dissocier la réforme du système de celle de l’empire. Mais de l’Arménie à la Baltique, la glasnost a fait ressurgir non seulement les aspirations démocratiques mais également les revendications nationales. Le pouvoir central soviétique chercha un temps à imaginer des modalités de réorganisation de l’URSS et à définir de nouveaux types de liens avec les républiques fédérées. Mais il était déjà trop tard et on assista à la «parade des souverainetés» de la part des différentes républiques qui, les unes après les autres, autoproclamèrent leur indépendance. La faillite du système apparut alors d’autant plus éclatante que le pays le plus vaste, le plus peuplé, le plus riche en ressources naturelles et le plus puissant du système communiste européen, l’URSS, avait cessé d’exister en décembre 1991 «en tant que sujet de droit international et réalité géopolitique», au profit de quinze Etats très dissemblables, dont douze se sont regroupés au sein de la Communauté des Etats indépendants (CEI). Allemagne : de la division à l’unité «Le 13 août 1961 marque un tournant dans l’histoire économique de la République démocratique allemande. Ce jour-là, la RDA, décida d’établir à la limite du secteur oriental et des secteurs occidentaux de l’ancienne capitale allemande “un contrôle, comme il est d’usage aux frontières de tout Etat souverain”. La construction du “Mur de la honte” a mis fin à l’hémorragie démographique 25 N° 1046 novembre-décembre 2004 qui vidait peu à peu l’Allemagne de l’Est de sa substance. […] La RDA, surgie du néant est devenue grâce à son industrie un des grands pays d’Europe centrale. Mais en raison de sa situation particulière, elle demeure pour beaucoup − et pas seulement pour les Allemands de l’Ouest − un pays artificiel, de plus en plus conscient de son isolement.» Thomas Schreiber, journaliste à Radio France Internationale «L’économie de l’Allemagne orientale» CPE, n° 12, 9 septembre 1964, pp. 21-32 ● Une coupure nette... «L’analyse des faits nous a accoutumés depuis longtemps à voir dans les deux Allemagnes deux Etats profondément séparés. Leurs institutions politiques et sociales en font depuis plus de 20 ans les représentants de deux types de communautés nationales aux caractéristiques distinctes, sinon opposées. Chacune, nolens volens, s’est intégrée très rapidement aux deux camps européens constitués au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en suivant assez fidèlement les mouvements mis en branle par les deux puissances dominantes à l’intérieur de chaque bloc. Les institutions, de même que les politiques économiques se sont rapidement différenciées et ont progressivement donné naissance à deux économies qui, sans renier les structures héritées, ont accompli des progrès et se heurtent à des difficultés semblables à celles des pays se réclamant de l’un ou l’autre des deux systèmes. ● ... mais un cadre d’échanges privilégiés... En dépit de tous les aléas de la conjoncture politique internationale, un “pont” a été maintenu entre les deux parties de l’Allemagne. Créé pour respecter une donnée historique, et traduit au niveau des institutions par 26 une convention internationale (l’accord de Berlin), il a servi en particulier les objectifs politiques et économiques que les dirigeants de chaque “Etat” se sont fixé l’un vis-à-vis de l’autre au moment de la séparation. […] Mais servant les intérêts des deux Allemagnes dans la partie qu’elles jouent l’une vis-à-vis de l’autre, les réglementations issues de l’accord de Berlin leur permettent en même temps de bénéficier, par rapport à leurs partenaires respectifs, d’avantages économiques particuliers. Longtemps, les ambiguïtés que le développement des échanges interallemands pouvait comporter furent sinon négligées, du moins éludées. Mais l’évolution politique et économique des Allemands au cours des années récentes suscite, de plus en plus, des interrogations. Certains, non contents de se livrer à des estimations chiffrées des avantages relatifs que retirent la RFA et la RDA de leur commerce, vont jusqu’à émettre des hypothèses sur leur éventuelle unité d’action. Nos propres recherches n’ont pas permis de confirmer ces supputations. […] S’il est vrai qu’au travers des opérations de coopération ou par le biais d’initiatives individuelles, certains transferts de technologie peuvent s’effectuer entre les deux Allemagnes, le volume sinon caché du moins non comptabilisable des échanges ne saurait être tel qu’il puisse modifier les conclusions de notre analyse. […] En tout état de cause, on voit que l’analyse des échanges interallemands débouche sur un […] aspect, qui dépasse le simple plan de l’économie : elle révèle en effet combien les “démons” qui habitent l’Europe depuis plus d’un siècle restent encore à exorciser. […] La montée des deux Allemagnes sur les deux scènes économiques européennes a réveillé de chaque côté de la frontière entre les deux blocs les senti- Fragmentations et recompositions ments profondément ancrés de méfiance teintée de crainte, non seulement vis-àvis de chacune d’elle mais aussi vis-àvis d’un “projet germanique” qui pourrait renaître de ses cendres.» Gérard Wild, Groupe d’études prospectives sur les échanges internationaux (CNCE) «Miracles” allemands et ”démons” européens» CPE, n° 147, décembre 1971, pp. 38-64 ● ... reconnu par la CEE «Les échanges commerciaux et la facilité de règlement sont les principes de base des échanges économiques entre les deux Allemagnes […], régis par l’accord de Berlin du 20 septembre 1951, intégré sous forme de protocole dans les traités de Rome de 1957, créant la CEE. Il s’applique aussi aux échanges avec Berlin-Ouest. […] Les échanges entre les deux Allemagnes restent libres et sont réglés sur la base de la parité monétaire (1 deutsche mark = 1 Ostmark). Les paiements sont effectués en clearing entre la Bundesbank de RFA et la Staatsbank de RDA. Les deux pays peuvent, en outre, tirer à découvert sur leur comptes clearing respectifs, selon le principe du swing, jusqu’à un certain montant fixé à l’avance entre les deux pays. Le crédit swing est donc une sorte de crédit gratuit permanent. Depuis 1958, la RDA a aussi la possibilité, ce qu’elle fait rarement, de régler comptant et en devises convertibles ses achats à la RFA. Ce type d’opération est comptabilisé sur un compte spécial, le“compte S”. En outre, le commerce interallemand comporte plusieurs avantages fiscaux accordés par la RFA. Les produits estallemands entrent en franchise en République fédérale. Les échanges agricoles ne sont pas soumis aux montants compensatoires fixés par la CEE. Les importateurs et les exportateurs ouest-allemands qui commercent avec la RDA bénéficient d’un allègement des taxes sur le chiffre d’affaires. le courrier des pays de l’Est ● Compromis politiques Les relations économiques entre les deux pays sont en fait très complexes. Elles englobent en effet, outre les axes classiques − le commerce et la coopération −, des domaines particuliers : les relations financières, les communications, le rachat des personnes(1), BerlinOuest. […] Les relations économiques entre les deux pays ont été bâties sur une série de compromis politiques qui ont peu à peu favorisé leur développement. D’entrée de jeu, la construction du mur de Berlin, en 1961, manifestation la plus concrète de la politique de “démarcation” (Abgrenzung) de la RDA, semblait ôter tout espoir de voir s’améliorer les relations entre les deux pays. Celui-ci renaît néanmoins avec la formule d’Egon Bahr(2) qui préconise “le changement par le rapprochement”, notamment économique. Cette idée ouvre la voie à la proposition de Willy Brandt, en octobre 1969, de négocier sur la base du principe “deux Etats, une nation”. Celle-ci aboutit à la signature du Traité fondamental (Grundlagenvertrag) en décembre 1972, qui normalise les relations entre les deux Allemagnes. Depuis, “la petite détente interallemande” n’a traversé aucune crise grave, même lorsque la tension Est-Ouest a repris à partir de 1979. En pleine crise des euromissiles, la RDA continue d’obtenir d’importants crédits ouest-allemands. L’arrivée de Mikhail Gorbatchev au pouvoir en URSS en 1985 ouvre ensuite la voie à un nouvel apaisement des relations Est-Ouest, ce qui permet aux deux Allemagnes de manifester plus clairement leur entente. On aboutit ainsi à la visite d’Erich Honecker à Bonn en septembre 1987, soit cinq ans après le début de l’accélération de la politique de rapprochement qu’on observe en RFA depuis l’arrivée au pouvoir du chancelier H. Kohl, en 1982. 27 N° 1046 novembre-décembre 2004 Les relations économiques interallemandes qui ont suivi à peu près l’évolution de l’ensemble du commerce Est-Ouest jusqu’à la fin des années soixante-dix, semblent s’émanciper dans les années quatre-vingt pour obéir à une logique propre aux relations interallemandes. Les difficultés économiques intérieures de la RDA provoqueront dans la deuxième moitié des années quatre-vingt un affaissement des échanges. ● Le «moteur» ouest-allemand Cependant, les échanges se développent sous le contrôle permanent des deux Etats pour des raisons parfois économiques, et, le plus souvent, politiques. En RDA, les échanges avec la RFA, qui font partie du commerce extérieur, sont un monopole d’Etat. L’Etat estallemand est soucieux de son indépendance vis-à-vis de la RFA. […] Le gouvernement ouest-allemand tient, en effet, à conserver un regard attentif sur les échanges avec l’autre Allemagne. En RFA, toute entreprise qui souhaite effectuer des opérations commerciales avec la RDA doit obtenir une licence. […] Conformément aux objectifs de réunification inscrits dans la Loi fondamentale (Grundgesetz), le gouvernement fédéral considère qu’il existe un espace économique panallemand regroupant les deux républiques. Le commerce interallemand appelé “commerce intra-allemand” (innerdeutscher Handel) n’est pas considéré comme faisant partie du commerce extérieur et n’est donc pas compris dans les statistiques du commerce international de la RFA. Il est comptabilisé à part dans des statistiques qui font état des “livraisons” (Lieferungen) et des “fournitures” (Bezüge) et non pas des “exportations” et des “importations”. Notons enfin, que les échanges inter-allemands n’échappent pas, en principe, aux règles du COCOM limitant les transferts de technologie. […] 28 La diminution du commerce interallemand est apparue simultanément à un ralentissement de la croissance économique en RDA […]. Relancer les échanges avec la RFA pouvait être un moyen de soutenir la croissance. Mais les contraintes économiques entraient en contradiction avec les contraintes politiques de la RDA qui a toujours souffert de “l’attraction d’un voisin libre et prospère”. Le resserrement des liens économiques avec la RFA a toujours été ressenti en RDA comme la source de problèmes sociaux. La preuve que ces craintes étaient fondées a été fournie de manière spectaculaire par l’émigration importante des Allemands de l’Est vers la RFA durant l’été 1989.» Sigolène Brisou, Le courrier des pays de l’Est «Les relations économiques RFA-RDA : un état des lieux» CPE, n° 344, novembre 1989, pp. 25-34 ● Le choc de l’unification allemande «Au début de l’année 1989, les autorités est-allemandes présentaient encore la RDA comme la dixième puissance industrielle du monde. Après le 9 novembre 1989, date de la chute du mur de Berlin, chacun s’accordait à dire que l’économie de ce pays était au bord du gouffre. […] C’est entre autres la conviction que l’économie est-allemande restait solide et bien structurée par rapport aux autres pays est-européens englués dans des déséquilibres économiques graves qui poussa E. Honecker à refuser toute perestroïka de l’économie de son pays. Il ira même en 1987 jusqu’à offrir à M. Gorbatchev, lors d’un séjour de ce dernier à Berlin-Est, une puce électronique en témoignage du haut niveau technologique de la RDA. En fait, et la chute du mur permettra de le vérifier, les chiffres qui pendant des années ont illustré le miracle est-allemand étaient bien souvent surestimés. L’intention Fragmentations et recompositions n’était-elle pas de montrer une dynamique économique comparable à celle du voisin ouest-allemand ? […] L’écart entre les deux Allemagnes, aussi bien dans le niveau de vie que dans la production, pose, depuis la chute du mur, le problème de la mise à niveau des cinq Länder est-allemands. Les statisticiens allemands se sont mis à leurs machines pour calculer le coût de la mise à niveau : 500 à 1 200 milliards de DM selon les sources pour la reconstruction des infrastructures (routes, ponts, chemins de fer, aéroports et télécommunications), la protection de l’environnement, la modernisation des industries et la protection sociale.» Daniela Heimerl avec la collaboration d’Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est «L’ex-RDA vers l’économie de marché : une voie inexplorée» CPE, n° 356, janvier 1991, pp. 30-52 ● Les conditions de l’intégration «La chute du mur de Berlin, les migrations Est-Ouest et les résultats des premières élections législatives libres de 1990 ont été à l’origine d’une réunification extrêmement rapide qui a valu cependant aux deux Allemagnes des lendemains difficiles. Les choix effectués lors de l’union [monétaire, économique et sociale] en matière de conversion et les négociations salariales, qui ont eu lieu parallèlement, ont été dommageables à l’économie réelle et aux travailleurs est-allemands. […] Le choix de la conversion ne pouvait satisfaire à toutes les exigences (de parité de pouvoir d’achat, de parité de productivité et de compétitivité des entreprises). Il existait d’importants conflits d’objectifs. Face au vide théorique et à toute référence pour calculer un taux de conversion d’équilibre, les Allemands ont “improvisé”. Dans ces conditions, il semble que l’on ait largement surestimé la richesse et le potentiel de la RDA. […] le courrier des pays de l’Est L’arbitrage effectué par le pouvoir politique allemand en 1990 a privilégié la dimension sociale et politique au détriment des considérations économiques et financières, ce qui a contraint la Bundesbank à adopter une politique monétaire extrêmement rigoureuse afin de faire face aux tensions, voire à un dérapage de l’inflation. Par ailleurs, les variables prix/salaires n’ayant pas joué leur rôle, l’essentiel de l’ajustement a été reporté sur la sphère réelle et financière. Enfin, l’ex-RDA n’a pas bénéficié des apports d’investissement étrangers attendus si bien que la croissance tarde à décoller et que le chômage est devenu massif. Sur le plan financier, les répercussions sont considérables : le coût de l’union ne cesse de croître et les Länder de l’Ouest de se cotiser pour les Länder de l’Est, sans que cette partie de l’Allemagne connaisse une envolée de croissance. […] Malgré le déversement chaque année de plus de la moitié de l’équivalent du PIB français dans les nouveaux Länder, les disparités entre les deux parties de l’Allemagne sont encore importantes. Et il semble que leur convergence totale soit repoussée aux calendes grecques.» Thierry Cailleau, Université d’Angers «Réunification allemande : le choc de l’union monétaire» CPE, n° 444, novembre 1999, pp. 52-65 De l’originalité slovaque au divorce tchécoslovaque «Pendant des années […], la Slovaquie fut à la pointe du combat contre M. Novotny(3), alors que les Tchèques semblaient passifs. Les journaux publiés à Bratislava avaient à faire à une censure beaucoup moins tatillonne que celle de Prague. […] Le libéralisme s’y épanouissait ces dernières années parce que les intellectuels et la population 29 N° 1046 novembre-décembre 2004 entendaient marquer leur originalité (c’était presque une forme de la revendication nationale). Et aussi parce que A. Dubcek dirigeait le Parti communiste de cette région. […] N’ont-ils pas conscience aujourd’hui d’avoir atteint leur objectif ? Maintenant qu’un des leurs est à la tête du pays, ils vont recevoir les investissements qu’ils réclamaient et la nouvelle Constitution, qui doit être proclamée en octobre pour le cinquantième anniversaire de la Tchécoslovaquie, établira un Etat fédéral, avec égalité des nationalités. […] L’expérience actuelle confirme donc que les contrastes entre Slovaques et Tchèques subsistent en dépit des changements de régime et de politique. On se demande même parfois si ce n’est pas un facteur d’équilibre pour le pays.» Article non signé «Tchécoslovaquie : le cas de la Slovaquie» CPE, n° 108, 31 août 1968, pp. 38-39 Une telle divergence d’appréciation sur le thème de la forme juridique du partenariat mérite une explication. Opposer le nationalisme primitif, obscurantiste et agressif des Slovaques à la sagesse et à la modernité des Tchèques serait céder à la facilité et ignorerait la complexité de la réalité. […] ● Quelles dissensions dans le partenariat tchéco-slovaque ? ● D’un malaise slovaque profond à la séparation «Depuis 1918, date de la création de la Tchécoslovaquie, Tchèques et Slovaques n’ont jamais vraiment partagé une vision identique des principes fondamentaux de leur association à l’intérieur des frontières communes. Les Slovaques ont eu tendance à définir leur partenariat avec les Tchèques sous la forme suivante : “la société tchécoslovaque est divisée, faite de deux nations différentes, la nation tchèque et la nation slovaque”. Pour les Slovaques, cela sous-tendait une organisation de l’Etat qui puisse tenir compte des spécificités slovaques. La plus large autonomie apparut comme la stratégie la plus appropriée pour un groupe qui ne vit que peu d’espoir de dominer l’arène politique par sa propre force démographique et dont le sentiment fut que l’Etat n’appartenait pas de manière égale à chacun. Les demandes autonomistes de l’entre-deux-guerres, la fédéralisation de la Tchécoslovaquie en 1938, le détachement de la Slovaquie des pays tchèques en 1939, la répugnance à réincorporer l’Etat commun en 1945, les demandes fédérales et confédérales en 1968 et en 1990-1992 en ont été les manifestations spectaculaires. […] Le “problème slovaque” traversa, intact, toute la période communiste et le régime démocratique de Vaclav Havel en hérita dans toute sa puissance en 1990. La crainte de voir le nouveau pouvoir fédéral de Prague et son Les Tchèques, à l’opposé, n’ont […] jamais voulu enfermer les deux peuples dans des catégories aussi exclusives et ont en conséquence toujours répugné à admettre cette approche slovaque, préférant le principe civique suprana- 30 tional. Depuis 1990, ils ont recherché une “fédération fonctionnelle” ou “raisonnable”, en rejetant une organisation de l’Etat qui accorderait d’importants pouvoirs à la périphérie (les territoires tchèque et slovaque) au détriment du centre (Prague). A l’opposé, les Slovaques, et leurs représentants nationaux ont toujours été − depuis l’entre-deuxguerres − en faveur d’un cadre constitutionnel dans lequel la Slovaquie se verrait dotée de puissants pouvoirs de décision et qui garantisse des relations d’égalité entre partenaires tchèques et slovaques. […] Fragmentations et recompositions ministre des Finances, Vaclav Klaus, engager des réformes économiques ultra-libérales, sans prendre en considération les intérêts spécifiques slovaques, ne fit que renforcer le sentiment de la nécessité de se gouverner soi-même, en tout indépendance de l’administration fédérale. Les Slovaques n’ont pas été contre la transition vers l’économie de marché, mais ils ont reproché, non sans raison, à Vaclav Klaus, de ne pas se pencher sur le problème de la relance économique en Slovaquie et de faire abstraction de la nécessité d’améliorer l’état de la République. Les Tchèques, eux, n’ont jamais connu un mouvement nationaliste d’une telle ampleur dans le cadre de la Tchécoslovaquie. Ils l’ont connu avant, sous le régime de l’empire des Habsbourg, mais pas après, une fois créé l’Etat tchécoslovaque. Le président Havel expliqua en 1990 pourquoi : “pour les Tchèques, Tchèque est fusionné avec Tchécoslovaquie. Cela crée l’impression que la République [la Tchécoslovaquie] est en quelque sorte la nôtre, une République tchèque”. La confusion entre “tchéquité” et “tchécoslovaquité” (selon les propres termes du président Havel) est étroitement liée à la position centrale des Tchèques dans l’Etat qu’ils ont constitué avec les Slovaques depuis 1918. Entre 1918 et 1968, l’Etat fut suffisamment tchèque pour satisfaire les nationalistes tchèques potentiels. Les politiques centripètes non seulement de T. G. Masaryk et de E. Benes (1918-1938) mais aussi de K. Gottwald et de A. Novotny (19481968) encouragèrent ainsi les symboles nationaux tchèques (tel que le lion pour emblème de l’Etat) et l’accession préférentielle aux postes de responsabilité des cadres tchèques. Nation la plus nombreuse, le peuple tchèque fut aussi la nation dirigeante : le vrai pouvoir politique fut concentré dans les pays tchèques. le courrier des pays de l’Est La conséquence de ce phénomène fut double. Une telle situation eut pour premier corollaire une grande difficulté pour les Tchèques à se représenter la spécificité slovaque : “les Tchèques ne furent jamais vraiment capables de comprendre ce que signifiait un Etat commun avec les Slovaques, d’anticiper leurs demandes, d’aller à la rencontre des Slovaques”(4). La seconde implication fut la réticence à fédéraliser ou confédéraliser un Etat assimilé à une chose tchèque : “Souvent, nous identifions involontairement la République tchèque avec la Tchécoslovaquie et, en conséquence, les attitudes slovaques nous apparaissent incompréhensibles et inacceptables”(5). Dans un tel cadre, la politique tchécoslovaque s’est fortement polarisée, et les manifestations en faveur d’attitudes médianes ont été le plus souvent peu nombreuses ou étouffées. Les échecs successifs pour trouver un accord sur le texte d’une nouvelle Constitution, dont l’adoption avait été initialement prévue avant les élections parlementaires de juin 1992, en ont été un exemple.» Jaroslav Blaha, Le courrier des pays de l’Est, Frédéric Wehrlé, docteur en sciences politiques «La Fédération tchèque et slovaque mise en cause : aspects politiques et économiques» CPE, n° 370, juin 1992, pp. 44-56 La Yougoslavie socialiste : une mort lente et douloureuse «Devant ce qu’il est convenu d’appeler l’opinion publique internationale, la Yougoslavie bénéficie d’un préjugé favorable. Elle est membre associé du CAEM, fait partie de l’OCDE et a récemment signé avec la CEE un accord économique et commercial la mettant en situation privilégiée ; de même a-telle constitué avec l’AELE un “groupe 31 N° 1046 novembre-décembre 2004 de travail” commun. Non contente d’établir un pont économique entre l’Est et l’Ouest, la Yougoslavie joue un rôle de premier plan dans la Conférence des pays non alignés. Et elle se présente finalement comme une sorte de point de ralliement de toutes les tendances qui divisent le monde contemporain. […] ● Une société disloquée Tel qu’il est constitué après les deux guerres mondiales, le territoire baptisé “Yougoslavie” offre un cadre géographique peu favorable au fonctionnement d’une société intégrée. Les massifs montagneux qui couvrent les deux tiers du pays y créent de multiples cloisonnements. […] La nature n’a pas fait que diviser la Yougoslavie ; elle y a créé également des conditions fort inégales de développement économique. Celui-ci s’organise essentiellement autour de Belgrade, en Serbie et dans le Nord-Ouest (Slovénie et région de Zagreb en Croatie). Certaines ramifications de ce développement atteignent néanmoins les centres miniers de Bosnie-Herzégovine dispersés autour de Sarajevo, ainsi que la Macédoine. En liaison avec les conditions naturelles, de nombreux facteurs historiques et sociologiques ont fortement contribué à faire de la Yougoslavie une véritable mosaïque humaine. Les six républiques de la Fédération yougoslave regroupent cinq ethnies principales (serbes, croates, slovènes, macédoniens, monténégrins) et de nombreuses minorités d’importance variable (Hongrois de Voïvodine, Albanais, Turcs, Slovaques, Roumains, Bulgares, Tchèques, Italiens). […] Ces oppositions humaines ont également trouvé un terrain particulièrement propice dans un sous-développement économique général qui a toujours 32 pour effet de désarticuler une société. Les deux foyers à partir desquels aurait dû se propager un développement sont localisés dans les républiques serbes et croates. Or, depuis la création du royaume de Yougoslavie, et lors de la Seconde Guerre mondiale, ces populations ont toujours été les plus profondément divisées. […] Ainsi peut-on dire que le respect d’une certaine hétérogénéité − marque profonde de toute idéologie socialiste yougoslave − résulte beaucoup plus de tout un faisceau de nécessités que d’un choix délibéré. ● Les risques d’un développement déséquilibré On a pu croire pendant longtemps que la mobilisation de la société yougoslave autour d’objectifs économiques était un succès, notamment au vu des taux de croissance élevés obtenus au cours de la première décennie de l’autogestion (1950-1961). Mais cette croissance était largement illusoire, car très déséquilibrée ; et elle s’est heurtée au cours de la fin des années 1960 à des crises de plus en plus fréquentes. […] Instrument privilégié de l’intégration sociale, le développement économique, en se concentrant finalement sur certains pôles régionaux, a contrairement aux espérances du pouvoir, donné un regain de vigueur aux vieux antagonismes politiques. La querelle entre Serbes et Croates, rendue plus aiguë par l’approche de l’après-titisme, s’est à nouveau exprimée à propos des projets de modification constitutionnelle ainsi que de la redistribution des fonds “extrabudgétaires” jusqu’ici gérés par les instances fédérales. Mais en devenant plus autonomes, les différentes républiques ne risquent-elles pas de devenir également beaucoup plus dépendantes de leurs puissants voisins ? L’URSS, notamment, pourrait profiter des sympa- Fragmentations et recompositions le courrier des pays de l’Est thies qu’elle a encore en Serbie, du mécontentement des populations pauvres du Sud, et de l’appât du libéralisme hongrois, pour réactiver sa stratégie indirecte de poussée vers la Méditerranée.» Cependant, ce processus ne peut être que très lent ; et dans les conditions actuelles, le renforcement du rôle de la Ligue des communistes constitue un moyen d’assurer un minimum de stabilité politique.» Françoise Perrot, Georges Sokoloff, Groupe d’études prospectives sur les échanges internationaux (CNCE) «La Yougoslavie. Evolution économique et perspectives de l’après-titisme» CPE, n° 143, juillet 1971, pp. 80-101 Françoise Lemoine, Groupe d’études prospectives internationales (CFCE) «La Yougoslavie 1970-1975 : improvisations ou nouvelle stratégie ?» CPE, n° 169, décembre 1973, pp. 8-29 ● Divergences d’intérêts entre les républiques «Un trop grand affaiblissement du pouvoir central comporte des risques manifestes tant pour la stabilité de l’économie que pour l’unité même de la Yougoslavie. [...] En outre, la latitude laissée aux autorités républicaines dans le domaine économique peut contribuer à favoriser les risques d’éclatement politique de fait de la Yougoslavie : on peut envisager que dans le cadre de lois fédérales se développent des politiques sensiblement divergentes en ce qui concerne l’investissement étranger, le développement agricole, la propriété privée. [...] Les risques de divergence croissante entre les diverses républiques se trouvent confirmés lorsqu’on sait que leur opposition en matière de politique et d’organisation économiques internes se double d’une divergence dans l’orientation géographique de leurs échanges extérieurs. Ainsi, les régions orientales, moins développées et plutôt “centralisatrices”, ont-elles des relations économiques privilégiées avec les pays du CAEM, alors que les républiques “occidentales” développées entretiennent des échanges plus intenses avec des pays capitalistes. [...] Une meilleure intégration économique serait de nature à atténuer l’effet des tendances centrifuges et de l’organisation très décentralisée de la Fédération. ● Les débuts de la fin «Avec la fin du moratoire de trois mois imposé par les accords de Brioni du 7 juillet 1991(6), le coup de force du “bloc serbe” du 3 octobre 1991(7) met la Yougoslavie dans une situation d’apesanteur proche de la disparition. Une “fédération” déchirée, des évolutions politiques diverses dans les républiques en voie de recomposition, des perspectives de “libanisation” rampante caractérisent ce pays, soixante-dix ans après le vote de sa première Constitution du 28 juin 1921, dite Constitution du Vidovdan. [...] La démarche du président Milosevic, entamée pour la défense des seuls Serbes du Kosovo, atteint [...] ses limites stratégiques. Grand tacticien et manœuvrier, dont le professionnalisme politique peut être apprécié par les connaisseurs, ce n’est finalement pas un stratège : avoir isolé le peuple serbe face à l’opinion mondiale ne peut préparer un avenir radieux pour ce peuple dont il se veut le héraut. Politiquement, la Yougoslavie contemporaine est en fait bel et bien morte le 3 octobre 1991. La transformation de la présidence collégiale en présidencecroupion a rompu la continuité prévue par la Constitution de 1974 ; en effet, après la mort de Tito, d’un 15 mai à l’autre, le président de la présidence collégiale était alternativement le représentant de l’une des huit répu- 33 N° 1046 novembre-décembre 2004 bliques ou républiques autonomes. C’était là un instrument de la continuité de l’Etat. Le coup de force du 3 octobre est un hommage du vice de la force à la vertu du droit et témoigne de la crainte de la Serbie d’apparaître simplement réduite à la Serbie et non comme une Yougoslavie rapetissée. S’il fallait dater le début de la fin, la prise du pouvoir de S. Milosevic au sein du parti serbe à la fin de 1987, qui portait en elle l’élection de F. Tudjman de mai 1990 comme la nuée porte l’orage, a sans doute été le point de non-retour rendant infiniment probable la destruction de la Yougoslavie. [...] La Yougoslavie est donc politiquement morte : comme l’a souvent souligné Milovan Djilas, la Yougoslavie ne vaut que par l’union serbo-croate. […] L’extension du conflit à la BosnieHerzégovine et, plus tard, au Kosovo et au Sandjak, en réservant le cas de la Macédoine, apparaît probable. On peut résumer le problème en paraphrasant Raymond Aron : Yougoslavie impossible, paix improbable.» Joseph Krulic, haut fonctionnaire, agrégé d’histoire «La mosaïque politique des républiques yougoslaves» CPE, n° 364, novembre 1991, pp. 23-33 ● Vers l’autarcie économique «Le 25 juin 1991, deux républiques yougoslaves ont proclamé leur indépendance. A partir de cette date, un processus de désintégration d’un pays conçu comme une entité unique depuis 70 ans a commencé. Parallèlement, l’économie se défait de plusieurs manières : par découpage, destruction physique, arrêt d’activité, ou encore par absence de relations avec l’extérieur. D’un point de vue économique, la décision d’indépendance de la Slovénie et de la Croatie a été fondée 34 sur le besoin de se rapprocher de la Communauté européenne. Elles ont aussi considéré leur passage à l’acte comme un ultimatum aux autres républiques yougoslaves pour une réorganisation de l’Etat, selon la proposition avancée par les dirigeants slovènes au mois de mars 1991. Celle-ci portait sur la transformation de la fédération yougoslave en une Communauté à l’image de la Communauté européenne. [...] A la fin de l’année 1991, l’économie de la Yougoslavie est complètement éclatée. La Slovénie organise son indépendance, ce qui implique une série importante de négociations autant avec les autorités fédérales qu’avec des organismes internationaux. Les anciennes dispositions concernant la monnaie, les finances, les transports, le commerce extérieur et d’autres domaines économiques sont en cours de reformulation. En Croatie, préoccupée par la guerre sur son territoire, les décisions économiques relatives à l’indépendance sont prises avec plus de retard. La Serbie, avec ses deux régions autonomes de Voïvodine et du Kosovo, intégrées dans la république serbe, forme avec la république du Monténégro un ensemble économiquement de plus en plus isolé. Restent la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine, dont la position économique est devenue périphérique par rapport à l’ensemble des Etats yougoslaves. [...] La Slovénie et la Croatie maîtrisent à elles seules près de la moitié de la production industrielle et du commerce extérieur yougoslave, ce qui porte leur produit social par tête bien au-delà de la moyenne du pays. En Slovénie, le produit social par habitant est huit fois supérieur à celui du Kosovo, et le salaire moyen est au moins le double.» Tatjana Globokar, Le courrier des pays de l’Est «L’économie de la Yougoslavie éclatée» CPE, n° 364, novembre 1991, pp. 7-22 Fragmentations et recompositions L’éclatement de l’Union soviétique «Deux ans après 1989, en décembre 1991, s’extrayaient de la gangue soviétique quinze Etats désormais indépendants dont douze sont actuellement unis au sein de la Communauté des Etats indépendants. Alors que les pays d’Europe centrale et orientale avaient malgré tout conservé quelques attributs de leur identité nationale d’avant le communisme (langue, noms de la monnaie, ambassades à l’étranger et surtout religion et culture), les douze Etats de l’ex-URSS […] étaient amalgamés à l’intérieur du grand manteau gris de la “culture soviétique” unique : une langue de base − le russe −, une monnaie − le rouble −, une armée − l’armée rouge −, une seule frontière soviétique, une éducation athéiste monocolore. Tout venait de Moscou, tout convergeait à Moscou. C’est donc bien un tout nouvel ensemble géopolitique que le monde doit à présent commencer à connaître. […] ● Le pari de quinze Etats indépendants Le divorce de ces Etats fait apparaître crûment le caractère hétéroclite de ce nouvel ensemble auparavant unifié par le système communiste. Ils sont à présent en principe reliés par l’institution de la CEI, en gésine ; en fait, les indépendances les dispersent au gré de leurs différentes évolutions et de situations géopolitiques contrastées. Imaginons, par comparaison, un ensemble constitué à la fois de l’Alaska et du Groënland, d’une Europe centrale à la surface décuplée, d’un Maghreb et d’un Moyen-Orient et d’un soupçon d’Asie. C’est à cela que correspondent grosso modo le Nord de la Russie européenne et sibérienne, les républiques slaves, celles du Caucase et d’Asie centrale et l’Extrême-Orient russe. Tel est l’ensemble disparate de la CEI. le courrier des pays de l’Est Déjà profondément différents les uns des autres par leurs cultures antérieures, leurs traditions ressurgies, leurs dotations naturelles, leur patrimoine économique, héritage de l’ex-URSS, leur localisation géographique sur cet immense territoire, ces pays se sont encore diversifiés au cours de ces dernières années, dans l’euphorie de l’indépendance, avec des accès de nationalisme plus ou moins maîtrisés, ensuite dans la crise économique grave qui a affecté leur appareil industriel et agricole, donc leurs finances et le niveau de vie des populations ; simultanément, ils tentent, chacun avec son style, de se réformer, de se restructurer, de s’ouvrir au marché mondial. […] Les nouveaux Présidents et leurs équipes ont joué un rôle d’entraînement ou au contraire de frein suivant les pays, de même que la présence plus ou moins forte d’élites scientifiques et techniques compétentes. Tous exnomenklaturistes, à part L. Ter-Petrossian (Arménie) et A. Akaiev, le Président philosophe du Kirghizstan, ces chefs d’Etat peinent de toute évidence à instaurer les structures d’une véritable démocratie qui commence avec un strict Etat de droit.[…] Des traces d’autoritarisme, maîtrisé ou pas, apparaissent un peu partout […] ; dans tous ces Etats, peu ou pas de contrepouvoirs, les partis politiques démocratiques sont petits et divisés, l’apathie politique assez répandue faute de relais sérieux dans la société civile. L’environnement n’est donc pas aussi favorable qu’il pourrait l’être aux jeunes entrepreneurs pourtant nombreux, à l’épargne, aux initiatives diverses, type solidarités caritatives, d’autant que des pratiques criminogènes sont mal ou pas réfrénées, notamment dans les pays les plus riches en ressources naturelles ou d’arsenal comme la Russie et l’Ukraine (trafic de minerais, d’armement) ou encore de drogues (Azerbaïdjan ou Asie centrale). Héritage du 35 N° 1046 novembre-décembre 2004 passé, partout une bureaucratie trop nombreuse est corrompue. Un bémol devrait être mis ici, car de nombreux observateurs croient voir dans les dénonciations voyantes de la mafia, en Russie par exemple, une manoeuvre des forces conservatrices pour un retour à l’autoritarisme d’antan. Tout concourt donc à encourager l’économie cachée, donc à l’appauvrissement de l’Etat qui ne peut plus ou mal budgétiser l’éducation, la santé, la recherche. De même, le filet social est peu ou pas développé mais l’exemple de la Russie où règne un calme social relatif laisse penser que là, comme dans d’autres Etats de la CEI, des relais locaux (entreprises nourricières, pouvoirs locaux, entrepreneurs privés) prendraient peu à peu la place de l’Etat auprès des plus démunis. Cet environnement social peut inquiéter l’observateur qui craindrait qu’au hasard d’élections de type populiste s’instaure dans certains Etats la loi de la force plutôt que la force de la loi. ● Un édifice fragile Dès sa création, en décembre 1991, la plupart des observateurs prévoyaient que ce “commonwealth eurasiatique” était voué à l’échec. […] Les finalités que prévoyaient les fondateurs de la CEI étaient en fait de deux ordres : supprimer définitivement un centre haï et que M. Gorbatchev voulait conserver, maintenir l’intégrité d’un certain nombre d’infrastructures politiques et économiques vitales à l’ex-URSS, tout en accordant aux douze Etats qui s’y rallièrent rapidement les moyens de vivre leur indépendance et leur souveraineté. Les “entrelacs” des relations tissées depuis plus de soixante-dix ans entre ces Etats que sous-tendait le tissu serré de l’appareil communiste devait se perpétuer sous une autre forme grâce à un nombre incalculable d’accords multilatéraux préparés au sein de 36 comités et commissions innombrables, lors des rencontres au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, ou encore des séances du Conseil de l’Assemblée interparlementaire représentant chaque parlement des douze Etats. […] Mais la nostalgie d’empire se respire aussi bien chez les Russes, notamment chez 25 millions d’entre eux installés dans d’autres Etats, que chez les Ukrainiens et les Biélorusses. [...] Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Tadjikistan et même Moldavie, la plus calme face à l’orage, souhaitent que se pérennise le lieu de dialogue symbolisé par la CEI, même si le maréchal Chapochnikov(8) a désespéré en juin 1993 d’obtenir une coopération militaire sincère entre les Etats au point de démissionner. Il ne faut donc pas s’étonner si le sommet de la CEI de février 1995 a vu l’échec du plan commun de protection des frontières extérieures de la Communauté (Azerbaïdjan, Ukraine, Ouzbékistan s’y opposèrent), même si on peut considérer comme une avancée l’approbation récente d’une union douanière réunissant la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. On rappellera in fine un certain nombre de points positifs : la capacité qu’a la CEI de représenter les douze Etats sur l’arène internationale, par exemple, en tant qu’observateur à l’Onu, la création d’un centre de clearing à Kiev où des banques commerciales devraient faciliter le règlement des paiements entre Etats et notamment pour les entreprises de constructions mécaniques. [...] A cet égard, des holdings transfrontières dans certaines filières industrielles se reconstituent. Bien entendu, une des créations la plus utile de la CEI serait un véritable marché commun agricole proposé en avril 1995 par le ministre russe de l’Agriculture, mais il se heurte au scepticisme (intéressé ?) du département américain de l’Agriculture qui Fragmentations et recompositions avait étudié ce projet il y a deux ans sans succès. Les instances ad hoc de la CEI ont eu l’avantage de gérer le parc de transport ferroviaire de l’ex-URSS durant un certain temps, ce qui n’est pas indifférent sur un tel espace. S’agissant des ventes de matériel militaire, importantes sources de devises, la Chambre de commerce et d’industrie de la CEI est mandatée pour conduire des négociations avec les pays intéressés, l’Inde par exemple. Enfin, même si certaines républiques ont repoussé une défense aérienne commune, la plupart acceptent volontiers le maintien de trente bases militaires russes sur leur territoire (à l’exception de l’Ukraine), à la fois pour des questions de sécurité propre et pour des raisons économiques. Par ailleurs, ce sont des troupes de la CEI (10 000 hommes) qui protègent la frontière tadjiko-afghane et approvisionnent en aide humanitaire les vallées reculées de cet Etat.» Françoise Barry, Le courrier des pays de l’Est «Destins économiques des Etats de la CEI : le pari des indépendances» CPE, n° 397-398, mars-avril 1995, pp. 5-12 ● Solidarités de fait ou dispersion définitive ? «La hantise américaine de voir l’exURSS devenir “une Yougoslavie avec des missiles nucléaires” a heureusement fait long feu. Les menaces de conflit entre la Russie d’une part, l’Ukraine, la Moldavie et les Etats baltes d’autre part ont été réglées par un attentisme sage, la négociation, la patience. En revanche, la réclamation incessante du Kremlin de se voir accorder par l’OSCE un “statut spécial” pour faire la police dans la CEI n’est pas de la même veine paisible. Pas plus que ce ne l’est la surdité totale de la présidence russe face au tollé international soulevé par l’affaire tchétchène. Boris Eltsine devrait comprendre que la volonté de maintenir l’intégrité territoriale russe perd beaucoup de sa légi- le courrier des pays de l’Est timité lorsqu’elle se transforme en une tuerie besogneuse. […] Parmi les scénarios d’avenir que l’on puisse esquisser, deux méritent peutêtre qu’on s’y arrête un instant. Selon le premier, les forces centrifuges se montrent les plus actives. Les membres de la CEI se souviennent qu’en russe, leur organisation est davantage une “amicale” (sodroujestvo) qu’une communauté. Ils se laissent satelliser par des astres qu’ils trouvent plus attirants : qui, par l’Europe, qui, par la Chine, la Turquie ou l’Iran. Les Américains applaudissent à cette dispersion définitive d’éclats d’empire. Les nouveaux Etats indépendants (NEI) entrent dans des nouvelles organisations internationales (l’Union européenne, la zone de coopération économique de la mer Noire) qui les absorbent, comme le Conseil de la Baltique a absorbé Lituaniens, Lettons et Estoniens. Bien évidemment, il est des cas où ces enceintes régionales ne feraient que créer (ou réparer) des relations anormalement absentes ou déchirées. Mais si l’on va bien au-delà de ces conjonctures anodines, c’est-à-dire vers l’hypothèse de véritables changements d’orbite des NEI, on se place du même coup dans un contexte où la Russie aurait pratiquement perdu toute force d’attraction. […] Dans le scénario opposé, on voit disparaître les “pesanteurs” − aussi bien les relents d’impérialisme russe que les gourmes nationalistes alentour − au profit d’un réseau de relations modernes entre membre de la CEI (de l’ex-CEI). Ces relations permettraient éventuellement aux NEI de préserver un espace historique, national et culturel commun et des solidarités rationnelles : cela, non pas au nom de “complémentarités” (toujours très discutables), mais simplement de la compétitivité.» Georges Sokoloff, Professeur des universités à l’Inalco «De la CEI comme système solaire» CPE, n° 397-398, mars-avril 1995, pp. 190-191 37 N° 1046 novembre-décembre 2004 Notes : (1) Ndlr - A partir du début des années 1960, parents, Eglises et organisations privées essayèrent de faire libérer des prisonniers, notamment politiques, incarcérés en RDA, en offrant des «compensations» financières, versées au budget de l’Etat. La première transaction de ce genre s’est déroulée en 1963, lorsque Bonn n’entretenait pas encore de relations officielles avec Berlin-Est. Ludwig Rehlinger (CDU), alors secrétaire d’Etat au ministère pour les Questions pan-allemandes, qui allait devenir l’une des personnalités clés des négociations secrètes concernant le rachat des personnes, menait alors personnellement les pourparlers. Plus tard, ceux-ci se déroulèrent sous l’égide de l’Eglise protestante (Diakonisches Werk der Evangelischen Kirche). En RDA, la charge en revenait au département «KoKo» (Kommerzielle Koordinierung - Coordination commerciale) au sein du SED, dont le responsable était Alexander Schalck-Golodkowski. Alors que jusque-là le prix de chaque prisonnier était évalué au cas par cas, à partir de 1964, la somme à payer fut fixée à 40 000 DM, puis à 95 847 DM en 1977. Le prix pouvait toutefois toujours varier en fonction de la durée d’emprisonnement du candidat. Entre 1964 et 1989, la RDA a ainsi libéré 33 755 prisonniers politiques contre un montant s’élevant à 3,4 milliards de DM environ. (2) Ndlr - Egon Bahr, social-démocrate, nommé en 1960 par Willy Brandt, maire de BerlinOuest, fut président de l’Office d’information et de la presse du Land de Berlin. Il utilisa pour la première fois cette formule en juillet 1963, qui devait devenir la devise de la DeutschandOstpolitik. (3) Ndlr - Secrétaire général du Parti communiste de 1951 à 1957, puis président de la République jusqu’en 1968. (4) Vilem Precan, texte dactylographié, Prague, 1991. (5) Petr Pithart, Premier ministre, dans un discours radio-télévisé du 30 août 1990. (6) Ndlr - Accord entre la troïka européenne et les hauts responsables yougoslaves sur les modalités d’une évacuation de la Slovénie par l’armée fédérale et sur une résolution pacifique de la crise, avec notamment un moratoire pour les indépendances croate et slovène. (7) Ndlr - La présidence fédérale, dominée par les Serbes, s’arroge les pouvoirs du Parlement fédéral. (8) Ndlr - Commandant en chef des forces armées unifiées de la CEI. Pour plus d'informations lire dans Le courrier des pays de l'Est G. Sokoloff, «Problèmes et projets de l'autre Europe», n° 123, novembre 1969, pp. 41-55 Article non signé, «Une interprétation historique des crises récentes de l’économie tchécoslovaque», n° 160, février 1973, pp. 7-15 Tatjana Globokar, «L'économie de la RDA en 1981 : une croissance trop exceptionnelle», n° 264, juillet-août 1982, pp. 3-30 Tatjana Globokar, Anita Tiraspolsky, «L'image de l'économie est-allemande en RFA», n° 266, octobre 1982, pp. 3-32 Anita Tiraspolsky, Tatjana Globokar, «Les relations économiques entre les deux Allemagnes», n° 287, septembre 1984, pp. 3-36 Jaroslav Blaha, «La mobilisation de la science et de la recherche tchécoslovaques au service de l'intégration», n° 302, janvier 1986, pp.42-56 Tatjana Globokar, «Yougoslavie», in Panorama de l'Europe de l'Est, n° 309-311, août-octobre 1986, pp. 158-188 Tatjana Globokar, «RDA», in Panorama de l'Europe de l'Est, n° 309-311, août-octobre 1986, pp. 88-108 Georges Mink, «L'Europe de l'Est et l'URSS : un empire se défait», n° 345, décembre 1989, pp. 63-72. Françoise Barry, «La coopération éclatée : les républiques soviétiques entrent en scène», n° 348, mars 1990, pp. 39-48 Jaroslav Blaha, «L'économie tchécoslovaque en 1989-1990 : la marche vers l'Ouest», n° 349, avril 1990, pp. 75-83 Marie-Agnès Crosnier, «URSS : quinze républiques en route vers l'économie de marché», n° 361, juillet-août 1991, pp. 7-16 Françoise Barry, «La Yougoslavie en guerre», n° 364, novembre 1991, pp. 3-6 Daniela Heimerl, «Bilan économique des cinq nouveaux Länder de la RFA (1990-1995)», n° 406, janvier-février 1996, pp. 3-17 38 le courrier des pays de l’Est Est-Ouest Des échanges contrariés Si Nikita Khrouchtchev se plaisait, en 1962, à affirmer que la volonté soviétique d’intensifier le commerce avec l’Ouest révélait les dispositions de l’Est en faveur de la coexistence pacifique, la plupart des pratiques commerciales adoptées durant des décennies porte plutôt à croire que les échanges commerciaux constituaient l’une des facettes de la guerre froide. Tous les coups n’étaient pas permis dans ce jeu parfaitement agencé, doté de règles bien définies, et qui s’autorisait évidemment quelques exceptions et dérogations. Froid emblème de cette manifestation de la guerre commerciale que se livraient les deux camps, le Cocom (Coordinating Committee) a fixé à partir de 1949 les limites technologiques des ventes de l’Ouest à l’Est ; entouré de l’aura mystérieuse d’une existence non institutionnalisée, ce comité informel, sis à Paris, rue de la Faisanderie, a été le théâtre de discussions intenses entre Européens et Américains sur le contenu des exportations stratégiques jugées acceptables. Ces négociations relevaient autant de la confrontation intraoccidentale et inter-entreprise que du seul combat idéologique opposant les deux camps, Est et Ouest. Certaines pratiques commerciales spécifiques, comme le dumping ou la compensation, ont été largement préconisées par l’Est, contre la volonté d’un Ouest plus réticent, preuve s’il en faut à la fois de la volonté est-européenne d’échanger avec le camp adverse et de son pouvoir réel de négociation. Les débats qui ont alimenté toute cette période et l’inventivité dont ont pu faire montre les tenants de ces échanges traduisent certes un rapport de forces, les avancées et concessions de chaque camp, mais révèlent aussi, finalement, l’abandon progressif par l’Est de certains de ses étendards : l’entrée du capital privé, qui plus est étranger, dans le système productif est-européen peut être appréciée comme une ébauche de rapprochement ; elle n’en reste pas moins le pathétique constat d’échec d’un système qui se construisait par opposition à cette idée. Dès lors que ce dernier s’est délité, la réorientation, d’abord laborieuse puis étonnamment rapide, des flux d’échanges des pays d’Europe centrale et orientale vers l’Ouest a montré que la volonté de s’arrimer à l’Union européenne transcendait bien des obstacles structurels. En revanche, la Russie, elle, se trouve aujourd’hui aux frontières extérieures de l’Union européenne et à la porte de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ce successeur du GATT tant critiqué par l’URSS : en 1955, N. Khrouchtchev proposait de remplacer l’Accord général sur le commerce par une organisation internationale s’inscrivant dans le cadre des Nations unies. Selon le Secrétaire général du PCUS, l’absence d’un organisme mondial légitime se traduisait 39 N° 1046 novembre-décembre 2004 par des phénomènes négatifs, tels que les discriminations dans le commerce EstOuest, ou la constitution de groupements régionaux fermés comme le Marché commun... «Nous sommes pour le commerce, et c’est cela la coexistence pacifique !» « “Il apparaît depuis longtemps nécessaire d’éliminer des pratiques du commerce international des méthodes par lesquelles les forts s’enrichissent sur le dos des faibles. Le gouvernement soviétique estime que l’Organisation des Nations unies ne doit pas rester à l’écart de ce problème, vital pour des centaines de millions de personnes. Il estime opportun de convoquer une conférence internationale sur le commerce, qui examinerait la question de la création d’une Organisation internationale du commerce, s’étendant à toutes les zones et tous les pays du monde, sans discrimination”. C’est le 30 mai 1962 que Nikita Khrouchtchev faisait cette déclaration, à l’occasion d’un meeting d’amitié entre les peuples soviétique et malien. Aussi, en mars 1964, les articles de la presse soviétique présentant l’ouverture de la Conférence de Genève ne manquèrent-ils pas de souligner que l’initiative était venue de l’URSS, qui avait inspiré directement la décision prise en décembre 1962 par l’Assemblée générale des Nations unies de convoquer une conférence mondiale du commerce. [...] On ne peut guère dire que le contenu de l’acte final de la conférence de Genève soit “objectivement” satisfaisant pour l’URSS. Des trois thèmes initiaux défendus par les Soviétiques : création d’une Organisation internationale du commerce, normalisation du 40 commerce Est-Ouest, organisation des relations avec les pays sous-développés, il ne retient que le troisième, et encore bien incomplètement. [...] La normalisation du commerce entre les pays “à systèmes économiques et sociaux différents” [était] sans doute la préoccupation principale de Nikita Khrouchtchev […] en 1962. On a pu lire ainsi au début de 1964 dans la presse soviétique de nombreux articles sur les échanges Est-Ouest, indiquant la progression constante de ceux-ci (en volume − base 100 en 1948 − indice 88 en 1950, 77 en 1953, 230 en 1960, 306 en 1962), rappelant l’attitude positive de diverses puissances occidentales à l’égard des relations commerciales avec l’URSS (notamment de la Grande-Bretagne), et critiquant violemment les Etats-Unis. Le gouvernement soviétique entendait sans doute attaquer publiquement les Américains à Genève pour leurs pratiques “discriminatoires” à l’égard de l’URSS. [...] Pour les Soviétiques, il y avait un double intérêt à débattre de ce thème à Genève : il permettait de développer les idées communistes concernant la coexistence pacifique (selon l’expression de M. Khrouchtchev, “nous sommes pour le commerce, et c’est cela la coexistence pacifique”) ; il offrait à l’URSS la seule possibilité de participer activement, en marquant politiquement des points, à la Conférence. La suite a donné a contrario raison à ce second argument : du fait que le thème du commerce Est-Ouest n’a pratiquement pas été abordé, les Soviétiques − et à leur suite le bloc socialiste − sont restés dans une grande mesure en marge de la confrontation principale, opposant Tiers Monde et Occident. Ils ont ainsi échoué à imposer leur idée, selon laquelle l’amélioration des rapports Est-Ouest était l’une des conditions d’un affaiblissement de Est-Ouest le courrier des pays de l’Est l’exploitation impérialiste pesant sur les pays sous-développés et, dans le domaine commercial, l’un des moyens pour stabiliser les prix sur le marché mondial.» Article non signé «L’URSS à la Conférence mondiale sur le commerce et le développement» CPE, n° 13, 23 septembre 1964, pp. 21-34 Des pratiques commerciales très spécifiques ● Le Cocom, emblème des obstacles aux échanges «Les exportations de hautes technologies sont considérées comme stratégiques, mais la limite est souvent difficile à tracer entre ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas. Deux définitions d’un bien stratégique peuvent servir de base à une politique de restrictions aux exportations. La première ne considérera que les implications militaires d’un transfert de haute technologie vers l’Est et conduira à l’instauration d’un embargo stratégique. La seconde, fondée sur l’idée que tout ce que l’URSS importe est stratégique, mettra l’accent sur la possibilité, pour les pays occidentaux, d’utiliser leurs exportations vers l’URSS pour la sanctionner ou lui signaler leur réprobation. Si l’on retient la définition large, trois questions se posent : quels produits seront les plus efficaces pour “punir” l’URSS ? Quelle doit être la politique commerciale vis-à-vis des partenaires européens de l’URSS ? Enfin, ne risque-t-on pas d’affecter durablement les secteurs exportateurs dans les pays occidentaux ? [...] Dès 1949, et sous la pression des Etats-Unis, les pays de l’Otan moins l’Islande, plus le Japon, s’étaient regroupés dans un organisme chargé d’assurer un contrôle multilatéral des exportations de haute technologie vers l’Est : le Cocom (Coordinating Committee). [...] Son siège se trouve à Paris. Il emploie une douzaine de personnes. Ce n’est pas une organisation internationale de type traditionnel. Il n’a pas de traité constitutif, mais trouve son origine dans un gentleman’s agreement. Son budget a été estimé à 1 million de dollars en 1984, soit trois fois plus qu’en 1981. Les représentants des pays membres se réunissent régulièrement pour établir les listes de produits soumis à l’embargo ou au contrôle, pour examiner les demandes d’exception émanant d’un Etat membre, pour définir des moyens de coercition. Toutes les décisions sont prises à l’unanimité et mises en œuvre par chaque pays membre. Ces décisions visent actuellement les pays membres du Pacte de Varsovie, la Mongolie, le Vietnam, l’Albanie, la Chine, la Corée du Nord, mais non Cuba, le Laos, le Cambodge et l’Afghanistan. Trois types de listes de produits soumis au contrôle sont établis par le Cocom : la liste militaire (matériel militaire et assimilés) ; la liste nucléaire (matières fissibles, réacteurs nucléaires et composants) ; la liste industrielle. ● ● ● Ces listes font l’objet de négociations tous les trois ans. Depuis novembre 1985, elles sont révisables par quart tous les ans pour obtenir une meilleure adéquation des listes aux produits existants. La liste industrielle est elle-même subdivisée en trois listes : la liste internationale I, contenant les produits soumis à l’embargo ; il s’agit des produits haut de gamme ; ● 41 N° 1046 novembre-décembre 2004 la liste internationale II, contenant les produits soumis à des contingentements ; la liste internationale III ou liste de surveillance. ● ● De 1952 à 1976, le nombre de produits sur la liste d’embargo a été réduit de moitié. Mais la diminution n’a pas été régulière : les réductions les plus importantes ont eu lieu en 1954 et en 1958. Il faut aussi remarquer que la liste a été augmentée de 1955 à 1958 et dans la première moitié des années soixante, ce qui correspond à la crise de Berlin et à la crise des missiles à Cuba. 42 moyens propres de pression, et d’abord sa prééminence technologique.» Françoise Haegel, Université Paris I «Le Cocom et les restrictions aux exportations de haute technologie vers les pays de l’Est» CPE, n° 301, décembre 1985, pp. 52-70 ● Le dumping «La crise économique dans les pays occidentaux a rendu plus aiguë la concurrence des pays de l’Est et renforcé les réactions protectionnistes des industriels. Une des formes de cette concurrence est le dumping, c’est-à-dire la vente à l’extérieur d’un produit dont le prix est inférieur à celui pratiqué sur le marché intérieur. Outre l’établissement des listes, le Cocom a pour tâche d’accorder des dérogations. Si un pays membre souhaite exporter un produit figurant sur la liste internationale I, ou s’il veut dépasser le contingent fixé par la liste II, il peut soumettre le dossier au Cocom. [...] Dans certains cas, les pays peuvent hésiter à déposer un dossier devant le Cocom, car celui-ci constitue un terrain privilégié pour l’espionnage industriel entre alliés. En effet, le gouvernement qui dépose une demande d’exception doit fournir aux différentes délégations un dossier complet décrivant les aspects techniques, financiers et commerciaux du projet de contrat. La Grande-Bretagne est particulièrement touchée par le dumping. A plusieurs reprises, et pour des produits et services très divers, les représentants des fabricants et industriels ont demandé à leur gouvernement et à la Commission économique de la CEE des mesures de contrôle des importations en provenance des pays de l’Est, mais aussi des enquêtes officielles pour évaluer le préjudice causé à l’industrie nationale. Si la preuve prima facie du dumping est faite, des sanctions sont alors prises automatiquement sous forme de quotas d’importation et de versement d’une taxe provisionnelle par l’exportateur. [...] Le Cocom s’est fixé comme tâche de mettre au point des instruments coercitifs suffisamment efficaces pour assurer le respect par ses membres des règles de contrôle des exportations. Mais les décisions du Cocom n’ont pas force contraignante à l’égard de ses membres. En réalité, la seule force coercitive existante est celle exercée par les Etats-Unis. L’administration américaine contrôle la circulation des produits d’origine américaine hors de son territoire. Elle possède donc des Mais les cas de dumping effectivement sanctionnés sont très rares, d’une part parce que les pays est-européens acceptent après négociations de réduire leurs exportations ou de fixer des prix plus élevés, d’autre part parce que la preuve du dumping est très difficile à établir en raison des systèmes monétaires et de formation des prix différents. Par ailleurs, la part très restreinte du commerce extérieur avec les pays de l’Est explique que certains gouvernements occidentaux hésitent au nom Est-Ouest du développement des échanges à long terme à prendre des mesures jugées discriminatoires.» Marie-Bernard Clauzier, Le courrier des pays de l’Est «Une forme de concurrence : le dumping des pays socialistes sur les marchés de l’Ouest» CPE, n° 201, novembre 1976, pp. 43-46 ● La compensation «Depuis le début des années 1970, les différentes formes de compensation semblent occuper une part croissante des échanges internationaux, principalement à cause de leur développement dans les courants commerciaux entre l’Est et l’Ouest. Si, pour nombre de pays occidentaux, la compensation est une “épidémie aux effets pervers”, “un moyen de dumping”, “rarement conforme aux intérêts nationaux”, à l’opposé, les autorités des pays de l’Est en dressent un véritable panégyrique. En 1976, au 25e congrès du Parti, L. I. Brejnev déclarait : “Le développement de nouvelle formes de relations économiques internationales, qui vont audelà des échanges traditionnels, élargit considérablement nos possibilités et, en règle générale, a un effet très puissant. Je pense, en particulier, aux accords de compensation...”. Ils “ouvrent de nouvelles possibilités pour obtenir des devises”, tout en protégeant la cohérence économique des pays de l’Est des désordres venus du monde occidental”(1). Rapport conflictuel, l’échange compensé Est-Ouest semble souvent opposer l’entreprise occidentale, peu conseillée ou aidée, à des centrales de commerce extérieur fermement soutenues par une volonté politique. Ainsi, la compensation, réaction contingente d’un déséquilibre extérieur chronique, est appréhendée comme une contrainte au plan micro-économique et une perturbation au niveau macro-économique. […] le courrier des pays de l’Est L’échange compensé, sorte de vente forcée, résulte essentiellement d’un besoin en devises d’autant plus fort que le pays ne dispose que d’une monnaie très faible et inconvertible (CAEM) et pâtit globalement d’un déficit commercial. Les difficultés financières iraient donc de pair avec un recours croissant à la compensation. L’évolution de l’endettement du CAEM, notamment l’explosion survenue en 1974, est bien concomitante au développement de la compensation. […] [Celle-ci] apparaît également comme une aide à la commercialisation des produits du CAEM, souvent assez éloignés des normes occidentales. Lorsque l’entreprise n’est pas entièrement prisonnière d’une liste de produits, elle peut prospecter, rechercher des biens non vendus à l’Ouest susceptibles d’une demande. En effet, si certains sont invendables, d’autres, qui ont une demande potentielle à l’Ouest, ne sont simplement pas proposés. Très souvent, la centrale de commerce extérieur se borne en fait à chercher des débouchés pour les produits qui lui sont proposés par des entreprises nationales, sans prendre l’initiative. Dans la pratique, la recherche du produit se fait en deux temps. Tout d’abord, le partenaire occidental s’efforce de persuader la centrale de commerce extérieur de faire une enquête auprès des unités de production dépendant d’elle pour y découvrir des produits (adaptabilité et disponibilité en quantité suffisante). Puis, lorsqu’ils nécessitent une modification pour être écoulés à l’Ouest (présentation, adaptation aux normes occidentales, ...), le partenaire occidental conseille à l’éventuel importateur de proposer une assistance technique (toujours appréciée) permettant de réaliser, avec un minimum de difficultés, les améliorations indispensables. La coopération commerciale 43 N° 1046 novembre-décembre 2004 peut également amener les deux partenaires à constituer une société mixte implantée aussi bien chez l’un d’entre eux ou sur un marché tiers.» Elizabeth Balsam-Herzog, Direction du développement, Société Générale «Les échanges de compensation dans le commerce Est-Ouest» CPE, n° 284, mai 1984, pp. 4-30 ● La coopération industrielle tripartite «Selon la Commission économique pour l’Europe(2), “par coopération industrielle tripartite (CIT) on entend, d’une façon générale, un projet auquel une entreprise d’un pays tiers (en développement) participe activement en même temps qu’une entreprise d’un pays d’Europe de l’Est et une firme occidentale. Pour qu’il y ait véritablement CIT, le pays en développement ne doit pas seulement être le bénéficiaire, le client ou l’acheteur du projet, mais prendre activement part à son exécution”. […] L’étroite coopération nécessaire entre les firmes occidentales et orientales lors d’opérations de CIT dont les dimensions sont parfois “gigantesques”, comme le contrat de 150 millions de dollars signé fin 1982 entre le Japon, l’URSS et l’Algérie pour la construction d’un pipeline, ou parfois de plus faible dimension comme l’atteste le contrat de 4 millions de dollars signé en 1983 par Technican Italia (filiale de Technican US en Italie) et Tsvetmetpromeksport (URSS) pour la construction de complexes métallurgiques dans le Tiers Monde, requiert une bonne connaissance mutuelle des standards technologiques, des méthodes de travail, des qualités et des défauts de chacun, ce qui peut, sous certaines conditions, conduire à établir une corrélation entre les participants à des opérations de coopération bilatérale et à des opérations de CIT. [...] 44 A l’Est comme à l’Ouest, le background économique général semble avoir joué un rôle important dans le développement de la CIT au cours des années 1970. En effet, le ralentissement des échanges Est-Ouest, en particulier après 1975, résultant essentiellement de problèmes de solvabilité financière, a conduit les partenaires en présence à trouver de nouveaux moyens de commercer entre eux ; ce fut tout d’abord la coopération bilatérale, puis la coopération industrielle tripartite. De même, à l’Ouest, le ralentissement du commerce international provoqué par la crise mondiale de 1973 a poussé les entreprises occidentales à développer, malgré les difficultés, une forme de commerce qui, à la fois, consolidait leurs liens avec les pays de l’Est, et leur permettait d’échapper à une trop grande dépendance vis-à-vis de ces mêmes pays. La CIT, une démarche marketing ? C’est la question que l’on est en droit de se poser, tant le motif de gains de nouveaux marchés par les partenaires orientaux et occidentaux est mis en avant par de nombreux auteurs. [...] La présence bien établie de nombreuses entreprises est-européennes dans des pays en voie de développement à économie de type socialiste permet aux firmes occidentales de s’implanter et d’offrir leurs produits et services sur des marchés qui, autrement, leur seraient fermés. Ainsi, le pays de l’Est sert en quelque sorte de caution morale pour la firme occidentale − la Hongrie fait explicitement référence à cet avantage pour ses partenaires. [...] Il faut ajouter le fait que, pour les entreprises est-européennes, les opérations de CIT leur permettent de se familiariser bien plus avec la technologie occidentale et d’avoir accès à des sources de financement nouvelles grâce aux banques occidentales ou à leurs partenaires occidentaux.» Michel Gomez, Université Paris IX - Dauphine «La coopération industrielle tripartite. Mythe ou réalité ?» CPE, n° 284, mai 1984, pp. 31-49 Est-Ouest ● En cas de désaccord, l’arbitrage «L’exécution des contrats signés avec les pays de l’Est donne rarement lieu à problèmes importants, encore moins à rupture, l’essentiel des difficultés se trouvant en amont : lourdeur et lenteur des négociations, attente de l’inscription au plan pour l’octroi de crédits... Au niveau de l’exécution, on peut observer les caractéristiques suivantes : une parfaite sécurité politique : jamais de rupture intempestive de contrat quel que soit l’état des relations avec le pays de l’entreprise occidentale co-contractante ; la rigueur des partenaires est-européens : ils ont en général excellente réputation dans les milieux d’affaires occidentaux, à l’exception toutefois, il faut bien le souligner, des Roumains, assez souvent présentés comme imprévisibles ; des difficultés qui se cristallisent sur certaines questions : défectuosité des conditions de stockage, d’où détérioration du matériel avant même son utilisation, retards dans la fourniture des prestations locales est-européennes, mauvaise maîtrise de la technologie ou du matériel livrés (surtout Pologne, Bulgarie, Roumanie), d’où la survenue de pannes et incidents pendant la période de garantie. ● ● ● Ces difficultés sont le plus souvent réglées à l’amiable à la fois parce qu’elles concernent plutôt des points techniques, du ressort des ingénieurs et techniciens, et n’ont donc aucune incidence d’ordre juridique, et parce que les organisations de commerce extérieur est-européennes détestent aller jusqu’à l’arbitrage et préfèrent transiger(3). L’arbitrage existe néanmoins […]. D’où l’attention qui doit être portée à la rédaction de la clause compromis- le courrier des pays de l’Est soire, du moins quand celle-ci fait l’objet de négociations, car il arrive que le vendeur français − c’est le cas pour les ventes ponctuelles de biens de consommation − se contente d’apposer sa signature au bas du contrat-type de la centrale de commerce extérieur. [...] Trois points doivent retenir l’attention des rédacteurs : il s’agit de choisir une juridiction, d’éviter les restrictions quelles qu’elles soient, et de choisir le droit applicable. [...] Si aucun problème n’existe à l’heure actuelle tant est important l’intérêt politique, économique et commercial des pays d’Europe de l’Est à sauvegarder leur image de marque par une exécution volontaire, il n’en demeure pas moins que les garanties sont beaucoup plus politiques que juridiques et qu’une inquiétude est toujours possible, d’autant plus qu’en raison même de la spontanéité et de l’exactitude de leur exécution, ces pays se refusent à mettre en place un système d’exécution forcée qu’ignore encore leur droit. Cela peut inciter à la prudence.» Michèle Poulain, docteur en droit «La clause compromissoire et l’arbitrage socialiste dans le commerce Est-Ouest» CPE, n° 292, février 1985, pp. 60-80 Vers l’avènement de la société à capital mixte «Avec l’amélioration progressive des relations politiques entre l’Est et l’Ouest, la recherche de nouvelles formes de coopération économique par les Etats et les entreprises de production est à l’ordre du jour. En Europe, les différences de régimes socio-économiques n’empêchent pas que l’on tente de voir ce que l’on peut tirer de complémentarités réelles, de modèles d’organisation qui s’assouplissent, d’attitudes qui changent. Parallèlement à la poursuite de négociations dans le cadre du GATT, pour 45 N° 1046 novembre-décembre 2004 trouver des équivalences “réelles” dans le domaine du commerce, il semble se dessiner un mouvement favorable à l’étude par les organisations internationales en Europe des conséquences économiques et sociales de la coopération industrielle, scientifique et technique entre pays de l’Est et de l’Ouest. [...] L’accroissement du commerce entre l’Est et l’Ouest, la structure des échanges qui risque d’en figer le volume, les progrès industriels de l’Est, la faiblesse apparente de ses réserves en devises, tous ces facteurs qui jouent les uns en faveur, les autres à l’encontre d’un développement spectaculaire des relations économiques Est-Ouest expliquent aussi que ceux qui sont résolument favorables à leur intensification cherchent des solutions nouvelles. La coopération industrielle est-elle possible entre unités de production de l’Est et de l’Ouest ? Quelles peuvent en être les modalités ? Quelles en seront les conséquences ? La coopération industrielle est-elle de nature à changer substantiellement la structure des échanges Est-Ouest ? [...] Si les pays de l’Est veulent avoir accès aux ressources des marchés financiers de l’Occident, il semble bien qu’une formule juridique permettant une véritable association des facteurs de production doit être recherchée. Il faut bien voir ici que ce n’est pas parce que l’Occident a conscience de la valeur déterminante que son capital peut avoir pour la mise en valeur de certains secteurs économiques de pays de l’Est, qu’il pose le problème de la co-propriété. La mise au point en commun d’un procédé technique, dont ni l’Est ni l’Ouest de l’Europe n’auraient encore la maîtrise, ne serait-elle pas grandement facilitée par la constitution d’une usine pilote mixte ?» Jean-Pierre Saltiel, directeur du Courrier des pays de l’Est «Une table ronde Est-Ouest utile» CPE, n° 54, 11 mai 1966, pp. 4-6 46 ● Premières incursions du capital privé «Actuellement, on assiste en Europe de l’Est à la création répétée de sociétés à capital mixte implantées à l’Est comme à Ouest, où le partenaire peut être socialiste comme occidental. Les sociétés à capital mixte Est-Ouest, plus communément appelées joint ventures, se définissent comme des opérations en association dont la gestion est assurée en commun par des pays occidentaux et socialistes. Les deux parties en présence qui ont pouvoir de décision sont propriétaires à divers degrés du capital et se partagent les bénéfices et les risques. Jusqu’ici, les seuls pays socialistes à les autoriser sur leur territoire, dans des conditions précises, sont la Yougoslavie, la Roumanie et la Hongrie. En revanche, il existe un grand nombre d’entreprises communes, en général de commercialisation, implantées à l’Ouest. Ces dernières constituent une forme de coopération destinée à promouvoir sur les marchés étrangers des services techniques et la vente de produits fabriqués par le partenaire socialiste − plus rarement par les deux parties. Le nombre des sociétés mixtes EstOuest augmente de 25 % par an depuis 1965, mais leur poids [en 1972 − Ndlr] est encore peu important au regard du volume global des échanges commerciaux Est-Ouest. On estime leur nombre à 200 environ, représentant une valeur inférieure à 2 milliards de dollars pour un commerce annuel Est-Ouest de 14 milliards de dollars dans les deux sens. [...] La plupart des sociétés mixtes à l’étranger sont encore des sociétés de commercialisation, spécialisées dans des secteurs industriels bien définis : ventes de produits de l’industrie légère et artisanale, de produits chimiques et alimentaires, enfin de machines et équipements, de matériaux de cons- Est-Ouest le courrier des pays de l’Est truction.[...] Les entreprises de production, moins nombreuses, ont le plus souvent pour objet la prospection et l’exploitation de gisements minéraux, la transformation du bois ; certaines entreprises mixtes ont des activités agricoles, notamment d’élevage. Enfin, il existe quelques sociétés mixtes de transport international, et d’autres spécialisées dans les travaux d’ingénierie ou de consultation. possibilité en élaborant un cadre juridique pour l’activité sur leur territoire de firmes à participation étrangère aussi bien socialiste(7) que capitaliste. En fait, ces législations, qui rappellent les dispositions yougoslaves dans ce domaine, visent surtout les partenaires occidentaux.» La constitution à l’étranger des sociétés mixtes de production Est-Ouest représente une forme de participation pour réaliser un objectif de production par apport de capital, et souvent de crédits, en général accordés sous forme d’équipements, d’installations de services, etc. Elles contribuent ainsi au développement de l’industrie et de l’emploi du partenaire socialiste. [...] ● Retour aux principes léninistes d’ouverture au capital occidental Dans les économies socialistes, “le capital privé, national ou étranger, ne peut, par définition, être admis à participer à l’industrie du pays”(4). La Yougoslavie fut le premier pays à promulguer en 1967(5) une loi autorisant les étrangers à investir dans les entreprises locales. Par la suite, les pays est-européens ont statutairement adopté ce type de coopération(6), admettant que “au cours de la mise en œuvre du Programme complexe, il peut apparaître opportun que les organes d’Etat ou les organisations économiques des pays intéressés constituent des entreprises communes disposant de biens leur appartenant en propre, ayant la personnalité juridique, opérant selon le principe de l’autonomie financière et répondant avec tous leurs biens des engagements assumés. Les formes organisationnelles et les fonctions des entreprises communes, et toutes autres questions se rapportant à leur fonction et à leurs activités, sont réglées par les parties intéressées”. Les législations roumaine en 1971 et hongroise en 1972 ont consacré cette Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est «Les sociétés à capital mixte Est-Ouest» CPE, n° 172, mars 1974, pp. 11-19 «L’URSS a adopté à la fin de 1986 le principe de la constitution de sociétés mixtes sur son territoire, avec la participation de capitaux occidentaux. Une décision du Politburo en ce sens fut prise le 25 décembre 1986. Elle fut suivie d’une réglementation sous forme d’un décret du Conseil des ministres de l’URSS, en date du 3 janvier 1987. [...] Sans remonter trop loin, on rappellera qu’entre 1922 et 1927, l’URSS a connu une modeste expansion de la co-entreprise, sous forme de concessions ou sociétés d’économie mixte. Lénine lui-même y était favorable, principalement comme à un moyen de former les cadres du commerce extérieur et des entreprises, et aussi comme à un procédé d’acquisition de technologie occidentale (avant tout allemande)(8). [...] Les buts de la nouvelle législation sont multiples et de ce fait contradictoires. La création de sociétés mixtes doit contribuer à couvrir certains besoins prioritaires, et notamment faciliter l’acquisition de technologies de pointe (les restrictions à l’achat de ces technologies ne sont pas évoquées). Donc, il s’agit bien d’une forme évoluée d’importation. Mais celle-ci doit servir à développer le potentiel d’exportation de l’URSS ; en même temps, la nouvelle formule doit permettre de pro- 47 N° 1046 novembre-décembre 2004 duire des substituts à l’importation et de réduire l’importation “non rationnelle”. La contradiction entre les objectifs des partenaires occidentaux (vendre, au premier chef) et ceux de l’URSS (à terme, réduire certaines importations et accroître l’exportation) ne peut être facilement éliminée, sauf si l’on admet d’avance que désormais les contrats d’importation seront subordonnés à la création de firmes mixtes... [...] l’exception, le personnel étant essentiellement soviétique).» L’URSS a choisi une limitation stricte du capital étranger ; la part de celui-ci ne peut excéder 49 %. En ce sens, la législation est plus restrictive que dans la plupart des pays de l’Est admettant des sociétés mixtes sur leur territoire, où le principe est certes posé, mais permet des exceptions. ● Malgré une spécialisation peu adaptée... Les principes de fonctionnement sont intéressants. Le texte emploie les termes d’autonomie financière et autofinancement. Le premier est à la base de la gestion des entreprises soviétiques dans le cadre de la réforme interne actuellement en cours. Il signifie que l’activité courante de l’entreprise ne doit pas requérir de subventions : les dépenses doivent être couvertes par les recettes, et même dégager un profit. L’autofinancement suppose la capacité d’investissement, au moins à moyen terme. Il s’y ajoute le principe de capacité de financement en devises, qui est peut-être le plus essentiel : ces procédures ne doivent pas consommer des devises convertibles. L’activité des firmes mixtes doit générer elle-même les rentrées nécessaires à l’acquisition d’équipements, pièces, matières, etc., utilisés pour la production, si ces éléments doivent être importés. Qui plus est, tout transfert de devises est subordonné à l’obtention de devises par des activités de commerce extérieur, qu’il s’agisse du rapatriement des bénéfices revenant aux partenaires étrangers, ou du versement des salaires des spécialistes étrangers (ces derniers doivent demeurer 48 Marie Lavigne, Université Paris I «Les sociétés mixtes en URSS : aspects juridiques et financiers» CPE, n° 315, février 1987, pp. 17-22 Les PECO : du CAEM à l’Union européenne «La disparition du CAEM et la transition vers l’économie de marché sont à l’origine d’une restructuration géographique et de la composition par produits du commerce extérieur des PECO. La spécialisation acquise par ces pays dans le cadre du CAEM est un handicap dans une phase d’ouverture aux marchés extérieurs, et la restructuration du commerce extérieur ne sera possible qu’à la condition d’une transformation et d’une modernisation des structures productives. [...] Les PECO se sont engagés dans la production de biens régressifs, c’est-àdire pour lesquels la demande mondiale décline ou stagne. De plus, dans ces secteurs comme la sidérurgie, la métallurgie, la construction navale et l’industrie légère [...], [ils] sont concurrencés par les nouveaux pays industrialisés et ont perdu des parts de marché à l’Ouest. Une première conséquence de cette mauvaise spécialisation des PECO est la détérioration de leurs termes de l’échange. [...] La composition par produits des exportations est-européennes vers la CEE explique ainsi que, jusqu’en 1988, ces pays, occupant la dernière place dans la pyramide des préférences communautaire, se soient vu opposer des barrières non tarifaires, telles que des contingents et des procédures anti-dumping. [...] Est-Ouest La CEE, consciente du manque de compétitivité des produits des PECO, a accordé à ceux-ci des concessions non symétriques en s’ouvrant davantage et plus rapidement à ces pays que ceux-ci ne le font aux exportations communautaires. Cependant, on note un décalage entre le poids de l’agriculture, du textile et de l’acier pour les PECO, et l’ouverture modérée de la CEE dans ces trois domaines. [...] L’ouverture aux échanges internationaux est bénéfique, à condition de maintenir une dose minimale de protection, en particulier tarifaire. Les accords d’association, signés en décembre 1991 entre la CEE et [certains] pays d’Europe centrale les plus avancés sur la voie des réformes ne sont qu’une première étape dans le rapprochement.» Régis Chavigny, Université de Metz, Credes Nancy «La difficile réorientation des échanges des cinq pays d’Europe centrale et orientale» CPE, n° 373, octobre 1992, pp. 3-12 ● ... une réorientation rapide des échanges «Les effets traditionnels de réorientation des échanges liés à la constitution de zones de libre-change se sont manifestés dans le cadre des accords d’association avec l’UE [...]. Celle-ci est devenue très rapidement (à partir de 1994) le premier partenaire commercial de l’ensemble des PECO signataires de ces accords : sa part est ainsi passée en une décennie de 32 % en moyenne à près de 60 % du commerce total des dix PECO associés. [...] Du côté du commerce extérieur de l’UE, on note la même tendance. Toutefois, la place des dix pays associés demeurait, fin 2000, encore marginale dans le commerce extra-UE. En outre, depuis la signature des accords d’association, l’UE a dégagé des excédents commerciaux sans précédent dans ses échanges avec les PECO. [...] le courrier des pays de l’Est Malgré l’émergence de l’intra-branche (échange croisé de produits appartenant à la même branche), les échanges dans le cadre des accords d’association restent [...] dominés par le commerce inter-branche, qui représente environ 60 % du total des échanges entre l’UE et les PECO (alors qu’il compte pour moins de 40 % dans les échanges intracommunautaires). [...] D’une manière générale, les complémentarités intersectorielles occupent encore une place importante dans le commerce entre l’UE et les PECO. [...] La montée du commerce intrabranche de produits à différenciation verticale (différences de qualité) et la progression de la sous-traitance de façonnage (transferts de perfectionnement passif, TPP) indiquent que les PECO s’inscrivent parfaitement bien dans la division des processus productifs de l’UE. L’amélioration qualitative régulière des produits exportés par les pays associés vers l’UE est une bonne illustration de la convergence en cours des systèmes productifs. Notons que c’est dans les secteurs où la coopération est la plus forte avec les firmes européennes que l’amélioration de la qualité des produits exportés a été la plus significative.» Assen Slim, Inalco «UE - Europe centrale et orientale. Entre concurrence et complémentarité» CPE, n° 1012, février 2001, pp. 32-44 La Russie : toujours captivée par l’Organisation mondiale du commerce «La Russie est officiellement candidate à l’OMC depuis 1993. Dix ans après, elle se trouve toujours à la porte de l’organisation, alors que d’autres pays en transition, qui ont pourtant annoncé plus tard leur candidature, en sont 49 N° 1046 novembre-décembre 2004 membres depuis déjà plusieurs années. Cette lenteur, qui reste relative − la Chine a négocié son entrée durant pas moins de quinze années − n’est pas principalement imputable à la taille de l’économie russe : aujourd’hui premier exportateur mondial non membre de l’OMC, la Russie reste toutefois une économie relativement modeste à l’échelle mondiale. Le retard dans les négociations a été pris pour l’essentiel au cours de la période 1994-1999, durant laquelle la politique d’ouverture fut particulièrement chaotique(9). [...] La voie sur laquelle les autorités russes se sont engagées […] consiste à conserver des éléments de protection pour les secteurs les plus sensibles et ceux qui présentent un réel potentiel de modernisation, tout en ouvrant rapidement les autres marchés aux entreprises étrangères. De fait, l’effort fourni en matière de réforme a été considérable : les tarifs douaniers ont été simplifiés et allégés, l’accès aux marchés nationaux facilité ; la fiscalité et l’intervention de l’Etat ont tendu à clarifier et non pas opacifier, comme par le passé, les conditions de la concurrence et les monopoles naturels ont entamé leur conversion vers des pratiques de gestion plus conformes aux normes internationales. Le crédit international dont jouit l’économie russe s’est notablement redressé à partir, il est vrai, d’une situation passablement dégradée. Cependant, l’avenir des négociations est loin d’être sans nuage : les questions les plus difficiles − les pics tarifaires, l’agriculture, la propriété intellectuelle, les taxes sur les exportations, l’ouverture des services financiers aux participations étrangères et la tarification interne des productions des monopoles naturels, entre autres − sont encore en discussion. La conclusion d’accords sur ces points supposera d’importantes concessions dont une grande partie devra être faite par la Russie, compte tenu de la nature asymétrique du processus de négociation. Le problème est compliqué par le fait que l’insertion de la Russie dans l’économie mondiale depuis 1992 n’a pas produit les effets favorables escomptés sur la structure de sa production : la réorientation géographique du commerce extérieur vers les pays occidentaux s’est accompagnée d’une concentration des exportations sur les matières premières et d’un effondrement des parts de marché des industries manufacturières au profit des importations. Un temps stoppée par la dévaluation d’août 1998, cette évolution a repris à la faveur de l’appréciation du taux de change réel du rouble et de l’essor de la demande intérieure. Les autorités russes sont conscientes des risques liés à une exposition trop brutale des pans de l’industrie nationale qui ont survécu à la récession ; mais elles mesurent également l’étroitesse des marges de manœuvre dont elles disposent dans la négociation. Fort probablement, moyennant l’assurance donnée à leurs partenaires sur l’irréversibilité du processus de libéralisation engagé, elles tenteront d’obtenir des clauses de sauvegarde et un aménagement du calendrier de ce processus, en négociant par exemple des périodes de transition relativement longues, de l’ordre de huit à dix ans pour les secteurs les plus sensibles, comme l’agriculture.» Julien Vercueil, Centre d’études des modes d’industrialisation, EHESS «La Russie et l’OMC. Enjeux d’une adhésion annoncée» CPE, n° 1031, janvier 2003, pp. 58-65 Notes : (1) Vnechniaia torgovlia, n° 4, 1980. (2) La coopération industrielle Est-Ouest, Commission économique pour l’Europe des Nations Unies, Genève, 1980. 50 Est-Ouest le courrier des pays de l’Est (3) Il y a quelques années, une firme parisienne de textile s’est ainsi vu demander 40 000 FF en réparation d’une livraison défectueuse. Son acheteur soviétique n’ayant pas accepté une vérification sur place, elle proposa 6 000 FF, ce qui fut accepté sans aucune difficulté. (4) S. Pisar, Transactions entre l’Est et l’Ouest, Dunod, Paris, 1972, p. 26. (5) Sluzebni list, Belgrade, n° 31, 19 juillet 1967. (6) Voir le «Statut du Programme complexe», adopté au cours de la XXVe session du CAEM en juillet 1971, Section 8, article 4. in M. Lavigne, Le Comecon, Ed. Cujas, Paris, 1973, p. 362. (7) Après la guerre, l’URSS avait créé avec la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie − anciens alliés de l’Allemagne − des sociétés mixtes par actions, dissoutes en 1954-1955. L’apport soviétique était constitué par les biens allemands dans ces pays, qui furent attribués à l’URSS par les Traités de Potsdam et de Paris. L’apport des partenaires représentait en fait des réparations de guerre. (8) V. I. Lenine, «Lettre au Politburo du Comité central du Parti communiste (bolchevik) russe sur le contrat avec un consortium de firmes allemandes», au camarade Staline pour le Politburo, copie au camarade Kamenev, 18 octobre 1922, V. I. Lenine, Œuvres, t. 45, p. 226. L’historique est détaillé dans Marie Lavigne, Entreprises conjointes et coopération EstOuest, rapport présenté au colloque de l’Association internationale de droit économique, Louvain la Neuve, 10-14 novembre 1986. (9) Pour une analyse de la politique commerciale russe de cette période, voir par exemple J. Vercueil, Transition et ouverture de l’économie russe (1992-2002). Contribution à une économie institutionnelle du changement, Paris, L’Harmattan, 2002, 348 p. Pour plus d’informations lire dans Le courrier des pays de l’Est Anita Tiraspolsky, Anne Vahl, «1971 : un tournant dans les relations économiques EstOuest ?», n° 159, janvier 1973, pp. 9-47. Anita Tiraspolsky, «Les investissements occidentaux dans les pays de l’Est», n° 228, avril 1979, pp. 3-28. Daniel Pineye, «Le commerce Est-Ouest dans les années quatre-vingt : réflexions sur l’avenir de la demande des pays de l’Est», n° 243, septembre 1980, pp. 44-47. Zoltan Krasznai, «Le poids des multinationales occidentales dans les échanges Est-Ouest», n° 267, novembre 1982, pp. 3-18. Laure Despres, «Les retombées des ventes d’armes soviétiques et est-européennes sur les relations économiques Est-Ouest», n° 297, juillet-août 1985, pp. 49-61. Anita Tiraspolsky, «Les zones franches en URSS : projets et débats», n° 348, mars 1990, pp. 21-25. Nathalie Clergeau, Anita Tiraspolsky, «Consortiums et associations : prototypes des futures maisons de commerce soviétiques», n° 348, mars 1990, pp. 4-18. Anita Tiraspolsky, «Les consortiums occidentaux dans les échanges avec l’URSS», n° 348, mars 1990, pp. 19-20. Bertrand Warusfel, «La libéralisation du contrôle des échanges technologiques Est-Ouest et ses implications internationales», n° 353 (octobre 1990), pp. 27-38. Alice Landeau, «L’AELE, la CEE et les pays d’Europe centrale : vers une cohabitation ?», n° 366, janvier-février 1992, pp. 30-46. Anita Tiraspolsky, «Les échanges de l’ex-URSS avec le monde extérieur», n° 373, octobre 1992, pp. 14-29. Gérard Wild, «CEI-Ouest : inertie et frémissements», n° 397-398, mars-avril 1995, pp. 152-166. Catherine-Anne Remontet, Marcel Delbos, «L’évolution de la politique économique de l’UE envers les PECO et l’ex-URSS», n° 421, août 1997, pp. 3-19. Céline Bayou, «Relations économiques actuelles entre la Russie et l’Europe. De la nécessaire définition d’un projet», n° 434, novembre 1998, pp. 16-35. Céline Bayou, «Les relations Russie - UE : vers quelle intégration ?», n° 1025, mars 2002, pp. 4-16. 51 N° 1046 novembre-décembre 2004 Le CAEM Echec d’une mutualisation imposée Fondé le 25 janvier 1949, le CAEM (Conseil d’aide économique mutuelle), plus connu à l’Ouest sous le sigle Comecon, a d’abord rassemblé autour de l’URSS, Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie et Tchécoslovaquie. En ont ensuite fait partie l’Albanie (de février 1949 à 1961) et la RDA (de 1950 à 1990). La Mongolie en devint membre en 1962, Cuba en 1972 et le Vietnam en 1978. La Yougoslavie n’y fut qu’associée, à partir de 1964. Créé en réponse au Plan Marshall d’aide à la reconstruction proposé par les EtatsUnis et à l’Export Control Act (ancêtre du Cocom, cet organisme dépourvu de statut et de reconnaissance officielle, qui a, à partir de 1950, contrôlé les exportations vers le bloc de l’Est des pays de l’Otan et du Japon), le CAEM a fonctionné jusqu’à sa disparition de façon autarcique, coupé du reste du monde par la non-convertibilité des monnaies, un système de formation des prix spécifique et des barrières commerciales. Il était basé sur des accords de spécialisation de la production entre pays membres. Les échanges réciproques reposaient sur un système de clearing, avec pour unité de compte une monnaie fictive, le rouble transférable, le dollar ne servant qu’aux échanges de produits stratégiques (minerais, combustibles, etc.). La BICE (Banque internationale de coopération économique), créée en 1963, avait pour vocation de comptabiliser les opérations 52 commerciales réalisées et les crédits alloués au sein du CAEM. La BII (Banque internationale d’investissements), créée en 1971, était, elle, destinée à financer des investissements multilatéraux au sein du CAEM. Le Conseil a généré une bureaucratie réputée pléthorique et complexe. Reflet de l’évolution des pays de la zone, des aléas de la construction socialiste et, malgré tout, des influences du monde capitaliste, le CAEM a connu une histoire chaotique, alternant périodes de coopération renforcée, crises, réformes, recherches de nouvelles formes d’intégration... Après une décennie quasiment «défensive», ce n’est qu’à partir du début des années 1960 que se dessinèrent ses véritables desseins, qui, selon la Charte adoptée en 1960, consistaient à contribuer «par la voie de l’union et de la coordination des efforts des pays membres du Conseil, au développement équilibré de l’économie nationale, à l’accélération du progrès économique et technique dans ces pays, au relèvement du niveau de l’industrialisation des pays dotés de l’industrie la moins développée, à l’accroissement continu de la productivité du travail et à l’essor constant du bienêtre des peuples des pays membres du Conseil». L’échec du CAEM, qui a conduit à sa disparition en juin 1991, a évidemment été Le CAEM le courrier des pays de l’Est analysé de diverses manières, le sujet se prêtant facilement à une lecture idéologisée. Indéniablement, l’absence de rationalité des flux commerciaux au sein de ce bloc, ainsi que les divergences politiques nées du caractère forcé de l’intégration et/ou des interprétations diverses portées par les membres euxmêmes sur les causes de la crise et les remèdes appropriés, ont accéléré le processus de délitement du Conseil. La genèse Juste après la mort du CAEM, il est apparu qu’avec une interdépendance très forte (70 à 100 % des importations de pétrole et de gaz des pays d’Europe centrale et orientale provenaient traditionnellement de l’URSS) et en raison des réticences occidentales face à cette nouvelle concurrence, les protagonistes se devaient de maintenir des liens économiques, mais sur une autre base. Se sont alors mises en place de nouvelles formes de commerce mutuel, allant du simple accord de troc au recours à des intermédiaires occidentaux... Diverses contraintes, pas seulement monétaires, ont également influencé le devenir de ces relations : le règlement de la dette de l’ex-URSS et la dépendance énergétique à l’égard de la Russie en font partie. Dans une première phase que l’on peut sensiblement situer de 1949 à 1954, avec ensuite une période de transition 1954-1956, le champ d’activité de l’organisation reste fort limité et se borne pratiquement à établir des relations commerciales étroites entre les pays membres. Les démocraties populaires étaient alors en proie aux graves difficultés que suscitaient la reconstruction de l’après-guerre, en même temps que la réorganisation de l’économie sur un modèle socialiste. Tout à leurs problèmes intérieurs, elles n’étaient guère en mesure de prendre part à l’édification d’un ensemble économique à l’échelle européenne. L’URSS stalinienne, de son côté, était avant tout préoccupée par son propre relèvement et l’affermissement de sa puissance. Elle se souciait peu d’apporter son aide économique à des pays qui étaient, pour la plupart, des ennemis vaincus et dont on ne pensait pas que la fidélité fût à toute épreuve. D’autre part, dans l’esprit de ses fondateurs, le Comecon était conçu comme une réplique orientale de l’OECE(1), et le développement du commerce était son objectif premier. Le communiqué publié à l’issue de la conférence constitutive de janvier 1949 indique que : “les gouvernements des Etats-Unis d’Amérique, de la Grande-Bretagne et de certains pays d’Europe occidentale, boycottent, en fait, les relations commerciales avec les démocraties populaires et l’URSS, parce que ces pays se refusent à se soumettre aux obligations Au lendemain de l’adhésion de huit pays d’Europe centrale et orientale à l’Union européenne (UE), dont trois étaient des républiques constitutives de l’URSS, il convient sans doute de se rappeler que ces pays, sous une forme ou une autre, ont tous (à l’exception de la Slovénie) été membres du CAEM. La compréhension de ce parcours de quarante ans au sein d’une autre zone d’intégration permet sans doute de poser un regard plus juste sur ces nouveaux membres de l’UE ; de même, il apporte un éclairage essentiel à la compréhension des relations nouvelles entre l’UE et ses nouveaux voisins, dont la Russie n’est pas le moindre. «Dès sa fondation, le Comecon était envisagé, tout au moins en principe, comme un organisme de vaste coopération dans tous les domaines de l’économie, ainsi que sur le plan scientifique et technique. ● Au début était le commerce... 53 N° 1046 novembre-décembre 2004 du plan Marshall...”. En conséquence, la conférence a examiné la possibilité d’organiser une coopération plus étroite, dans un domaine plus large, entre les démocraties populaires et l’URSS. Mais, si l’activité du Comecon, durant cette période initiale, s’est essentiellement limitée au commerce, elle n’en fut pas moins importante. […] En dix ans (1950-1960), le volume global des échanges extérieurs des pays de l’Est a plus que triplé, la part des échanges à l’intérieur de l’organisation étant prépondérante. […] Pour tous les pays du Comecon, les échanges au sein de l’organisation sont de l’ordre de 70 % du volume total. L’interdépendance commerciale de ces pays est extrêmement avancée et continue de s’accentuer. [...] ● Planifier, coordonner Cette interdépendance même, au fur et à mesure que s’accroissait l’industrialisation des démocraties populaires, et que leurs plans respectifs devenaient de plus en plus complexes, rendit vite nécessaire un ajustement des conditions en fonction des besoins mutuels. D’autre part, l’édification d’une économie moderne rendait de plus en plus gênant un cloisonnement national. Il fallait, pour planifier, prévoir grand, donc au-delà des limites géographiques des Etats, et prévoir longtemps à l’avance, donc coordonner les plans nationaux. Les premières mesures adoptées en ce sens le furent en mars 1954, lors de la IVe session du Conseil, où fut posé le principe de consultations entre les pays membres pour cordonner leurs plans de développement. La Ve session (juin 1955) décida d’harmoniser les programmes des investissements. Mais c’est la VIIe session (Berlin, mai 1956) 54 qui ouvre véritablement la voie à une coordination des économies sur une vaste échelle en instituant un ajustement systématique des travaux dans toutes les branches fondamentales de l’économie, à savoir : les constructions mécaniques, la sidérurgie, la métallurgie nonferreuse, les industries du charbon, du pétrole et du gaz, l’industrie chimique, l’industrie légère et l’agriculture. [...] La progression de l’interdépendance commerciale avait rendu nécessaire la coordination des plans de développement aussi bien à l’échelon national qu’au niveau des branches de production. Cette coordination, à son tour, contribua à augmenter encore le flux des échanges. D’autre part, les efforts d’expansion économique, et plus particulièrement d’industrialisation, commençaient à donner des résultats. Les prévisions de développement ultérieur que l’on s’efforçait de faire en commun en vue d’une plus grande rentabilité, débouchaient de plus en plus nécessairement sur des ensembles supra-nationaux. Et comme aucun des pays intéressés, en dehors de l’URSS, ne possédait des ressources suffisantes pour édifier à lui seul une économie moderne complète, la question qui vint très rapidement à l’ordre du jour fut celle de la spécialisation des productions par pays. Cela était d’autant plus impérieux que la politique des années qui suivirent la guerre [...] avait été, précisément, d’implanter partout, et à tout prix, une puissante industrie lourde. On sait que cette politique économique, menée le plus souvent au mépris des possibilités réelles des pays, s’est révélée désastreuse et que, en particulier, elle ne fut pas la dernière des causes de la crise qui secoua l’Europe de l’Est lors des événements tragiques de 1956 en Pologne et en Hongrie. Pour que l’ensemble des pays de l’Est puisse accroître rapidement Le CAEM son potentiel économique, il ne suffisait pas de commercer, il ne suffisait pas d’échanger des informations sur les investissements ou la planification, il fallait également se répartir les tâches au mieux des possibilités de chacun. Une conférence des partis communistes et ouvriers des pays membres du Comecon, réunis à Moscou en mai 1958, posait officiellement le principe d’une division internationale socialiste du travail. En application de cette décision, les années qui suivirent furent consacrées à spécialiser peu à peu, d’abord dans des branches particulières (en premier lieu les constructions mécaniques, les matières premières et l’énergie), chaque pays dans des types de production déterminés. Cela n’allait pas sans mal, ni sans heurts. Il était délicat, en effet, de déterminer quels types précis de machines, par exemple, seraient construits avec le plus de rentabilité dans tel ou tel pays. Et, une fois la décision prise, il fallait encore reconvertir les usines produisant ce type de machines dans les pays moins aptes à les fournir. Il fallait également doter le pays choisi d’un équipement qui permette de couvrir le besoin des autres. Néanmoins, l’expérience fut jugée suffisante, lors de la XVe session du Conseil (décembre 1961) pour que l’on puisse élaborer une charte de la division du travail : les “Principes de base de la division internationale socialiste du travail”. Ce document fondamental fut adopté par la conférence des chefs de gouvernement et Premiers secrétaires des Partis de juin 1962.» Georges Martinowsky, Assistant de recherches au CERI (Sciences Po) «Le COMECON. Evolution et perspectives» CPE, n° 5, 9 mai 1964, pp. 19-32 le courrier des pays de l’Est Un pas en avant sur la voie d’une intégration coordonnée «On assiste depuis 1971 à un regain indéniable de l’activité du CAEM, qui succède à plusieurs années d’hésitation et de discussions sur les formes d’intégration à adopter. A Bucarest, en juillet 1971, les pays membres avaient mis au point un programme d’intégration à la fois vaste et détaillé, sans apporter cependant de solutions fondamentalement nouvelles aux problèmes qui avaient jusque-là freiné la formation d’un ensemble économique cohérent. Ce programme a été largement suivi : les progrès réalisés dans la mise au point des méthodes d’intégration, de même que le développement des projets concrets de coopération dans les divers secteurs économiques s’inscrivent en effet directement dans le cadre tracé à la XXVe session du CAEM. Or, ce programme, élaboré de 1968 à 1971, qui se présentait comme une réponse assez traditionnelle aux risques de dissociation du CAEM(2) et à l’élargissement de la Communauté économique européenne(3), prend dans le contexte économique international actuel une portée nouvelle : la crise de l’énergie et les difficultés économiques occidentales devraient en effet accélérer sa mise en œuvre et, d’une manière générale, renforcer la cohésion du bloc socialiste. [...] En ce qui concerne les mécanismes de l’intégration, le Programme complexe de juillet 1971 définissait des orientations qui se sont traduites depuis lors par des progrès notables en matière de coordination des plans et des efforts appréciables pour développer la mobilité du capital dans la région. Les mesures prises depuis 1971 témoignent d’un choix désormais très net de la coordination des activités écono- 55 N° 1046 novembre-décembre 2004 miques nationales comme méthode fondamentale d’intégration. Les nouveaux principes d’élaboration des plans soviétiques révèlent les progrès réalisés à cet égard (qui doivent aussi se traduire dans la planification des autres pays membres). [...] Il est désormais expressément indiqué que “les obligations de l’URSS découlant de la coordination des plans avec les autres pays socialistes devront figurer dans une section spéciale du plan national”. Cela est particulièrement valable en ce qui concerne les échanges mutuels. Dans les plans de production de chaque branche seront incluses les obligations d’exportation (en quantités et dans les délais requis) ; de même, les plans de consommation − intermédiaire et finale − devront prendre en compte les importations prévues. La section du plan consacrée aux échanges mutuels précisera notamment, outre le volume et la composition des livraisons, l’évolution des prix, les entreprises principalement responsables de la production destinée à l’exportation, de même que celles auxquelles sont destinées les importations. La coordination des plans devra répondre à certaines préoccupations générales définies dans le Programme complexe telles que le perfectionnement des méthodes de coopération, l’approvisionnement en matières premières, la recherche de progrès techniques, etc. En outre, il semble qu’au cours des travaux de coordination, l’accent soit mis sur l’examen systématique des possibilités de planification commune, d’investissements conjoints, et d’achats groupés de licences dans les pays tiers. [...] Toutes les mesures multilatérales d’intégration auxquelles aura abouti la coordination seront rassemblées dans un chapitre spécial, constituant le “plan de développement de l’intégration socialiste”. Celui-ci regroupera 56 donc les accords de constructions communes, de coopération et spécialisation, et les opérations de planification conjointe. Ce plan sera, en ce qui concerne l’URSS, décomposé au niveau des ministères, services, républiques, unions industrielles et grosses entreprises ; et les ressources correspondantes nécessaires seront affectées à la mise en œuvre de ces projets. En ce qui concerne les investissements conjoints, ce plan fixera par exemple les apports de chaque pays et la structure par produits de cette contribution, le montant et la répartition de la production commune, les ressources humaines et les capacités de construction mobilisées par chaque pays pour ce projet commun. La nouvelle importance de la coopération dans l’activité économique nationale apparaît dans la priorité dont jouissent les objectifs liés aux opérations communes par rapport aux objectifs purement nationaux − priorité quant à l’affectation des investissements et à l’approvisionnement matériel et technique. Parallèlement, les “accords généraux” (de construction commune, de spécialisation, de planification conjointe) qui constituent le fondement légal de la coopération précisent aussi les garanties et les sanctions matérielles liées à la défaillance d’un des partenaires. En faisant des objectifs liés à la coopération une partie intégrante du plan national, en prévoyant à ce titre les ressources adéquates, en imposant éventuellement leur priorité, les membres du CAEM ont certainement fait un grand pas en avant dans la voie d’une intégration coordonnée. L’intégration par la coordination des plans s’avère d’ailleurs le modèle logique d’intégration d’économies qui restent centralement planifiées.» Françoise Lemoine, Groupe d’études prospectives internationales (CFCE) «La relance de l’intégration dans le CAEM» CPE, n° 185, mai 1975, pp. 7-19 Le CAEM Des échanges, mais à quel prix ? «Le domaine des prix du commerce intra-CAEM demeure l’une des zones d’ombre des économies socialistes parmi les plus difficiles à mettre en lumière. En effet, on se trouve en présence d’un système économique (le marché intra-CAEM) qui, à son origine, a voulu se “protéger” du marché capitaliste, où le marché n’est pas un marché, où les prix ne sont pas de véritables prix, où la sphère des échanges est isolée des économies nationales, où la monnaie inconvertible (le rouble transférable) ne joue pas son rôle de monnaie (mesure de la valeur, moyen de paiement et de réserve). Que représentent les concepts de coûts, de valeur, de cours officiel et taux de change, d’équilibre de la balance commerciale, de termes de l’échange dans des économies où le commerce extérieur, monopole d’Etat, est planifié ? Il est planifié bilatéralement à cinq ans avec chaque pays membre : plans exprimés en quantités physiques pour les produits clés qui entrent dans les échanges ; plans équilibrés avec chaque partenaire selon des critères ni monétaires, ni financiers, mais plutôt en fonction de la rareté relative des produits au sein de la zone, ou de leur rareté réelle sur le marché international ou même selon des rapports de force spécifiques à l’intérieur du camp où s’entrecroisent des considérations politiques, idéologiques, militaires et économiques. Parce qu’il fallait “un prix” pour échanger des locomotives contre du pétrole ou du charbon, on a choisi celui du marché mondial qu’on a manipulé. Parce qu’il fallait “une monnaie” pour transcrire ce prix, on a créé le rouble transférable. Parce qu’il fallait une “parité” pour passer d’une monnaie à l’autre, on lui a affecté un “cours officiel”. le courrier des pays de l’Est Si les principes théoriques sont connus grâce à la littérature soviétique et esteuropéenne, l’application en est, par contre, moins évidente. Or, c’est dans le système de prix communautaire que réside actuellement l’une des sources de tensions particulièrement vives entre les partenaires socialistes, entre l’URSS et ses voisins. Notamment, le cloisonnement auquel conduit le strict bilatéralisme des relations économiques bloque l’information nécessaire à la propagation des échanges. Chacun ignore, semble-t-il, ce que fait le voisin, le prix qu’il paiera, et les raisons d’éventuelles concessions mutuelles. Le processus actuel de fixation des prix, élaboré en 1958, révisé en 1974, est l’objet d’un débat ancien qui resurgit périodiquement au sein du camp socialiste. Il est de plus en plus évident que l’analyse du système de prix intraCAEM en tant qu’entité isolée est insuffisante. Quel que soit l’objectif de départ − comparaison avec les prix mondiaux, vérification du “dogme” de la stabilité des prix, ou détermination des “gagnants” et des “perdants” du système de fixation des prix intraCAEM −, toutes les études occidentales mettent en évidence l’échec des tentatives du camp socialiste pour instaurer un système de prix cohérent. Ce problème n’est en fait qu’une fraction d’un problème beaucoup plus vaste que pose l’absence de marché et de véritables relations monétaires au sein du camp. Il est la cible principale des économistes est-européens qui considèrent que les mécanismes de prix et de paiements “communautaires” sont actuellement une entrave à l’extension du commerce et de la coopération au sein de la zone. C’est certainement l’un des chapitres de la construction de l’intégration économique socialiste le plus controversé. Sans doute sous la pression des déséquilibres induits par les prix mondiaux depuis 1974, les études […] sur 57 N° 1046 novembre-décembre 2004 les prix du CAEM se sont multipliées. Les thèses, surtout hongroises et polonaises, s’opposent aux positions plus doctrinaires de l’Union soviétique et de la RDA : éternelle opposition entre les partisans d’un système de prix flexibles reflétant les conditions de l’offre et de la demande régionales (CAEM) ou internationales, pouvant jouer le rôle d’un véritable instrument de politique économique, et ceux pour qui les prix traduisent simplement des pratiques compensatoires. [...] Les pays est-européens expriment fréquemment un désarroi croissant : leurs économies sont incapables de s’adapter aux “nouvelles” conditions que crée la situation économique mondiale, entre autres à cause de leur système de prix et de relations monétaires au sein de la zone, qui freine tout à la fois le commerce et la coopération économique. Pour l’Europe de l’Est, l’absence de souplesse générale a des conséquences d’ores et déjà très lourdes. Dans le domaine de la coopération, qu’il s’agisse des programmes de développement de la coopération à l’horizon 1990 (programmes finalisés), du «plan concerté d’actions multilatérales d’intégration» récapitulant les opérations d’une certaine envergure à mener en commun au cours d’un plan quinquennal, ou des organisations économiques internationales − phares de l’intégration économique socialiste − ils sont considérés comme des “corps étrangers” par les pays est-européens et sont sans effet incitatif sur la coopération, notamment parce qu’ils sont dépourvus d’instruments économiques de types monétaires et financiers.» Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est «L’énigme du prix des échanges à l’intérieur du CAEM» CPE, n° 271, mars 1983, pp. 3-26 58 Spécialisation ou complémentarité ? «Les interdépendances régionales sont difficiles à mesurer, pour les pays socialistes eux-mêmes et bien sûr pour l’Ouest : d’abord parce que les informations sont très fragmentaires, ensuite parce que le système de prix en vigueur dans les relations intra-CAEM et l’unité de compte − le rouble transférable créé en 1963 − utilisé pour libeller ces prix, se démarquent toujours de la logique des prix internationaux et des monnaies convertibles. Les échanges résultent en fait d’une concertation dans le cadre de la coordination des plans au niveau du CAEM. Ils font toujours l’objet d’accords à long terme (cinq ans) conclus bilatéralement entre les Etats, et contingentés chaque année en quantités physiques. Ils sont équilibrés en valeur par groupes de produits de même nature. La valeur des produits est établie par référence au marché mondial, mais corrigée pour “en éliminer les mouvements conjoncturels et spéculatifs”. Depuis 1974, les prix contractuels intra-CAEM sont établis chaque année, et pour la durée de l’année, par référence aux prix moyens mondiaux des cinq années précédentes. Ce système, outre qu’il situe les prix intra-CAEM à des niveaux différents des prix mondiaux, se heurte au choix du prix mondial notamment pour les produits finis qui, par insuffisance de qualité et de modernité, ne peuvent être écoulés sur le marché occidental. Enfin, ces prix sont libellés en roubles dits transférables, monnaie de compte inconvertible, les échanges intra-CAEM étant équilibrés par type d’opérations ou de produits, non substituables les uns aux autres. ● Une mesure des interdépendances... Quoi qu’il en soit, on peut tenter de mesurer les interdépendances économiques par le degré de concentration Le CAEM des échanges et par la multiplication des complémentarités industrielles et économiques au sein du CAEM. Or, le rythme de croissance des échanges intra-CAEM ne reflète pas un dynamisme particulier du commerce régional, l’accroissement ayant été moins rapide que pour leurs échanges avec le reste du monde. Mais le plus caractéristique est la forte concentration des échanges intra-CAEM sur l’URSS. En moyenne, plus de 60 % des échanges des pays membres se réalisent à l’intérieur du CAEM, chiffre sans doute sous-estimé, puisque le niveau des prix intra-CAEM, dans les années quatrevingt, se situait au-dessous du niveau des prix mondiaux. L’URSS, à elle seule, représente 39 % du commerce des six pays est-européens, contre 30 % en 1980 et 37 % en 1970. Ces évolutions observées en prix courants reflètent essentiellement la forte progression des prix des matières premières et des combustibles livrés par l’URSS. Néanmoins, la part de l’URSS reste prépondérante même si l’on ne peut la mesurer précisément. L’URSS est devenue un fournisseur de combustibles pratiquement exclusif de l’Europe de l’Est. Les produits énergétiques et les matières premières, qui représentaient le tiers des exportations soviétiques vers les pays du CAEM dans les années soixante-dix, en représentent désormais plus de la moitié. Si bien que la structure des échanges intra-CAEM, et surtout de l’URSS, traduit bien plus une complémentarité naturelle qu’un effet d’une véritable spécialisation internationale. [...] Le degré de complémentarité industrielle, développée dans les années soixantedix, est tenu pour faible par la plupart des économistes est-européens. Généralement, ils expliquent cet état de choses par les obstacles que présentent un bilatéralisme trop rigide, l’absence de monnaie convertible qui les contraint à des pratiques comptables proches du le courrier des pays de l’Est clearing, enfin par le niveau des prix intra-CAEM complètement décalé par rapport aux prix mondiaux, et peu incitatif. ● ... qui révèle une dépendance à l’égard de l’URSS La spécialisation, de même que toutes les autres formes de coopération économique intra-CAEM, est le plus souvent représentée comme un système radial avec pour centre l’économie soviétique, chaque pays se spécialisant dans un produit ou un groupe de produits pour le compte d’un seul pays − l’URSS − qui fut un partenaire peu exigeant jusqu’à une date récente au plan qualitatif, selon les critères occidentaux. Ce n’est donc pas le terme d’interdépendances économiques qui caractérise les relations intra-CAEM, mais bien plutôt celui de la dépendance à l’égard de l’URSS, si l’on tient compte des complémentarités que l’on observe. Pour l’URSS, les pays membres du CAEM peuvent offrir un certain nombre de complémentarités naturelles : minières (bauxite hongroise, charbon polonais...), industrielles (semi-produits, biens de consommation), techniques (RDA, Tchécoslovaquie), agricoles (blé hongrois). La plupart de ces complémentarités sont réelles, mais très insuffisantes pour elle [...]. Par contre, pour l’Europe de l’Est, l’URSS couvre quelque 60 % de ses besoins en matières premières et combustibles. En contrepartie, elle est destinataire, souvent unique, de nombreuses constructions mécaniques − machines, équipements, pièces d’armement fabriquées par des pays, dans certains cas, sans traditions industrielles (Bulgarie, Pologne, Roumanie). Bien sûr, ceci leur a permis de créer des emplois, de devenir des exportateurs nets de machines et équipements, et de se doter d’industries de biens de consommation qu’ils 59 N° 1046 novembre-décembre 2004 exportent surtout vers l’URSS. Mais ces complémentarités ne sont pas sans écueils. N’ayant pas eu à affronter la concurrence internationale pendant des années, ces pays sont devenus pratiquement incapables d’exporter vers l’Ouest de nombreux produits finis de qualité. De grands pans de leurs économies sont étroitement rattachés à l’appareil de production soviétique, par le biais notamment de la coproduction. Leur commerce est satellisé à 40 % au moins. Aussi, lorsque les économistes esteuropéens dressent le bilan du CAEM, ils évoquent souvent : Le manque de technologie moderne. L’inadaptation de la coopération et de la spécialisation. La surconsommation industrielle en matériaux et énergie. La détérioration simultanée des situations énergétiques dans tous les pays est-européens. Les pénuries alimentaires absolues ou relatives. Le manque d’organisation dans la production industrielle. L’absence de coordination dans les relations économiques extérieures. Enfin, l’inadéquation des mécanismes de coopération aux exigences modernes, les régulateurs économiques ne permettant de répondre à la conjoncture qu’avec des décalages importants, c’està-dire bien souvent trop tard. ● ● ● ● ● celui du renouvellement du capital productif. Tous les pays dénoncent l’usure et l’obsolescence de leur infrastructure économique qui se sont aggravées au début des années quatre-vingt, par manque d’investissements. Or, c’est dans un tel contexte que l’URSS a déclaré ne pouvoir maintenir ses livraisons de pétrole et de matières premières à un niveau suffisant, que si ses partenaires lui fournissaient “les produits qui lui sont nécessaires”, c’est-à-dire d’une qualité comparable à celle des produits occidentaux : produits alimentaires, biens de consommation, matériaux de construction, machines et équipements conformes aux standards techniques mondiaux. Aveu d’un échec de l’intégration de l’époque brejnevienne, au point que M. Gorbatchev, dans une interview à la télévision polonaise, dira : “Tout ce qui est arrivé jusque-là est un chapitre clos de notre coopération”.» Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est «Les pays d’Europe de l’Est et le CAEM : une intégration économique renforcée» CPE, n° 309-310-311, août-septembre-octobre 1986 pp. 266-275 ● ● ● Deux problèmes essentiels se dégagent dans l’immédiat. Le premier est celui de l’approvisionnement pétrolier, parce que l’URSS doit investir davantage pour maintenir son niveau de production actuel, et parce que les pays esteuropéens ne disposent pas de ressources en devises suffisantes pour augmenter leurs achats hors de l’URSS. Un second problème, tout aussi vital, est 60 Effets d’une révolution copernicienne «Un processus de transformation historique est en cours en Europe de l’Est. Après quinze années de stabilité apparente dans la politique, les institutions et l’économie durant la période Brejnev, les réformes audacieuses de M. Gorbatchev ont fait apparaître au grand jour les vices cachés des systèmes est-européens. Confrontées à la pression sociale et à des résultats économiques de plus en plus insuffisants, les élites dirigeantes de l’Europe de l’Est doivent faire face à des choix vitaux. En attendant, la mise en place de mesures impopulaires n’a pu être évitée malgré les assurances sur les priorités formulées par les différents dirigeants. Le CAEM L’espoir d’accélérer la croissance, exprimé dans les plans 1986-1990, est apparu totalement irréaliste dès la fin des deux premières années du plan. Par ailleurs le ralentissement général de l’activité économique ne s’est accompagné ni d’un ajustement plus rapide des structures économiques de l’Europe de l’Est aux conditions extérieures, ni d’une amélioration de la compétitivité sur les marchés internationaux. L’équilibre tant intérieur qu’extérieur des systèmes socialistes a donc alors subi une très forte pression. Cette situation incite à repenser entièrement la stratégie économique de tous les pays de la région. Diverses voies “nationales” ont été empruntées, en fonction de l’équilibre des forces, variable d’un pays à l’autre. Autrement dit, l’originalité inhérente à chacune des politiques s’est accrue, devenant évidente et même voyante. Si non seulement les voies nationales sont tolérées, mais bien plus si l’idéologue en chef du Parti communiste de l’Union soviétique considère le fait de copier le modèle soviétique (même rétrospectivement) comme parfaitement déplorable, alors ce ne sont pas seulement les nuances et les aspects particuliers, mais les normes mêmes, l’ensemble du système de coordination de la coopération entre les pays du CAEM, qui subissent une révolution copernicienne. [...] La dualité de la perestroïka soviétique a imprimé sa marque sur la restructuration du CAEM. D’un côté, même le discours officiel concernant “le triste état des affaires de l’autre intégration européenne” s’est essoufflé. Lors de la session du CAEM qui s’est tenue à Prague en 1988, des projets audacieux, apparemment radicaux, de création d’un marché socialiste ont été adoptés venant remplacer les entrelacs des divers organes de planification. La libre circulation des biens et la conver- le courrier des pays de l’Est tibilité des monnaies sont au programme. La coopération directe interentreprise devrait remplacer un commerce intra-CAEM administré dans ses moindres détails. […] D’un autre côté, la capacité d’imposer une marche forcée vers l’unification à dix pays, aussi différents au plan des richesses naturelles et des inclinations, éveille un scepticisme grandissant y compris chez les experts soviétiques traditionnellement conservateurs. Ils avancent même l’idée, auparavant hérétique, de former de petits sousgroupes qui seraient capables de nouer peu à peu de véritables relations de marché.» Laszlo Csaba, chargé de mission à Kopint Datorg, Institut de recherches sur la conjoncture et les marchés, Budapest «Quo Vadis Comecon ? Le point de vue des petits pays d’Europe de l’Est» CPE, n° 344, novembre 1989, pp. 3-23 Le CAEM est mort, vive le CAEM ! «Il est établi aujourd’hui, même s’il est difficile de prendre la mesure réelle de ce phénomène(4), que l’effondrement des flux d’échanges entre l’URSS et les PECO a débuté dès avant la dissolution du CAEM : le total des échanges hungaro-soviétiques (où la part de la Russie s’élevait à 70 %) est évalué par exemple à 9,5 milliards de dollars en 1990 ; ce total pour les échanges hungaro-russes était de 2,7 milliards en 1992 et 2,8 en 1997. L’arrêt de mort du Conseil constitue à cet égard autant la conséquence que la cause de la chute des flux. [...] L’analyse sur quelques années des échanges bilatéraux entre la Russie et ces pays montre que la contraction la plus brutale a eu lieu en 1991-1992, puis a été suivie d’une chute plus modérée jusqu’en 1995, date à partir de laquelle les montants (toujours en valeur) ont de nouveau augmenté ou se 61 N° 1046 novembre-décembre 2004 sont stabilisés ; mais le fait que les flux ne parviennent pas à faire preuve d’un véritable dynamisme depuis 1995 et, plus encore, l’analyse de la structure par produits de ces échanges bilatéraux révèlent, en même temps, le manque d’enthousiasme suscité par ces relations et que l’on pourrait analyser comme le révélateur du caractère artificiel des liens créés au sein du CAEM. L’étude des données statistiques montre à quel point la mutation qui a eu lieu s’est faite au profit de la Russie : la comparaison des résultats des années 1992 et 1998 […] révèle que la Russie exporte vers les PECO des montants légèrement supérieurs aujourd’hui à ceux de 1992, qu’en revanche ses importations en provenance de cette région se sont contractées, et que, par conséquent, elle dégage un excédent plus confortable encore en 1997-1998 qu’au lendemain de la disparition du CAEM. Dans le même temps, il faut garder en tête que, si la part des pays d’Europe centrale et orientale dans les échanges de la Russie était de plus de 37 % en 1990, elle est passée à 9 % en 1997(5). ● Les PECO, cap sur l’Ouest […] Les évolutions […] résultent en grande partie de la volonté manifestée par les pays d’Europe centrale et orientale depuis la fin du CAEM en vue de réorienter leurs échanges vers l’Union européenne (UE) ; dans un contexte de demande croissante en Europe occidentale, les exportations de la plupart des pays d’Europe centrale ont commencé à croître à partir de la seconde moitié de 1997. Pourtant, dans la hiérarchie des priorités géographiques de la politique économique extérieure de la Russie, les PECO occupent une place notable. Le fait que nombre de ces pays s’apprêtent à entrer dans l’UE change la donne pour la Russie : la 62 concurrence croissante dans les PECO, due à la réduction des barrières tarifaires appliquées aux biens industriels en provenance des pays de l’UE et de l’AELE, a commencé à se manifester en 1995. Déjà, en décembre 1992, la signature de l’Accord de libre-échange centre européen (ALECE) entre la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie (depuis, la Roumanie, la Bulgarie et la Slovénie s’y sont jointes) avait été vue par Moscou comme un facteur supplémentaire risquant d’affecter à court terme les potentialités d’exportations russes vers ces pays. La Russie sait qu’elle a tout intérêt à empêcher la création d’une zone tampon la séparant de l’Union européenne : la plupart de ses hommes politiques prônent donc la reconnaissance de la vocation de certains pays d’Europe centrale et orientale à adhérer à l’UE ; mais celleci doit se faire de pair avec l’adoption de mesures favorables à la libéralisation des échanges mutuels et la mise en place d’une véritable politique de soutien du commerce avec les PECO aux niveaux local, régional et sectoriel ; la Russie devrait en outre mener une politique d’aide aux investissements, créer des mécanismes de concours financiers à partir d’institutions bi- et multilatérales qui puissent fournir des garanties, des crédits, des assurances, etc., régler le problème de sa dette, instituer un réseau d’entreprises non gouvernementales transnationales dans les PECO qui prennent la forme de consortiums, d’associations, de maisons de commerce et d’agences de développement des exportations... [...] Non seulement la Russie est devenue moins dépendante des importations est-européennes, mais les PECO ont, par ailleurs, perdu en diversification. Les raisons en sont diverses, mais sont notamment liées aux restructurations économiques en Russie même. La politique industrielle russe prône en effet la substitution aux importations : Le CAEM le courrier des pays de l’Est l’un des exemples concerne les locomotives, qui étaient un poste essentiel des exportations tchécoslovaques vers la Russie dans le cadre du CAEM. Or, ces matériels font aujourd’hui l’objet d’un programme fédéral russe qui vise à la substitution totale des importations par la production nationale d’ici 2000. Pour contrer cette tendance, les entreprises est-européennes pourraient envisager d’investir sur le marché russe, afin d’assurer un relais à leurs exportations et d’obtenir des réductions sur les droits de douane touchant leurs produits. Mais, pour le moment, compte tenu du climat économique en Russie, elles se montrent plutôt réticentes. A titre d’exemple, on citera le cas de l’usine de locomotives de Iaroslavl, qui a convaincu début 1995 la firme tchèque Skoda d’investir à ses côtés dans un atelier d’entretien et de réparation des locomotives. Skoda aurait reçu 48 % du capital. Mais le gouvernement tchèque s’est refusé à accorder à Skoda le soutien à l’exportation nécessaire pour réaliser cette opération et a proposé, plutôt que d’injecter de l’argent dans une société à capital mixte, que l’investissement soit mis au compte du règlement de la dette russe. Les négociations ont débouché sur un échec. n’étonnera pas : près de 70 % d’entre elles sont constituées de pétrole et de gaz. En 1996, un tiers des exportations russes de pétrole, un quart des ventes de gaz naturel et un cinquième de celles de charbon ont été destinées aux PECO. Au total, c’est 90 % de tout le gaz russe exporté qui passe par l’un de ces pays, soit pour la consommation intérieure, soit pour le transit et, en volume, le niveau d’exportations est comparable à celui de 1990. […] La crise russe d’août 1998 a révélé à quel point les relations entre la Russie et les pays d’Europe centrale et orientale sont toujours loin, huit ans après la disparition du CAEM, d’être régies par des mécanismes de marché. La rémanence d’accords de troc, faisant intervenir les institutions d’Etat au détriment des firmes privées, en est à la fois la cause et la conséquence. Elle entrave les initiatives, encore trop peu nombreuses, entre acteurs privés, par exemple régionaux, et traduit en même temps le faible enthousiasme suscité par l’enjeu que constitue la construction de nouvelles relations sur les ruines du CAEM.» Céline Bayou, Le courrier des pays de l’Est «Que faire sur les ruines du CAEM ?» CPE, n° 444, novembre 1999, pp. 2-45 En revanche, la structure des exportations russes à destination des PECO fait preuve d’un degré d’inertie qui Notes : (1) Ndlr - L’Organisation européenne de coopération économique (OECE), instituée en avril 1948, est issue du Plan Marshall et de la Conférence des Seize (Conférence de coopération économique européenne) qui a œuvré pour l’établissement d’une organisation permanente chargée d’assurer la mise en œuvre d’un programme de relèvement commun et, en particulier, de superviser la répartition de l’aide. L’OECE a été remplacée par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en septembre 1961. (2) Marqués par la crise tchécoslovaque et le développement des échanges Est-Ouest. (3) L’ouverture des négociations avec l’Angleterre et les autres pays candidats est décidée au sommet de La Haye en décembre 1969. (4) La contraction réelle des flux d’échanges en valeur est difficile à estimer dans la mesure où, jusqu’en 1991, les statistiques ont été réalisées à partir de données établies en roubles transférables et à des prix très différents de ceux du marché mondial. Elles ne sont donc comparables ni aux données concernant les flux avec les pays hors-CAEM dans les mêmes années, ni à celles des années suivantes, calculées selon les prix mondiaux et en dollars. Ce phénomène affecte à la fois les parts de marché par pays et l’évolution dans le temps. Pour 63 N° 1046 novembre-décembre 2004 peu qu’elles soient disponibles, les données en quantités physiques permettent une analyse plus fiable. En outre, il faut tenir compte du changement de nature d’un des partenaires, les échanges PECO-URSS n’étant pas comparables aux échanges PECO-Russie. (5) Ndlr - On notera qu’en 2003, six pays d’Europe centrale et orientale (Bulgarie, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie et Slovaquie) absorbaient 12 % des exportations russes hors-CEI et lui fournissaient 8,1 % de ses importations. Pour plus d’informations lire dans Le courrier des pays de l’Est Article non signé, «La banque du Comecon», n° 11, 1er août 1964, pp. 23-35. Bernard Demory, «Le problème des prix du commerce extérieur dans le CAEM», n° 43, 9 décembre 1965, pp. 23-37. Bernard Demory, «Les structures énergétiques du Comecon», n° 45, 5 janvier 1966, pp. 21-44. Bernard Demory, «Les structures énergétiques du Comecon (2)», n° 46, 19 janvier 1966, pp. 23-37. G. Thirion, «Les effets directs et indirects du problème des prix sur la coopération entre les pays du Comecon», n° 49, 16 février 1966, pp. 19-37. Bernard Demory, «Les accords commerciaux à long terme dans le Comecon», n° 58, 6 juillet 1966, pp. 19-33. Article non signé, «Le nouveau programme d’intégration des pays du CAEM», n° 157, novembre 1972, pp. 7-18. Anita Tiraspolsky, avec la coll. de Barbara Despiney, «Les échanges des pays européens du CAEM de 1971 à 1975. Perspectives 1980», n° 201, novembre 1976, pp. 3-17. Tatjana Globokar, «Les relations économiques de la Yougoslavie avec le CAEM», n° 238, mars 1980, pp. 51-57. J. P. Gilbert, J. J. Janowski, «CAEM : vers une intégration économique accrue», n° 250, avril 1981, pp. 5-43 Françoise Lemoine, «Le CAEM de 1970 à 1980 : des tensions comprimées», n° 263, juin 1982, pp. 3-37. Anita Tiraspolsky, «Une évaluation des gains et pertes dans le commerce intra-CAEM : les termes de l’échange de 1970 à 1982», n° 279, décembre 1983, pp. 3-22. Jaroslav Blaha, Anita Tiraspolsky, «La Tchécoslovaquie dans les options industrielles du CAEM», n° 283, avril 1984, pp. 3-28. Anita Tiraspolsky, «Interrogations sur l’avenir du CAEM», n° 291, janvier 1985, pp. 3-28. Tatjana Globokar, «Les relations économiques de la Yougoslavie avec le CAEM», n° 299, octobre 1985, pp.58-69. Sophie Verny, «CEE-CAEM : le problème de la reconnaissance mutuelle», n° 305, avril 1986, pp. 30-44. Laszlo Csaba, «Le CAEM sous le signe de la restructuration», n° 313, novembre 1986, pp. 3-21. Céline Bayou, «Les relations économiques CEI-pays d’Europe centrale et orientale : les tâtonnements de l’après-CAEM», n° 397-398, mars-avril 1998, pp. 172-184. 64 le courrier des pays de l’Est La consommation Des pénuries à une abondance mal répartie Le but proclamé des régimes socialistes en URSS et en Europe centrale et orientale était d’assurer à la population un niveau de vie élevé, comparable à celui des pays occidentaux, tout en garantissant une égalité plus grande entre les citoyens. En réalité, la satisfaction des besoins du consommateur a été reléguée au second plan face aux exigences, du moins en URSS, toujours plus grandes, du complexe militaro-industriel. Le déséquilibre entre offre et demande, reflété par les pénuries, s’est avéré en effet être une caractéristique permanente des économies centralement administrées. Pendant longtemps, les causes de ce déséquilibre ont été attribuées à des défaillances ou des erreurs du système de planification que de nouvelles réglementations suffiraient à corriger : difficultés du secteur de l’offre à s’adapter à une demande en constante évolution sous l’effet de facteurs culturels, incohérences et approximations des décisions centrales sur l’assortiment de la production et sur sa répartition géographique, pratiques bureaucratiques des organisations commerciales indifférentes aux goûts des consommateurs, etc. Mais l’idée s’est progressivement imposée de la responsabilité du système de fixation des prix. Maintenus stables et à un niveau bas pour les produits et services essentiels (le logement, notamment), ils avaient d’autres fonctions que d’établir l’équilibre entre l’offre et la demande et étaient le produit d’un compromis tacite entre le pouvoir et les consommateurs. Dès lors, l’ajustement se faisait par les quantités afin de «répartir la pénurie», selon l’expression forte de l’économiste hongrois Janos Kornai. Ainsi, sur le marché des biens de consommation, la sélection des demandeurs se fondait-elle sur des critères extra-monétaires, comme l’organisation administrative du rationnement (tickets, files et listes d’attente) ou la position hiérarchique (réseau parallèle de distribution réservé à la seule nomenklatura). Toutefois, le recours à la pénurie comme instrument de régulation entretient et aggrave ce phénomène par les comportements qu’il suscite chez les agents économiques. Par «crainte de manquer», les consommateurs constituent des stocks de certaines marchandises très supérieurs à leurs besoins, contribuant ainsi à épuiser les disponibilités de biens déjà insuffisantes. Une autre conséquence résidait dans le report de la demande sur les marchés libres, licites et illicites, où la monnaie recouvrait un pouvoir d’achat véritable et les prix leur fonction d’indicateurs de la rareté. Les dirigeants communistes avaient parfaitement conscience de ce que de tels dysfonctionnements du système présentaient une menace pour la paix sociale, tout en étant à l’origine d’un sentiment très répandu de démotivation. Mais ils feignaient 65 N° 1046 novembre-décembre 2004 de croire qu’il s’agissait là d’un mal auquel de simples palliatifs pourraient remédier. La chute du mur et l’éclatement de l’URSS ont confronté brutalement ces pays aux réalités de l’économie de marché et ils ont dû faire face, dans les premières années qui ont suivi ces événements, à une crise économique sévère et à une chute brutale du niveau de vie. Cependant, dans l’ensemble des pays, on voit apparaître des gagnants et des perdants des changements, ces derniers se recrutant essentiellement parmi les personnes peu instruites et/ou peu qualifiées et les retraités. Le discours ● La priorité à l’industrie lourde, un dogme «Les dernières consignes énoncées au début de ce mois [octobre 1964] par M. Khrouchtchev(1) pour la mise au point du prochain plan de développement économique de l’URSS [...] n’apportent aucune surprise : il y a bien longtemps que [celui-ci] plaide en faveur d’un “développement accéléré” de la production des biens de consommation, demande aux dirigeants de l’économie de prêter plus d’attention à la qualité et aux ingénieurs d’étudier ce qui se fait à l’étranger dans leur domaine.[...] Depuis plus de deux ans maintenant, M. Khrouchtchev proclame dans presque tous ses discours ce qu’il vient de répéter devant le présidium du Parti, à savoir que l’économie n’a de sens que si elle débouche en fin de compte sur la consommation et l’élévation du niveau de vie, et que les plans de développement − qu’ils soient annuels, quinquennaux ou septennaux − doivent tenir compte de cette exigence. A plusieurs reprises, il a dû critiquer en termes violents ceux que l’on appelle à 66 Moscou les “mangeurs de métal”, les fonctionnaires du plan et dirigeants des comités spécialisés qui ne voient l’économie qu’à travers les tonnes d’acier et les machines lourdes, comme au temps des premiers plans quinquennaux. A relire toutes ces diatribes, on recueille l’impression que la machine planificatrice est d’une telle lourdeur, les fonctionnaires chargés de la faire tourner d’une telle inertie, que toutes les adjurations d’un homme aussi haut placé que M. Khrouchtchev tombent dans un silence sans lendemain. Cet obstacle administratif [...] serait cependant surmontable, et somme toute secondaire, s’il ne s’y joignait un obstacle idéologique devant lequel, cette fois, M. Khrouchtchev doit s’incliner, ou tout au moins transiger. Le développement prioritaire des biens de production, principe traditionnellement schématisé par la division industrielle en “groupe A” (biens de production) et “groupe B” (biens de consommation), imprègne depuis quarante ans toute la génération actuelle des théoriciens de l’économie, des planificateurs et des “idéologues” du Parti. Inscrit à son programme et dans tous les textes de doctrine, il fait figure aujourd’hui encore de forteresse imprenable, telles que les aiment les propagandistes du Parti, épris de vérités “immuables” et facilement formulées. [...] La marge de liberté laissée dans ce domaine aux réformateurs est extrêmement réduite et [...] la cause n’en est pas seulement l’inertie naturelle de la machine bureaucratique. Certes, cette machine serait plus souple que ces conseils pourraient à la rigueur suffire, les notions de “développement accéléré des biens de consommation”, de “rapprochement des rythmes entre les deux groupes” étant par elles-mêmes assez explicites. Mais dans les structures actuelles de l’Union soviétique, il faut plus de radicalisme doctrinal, une modification profonde des directives et La consommation des slogans pour obtenir un changement très sensible dans les faits. L’expérience prouve que, pour le moment du moins, le conservatisme doctrinal empêche de franchir ce seuil». Michel Tatu, correspondant du Monde à Moscou «Une forteresse redoutable en URSS : la loi du développement prioritaire des biens de production» CPE, n° 15, 21 octobre 1964, pp. 4-6 ● Le «communisme du ventre» «Alors qu’il polémiquait avec les Chinois, N. Khrouchtchev se moquait des dirigeants de Pékin qui aspiraient, disait-il, à devenir le premier producteur mondial de crans de ceinture. Depuis longtemps, pour sa part, il opposait à cette conception spartiate une image riante du communisme. Nous proposons, affirmait-il en 1959, le marxisme avec du beurre dessus. Quelques mois avant sa destitution, alors qu’il visitait la Hongrie, il inventait une autre image : nous créons, proclamait-il, le «communisme du goulasch». Il est vrai que l’URSS se propose de passer du socialisme au communisme. Tel est le sens du programme adopté au XIIe Congrès [octobre 1961]. On sait que selon les théoriciens, le communisme, stade suprême de l’histoire, se caractérise par ceci : il n’y a pas de classes sociales, pas de différence fondamentale entre les travailleurs des villes et les travailleurs des campagnes. Enfin, l’abondance des biens permet de rétribuer chacun selon ses besoins. Au début de son règne, Nikita Khrouchtchev mettait l’accent sur les premières conditions du passage au communisme. Certaines réformes entreprises dans l’agriculture visaient à rendre les ruraux semblables aux ouvriers de l’industrie. Il y eut d’abord à cet égard le plan d’agrovilles, puis les expériences de rémunération par salaires d’un certain nombre de kolkhoziens. La réforme le courrier des pays de l’Est scolaire de 1958 était d’autre part justifiée par la nécessité de faire de chaque Soviétique à la fois un manuel et un intellectuel. Mais, notamment pour des raisons économiques, ces réformes n’eurent pas le succès attendu. Aussi le chef du gouvernement parla-t-il de plus en plus souvent de la dernière condition nécessaire au passage du socialisme au communisme, l’abondance des biens de consommation. Il pouvait de la sorte présenter un programme attrayant pour la population. Il cherchait aussi à éloigner de la tentation chinoise les autres communistes. Il ne fait aucun doute qu’en tenant ce langage, Nikita Khrouchtchev répondait au désir des populations. Les consommateurs lui reprochaient seulement de ne pas tenir ses promesses.» Article non signé «Contre le communisme du ventre» CPE, n° 31, 3 juin 1965, pp. 41-43 ● Points de vue de deux dirigeants soviétiques Le guide et le grand commis «La présentation du plan au XXVe congrès du Parti [mars 1976] a fourni l’occasion aux plus hauts dirigeants de l’URSS d’esquisser un jugement sur certains des «problèmes de société» auxquels se heurte le développement de l’économie soviétique. D’une façon qui surprendra peut-être, les vues émises sur la question par L. Brejnev apparaissent de loin plus pénétrantes que les déclarations, fort plates, de Alexis Kossyguine(2). C’est sur la question, cruciale, du rôle de la consommation dans l’équilibre économique et social de l’URSS que les positions prises par les deux dirigeants apparaissent les plus contrastées. 67 N° 1046 novembre-décembre 2004 Les déclarations du Premier secrétaire ne constituent pas, certes, sur ce point un modèle d’objectivité. C’est à lui, notamment, qu’est revenue la tâche malaisée d’affirmer que les IXe et Xe plans [1971-1975 et 1976-1980] “forment comme un tout” et que si certains éléments chiffrés du plan actuel paraissent démentir que le but ultime du Parti reste l’élévation du niveau de vie des Soviétiques, il ne s’agit là, en somme, que de subtilités tactiques. Il n’empêche que L. Brejnev s’est livré, à propos des conditions encore fort précaires de l’équilibre sur le marché des biens de consommation, à des réflexions véritablement intéressantes qu’on peut rassembler autour de trois thèmes. En divers points de son discours, le Premier secrétaire s’est interrogé sur le profit réel, pour le consommateur, des produits ou des revenus qu’il tire de l’activité économique de l’URSS. Ainsi a-t-il, après bien des économistes soviétiques et occidentaux, dénoncé l’engouement excessif du Plan pour les productions intermédiaires. “La production d’acier, dit-il à ce propos, augmente dans le pays d’année en année. Mais ce qu’il faut en fin de compte au consommateur, ce n’est pas de l’acier, mais les articles concrets qu’il permet de fabriquer”. De même, L. Brejnev s’est montré assez sceptique sur la portée véritable de certains chiffres d’offre de biens de consommation. L’URSS, rappelle-t-il, produit quelque 700 millions de paires de chaussures par an, soit près de trois paires par habitant : ce chiffre peut-il être considéré comme significatif lorsqu’on sait combien est médiocre la qualité de cette production ? ● Enfin et surtout, le dirigeant soviétique a avalisé les thèses occidentales dénonçant l’existence d’un déséquilibre entre revenus monétaires et produits offerts à la population, ainsi que l’effet 68 dépressif exercé par cette situation sur la productivité. “Il est clair, dit-il notamment, que la croissance des revenus monétaires ne signifie pas, à elle seule, que le niveau de vie s’élève en termes réels. A ce propos, le manque d’une série de marchandises et la restriction du volume des services diminuent les possibilités de stimulation matérielle du travail”. On ne peut pas ne pas remarquer que cette prise de position tranche nettement sur celle de M. Kossyguine. Celui-ci a cité des chiffres, d’ailleurs intéressants, d’augmentation des revenus monétaires de la population comme reflétant sans ambiguïté une élévation du niveau de vie ; en outre, sur les problèmes d’équilibre monétaire évoqués dans ce point, il a été le porte-parole des thèses défendues en URSS par la doctrine économique traditionnelle depuis près d’un demi-siècle : “la couverture réelle des revenus, affirme-t-il, est garantie par la stabilité des prix de détail des biens de consommation de base et par la baisse des prix de certains types de marchandises au fur et à mesure que se créent les conditions nécessaires et que s’accumulent les ressources en marchandises”. Et de poursuivre : “c’est là une des conquêtes de notre économie planifiée, qui est retranchée des influences de l’inflation saisissant tous les pays capitalistes”. Les causes des nombreuses failles de l’approvisionnement en biens de consommation et en services ont également retenu, quoique dans une moindre mesure, l’attention du Premier secrétaire. Il attribue cette situation à une sorte de mauvais pli pris par l’appareil de production soviétique. “Nous n’avons pas encore appris, alors que nous assurons des taux de croissance élevés à l’industrie lourde, à développer de la même manière le groupe B et la sphère des services”. Pourquoi ? Parce qu’on continue à considérer cela comme “secondaire et accessoire”. En outre, L. Brejnev a eu ● La consommation l’air de s’interroger à ce propos sur ce que font réellement les 40 millions de personnes travaillant pour le consommateur, parmi lesquelles, pourtant, on compte un million et demi de membres du Parti et trois millions de komsomols. Nul doute que l’accusation d’ “incurie et de laisser-aller” qu’il a lancée à la cantonade, s’adresse tout particulièrement à eux. Politiquement bien plus intéressant, cependant, apparaît son appréciation des implications sociales d’une situation de sous-consommation. A tous les responsables du développement économique soviétique, le Premier secrétaire a explicitement reproché de ne pas avoir compris que l’élévation du niveau de vie est “une affaire d’une énorme importance politique et économique”. Egalement sans ambages est son avertissement aux travailleurs du secteur de la consommation : “Camarades, c’est de vous, de votre travail que dépendent en grande partie et le bien-être et l’humeur des Soviétiques”. ● Ce ton assez alarmiste n’a pas semblé devoir être retenu par le président du Conseil des ministres. Dans une formule balancée, et de fait très en retrait de l’inspiration brejnevienne, il déclare en effet : “Les communistes ne sont pas des partisans de l’ascétisme, ni d’une limitation artificielle des besoins des gens .[…] Mais notre style de vie socialiste exclut le gaspillage, la dépense insensée de valeurs matérielles, de travail et d’énergie qui ont lieu dans les conditions du capitalisme”. A noter aussi que, presqu’aussitôt après, M. Kossyguine a adressé un vibrant hommage aux forces armées − “orgueil du peuple soviétique” − dont il promet de “se préoccuper comme par le passé” ; cette déclaration corrige en quelque sorte les inquiétudes qu’aurait éventuellement pu provoquer une précédente affirmation du président du Conseil et suivant laquelle la priorité le courrier des pays de l’Est maintenue dans le Xe plan en faveur de la consommation “témoigne de façon convaincante de la politique pacifique de notre Etat socialiste”.» Georges Sokoloff, Groupe d’études prospectives internationales (CFCE) «Les dirigeants soviétiques et le consommateur vers une prise de conscience des problèmes ?» CPE, n° 204, février 1977, pp. 3-11 Une réalité moins radieuse ● Vivre avec la crise à l’Est «Rares sont les enquêtes dans les pays de l’Est qui font état de la manière dont les ménages réagissent à la crise. Des enquêtes polonaises sur les dépenses des ménages montrent comment le consommateur touché par la crise va s’adapter pour vivre avec elle. I1 semblerait que les réflexes polonais soient du même type que ceux qu’on observe dans les économies de marché. […] Parmi les dépenses alimentaires, on observe des comportements particuliers pour certains produits touchés pourtant par des augmentations de prix importantes. L’augmentation du coût de la vie, combinée sans doute aux pénuries, se traduit par une baisse généralisée de la consommation réelle, d’abord alimentaire, ensuite de tous les autres produits à l’exception de l’alcool et du tabac. I1 y a d’abord une désaffection du consommateur pour les produits alimentaires élaborés (plats à emporter, conserves), puis pour la confection et la chaussure, les ménages vivant sur leurs réserves et recourant davantage aux cordonniers, alors que la consommation réelle de chaussures a baissé. Les derniers postes touchés sont ceux de l’électricité et du chauffage malgré la hausse des prix tout aussi forte que pour les autres catégories de produits. 69 N° 1046 novembre-décembre 2004 Pour l’alcool, le comportement du consommateur n’obéit pas à la même logique, traduisant une forme d’adaptation à la crise. L’année 1981 − année de Solidarité −, les consommateurs se sont moins portés en termes réels sur l’alcool et le tabac ; par contre ils ont consommé davantage de biens culturels. En 1982, bien que la vente d’alcool ait été réglementée par coupons, et que les prix aient très fortement augmenté, dans des proportions supérieures à la hausse de 1981, on assiste à une reprise des achats d’alcool en volume de 23 % par rapport à 1981, pour les ouvriers et employés. Comportement de crise ? En effet, comme le remarquent les enquêteurs, l’alcool devient un produit de substitution, mais surtout un moyen de paiement lorsque la monnaie officielle se déprécie. Toutes les personnes ayant droit à des coupons, les réalisent automatiquement, soit pour les boire, soit pour les revendre à d’autres catégories de la population, en spéculant sur le prix. [...] Ce que les enquêtes ont montré pour la Pologne, n’est pas contrôlable dans les autres pays. Pourtant on sait par des récits de voyageurs qu’en Roumanie, les cigarettes occidentales et le café, produits courants du marché noir, et véritables symboles faisant l’objet de sanctions moindres que d’autres produits de marché noir, sont devenus des monnaies d’échange. La cigarette Kent est l’étalon attestant que le leu perd de plus en plus de sa valeur interne ; ainsi, une trentaine de paquets de cigarettes Kent équivaut à un salaire moyen. Les seuls chiffres officiels de consommation alimentaire par habitant dont on dispose [pour 1a période 19801983] montrent une lente croissance de la consommation de viande, de lait ..., sauf pour la Pologne. Dans la littérature socioéconomique, les Hongrois et les Polonais sont les seuls à attester un processus d’appauvrissement qui témoi- 70 gnerait en fait que ces accroissements ne sont pas distribués de façon égale dans la population. Mais le phénomène de paupérisation se remarque de plus en plus. Même en Tchécoslovaquie, des enquêtes officieuses attestent le nombre croissant de personnes économiquement faibles : alors qu’en 1975 elles représentaient autour de 5 %, actuellement leur nombre aurait doublé. En Roumanie également, les témoignages s’accordent sur ce point. Ainsi, un économiste polonais s’étant rendu dans les Balkans dira : “Le pays traverse actuellement une grave crise économique perceptible à l’oeil nu. En visitant avant la tombée de la nuit les abords de la gare centrale, j’ai constaté qu’il y a un nombre considérable de gens qui vivent dans la rue. De la fenêtre de la voiture, j’ai vu des clochards fouillant dans les poubelles. J’ai vu des signes évidents de pauvreté dans les vêtements et sur les visages”. L’épargne constitue un autre champ d’observation. […] Si on rapporte la masse épargnée par habitant au salaire nominal moyen, on distingue deux comportements chez les épargnants. Le premier est tout à fait classique des économies socialistes. Les gens semblent épargner davantage : le rapport a tendance à croître parce qu’il y a pénurie de biens durables sur le marché et/ou parce qu’on économise pour une dépense importante. [...] [Le deuxième cas est illustré par la] Pologne [où], dès que l’inflation a pris des proportions importantes, elle a entraîné une perte de confiance dans le gouvernement et la crainte d’une réforme monétaire. Les épargnants ont transformé alors leur épargne de long terme en épargne disponible à tout moment : celle des bas de laine. Dans la situation de crise actuelle, le champ d’activité de l’économie parallèle a tendance à s’étendre par la prolifération de comportements non contrôlés regroupés dans le langage officiel sous La consommation les termes de crimes économiques, de spéculation et de corruption. Depuis quelques années, des analyses de plus en plus structurées, y compris à l’Est, essaient de préciser la place de l’économie parallèle dans les pays socialistes. De toute évidence, il n’y a pas unanimité sur sa nature. Pour les uns, l’économie parallèle s’est développée pour combler les défaillances de l’économie planifiée et en cela elle contribue positivement à la réalisation des plans. Pour d’autres, elle reste une perversion mal tolérée et reflète surtout l’impossibilité de résoudre la contradiction entre le plan et le marché dans tous les projets de réforme.» le courrier des pays de l’Est compris dans le loyer ; quant aux achats de carburants, ils sont peu importants vu le faible niveau de motorisation. La qualité du régime alimentaire s’est très nettement améliorée [depuis le milieu des années 1960], les produits les plus évolués (et notamment les produits de l’élevage) prennent de plus en plus d’importance au détriment des aliments de base. [...] ● La quantité ne remplace pas la qualité La composition de l’alimentation en URSS accuse des différences importantes en fonction des revenus, mais aussi du fait de la mosaïque des nationalités, en fonction des traditions culturelles. I1 faut noter aussi que, paradoxalement, la consommation de “denrées nobles” (produits de l’élevage, fruits et légumes) est plus faible à la campagne qu’à la ville : l’augmentation de la demande de ces produits incite, en effet, les kolkhoziens à les vendre au marché plutôt qu’à les utiliser pour leurs propres besoins. «La comparaison des dépenses de consommation d’un ménage soviétique et d’un ménage français doit être analysée avec circonspection. Certes, les dépenses alimentaires en URSS sont deux fois plus élevées que celles d’un consommateur français. En outre, ce poste exclut, dans les statistiques soviétiques, la consommation de boissons alcoolisées(3) qui forme une partie de la rubrique “divers” ; or, les achats de boissons alcoolisées représentent une part importante des budgets soviétiques : 15 % des dépenses totales de la population dans les magasins d’Etat et coopératifs en 1972. Cependant, l’importance de l’alimentation dans le budget d’un ménage soviétique s’explique en grande partie par la faiblesse des dépenses de services. Par ailleurs, les dépenses d’énergie constituent une charge très modeste pour le consommateur soviétique : les frais de chauffage très bas (1,24 rouble par mois pour un 3 pièces à Moscou) sont La consommation de produits industriels (articles d’habillement, biens durables et semi-durables) a également progressé de façon très tangible [...], mais les améliorations ont été essentiellement quantitatives. Les produits proposés au consommateur restent, pour la plupart, de qualité médiocre, d’une conception périmée et manquent de variété. Or, les achats des consommateurs soviétiques sont devenus plus sélectifs et tout particulièrement dans les villes où s’exercent avec de plus en plus de force les effets attractifs des sociétés de consommation occidentales. L’industrie soviétique ne parvenant pas, pour diverses raisons, à s’adapter aux goûts des consommateurs, certains biens sont produits en quantités très insuffisantes pour la demande potentielle, tandis que d’autres, dédaignés par le consommateur, s’accumulent dans les entrepôts des magasins. En outre, l’inefficacité des réseaux de distribution officiels est telle qu’un même Georges Mink, CNRS, Anita Tiraspolsky, Le courrier des Pays de l’Est «A l’Est : gérer la crise, vivre avec la crise» CPE, n° 301, décembre 1985, pp. 4-29 71 N° 1046 novembre-décembre 2004 produit peut être introuvable et très recherché dans un endroit donné, alors qu’ailleurs, l’offre qui en est faite, dépasse très largement la demande. Le marché noir, en permettant aux individus de se redistribuer les biens en fonction de leurs besoins, a donc incontestablement un effet correcteur. Cependant, la particularité du marché noir soviétique tient au fait que tout consommateur y est partie prenante et y joue un double rôle : il y acquiert ce qu’il n’a pu obtenir par la voie normale (des vêtements et des articles courants de fabrication occidentale qui bénéficient d’un prestige inattaquable, mais aussi des biens de marque soviétique), mais il devient aussi occasionnellement fournisseur du marché parallèle. Le taux d’équipement des ménages en appareils électroménagers n’est pas très éloigné des chiffres occidentaux, et les progrès réalisés [depuis le milieu des années 1960] ont été considérables ; ceux-ci s’expliquent d’ailleurs en très grande partie par l’amélioration des conditions de logement : l’acquisition d’appareils ménagers n’est, en effet, envisagée qu’à partir du moment où la famille dispose d’un appartement individuel et non plus communautaire. [...] [Mais] la qualité des appareils (machines à laver à essoreuse manuelle, réfrigérateurs de faible capacité et sans compartiment à très basse température, etc.) est généralement médiocre. Par ailleurs, les différences entre la ville et la campagne sont encore très sensibles en ce qui concerne la possession d’appareils aussi courants que les réfrigérateurs, les machines à laver le linge, etc. Le cas de l’automobile est plus spécifique. La voiture particulière est certainement le bien qui, actuellement, exerce le plus d’attrait sur le consommateur soviétique. L’équipement de la population connaît depuis ces dernières années une progression spectaculaire : 72 le nombre de voitures particulières pour 1 000 habitants doit tripler de 1972 à 1980 et quadrupler entre 1980 et 2000, mais il faut noter que ces taux de croissance élevés sont principalement le fait du très faible niveau de départ (8,1 voitures pour 1 000 habitants en 1972). Au début de 1979, on pouvait estimer le parc privé à 6 millions environ, ce qui représentait 23 voitures pour 1 000 habitants ; en 2000, le taux devrait être de 100 voitures pour 1 000 habitants. Cependant, l’automobile est encore, en URSS, un bien dont l’accès est restreint(4) en raison de son prix très élevé. L’achat d’une voiture demande, en effet, un gros effort financier, d’autant plus que les ventes à crédit ne sont pas admises, comme c’est le cas pour tout produit dont la demande excède largement l’offre. En outre, et quel que soit le modèle souhaité, l’acquéreur devra généralement patienter deux ans avant de prendre livraison de son véhicule, les listes d’attente étant toujours très chargées. La part du budget familial consacrée, en URSS, aux services payants, est très peu importante surtout comparativement au budget d’un ménage occidental où les services forment le plus gros poste de dépenses. Ces différences s’expliquent par plusieurs raisons : importance des prestations gratuites (éducation, santé), bas niveau des loyers(5) et des prix d’un grand nombre de services publics (comme les transports en commun par exemple), mais aussi faiblesse du réseau des services, particulièrement flagrante dans les zones rurales(6), comme en témoigne la proportion minime de ce poste dans les dépenses monétaires d’une famille kolkhozienne (3,5 %).» Centre d’études et de documentation sur l’URSS, la Chine et l’Europe de l’Est de la Documentation française Panorama de l’URSS CPE, n° 226-227, 1980 (2e édition mise à jour) pp. 220-225 La consommation Vive le système D ! ● Comment faire face aux pénuries ? «Le fait le plus marquant de 1989 aura été l’approfondissement du déséquilibre monétaire perçu par l’opinion publique sous sa manifestation la plus visible, l’aggravation des pénuries qui, par leur étendue, rappellent aux plus âgés des Soviétiques la période de la collectivisation ou celle de la guerre. [...] Le rationnement administratif a donc gagné en extension ; le Comité d’Etat aux statistiques note ainsi que sur les 445 villes tenues sous observation, 20 avaient rétabli le système des tickets pour la vente de la viande (1 à 2 kilos par tête et par mois), du beurre (400 à 500 grammes), du thé (100 grammes). En se développant, le système du rationnement s’est diversifié et il présente aujourd’hui près de vingt modalités distinctes : tickets, vente aux seuls résidents sur présentation d’un justificatif de domicile (cette pratique est notamment employée dans les républiques baltes, en Biélorussie, à Leningrad) ou à certaines catégories de population, (anciens combattants, familles nombreuses, jeunes mariés, diabétiques), attribution de produits rares à ceux qui collectent pour l’Etat vieux papiers ou autres déchets, y compris les os de bovins dont la récupération donne droit à des biens de marque étrangère ; certains articles, durables surtout, ne peuvent être acquis que sur commande et moyennant une attente assez longue ; enfin, un nombre croissant de produits, alimentaires ou non, ne sont accessibles que par l’intermédiaire de l’entreprise-employeur : rien qu’à Moscou, cette forme de commerce bien particulière a multiplié son chiffre d’affaires par deux et demi en 1989. Or la vente sur les lieux de travail, qui existe depuis de nombreuses années, le courrier des pays de l’Est introduit un mode de répartition relativement inégalitaire : d’une part, ceux qui n’ont pas d’activité salariée en sont exclus ; d’autre part, cette pratique n’est pas autorisée dans la plupart des établissements budgétisés (écoles, hôpitaux, jardins d’enfants, etc.) ; enfin et surtout, l’approvisionnement est très variable selon la taille de l’entreprise, sa localisation et son appartenance sectorielle. [...] L’afflux des consommateurs sur les marchés kolkhoziens y a provoqué, selon les données officielles, une hausse moyenne des prix de 7 % (6 % sur la viande, 8 % sur les pommes de terre, 10 % sur les légumes, 5 % sur les fruits). Et, comme cela se conçoit, l’activité du marché noir s’est grandement intensifiée ; manifestement, celui-ci est en partie approvisionné par des marchandises destinées aux magasins d’Etat, détournées dans le but de réaliser des profits spéculatifs ou dans celui, plus machiavélique, d’attiser le mécontentement populaire contre la politique du gouvernement. Quel que soit l’objectif poursuivi, c’est d’ailleurs bien là le résultat obtenu, d’autant que les prix pratiqués sur les marchés libres, de deux à trois fois supérieurs à ceux fixés par l’Etat, sont hors de portée pour toute une partie de la population [...]. Ces détournements, pour réels qu’ils soient, ne sauraient cependant expliquer à eux seuls la montée des pénuries. Plus décisive, au contraire, a sans doute été la “fuite devant le rouble”. Selon les résultats d’une enquête, 90 % des personnes interrogées ont reconnu avoir acheté en 1989 des produits dont elles n’avaient pas un usage immédiat, ce chiffre s’établissant à 25 % pour 1988. Preuve en est la bataille menée dans le domaine de l’approvisionnement en savon et en lessive et qui a été perdue : la production a été augmentée de 10 %, les importations multipliées par dix, les livraisons au commerce accrues de 45 %, mais ces produits 73 N° 1046 novembre-décembre 2004 sont toujours au nombre des “introuvables” dans les magasins d’Etat ; en revanche, il n’est pas rare qu’une famille détienne des stocks équivalant à la consommation courante de six à huit mois. La dévalorisation de la monnaie s’est également traduite par un phénomène caractéristique des périodes de crise : des achats massifs d’or, de bijoux et d’objets précieux qui ont augmenté de 50 % en 1989, contre 24 % en 1988 et 7,5 % en 1986-1987. Pour tenter de calmer cette fièvre, mais sous le prétexte qu’avec la dévaluation du rouble touristique, acheter de l’or soviétique était devenu une aubaine pour les touristes étrangers, le gouvernement a procédé début janvier 1990 à un relèvement global des prix des articles précieux de 50 %, cette hausse ne permettant cependant pas de rattraper les cours du marché noir, de 75 à 100 % supérieurs aux anciens tarifs d’Etat. [...] L’aggravation des pénuries est de plus en plus mal vécue par la population. Elle fut à l’origine des émeutes qui ont éclaté en mai et juin 1989 en Turkménie et au Kazakhstan, contribua à exacerber les tensions entre ethnies différentes rassemblées sur un même territoire, constitua l’un des points, et non le moindre, du cahier des doléances présenté en juillet par les «gueules noires» en grève(7), motiva bien d’autres arrêts de travail et manifestations, comme à Sverdlovsk (Oural) où les consommateurs indignés de ne pouvoir, à l’occasion des fêtes de fin d’année, se ravitailler, y compris en alcool, un peu mieux que de coutume, firent le siège des autorités locales. Or, il va de soi que cette exaspération croissante de la population constitue une arme redoutable contre la politique du gouvernement ; les forces d’opposition, les syndicats officiels en premier lieu, n’hésitent d’ailleurs à la brandir et la partie leur est d’autant plus facile que le pouvoir mis en place en 1985 s’est montré 74 jusqu’ici incapable de réformer le système économique.» Marie-Agnès Crosnier, Le courrier des pays de l’Est «Désarroi et crise d’autorité en URSS» CPE, n° 349, avril 1990, pp. 3-54 ● L’internationalisation du marché noir «Le phénomène des “voyages-négoces”(8) ou du “tourisme alimentaire” à l’intérieur de l’Europe de l’Est n’est pas nouveau. […] Voici un échantillon de ce que les touristes cherchent à obtenir dans le pays voisin lors d’une excursion. Les Polonais en Tchécoslovaquie : des produits alimentaires en général et notamment le café, le cacao, les laitages et les fruits ; viennent ensuite les biens de consommation divers tels que l’électroménager, l’outillage, les outils de jardinage, les pièces détachées pour automobiles et motocycles, l’électronique ainsi que les vêtements pour enfants, chaussures, jeans et d’autres produits comme les serviettes périodiques, le papier toilette et le dentifrice, enfin des bijoux. Les Tchèques et les Slovaques en RDA : des chaussures, des produits alimentaires, en particulier le sucre et les épices, des vêtements d’enfants, des voitures et pièces détachées, des téléviseurs, des radios et des produits chimiques divers. Les Polonais en URSS : des biens de consommation durables, téléviseurs, réfrigérateurs, machines à laver, produits alimentaires, en particulier le café et le caviar, et enfin de l’or et des bijoux. Les Soviétiques en Hongrie : du savon et du dentifrice, des vêtements notamment pour le sport, de l’alcool, de la margarine et des déodorants. La consommation Les Hongrois en URSS : de l’essence et des matériaux de construction. En Pologne, on peut se procurer : des produits alimentaires, dont de la vodka, et des vêtements de cuir. […] le courrier des pays de l’Est d’Occident par les centrales de commerce extérieur tchécoslovaques, une seule reste à la disposition des nationaux. […] La «Perspective Nevski» de Bialystock Prague, une ville convoitée Selon l’hebdomadaire soviétique Argumenty i Fakty, “les monuments historiques n’intéressent pas beaucoup nos concitoyens. Il n’est pas difficile de les repérer parmi la foule bruyante et polyglotte qui emplit les rues et places de Prague. Des tapis roulés, d’innombrables paquets et boîtes permettent, sans se tromper, de déterminer leur pays d’origine. Oui, ce sont eux qui, ayant changé entre 500 et 1 300 roubles par personne et caché dans un endroit discret quelques centaines de roubles pour le change “au noir”, prennent d’assaut les magasins praguois, autrefois si tranquilles, et poussent les vendeurs à bout, comme ils ont l’habitude de le faire chez eux”. Avant la réglementation du 15 novembre 1988, les Soviétiques achetaient aussi notamment des voitures “Volga” déclassées qui n’intéressaient pas les Tchèques en raison de leur trop grande dimension et de leur forte consommation d’essence. Ces Volga encombraient les magasins de vente d’occasion (Autobazar) avant d’être presque toutes rachetées, le temps d’un semestre, 40 à 60 % plus cher que le prix officiellement indiqué, soit autour de 30 000 couronnes tchécoslovaques (près de 3 000 roubles au taux officiel). Selon le responsable de la direction des Douanes du ministère du Commerce extérieur, 6 500 Volga ont ainsi quitté le pays. Ajoutons que, vu la situation du marché des voitures d’occasion en URSS, 3 000 roubles est un prix avantageux. En une seule année, les achats des Soviétiques en Tchécoslovaquie ont augmenté de 60 %. Par exemple, sur quatre paires de chaussures importées L’activité des Polonais ne se limite pas à leurs voisins du Sud. Elle est encore bien plus intense à la frontière avec l’URSS. A Bialystock, le marché fonctionne tous les jours, même l’hiver, et connaît sa plus forte activité le jeudi quand arrivent les vendeurs de toute la Pologne. Sur un hectare, ils sont entre 5 000 et 6 000 et à peu près autant d’acheteurs. Au marché de Bialystock on vend de tout, il est même possible de se faire établir une invitation pour un séjour à l’étranger et de la faire légaliser par un notaire. Mais l’attraction de ce marché, c’est une allée de 300 mètres, la “Perspective Nevski”. Là, une foule, où se mêlent Polonais, Soviétiques et parfois des étudiants vietnamiens, se livre au commerce de produits dont la provenance est approximativement la suivante : pour 60 % de l’URSS, pour 30 % de Turquie et de Thaïlande, Hong-Kong, Singapour, les 10 % restants étant des produits polonais. Le commerce le plus actif, en toutes saisons, porte sur les téléviseurs de marque soviétique que les Polonais achètent sans discuter 350 000 à 400 000 zlotys, soit 700 à 800 roubles, pour les revendre ensuite 480 000 à 520 000 zlotys, soit 960 à 1 040 roubles. Cette intense activité commerciale a eu pour effet de “nettoyer” toute la Lituanie et la Biélorussie, où il est devenu pratiquement impossible de trouver un seul téléviseur à 1 000 kilomètres de la frontière. Pour s’en procurer, il faut se déplacer jusqu’à l’Oural ou la mer Noire. Tous les jours, quatorze trains en provenance d’URSS passent par Bialystock, bourrés d’électronique et d’électroménager de marque soviétique. […] 75 N° 1046 novembre-décembre 2004 Depuis le début des années 1980, les Polonais se sont d’abord plaints des Yougoslaves, puis ces derniers des Hongrois, qui à leur tour se sont dit “envahis” par les Tchèques et les Slovaques. Et puis, de concert, tous se sont retournés contre les Polonais, de loin les plus actifs et les plus habiles dans la conversion des monnaies. Selon des estimations tchécoslovaques, près de 50 % des devises occidentales en circulation en dehors du circuit étatique, sont “exportées” par des personnes privées vers l’étranger (sans que soit précisée la distinction habituelle entre pays socialistes et capitalistes). Une fois les devises dépensées en Hongrie, Pologne, Yougoslavie ou Autriche, le cycle peut recommencer.» Jaroslav Blaha, Le courrier des pays de l’Est «Vers un marché noir unique à l’Est. L’essor du tourisme de shopping» CPE, n° 342, août-septembre 1989, pp. 40-48 Après la chute du mur ● Un niveau de vie en baisse «La dépression de l’activité économique a des conséquences néfastes sur la situation sociale de la majorité de la population, directement en réduisant les revenus réels et les niveaux de la consommation, et indirectement en entraînant une forte contraction des budgets privés et publics consacrés aux dépenses sociales (retraites, santé, enseignement, etc.). La spirale inflationniste concomitante à la libéralisation des prix est à l’origine d’une brutale diminution des revenus réels et des patrimoines de nombreux groupes sociaux [comme les]: retraités, [les] salariés des administrations et des entreprises d’Etat. [...] L’inflation ouverte a débuté tôt (en 1987 et 1988) en Pologne, où les prix ont été multipliés par 100 depuis 1987. 76 Elle a commencé en 1989-1990 dans les autres pays, et seulement en 1992 en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques avec le début des politiques de libéralisation des prix. Les taux d’inflation restent relativement modérés en Hongrie et dans les Républiques tchèque et slovaque, où le niveau général des prix n’est que de deux à trois fois supérieur à celui de 1987. L’inflation est beaucoup plus rapide en Roumanie, en Bulgarie et en Albanie où les prix ont été multipliés par 10 ou 20 ; quant à la Russie, elle connaît depuis le début de 1992 une inflation galopante. [...] La hausse du chômage engendre la dégradation des conditions de vie de nombreux salariés et de leurs familles, notamment dans les régions où la majorité des travailleurs étaient employés dans de grands complexes industriels ou dans des activités agricoles qui n’ont aucune chance de subsister dans le cadre d’économies ouvertes à la concurrence internationale, compte tenu de leurs techniques et de leurs modes d’organisation dépassées. Les taux de chômage (officiellement négligeables jusqu’en 1990) varient aujourd’hui autour de 10 à 15 % en Europe centrale (les chiffres sont bien entendu plus élevés dans l’ex-Yougoslavie). Ils devraient atteindre en 1993 16 à 18 % en Pologne et en Hongrie. Dans l’ex-Union soviétique, où la libéralisation a commencé plus tardivement, ces taux sont actuellement nettement plus faibles, mais ils pourraient grimper en flèche dans les années à venir. [...] Les niveaux maximum de revenu national annuel atteints en 1989-1990, évalués sur la base de taux de change à parité de pouvoir d’achat (PPA), étaient de l’ordre de 5 300 dollars par habitant en Europe centrale et orientale et de 6 700 dollars par habitant dans la La consommation partie européenne de l’ex-Union soviétique. En comparaison, le PIB moyen par tête était en 1990 de 17 000 dollars (PPA) en moyenne dans les pays de l’OCDE, de 21 000 dollars environ aux Etats-Unis et de 16 000 dollars dans la Communauté européenne. Depuis 1989, on enregistre une forte chute des revenus nationaux dans les pays de l’Est, la baisse [étant] plus marquée dans les ex-républiques soviétiques qu’en Europe centrale et orientale. Selon des calculs effectués à partir des estimations du PlanEcon Institute, le PIB moyen par tête serait en 1993 à peu près identique dans ces deux régions (4 200 dollars environ). En moyenne, le revenu national moyen réel par tête a baissé par rapport aux maximums atteints à la fin des années 1980, de 20 à 25 % en Europe centrale et orientale et de près de 40 % dans l’ex-Union soviétique. [...] La baisse du niveau de vie observée depuis 1989 reflète en grande partie les évolutions divergentes du PIB dans les différents pays. Les plus touchés sont l’Albanie − avec une chute du PIB par tête et de la consommation de 50 % − et la Roumanie (près de 40 %), suivies de la Bulgarie (avec une baisse du PIB par tête, des salaires réels et de la consommation de 30 %). Les populations d’Europe centrale sont relativement mieux loties : la baisse des indicateurs de niveau de vie est limitée à 15-20 % en Hongrie et dans les Républiques tchèque et slovaque, et à 10 % au plus en Pologne. ● Production et consommation, des évolutions dissemblables Il est intéressant de noter que la baisse de la consommation totale n’a pas, dans tous les pays, suivi celle de l’activité économique de la même manière. Selon les données disponibles, la baisse de ces deux indicateurs a été de le courrier des pays de l’Est la même amplitude en Albanie, en Roumanie et en Bulgarie. La contraction de la consommation a, au contraire, été sensiblement plus réduite que celle du PIB en Europe centrale, et notamment en Pologne et en Hongrie. Ceci peut notamment s’expliquer par le développement du secteur privé. Il en va de même des salaires réels (exprimés en dollars constants à parité de pouvoir d’achat), dont la diminution a suivi étroitement celle du PIB en Bulgarie et en Roumanie, mais a été beaucoup plus faible en Hongrie (- 12 %) et en Tchécoslovaquie (- 15 %) ; quant aux salaires réels polonais, ils sont aujourd’hui supérieurs de 5 à 10 % à leur niveau de 1989. Ces divergences sont sans doute liées, au moins en partie, à des différences de comportements collectifs face à la dégradation des conditions de vie, et aux différences des politiques mises en oeuvre par les pouvoirs publics. [...] Dans l’ensemble de l’ex-URSS, les revenus réels et les niveaux de vie ont baissé de 40 % environ par rapport aux niveaux atteints en 1990-1991. Il est cependant difficile de dire dans quelle mesure les statistiques officielles reflètent les conditions de vie réelles dans le contexte actuel caractérisé par la croissance du secteur privé et le développement de la production et de la consommation informelle. ● Le creusement des inégalités La répartition des revenus dans les systèmes communistes était notoirement plus égalitaire que dans la plupart des économies occidentales. Contrairement à une opinion répandue, la part des dépenses sociales dans le total des revenus réels était, en moyenne, sensiblement plus faible dans les pays de l’Est que dans les pays de l’OCDE. De récentes études réalisées en Hongrie et en Pologne ont montré que 77 N° 1046 novembre-décembre 2004 les structures des salaires et des revenus ont commencé à se modifier sous l’effet de la libéralisation économique et des changements politiques, ainsi que de la dépression économique et de l’inflation. L’évolution la plus généralement observée se traduit par une progression des revenus réels pour une minorité de gens sachant et pouvant profiter des nouvelles libertés économiques et politiques, tandis que la situation de la majorité de la population se dégrade très rapidement. […] Les gagnants d’une telle évolution sont les nouveaux entrepreneurs, parfois issus des anciennes nomenklaturas communistes, les jeunes ayant effectué des études supérieures, les habitants des grandes villes... […] Une minorité de salariés a rejoint le secteur privé en plein essor dans les grandes villes, particulièrement dans le commerce et les services. Ceux-ci ont connu une rapide progression de leurs revenus. Les ouvriers et employés qui ne pouvaient se prévaloir que d’un faible niveau de qualification et d’études, et qui étaient restés dans le secteur d’Etat, ont vu leurs revenus réels et leurs conditions de vie baisser lorsqu’ils ont perdu divers revenus en nature ainsi qu’une partie du pouvoir d’achat dont ils bénéficiaient sous le régime communiste. Les agriculteurs et leur famille ont été les grands perdants : leurs revenus réels ont chuté de 45 % en 1990 et 1991, en liaison avec le transfert de la distribution des produits alimentaires au secteur privé et la suppression des subventions. La situation des retraités a été bien meilleure car le montant des retraites en termes réels a augmenté en 1990 et 1991 ; la part des retraités dans les trois déciles inférieurs est ainsi passée de 50 % en 1989 à 26 % en 1991. […] Le groupe le plus défavorisé est celui des ménages frappés par le chômage (seulement 5 % de la population active de Varsovie en 1992, mais plus de 17 % dans le nord-est du pays). Le chômage de longue durée a déjà commencé à croître à une vitesse alarmante, touchant un grand nombre de jeunes et de femmes qui ne possèdent qu’un faible niveau d’études et de qualification, particulièrement dans les régions agricoles. […] Suite à la baisse des revenus réels moyens et à l’étirement vers le bas de la répartition des revenus, de nouvelles formes de pauvreté ont commencé à se développer très rapidement dans tous les pays d’Europe centrale et orientale, ainsi que dans l’ex-Union soviétique.» Michel Gaspard, Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) «Revenus et niveaux de vie en Europe centrale et orientale et en ex-URSS» CPE, n° 383, octobre 1993, pp. 4-13 Notes : (1) Ndlr - L’article de Michel Tatu a été écrit avant l’événement. (2) Ndlr - Léonid Brejnev était alors Premier secrétaire du Parti et Alexis Kossyguine Premier ministre. Ce dernier, qui avait occupé plusieurs postes de responsabilité dans le domaine économique (dont celui de président du Gosplan) était alors considéré en Occident comme un réformateur. (3) La consommation d’alcool pur par habitant était de 6,3 litres en 1975. I1 est vrai que la même année, elle était de 17 litres en France. Mais les Soviétiques boivent essentiellement de la vodka vendue à un prix relativement élevé (4 roubles la bouteille de 50 cl). I1 faut noter, par ailleurs, que ce chiffre n’inclut pas la consommation d’alcool fabriqué de façon artisanale (samogon, braga) et qui, selon certaines estimations, s’élèverait à 2 litres d’alcool pur par personne et par an. 78 La consommation le courrier des pays de l’Est (4) Les achats d’automobiles ne représentent que 2 % environ de tous les achats de biens durables. (5) Rappelons que les loyers, en URSS, sont parmi les plus bas du monde et qu’ils ont été maintenus stables depuis 1928. (6) A titre d’exemple, en 1970, la moitié des enfants des villes fréquentaient les établissements préscolaires contre seulement 30 % dans les zones rurales. (7) Ndlr - Cette grève, très largement suivie, a touché l’ensemble des bassins houillers de l’URSS. Se limitant au début à des revendications économiques, elle prit rapidement un caractère politique de protestation contre le totalitarisme et fut largement soutenue par l’ensemble de la population. (8) Ce type de tourisme est désigné, dans la presse est-européenne, sous des dénominations diverses : excursion, excursion à caractère commercial en Pologne ; pseudo-tourisme, tourisme spéculatif en Tchécoslovaquie ; on parle des «invités» et d’exportations touristiques traditionnelles dans la presse soviétique, en ce qui concerne la Hongrie et la Tchécoslovaquie. Le terme «touristbusinessman» apparaît de temps à autre. De manière générale, l’expression utilisée reflète la manière différenciée dont chaque pays appréhende la situation. Pour plus d’informations lire dans Le courrier des pays de l’Est Article non signé, «Le problème des services pour la population en URSS», n° 102, 1er mai 1968, pp. 17-36. Article non signé, «Evolution des besoins en biens de consommation de l’Union soviétique», n° 114, février 1969, pp. 75-84. Chantal Beaucourt, «Niveaux de vie dans les différentes républiques de l’Union soviétique», n° 117, mai 1969, pp. 43-60. Wilhelm Jampel, «Bilan comparé et perspectives de la consommation en Europe de l’Est», n° 206, avril 1977, pp. 3-18. Marie-Agnès Crosnier, «L’amélioration du niveau de vie en URSS dans le XIe quinquennat (1981-1985), un pari difficile à tenir», n° 250, avril 1981, pp. 80-90. Marie-Agnès Crosnier, Georges Mink, «Le face-à-face pouvoir-consommateur en URSS et en Pologne», n° 256, novembre 1981, pp. 3-32. Michel Tompa, «La consommation en Hongrie», n° 261, avril 1982, pp. 50-67. Vassil Vassilev, «Politique des revenus et dynamique de l’économie parallèle en Bulgarie», n° 279, décembre 1983, pp. 23-36. Michèle Kahn, «Le programme des biens de consommation non alimentaires et des services à l’horizon 2000 : un espoir pour le consommateur soviétique ?», n° 317, avril 1987, pp. 2735. Marie-Agnès Crosnier, «Indigence du secteur tertiaire en URSS», n° 326, février 1988, pp. 3-22. Marie-Agnès Crosnier, «Ombres et lumières sur le niveau de vie en Russie», n° 383, octobre 1993, pp. 15-26. Artur Borzeda, «Coups de projecteur sur la consommation des ménages en Europe de l’Est et de l’Ouest», n° 444, novembre 1999, pp. 18-31. 79 N° 1046 novembre-décembre 2004 L’emploi Du droit au travail pour tous à l’explosion du chômage Un des principaux sujets de satisfaction des dirigeants communistes était d’avoir aboli le chômage, fléau des économies de marché. Effectivement, en dépit de l’existence d’un sous-emploi assez important, on peut affirmer que tous les citoyens en âge de travailler avaient une activité professionnelle. Celle-ci correspondait-elle à leur qualification et à leurs souhaits, c’est là un autre problème, qui ne laissait pas de se poser. En URSS, où le système était particulièrement rigide, les jeunes diplômés se voyaient ainsi souvent nommés, à l’issue de leurs études, dans des régions reculées, au climat inhospitalier et en outre sans espoir de retour s’ils étaient originaires de grandes villes, puisqu’ils n’avaient pratiquement pas la possibilité d’être réintégrés sur les listes de résidents où tout un chacun devait être enregistré. Faut-il alors s’étonner du nombre d’ingénieurs acceptant de s’embaucher comme ouvriers dans une usine de la partie européenne du pays, ou de celui des jeunes qui concluaient des mariages blancs dans le seul but de ne pas «s’exiler» ? Un des principaux dysfonctionnements engendrés par la politique de l’emploi mise en place dans les pays à économie centralement planifiée est l’instabilité de la main-d’œuvre à laquelle contribuait également la supériorité de l’offre d’emplois sur la demande. Une des préoccupations essentielles des responsables dans ce domaine a donc été de trouver des solutions permettant de 80 maintenir dans les entreprises les salariés les mieux formés et les plus dynamiques. Autre souci des dirigeants, l’épuisement progressif des «réservoirs» de maind’œuvre constitués par la population rurale et les femmes au foyer. Même si dans des pays comme la Bulgarie ou la Roumanie, le problème se posait de façon moins aiguë. Par ailleurs, les mesures visant à améliorer la productivité du travail, en l’absence de véritables incitations matérielles et d’un marché de la consommation digne de ce nom, se sont avérées peu efficaces. Ce système allait devoir se confronter à l’ouverture sur l’extérieur, à la liquidation de la planification centralisée de la maind’œuvre et à l’apparition d’un secteur privé. Les conséquences en ont été différentes selon les pays. Dans ceux où la libéralisation a été radicale, notamment dans certains pays d’Europe centrale et orientale, on a assisté à l’apparition d’un chômage de masse, au développement des emplois précaires et du travail au noir, ainsi qu’à l’émigration, l’expansion du secteur privé, en particulier dans le tertiaire ne suffisant bien souvent pas à satisfaire la demande d’emplois. La situation varie bien évidemment selon le niveau économique qu’avaient atteint les pays et leur degré d’avancement dans les réformes à la veille de la chute du mur, même si tous ont connu une forte baisse de l’activité économique. La Russie, pour sa part, a adopté une politique visant à freiner l’apparition d’un chômage de L’emploi masse. C’est ainsi qu’en dépit de la réduction drastique de la production dans de nombreux secteurs, en particulier dans l’industrie lourde, on a maintenu artificiellement la main-d’œuvre dans toute une série d’entreprises, afin d’éviter une explosion sociale. Par ailleurs, le secteur privé, qui était totalement absent ou presque avant l’éclatement de l’URSS, connaît un dynamisme certain, en particulier dans le secteur tertiaire, créant de nombreux emplois, dont une grande partie, il est vrai, n’est pas déclarée. Les chiffres officiels du chômage sont en outre fortement minimisés, les personnes privées d’emploi n’étant pas particulièrement incitées à s’inscrire dans les agences, étant donné le faible niveau des indemnités. Les dysfonctionnements de la politique de l’emploi ● Une première tentative de réguler le marché du travail «Depuis l’arrivée au pouvoir de Nikita Khrouchtchev, [à la suite de la libéralisation du régime du travail], les chefs d’entreprises soviétiques se plaignent de l’instabilité de la main-d’œuvre. [...] Une solution partielle est certes apportée par la réforme économique, qui permet d’attacher à l’entreprise la partie la plus dynamique du personnel en indexant les salaires sur la productivité, la qualité des marchandises livrées et le profit réalisé par l’établissement. Toutefois, le problème est loin d’être résolu dans son ensemble. [...] Les répercussions de la réforme économique sur l’emploi En effet, la réforme, irréalisable sans une modernisation poussée des équipements, crée de nouvelles difficultés le courrier des pays de l’Est en [...] “libérant” une partie de la masse d’ouvriers qui ont été formés sur des équipements démodés. [...] Les économistes soviétiques pensent que le mouvement qu’ils qualifient par euphémisme de “baisse du rythme d’accroissement du nombre de travailleurs” ne va pas seulement affecter certaines entreprises, mais s’étendra à des branches entières de l’industrie, telles que les houillères et l’industrie forestière. En revanche, dans les branches modernes, telles que l’industrie des appareils de précision, l’industrie automobile et la chimie, on assistera à un mouvement d’embauche rapide de travailleurs qualifiés. [...] En raison de l’insuffisance de l’effort de reclassement, une grande partie des ouvriers licenciés quittent définitivement les entreprises alors qu’ils auraient pu être employés à d’autres postes de travail. [...] Les «réservoirs» de main-d’œuvre Des sondages effectués en 1965 avaient démontré que les neuf dixièmes de la population valide occupés à des travaux auxiliaires étaient des femmes. A l’intérieur de ce groupe, les deux tiers n’avaient pas de qualification professionnelle et une partie très importante était âgée de plus de quarante ans. Toutefois, à cette époque, les planificateurs soviétiques espéraient résorber un peu ce réservoir de main-d’œuvre confinée à des travaux domestiques. [...] Ils calculaient que la proportion de postes de travail destinés aux femmes devait progresser au rythme minimum de 4 000 emplois pour 23 800 demandes. [...] L’urgence d’un très important effort de reclassement et de formation professionnelle des adultes apparaît également lorsqu’on analyse le courant irréversible de l’exode rural. [...] De 81 N° 1046 novembre-décembre 2004 1959 à 1965, le nombre des personnes occupées dans l’agriculture a baissé de 12 %. Au cours de la même période, la production agricole a augmenté de 14 %. [...] Le reclassement des travailleurs licenciés La réforme de la gestion de l’entreprise qui indexe, notamment, les salaires sur la productivité, favorise évidemment les licenciements. Dans une telle situation, [...] l’Etat cherche à intervenir pour que les entreprises effectuent des prélèvements sur leurs profits et limitent les augmentations de salaires, en réservant des sommes importantes pour la formation professionnelle et le reclassement des travailleurs licenciés. [...] Les disparités régionales L’URSS souffre des multiples inconvénients d’une mauvaise répartition de la main-d’œuvre par région. On sait qu’en Sibérie, dans l’Extrême-Orient et dans le Caucase-Nord où sont concentrées les plus importantes ressources énergétiques et matières premières du pays, la main-d’œuvre manque. Cette pénurie se fait également sentir dans les centres industriels de la partie européenne de l’URSS, tels que Moscou, Leningrad, Kiev, Kharkov, etc., où se trouve concentrée la majeure partie de l’industrie. La situation est inverse dans les petites villes. Là, il y a de grandes “réserves” de main-d’œuvre occupées dans l’économie domestique. [...] Certes, l’Etat soviétique songe, imitant en cela l’exemple des pays occidentaux, à déconcentrer l’industrie en y transférant certains établissements, [...] mais souvent, on ne peut y créer que des industries de transformation des matières premières agricoles locales. [...] A la suite de la mise en valeur des régions orientales de l’URSS, il est apparu nécessaire d’orienter la main- 82 d’œuvre vers ces régions. […] Une telle mobilité exige d’y améliorer le niveau de vie. […] Toutefois, avec la réduction des avantages et des prérogatives dont pouvaient se prévaloir jusqu’en 1965 les travailleurs des régions orientales, le nombre de ceux qui quittent la Sibérie, le Grand Nord et l’Extrême-Orient dépasse celui des arrivants. Les pressions exercées sur les jeunes ne résolvant pas le problème, l’Etat se trouve dans l’obligation de créer un réseau convenable de services publics et sociaux et, partant, un secteur tertiaire de l’emploi. Développer le secteur tertiaire Si, dans l’agriculture socialisée et l’industrie, la tendance est au ralentissement de l’accroissement de la maind’œuvre, le nombre de [salariés du secteur tertiaire] devrait augmenter au cours de la période 1966-1970 de plus de 9 millions de personnes, soit d’un tiers, contre un accroissement prévu de 5 millions pour le secteur de la “production matérielle”. Cependant, en ce qui concerne les salaires, il reste à combler la différence entre ces deux secteurs. En 1965, elle a été atténuée grâce à une augmentation de 20 % des salaires dans le tertiaire. Toutefois, on est encore loin d’avoir créé dans la population un courant favorable à ces emplois. Les “réserves” de maind’œuvre, faute de trouver une occupation plus lucrative semblent préférer l’économie domestique. Celle-ci occuperait 13 % de la population valide.» Article non signé «Nouvelles tendances de l’emploi en URSS» CPE, n° 76, 5 avril 1967, pp. 21-33 ● Chômage à l’Ouest, pénurie de main-d’œuvre à l’Est ? «Le principal problème des pays d’Europe de l’Est dans le domaine de l’emploi est incontestablement une L’emploi pénurie générale de main-d’œuvre. [...] Les responsables est-européens avancent à cette situation une explication d’ordre démographique. [...] Celle-ci n’est acceptable que pour la RDA où, effectivement, les taux de croissance ont été la plupart du temps négatifs au cours des vingt-cinq dernières années. Pour l’ensemble des pays de la région, la moyenne annuelle s’est stabilisée pendant le quinquennat 1966-1970 à 0,9 %, seules la Hongrie et la Tchécoslovaquie, et bien sûr la RDA, descendant au-dessous de 0,7 %. Dans la période quinquennale précédente, le taux était encore plus élevé, soit 1,1 %. [...] La croissance de la population en âge de travailler a connu un rythme encore plus favorable : environ 1 % pour la période 1960-1970 et 1,2 % en moyenne entre 1970 et 1975. [...] Plein-emploi et productivité I1 semble, en fait, que les problèmes que connaissent actuellement les pays du CAEM dans le domaine du travail doivent être plutôt examinés sous l’angle de la productivité. En raison de l’afflux d’une masse considérable de main-d’œuvre résultant du boom démographique de l’après-guerre, de l’exode rural et de l’arrivée des femmes sur le marché du travail, ces pays ont pu, jusqu’au milieu des années 70, se contenter d’une élévation modérée de la productivité puisqu’une partie considérable (en général entre 10 et 20 %) de la croissance du produit social brut résultait de l’augmentation de la main-d’œuvre. [...] L’objectif primordial des responsables des pays socialistes étant de réaliser le pleinemploi, c’est cette politique qui détermine le niveau de productivité du travail et non l’inverse. On peut constater, de ce point de vue, que les dysfonctionnements des économies planifiées − manque d’efficacité dans l’utilisation du travail et du capital, insuffisance de souplesse du système le courrier des pays de l’Est de planification − proviennent en grande partie d’une mauvaise appréhension du concept de plein-emploi et il n’est pas prouvé, jusqu’à présent, que les dirigeants des pays du CAEM soient en mesure de contrôler le développement de la productivité. [...] Ce problème a même donné naissance en URSS à des propositions “fracassantes”. Gavril Popov, professeur d’économie à l’université de Moscou, [...] préconisait ainsi de diminuer les salaires des ouvriers en cas de rentabilité insuffisante et de chasser sans pitié les “paresseux” des usines. [...] Donner un emploi à chacun La politique du plein-emploi a surtout atteint son but social : fournir un travail et le minimum vital à chaque citoyen. Il a fallu, pour ce faire, maintenir les salaires à un niveau relativement bas, ce qui a entraîné la généralisation du travail féminin (un seul salaire ne suffisait plus) et a conduit les retraités à reprendre du service. [...] Un autre effet pervers de la politique de l’emploi pratiquée dans les pays étudiés consiste dans la non-adéquation entre la qualification et la fonction exercée [...] : les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur ont du mal à trouver du travail, surtout dans les villes. [...] En URSS, ce problème est particulièrement aigu, et cela pour deux raisons : une mauvaise adéquation entre la formation et les besoins réels de l’économie, et la répugnance qu’ont les jeunes spécialistes à “s’expatrier” dans des régions peu accueillantes.[…] Dans bien des cas, ces derniers sont même contraints d’occuper des postes d’une qualification inférieure à la leur, et cela parfois même à leur propre demande, car les ouvriers bénéficient fréquemment de rémunérations supérieures à celles des cadres. […] 83 N° 1046 novembre-décembre 2004 Pourquoi les travailleurs de l’Est ont-ils «la bougeotte» ? L’insatisfaction qu’éprouvent les travailleurs des pays de l’Est en ce qui concerne leur travail est à l’origine de l’instabilité de la main-d’œuvre. [...] En période de pénurie, les travailleurs n’ont aucun problème d’embauche et on hésitera toujours à licencier lorsqu’il est tellement difficile de trouver du personnel. En outre, on peut parler de l’exercice d’un certain “droit à la paresse” : les bas salaires, le peu de possibilités de dépenser l’argent gagné en raison d’une offre insuffisante de biens, les avantages du travail au noir par rapport au travail “officiel”, tout cela conditionne le manque d’enthousiasme des citoyens des pays d’Europe de l’Est pour leur travail. […] L’absentéisme est également un problème majeur. [...] Quelle évolution possible ? La plupart des pays de la région basent leur développement économique au cours du quinquennat 1981-1985 sur l’accroissement de la productivité du travail. [...] Or, la croissance relative de la population en âge de travailler diminuera dans tous les pays au moins jusqu’en 1985 et, dans la plupart, même au-delà ; en outre, elle sera par moments négative en Bulgarie, en Hongrie et en RDA. [...] C’est pourquoi le développement économique des pays concernés est presque entièrement basé désormais sur l’augmentation de la productivité du travail. [...] La répartition de l’emploi entre les secteurs est susceptible de se modifier par le biais de la mobilité de la maind’œuvre. Du fait de leur niveau d’industrialisation, la Bulgarie et la Roumanie sont les seuls pays européens du CAEM à connaître encore un exode rural, mais à partir de la deuxième moitié des années 70, on peut également constater un certain 84 ralentissement de celui-ci. Ailleurs, les réserves de main-d’œuvre agricole semblent être beaucoup plus réduites mais elles resteront encore pendant longtemps importantes pour l’industrie et le secteur tertiaire. Cependant, si l’on prend en considération l’ensemble de la zone, on peut juger que cette tendance ne sera sans doute pas tout à fait généralisée. Cette opinion est confirmée par l’évolution de l’emploi en Hongrie et en Pologne. En 1979, ces deux pays ont connu une baisse de l’offre d’emplois dans l’industrie [...] et ils se sont efforcés, entre autres mesures, de réaliser un redéploiement de la maind’œuvre dans l’agriculture. Dans les deux pays, il s’agit donc d’une modification de la balance de l’emploi. [...]. Pour accélérer ce processus, on favorise l’ouverture de boutiques, de restaurants et d’ateliers de réparations privés. En Pologne, des crédits ont été accordés à des conditions très favorables aux ouvriers qui voulaient lancer leur propre exploitation agricole. On peut prévoir une tendance semblable pour la RDA et la Tchécoslovaquie. La part de la population active occupée dans l’agriculture est déjà très faible et, par conséquent, ce secteur n’est plus capable dans l’immédiat de fournir de la main-d’œuvre aux autres. Par contre, la part de la population active dans l’industrie est très élevée dans les deux pays. Seul ce secteur pourra donc dégager du personnel pour les services ainsi que pour certaines branches industrielles déficitaires, en particulier les mines. [...] I1 est intéressant de souligner que, dans son ensemble, la répartition sectorielle de l’emploi dans les pays européens du CAEM en 1979 est comparable à celle des pays d’Europe occidentale dans les années 60, et notamment à celle de l’Italie en 1963. [...] En ce qui concerne la mobilité de la main-d’œuvre entre les différents pays L’emploi le courrier des pays de l’Est du CAEM, elle est très faible : environ 130 000 personnes en 1975-1976, les pays d’accueil étant principalement la RDA, puis la Tchécoslovaquie et l’URSS. [...] Le redéploiement de la main-d’œuvre et l’amélioration du niveau technologique restent donc les seuls moyens de satisfaire les besoins dans le cadre de la politique de pleinemploi, ce qui implique une meilleure formation des travailleurs et des possibilités accrues de recyclage.[...] I1 apparaît donc clairement que la politique du plein-emploi, telle qu’elle est appliquée dans les pays du CAEM, grève très lourdement l’économie de ces pays. [...] On constate également que, tout en pratiquant une politique de redéploiement de la main-d’œuvre, ces Etats continueront à garantir le droit au travail et le plein-emploi. Envisagée sous son seul aspect économique, une telle politique maintiendra un certain chômage caché qui a, pour plusieurs raisons, peu de risques de se transformer en chômage véritable : le taux d’accroissement de la population en âge de travailler demeurera trois fois plus bas qu’en Europe occidentale (0,3 % contre 0,8-0,9 %) ; de plus, la réalisation des objectifs de la politique sociale − prolongation de la durée des congés payés, diminution de la durée hebdomadaire du travail, formation continue, recyclage, etc. − permettra de libérer des postes de travail supplémentaires. I1 reste donc à ces pays à prouver qu’ils peuvent, ainsi qu’ils estiment pouvoir le faire, améliorer la situation des travailleurs en fournissant à chacun non plus seulement un travail, mais le travail qu’il souhaite effectuer au mieux de ses intérêts propres et de ceux de la société.» Tatjana Globokar, Michèle Kahn, Le courrier des pays de l’Est «Vers une problématique de l’emploi à l’Est» CPE, n° 258, janvier 1982, pp. 3-27 Andropov en lutte contre l’absentéisme «Dès son arrivée au pouvoir en novembre 1982, Iouri Andropov a entrepris de s’attaquer à un des fléaux de l’économie soviétique, la faiblesse de la productivité du travail. En effet, bien que les entreprises soviétiques disposent d’une main-d’œuvre pléthorique, leurs dirigeants se plaignent perpétuellement du manque de travailleurs et ce en raison du faible rendement fourni. On a pu calculer qu’en 1981, deux millions de postes de travail demeuraient vacants. [...] Mais c’est à un aspect particulier du problème [...] que s’est attaquée l’équipe Andropov, ce que la terminologie soviétique regroupe sous le terme de “violations de la discipline du travail”, c’est-à-dire l’absentéisme, les pertes de temps diverses, la mauvaise qualité du travail effectué, l’ivresse sur les lieux de travail, et même l’instabilité de la main-d’œuvre. [...] Ces pratiques aboutiraient à 15-20 % de perte de la durée totale du travail. [...] Des mesures de caractère disciplinaire ont ainsi été adoptées conjointement par le Conseil des ministres de l’URSS et le Conseil central des syndicats. Le congé annuel des ouvriers et employés qui se sont absentés de leur travail sans motif valable est grevé du nombre de jours d’absence. [...] Les ouvriers et employés coupables de violations de la discipline du travail, d’absences sans motifs valables, d’ivresse sur les lieux de travail, peuvent être mutés à un poste moins rémunéré pour une durée maximum de trois mois. [...] Les ouvriers et employés licenciés pour violation systématique de la discipline du travail verront, lors d’une nouvelle embauche, leurs primes diminuées de moitié pendant une période de six mois. [...] Ces mesures peuvent certes avoir un effet dissuasif, mais des habitudes prises au fil des années ne peuvent s’effacer 85 N° 1046 novembre-décembre 2004 d’un coup de baguette magique alors que les causes qui les ont engendrées n’ont pas disparu : les travailleurs s’absentent pour faire leurs emplettes en cours de journée pour éviter les files d’attente du soir, ou pour effectuer un travail au noir parce que leur travail “officiel” leur procure des revenus insuffisants. Quant à l’ivrognerie, il s’agit d’un problème particulièrement complexe.» Michèle Kahn, Le courrier des pays de l’Est «Andropov, les travailleurs et la discipline» CPE, n° 277, octobre 1983, pp. 35-38 Les défis de la transition ● Pas de chômage massif dans l’industrie russe «La transition représente un choc multiforme pour les grandes entreprises industrielles. Elles sont en effet amenées à recentrer leur fonction autour d’activités assurant au moins leur survie, sinon leur rentabilité. Etant donné le rôle essentiel qu’elles jouaient dans l’organisation de la société, les contraintes qui s’exercent sur elles sont très diversifiées. De plus, il leur faut s’adapter aux nouvelles conditions dans un contexte de dépression économique violente et durable dont elles sont à la fois la cause et les victimes. [...] Pas d’adéquation systématique entre baisse d’activité et réduction des effectifs Dans les pays à économie de marché, les évolutions de la production sont souvent corrélées avec celles de l’emploi, même si l’ajustement n’est pas simultané et est parfois incomplet. En Russie, la production industrielle s’effondre depuis le début des années 1990 […] : elle aurait chuté de moitié entre 1991 et 1996. […] De nombreuses entreprises 86 ont vu leur effectif fondre considérablement, bien que les licenciements aient été peu nombreux, et l’emploi industriel est passé de 20 millions de salariés en 1991 à 15 millions en 1996, soit une baisse de 25 %. Ce mouvement est très différencié selon les secteurs. [...] Il ressort des chiffres disponibles sur une période de plusieurs années [...] que l’emploi chute proportionnellement moins que la production. Cependant, le classement des secteurs selon l’ampleur des deux variations est identique. [...] En Russie, la chute de l’activité productive ne se traduit pas par des mises en faillite suivies de fermetures d’entreprises. Elle a plutôt pour effets une érosion continue des effectifs [...] et les restructurations s’opérant pas scission ou par fusion, l’évolution globale de l’emploi dans chaque secteur est la résultante de divers phénomènes. Dans ce mouvement général, la démographie du tissu productif évolue de façon différenciée. Ainsi, la concentration des emplois selon les secteurs varie considérablement. Si dans le secteur de l’énergie électrique, les entreprises de plus de cent salariés tendent désormais à regrouper l’ensemble des effectifs, la tendance à la dispersion est cependant réelle dans la plupart des secteurs. Elle est très prononcée dans la branche confection. L’évolution globale de l’industrie se caractérise entre 1991 et 1996 par la chute des effectifs des entreprises de plus de cent salariés : elle a été d’un tiers, le nombre d’entreprises diminuant, quant à lui, de 20 %. La baisse des effectifs des très grandes entreprises (plus de 5 000 salariés) est encore plus marquée (42 %), alors que ces dernières assuraient un tiers de l’emploi industriel en 1991 ; pour la seule année 1996, le recul s’est chiffré à 10 %. L’emploi Une enquête menée en 1996 [par des chercheurs russes et français auprès de 142 directeurs d’entreprises dans sept régions − Vladimir, Voronej, NijniNovgorod, Samara, Saratov, Perm, Sverdlovsk − et quatre secteurs industriels − énergie, constructions mécaniques, confection et agro-alimentaire] permet d’appréhender les comportements des chefs d’entreprises confrontés à une récession forte et durable et aux changements importants intervenus dans les relations clientsfournisseurs comme dans l’accès aux crédits et aux subventions. A partir des réponses recueillies, on comprend mieux que les niveaux de l’emploi souhaités et constatés par les directeurs correspondent pour partie à un ajustement aux possibilités financières de leur entreprise et à la diversification de ses activités. Mais aussi, il apparaît un lien entre les “départs volontaires” et l’existence d’offres plus avantageuses. L’emploi est donc une variable qui dépend non seulement de la situation de l’entreprise mais aussi du dynamisme du marché du travail. […] Logiquement, les entreprises où le recul de la production est particulièrement prononcé sont aussi celles pour lesquelles on rencontre la plus forte possibilité d’enregistrer des baisses majeures d’effectifs. [...] En outre, ces entreprises, les plus touchées par la récession de 1994, ont connu le plus souvent un ajustement important du niveau de leurs effectifs, soit l’année même, soit l’année suivante. Ainsi, les deux tiers des entreprises où la production a chuté fortement en 1994 ont été affectées par une baisse supérieure à 20 % du nombre de leurs salariés en 1995. Pour autant, baisse de la production et baisse des effectifs ne touchent pas systématiquement les mêmes entreprises, même avec un décalage temporel. Ainsi, parmi les entreprises où la production a baissé en 1994 ou en 1995, certaines ont néanmoins accru le courrier des pays de l’Est leur effectif. Cela a été le comportement des trois quarts des entreprises en récession du secteur de l’énergie et de 40 % de celles de l’agro-alimentaire, ce phénomène étant rarissime dans les deux autres secteurs (constructions mécaniques et confection). On remarque le mouvement inverse entre récession et emploi pour des entreprises de secteurs industriels qui jouissent d’une situation économique relativement plus favorable puisque ce sont aussi ceux qui distribuent des salaires plus élevés. Tel est, bien sûr, le cas de l’énergie, mais aussi celui de l’agro-alimentaire. [...] On ne peut exclure également que ces entreprises [...] soient sollicitées pour absorber une partie du suremploi apparaissant localement. Une réticence à licencier Seul un quart des directeurs d’entreprises déclare des licenciements importants effectués en 1995 ou prévus pour 1996. [...] Parmi les entreprises qui jugeaient avoir des capacités de production excédentaires, 30 % prévoyaient une vague de licenciements pour 1996. Sur les 29 entreprises [se trouvant dans ce cas], 26 citaient comme motif de leur décision, en première ou en deuxième position, la chute de la production et 10 la nécessité d’abaisser le coût du travail, alors que la modernisation du processus de production, les manquements à la discipline du travail ou l’inadéquation des qualifications n’étaient presque jamais évoqués. [...] En fait, il apparaît que les chefs d’entreprises sont souvent réticents à reconnaître une responsabilité active dans les départs et, partant, dans la chute des effectifs. Parmi les entreprises enquêtées, 72 % affirmaient en effet que les démissions avaient été, en 1995, la première raison des diminutions d’effectifs. Les départs en retraite 87 N° 1046 novembre-décembre 2004 sont, quant à eux, cités comme premier motif par 11 % des entreprises et comme second motif par 44 %. Enfin, les licenciements économiques ne sont mentionnés en première position que dans 13 % des cas et en seconde dans 23 %. [...] Pourtant, il y avait toujours des personnes à la recherche d’un emploi, [...] mais ceux-ci étaient tout simplement ignorés. [...] Naturellement, cela rendait impossible toute protection sociale. Un chômage reconnu C’est la concomitance de la situation économique dégradée des entreprises et de l’opportunité de trouver ailleurs de meilleures conditions salariales qui expliquerait les départs dits volontaires. La mobilité, qui est souvent subordonnée à la possibilité de conserver un accès aux services sociaux et de garder son logement, conduit finalement à un redéploiement de la maind’œuvre “à l’initiative des travailleurs”. Les réponses des chefs d’entreprises montrent que la fidélisation, qui est un des objectifs affirmés de maintien de la sphère sociale, est contrariée par le manque de moyens financiers.» Jan Robert Suesser, INSEE «L’emploi industriel en Russie dans les premières années de la transition (1991-1996)» CPE, n° 427, février 1998, pp. 17-26 ● Roumanie : de l’embauche forcée au chômage indemnisé «La crise économique qui a frappé la Roumanie et l’ensemble des PECO à partir de la fin des années 70 a créé un véritable chômage, même s’il a continué à ne pas être reconnu. Pour combattre le phénomène, le pouvoir communiste eut de plus en plus recours à des mesures administratives. Les entreprises furent obligées d’embaucher un minimum de jeunes diplômés et eurent interdiction de licencier. Les jeunes diplômés étaient répartis sur les emplois disponibles dans un stage obligatoire de deux à trois ans. Par la suite, le déplacement de la main-d’œuvre fut limité [...], les grandes villes étant “fermées” à ceux qui n’y étaient pas domiciliés. 88 Après 1990, la mise en place des premières réformes structurelles a conduit à une croissance explosive du chômage et en janvier 1991 [fut adoptée une loi] qui précisait les critères d’éligibilité et les modalités de protection sociale des chômeurs [et créait des Offices pour l’emploi]. Dans les statistiques officielles du chômage figurent les personnes enregistrées dans ces offices [qu’elles bénéficient ou non d’une allocation]. Ce type d’estimation statistique est sujet à plusieurs critiques, car il ne correspond pas à la définition du BIT : “Toute personne de plus de dix-huit ans, sans emploi, disponible pour travailler et qui recherche activement un emploi”. La plus importante critique porte sur l’incapacité de juger de la recherche active d’un emploi. Cela a sans doute permis à un grand nombre de personnes en fait inactives de toucher une indemnité de chômage, tout en augmentant artificiellement le nombre de chômeurs. [...] Il y a aussi [le problème des] personnes qui travaillent au noir, notamment dans le secteur privé et qui sont toujours enregistrés [comme chômeurs]. Par ailleurs, de nombreuses personnes, qui correspondent à la définition du BIT échappent à cette statistique. Il s’agit d’une part de celles qui quittent volontairement leur emploi pour en rechercher un meilleur et n’ont aucune raison de s’enregistrer dans les Offices [qui ne proposent] généralement que des emplois faiblement rémunérés ; et d’autre part de celles en butte au chômage technique et dont le contrat L’emploi de travail n’est pas formellement interrompu, situation courante durant les mois d’hiver, en raison des difficultés d’approvisionnement en énergie.[...] En outre, des données sur la structure du chômage selon les causes ne sont pas disponibles. Selon les estimations des syndicats, 25 % seulement du total proviendraient de licenciements (chiffres d’août 1993). [...] La structure par sexe indique une situation nettement défavorable pour les femmes. Une des causes en est la crise qui a frappé les industries qui utilisaient traditionnellement de la main-d’œuvre féminine, comme le textile ou l’alimentaire. En ce qui concerne la structure par âge, le poids des jeunes de moins de 25 ans, soit 41 %, est inquiétant. On peut considérer qu’il s’agit en majorité de jeunes diplômés nouvellement entrés sur le marché du travail. Ceci est doublement négatif : l’économie est incapable d’utiliser cette ressource de main-d’œuvre et le licenciement des salariés des branches non rentables est différé. [...] La structure du chômage par profession est, elle aussi, peu précise. [...] Le concept d’ouvrier inspiré par les statistiques de l’époque socialiste continue d’être utilisé. En fait, on y trouve pêle-mêle des métiers comme vendeur, maçon, tourneur, etc. Une autre catégorie comprend les diplômés de l’enseignement secondaire, mais la frontière des professions est assez floue par rapport à la catégorie précédente. L’inconvénient de ce classement est la confusion entre profession et niveau d’études, entre lesquels il n’y a pas nécessairement concordance stricte. La troisième catégorie comprend les personnes ayant fait des études supérieures. La plupart des chômeurs se trouvent dans la première catégorie. Au 31 décembre 1992, ils représentaient 89 % de ceux bénéficiant ou ayant bénéficié de l’indemnité de chômage. La deuxième catégorie représentait 11 % et la troisième 2 %. [...] le courrier des pays de l’Est Pour de multiples raisons, notamment à cause du risque politique significatif, la protection sociale des chômeurs a été une des priorités des réformateurs [...] et une assurance-chômage a été établie en janvier 1991. [...] Par ailleurs, le ministère du Travail et de la Protection sociale a créé un système de gestion des emplois vacants. [...] La loi oblige les entreprises à communiquer tout emploi disponible aux offices locaux de la main-d’œuvre. Ensuite, ces derniers se chargent de proposer les emplois aux chômeurs enregistrés. Il semblerait que le système ait eu des résultats positifs. [...] Son efficacité est cependant limitée par le nombre modeste d’emplois vacants. En outre, les entreprises, notamment celles du secteur privé et celles en quête de personnel qualifié, préfèrent éviter les Offices pour l’emploi pour faire des recherches plus sélectives. Le moyen le plus courant est les petites annonces passées dans les journaux de grande diffusion. Des centres de requalification ont été créés dans neuf départements, dont trois en coopération avec l’Allemagne (1992). Un soutien est également offert par la Grande-Bretagne et le BIT et par le programme Phare. Cependant, les résultats sont largement au-dessous des promesses, [...] en partie à cause de la modestie des dépenses. L’incertitude sur les besoins précis en main-d’œuvre pour l’avenir est cependant la cause principale de l’inefficacité de la formation. [...] Tant que la restructuration ne sera pas réellement entamée et que les tendances de longue durée n’apparaîtront pas clairement, former à de nouveaux métiers qui risquent d’être sans avenir peut être considéré comme du gaspillage.» Radu Vranceanu, doctorant en économie, ESSEC-Paris II «Le chômage en Roumanie» CPE, n° 383, octobre 1993, pp. 63-73 89 N° 1046 novembre-décembre 2004 ● Echec des politiques de l’emploi en Bulgarie «La transition économique a été très rude en Bulgarie, avec une chute brutale du PIB à la sortie du communisme, puis une grave crise économique. Cette instabilité a abouti à la mise en place d’un Directoire financier le 1er juillet 1997. Depuis lors, la Bulgarie a retrouvé une meilleure santé économique, mais des difficultés de fond persistent. En l’espace d’une douzaine d’années, le marché du travail a connu de profonds bouleversements : changements dans la structure de l’emploi, augmentation du chômage, notamment de longue durée, fortes disparités régionales, difficultés d’insertion pour certains groupes, baisse des salaires réels et amplification des inégalités de revenus. Cela a conduit nombre de personnes vers l’économie parallèle et l’émigration, alors que les emplois précaires se développaient. De plus, l’Etat a cessé de garantir l’emploi après 1989 [...] faute d’un budget suffisant. Et bien que des mesures aient été prises pour minimiser le coût social de la transition, elles se sont soldées par un échec. Actuellement, le gouvernement doit faire face au mécontentement social et à un taux de chômage avoisinant les 17 %. [...] Un chômage persistant De nombreuses entreprises ont pratiqué des licenciements massifs. En 1991, 34 % des travailleurs avaient perdu leur emploi à la suite d’un licenciement. Les départs en raison des compressions d’effectifs allaient augmenter de façon spectaculaire, parallèlement à une diminution accrue des offres d’emploi. Le nombre de chômeurs déclarés s’accroissait de 344 % entre 1990 et 1991, tendance qui s’est poursuivie jusqu’en 1993, mais à un rythme moins rapide. [...] Ce sont les entre- 90 prises de taille moyenne qui procédèrent aux coupes les plus sévères, touchant notamment les ouvriers non ou peu qualifiés. Les services publics furent relativement moins affectés. Le nombre de chômeurs déclarés commença à se réduire à partir de 1993. L’arrivée au pouvoir des socialistes (ex-communistes) en 1994 et la mise en place d’une stratégie de soutien financier aux entreprises publiques en difficulté expliquent certainement en partie ce phénomène. Mais, c’est surtout le développement des activités privées qui est à son origine, surtout dans le commerce et l’agriculture, même si, en fait, il s’agissait plutôt d’une agriculture de subsistance. [...] Malgré les prémices d’une nette aggravation de la crise économique et les licenciements dans les services publics en 1995, le chômage déclaré baissait de 2,8 %. Il repartait cependant à la hausse en 1997, avec la mise en place de nouvelles réformes structurelles (+ 27 % par rapport à 1996). [...] Il diminuait légèrement vers le milieu de 1998, mais la situation s’est ensuite aggravée durant les premiers mois de 1999 à cause de la crise du Kosovo et du blocus imposé à la République fédérale de Yougoslavie. [...] Le chômage de longue durée (plus d’un an) reste une des caractéristiques fondamentales du marché du travail bulgare (plus d’un chômeur sur deux), même si, depuis 2000, il a légèrement baissé. Il concerne surtout des personnes peu qualifiées, peu instruites. [...] Les “groupes à risques” sont en premier lieu les femmes, [...] indépendamment de leur niveau d’instruction. En 1997, 55,6 % des personnes sans emploi depuis plus d’un an étaient des femmes, ce chiffre passant à 56,1 % un an plus tard. Les jeunes de moins de 25 ans sont également concernés, mais leur nombre tend à diminuer régulièrement. L’emploi Enfin, les Roms s’insèrent difficilement sur le marché du travail, car peu qualifiés et victimes de préjugés défavorables. [...] En 1999, un changement intervint dans la structure du chômage : la part des spécialistes augmentait de 14,9 % entre décembre 1998 et décembre 1999. [...] En décembre 2001, elle représentait 24,4 % du total et 11 % des effectifs des chômeurs de longue durée. L’économie bulgare n’est donc pas assez dynamique pour intégrer la totalité de sa main-d’œuvre qualifiée. [...] Les mesures contre le chômage Depuis la mise en place, fin 1989, de l’indemnisation du chômage, le nombre de chômeurs sans droits n’a cessé d’augmenter, ce qui traduit la volonté du gouvernement de privilégier les mesures actives de lutte contre le chômage : aide à la création d’entreprises, formation professionnelle, encouragement de la mobilité, programmes d’emplois subventionnés, etc. [...] Le ministère du Travail et de la Politique sociale a proposé à partir de 1992 aux entreprises une aide sous forme de subventions publiques à la création d’emplois destinés aux jeunes diplômés. [...] Cependant, nombre de jeunes embauchés à cette occasion ont été licenciés quand les subventions sont arrivées à leur terme. [...] Ce type d’action a été abandonné par le gouvernement de Simeon II. Quant aux programmes d’emplois temporaires, ils doivent permettre à des chômeurs de travailler pendant cinq mois. L’Etat peut soit les employer directement, soit subventionner une partie de leur salaire. [...] Ce sont les services municipaux qui sont le mieux à même d’offrir une activité à ce groupe de population, essentiellement constitué de chômeurs de longue durée et de personnes non qualifiées. Mais le courrier des pays de l’Est les salaires sont bas, et ces programmes font peu d’adeptes. [...] Face au taux de chômage inquiétant des femmes (69 %), le Service national pour l’emploi a pris un ensemble de mesures, le plus souvent financées par des fonds extérieurs, notamment le programme Phare. [...] Un groupe particulièrement marginalisé est celui des handicapés. En juin 1997, les dépenses en leur faveur ne représentaient que 0,01 % du total et ce n’est qu’au cours de cette même année qu’une loi a prévu leur protection en cas de chômage. [...] Des allègements fiscaux sont en outre accordés aux entreprises qui les embauchent. [...] Quant à la formation professionnelle des adultes, elle est financée sur des fonds publics, mais les cours sont habituellement dispensés dans des centres privés. [...] Le développement du secteur privé Dès 1990, nombreux ont été ceux qui ont créé leur propre affaire. […] Il s’agissait soit de personnes ayant quitté leur emploi, soit d’inactifs. Malheureusement, pour nombre d’entre eux, cette expérience allait se solder par un échec : seules 20 % de ces entreprises étaient toujours en activité en 1995. [...] Par la suite, le processus de privatisation est venu renforcer le poids du secteur privé qui comprend à la fois de grandes sociétés privatisées et de très nombreuses petites entreprises, souvent à caractère familial, sans compter tout un ensemble d’activités non déclarées. [...] Quoi qu’il en soit, le développement du secteur privé légal ne suffit pas à absorber le nombre important de chômeurs. L’emploi y a pourtant augmenté de 6,9 % entre 2000 et 2001, mais cette hausse n’a pas permis de compenser la diminution du nombre 91 N° 1046 novembre-décembre 2004 d’agents du secteur public (- 9,2 %) et les réductions d’effectifs dans les entreprises nouvellement privatisées. [...] Toutes les mesures prises par le gouvernement trouveront vite leurs limites tant que ne sera pas engagée une véritable lutte contre les milieux mafieux directement liés aux activités informelles et à l’économie grise. Nicole Fondeville-Gaoui, Centre d’économie du développement, Université Montesquieu, Bordeaux «L’échec des politiques de l’emploi en Bulgarie» CPE, n° 1038, septembre 2003, pp. 54-65 Pour plus d’informations lire dans Le courrier des pays de l’Est Alexandre Guthart, «La situation de l’emploi dans les petites villes de l’URSS», n° 44, 22 décembre 1965, pp. 21-36 Article non signé, «Nouvelles tendances de l’emploi en URSS», n° 76, 5 avril 1967, pp. 21-33. Hervé Gicquiau, «Scekino : une expérience de productivité et d’intéressement», n° 139, mars 1971, pp. 59-75. Catherine Audidière, «La réglementation du travail en Union soviétique», n° 146, novembre 1971, pp. 35-63. Michel Tompa, «Répartition de la main-d’oeuvre et politique de l’emploi en Hongrie durant le IVe plan quinquennal (1971-1975)», n° 216, mars 1978, pp. 25-34. Michèle Kahn, Georges Mink, «Les ouvriers en URSS, statut économique et social», n° 234, novembre 1979, pp. 3-39. Paul Charpentier, Dominique Meurs, «La sécurité du travail en URSS», n° 273, mai 1983, pp. 35-47. Tatjana Globokar, Michèle Kahn, «Le travail à l’Est, des réalités contrastées», n° 295, mai 1985, pp. 3-23. Michèle Kahn, «La nouvelle politique de l’emploi en URSS : redéploiement ou risques de chômage», n° 334, novembre 1988, pp. 20-26. François Guilbert, «Les travailleurs vietnamiens à l’Est», n° 353, octobre 1990. Gabor Kardos, «Nuages sur l’emploi en Hongrie», n° 359, avril 1991, pp. 21-35. Nadine Marie, «La législation du travail en Russie : rupture ou continuité ?», n° 381, août 1993, pp. 37-50. Michèle Kahn, «L’emploi en Russie», n° 395, décembre 1994, pp. 53-78. Elena Voznessenskaïa, David Konstantinovski, Galina Tcherednichtchenko, «L’insertion des jeunes sur le marché du travail en Russie», n° 435, décembre 1998, pp. 43-53. Alexandra Picard, «Les travailleurs étrangers en Russie», n° 435, décembre 1998, pp. 30-41. Karine Clément, «Enjeux et luttes sociales en Russie. La réforme du Code du travail», n° 1019, octobre 2001, pp. 35-49. Natalia Logvinova, «Le chômage en Russie et en Ukraine», n° 1045, septembre-octobre 2004, pp. 77-84. 92 le courrier des pays de l’Est L’énergie Atout ou handicap ? La Russie peut-elle être une solution à la crise énergétique mondiale, principalement pétrolière, qui se traduit par une forte hausse du cours du baril de brut et menace la croissance des économies occidentales ? Cette question était déjà posée dans les années 1970 lorsque les Etats occidentaux cherchaient des réponses aux chocs pétroliers. A l’origine de la crise, les mêmes causes : les désordres moyen-orientaux et la hausse de la demande − hier occidentale, aujourd’hui chinoise − qui poussent à rechercher des sources de diversification de l’approvisionnement énergétique. Pour la Russie, comme pour l’URSS, l’intégration au marché mondial de l’énergie présente un intérêt majeur : d’énormes rentrées en devises fortes à même de financer une économie et un Etat qui connaissent d’importantes faiblesses structurelles. plus à faire face à un tel dilemme. L’énergie est devenue un instrument d’intégration à un grand marché européen qui regroupera tous les Etats du vieux continent, membres ou non de l’Union européenne. Pour les dirigeants européens, ce projet vise à garantir la sécurité des approvisionnements, à stabiliser les zones de conflits, notamment l’ex-Yougoslavie, et à associer à l’Union tous les Etats qui ne peuvent l’intégrer, en premier lieu la Russie. Mais un regard sur les quarante dernières années montre que loin d’être le produit de la disparition de l’URSS, cette construction d’un marché européen intégré de l’énergie s’inscrit dans la longue durée. Elle remonte au début des années soixante-dix lorsque la combinaison du choc pétrolier et de la détente a ouvert des perspectives commerciales nouvelles de part et d’autre du rideau de fer. Mais il existe une première différence de taille entre les deux époques. La fourniture de produits énergétiques à l’Occident plaçait l’URSS devant un dilemme. Pour répondre à la demande occidentale, elle devait réduire son offre à ses satellites et alliés du Pacte du Varsovie faute de pouvoir satisfaire tout le monde en raison de l’insuffisance de ses capacités de production. Le bénéfice économique procuré par le marché occidental avait un coût politique : une désolidarisation avec l’Europe orientale à laquelle l’URSS avait fourni une énergie à bas prix. La Russie post-soviétique n’a Deuxième différence : Moscou ne dispose plus du monopole sur les ressources énergétiques de l’ex-URSS. Avec les indépendances, de nouveaux acteurs ont émergé. La Russie doit maintenant composer avec les projets, les ambitions et les intérêts des anciennes républiques soviétiques riveraines de la Caspienne et celles d’Asie centrale pour l’exploitation et le transport des richesses pétrolières et gazières. Mais surtout elle a dû faire face à l’arrivée en force des Etats-Unis et des Européens sur ce marché. L’énergie est devenue le facteur central de ce nouveau «Grand jeu» dans un espace marqué par 93 N° 1046 novembre-décembre 2004 de fortes tensions et qui se situe en plein cœur de la zone de crise depuis les attentats du 11 Septembre 2001. Les richesses énergétiques des Etats de l’espace post-soviétique constituent à la fois un atout et un handicap pour leur développement économique. Un atout en raison des ressources financières qu’elles procurent, en particulier lorsque les cours mondiaux sont au plus haut. Mais il peut se transformer en handicap lorsque la conjoncture se retourne, mettant alors en lumière les faiblesses structurelles de ces économies de rente. A ces facteurs économiques vient s’ajouter un problème politique. Le contrôle de la rente devient l’enjeu central de la lutte pour le pouvoir, ce qui constitue un terreau favorable aux diverses formes d’autoritarisme et un danger dans une région où la culture démocratique est faiblement enracinée. Intérêts commerciaux et contrôle politique «Au dehors de ses frontières, l’URSS apparaît liée par une double contrainte expliquant le caractère incompressible de ses exportations d’hydrocarbures. Il s’agit d’une part de l’équilibre de sa balance commerciale et des impératifs à plus long terme de sa politique d’échanges, lui interdisant pratiquement de surseoir brutalement à ses engagements. Il s’agit d’autre part du contrôle politique des pays d’Europe orientale, dont les économies dépendent directement des livraisons russes. La Tchécoslovaquie et la RDA s’attendent à multiplier par 7 leurs achats de produits énergétiques entre 1965 et 1980, pour un accroissement d’environ 75 % de leur consommation. De façon générale, on prévoit un décuplement du manque à produire des pays est-européens durant ces 15 années, le relais nucléaire ne devenant effectif que vers 1985. 94 Il ne suffit pas de dire que l’URSS ne réduira pas le niveau de ses exportations, il faut encore souligner que le nécessaire maintien d’un volume suffisant de ventes lie sa politique extérieure à la recherche de certaines importations. Pratiquant une politique assez comparable à celle des grandes firmes pétrolifères américaines, l’URSS tend à s’assurer un ensemble de fournisseurs dans le tiers monde. Sans doute comprend-on mieux ainsi le soutien renouvelé aux pays arabes, l’engagement contre le Biafra et l’extension des assistances techniques à tous les producteurs potentiels de pétrole sur le continent africain. Cette politique s’est déjà concrétisée par les accords récemment conclus avec l’Iran. Il est cependant peu plausible que les résultats de cette politique suffisent à résoudre les problèmes intérieurs à court terme. Sur ce terrain les autorités soviétiques vont devoir pratiquer une restriction sélective de la demande de produits énergétiques. ● Une politique restrictive Les catégories socio-économiques qui constituent le soutien du régime seront vraisemblablement épargnées, mais encouragées à modifier leur style de consommation. En examinant les échelles d’augmentation de prix décidées en juillet 1967, on constate ainsi que la population des villes et l’ensemble des agriculteurs ne subiront aucune hausse, à condition toutefois de préférer l’électricité aux autres formes d’énergie. En revanche, les activités caractérisées par une forte consommation de combustibles seront pénalisées par les nouveaux prix et risquent de voir leur développement freiné. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les branches pour lesquelles le plan 1966-70 L’énergie prévoyait les plus forts accroissements de consommation (chimie, métallurgie, mécanique, matériaux de construction) sont des branches de progrès, tant sur le plan purement technique, que par les orientations et le style des équipes qui en sont responsables. De même les régions de l’URSS où sont localisées les activités industrielles menacées par le goulet d’étranglement énergétique (Centre, Nord-Ouest) risquent de voir quelque peu compromis leurs objectifs de développement. [...] ● Une modernisation nécessaire Ce mésemploi du potentiel énergétique gêne l’effort industriel. Une amélioration des équipements énergétiques se traduirait par une élévation générale de la productivité de l’industrie. […] Les chances d’une telle modernisation, qui, pour être efficace, devrait se traduire rapidement dans les faits sont évidemment liées aux perspectives générales de la réforme économique. Appliquée résolument et acceptée sincèrement, cette réforme apporterait dans le domaine énergétique une sensibilisation à de nombreux problèmes d’offre et de demande ainsi qu’une incitation durable aux innovations. Or, le succès de la réforme tient à tout un environnement socio-politique, où, précisément, la perspective d’un déficit énergétique, a créé des tensions extérieures et intérieures. Ainsi certaines pénuries de ressources, les défauts d’imagination réformatrice, les involutions sociopolitiques semblent-ils s’induire les uns les autres et entraîner la société soviétique vers une période difficile au début des années 70.» M.P. «Le problème de l’énergie en URSS» CPE, n° 119-120, juillet-août 1969, pp. 37-87 le courrier des pays de l’Est La recherche de nouveaux approvisionnements pétroliers «L’approvisionnement en Union soviétique était en général considéré comme nettement avantageux pour les pays de l’Est et actuellement encore on estime le prix des importations de pétrole du Moyen-Orient beaucoup plus élevé que celui des importations d’URSS. Mais on devra désormais tenir compte dans ces estimations de la participation des pays de l’Est au financement de l’exploitation du pétrole soviétique. En effet, suivant les nouvelles tendances de la coopération à l’intérieur du CAEM, les démocraties populaires devront supporter le coût d’une part accrue des investissements nécessaires à la prospection et à l’exploitation du pétrole soviétique. Dès septembre 1966, la Tchécoslovaquie avait accordé à l’URSS un crédit de 500 millions de roubles pour le développement de l’industrie du pétrole en contrepartie d’une augmentation des quantités de pétrole qui lui étaient livrées ; en mars 1967, un accord analogue a été conclu entre la RDA et l’URSS ; et le “Programme d’intégration” adopté fin juillet 1971 à Bucarest prévoit l’étude “des conditions de coopération des pays intéressés à la construction sur le territoire soviétique des capacités complémentaires destinées à l’extraction et au transport du pétrole”. L’égalisation des coûts d’approvisionnement ainsi introduite peut inciter les démocraties populaires à rechercher une extension de leurs échanges avec le Moyen-Orient ; et la construction de l’oléoduc Adria qui doit amener le pétrole arabe vers la Hongrie et la Tchécoslovaquie − via la Yougoslavie − constitue un pas important dans cette direction : à son achèvement, en 1982, 95 N° 1046 novembre-décembre 2004 il pourra acheminer 10 millions de tonnes de brut vers ces deux pays ; mais surtout c’est le type même de réalisation permettant l’exécution effective des “accords pétroliers”, jusqu’ici entravés par des difficultés de transport. ● Diversification des importations vation reprend un intérêt particulier et amène à se poser deux questions au moins. La crise constituera-t-elle une incitation, pour l’URSS, à accélérer l’exploitation de ses ressources énergétiques au point que les Soviétiques puissent devenir d’importants fournisseurs d’énergie à l’Occident ? Est-ce que les Occidentaux doivent, peuvent et veulent coopérer à la mise en valeur de ces ressources ? [...] ● ● On estime à l’heure actuelle que les besoins d’importation de l’Europe de l’Est en pétrole et en produits pétroliers atteindront en 1975 environ 72 millions de tonnes, dont 55 à 60 millions environ seraient fournis par l’URSS. Les importations de pétrole en provenance d’autres pays (essentiellement du Moyen-Orient) qui ont déjà doublé de 1968 à 1969 et représentent 6 millions de tonnes, devront donc, d’ici 1975, atteindre au minimum 12 millions de tonnes, soit 15 % des importations totales. L’examen des accords récemment conclus entre les pays d’Europe orientale et les pays en voie de développement producteurs de pétrole confirme ces prévisions. [...] Certes les quantités paraissent dans l’ensemble minimes en regard du volume de pétrole importé d’URSS. Cependant leur progression pourrait être le signe d’un changement notable dans la manière dont, à plus long terme, certains pays du bloc soviétique envisagent de résoudre le problème de leur déficit en pétrole.» Article non signé «L’Europe de l’Est, le tiers monde et l’URSS : un jeu triangulaire» CPE, n° 155, septembre1972, pp. 5-24 Les réserves potentielles de l’URSS sont considérables pour le pétrole comme pour le gaz. Selon une étude de la British Petroleum, la zone arctique sibérienne serait la seule région du monde où l’on pourrait découvrir encore des réserves d’une ampleur comparable à celles du Moyen-Orient, dans des conditions difficiles il est vrai, et sans qu’on soit à l’abri de certaines déceptions. Pourtant, il paraît plus judicieux d’introduire une distinction entre moyen et long termes d’une part, entre les ressources en divers types d’hydrocarbures d’autre part. [...] L’industrie pétrolière soviétique épuise de plus en plus rapidement des réserves exploitables et son problème d’avenir est principalement d’en prospecter de nouvelles. Pour le gaz, en revanche, les réserves prouvées sont considérables, mais le problème majeur réside dans leur exploitation, dans l’organisation de la production et son écoulement. [...] ● Un choix décisif L’URSS, fournisseur de l’Occident ? «On a souvent relevé le contraste entre l’importance des réserves et la relative modestie des productions d’hydrocarbures en URSS. Dans le contexte de la crise actuelle de l’énergie, cette obser96 II est clair que ces évolutions prévisibles à moyen et long termes, placent les responsables de l’URSS devant un choix décisif, dans la mesure où les disponibilités ne permettront plus en 1980 de couvrir les besoins de l’Europe orientale tout en garantissant aux autres pays les mêmes ventes. Les L’énergie termes de ce choix sont en fait très complexes. Favoriser l’Europe orientale semble offrir à l’URSS des avantages essentiellement politiques (contrebalancés par des coûts économiques), encore que plusieurs éléments interviennent pour nuancer cette appréciation. Quelque puisse être l’effort consenti par l’URSS en leur faveur, les besoins des pays est-européens seront satisfaits dans une moindre proportion par les exportations soviétiques qu’auparavant [...]. Les avantages d’un effort d’exportation accru vers l’Occident semblent surtout économiques, alors que les coûts (désolidarisation avec l’Europe orientale) seraient surtout politiques. Mais là encore, il faut nuancer fortement. Même en vendant tout son pétrole exportable à l’Occident, l’URSS n’en resterait qu’un fournisseur marginal, tant les besoins comparés de l’Europe occidentale et orientale sont disproportionnés. D’autre part, l’URSS ne peut espérer négocier ses fournitures à des prix déraisonnables.» Article non signé «Le pétrole soviétique et la crise de l’énergie» CPE, n° 176, juillet-août 1974, pp. 9-25 La fin de l’énergie à bon marché «Les pays de l’Europe de l’Est étaient bien persuadés, au début des années 70, d’être à l’abri des problèmes énergétiques que connaissait le monde occidental après le premier choc pétrolier. En effet, l’URSS leur fournissait − sauf à la Roumanie, elle-même producteur de pétrole − une énergie à bon marché, ce qui leur permit de réaliser une croissance de 4 % par an jusqu’en 1980. Or, à la fin des années 70, l’énergie devenait pour eux l’un des problèmes économiques majeurs : les productions nationales de combustibles stagnaient, voire fléchissaient, tandis que la le courrier des pays de l’Est consommation d’électricité augmentait sans cesse. ● Un problème économique majeur L’impossibilité financière, pour la plupart d’entre eux, d’importer une énergie et des combustibles d’appoint devenus plus chers dans la zone du CAEM poussa alors ces pays à adopter des politiques volontaristes visant à : réduire leur dépendance à l’égard du pétrole importé du Moyen-Orient devenu trop cher pour les plus endettés, puis du pétrole soviétique qui s’était rapidement renchéri après 1975 et dont, de surcroît, la production piétinait ; promouvoir les productions internes de charbon mais aussi d’énergie nucléaire ; enfin, mettre en oeuvre des programmes d’économies d’énergie drastiques. ● ● ● Le problème du manque d’énergie allait se conjuguer par ailleurs à d’autres facteurs défavorables comme l’endettement, l’arrêt des crédits occidentaux après l’instauration de l’état de guerre en Pologne, la nécessité de dégager des soldes commerciaux positifs, la baisse relative de la productivité du capital, l’inefficacité habituelle de l’administration économique, entraînant une véritable dépression dans la croissance économique de ces pays au début des années 80. Les dirigeants étaient alors contraints de mettre en place des politiques d’austérité, en accentuant notamment les économies d’énergie aussi bien pour les entreprises que pour les particuliers [...]. Depuis 1980, non seulement les prix soviétiques sont devenus de moins en moins «avantageux» pour l’Europe de l’Est et même, en 1985, supérieurs à ceux du marché mondial, mais l’URSS s’est vue également obligée à partir de 97 N° 1046 novembre-décembre 2004 1982 de réduire le volume de ses livraisons et dans les cas les plus favorables de les maintenir à leur niveau de 1980. On estime cette réduction à plus de 10 % pour la Tchécoslovaquie, la RDA et la Hongrie. Seule la Pologne bénéficierait d’un «régime de faveur», lié à la précarité de son redressement économique. Pour la Bulgarie, les chiffres sont trop imprécis pour identifier une réduction. Quant au cas de la Roumanie, il est différent : moins dépendante jusqu’à aujourd’hui du pétrole soviétique, elle le payait de surcroît en devises fortes au prix du marché mondial. Depuis 1984, il semble − à défaut de précisions de la part de ces pays − que la Roumanie ait obtenu davantage de pétrole soviétique à des conditions plus favorables que précédemment. En 1985 et 1986, les prix mondiaux ont diminué sensiblement, rendant les réexportations de produits pétroliers est-européens bien moins sûres et dans tous les cas moins lucratives pour l’Europe de l’Est. Le manque de devises fortes contraint l’Europe de l’Est à maintenir autant que faire se peut ses achats de pétrole à l’URSS quel que soit le prix du marché mondial, car elle les acquitte en produits de compensation. Si l’Europe de l’Est maintient certaines importations de pétrole en provenance des pays de l’OPEP, c’est que là aussi elle peut réaliser un échange compensé et continuer ainsi à tirer avantage de réexportations de produits pétroliers payés en dollars par l’Ouest, jusqu’à 25 % de leurs recettes en devises fortes. [...] ● Rationaliser la consommation Il est clair que la plupart des pays esteuropéens et la Yougoslavie connaissent aujourd’hui des problèmes d’approvisionnement énergétique rendant indispensable une meilleure utilisation de 98 l’énergie. Or jusqu’ici, comparée aux pays occidentaux, l’Europe de l’Est consomme proportionnellement beaucoup plus d’énergie par unité de production et par habitant. Les taux de croissance de la consommation d’énergie par habitant ont été tout au long des années 70 le plus souvent supérieurs à ceux du revenu national par habitant. Depuis 1980, c’est encore le cas pour la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie. Il est vrai que les pays est-européens ne se sont pas hâtés de mettre en place des programmes rigoureux de restructuration de leurs industries alors qu’ils pouvaient encore importer du pétrole soviétique à des conditions avantageuses [...]. Plus rigoureux après 1979, les pays est-européens ont accompagné les programmes d’économies d’énergie de mesures restrictives ou dissuasives pour lutter contre la négligence des consommateurs. Brutales en 1979, les hausses des prix de l’essence, des combustibles, de l’électricité sont devenues depuis lors régulières, pour les ménages comme pour les industriels, dans tous les pays sauf en RDA qui a préféré limiter plutôt les subventions aux entreprises. ● Une efficacité limitée Dans la panoplie des mesures, ces pays choisissent entre les coupures d’électricité, les réductions de l’éclairage urbain et même domestique en limitant par exemple la puissance autorisée des ampoules d’éclairage dans les logements et en fixant un seuil à la température dans les locaux publics (17°) (Roumanie, Bulgarie), des restrictions de circulation routière, etc. Les entreprises sont pénalisées lorsqu’elles dépassent les normes de consommation d’électricité : amendes, réduction des salaires, etc. A ce jour, les bilans des mesures d’économies d’énergie et des programmes de restructuration attestent que le taux L’énergie de consommation d’énergie par unité de production ne s’est que faiblement amélioré. Et s’il y a eu diminution globale de la consommation, elle s’explique essentiellement par le ralentissement de la croissance économique et non par des gains réels de productivité. En fait, plusieurs facteurs entravent l’application des mesures restrictives et des programmes. Trop souvent encore les plans de production privilégient le volume de la production et non sa rentabilité. Sur les lieux où l’énergie est relativement bon marché, on trouve surtout des usines vieillies et des équipements obsolètes. Enfin les mesures les plus draconiennes d’économies d’énergie concernent surtout les ménages et les utilisateurs non industriels qui ne représentent qu’un cinquième de la consommation totale.» Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est «Les choix énergétiques à l’Est» CPE, n° 309-310, août-septembre-octobre 1986, pp. 250-265 Après Tchernobyl «L’énergie nucléaire soviétique se trouve aujourd’hui confrontée à une contradiction majeure. D’une part, son développement à une grande échelle est considéré comme le seul moyen d’assurer l’autosuffisance énergétique du pays et plus précisément de satisfaire les besoins croissants des utilisateurs des régions européennes. D’autre part, après bien des atermoiements, les responsables soviétiques se sont rendus à l’évidence : le ralentissement du programme électronucléaire est inéluctable. La catastrophe de Tchernobyl impose, en effet, de reconsidérer les problèmes liés à la sécurité du fonctionnement de toutes les centrales du pays ; elle a, en outre, fait naître dans une opinion publique, jusqu’alors inconsciente (sauf dans quelques cercles restreints) du risque nucléaire, un fort mouvement de contestation avec lequel le pouvoir va devoir désormais compter. […] le courrier des pays de l’Est ● La découverte d’un nouvel impératif : la sécurité Selon V. Asmolov, chef du département “Sécurité dans l’énergie nucléaire” de l’Institut Kourtchatov, tous les pays dotés de capacités nucléaires ont consacré, après l’accident de Three Miles Island en 1979 aux Etats-Unis, plusieurs millions de dollars par an pour améliorer la sécurité, tous à l’exception de l’URSS qui voulait considérer que son énergie nucléaire était sûre... par définition. Or, cette assertion parait aujourd’hui d’autant plus ahurissante que des scientifiques soviétiques viennent de reconnaître qu’une catastrophe nucléaire, ayant fait plusieurs centaines de victimes, s’était bien produite en 1957 à Kychtym, dans l’Oural, confirmant ainsi divers rapports de la CIA et l’enquête du célèbre biologiste dissident, Jaurès Medvedev, installé à Londres depuis 1973. [...] Ce n’est donc pas faute d’expérience que les responsables soviétiques ont voulu ignorer si longtemps les problèmes de sécurité liés à l’exploitation de l’énergie nucléaire : ceux-ci ont délibérément été relégués au second plan, le seul but étant d’accélérer à n’importe quel prix le programme électronucléaire. En revanche, depuis quelques mois, l’URSS déploie dans le domaine de la sûreté nucléaire une activité intense. [...] Alors qu’il a été décidé de ne plus construire de réacteurs RBMK, l’industrie soviétique s’oriente, avec la coopération de firmes occidentales, vers la mise au point de deux nouvelles versions de réacteurs à eau pressurisée (VVER) où “la sûreté prime la productivité”. [...] Par ailleurs, alors que l’URSS s’est retranchée durant des années dans une attitude isolationniste, elle cherche maintenant à multiplier les contacts 99 N° 1046 novembre-décembre 2004 entre ses propres spécialistes et leurs collègues étrangers. [...] ● Composer avec l’opinion anti-nucléaire La catastrophe de Tchernobyl aura eu, entre autres, pour effet de donner aux mouvements écologistes et avec eux aux populations directement concernées par le nucléaire un motif supplémentaire de lutte qui jusqu’alors ne leur avait pas paru prioritaire. Le silence des autorités sur les accidents précédents ainsi que sur les manifestations anti-nucléaires à l’Ouest avait, en effet, laissé la quasi-totalité de la population soviétique dans l’ignorance totale du risque nucléaire. La prise de conscience en a donc été d’autant plus brutale. [...] S’ils constituent une force de pression véritable, c’est que ces mouvements d’opinion rallient, autour de simples citoyens, les administrations républicaines ou locales, voire les antennes du Parti, quand ils ne bénéficient pas du soutien d’une partie de la communauté scientifique. Aussi les pétitions signées toujours massivement s’accompagnent-elles très certainement d’interventions directes auprès des instances dirigeantes de l’URSS.» Marie-Agnès Crosnier, Le courrier des pays de l’Est «Le ralentissement du programme nucléaire de l’URSS» CPE, n° 337, février 1989, pp. 17-27 Un nouveau Koweit ? «Si la région de la Caspienne soulève un tel intérêt et si elle est devenue le centre d’un jeu géopolitique mondial, plus proche, par sa complexité, du jeu de go que des échecs, c’est essentiellement, pour ne pas dire uniquement, à cause des formidables ressources de pétrole et de gaz qu’elle recèlerait. Ce jeu est à deux niveaux : celui des enjeux liés à la prospection et à la pro- 100 duction et celui de la décision sur le tracé des oléoducs et des gazoducs qui achemineront les hydrocarbures hors de cette région enclavée vers les marchés à devises. Le premier implique, outre les pays producteurs, les plus grandes compagnies mondiales et le second pratiquement tous les pays situés sur l’axe Caspienne - mer Noire ainsi qu’au sud et à l’est de l’Asie centrale. Dans les deux cas, on retrouve en toile de fond la lutte sourde entre les intérêts américains et russes. ● Des ressources inépuisables ? On observe une véritable inflation de données statistiques sur les réserves d’hydrocarbures de la Caspienne et de ses zones côtières. De plus, les prospections en cours les mettent constamment à la hausse, certains Etats producteurs les surévaluant pour des raisons politiques évidentes. Cependant, une fourchette d’estimation des ressources peut être avancée. Ainsi les Américains la situent, pour le pétrole, entre 13 et 28 milliards de tonnes, les Européens entre 7 et 14 milliards, les Russes entre 7 et 10 milliards. Quoi qu’il en soit, ces chiffres approximatifs placent la région de la Caspienne derrière le Moyen-Orient mais à égalité avec − sinon devant − la mer du Nord et justifient l’intérêt qu’on lui porte. On estime que les gisements de la Caspienne peuvent avoir une durée d’exploitation de 40 à 50 ans dans des conditions d’extraction intensive et si la demande se maintient sur le marché mondial. Toutefois cette zone, délaissée à l’époque soviétique et réellement prospectée depuis quatre à cinq ans seulement, n’a sans doute pas livré toutes ses potentialités. […] L’absence d’un nouveau statut de la mer Caspienne, le désir de chaque pays L’énergie riverain de profiter au plus vite de ses ressources, stimulé en cela par l’intérêt que lui portent les grandes compagnies pétrolières, n’ont pas manqué de créer une situation conflictuelle où l’on voit s’affronter l’Azerbaïdjan et le Turkménistan soutenu par l’Iran, le Kazakhstan et la Russie à propos de gisements revendiqués par les uns et par les autres. [...] ● La bataille des oléoducs Le terme de “Grand jeu” à propos du choix des itinéraires empruntés par les oléoducs et les gazoducs qui doivent acheminer les huiles et le gaz hors de cette zone enclavée qu’est la Caspienne, apparaît plus que jamais approprié. Seule la Russie possède son propre réseau de pipelines lui permettant d’exporter vers l’Europe ; jusqu’à présent l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan en étaient tributaires. Avec la promesse d’une très forte augmentation de la production, ces pays envisagent d’autres tracés leur permettant, sans passer par la Russie, d’atteindre les marchés extérieurs. Ils y sont encouragés à la fois par les pays demandeurs en énergie qui sont également les principaux investisseurs à travers leurs compagnies, et par les pays susceptibles de voir leur territoire traversé par un oléoduc ou un gazoduc, ce qui signifie pour eux rentrées de devises et renforcement de leur position politique régionale. Dans ce jeu complexe, sont impliqués, au premier chef, la Russie mais aussi les pays de Transcaucasie, véritable corridor euro-asiatique débouchant sur la mer Noire, la Turquie avec son accès à la Méditerranée, l’Iran qui offre une sortie sur le golfe Persique et un passage vers la Turquie, l’Afghanistan et le Pakistan avec leur ouverture sur la mer d’Oman, la Chine et son vaste marché, sans oublier l’Ukraine, la Bulgarie, la Roumanie et la Grèce accessibles par la mer Noire et qui le courrier des pays de l’Est permettent d’éviter les détroits turcs. Pour le moment, seuls les oléoducs russes sont opérationnels. Tous les autres ne sont qu’à l’état de projets, plus ou moins avancés et réalisables en fonction des coûts ou de la situation politique des pays appelés à les accueillir.» Alain Giroux, Le courrier des pays de l’Est «La Caspienne : un gâteau pétrolier à partager» CPE, n° 423, octobre 1997, pp. 5-15 La naissance des majors russes «Depuis 1992, l’industrie pétrolière russe est le théâtre d’une restructuration en profondeur marquée par l’émergence de holdings verticalement intégrées, de la production jusqu’à la distribution, en passant par le raffinage. L’objectif implicitement visé par cette réforme était de créer des compagnies pétrolières autonomes susceptibles de financer les immenses besoins d’investissement de ce secteur. [...] ● L’émergence de groupes industriels et financiers en Russie Ce mouvement de réorganisation de l’industrie pétrolière russe s’est doublé d’une recomposition du capital ayant pour objectif une privatisation par étapes des groupes pétroliers créés. Processus non encore entièrement achevé, il n’en a pas moins débouché sur la constitution de groupes industriels et financiers parfois puissants. A ce titre, l’opération engagée à la fin de 1995, souvent qualifiée de prêts contre actions, représente un mouvement décisif dans la restructuration du capital de cette industrie. Pour certaines holdings, elle a marqué, en effet, un désengagement significatif de l’Etat, qui a essentiellement profité au secteur bancaire et financier russe. Cette opération a consisté dans la vente aux enchères d’actions détenues par l’Etat 101 N° 1046 novembre-décembre 2004 dans les holdings pétrolières contre l’ouverture d’un crédit au gouvernement. Ayant pour principal objectif de financer l’imposant déficit budgétaire de l’Etat, le décret, signé en septembre 1995 par B. Eltsine, a donné temporairement aux investisseurs privés le contrôle d’une partie des actions des principales holdings pétrolières, au premier rang desquelles Ioukos, Sourgoutneftegaz, Sidanko et Loukoil. [...] La scène pétrolière et gazière russe est, ainsi, de plus en plus dominée par quelques groupes, relativement stables car puissants, notamment dans leurs rapports de forces avec l’Etat ou les pouvoirs régionaux. S’allier aujourd’hui avec Gazprom est sans aucun doute pour tout investisseur étranger minimiser les risques encourus, tant cette compagnie domine la scène énergétique. Il pourrait en être de même, demain, pour Loukoil dans l’industrie pétrolière. L’ouverture au capital étranger y est cependant conditionnée par une stabilisation des relations de ces entreprises avec l’Etat fédéral et les pouvoirs régionaux.» Catherine Locatelli, Chercheur, IEPE-CNRS «Les groupes pétroliers russes : restructurations et investissements étrangers» CPE, n° 430, juin 1998, pp. 5-17 Etats baltes : sortir de la dépendance énergétique «Depuis l’indépendance des Etats baltes, l’énergie est devenue un enjeu majeur dans cette région, facteur d’influence habilement utilisé par les différents protagonistes. Les Etats baltes sont particulièrement pauvres en ressources énergétiques. [...] Les trois pays sont des importateurs nets de pétrole et de gaz, l’essentiel de leurs achats venant à l’heure actuelle de Russie. [...] Electricité mise à part, l’énergie est donc aujourd’hui pour les Etats baltes un facteur de dépendance 102 important, essentiellement à l’égard de la Russie, principal fournisseur de pétrole et de gaz. Dans le cadre de l’URSS, Moscou avait fait des républiques baltes des pays de transformation : elles recevaient les matières premières et l’énergie brute soviétique et fournissaient ensuite aux autres républiques des produits finis. Cette forte dépendance énergétique n’a pas empêché les Baltes d’être à l’origine de l’effondrement soviétique. Toutefois, la Russie post-soviétique du début des années 1990 ne s’est pas privée d’utiliser certaines tactiques de chantage économique et politique, déjà employées par le régime Gorbatchev à l’égard de la région, allant jusqu’à cesser les livraisons d’énergie pour punir les Baltes de leur attitude à son égard ou à celui de la minorité russophone située sur leur territoire. [...] ● La carte du transit Au milieu des années 1990, on estimait que le commerce de transit contribuait à hauteur de 30 % au PIB des trois Etats baltes. [...] Dans ces flux de transit à l’exportation, les hydrocarbures occupent une place prépondérante : pour les trois Baltes, 1997 a été une année d’essor, puisque le volume de pétrole brut, produits pétroliers et gaz naturel transitant par ces pays a crû d’un tiers, Moscou ayant levé un certain nombre de barrières à l’exportation de ces produits. […] Grâce à ces activités, les Etats baltes disposent d’un certain pouvoir de négociation face à une Russie dépendante d’eux pour la sortie de ses hydrocarbures. [...] Les trois Etats baltes sont dans une situation de concurrence grandissante depuis 1991 pour cette captation du transit du pétrole russe. La rivalité qui oppose les terminaux baltes est somme toute plutôt saine, contribuant à leur modernisation. Elle a permis de main- L’énergie tenir les coûts de transport et les tarifs douaniers à un niveau assez bas. Les compagnies russes paient actuellement environ 5 dollars par tonne de pétrole transportée vers le terminal de Ventspils. Tout compte fait, ce sont d’ailleurs ces compagnies pétrolières russes qui apparaissent comme les bénéficiaires de cette concurrence, puisqu’elles ont à leur disposition plusieurs options pour la sortie de leur pétrole. La Russie peut en effet porter son choix sur divers terminaux baltes, se partageant entre Ventspils, Tallinn-Muuga, Klaipeda et, désormais, Butinge. [...] Les différents protagonistes de ces enjeux énergétiques tendent finalement tous vers un même but, qui est de réduire autant que faire se peut les dépendances qui les lient : les Baltes s’efforcent ainsi depuis quelques années de sortir du réseau de connexion russe d’électricité et de gaz pour entrer dans le système nordique. Afin de s’affranchir de l’influence économique et politique de Moscou, ils cherchent de nouvelles sources d’approvisionnement en pétrole en Norvège, en Asie centrale, voire en Iran, à la fois pour leur consommation propre et pour les devises qu’ils tirent du transit. Ils tentent également de limiter les prises de participation russes dans le secteur énergétique national, le cas extrême de cette tendance étant présenté par la privatisation du complexe pétrolier lituanien. De leur côté, les Russes souhaitent accroître leur présence sur le marché balte grâce à ces prises de participation qui doivent leur permettre de maîtriser l’évolution du marché du transit. Dans le même temps, ils cherchent des voies alternatives de sortie de leurs hydrocarbures, et se sont lancés dans la création de nouveaux ports sur la Baltique. [...] Pays de transit soumis à une Russie dont les humeurs conditionnent le rythme de ses envois pétroliers vers des marchés qu’elle sait captifs, les Etats baltes s’efforcent aujourd’hui d’attirer dans leurs ports des hydrocar- le courrier des pays de l’Est bures non russes. Ce qui ne leur réussit pas trop mal, puisque les Kazakhstanais aiment à dire aujourd’hui que Ventspils est leur principal port. En matière de pétrole, il est vrai que les ruptures d’approvisionnement russes, fréquentes et très politiques, coûtent cher aux Baltes : en 1999, elles ont par exemple coûté 250 000 dollars par jour d’inactivité imposée à la raffinerie de Mazeikiai. [...] ● Le double jeu de la Russie Les Baltes tentent de marginaliser les Loukoil et autres Gazprom, dont ils ne veulent pas être dépendants. Cette approche concorde avec celle des firmes multinationales, qui ont une stratégie globale dans la région, comme l’a montré l’exemple de Neste (Finlande) qui a absorbé ses concurrents pour donner naissance au consortium Fortum, fusionner ensuite avec le Norvégien Statoil et conquérir autant de parts de marché que possible sur la côte orientale de la Baltique. [...] La Russie n’hésite pas à jouer un double jeu, comme elle l’a fait en 1996 lors de la privatisation du terminal pétrolier de Ventspils : le ministère russe de l’Energie et du Pétrole souhaitait alors reprendre 30 % du terminal et s’était engagé, pour convaincre la Lettonie, à ne pas baisser ses livraisons de pétrole ; or, au même moment, la Russie annonçait son projet de construire le terminal russe rival de Primorsk.» Céline Bayou, Le courrier des pays de l’Est «Les interdépendances énergétiques de la rive orientale de la Baltique» CPE, n° 1003, mars 2000, pp. 17-29 La montée en puissance de l’Asie centrale «Les perspectives qui s’ouvrent aux Etats d’Asie centrale sont prometteuses. Leur production pétrolière totale permet 103 N° 1046 novembre-décembre 2004 à la région d’atteindre un niveau d’environ 1,4 million de barils/jour, équivalent à celui de la Libye ou de l’Indonésie, ces deux pays figurant parmi les principaux exportateurs de leurs zones géographiques respectives. Si les ordres de grandeur indiqués par les estimations des réserves pétrolières sont avérés, l’Asie centrale devrait produire environ 4 millions de barils/ jour d’ici 2010, dont 3 millions seraient réservés à l’exportation. L’Asie centrale sera alors en mesure de rivaliser avec les principaux producteurs du Golfe persique (notamment l’Iran, actuellement 4e producteur et 3e exportateur mondial de pétrole) et d’affirmer son rôle de pôle international d’approvisionnement énergétique. [...] ● Des bases fragiles Cependant, le développement de la production du pétrole d’Asie centrale repose sur des bases fragiles. S’appuyant presque exclusivement sur l’exportation de ses ressources naturelles, cette région est de ce fait exposée plus que toute autre zone d’extraction pétrolière aux risques de retournement du marché et d’effondrement des cours des matières premières, comme cela s’est produit en 1998-1999. Une crise aurait pour effet immédiat de remettre en question la viabilité de projets, rendus possibles par de substantielles recettes d’exportation. L’Asie centrale s’insère enfin dans un environnement régional très compétitif : tous ses voisins et partenaires sont eux-mêmes de grands producteurs et exportateurs d’énergie qui ont tout autant besoin des recettes d’exportation pour alimenter leurs budgets respectifs. Handicap supplémentaire, les infrastructures héritées de l’époque soviétique ne lui permettent pas d’exporter massivement ses hydrocarbures. Dès lors, la croissance exponentielle de sa production de pétrole et de gaz intervient parallèlement à la 104 gestion du problème d’évacuation des flux d’exportations (et donc à la construction de nouvelles conduites). Les gouvernements et les sociétés exploitant les gisements sont contraints de négocier avec Moscou l’acheminement, via le territoire russe, d’une production devenue elle-même concurrente des exportations de pétrole russe et ce, tout en échafaudant des projets de construction de voies d’évacuation dans une région considérée comme très instable. [...] Si l’essentiel du trésor énergétique de l’Asie centrale n’est pas constitué de pétrole brut mais bien de gaz naturel, il semble néanmoins acquis que l’Asie centrale s’affirmera plus rapidement dans son rôle d’exportateur de pétrole que dans celui de puissance gazière. Ne pouvant être aisément stocké et devant être transporté dans des conditions très contraignantes, le marché du gaz naturel est régional par définition, sauf à investir dans des infrastructures d’un coût exorbitant. Or, deux des voisins immédiats des Etats d’Asie centrale, la Russie et l’Iran, figurent parmi les tout premiers producteurs et exportateurs mondiaux de gaz naturel. En outre, l’essentiel des réseaux fixes de transport du gaz extrait en Asie centrale transitent par le territoire de la Fédération de Russie. [...] Le problème des exportateurs de gaz d’Asie centrale se pose avant tout en termes de débouchés commerciaux. Le marché russe n’est pas une option et l’accès à ceux de l’Europe dépend du bon vouloir de Moscou. Les débouchés iraniens sont interdits à tout projet comprenant des intérêts américains. Le marché turc est certes captif mais aujourd’hui saturé, Ankara ayant considérablement surestimé la croissance de la consommation domestique de gaz. De surcroît, il est convoité par toutes les puissances gazières régionales, y compris la Russie, qui est son premier fournisseur. Quant aux marchés pakistanais et indien, ils L’énergie ne deviendront accessibles que grâce à la construction d’un gazoduc de près de 2 000 kilomètres qui devra traverser l’Afghanistan d’un bout à l’autre... [...] ● Un nouveau pôle Tous les éléments sont réunis pour faire de l’Asie centrale, dans les décennies à venir, un nouveau pôle énergétique. [...] Le plus remarquable dans ce contexte est peut être la réaction de la Russie, devenue elle-même partenaire stratégique des Etats-Unis, alors que ceux-ci prenaient pied dans ce qui a été pendant plusieurs siècles la chasse gardée de Moscou. Cette conjonction inattendue des intérêts russes et américains, qui comporte une importante dimension énergétique, sert les intérêts de l’Asie centrale puisque la coopération régionale semble pouvoir prendre l’ascendant sur les antagonismes idéologiques ou historiques. Elle fournit à l’Asie centrale la possibilité de s’imposer dans la politique énergétique internationale et de pérenniser les flux d’investissements dont elle bénéficie aujourd’hui.» Alexandre Huet, économiste «Hydrocarbures en Asie Centrale. L’émergence d’un nouveau pôle énergétique» CPE, n° 1027, août 2002, pp. 24-38 L’Etat rentier «La Russie est et restera durablement un pays de rente de matières premières, et en particulier d’hydrocarbures. D’après les économistes de la Berd, cette rente atteindrait 25 % du PIB, soit un niveau équivalent à celui de pays comme l’Arabie saoudite. Dans la littérature économique, la possession d’une rente (surplus laissé après la juste rémunération du capital et du travail selon les concepts de David Ricardo) engendre un certain le courrier des pays de l’Est nombre de problèmes structurels, ce qui explique que peu d’Etats rentiers aient connu un véritable développement. D’une part, la rente est liée à une demande le plus souvent externe et, s’agissant de matières premières, très inélastique à la variation des prix. Ceci se traduit par une forte volatilité des cours. [...] D’autre part, les revenus tirés de la rente engendrent ce que la littérature économique a décrit sous les termes de syndrome hollandais (dutch disease). En exerçant une pression à la hausse sur le taux de change réel du pays rentier, ils rendent non compétitifs de nombreux autres secteurs de l’économie productive qui ne bénéficient pas de rente. A terme, comme on l’a constaté par exemple en Norvège, à la suite de la montée en puissance de l’économie pétrolière, seuls tendent à subsister le pôle rentier et un vaste secteur d’économie non marchande comme celui des services publics et privés, non exposés à la concurrence internationale. On observe manifestement ce phénomène aujourd’hui en Russie. [...] La stratégie alternative passe tout d’abord par une renationalisation de la rente. Celle-ci est bien distincte de l’idée d’une renationalisation des firmes privatisées au cours de la précédente décennie. [...] En termes clairs, ceci signifie que non seulement l’Etat va être plus vigilant dans la perception des impôts dus (malgré une nette amélioration de la collecte depuis 1998, l’évasion fiscale reste importante), mais qu’il va aussi considérablement renforcer le taux des impôts sur les rentes de matières premières et donc sur les sociétés pétrolières. [...] La contrepartie paradoxale d’une telle évolution pourrait être un meilleur accès des étrangers au secteur des hydrocarbures russes.» Christophe Cordonnier, économiste «L’affaire Khodorkovski. Ou l’économie politique de la nouvelle Russie» CPE, n° 1042, mars-avril 2004, pp. 60-71 105 N° 1046 novembre-décembre 2004 Pour plus d’informations lire dans Le courrier des pays de l’Est Bernard Demory, «Les structures énergétiques du COMECON» (Première partie), n° 45, 5 janvier 1966, pp. 21-44. Bernard Demory, «Les structures énergétiques du COMECON» (Deuxième partie), n° 46, 19 janvier 1966, pp. 23-38. Bernard Demory, «Le gaz naturel en URSS», n° 70, 11 janvier 1967, pp. 21-33. Chantal Beaucourt, «Le potentiel énergétique de l’URSS. Perspectives 1975-1980», n° 150, mars 1972, pp. 6-24. Article non signé, «L’approvisionnement énergétique de l’URSS au Moyen-Orient», n° 177, septembre 1974, pp. 9-13. Chantal Beaucourt, «Le gaz soviétique», n° 178, octobre 1974, pp. 9-24. Marie-Agnès Crosnier, «Pétrole et gaz naturel en Union soviétique», n° 212, novembre 1977, pp. 3-38. Groupe d’études prospectives internationales, «Situation et perspectives du bilan énergétique de l’URSS et de l’Est européen», n° 216, mars 1978, pp. 3-16. Daniel Pineye, «La production pétrolière soviétique à l’horizon 1985. Approche régionale», n° 229, mai 1979, pp. 3-12. Hervé Gicquiau, «Bilan et perspectives de l’industrie électrique de l’URSS face au défi énergétique», n° 262, mai 1982, pp. 3-41. Anita Tiraslpolsky, «Quel pétrole pour quelle croissance en Europe de l’Est ?», n° 280, janvier 1984, pp. 3-29. Jean-Pierre Broclawski, «L’URSS face au contre-choc pétrolier», n° 307, juin 1986, pp. 39-42. Chantal Beaucourt, «L’énergie en URSS en 2010», n° 337, février 1989, pp. 4-15. Marie-Agnès Crosnier, «L’hydro-électricité en Union soviétique : le retour aux sources», n° 337, février 1989, pp. 28-42. Catherine Locatelli, Catherine Mercier-Suissa, «Les ventes de pétrole et de gaz soviétique : quel prix pour l’Est ?», n° 347, février 1990, pp. 52-58. Marie-Agnès Crosnier, «Les ressources primaires d’énergie en ex-URSS : état des lieux fin 1993», n° 387, mars 1994, pp. 3-32. Galina Kalioulina-Luquet, «La privatisation de l’industrie pétrolière en Russie», n° 400, juin 1995, pp. 28-42. Minas Analytis, «Le projet d’oléoduc Bourgas-Alexandroupolis un enjeu géostratégique», n° 411, août 1996, pp. 45-54. Alexandre Matveev, «Le statut de la mer Caspienne : le point de vue russe», n° 411, août 1996, pp. 55-61. Iakov Pappé, «La nébuleuse Gazprom : un anachronisme de l’économie russe», n° 430, juin 1998, pp. 18-29. Laurent Rucker, «Lukoil, une major russe», n° 1033, mars 2003, pp. 76-78. Catherine Locatelli, «Pétrole russe et investisseurs étrangers. Des intérêts divergents», n° 1045, septembre-octobre 2004, pp. 64-76. 106 le courrier des pays de l’Est Les industries de défense Une mue douloureuse Durant toute la période de la guerre froide, l’Union soviétique s’est livrée à plusieurs reprises à une démonstration de sa force militaire terrestre, mais dans sa zone d’influence : intimidation à Berlin, lors du blocus de la ville (1948-1949), puis lors de la rébellion ouvrière (1953), écrasement de l’insurrection hongroise (1956), invasion de la Tchécoslovaquie, avec l’aide des alliés du Pacte de Varsovie (1968), ce dernier servant de puissant levier de normalisation politique, technologique et industrielle, au service des intérêts du plus puissant des «pays frères». Les différents pays satellites ne figuraient-ils pas au nombre de généreux fournisseurs d’armements à différents Etats de par le monde ? Pendant ce temps, l’URSS pouvait centrer ses efforts sur quelques domaines d’excellence (secteur spatial et aéronautique, systèmes d’armes de destruction massive) dans la course aux armements engagée avec les EtatsUnis. Un avantage relatif en faveur des forces soviétiques exista durant les années 1960 et au début des années 1970, lorsque fut établie une parité nucléaire entre les deux puissances, notamment avec la mise en place d’une flotte de sous-marins nucléaires. Puis, tandis que l’invasion de l’Afghanistan démontrait les faiblesses du corps expéditionnaire soviétique (avec sa retraite sans tambours ni trompettes en 1989), le durcissement de la politique des transferts de technologies dès la fin des années 1970, et le projet d’une guerre technologique à outrance formé par l’administration de Ronald Reagan mirent en échec les visées d’expansion de Moscou, tout en révélant en pleine lumière son incapacité économique à poursuivre cette compétition sans entamer encore plus la portion congrue consacrée au bien-être des populations dans l’ensemble du bloc «socialiste». A partir du début des années 1980, une plus grande attention sur l’état des dépenses militaires est accordée aussi bien de la part des autorités américaines (Département de la Défense et CIA) que de celle de l’Institut indépendant suédois (SIPRI) ou encore de l’institut privé Wharton de Washington qui, par ailleurs, diffusent plus largement leurs travaux. L’Otan n’était pas en reste. Avec l’arrivée au pouvoir de M. Gorbatchev, un débat fut rapidement ouvert en Union soviétique sur les voies possibles d’une réduction des dépenses militaires et sur la mise en place d’une (re)conversion du complexe militaroindustriel (CMI), au bénéfice des productions duales et des biens de consommation. Des engagements internationaux avaient été pris en vue d’une réduction des dépenses et des forces conventionnelles, mais sur le terrain, en URSS, ces manœuvres butèrent rapidement sur la barrière de dissémination de l’information et sur la culture du secret profondément enracinée au sein du CMI. En effet, comment établir des passerelles 107 N° 1046 novembre-décembre 2004 entre les industries civiles et militaires, alors que les premières ne bénéficiaient que de procédés de second choix, livrés par les premières, de tous temps habituées à agir en prédatrices ? Après la disparition de l’URSS, le CMI a traversé une période de chaos et ce n’est qu’à partir de la fin des années 1990 qu’une restructuration, potentiellement viable, semble se mettre en place. Quant aux industries de défense dans les pays de l’Europe centrale et orientale, libérés de la tutelle soviétique en 1989, et dont dix sont désormais dans l’Otan, elles continuent à se débattre, tant bien que mal, avec l’héritage, en tentant de sauver un certain potentiel industriel. Parfois, avec l’assistance bienveillante de leurs concurrents... Une croisade tardive pour l’innovation «Parmi les nombreuses tâches que s’est assignées Mikhaïl Gorbatchev dans le domaine de l’économie, la consolidation des industries “mécaniques” vient au tout premier rang. En dépit de réalisations industrielles impressionnantes pour les besoins de la défense, les industries “mécaniques” soviétiques demeurent un colosse sans assise solide. Le projet de M. Gorbatchev, qui s’appuie sur une politique de modernisation concernant l’ensemble de l’appareil de production industrielle et principalement les industries “mécaniques”, a pour double objectif de les amener à surmonter leur incapacité à produire en fonction des besoins et de suivre convenablement la progression de la technologie mondiale. [...] Les déficiences dans le domaine de la qualité sont devenues encore plus criantes et sont désormais très vigoureusement dénoncées. A la notion de “produire pour produire” se substitue 108 enfin l’évidence de répondre aux besoins sous toutes leurs formes. La perestroïka est très ambitieuse à l’égard de la qualité : redresser le niveau de la fiabilité actuellement au plus bas, renouveler chaque année 13 % des articles en production, et mettre en œuvre les moyens d’une innovation authentique. [...] Atteindre le niveau mondial et devenir compétitives − non plus désormais pour les seules productions militaires − c’est l’obligation qui est faite aux industries “mécaniques”. [...] La relative autarcie technique et économique de l’URSS lui a permis, pendant des décennies, de s’accommoder de produits obsolètes du point de vue mondial ; mais l’accélération des mutations techniques et l’ouverture de l’économie aux contingences planétaires ont mis un terme au laxisme officiel et font mesurer aux Soviétiques l’étendue de leur retard et l’inadaptation de leur système de recherche et production à gérer le progrès technique. Le renouvellement des productions dans les industries “mécaniques” résume bien le retournement de tendance actuel. Certains chiffres sont éloquents : ainsi de 1970 à 1980, la part des produits de ces industries se trouvant en production depuis plus de dix ans s’était élevée de 19 % à 29 % (16,2 % en 1967 et 30,6 % en 1981) ; il n’y aurait pas d’amélioration aujourd’hui. Remarquons aussi que plus de la moitié des biens ayant le label de qualité, c’est-à-dire supérieurs en valeur technique aux normes d’Etat soviétiques, sont fabriqués depuis plus de dix ans ! [...] M. Gorbatchev a qualifié de peu satisfaisante la situation de la science sectorielle des industries “mécaniques”, ajoutant qu’elle constitue l’un des problèmes les plus délicats de la perestroïka dans ces industries. Il est vrai Les industries de défense que ce secteur de la recherche s’est satisfait de rester, pendant environ trois décennies, à la remorque de l’étranger, copiant les modèles du jour ou même de la veille, incapable de s’ouvrir des perspectives originales. Or, il est incontestable qu’il a reçu beaucoup, favorisé par la politique de développement extensif : nombre de chercheurs augmenté des deux tiers en quinze ans, ressources financières largement distribuées depuis le budget de l’Etat quoique non liées aux résultats des travaux, création trop facile d’organisations de recherche sans stratégie d’ensemble. La science sectorielle dans les industries “mécaniques” compte 700 instituts et bureaux d’études, employant plus de 400 000 personnes. [...] En 1988, rien ne permet de penser qu’un renouveau de la technique soviétique industrialisée soit en passe de se réaliser. Les secteurs de pointe et secteurs traditionnels des industries “mécaniques” n’ont pas avancé en deux ans et leurs perspectives n’appellent pas de commentaires enthousiastes. Le secteur des industries de défense, et nous pensons essentiellement aux industries de l’électronique, de la radio et des télécommunications, semble être bloqué dans son développement technologique à des fins civiles tout au moins, faute de pouvoir s’adapter à une production de masse en même temps que compétitive ; il est de plus en plus vraisemblable qu’il subit l’influence en retour des carences profondes du secteur civil et tout particulièrement la mauvaise qualité au sens large des produits de base et produits intermédiaires.» Hervé Gicquiau, Le courrier des pays de l’Est «Situation et perspectives des industries soviétiques dites mécaniques : productions et technologies» CPE, n° 332, septembre 1988, pp. 3-33 le courrier des pays de l’Est Chiffres incertains et zones d’ombre «L’incertitude reste grande encore aujourd’hui sur la réalité des dépenses de défense soviétiques (15-17 % du PIB selon l’Otan), de leurs éventuelles réductions, de la conversion au civil de l’industrie de défense et de la réforme militaire. Comment faire le point sur les mesures déjà prises dans le sens de la réduction des dépenses militaires : personnel, exploitation et maintenance, activités spatiales... ? Les zones d’ombre sont encore nombreuses sur les capacités de production d’armements, les programmes de recherche et développement, la volonté réelle de conversion au civil, […] sur la nouvelle répartition des pouvoirs entre centre et républiques, la propriété des usines ou les conséquences de réductions de dépenses trop brutales dans cette industrie : elles risqueraient en effet d’entraîner un chômage insupportable dans certaines régions de mono-industrie militaire. La transformation des pays du Pacte de Varsovie, hors URSS, en Etats indépendants, la dissolution de ce Pacte d’alliance militaire, les réductions unilatérales des forces de défense soviétiques et le retrait des troupes stationnées en Europe de l’Est, l’unification de l’Allemagne, désormais au sein de l’Otan et, surtout, l’accord intervenu en novembre 1990 sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE) ont renforcé, dans une mesure considérable, la sécurité en Europe, telle que la perçoit l’Alliance. [...] En effet, les décisions relatives à l’allocation des ressources en URSS, ainsi que la reconversion de l’industrie de défense, auront probablement des répercussions importantes sur la planification des forces de l’Otan et ceci même dans le contexte de la période suivant l’accord sur les FCE ; elles pourraient en effet 109 N° 1046 novembre-décembre 2004 avoir une influence déterminante sur le rythme auquel l’URSS modernisera le reste de ses forces, sur la stratégie de sa R&D et sur la réforme militaire. [...] ● La réduction des dépenses de défense en 1989 et 1990 et leur impact Etant donné l’absence de chiffres de référence réalistes, il a été difficile de calculer les répercussions de la réduction de 14,2 % du budget militaire et de 19,5 % de la production militaire, annoncée par M. Gorbatchev en janvier 1989. Ce n’est qu’en mai que le chef du Kremlin a avancé un autre chiffre, plus crédible, reflétant les dépenses totales de son pays. M. Gorbatchev indiquait en effet qu’elles s’élèveraient à 77,3 milliards de roubles pour 1989, et non pas à 20,2 milliards comme cela avait été publié à l’origine. Cette déclaration fut suivie d’une série sans précédent de révélations de la part de hauts responsables soviétiques, mettant en évidence les réductions des dépenses de défense pour les plans quinquennaux 1986-1990 et 1991-1995. D’avril à juillet 1990 pourtant, ces nouvelles estimations ont dû être réinterprétées après que M. Chevardnadzé, alors ministre des Affaires étrangères, et M. Gorbatchev lui-même, parlant du poids de la défense, eurent avancé des chiffres qui impliquaient un niveau de dépenses militaires bien plus élevé que ne le laissait croire le budget officiel. [...] A long terme, la capacité de modernisation de l’Union soviétique risque d’être affectée par l’ampleur des restrictions d’allocation des ressources concernant les activités de recherche et de développement militaires. En dépit des coupes sombres pratiquées dans le budget officiel de R&D militaires et de l’arrêt présumé de 150 programmes de recherche, rares sont les indices qui permettent de croire aujourd’hui que les grands programmes de développement d’armements ont été annulés ou 110 reportés. [...] Le débat sur la réforme militaire constitue un autre domaine où les considérations sur les ressources pourraient s’avérer importantes. Ce débat a été alimenté par le discours de Mikhaïl Gorbatchev à l’occasion de son accession à la présidence en mars 1990, dans lequel il avait déclaré que la réforme militaire figurait parmi les principales missions qu’il s’était fixées. Le débat ne se limite pas à la doctrine militaire et à l’avenir des mécanismes d’acquisition d’armements et de R&D. Il porte également sur la taille et l’organisation des forces armées soviétiques, le rôle de l’administration politique au sein de la communauté militaire et le degré de professionnalisme des forces armées. [...] ● Vers la transparence ? Outre l’accord sur les FCE intervenu dans le cadre de la Conférence sur la coopération et la sécurité en Europe (CSCE), d’importants progrès avaient été réalisés, dans le même cadre, vers plus d’ouverture dans le domaine de l’économie de la défense. Un pas important avait été fait dans ce sens lors du séminaire sur la doctrine militaire, organisé début 1990 à Vienne, sous l’auspice des négociations sur les mesures de confiance et de sécurité (MDCS). Ce séminaire n’avait pas seulement pour but de promouvoir un dialogue de qualité entre militaires de haut rang des 35 pays membres de la CSCE sur la doctrine militaire et surtout sur le nouveau courant de pensée au sein du Pacte de Varsovie ; il avait également offert des séances d’échanges d’informations sur les budgets militaires. Cinq des sept pays membres du Pacte de Varsovie avaient présenté un exposé sur leur budget militaire. [...] Chaque Etat participant “peut demander des explications à un autre Etat participant quant aux informations budgétaires fournies”. L’Etat invité à fournir de telles explications “fera tout son possible Les industries de défense pour répondre rapidement et intégralement aux questions qui lui sont posées”. Bien que l’adoption des MDCS constitue, à n’en pas douter, un développement positif, il reste à voir combien de données supplémentaires l’Union soviétique sera en mesure d’apporter. En raison de l’incertitude qui prévaut, même en Union soviétique, quant au niveau des dépenses de défense, il ne serait pas réaliste de formuler des espoirs excessifs à court terme. En conséquence, pour ce qui concerne le proche avenir, l’Otan devra continuer à évaluer suivant ses propres critères la dimension des ressources que l’Union soviétique affecte à sa défense.» Christopher Wilkinson, OTAN, Direction économique «La perestroïka et la révision du budget de défense soviétique» CPE, n° 362 septembre 1991, pp. 54-61 L’utopie de la reconversion «Si la production des entreprises du complexe militaro-industriel (CMI) représentait, à la fin des années 1980, 60 % du PIB de l’URSS, seulement 6 % d’entre elles travaillaient à temps complet pour les armées. C’est donc, à partir de 1991, bel et bien 94 % des capacités du CMI qu’il devient nécessaire, en théorie du moins, de réorienter vers une production civile. Pourtant, à dix ans de distance, on conçoit aujourd’hui combien cette reconversion était utopique, tant elle signifiait pour la plupart des directeurs de l’époque une révolution culturelle et l’acquisition d’un savoir-faire industriel totalement étranger à leur façon de penser l’économie. Les ratés étaient inévitables. ● La gestion de l’héritage Le 20 mars 1992, le complexe militaroindustriel, dépendant de la Commis- le courrier des pays de l’Est sion militaro-industrielle (VPK) est aboli en tant que tel. A cette date, les entreprises de défense employaient encore entre 12 et 16 millions de personnes − sur une population active estimée à 67,7 millions − mais aussi, et surtout, les deux tiers des scientifiques et des techniciens qualifiés (soit environ 2,7 millions de personnes). Elles étaient concentrées dans la Russie d’Europe, et principalement dans les régions de Saint-Pétersbourg, de Moscou, de l’Oural et de Novossibirsk. Avec l’éclatement de l’URSS, la Russie a hérité à la fin de 1991 d’environ 70 % des industries du CMI soviétique, mais seules 25 % d’entre elles avaient encore l’année suivante une véritable activité, entraînant une immédiate raréfaction de nombreux objets de la vie quotidienne, la plupart étant produits par des usines du complexe (80 % de la technologie médicale, 70 % de l’équipement agricole, par exemple). Cependant, et contrairement aux autres pays de la CEI, Ukraine exceptée, cet héritage permet à la Russie de contrôler la quasi-totalité des filières et des niches technologiques indispensables à la constitution d’un CMI autonome et équilibré. En revanche, l’héritage reçu par l’Ukraine dans les secteurs des constructions navales, de l’aérospatial et de l’électronique explique à la fois les difficultés rencontrées par la Russie, tout au long de la décennie 1990, pour maintenir en état opérationnel certains de ses équipements, comme ses missiles stratégiques (ICBM) SS18 par exemple, et la réactivation de coopérations entre les industries des deux pays. ● Un casse-tête économique La multiplicité de ces structures répond à la recherche d’une plus grande efficacité, mais aussi, et peutêtre surtout, illustre les luttes des différents clans politiques pour s’emparer du contrôle de ce secteur. En dix ans à 111 N° 1046 novembre-décembre 2004 peine, le CMI a changé six fois de tutelle. [...] La première loi sur la conversion, qui date du 21 avril 1992, va buter immédiatement sur l’endettement interne des entreprises, évalué à quelque 5 000 milliards de roubles, soit environ 3 milliards de dollars au taux de change de l’époque (mais probablement dix fois plus en parité de pouvoir d’achat), les impayés de l’Etat (au moins 3 000 milliards de roubles) et les déclarations d’intention du gouvernement. Face à la nette diminution des commandes d’Etat (goszakaz), cinq politiques sont possibles. Les quatre premières (réduction et suppression des activités sans licencier ou toucher à l’infrastructure sociale ; privatisation ; accroissement de la production civile ; mise en place de joint ventures et appel aux investisseurs étrangers) ont été un échec et seule la cinquième a donné rapidement des résultats. En décembre 1993, un décret prévoyant la privatisation de 1 167 des 1 968 entreprises du CMI est publié. Il précise également que 70 sites environ (arsenaux, bases militaires, centres d’essai) et quelques dizaines de villes fermées demeureront dans le giron de l’Etat. Ce texte va pratiquement rester lettre morte. En 1995, deux ans plus tard, la part publique du CMI représente encore 60 % de la capacité scientifique et technique du pays, 85 % de ses bureaux d’études et 90 % de ses instituts de recherche, mais son volume de production ne représente plus que 8,7 % du niveau de 1991. Au même moment, la presse commence à évoquer la création, sous l’impulsion d’entrepreneurs dynamiques et souvent liés aux clans politico-économiques, de “groupes financiers et industriels” (Finansovo-promychlennye groupy, FPG) qui s’organisent, comme le préconise une loi du 30 novembre 1995, en corporations verticales fondées, ce qui est nouveau, sur une union entre des 112 concepteurs (bureaux d’études), des usines de production en série, des banques ou des compagnies d’assurances. L’apparition de ces FPG a presque toujours pour toile de fond une lutte entre groupes politiques ou entre grands monopoles d’Etat (Gazprom en tête). [...] ● Un CMI à deux vitesses Dès cette époque, il devient évident que le CMI est en train de se scinder en deux parties : celle des “groupes pour la survie”, dont l’existence ne se justifie plus autrement que par la volonté politique de préserver l’ordre social en évitant les licenciements, et celle des “groupes pour le développement” qui mettent en place une véritable politique à long terme afin de s’insérer dans le marché mondial, comme Soukhoï, le plus grand exportateur russe de produits manufacturés. Fin 1997, l’Etat contrôle encore totalement 42 % des entreprises du CMI, partiellement 29 %, les autres étant entièrement privatisées. A cette date, [...] le CMI employait toujours de 4 à 6 millions de personnes, “dont 2 millions directement impliquées dans la fabrication d’armes et 800 000 à 1,2 million de chercheurs et de techniciens”. Il compte […] quelque 1 700 entreprises de production, 660 établissements de recherche-développement militaire auxquels il convient d’ajouter la multitude d’instituts et de départements de l’Académie des sciences. En janvier 2000, 92 % des entreprises répertoriées comme appartenant au CMI participent encore plus ou moins à la fabrication d’armes, ainsi que 80 % des instituts. La restructuration/conversion du CMI et, au-delà, de l’industrie russe dans sa totalité, a subi une très forte impulsion avec l’arrivée sur la scène politique de V. Poutine et la création des cinq agences Les industries de défense industrielles spécialisées. Pourtant, dès leur apparition en 1999, ces agences font l’objet de nombreuses critiques. D’aucuns soulignent le manque de relais existant entre elles et les destinataires, leur incapacité à évaluer les problèmes des régions et à mettre en place un dialogue avec les administrations locales au sujet des dettes des entreprises, du volume des commandes, etc. Mais, la critique principale porte sur le fait qu’elles ne contrôlent qu’une faible partie des industries du CMI (1 470 entreprises sur 2 500 entreprises en juin 2000). De plus, pour l’observateur extérieur, ces agences ont comme un arrière-goût de ministère sectoriel soviétique ! Le 11 mai 2001, un plan très ambitieux de restructuration du secteur aéronautique est rendu public. Doté d’une enveloppe budgétaire de 7,7 milliards de dollars, il prévoit la création au cours des trois années suivantes de six grands groupes réunissant quelque 300 constructeurs et bureaux d’études. La logique de marché semble alors pour la première fois l’emporter. [...] Deux mois plus tard, fin juillet, un programme de réduction de moitié des “1 700 entreprises du CMI” d’ici à 2006 voit le jour (les centres de recherches ne semblent pas concernés). Ce programme, qui prend pour exemple les fusions entreprises par le groupe européen EADS et l’Américain Boeing, est complété par un deuxième plan en octobre 2001 qui vise à réduire encore un peu plus le nombre des survivantes, en les ramenant à une “cinquantaine d’entreprises publiques”, destinataires en priorité des ordres de recherche et de production de l’Etat, lequel cesserait, en conséquence, de subventionner les autres entreprises. Fait nouveau, ce plan prend en compte les intérêts des régions auxquelles serait reversée une partie des taxes acquittées par les entreprises locales, contrairement aux pratiques précédentes. [...] D’ores et déjà, le paysage militaro-industriel le courrier des pays de l’Est russe se dessine nettement autour de quelques dizaines de grands noms. Combien survivront à la compétition mondiale ? Etant donné les facteurs inhérents à sa taille (nombre d’emplois générés dans les régions, infrastructures sociales, etc.), la réforme du CMI ne peut guère être soumise sur la totalité du territoire aux règles du marché. Par obligation sociale donc, mais aussi politique (la loi sur la défense de 1996 rend les régions responsables du suivi des commandes d’Etat), les régions plus pauvres ont grandement contribué à favoriser l’apparition d’un CMI à deux vitesses. [...] En moyenne, la part du CMI dans l’industrie des régions est de 35 %, avec quelques pics, comme en Oudmourtie, où elle atteint 80 % environ de la production industrielle brute, ou dans la région de Moscou qui abrite 37 % des usines et 80 % des centres de recherche russes. Mais Moscou est une région riche où d’autres secteurs que celui de la défense sont créateurs d’emplois. Son budget est donc moins grevé par l’entretien du CMI que celui de l’Oudmourtie. C’est donc un gouffre financier pour les régions. [...] ● Doublons, propriété industrielle, concurrence stérile et exode des cerveaux Faibles charges d’activité et concurrences fratricides sont deux autres problèmes bien connus du CMI russe. Ainsi en 2001, le coefficient d’activité des entreprises du CMI ne dépassait-il pas en moyenne 15 % de leurs capacités de production et même 7 % pour les six usines en charge de la production de munitions, tandis que plus de 150 entreprises parmi celles qui dépendent de l’Agence pour les systèmes de contrôle (électronique, radars...) étaient engagées dans le développement de produits similaires. Ce phénomène de doublons conduit, bien évidemment, comme durant la période 113 N° 1046 novembre-décembre 2004 soviétique, à une spirale de concurrences stériles et à l’apparition de produits similaires. Contrairement aux attentes, la création en 2000 d’une agence d’exportation unique, Rosoboroneksport, n’a pas, faute d’une réorganisation suffisante, mis un frein à ces luttes fratricides. Aujourd’hui, la Russie compte toujours beaucoup trop d’entreprises par domaines d’activité et niches technologiques : plusieurs motoristes d’aéronautique, missiliers, constructeurs d’aéronefs, une quarantaine de chantiers navals militaires, plusieurs fabricants de blindés, etc. En 1990 la R&D militaire russe représentait 75 % de la R&D totale du pays. Aujourd’hui, si cette même part est impossible à évaluer, sa faiblesse transparaît à travers les sommes qui lui sont officiellement consacrées : en 2001, elle comptait pour 42 % du chapitre “R&D-achats” du budget de la défense, soit à peine 24 milliards de roubles (798 millions de dollars), c’est-à-dire une somme inférieure à la R&D militaire française. Toutefois, ce montant est sans doute très largement sous-estimé dans la mesure où plusieurs budgets civils abritent des allocations au secteur militaire. [...] La part des brevets industriels russes dans le total mondial ne représenterait plus aujourd’hui, selon l’Académie des sciences, que 0,3 %, tandis que la Russie ne serait plus présente que dans 1 % des transactions passées sur le marché mondial des hautes technologies, contre 39 % pour les Etats-Unis et 30 % pour le Japon. [...] La Russie avoue être à égalité avec les Etats-Unis et le Japon dans deux d’entre eux seulement : celui des lasers et des technologies nucléaires. [...] Le retard de la Russie dans le domaine de l’électronique est considéré par le gouvernement comme une vraie menace pour la sécurité nationale et l’indépendance de la recherche russe. Il est aussi ressenti comme une véritable humiliation. Aujourd’hui seuls 60 % des armements 114 produits par la Russie seraient entièrement équipés d’électronique russe et, bien souvent, le client préfère faire remplacer celle-ci par une électronique d’origine occidentale, comme ce fut le cas pour les chasseurs Su-30MKI vendus à l’Inde. Seules les armes servant à la dissuasion nucléaire ne comporteraient aucun composant électronique étranger. […] Les autorités russes sont bien conscientes que sans R&D efficace et bien financée, les armes produites par leur CMI seront bientôt à reléguer au magasin des antiquités. [...] L’un des problèmes majeurs qui se posent aujourd’hui aux entreprises russes, et donc à celles du CMI, est celui de la propriété des droits intellectuels. L’Etat russe est en effet l’unique propriétaire des droits sur toute technologie qui a été développée grâce à des fonds gouvernementaux durant la période soviétique. [...] Effet direct du sous-développement de la recherche scientifique civile et militaire et du faible niveau des salaires, le départ des scientifiques russes vers l’étranger et le secteur privé, où bien souvent ils cessent de pratiquer leur spécialité, a atteint ces dernières années des proportions énormes. A la fin des années 1980, la politique de M. Gorbatchev avait déjà eu pour conséquence une émigration massive vers Israël de nombreux spécialistes de haut vol. Plus tard, au cours des trois années qui ont suivi la chute de l’URSS, ce serait plus de 50 % des meilleurs spécialistes du CMI qui auraient quitté le pays. On retrouve ces derniers un peu partout dans le monde : en Chine, en Corée du Sud, mais surtout aux Etats-Unis, en Israël et en Europe. [...] Aujourd’hui, [...] les chercheurs russes à l’étranger seraient au nombre de 30 000 environ. Mais un rapport récent du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, affirme qu’au cours de ces dernières années, la Russie a perdu environ 200 000 scientifiques et continue à en perdre. [...] Les industries de défense Faire face aux problèmes Comment transformer en centres de haute technologie des entreprises que le Président russe lui-même qualifie “d’archaïques et ne satisfaisant pas aux besoins militaires et politiques modernes” ? La politique actuelle du gouvernement, on l’a vu, est de maintenir sous contrôle de l’Etat la partie du CMI indispensable à l’indépendance technologique du pays, quitte à procéder à des renationalisations qui viendraient alors trancher avec la politique de privatisation de l’industrie civile. C’est tout le sens des divers plans qui se sont succédé à partir de mai 2001. Le tout est de savoir si le gouvernement aura des moyens financiers suffisants pour réaliser ses projets. Dans le seul domaine aérospatial, par exemple, selon la Chambre d’audit de la Fédération, sur les 224 entreprises privatisées, l’Etat ne possède une majorité de contrôle que dans 7 d’entre elles et une action de blocage dans 87 autres. Dans 16 entreprises, il détient une action préférentielle et dans 20 autres, moins de 25,5 % des parts et est complètement absent dans 94 cas. [...] ● La coopération internationale : une solution à tous les problèmes ? Parmi les diverses politiques engagées par les entreprises, la coopération avec des sociétés étrangères et la création de joint ventures semblent être les voies les plus prometteuses pour réaliser le lien entre la conversion industrielle et l’intégration dans l’économie mondiale, mais à condition de ne pas se limiter à des partenariats avec la Chine et l’Inde qui n’ont aucune technologie évoluée à offrir. [...] La coopération avec les Européens et les Américains, à la fois variée et ancienne, concerne surtout le domaine aérospatial et aéronautique, dans lequel les Russes disposent d’une le courrier des pays de l’Est immense expérience, acquise après plus de quarante ans de vols habités, d’un savoir-faire indéniable et de technologies encore inexploitées (lancement de satellites, fournitures de composants pour satellites, caméras, bus de données, moteurs de fusées, pièces d’avions...). Cette coopération n’est donc pas à sens unique et la Russie n’est pas seule à en tirer profit. Pour l’Europe, la coopération avec Moscou signifie en effet économies dans la recherche et rattrapage dans certains domaines de son retard sur les Etats-Unis. [...] Les investisseurs étrangers hésitent à s’engager dans un pays où sévit la corruption, où le dispositif juridique est mouvant et lacunaire et où leur participation dans le capital des entreprises dites stratégiques est limitée par un décret de 1993. [...] Epiphénomène sans doute des divers problèmes évoqués ci-dessus (technologies particulières, manque d’investissements étrangers, éclatement des programmes entre des usines implantées à présent dans divers pays, etc.), la reconstitution des réseaux entre les entreprises de toute la CEI frappe par sa rapidité. Aujourd’hui, aucun programme d’armement russe n’est intégralement national. Les liens avec l’Ukraine et la Biélorussie sont dans ce domaine particulièrement forts. [...] La coopération russo-ukrainienne est très développée dans le domaine aérospatial et des missiles : “développement des propulseurs spatiaux, conversion du ICBM SS-18 en lanceur de satellites, participation ukrainienne à la partie russe de la station orbitale internationale, au programme Sea Launch et construction de lanceurs spatiaux”. De leur côté, les entreprises du CMI biélorusse ont participé, en 2000, aux commandes d’Etat russes à hauteur de 10 %. En 2000, ce sont plus de 600 sociétés de toute la CEI qui ont fourni des pièces aux usines russes d’armement, tandis que parmi ces dernières, 500 d’entre elles travaillent quotidien- 115 N° 1046 novembre-décembre 2004 nement sur des projets communs avec 1 326 entreprises de la CEI. Quelque 700 entreprises de la CEI sont aussi impliquées dans la construction des chars T-72 et 568 dans celle des chasseurs Mig-29. Les sous-marins lanceengins (SNLE) sont construits en Russie (1 300), en Ukraine (550), en Biélorussie (83), au Kazakhstan (5), en Arménie (4), en Moldavie (3) et au Kirghizstan (2). Le CMI soviétique est donc toujours bien présent dix ans après la disparition de l’URSS ! Cette cohabitation, forcée en quelque sorte, n’est cependant pas toujours amicale. Ainsi la Russie menaçait-elle récemment de rapatrier la totalité de la production des avions de transport militaires IL-76 fabriqués par l’usine de Tachkent en Ouzbékistan (90 % des pièces sont livrées par la Russie) à cause de divergences entre les deux pays à propos de la vente de vingt appareils à la Chine.» Cyrille Gloaguen, Centre de recherches et d’analyses géopolitiques, Université Paris-VIII «Le complexe militaro-industriel russe : entre survie, reconversion et mondialisation» CPE, n° 1032, février 2003, pp. 4-17 Qui contrôlera cette nébuleuse opaque ? «La rupture avec la situation antérieure a été réelle et brutale pour l’industrie de défense en Russie. A terme, on peut douter de la survie des entreprises les moins capables de s’adapter. Le pouvoir du complexe militaro-industriel (CMI) d’influencer sérieusement les orientations de la politique économique du gouvernement s’est érodé de manière décisive. Dans le même temps, un “certain CMI”, composé d’un nombre beaucoup plus restreint d’entreprises, est en passe de s’imposer en tant qu’enjeu de défense et de souveraineté politique et économique, et de reprendre par conséquent ses droits sur la scène 116 politique. Parmi ces entreprises, celles qui ont la possibilité d’exporter sont les mieux placées. [...] L’émergence de pôles plus forts du lobby militaroindustriel par rapport à d’autres groupes d’intérêts économiques suscite un certain nombre de questions. [...] En Russie, et plus particulièrement dans le cas du CMI, où le poids des liens personnels entre industriels et responsables politiques a toujours constitué un facteur important dans les décisions, les choix se font encore souvent en fonction du poids du “demandeur”. Il s’agit des industriels, bien sûr, mais aussi des responsables des régions ou villes où l’industrie de défense constitue toujours une part importante de l’économie. En ce sens donc, les analyses décrivant la difficulté du CMI à évoluer se justifient partiellement, mais elles touchent aussi bien au comportement des élites politiques elles-mêmes qu’aux seuls “barons rouges” du CMI. La montée d’un lobby des exportateurs d’armement ne va pas non plus sans quelques interrogations, notamment sur l’emprise des groupes exportateurs sur le pouvoir politique, compte tenu des enjeux que ceux-ci représentent. Si les grandes banques proches du pouvoir devaient confirmer leur intérêt pour les investissements et des prises de participation dans ces groupes lucratifs, cette emprise déjà perceptible pourrait devenir plus puissante à travers des alliances de raison entre industriels et financiers. En ce sens, l’industrie de défense − celle qui exporte − peut devenir un groupe de pression à part entière, disposant, à l’instar du TEK (lobby de l’énergie et des combustibles), d’importateurs et de banques, de leviers sur le pouvoir politique [...] et exercer des pressions d’une part sur la politique d’armement, d’autre part sur la politique étrangère de la Russie. […] Dans le principe, sa tutelle administrative est exercée par Les industries de défense un vice-Premier ministre en charge de l’industrie, des sciences et technologies auquel ont été subordonnées les cinq agences industrielles créées à partir du 1999. Toutefois, celles-ci sont parfois dirigées par des hommes de la nomenklatura eltsinienne ou poutinienne aussi influents, voire plus, que le ministre lui-même. [...] D’autres préoccupations s’expriment quant aux effets potentiellement pervers sur la politique étrangère de l’accent mis sur les exportations d’armements. La Russie, après avoir instauré un système assez strict de contrôle des exportations d’armement et des transferts de technologies, inquiète la communauté internationale par le choix de ses partenaires en matière de coopération militaro-technique. Les échanges, avec notamment la Chine et l’Iran, sont d’autant plus mal perçus par les Occidentaux que le ton du débat intérieur à Moscou − doctrinal, économique et de politique étrangère − semble se durcir. A cet égard, les déceptions des Russes quant aux effets souvent mitigés des coopérations industrielles avec des firmes occidentales ou l’accès toujours difficile des industriels russes aux technologies étrangères, constituent des facteurs de raidissement.» Isabelle Facon, CREST - Ecole polytechnique «Pouvoir politique et industries de défense en Russie de 1991 à 1996 : des relations complexes» CPE, n° 414, novembre 1996, pp. 3-21 Vendre à la Chine «Depuis la disparition de l’URSS, la République populaire de Chine est devenue le principal client de la Russie pour les armements. Ses achats sont en augmentation régulière : de un milliard de dollars en 1997-1998, ils sont passés à plus de deux milliards et demi en 2002, année record pour les exportations d’armes par la Russie, qui ont atteint 4,8 milliards de dollars. La part de la Chine dans le total n’est jamais le courrier des pays de l’Est tombée en dessous de 40 % au cours de la décennie 90, dépassant même les 60 % ces dernières années, du fait de l’exécution d’importants contrats portant sur des équipements maritimes et aéronautiques. ● Enjeux économiques et technologiques Les achats chinois ont joué un rôle essentiel dans la survie de l’industrie militaire russe ; ils ont maintenu relativement en bonne santé le leader de l’aéronautique Soukhoï, et en particulier sa plate-forme industrielle, l’union de production de Komsomolsk-surAmour. C’est également grâce aux commandes chinoises que certaines entreprises peuvent afficher des résultats satisfaisants, du moins selon les critères russes, notamment les chantiers navals (surtout “Severnaïa verf”, qui a fourni de 1997 à 2000 deux destroyers 956 E et où vient d’être entamée la construction de deux nouveaux modèles de classe 956 EM, qui devaient être livrés en 2006, pour un coût de 1,4 milliard de dollars), mais aussi les producteurs d’instruments et d’armements destinés aux avions de combat ainsi que ceux de systèmes de défense antiaérienne. La Chine achète des armements de série en grandes quantités et se montre peu exigeante ; par conséquent, les contrats passés avec ce pays se caractérisent par leur forte rentabilité. Il en va fort différemment avec l’Inde, dont les commandes d’avions et de navires se situent aux limites des possibilités de l’industrie militaire russe et abondent en demandes spécifiques. [...] Grâce aux livraisons russes, l’armée chinoise a réalisé en dix ans un bond qui l’a menée de l’utilisation de systèmes d’armement des première et deuxième générations d’après-guerre à celle d’équipements tout à fait modernes de 117 N° 1046 novembre-décembre 2004 quatrième génération. L’équilibre des forces en Asie orientale ne s’en est pas trouvé pour autant modifié. [...] Aussi les principaux résultats de la coopération militaire russo-chinoise sont-ils à rechercher non pas dans le domaine militaire, mais avant tout sur le plan technologique. Dans un certain sens, les transferts d’armements et surtout de technologies russes symbolisent le passage de témoin de la Russie à la Chine. Toute la décennie écoulée a été marquée pour la Russie par la perte de son statut de grande puissance. En Chine, on assiste au processus inverse, le pays se développe de façon impressionnante et se rapproche à grande vitesse de la position de concurrent politique, économique et militaire des Etats-Unis. Comparaison n’est pas raison, mais, en simplifiant quelque peu, la situation actuelle de l’industrie de haute technologie, en particulier militaire, peut être comparée à celle qu’a connue l’industrie soviétique dans les années 1930. La Chine ne se contente pas d’acheter des technologies, des prototypes ou des séries d’équipements modernes. Elle forme ses propres spécialistes dans le domaine de la construction d’avions, de missiles, d’instruments et de navires. La Russie, dès lors, joue à peu près le même rôle que celui tenu par l’Allemagne pour l’industrie aéronautique soviétique dans l’entre-deuxguerres. Le temps montrera l’efficacité de cette stratégie. On sait que dans les années cinquante, on avait déjà assisté à un transfert de grande envergure de technologies militaires de l’URSS vers la Chine, ce mouvement ayant été stoppé à la suite de la rupture des relations sino-soviétiques en 1960. [...] ● En retard d’une génération Lorsqu’on parle d’une modification possible du statu quo géostratégique, il s’agit avant tout de l’évolution du rapport de forces entre la Chine et les Etats-Unis. Le dynamisme écono- 118 mique de la première et la croissance de son potentiel militaire, combinés à ses ressources démographiques colossales permettent à bon droit de la considérer comme un concurrent potentiel à long terme des Etats-Unis. Il convient donc de se demander dans quelle mesure les achats d’armes à la Russie pèsent sur l’équilibre des forces militaires sino-américain. Il est absolument évident que le transfert par la Russie d’armements et de technologies modernes réduit l’écart entre la Chine et les Etats-Unis. Mais permettra-t-il à Pékin de rattraper complètement son retard ? [...] Dans les années 1990, la Chine a importé de Russie des armements de troisième et de quatrième génération, soit ceux dont sont actuellement dotés les pays les plus développés sur le plan militaire. Il semble donc que le saut de deux générations accompli par la Chine grâce à ses importations en provenance de Russie lui permette de combler son retard sur les Etats-Unis. Cependant, les armes de quatrième génération ont été élaborées à la fin des années 1970, et les armées en ont été équipées pendant les années 1980, mais elles ont commencé à devenir obsolètes dans les années 1990 et devront être remplacées dans la première décennie du XXIe siècle. [...] Les transferts de technologies russes ne font donc que réduire le retard de la Chine, mais l’écart d’une génération qui subsiste avec les Etats-Unis permet à ces derniers de conserver un leadership absolu dans le domaine militaire.» Konstantin Makienko, Centre d’analyse des stratégies et des technologies, Moscou «Les ventes d’armes de la Russie à la Chine : aspects stratégiques et économiques» CPE, n° 1032, février 2003, pp. 29-40 Le premier cercle des entrants dans l’Otan : une rude épreuve «Quelle est la situation des “novices” (République tchèque, Hongrie, Pologne), Les industries de défense entrés dans l’Otan il y maintenant plus de trois ans, alors que sept nouveaux postulants (Etats baltes, Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Slovénie) vont renforcer en 2004 les rangs de l’Alliance, en tirant la leçon des expériences des trois pays du premier cercle. Il semblerait que les rapports avec le siège de l’Alliance à Bruxelles ne soient finalement pas aussi bons qu’auraient pu le laisser croire les festivités données aux Etats-Unis en 1999 à l’occasion de leur admission qui coïncidait avec le 50e anniversaire de l’Otan. Les responsables tchèques, hongrois et polonais de la défense s’entendent reprocher la lenteur avec laquelle est menée la réorganisation de leur secteur [...] de défense [...] toujours sous-équipé. Lors de la guerre en Afghanistan, l’offre hongroise s’est limitée à une équipe médicale spécialisée, mais dépourvue de matériel adéquat et incapable de rejoindre le théâtre des opérations par ses propres moyens. “Modernisez, sinon vous aurez des problèmes”. [...] La Pologne semble avoir acquis le statut de primus inter pares et fait figure de puissance régionale, malgré son retard dans la réalisation des 179 objectifs assignés à ses forces armées par le “Plan de six ans” qui a été fixé par l’Alliance [...] et elle est loin d’avoir achevé la mutation de ses forces armées et de son industrie de défense. […] En République tchèque, la professionnalisation des forces armées se réalise plus lentement qu’en Pologne, mais elle a une longueur d’avance sur la Hongrie, grâce au nombre de ses unités spécialisées (guerre bactériologique et chimique, hôpitaux de campagne). De plus, son système de communications est le meilleur parmi les trois pays. Toutefois, la communauté internationale lui reproche de consacrer une faible part de son budget à la défense et d’être incapable d’enrayer la fuite des cadres vers le secteur privé. le courrier des pays de l’Est L’expérience de l’entrée dans l’Otan des trois premiers pays a permis de faciliter les candidatures des nouveaux aspirants invités à rejoindre l’Alliance en 2004. Dans le plan d’action, la feuille de route remise à tous les candidats, chacun peut choisir, “à la carte” [...] (par exemple, conserver ou non des armements ex-soviétiques, des unités du génie, des bataillons de chasseurs alpins, etc.) pourvu que ses choix s’harmonisent avec les demandes américaines de spécialisation. Ainsi, les pays qui furent invités, lors du sommet de Prague (novembre 2002), peuvent faire état d’une préparation plus adéquate que leurs prédécesseurs avant de rejoindre l’Alliance. En s’élargissant, cette dernière comprendra 26 pays européens, couvrira un espace de plus de 4,6 millions de km², aura la maîtrise d’une grande partie des côtes de la Baltique, et renforcera sa présence dans la région de la mer Noire, avec l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie.[...] ● Reprise en main des pôles industriels Le programme adopté par le gouvernement polonais en été 2002 prévoit la création, fin 2003, de deux holdings, chargées de regrouper la production et la commercialisation. En outre, 21 entreprises vont être privatisées. Toutes sont placées, soit sous l’autorité de la société PHZ Bumar (division des munitions, des missiles et blindés), soit sous celle de l’Agence pour le développement industriel (ARP, pour la division aéronautique et électronique), ces deux chefs de file devant œuvrer à la consolidation des entreprises dans leur secteur. Deux firmes (Cenrex et PHZ Cenzin), en outre, ont pour missions la commercialisation, l’exportation des services afférents à l’armement et le suivi du programme des compensations industrielles qui suivra durant dix 119 N° 1046 novembre-décembre 2004 ans l’achat d’avions de combat américains. [...] En Pologne, “l’otanisation” est bien perçue au sein des troupes, rompues depuis un certain temps aux manœuvres communes et ayant acquis une bonne maîtrise opérationnelle lors des missions extérieures réalisées en BosnieHerzégovine et au Kosovo. De plus, un véritable effort de formation des officiers a été accompli en coopération avec les Etats-Unis et le Danemark. Seule ombre au tableau, comme d’ailleurs dans d’autres armées, la mauvaise connaissance de l’anglais. Toutefois, la mise en vigueur du deuxième volet du processus d’adaptation s’avère nettement plus problématique, puisqu’il s’agit désormais de réduire les effectifs pour dégager des ressources à affecter à la professionnalisation et au rééquipement des unités. Les plans pour 2000-2001 prévoyaient une réduction des effectifs de 190 000 à 150 000 hommes, dont 20 000 dans une première étape, mais le corps des officiers, jugé pléthorique, refuse de telles coupes, plaidant pour une armée moins performante et, certes, plus “végétative”, selon un analyste des affaires militaires. [...] L’Otan ne cesse de pousser Varsovie à accélérer le rythme du dégraissage des forces armées, estimant encore trop élevées les dépenses destinées aux salaires et aux pensions dans le budget de la défense. [...] ● République tchèque : les «phares» ne brillent plus Depuis l’adhésion de ce pays à l’Otan, l’un des événements les plus marquants fut l’adoption par le Parlement, début 2000, d’un ensemble de textes qui définissaient de nouveaux rapports entre l’Etat, l’armée et les industries de la défense ébranlées par une privatisation mal organisée. [...] Cette réorganisation visait à mettre fin à l’anarchie 120 qui sévissait dans ce secteur depuis une décennie à la faveur des privatisations et en raison de l’exercice de responsabilités dans des sociétés privées par des fonctionnaires. [...] Après des années durant lesquelles ce secteur a été condamné à la portion congrue, l’entrée dans l’Otan a montré qu’il était grand temps “de penser à le moderniser et à le soutenir […] plutôt que d’accepter sans discussion les offres en provenance de l’étranger”. L’ensemble de ces nouvelles règles constitue une véritable révolution. Mais, contrairement à leurs homologues européens (ou transatlantiques), les producteurs tchèques sont incapables de mobiliser des moyens pour la R&D, la mise au point d’équipements compétitifs et la commercialisation. Démantelés au cours d’une privatisation menée à hue et à dia, ils n’ont reçu aucune orientation de la part des hommes politiques dans les années 1990 et sont restés isolés. [...] Les produits de ce secteur, considérés, à tort ou à raison, comme des “phares” de l’industrie locale, ne trouvent toujours pas preneurs sur les marchés extérieurs. [...] ● En Slovaquie : «il était une fois...» Cette industrie a connu trois étapes depuis 1990. Durant la première, qui a duré jusqu’en 1993, sa production a chuté de plus de 80 %, ce qui a entraîné le licenciement de plus de 50 000 personnes sur un total de 80 000 ; ses clients habituels étaient mis sous embargo (Libye, Iran, Irak) et les aides fédérales étaient définitivement supprimées en mai 1992. Pendant que les ex-dissidents, arrivés au pouvoir en 1990, militaient en faveur d’un “désarmement économique” de ce secteur et de sa conversion, les politiciens slovaques tentaient d’en retarder les effets. La deuxième période, durant laquelle deux gouvernements de Les industries de défense V. Meciar se sont succédé (1993-1998), s’est caractérisée par la recherche du prestige perdu, suivie d’une tentative d’appropriation des entreprises du secteur de la défense par les affidés du pouvoir en place. Il était alors question de “résurrection”, de conversion graduelle et de sauvetage des entreprises pouvant exporter, thèmes politiquement porteurs. En 1994, la firme Armex fut créée avec mission de coordonner les ventes d’armes. En 1995, 26 entreprises du secteur se regroupèrent avec pour ambition de mieux coordonner la production et la conversion des entreprises. Elles sombrèrent avec la chute de Vladimir Meciar en 1998. La DMD Holding aurait même réussi à transférer des fonds publics et des moyens de production vers des entités de droit privé, contrôlées par l’entourage de l’ex-chef du gouvernement. [...] Lors de la troisième période, le gouvernement Dzurinda (1998-2002) eut pour seule priorité de remettre de l’ordre dans le commerce des armes. [...] Les douanes et les services secrets furent chargés de contrôler l’attribution des licences. Depuis son indépendance en janvier 1993, la Slovaquie a été citée dans pas moins de vingt affaires de ventes illégales d’armes vers des zones de conflits. [...] Le ministre de l’Economie a dû admettre que la Slovaquie avait été une plaque tournante du commerce des armes, au moins jusqu’en 1996. [...] Laissée au bord de la route lors du sommet de l’Otan à Madrid en 1997, la Slovaquie a fini par recevoir son carton d’invitation à Prague, en novembre 2002. Elle était prête sur le plan militaire et affichait la volonté de ne pas “se cantonner dans le rôle de simple consommateur de sécurité collective, mais de prendre une part active aux opérations” au sein d’un pôle militaire régional. [...] Dès 2000, la réforme des armées a été entamée (intitulée Model 2010) avec pour objectifs “une interopérabilité accessible et efficace”, sa le courrier des pays de l’Est professionnalisation avec le passage d’un effectif de 40 000 personnes à 20 000 militaires et 4 500 civils, et l’amélioration de sa mobilité et de son équipement. [...] Les dépenses consacrées à la défense vont passer de 1,78 % du PIB en 2002 à 1,9 % en 2003 (la norme fixée par l’Otan est de 2 %). Un effort particulier va être fourni en matière d’acquisitions pour moderniser les matériels et les armes : la part du budget qui y sera affectée passera de 10 % actuellement à 25 % dans les prochaines années. Selon Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat américain à la Défense, venu féliciter les Slovaques au lendemain du sommet de Prague, l’Otan pourrait avoir besoin d’unités de génie, d’assaut, de lutte contre les armes chimiques et bactériologiques. Mais il a surtout insisté sur le contrôle à exercer sur les informations classifiées et le commerce des armes, et sur la lutte contre la corruption, toutes batailles à mener dans l’ensemble des pays membres. [...] ● Le sommet de Prague de novembre 2002 : «il faut passer commande !» En mai 2004, l’Otan va s’étendre jusqu’aux portes de la Russie et comptera 26 membres. L’Alliance a, par ailleurs, établi de nouveaux liens avec Moscou. La Russie participe en effet au “Forum des 20” depuis 2002, sans pour autant partager complètement la nouvelle conception prônée par Washington, qui souhaiterait la transformer en une “instance politico-militaire régionale de l’ère post-communiste”, mais destinée à imposer les vues américaines. Désormais, l’Otan pourrait bien être réduite à n’être qu’une force d’appoint et de soutien lors de missions menées par un nombre restreint de pays, voire par un seul. La recherche du consensus pour l’engagement d’une opération n’a en 121 N° 1046 novembre-décembre 2004 effet plus les faveurs des Anglais ni des Américains. Mais pour les trois pays du premier cercle, aussi bien que pour les sept aspirants qui vont rejoindre l’Alliance en 2004, il ne faut pas s’attendre, comme cela avait été dit, à ce qu’ils touchent “les dividendes de la paix”, qui auraient consisté dans la réduction de leurs budgets de défense et dans un redéploiement des ressources vers des secteurs en crise. Car les nouvelles missions, voire une éventuelle participation à la “mutualisation” de certains moyens en ce qui concerne notamment le renseignement, le déploiement d’une force d’action rapide dans des délais très courts, divers moyens logistiques communs...) vont représenter en fait un effort supplémentaire (autour de 2 % du PIB), avec la contrainte de la mise aux normes technologiques américaines. C’est ainsi qu’au lendemain du sommet de Prague s’est engagée une concurrence féroce entre acteurs euro-atlantiques pour la conquête des marchés de fournitures militaires aux futurs membres de l’Otan. Les aspirants de la “Nouvelle (jeune) Europe”, selon la formule désormais consacrée par les cercles néoconservateurs américains, du moins ceux qui ont soutenu, avec des membres de l’UE, la campagne d’Irak (Lettre des huit également signée par les dix du groupe de Vilnius), vont donc être l’objet de toutes les attentions. [...] Ainsi, la Pologne a pu bénéficier, fin 2002, d’un prêt de 3,8 milliards de dollars, garanti à 100 % par le gouvernement américain, pour l’achat de 48 appareils de combat F-16 de Lockheed Martin, après avoir reçu en présent deux bâtiments pour ses forces navales. Il est probable que la Hongrie, qui avait offert une base sur son territoire pour l’entraînement des forces d’exilés irakiens dûment encadrés par le Comité pour la libération de l’Irak reçoive une gratification sous forme de commandes d’équipements pour l’armée américaine. Par contre, une certaine confusion entoure le montant accordé à la République tchèque. [...] Quant à la Slovaquie, elle percevra 6 millions de dollars, des promesses d’investissements lui ont été faites, ainsi que celles d’une participation à la reconstruction en Irak.[...] Etant donné que le Pentagone se prépare à se désengager de ses bases en Allemagne, pour redéployer ses forces plus à l’Est, ces pays seront sans doute courtisés pour accueillir des bases américaines sur leur sol et se verront offrir des facilités de crédit pour des achats de matériels made in USA, avec quelques coopérations à la clé.» Jaroslav Blaha, Le Courrier des pays de l’Est «Trois “novices” dans l’Otan : quelles conséquences pour l’industrie ?» CPE, n°1032, février 2003, pp. 19-27 Pour plus d’informations, lire dans Le courrier des pays de l’Est : François Gèze, «La coopération Est-Ouest dans l’industrie électronique», n° 230, juin 1979, pp. 3-33. Hervé Gicquiau, «La construction des ordinateurs dans le CAEM», n° 230, juin 1979, pp. 38-47. Laure Desprées, «Les retombées des ventes d’armes soviétiques et est-européennes sur les relations économiques Est-Ouest», n° 297, juillet-août 1985, pp. 49-61. Hervé Gicquiau, «Niveau technique, compétitivité et innovation dans l’industrie soviétique», n° 297, juillet-août 1985, pp. 4-21. Hervé Gicquiau, «L’impératif de modernisation de l’appareil productif des industries «mécaniques» de l’URSS», n° 327, mars 1988, pp. 3-21. 122 Les industries de défense le courrier des pays de l’Est Jaroslav Blaha, «Aviation civile et industrie aéronautique en Europe de l’Est», n° 336, janvier 1989, pp. 29-42. Thierry Malleret, «La conversion des industries de défense de l’ex-URSS», n° 365, décembre 1991, pp. 25-40. Artur Borzeda, «Le tissu industriel polonais», n° 387, mars 1994, pp. 43-63. Jaroslav Blaha, «Les tissus industriels tchèque et slovaque», n° 404, novembre 1995, pp. 30-66. Edith Lhomel, «Le tissu industriel roumain», n° 407, mars 1996, pp. 27-57 Vesselin Mintchev, «Le tissu industriel bulgare», n° 407, mars 1996, pp. 3-26 Hervé Gicquiau, «Aspects industriels de la reconversion des entreprises du complexe militaroindustriel. Evolution de la reconversion de 125 entreprises du CMI», n° 414, novembre 1996, pp. 21-62. Isabelle Sourbès-Verger, «Le secteur spatial russe», n° 414, novembre 1996, pp. 62-73 Jaroslav Blaha, «L’industrie aéronautique en Europe centrale et orientale», n° 416, janvierfévrier 1997, pp. 57-79. Hervé Gicquiau, «Maiak, le géant du nucléaire militaire russe», n° 1004, avril 2000, pp. 96-98. Françoise Daucé, «Luttes politiques autour des ventes d’armes russes. Vie et mort de Rosvooroujenie», n° 1011, janvier 2001, pp. 71-72. 123 N° 1046 novembre-décembre 2004 Le monde agricole Eternel perdant ? Mal aimé du système socialiste, selon lequel seule l’industrialisation permettrait l’instauration d’une société égalitaire et l’épanouissement de l’homme nouveau, le monde agricole et rural a longtemps été regardé avec suspicion par les idéologues communistes. Jusqu’en 1965 au moins, les livraisons obligatoires de produits agricoles à l’Etat moyennant des prix peu rémunérateurs pour le producteur illustrent la volonté des dirigeants d’encadrer et de ponctionner un secteur qui ne bénéficiera que trop tard, des investissements nécessaires pour se développer. Si le rouleau compresseur de la collectivisation est parvenu à fondamentalement remodeler les structures et l’organisation des exploitations, l’idéologie communiste s’est heurtée, sur le terrain, à tout un ensemble de résistances, forçant ses adeptes à amender tantôt à la marge, tantôt sensiblement le modèle imposé. Tandis que l’importance du lopin individuel pour le ravitaillement de la population obligeait, à certaines époques, les dirigeants soviétiques mais aussi est-allemands, tchèques ou roumains à se montrer moins dogmatiques, l’agriculture individuelle polonaise, l’autonomie étendue accordée aux coopératives hongroises ou encore le dynamisme des entreprises agricoles bulgares témoignaient de la diversité des trajectoires. Quels que soient cependant les accommodements et les semi-réussites obtenus durant la période socialiste, 124 aucune de ces agricultures n’a pu éviter de subir de plein fouet le traumatisme de la transition vers l’économie de marché. Le choc de la décollectivisation et surtout de la libéralisation des échanges fut tel qu’il est aujourd’hui légitime de se demander si ce que le volontarisme aveugle du système communiste n’est pas parvenu à détruire, la course effrénée à la rentabilité et au profit n’est pas en train de le réaliser ! En effet, alors que la restructuration des exploitations agricoles, conséquence inévitable du morcellement excessif des terres intervenu au début des années quatre-vingt dix, contribuera dans les années à venir à la baisse d’une population active nettement plus nombreuse, dans la plupart des cas, que dans les pays de l’Europe occidentale, les rigueurs de la concurrence des produits agro-alimentaires occidentaux ajoutées aux exigences de l’UE en matière de normes sanitaires et vétérinaires risquent fort d’avoir raison des potentiels agricoles reconnus de la majorité des pays d’Europe centrale et orientale. Seule, la Russie devrait pouvoir tirer son épingle du jeu sur le plan céréalier de même, peut-être, que la Hongrie et la Pologne mais pour des niches de production tout à fait circonscrites. A l’inverse, les autres pays issus de l’URSS, comme les trois Etats du Sud-Caucase, ont perdu, avec l’implosion de l’empire soviétique et la libéralisation des échanges, leur fonction centrale de fournisseurs de produits méridionaux à leurs voisins tandis que le secteur agricole Le monde agricole bulgare et surtout roumain risque, à la suite de l’intégration dans l’Union européenne, d’être dépossédé, à court et à moyen termes du moins, de ses très modestes avantages comparatifs. Cette crise agricole profonde n’est évidemment pas sans conséquences sur le tissu rural : quid, dans ce maelström de l’Histoire, des hommes et des campagnes ? L’hémorragie de main-d’œuvre et de population qu’ont connue ces dernières durant les vingt premières années de l’instauration du socialisme a été impressionnante au point que les planificateurs de l’époque durent user, à compter des années soixante-dix, de la carotte et du bâton pour endiguer cet exode. Après 1990, les restructurations et les privatisations des entreprises, source d’une explosion du chômage industriel changèrent à nouveau la donne. Acculés dans de nombreux pays post-communistes, à commencer par la Pologne, à des stratégies de repli et d’autosubsistance, voire, pour les plus jeunes, à l’émigration, des millions de paysans sont voués, dans les quinze années à venir, à disparaître, la population rurale se caractérisant partout par son vieillissement et son taux élevé de féminisation. Il est certes permis d’espérer que l’important effort financier réalisé en faveur des actuels candidats à l’entrée dans l’UE et des nouveaux pays membres dans le domaine du développement rural, au travers notamment du programme de pré-adhésion Sapard et du second pilier de la Politique agricole commune (PAC), permette une diversification indispensable des activités agricoles, une organisation efficace des acteurs économiques et sociaux du monde rural, enfin une amélioration des conditions de vie qui, en matière d’adduction d’eau, d’électrification ou encore de services, restent souvent lamentables avec les cas extrêmes des pays de la CEI. Mais comment parvenir à ce que cette nécessaire «modernisation» des campagnes qui le courrier des pays de l’Est participe d’une politique de cohésion économique et sociale visant à réduire les disparités régionales de pays où les différences de niveaux de vie entre villes et campagnes sont allées, dans la majorité des cas, en s’accentuant depuis 1990, ne soit pas, sur un plan sociologique et culturel, par trop brutale ? La réponse dépend autant des politiques d’aménagement du territoire qui seront mises en place que des modalités de préservation d’un patrimoine et de traditions qui seront retenues, s’agissant de sociétés, encore caractérisées bien souvent par leurs origines rurales. Heurs et malheurs de l’agriculture collectivisée «La préoccupation de l’heure à l’Est semble être l’agriculture et chaque pays, par des voies diverses, cherche à en augmenter la production. En URSS, pour ce faire, on avait déjà introduit le salaire minimum garanti dans les kolkhozes (coopératives agricoles). On avait même apporté une aide officielle aux possesseurs de lopins individuels pour les pousser à produire davantage. Actuellement, les autorités se penchent sur le problème des sovkhozes (fermes d’Etat) qui fournissent 40 % de la production agricole du pays. Après de longs mois d’études et de discussions, on a annoncé fin mars, la prochaine introduction dans l’agriculture d’une réforme similaire à celle en vigueur dans l’industrie. On veut appliquer dans les sovkhozes les principes d’autonomie et de rentabilité pour abandonner la méthode ancienne, selon laquelle les sovkhozes rentables payaient les déficits des sovkhozes mal gérés. La Pravda estime même que la rentabilité des fermes d’Etat s’accroîtrait avec l’introduction de tels principes et “si leurs activités étaient moins contrôlées d’en haut”. Deux formules sont en 125 N° 1046 novembre-décembre 2004 présence. Le comité du Plan préconise une formule prudente à essayer dans quelques entreprises pilotes. Certaines autorités régionales estiment qu’il vaudrait mieux appliquer la réforme dans des régions entières. Le Parti communiste roumain vient également d’adopter des mesures concernant les fermes d’Etat mais on en ignore encore les principes. En Bulgarie, enfin, se tient actuellement le premier congrès des fermes coopératives. Le chef du gouvernement et du Parti, Teodor Jivkov, vient de proposer la création d’une Union autonome des fermes coopératives qui serait une sorte d’organisme central dirigeant les kolkhozes. Cet organisme devrait être fondé sur les principes “de la démocratie, du volontariat et du financement autonome”. Il devrait obtenir une intensification de la production et de la productivité. Mais, a dit T. Jivkov, “le nouveau système de gestion rencontre toujours des obstacles” ... ce qui doit être aussi vrai en Bulgarie qu’en URSS.» Article non signé «L’éternel problème agricole» CPE, n° 76, 5 avril 1967, p. 4 ● Le secteur agricole : casse-tête des dirigeants soviétiques «Depuis 1917, l’agriculture a toujours posé des problèmes aux dirigeants soviétiques : Staline a collectivisé l’agriculture au début des années 30, y puisant les ressources nécessaires à l’industrialisation du pays ; le nom de N. Khrouchtchev est lié à la première tentative de décentralisation de l’économie et de l’agriculture, en particulier avec la création des “sovnarkhozes” et des “stations de machines et tracteurs (MTS)”, ainsi qu’à la campagne historique des “terres vierges” en 1954. Comme ses prédécesseurs, L. Brejnev 126 s’y est trouvé confronté. Au cours de l’Assemblée plénière du Parti communiste de l’Union soviétique de mars 1965, date qui marque une nouvelle approche des problèmes agricoles, il a reconnu que la stagnation du secteur agricole était un obstacle majeur à la modernisation de l’économie du pays et de la société tout entière. Le point de vue du consommateur commençait à être pris en compte. En 1982, dans la dernière année de son exercice, Leonid Brejnev a annoncé le “Programme alimentaire”, vaste programme affectant tous les secteurs du complexe agroindustriel et ayant pour but ultime l’amélioration de l’alimentation des Soviétiques. Y. Andropov n’est pas resté assez longtemps aux commandes du pays pour laisser sa marque sur l’agriculture. Il avait hérité du “Programme alimentaire” et son équipe comptait un spécialiste avisé, Mikhaïl Gorbachev, pour s’occuper de ces problèmes. Konstantin Tchernenko, apparemment est plus impliqué dans le développement de l’agriculture qu’il définit comme “non seulement un objectif économique mais comme une tâche socio-politique d’une suprême importance”. Depuis 1965, les responsables soviétiques ont constamment cherché à améliorer l’activité de l’agriculture dont les bons résultats, enregistrés certaines années, sont plus la conséquence de conditions atmosphériques propices que d’une utilisation rationnelle des investissements énormes consacrés à ce secteur. [...] La mutation indispensable de l’agriculture soviétique vers une forme plus intégrée, plus industrialisée, mieux gérée économiquement, en un mot plus efficace compte tenu des investissements alloués au complexe agro-industriel (le tiers du total des investissements dans l’économie), se heurte à un certain nombre d’obstacles que la Le monde agricole Conférence de mars 1984 et les communiqués réguliers sur les travaux de la “commission pour le complexe agro-industriel auprès du Présidium du Conseil des ministres de l’URSS” ont particulièrement mis en évidence. Ces difficultés concernent autant les secteurs en amont de l’agriculture (mécanisation, bonification, chimisation) que ceux en aval : infrastructure routière, stockage, prestations de services et surtout amélioration des conditions de vie en milieu rural dont dépend le maintien dans les campagnes d’une main-d’oeuvre de plus en plus déficitaire. [...] Les problèmes posés par leur introduction au niveau de toute l’URSS démontrent que l’esprit d’initiative et l’autonomie “à la hongroise” sont des articles difficilement transposables en Union soviétique.» Alain Giroux, Le courrier des pays de l’Est «La difficile mutation de l’agriculture soviétique» CPE, n° 285, juin 1984, pp. 3-21 De réorganisation en réorganisation «Sorti renforcé de l’épreuve [la guerre 1939-1945], le régime entreprit dès 1950, alors que la production dans son ensemble avait retrouvé son niveau de 1940, une nouvelle phase de son évolution. Il s’agissait alors d’organiser en profondeur le système socialiste de production agricole. Les mesures d’organisation commencèrent par le regroupement des nombreux kolkhozes, de dimensions souvent restreintes (10 à 30 foyers), en grosses unités dont la taille répond aux moyens modernes de production et de gestion. Le renforcement des kolkhozes commença en 1950. Le terme d’agroville lancé au début de l’opération pour désigner l’agglomération qui devait se créer à la campagne, effaroucha et fut abandonné. Mais la réalité qu’il représente avec un mode d’habitat quasi urbain, centre d’une exploitation scientifique où le champ et l’étable remplacent l’usine et ses ateliers, demeure tacitement l’objectif à terme. le courrier des pays de l’Est Aussi bien la réorganisation des kolkhozes continua-t-elle après la mort de Staline par une série de mesures institutionnelles et économiques : planification allégée dès 1955 (on en était venu à imposer dans les enquêtes demandées aux kolkhozes 8 fois plus d’indices en 1953 qu’en 1940) ; suppression des contraintes liées à l’existence des MTS avec la réorganisation de celles-ci en Stations techniques de réparation (RTS) en 1958 et concentration de l’initiative de la production dans les kolkhozes avec une cascade de réorganisations administratives.» Inna Kniazeff «Cinquante ans d’agriculture soviétique. Les moyens mis en œuvre» CPE, n° 107, 17 juillet 1968, pp. 13-25 Le profit individuel : hérétique mais indispensable ! «Le XIIe quinquennat (1986-1990) apparaît comme celui pendant lequel s’impose “un sérieux changement dans le style et les méthodes d’encadrement” ; le collectif de base, celui qui laboure, sème, récolte doit se sentir “patron” (khoziaïn) de la terre dont il a la responsabilité. C’est de son travail dont dépend en fin de compte la production agricole. C’est pourquoi, depuis 1982, on parle beaucoup des “contrats collectifs” et en général de toutes les formes d’organisation qui permettent d’obtenir des rendements élevés, et par là, des gains substantiels. [...] Les mesures adoptées visent à augmenter, à tous les échelons, l’intéressement des travailleurs aux résultats finaux. Meilleure est la récolte, plus hauts sont les salaires et plus fortes sont les primes. Cette recherche du profit doit être le moteur de la productivité. La rentabilité doit être la règle d’or des entreprises. C’est la raison pour laquelle les autorités généralisent l’introduction de l’autonomie comptable et l’organisation du travail sur la base des contrats collectifs. 127 N° 1046 novembre-décembre 2004 Mais parallèlement à cette campagne pour la rentabilité et l’efficacité, un débat s’est installé dans la presse, depuis un an environ, sur d’autres formes d’organisation du travail d’autant plus intéressantes qu’elles enregistrent des succès importants sur le plan de la production et rapportent des gains substantiels à ceux qui les pratiquent, alors que la majorité des rapports sur les contrats collectifs font état de grandes difficultés de fonctionnement dans les conditions actuelles. Le débat, ou plutôt la polémique, porte sur la notion “d’argent bien ou mal gagné” et témoigne de la sensibilisation d’une grande partie de la population pour des problèmes dont les dirigeants vont avoir à tenir compte dans un avenir proche. La campagne pour l’introduction des contrats collectifs ou “brigade sous contrat” a commencé en 1979 et s’est surtout développée en 1981-1982 [...]. Nous rappellerons seulement qu’il s’agit de petites équipes, responsables, pour une superficie donnée, de tout le cycle agricole − des labours à la récolte − et qui s’engagent par contrat passé avec le kolkhoze ou le sovkhoze, à fournir une certaine récolte. L’entreprise agricole dont ils dépendent doit leur fournir tout le matériel nécessaire. [...] Certains exemples en disent long sur les problèmes qui se posent à l’existence des contrats collectifs. Souvent les membres des collectifs se séparent au bout de un, deux ou trois ans pour incompatibilité d’humeur ou bien parce que l’équipe n’a pas les moyens de fonctionner correctement. Mais la revue Eko cite le cas de conducteurs de machines qui, dans le cadre d’un contrat collectif percevaient des salaires mensuels de 500 à 600 roubles et qui ont préféré retourner à leur ancienne affectation pour un salaire de 250 roubles, une fois leurs “poches remplies”, pour la simple raison que gagner plus était inutile dans la mesure où “il n’y avait rien à acheter”. [...] 128 Les contrats familiaux ne semblent pas, par contre, se heurter aux mêmes obstacles que les contrats collectifs. Cela fait plusieurs années que ces formes d’organisation existent d’une manière non officielle dans différentes parties du pays : Estonie, Lituanie, Lettonie, Géorgie, Ouzbékistan, Moldavie, Crimée, Kouban, terres non noires. Après s’être implantées dans la culture du tabac, du raisin, des légumes, elles se développent maintenant dans la production laitière. [...] Le secret de la réussite de ces familles sous contrat est évident. Se sentant responsables de leur troupeau, elles travaillent beaucoup plus que les autres ; l’autonomie comptable s’appliquant tout naturellement au sein de la famille, il n’y a pas de problèmes de répartition des primes. Jusqu’à présent, cette forme d’organisation n’avait pas de caractère officiel, aucun statut ne venant la réglementer, contrairement aux contrats collectifs. De plus, beaucoup de directeurs d’entreprises, de responsables locaux et de particuliers sont méfiants par rapport à cette forme d’organisation du travail qui procure des revenus considérés par eux comme trop importants et donc suspects. Il est vrai que, au sein des entreprises agricoles, cette disparité de revenus fait de nombreux jaloux, même si les gains obtenus le sont grâce à un travail réel. [...] En même temps que le contrat familial, le “contrat individuel” est également officialisé. Il s’agit, sur le même modèle, d’un contrat passé avec une seule personne. Par contre, à ce sujet, les exemples manquent. Travailleurs modèles pour les uns, parasites sociaux pour d’autres, les chabachniki sont en fait des travailleurs saisonniers qui passent des contrats avec des entreprises agricoles pour assurer la culture et la récolte de melons, d’oignons, de légumes. Leur Le monde agricole le courrier des pays de l’Est statut n’est défini par aucun document. Ils se déplacent par équipes de 5 à 8 personnes et viennent surtout des républiques du sud de l’URSS (Arménie entre autres). Leur but avoué est de gagner le maximum d’argent mais les rendements qu’ils obtiennent dépassent de loin ceux des travailleurs officiels. [...] départ, mais la productivité agricole hongroise dépasse celle de la Pologne au prix d’acquisitions technologiques coûteuses. En tout état de cause, spécialisation et intégration forment le tronc commun de ces voies qui, toutes, aboutiront à l’industrialisation agroalimentaire à plus ou moins long terme. [...] Les possesseurs de lopin : fournisseurs de produits ou spéculateurs ? Diversité des trajectoires : entre «modèle hongrois» et «exception polonaise» L’importance de l’agriculture privée est reconnue par les responsables. En 1977 et 1981, des textes importants ont été pris pour soutenir ce secteur d’activité. Actuellement 12,6 millions de kolkhoziens, 11 millions de travailleurs des sovkhozes et environ 9 millions d’employés et de travailleurs citadins possèdent un lopin. Il faut ajouter à cela également 9 millions de familles qui participent aux jardins collectifs (horticulture). Les lopins contribuent pour 25 % au produit agricole de l’URSS et les revenus procurés par l’exploitation privée représentent en moyenne 20 % des revenus globaux des familles. La surface utilisée par les lopins atteint 8 millions d’hectares.» En Hongrie, la relance de la socialisation agraire par les coopératives est massive entre 1958 et 1961. Le mouvement est achevé en 1961 (82 % de la SAU). Elle prend la forme d’un compromis attractif pour les paysans, conçu pour obtenir leur adhésion au mouvement. Il semble que la pression idéologique ait joué un rôle moins important qu’en RDA. Par contre, l’effort massif d’apport de moyens de production industriels et de soutien technique et financier semble avoir joué un rôle décisif ; il est remarquable eu égard aux possibilités limitées de l’industrie hongroise et du CAEM. Mais le trait le plus original de cette relance hongroise est une autonomisation économique exceptionnellement précoce et poussée des coopératives agricoles, qui se renforce par étapes tout au long des années 60. [...] Alain Giroux, Le courrier des pays de l’Est, «Gorbatchev et l’agriculture : cinq ans pour convaincre» CPE n° 305, avril 1986, pp. 3-21 ● Europe centrale : du dogme... à la mise en oeuvre «Une étude comparative du cheminement des réformes depuis 1945 permet d’embrasser un certain nombre de problèmes, sinon de tirer une conclusion définitive sur la “voie socialiste” en matière d’agriculture. L’industrialisation de la RDA lui a sans doute permis de résoudre plus vite les problèmes d’intégration du secteur agricole ; Hongrie et Pologne cherchent chacune la meilleure voie pour absorber une main-d’oeuvre agricole importante au En Pologne, on assiste à un assouplissement des rapports Etat-paysans. Après 1956, les contraintes globales qui pesaient sur l’agriculture minifundiaire se sont progressivement détendues. On renonce à une collectivisation rapide ; une nouvelle stratégie industrielle accorde plus d’importance aux biens de consommation et aux moyens de production agricoles ; une légère détente démographique se produit du fait de la résorption partielle du sousemploi rural par l’industrialisation extensive et du développement massif de l’agriculture à temps partiel (notam- 129 N° 1046 novembre-décembre 2004 ment dans les zones industrialisées du Sud-Est). Pourtant, le dynamisme démographique reste assez puissant pour maintenir à peu près au même niveau la population active agricole entre 1960 et 1970. Tout ceci permet très progressivement, et avec des “hésitations” traduisant une incertitude sur la nouvelle problématique du développement agricole, la mise en place d’une articulation assouplie entre secteur d’Etat et exploitations agricoles coopératives et individuelles (qui utilisent désormais plus de 80 % de la surface agricole). [...] Le caractère indirect de la planification agricole (sauf pour le secteur d’Etat) s’affirme donc : réduction de la place relative des livraisons obligatoires (supprimées en 1972 seulement) au profit des contrats, rôle accru des prix et du crédit (distribué par des coopératives d’épargne et de prêt). Il y a donc “autonomisation” des unités agricoles comme en Hongrie, mais à un niveau beaucoup plus réduit, celui de la ferme paysanne. [...] A la fin des années 60, la déconcentration territoriale de la planification et le rôle croissant des “leviers économiques” indirects pouvaient laisser penser que l’on se rapprochait progressivement de la voie hongroise de “planification indirecte”. Le mouvement de concentration des coopératives, parallèle en Hongrie et en RDA, bien que situé à un niveau différent (deux fois plus de surface et trois à quatre fois plus de travailleurs par coopérative en Hongrie), allait dans le même sens. Compte tenu des nouveaux moyens techniques disponibles poussant à la constitution de grands ateliers de production, deux voies possibles s’ouvraient en fait : soit l’accélération brutale de la concentration de coopératives restant polyva- ● 130 lentes. C’est schématiquement la voie choisie par la Hongrie (aujourd’hui près de 4 000 ha agricoles par coopérative et 7 000 ha par ferme d’Etat, en partant de 1 800 et 3 000 environ en 1970), transformée cependant par les “systèmes” spécialisés ; soit l’éclatement des coopératives polyvalentes en ateliers spécialisés et le regroupement de ceux-ci en nouvelles grandes associations spécialisées qui deviennent progressivement des unités de production économiquement puis juridiquement séparées des “coopératives mères”. C’est la voie que la RDA a suivie à partir du VIIIe congrès du SED (1971). [...] ● Entre 1967 et 1970, l’agriculture individuelle polonaise avait connu une quasi-stagnation de sa production, résultant en partie des incertitudes sur son sort et d’une politique exagérée d’autarcie fourragère (prix élevés et rareté des céréales et fourrages, bas prix des produits animaux) décourageant la production animale. Ceci avait contribué indirectement au déclenchement des émeutes urbaines de décembre 1970. […] En attendant que la socialisation agraire puisse se généraliser grâce à un exode agricole massif (prévu surtout dans les années 80), on risque donc de voir éclater l’agriculture familiale en deux groupes séparés, plus concurrents sur les moyens de production mécaniques et l’accès aux circuits agro-industriels d’aval que complémentaires : d’un côté des exploitations ou petits groupes d’exploitations, de taille plutôt grande, très intégrées dans ces circuits, intensives et spécialisées ; de l’autre côté, des petites fermes paysannes en voie de repli semi-autarcique, de marginalisation et de paupérisation.» Alain Pouliquen, chargé de recherche à l’Inra de Montpellier «Trois voies de restructuration agraire : Hongrie, Pologne, République démocratique allemande» CPE, n° 208, juin 1977, pp. 3-25 Le monde agricole Les agricultures socialistes dans la tornade de la transition ● A qui appartiendra la terre ? «La privatisation de l’agriculture pose un nombre impressionnant de problèmes que l’on peut au moins tenter d’organiser autour de quelques points. Les nouveaux pouvoirs issus des élections législatives des années 19901991 ont eu à trancher une question économiquement et socialement délicate et politiquement très sensible : faut-il ou non restituer les terres à leurs anciens propriétaires ou les indemniser ? Cette indemnisation (dite encore compensation), dont il s’agit de fixer le montant alors que le prix de la terre est encore fictif, doit-elle leur ouvrir la possibilité d’acheter, avec (ou non) une priorité sur les autres acheteurs, d’autres terres ou encore de devenir actionnaire dans une ferme d’Etat ou coopérative, transformées en sociétés par actions ? ● Dans quelle mesure faut-il démanteler et liquider les anciennes coopératives et fermes d’Etat et se priver ainsi de la possibilité − dans le cas où ces unités sont réputées pouvoir être rentables − de conserver en l’état des superficies importantes, gages de performances prometteuses ? Si, dans le cas des fermes d’Etat, les terres que l’Etat s’était appropriées avaient appartenu à un nombre restreint de propriétaires souvent facilement identifiables (grande noblesse, Eglises, communautés allemandes dans le cas de la Tchécoslovaquie et de la Pologne), la situation est plus complexe pour les coopératives qui ont accaparé l’ensemble ou partie des terres, les propriétaires les ayant “concédées” à titre d’usufruit. ● La transformation des coopératives en sociétés par actions ou à responsabi● le courrier des pays de l’Est lité limitée s’adresse-t-elle en priorité à ceux qui ont cultivé les terres concernées quatre décennies durant et qui peuvent donc prétendre, en fonction de leur investissement en travail, à une parcelle de terre ou à quelques actions gratuites ou non ? Faut-il ouvrir la prise de participation aux étrangers, voire permettre à ceux-ci l’achat de terres ? Comment, une fois encore en l’absence de marché foncier, fixer les critères de location-bail, formule qui, dans le cas où la procédure de restitution est choisie, se posera sans aucun doute, les anciens propriétaires ou leurs héritiers n’ayant pas l’intention, généralement, de gérer eux-mêmes leurs terres ? ● Autant de questions que viennent encore compliquer les multiples aménagements fonciers qui rendent impossible, aujourd’hui, la reconstitution de l’ancienne parcelle ou même sa simple identification dans des pays où, au vide juridique, s’ajoute l’absence de mise à jour des cadastres. Enfin, il faut aussi compter avec les conflits d’intérêts entre une nomenklatura locale (directeurs de coopératives, ingénieurs agronomes, secrétaires du Parti communiste, responsables des stations de machines agricoles) qui a régné sans partage sur la paysannerie et tous ceux désireux de “(re)monter” leur petite exploitation, entreprise périlleuse dans un contexte de récession économique et de concurrence. [...] ● Bouleversements dans la production et l’emploi La privatisation des terres implique non seulement un processus de décollectivisation de celles-ci − qui n’est en fait pour l’heure que partiellement amorcé − mais aussi un formidable désengagement de l’Etat à la mesure de l’emprise qui fut la sienne en système communiste ; elle provoque donc un nombre important de perturbations. 131 N° 1046 novembre-décembre 2004 Sur la production agricole. L’incertitude qui règne sur l’identité des propriétaires de milliers de parcelles n’incite guère les paysans à engager leurs ressources financières pour autant qu’ils puissent en avoir, dans des cultures dont ils ne sont pas sûrs de récolter le bénéfice. C’est ainsi que des centaines d’hectares n’ont été ni ensemencés, ni emblavés pour la seconde année consécutive pour cause d’incertitude sur l’identité du véritable propriétaire de la terre ou pour nondétention en bonne et due forme du titre de propriété [...]. ● Sur l’emploi. Les problèmes y sont de deux ordres. Le premier se pose essentiellement dans les pays qui ont choisi de redistribuer les terres à une myriade d’anciens propriétaires qui, partis depuis travailler à la ville, ne sont nullement disposés à opérer “un retour à la terre” mais uniquement prêts à recueillir les fruits d’une location ou d’un fermage pour lesquels il faudra également définir des cadres juridiques. [...] ● Le second recouvre l’immense perte de savoir-faire en raison de la destruction du rapport à la terre durant quatre décennies et de la “taylorisation” des tâches agricoles au sein des coopératives et des fermes d’Etat. Une telle réalité soulève également le problème de la perte du sentiment de responsabilité individuelle, que l’on retrouve partout évoqué au niveau de l’ensemble des acteurs économiques et sociaux de ces pays. [...] Sur l’amont et l’aval de la production agricole. Le désengagement de l’Etat qu’implique la rupture avec l’ancien système planifié signifie le démantèlement des monopoles pour lequel chaque pays a mis en place un dispositif juridique ainsi que le rétablissement, à tous les niveaux de l’activité économique, des règles de la concurrence. En amont de la production agri- cole, cela signifie que, brutalement, les centres d’approvisionnement en intrants (machines, semences, produits phytosanitaires, engrais) se sont transformés en sociétés commerciales, libres de fixer leurs tarifs en fonction de l’état de l’offre et de la demande. Mais en attendant que cette nouvelle réalité soit plus qu’une création juridique et se concrétise sur le terrain, les principaux fournisseurs d’intrants, maîtres du jeu de l’offre et de la demande, en l’absence de toute concurrence réelle, font régner leur loi sur les utilisateurs. [...] ● Europe centrale et orientale : révolution agraire ou décollectivisation en douceur ? L’aggravation de la situation dans le secteur agricole et partant du sort des agriculteurs a essentiellement pour causes : les coupes sombres opérées dans les dépenses budgétaires au nom de la restauration des grands équilibres financiers et budgétaires et qui ont durement éprouvé un secteur réputé pour avoir été particulièrement “aidé” par l’Etat ; [...] ● la libération des prix : parallèlement à des hausses sensibles du coût de leurs intrants (énergie, engrais, semences, fourrage), les paysans n’ont pas bénéficié en proportion de la hausse des prix de détail des produits alimentaires en raison de l’écran dressé par les monopoles de l’aval ; [...] ● ● 132 la chute de la demande intérieure, conséquence directe des baisses impressionnantes du pouvoir d’achat subies par l’ensemble des populations, a engendré des phénomènes de mévente dans les pays où le déséquilibre entre l’offre et la demande au détriment de la seconde était, du moins dans le domaine des produits alimentaires de ● Le monde agricole base, peu important : en Hongrie, en Pologne, en Tchécoslovaquie ; [...] la dislocation du CAEM avec surtout la perte des marchés de l’ex-URSS et de l’ex-RDA, ont largement contribué à cette situation de mévente, privant ces pays, surtout la Hongrie, de plus de la moitié de leurs débouchés dans le secteur agricole et agroalimentaire ; ● enfin, cette mévente s’est encore accentuée avec la libéralisation des échanges extérieurs et l’arrivée de quantités importantes de produits occidentaux, notamment laitiers, dont la qualité ou, plus simplement, la présentation et le conditionnement ont eu immédiatement les faveurs des consommateurs, contraignant les producteurs locaux à brader leurs produits. [...] ● Au terme de deux années de débats, la privatisation des terres, objectif que se sont fixé la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, l’Albanie, commence à peine à se concrétiser. Cette opération en plusieurs temps a débuté selon des modalités différentes en fonction tant des majorités gouvernementales en place que de l’état et de la place dans l’économie du secteur agricole ; si les pays d’Europe orientale ont très rapidement initié une “révolution agraire”, ceux d’Europe centrale connaissent un processus de décollectivisation en douceur. L’échec de la socialisation des terres et le niveau de vie souvent précaire des paysanneries en Roumanie ou encore en Albanie ont incité celles-ci à rejeter d’un bloc l’ancien système tandis que les dirigeants ex-communistes visaient, en répondant à cette “faim de terres”, à acquérir une nouvelle légitimité et surtout une clientèle électorale. En Europe centrale, les réactions des populations rurales et la réponse des politiques furent moins radicales.» Edith Lhomel, Le courrier des pays de l’Est «Privatisations et politiques agricoles en Europe centrale et orientale» CPE, n° 367, mars 1992, pp. 3-43 le courrier des pays de l’Est ● Russie : la sécurité alimentaire menacée ? «L’agriculture est-elle, en Russie, la grande perdante dans la course engagée pour le passage à l’économie de marché ? A la lecture de certaines déclarations officielles, des médias, des revues spécialisées russes qui dressent un sombre tableau de la situation, corroboré par de nombreuses analyses d’observateurs étrangers, on pourrait le penser. Le gouvernement russe, face aux critiques, affiche lui-même ses préoccupations. Le secteur agricole − ainsi que celui des industries agro-alimentaires − a toujours été un problème majeur pour l’économie soviétique et russe. Selon le puissant lobby agrarien, il s’agit maintenant pour la Russie d’assurer sa “sécurité alimentaire” face à l’effondrement de la production nationale et à la concurrence croissante des produits étrangers meilleur marché mais de qualité considérée comme inférieure. Le consommateur russe ne se plaindra pas, quant à lui, de voir nombre de commerces et de petites boutiques lui proposer ces produits. Le danger de pénuries extrêmes − qui faisait la une des médias au début de la décennie et qui a déclenché l’aide alimentaire de l’hiver 1990-1991 − semble bien écarté même si on assiste à une baisse insidieuse des rations alimentaires chez une part importante de la population. A une époque pas si lointaine, par plaisanterie et pour en souligner les faiblesses chroniques, on disait que l’agriculture soviétique était frappée par quatre maux : le printemps, l’été, l’automne et l’hiver. Les fluctuations du climat ont bien sûr toujours une incidence sur les récoltes, comme l’a prouvé de nouveau cette année la sécheresse qui a affecté la Russie. De leur côté, les dysfonctionnements récurrents du secteur, hérités de l’URSS, ont été depuis longtemps répertoriés et analysés. Cependant, avec la difficile transition vers l’économie de marché, 133 N° 1046 novembre-décembre 2004 d’autres difficultés sont venues s’y ajouter. Elles concernent surtout l’approvisionnement en amont (équipements, engrais, etc.) qui s’est notablement détérioré depuis 1992, le financement du secteur agro-alimentaire, le cours chaotique de la réforme agraire et des privatisations, les difficultés financières des agriculteurs, la difficile concurrence face aux importations, la baisse de la demande solvable d’une majorité des consommateurs. [...] Les avatars de la réforme agraire Le processus de la réforme agraire a vraiment commencé à la fin des années 80 avec le lent développement des fermes familiales, encouragé par Mikhail Gorbatchev. Entre novembre 1989 et mars 1990, le Soviet suprême de l’URSS a adopté les lois sur les baux, sur la propriété, sur la terre, qui ont permis à des individus et à des familles de contracter des baux à long terme à l’extérieur et à l’intérieur des kolkhozes et des sovkhozes. A la fin de 1990, le Soviet suprême de la Fédération de Russie a été plus loin avec l’adoption de lois sur l’exploitation (ferme) paysanne, sur la réforme agraire, sur le développement social des campagnes. Sans engager une véritable redistribution des terres, elles mettaient en place des mécanismes permettant aux paysans d’acquérir des terres en propriété privée sans qu’ils aient cependant le droit de la vendre à une autre personne privée. [...] Ces quatre dernières années apparaissent donc comme le temps des occasions ratées pour la réforme agraire. Celle-ci a commencé avec la restructuration des entreprises agricoles alors que les réformes financières et le développement des infrastructures n’ont pas suivi. L’agriculture russe continue de connaître un énorme gaspillage dû aux conditions de la récolte, de stockage, de transports. Chaque année, 30 134 à 40 % des produits agricoles sont perdus pour les consommateurs. Les retards qui s’accumulent, la situation dans laquelle se trouve actuellement le complexe agro-industriel hypothèquent une amélioration dans un avenir proche. Les signes encourageants enregistrés ici et là sont le résultat d’initiatives locales prises par des entrepreneurs et des autorités dynamiques anticipant sur les mesures fédérales. Comme dans les autres secteurs de l’économie, la Russie a besoin d’aide extérieure et celle-ci − y compris celle de la Banque mondiale qui soutient la réforme agraire − reste et restera sans doute insuffisante. Les importations continueront à alimenter une grande partie du marché urbain russe et les paysans vont faire le rude apprentissage de la concurrence. [...] La résurrection de l’agriculture reste pour elle un des grands défis du troisième millénaire.» Alain Giroux, Le courrier des pays de l’Est, «L’agro-alimentaire russe en panne entre réforme et conservatisme» CPE, n° 405, décembre 1995, pp. 3-24 Productions et échanges agricoles : des évolutions paradoxales ● De l’URSS à la Russie : des rendements en dents de scie «L’agriculture soviétique demeure une agriculture extensive dans son ensemble. C’est la première constatation qui s’impose et il suffit pour s’en convaincre de comparer la concentration et l’intensité de la production agricole dans les exploitations collectives et étatiques, à celles des “lopins” individuels : sur 6 % des surfaces cultivées du pays, les lopins occupent plus de 30 % du temps de travail dépensé dans l’agriculture et produisent environ le tiers de la production agricole de l’URSS. [...] Le monde agricole Le développement extensif de la production agricole a ses limites naturelles mais des possibilités s’ouvrent encore à l’URSS dans cette voie. Mais une agriculture extensive n’est pas l’indice d’une économie développée. Une production intensive par contre permet d’accroître les rendements et de réduire les coûts, mais elle suppose que des moyens techniques et financiers y soient affectés. Les efforts portés dans ce domaine par les dirigeants de l’économie soviétique depuis une décennie sont considérables. Ils demeurent pourtant très insuffisants et sont loin d’avoir atteint tous les effets possibles et souhaitables. Le caractère extensif de la production agricole se traduit, en particulier, par des variations annuelles de production, considérables, qui sont un des handicaps de la croissance de l’économie soviétique. Sur la période de cinq ans qui a été observée, les dix régions économiques que l’on peut considérer comme les régions agricoles développées de l’URSS sont responsables de 65 à 82 % des variations de la production agricole. En réalité, quatre d’entre elles influent de façon décisive sur ces variations ; ce sont d’une part le Caucase-Nord, et, d’autre part, les trois régions caractérisées par une agriculture extensive du Kazakhstan, de la Sibérie occidentale et de la Volga [...]. Ainsi, ces régions qui représentent 28 % de la production agricole de l’URSS sont responsables de 62 % de l’accroissement de la production en 1966 et de 70 % de la diminution de cette production en 1969. La production céréalière, élément déterminant qui polarise la politique agricole de l’URSS, est une de celles dont le développement est le moins intensif. C’est celle aussi qui accuse les écarts de récoltes les plus considérables.» Chantal Beaucourt, Groupe d’études prospectives internationales (CFCE) «Le potentiel agricole de l’URSS. Une approche régionale» CPE, n° 170, janvier 1974, pp. 9-31 le courrier des pays de l’Est Hier, dépendante en céréales «Rarement dans l’histoire économique récente un fait aussi banal en soi que l’achat de blé sur le marché mondial pour pallier une défaillance de la production intérieure a suscité un retentissement aussi considérable que les importations de 24 millions de tonnes de blé et de 2 millions de tonnes de farine effectuées par l’URSS de fin 1963 à 1967. C’est en effet tout le modèle de l’agriculture socialiste à travers le mythe de son inhérente supériorité qui s’est trouvé ainsi battu en brèche. L’événement a pris plus de relief encore peut-être en raison de l’abondance bien connue des terres arables, réparties sous les cieux les plus divers, qui était censée compenser largement les éventuelles erreurs de gestion d’une politique agricole mal inspirée. L’incapacité subséquente où a été l’URSS de subvenir aux besoins des démocraties populaires et des autres pays amis, sinon par le biais d’un mécanisme d’achat et de revente n’a pas peu contribué non plus à entacher le prestige général de ce pays. Quoi qu’il en soit, le coût politique des mauvaises récoltes de blé de 1963 et de 1965 l’emporte de très loin sur la dépense en devise proprement dite. [...] Résolu dans l’immédiat (grâce aux importations), comment se présente le problème du blé et des céréales en général, pour les prochaines années ? La tâche que doit résoudre l’agriculture soviétique n’est pas si malaisée puisque les céréales étant cultivées sur plus de 120 millions d’hectares, il suffirait d’accroître les rendements d’un peu plus de 2 quintaux à l’hectare et de les élever à 16 quintaux pour porter la récolte globale à 200 millions de tonnes. C’est là un objectif qui n’est nullement irréalisable car il fait appel pour l’atteindre à la mise en œuvre de tech- 135 N° 1046 novembre-décembre 2004 niques agronomiques pas très évoluées. [...] Mais il ne suffit pas de produire des céréales, faut-il encore pouvoir les conserver et les stocker. La presse s’est fait l’écho à plusieurs reprises des nombreuses pertes enregistrées dans ce domaine, notamment dans les zones reculées du pays...» Conseiller commercial Ambassade de France à Moscou «L’URSS a-t-elle résolu son problème de blé ?» CPE, n° 113, janvier 1969, pp. 63-67 Demain, sérieuse concurrente de l’Union européenne ? «La réforme foncière [loi de juillet 2001] intervient à un moment où l’agriculture russe fait preuve d’une indéniable capacité de rebond. [...] Bien que la situation sur le terrain soit contrastée, certaines régions et certaines fermes faisant preuve d’une réelle vitalité alors que d’autres périclitent de manière parfois pathétique, on peut schématiquement distinguer trois phases dans l’évolution de l’agriculture russe depuis le début de la transition : dans la première moitié des années 1990, le secteur subit une série de chocs extrêmement brutaux qui entraînent une contraction marquée de l’offre ; puis, se mettent en place de ci de là des mécanismes d’adaptation qui permettent d’enrayer la chute de la production ; après la crise financière de 1998, ces mécanismes se généralisent et débouchent sur une reprise soutenue de l’offre des productions végétales, le secteur animal n’ayant que très récemment amorcé son rebond. [...] Comme pour la politique des marchés agricoles, il paraît donc probable que la Russie avancera à tâtons s’agissant des transformations apportées aux structures agraires. Si la libéralisation de la réglementation foncière permettra incontestablement aux grandes agroholdings d’acquérir plus facilement d’immenses domaines agricoles et surtout de mieux estimer leur valeur, elle n’éliminera pas du jour au lendemain 136 les grandes exploitations collectives. A priori, celles qui sont bien gérées et rentables devraient garder les moyens d’une certaine autonomie. Quant à celles qui sont en faillite et surendettées (au début de 2001, les dettes accumulées représentaient 7,7 milliards de dollars, soit l’équivalent de 60 % de la production des grandes fermes collectives, dont une grande partie n’est pas mise sur le marché), elles constitueront à l’évidence des cibles privilégiées pour des prédateurs extérieurs. Mais leur remise à flot demandera des efforts considérables, la variable décisive dans leur approche étant le facteur humain. [...] Pour toutes ces raisons, il est clairement de l’intérêt stratégique des nouveaux investisseurs agricoles, qui pèsent d’un poids déterminant sur les décisions politiques, de favoriser l’émergence de réseaux de véritables fermiers entrepreneurs auxquels ces agro-holdings apporteraient des biens fonciers et du capital. Couplé avec la reconstitution d’un système national de crédit à l’agriculture, celle-ci pourrait s’orienter vers un modèle de développement assez proche de celui qui fit la fortune de l’Angleterre au XVIIe siècle et qui était basé sur la complémentarité entre landlords et farmers liés par des contrats de fermage ou de métayage à très long terme. Si un tel modèle venait à se mettre en place, la production agricole russe serait susceptible de connaître une croissance soutenue dans les prochaines années. Elle pourrait en effet tirer parti d’un volant considérable de terres en friches qu’il serait relativement aisé de remettre en cultures ou au moins en prairies artificielles. Quant à la maind’œuvre, elle serait largement suffisante pour faire face à la fois à une intensification de la production végétale et à la relance de l’élevage. Certes, d’après la FAO, la part de la population agricole dans le total de la population Le monde agricole active ne dépasse pas aujourd’hui 10,5 % en Russie, contre 21,7 % en Pologne, mais le découpage des terres y est remarquablement bien adapté à la mécanisation, les champs étant dans les terres noires, par exemple, de l’ordre de 70 à 100 hectares d’un seul tenant. Sous réserve d’une bonne gestion, l’agriculture russe pourrait ainsi devenir à terme l’une des plus productives d’Europe. Dans ce contexte, on comprend les angoisses des responsables de l’UE et des milieux paysans européens qui craignent les retombées pour leurs marchés d’un boom agricole russe. Ces craintes sont partiellement fondées. Les coûts de production étant aujourd’hui très bas, en raison à la fois de la faible utilisation d’intrants chimiques (engrais, pesticides) et de salaires inférieurs à 50 dollars par mois, dont en outre une grande partie en nature, il suffirait de 3 milliards de dollars pour emblaver les 30 millions d’hectares de terres abandonnées à la friche depuis le début de la transition. Si l’on y ajoute la réduction des jachères au niveau d’avant la transition, et sous réserve du maintien des rendements à la hauteur de ces dernières années, la Russie serait en mesure de produire environ 130 millions de tonnes de céréales, contre un peu plus de 85 millions actuellement. Aussi la menace pour l’équilibre précaire des marchés internationaux, si ces volumes venaient à s’y déverser, est-elle majeure. [...] La Russie a donc aujourd’hui le choix entre une agriculture qui, partiellement contrôlée par les oligarques, resterait durablement sous-capitalisée et donc incapable d’augmenter sa production ; ou une agriculture qui, progressivement, permettrait l’émergence d’une nouvelle catégorie de fermiers entrepreneurs rappelant à certains égards les koulaks d’antan. Dans ce dernier cas, les contraintes de l’espace et les le courrier des pays de l’Est besoins du marché intérieur favoriseraient un rééquilibrage en faveur de l’élevage, éloignant définitivement le “spectre” d’une inondation des marchés européens par les blés russes.» Christophe Cordonnier, Cercle Kondratieff «Russie. Droit foncier et stratégies agricoles» CPE, n° 1034, avril 2003, pp. 4-13 ● Europe centrale et orientale : une capacité d’exportation toute relative «Dans les prochaines années, les pays de l’Europe de l’Est espèrent développer leurs exportations agricoles et alimentaires vers le monde occidental et plus particulièrement vers l’Europe de l’Ouest, à l’instar des pays occidentaux qui nourrissent des ambitions fort similaires, mais de sens contraire. Certes, les agricultures est-européennes éprouvent des difficultés persistantes et chroniques à bien des niveaux. Production, qualité, productivité, gestion et organisation de l’agriculture comme de l’industrie agro-alimentaire sont autant de points sensibles dans ces pays qui traditionnellement exportent de la viande, des produits laitiers, des fruits et des légumes frais et en conserve sur les marchés en devises fortes. Mais jusqu’à présent encore, il leur faut se procurer, en devises, le blé et les céréales fourragères qu’ils ne parviennent pas à produire en quantités suffisantes pour répondre à la demande croissante de la population et surtout pour assurer la réalisation de leurs programmes d’expansion de l’élevage. Jusqu’à présent encore, les populations de ces pays connaissent des moments de pénuries pour certains produits alimentaires : viande, fruits et légumes frais. [...] Ainsi, en 1976, les importations nettes de produits agricoles représentaient près de 42 % du déficit commercial Est-Ouest. [...] 137 N° 1046 novembre-décembre 2004 Démocraties populaires : une autosuffisance alimentaire discutable Pour l’ensemble de la zone, il semble que ce soit le monde occidental qui fournisse la majeure partie des importations. En 1977, la Pologne et la RDA qui représentaient 80 % des céréales importées par ces pays, totalisaient plus de 50 % des échanges globaux agro-alimentaires des six pays esteuropéens. [...] La modernisation de l’industrie requiert des équipements et des technologies que le pays doit acquérir sur le marché occidental, en devises fortes. Les surplus agricoles devaient compenser en partie le déficit commercial inévitable au premier stade de la “modernisation”. D’où la tendance à maintenir un approvisionnement tendu sur le marché intérieur des produits agro-alimentaires. Cette politique qui frappe le niveau de consommation, présente un “seuil d’intolérance” que la Pologne a expérimenté à diverses reprises. Le mécontentement suscité par des pénuries alimentaires chroniques [émeutes de 1970] a fini par constituer une pression populaire qui agit sur le pouvoir de décision. Celui-ci doit tenir compte de cette pression et céder à certaines revendications de type alimentaire en se procurant en devises fortes, ou auprès des autres pays socialistes lorsque c’est possible, les mêmes catégories de produits qu’elle exporte (viande notamment), ce qui aggrave son déficit commercial. On peut se demander si l’évolution que l’on a observée en Pologne depuis plusieurs années est spécifique de ce pays. La Roumanie et la Bulgarie, tout comme la Pologne financent grâce à leurs exportations agro-alimentaires une partie de leur industrialisation. Or, leur niveau de consommation alimentaire par habitant est inférieur à celui de la Pologne. Est-ce à dire que le 138 “seuil d’intolérance” varie d’un pays à l’autre ? Quoiqu’il en soit, ceci pose le problème de la capacité réelle optimum d’exportation agro-alimentaire qui, dans ces trois pays, se trouverait surévaluée.» Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est «Vers une auto-suffisance agro-alimentaire de l’Europe orientale» CPE, n° 232, septembre 1979, pp. 3-25 Economie de marché et libéralisation des échanges : l’épreuve de vérité «L’analyse macro-sectorielle conduit donc finalement aux diagnostics et pronostics globaux suivants. A moyen terme, compte tenu du manque de financements (surtout budgétaires) disponibles dans et pour le secteur agro-alimentaire, et donc de la lenteur avec laquelle sont et seront surmontés des handicaps structurels hérités du système antérieur, la tendance de la production agro-alimentaire à reculer plus rapidement qu’une demande intérieure en voie de stabilisation semble devoir se poursuivre encore généralement au moins quelques années. Pour les mêmes raisons, là où est amorcée une relance de la croissance globale (en particulier en Pologne), celle-ci aura très probablement, dans une première phase, un effet plus dynamisant sur la demande que sur la production agro-alimentaire nationale. Tant que se maintiennent, pour l’essentiel, les actuelles “règles du jeu” des marchés agricoles internationaux déprimés par les excédents très subventionnés des grands agro-exportateurs protectionnistes (Union européenne, Etats-Unis en particulier), l’agroexportation rentable des PECO vers ces marchés (y compris vers la CEI) restera impraticable à l’échelle de masse. A l’inverse, les PECO continueront en pratique à protéger leurs agri- Le monde agricole cultures contre ces excédents subventionnés et contre d’autres importations alimentaires compétitives. Dans ces conditions, l’hypothèse la plus optimiste à moyen terme est que ces pays parviennent à conserver des positions plus ou moins proches, selon les cas, de l’autosuffisance alimentaire en produits de la zone tempérée. L’analyse effectuée par ailleurs des impacts actuels et prévisibles des récents accords régionaux de libéralisation partielle des échanges, concernant les PECO (accords d’association avec l’UE, accords de Visegrad, accords avec l’AELE) n’infirme ces conclusions en rien d’essentiel. En effet, les concessions les plus importantes (UE surtout, et AELE) sont en elles-mêmes modestes. Et surtout leur dissymétrie formelle en faveur des PECO s’est avérée généralement, jusqu’à présent, plus que compensée par une dissymétrie de compétitivité effective en faveur des exportateurs ouesteuropéens. Ainsi, depuis les accords d’association, la balance des échanges agro-alimentaires des pays d’Europe centrale a évolué en faveur de l’UE, cependant que les nouveaux contingents d’importation à régime privilégié offerts par celle-ci n’ont souvent été utilisés que très partiellement. A long terme, globalement les PECO disposent de plus de terres agricoles par habitant que l’Europe occidentale. L’abondance relative de force de travail agricole peu chère est un autre atout. Mais ces avantages comparatifs partiels ne pourront se traduire en nouvelle expansion agricole que si le secteur a accès aux financements indispensables à son adaptation structurelle à grande échelle, en même temps qu’à des débouchés assez larges et rémunérateurs.» Alain Pouliquen, directeur de recherches à l’Inra de Montpellier «L’agriculture des pays d’Europe centrale et orientale : quelles productions pour quels marchés ?» CPE, n° 391, août 1994, pp. 35-43 le courrier des pays de l’Est Intégration à l’UE, mais PAC «au rabais» «En juin 2000, une étape importante a été franchie dans le déroulement des négociations d’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) à l’Union européenne (UE). En effet, parmi les 31 chapitres de la législation de l’UE qui doivent être successivement traités par chaque Etat candidat avec son interlocuteur européen, celui relatif à l’agriculture a été ouvert. Limitée provisoirement au groupe de Luxembourg, c’est-à-dire à la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, l’Estonie, la Slovénie et Chypre, cette ouverture est un événement marquant. De fait, deux ordres de grandeur traduisent le poids considérable de la question agricole dans les négociations d’adhésion et l’impact qu’aura, dans ce domaine, l’intégration des PECO. Ainsi, alors que le PIB des dix PECO s’élevait en 1998 à 4,4 % de celui de l’UE, les surfaces agricoles représentaient 46 % de la moyenne européenne et la production 30 %. A ceci s’ajoutent deux caractéristiques essentielles. D’une part, l’agriculture occupe une place relativement importante dans les économies de ces dix pays en contribuant au PIB pour près de 7 % contre 1,6 % dans l’UE. D’autre part, ce secteur emploie 21,5 % des actifs, contre seulement 5 % dans l’UE. [...] Dans ce contexte marqué par de grandes incertitudes, les pays candidats n’ont pas plus de raisons d’être satisfaits de la réforme annoncée à Berlin concernant la viande bovine que de celle relative aux céréales. Leur inéligibilité, même après leur adhésion, aux aides directes, alors qu’elles vont augmenter pour les membres actuels de l’UE, paraît être une position politique difficilement tenable. Deux questions méritent à cet égard une attention particulière. En premier lieu, avec l’abaissement du niveau des prix des céréales dans l’UE, les agriculteurs des pays 139 N° 1046 novembre-décembre 2004 candidats ne verront pas leurs revenus augmenter grâce à ceux-ci, comme ce fut le cas, par le passé, pour les membres actuels lors de leur accession. Certes, les écarts de prix qui existent encore actuellement entre l’UE et les PECO, s’ils poursuivent la tendance actuelle, vont progressivement s’amenuiser pour finalement disparaître d’ici l’adhésion de ces derniers. Dans ce cas, aucune période de transition ne sera nécessaire pour permettre un alignement des prix comme cela le fut lors des précédents élargissements. Quoi qu’il en soit, si les agriculteurs des pays candidats ne reçoivent pas de paiements compensatoires, lesquels sont devenus le moyen le plus répandu dans l’UE de soutenir les revenus agricoles, se pose la question de savoir quels bénéfices ils tireront de l’adhésion. En d’autres termes, comment rendre cette dernière attractive pour les plus sceptiques ? En second lieu, si les pays candidats sont exclus du champ des paiements compensatoires, la hausse de ces derniers, décidée dans le cadre de la réforme de 1999, va rendre les négociations encore plus difficiles. La concurrence entre les PECO et les membres de l’UE a, en effet, toutes les chances d’amener les premiers à revendiquer la mise en place de mécanismes faisant contrepoids. De fait, on peut s’interroger sur la capacité des petites unités de production bulgares à supporter la pression des grands producteurs ouest- européens, ou sur l’avenir de l’agriculture hongroise, encore au stade “de la seconde révolution industrielle”, si les subventions étaient supprimées. Quant au négociateur en chef polonais, Jan Kulakowski, il réclamait, en mai 2000, que son pays “bénéficie des mêmes avantages que les agriculteurs européens”, faisant allusion aux aides directes destinées à compenser les baisses de prix des céréales et de la viande bovine. [...] 140 Compétitivité des agricultures de l’Est et coût de l’intégration à l’UE L’éventualité que les PECO retrouvent à terme leurs niveaux de production antérieurs à 1989 pour certains produits, dont les excédents posent déjà problème à l’UE, a été à l’origine d’un vif débat sur les risques encourus par les producteurs ouest-européens et l’Union européenne dans son ensemble. Les experts ont tenté de le dédramatiser : pour certains, cette hypothèse n’a aucun fondement dans la mesure où les PECO représentent “une considérable et durable opportunité d’exportations nettes de l’UE, accrue après l’élargissement”. De plus, tous les PECO, à l’exception de la Hongrie et de la Bulgarie, ont, depuis 1990, une balance commerciale agroalimentaire déficitaire avec l’UE. Ce débat soulève, en fait, la question de la compétitivité future de l’agriculture des PECO par rapport à celle de l’UE, dont va finalement dépendre le coût de leur intégration. [...] En fin de compte, le choc provoqué par l’adhésion des PECO sur la compétitivité-prix des produits agricoles devrait être moins important qu’on ne l’envisageait initialement, au moins pour certains de ceux-ci. En outre, la mise en conformité aux normes communautaires, notamment dans le domaine sanitaire, ne peut qu’entraîner à la hausse les prix agricoles des pays candidats. [...] La réforme de la PAC de 1999 présente bien des faiblesses en ce qui concerne l’intégration des agricultures est-européennes. D’une part, elle ne résout pas la question des aides directes, cruciales dans les secteurs des céréales et de la viande bovine, et dont l’extension aux PECO conduirait à réévaluer son budget d’au moins 3,5 milliards d’euros par an, mais qui, si elle est refusée à ces pays risque de conforter l’opposition à l’adhésion à l’UE de certaines franges de l’opinion. [Ndlr - Un com- Le monde agricole promis sera finalement trouvé en 2002 ; les pays bénéficieront des aides directes de façon progressive, soit 25 % en 2004, année de l’adhésion, 30 % en 2005... pour arriver à 100 % en 2013]. D’autre part, les mesures de 1999 n’envisagent pas de solution pour faire face à la concurrence qu’exerceront les PECO dans certains secteurs, déjà en crise (le lait et le porc en particulier) du fait de l’absence de réformes visant à juguler des productions excédentaires ; et pourtant, l’entrée de ces pays dans l’UE ne manquera pas d’avoir pour celle-ci un coût très important, non seulement financier (gestion des stocks et chute des cours), mais également social. Soucieux de limiter le poids des dépenses futures de la PAC dans le budget communautaire, les Quinze ont pris le risque, à Berlin, d’avoir à affronter l’hostilité des PECO déçus par un tel manque de solidarité.» Marie-Line Duboz, Université de Franche-Comté, Centre de recherche sur les stratégies économiques (CRESE), Jean-Luc Proutat, Assurances Générales de France «Agricultures et élargissement. Les enjeux et les coûts» CPE, n° 1014, avril 2001, pp. 33-51 Le devenir du monde paysan ● Recul de la population rurale en Union soviétique «La modernisation de l'agriculture soviétique s'accompagne, désormais, d'un exode rural que les médias du pays, après en avoir reconnu l'existence, dénoncent comme un danger. Entre les recensements de 1970 et de 1979, la population rurale soviétique, ramenée de 105,729 à 98,851 millions de personnes, a perdu 6,5 % de ses effectifs initiaux, alors que la population totale s'accroissait de 8,6 %, le nombre des citadins ayant progressé, de son côté et dans le même laps de temps, de 20,3 %. Aussi les ruraux qui formaient 44 % de la population totale le courrier des pays de l’Est en 1970 ne représentent-ils plus que 38 % de celle ci en 1979 : l’urbanisation de la société, comme celle de l'espace soviétique, ont donc progressé de manière significative au cours de la décennie. Pourtant, cette “déruralisation” ne s'effectue pas au même rythme partout comme le montre l'analyse au niveau des différentes unités administratives qui se partagent le territoire national : républiques fédérées, régions économiques, oblast et entités de même rang. [...] Ainsi, dans les régions économiques à peuplement slave de l'Europe soviétique, tout comme dans celles qui accueillent les anciens “allogènes” de l'Ouest, l'industrialisation de l’économie a provoqué l'urbanisation de l'espace et de la société, vidant les campagnes de la plus grande partie de leur population active. Le territoire de l'Union soviétique présente donc lui aussi de vastes espaces ruraux que la modernisation des forces productives cantonne de plus en plus exclusivement dans l'exercice d'une fonction de production agricole, la mécanisation des façons culturales y provoquant une inquiétante dépopulation, et il en est même où progresse la friche. Inversement, en Transcaucasie, au Kazakhstan et surtout en Asie moyenne, les ruraux sont de plus en plus nombreux et il leur arrive même, c'est le cas au Tadjikistan, de tenir une place grandissante dans la société globale ! Ici, les dépositaires de la puissance publique s'efforcent de provoquer un exode auquel les populations locales demeurent rebelles et les voici qui doivent même envisager la diffusion, dans ces campagnes où sévit un sous-emploi chronique mais caché, d'activités non agricoles, tâche d'aménagement fort ardue.» Pierre Carrière, Université Paul Valéry, Montpellier III «La population rurale en URSS (1970-1979). Etude cartographique» CPE, n° 252, juin 1981, pp. 37-46 141 N° 1046 novembre-décembre 2004 «Les problèmes posés par la restructuration du milieu rural apparaissent tout particulièrement dans le cas de la mise en valeur des terres non noires (TNN) de la RSFSR, un des plus grands programmes soviétiques actuels d'aménagement du territoire, lancé en 1974, et qui concerne 23 régions et 6 républiques autonomes s'étendant sur 2 823 000 km2 (soit environ la superficie de l'Europe de l'Ouest). Cette zone inclut notamment Moscou, Leningrad et Gorki [l'actuel Nijni-Novgorod]. […] Ce sont surtout les jeunes qui sont candidats à la migration vers les villes (environ 60 % des migrants). Ces dernières années, le processus s'est amplifié avec pour conséquences un vieillissement marqué de la population rurale (à dominante féminine) et un déficit inquiétant en main-d'oeuvre. […] 25 % seulement des jeunes ayant suivi un enseignement dans les écoles rurales choisissent de vivre et de travailler dans leur ferme d'origine. La plupart des parents (40 %), de leur côté, poussent leurs enfants à quitter le secteur agricole. Une enquête menée dans la région de Kalouga, très représentative de la zone des TNN, auprès de 767 jeunes ayant quitté la campagne pour travailler à l'usine en ville a fait apparaître que 24,2 % d'entre eux émigraient à cause des conditions insatisfaisantes de vie, du manque d'activités culturelles, 19,4 % à cause de l'insuffisance des salaires, 13,8 % à cause des mauvaises communications avec la ville (état des routes et des moyens de transport), 12,1 % à cause de l'impossibilité de travailler et de s'instruire en même temps, 10,7 % pour des raisons familiales, 6,2 % pour non-satisfaction dans le travail, 4,8 % à cause de l'impossibilité de trouver du travail dans leur spécialité, 4,3 % à cause des conditions de logement. Dès 1974, et dans le but de lutter contre l'hémorragie de main-d'oeuvre, le programme de 15 ans prévoyait un 142 certain nombre de mesures destinées à fixer la population rurale. A propos des «villages sans avenir» Le point le plus important de ce programme concerne l'élimination des petits villages “sans avenir”, le déplacement et le regroupement des populations dans des centres modernes de type urbain. [...] Mais les populations marquent une résistance très forte aux déplacements et refusent de quitter les villages “sans avenir”, malgré les offres de crédit et les facilités qui leur sont offertes. Souvent, les personnes qui acceptent de migrer avec leur famille, par l'intermédiaire d'une agence de recrutement et au vu d'une annonce alléchante (appartement avec toutes les commodités, travail dans la spécialité recherchée, etc.) sont déçues par les conditions de vie qu'elles trouvent en arrivant : pas de gaz ni d'eau dans les appartements, absence de lopins individuels, mauvaises conditions de travail. Les journaux dénoncent souvent ces publicités mensongères de la part des entreprises agricoles en quête de maind'oeuvre, et l'absence de contrats en bonne et due forme qui responsabiliseraient plus ces entreprises.» Alain Giroux, Le courrier des pays de l'Est "La difficile mutation de l'agriculture soviétique" CPE, n° 285, juin 1984, pp. 3-21 ● La lutte contre l'exode rural en Europe de l'Est «Le phénomène d'exode rural est très marqué en Roumanie. On peut penser qu'en 1930, 84 % de la population active travaillaient dans l'agriculture, alors qu'en 1975, 38 % y étaient employés. L'Etat a pratiqué une politique de “saupoudrage industriel” sur l'ensemble du territoire. La rareté des implantations d'usine, sous le régime antérieur, permettait de partir de zéro Le monde agricole pour aménager la répartition comme on l'entendait. De ce fait, les hommes ont été attirés par les nouveaux emplois, et ceci a accentué leur désaffection à l'égard des travaux des champs. Seules restent à la coopérative l'épouse et la fille. Au moment des gros travaux, des récoltes, les entreprises agricoles ont d'importantes difficultés de maind'oeuvre et il faut faire appel à des étudiants. [...] La réglementation pour freiner l'exode vers la capitale est particulièrement tatillonne et, au dire de certains Roumains, se présente comme un traquenard. Il est indiqué, par exemple, que l'on peut obtenir sa carte d'identité urbaine si l'on a un emploi et un logement à Bucarest. Mais les candidats à un logement se voient exiger une carte d'identité urbaine. Or sans logement, on ne peut avoir cette carte. C'est un cercle vicieux. “L'exode pendulaire” est important dans toute la région qui subit l'attraction de la capitale. Mais de très nombreux habitants des zones rurales, à plus de deux cents kilomètres de Bucarest, viennent travailler en ville en louant une chambre et repartent chaque weekend chez eux. [...] Tout ceci finit par vider la Grande Plaine autour de Bucarest de ses paysans, et pour pouvoir continuer à exploiter, l'on fait appel à des agriculteurs de régions plus éloignées qui acceptent de venir parce que les sols y sont plus fertiles et qu'ils sont plus près de la capitale. Il est étonnant de voir tous les ouvriers, venus travailler à Bucarest, repartir le soir avec des provisions. Ou bien, en week-end, de nombreux paysans viennent des alentours faire leurs achats en ville. Les contrats que l'Etat passe avec les coopératives sont en effet assez durs. Les quantités à livrer sont importantes. Il finit par y avoir pénurie sur place. Il reste peu pour la consommation des paysans, et ceux-ci vont se ravitailler en ville. Le phénomène est étrange, mais indiscutable. le courrier des pays de l’Est Le phénomène d'exode rural en Tchécoslovaquie présente deux caractères. D'une part, il n'a pas revêtu l'ampleur qu'il a prise ailleurs, d'autre part, il n'a pas toujours impliqué une hémorragie de population quittant la campagne pour aller s'installer en ville. Depuis 1950, le nombre de personnes vivant dans des bourgs de moins de 2 000 habitants n'a cessé de diminuer, mais il n'y a pas eu écroulement comme en Occident. La densité humaine est très forte, d'environ 110 habitants au km2. Il existe, dans le pays, près de 20 000 villages. Par la force des choses, ils ne sont jamais très éloignés d'une agglomération urbaine. De plus, traditionnellement, les moyens de communication (autobus principalement) ont toujours été très développés. Le nombre de voitures est plus élevé que dans les autres démocraties populaires. [...] Le gouvernement s'est efforcé de créer le maximum d'usines en zones rurales, en particulier en Slovaquie. Il est donc tentant pour le paysan d'abandonner sa profession pour aller travailler dans le secteur industriel, sans quitter son cadre de vie. En effet, si un ou deux membres de la famille continuent à faire partie de la coopérative (ou même de la ferme d'Etat), cela est suffisant pour continuer à bénéficier des avantages accordés par l'entreprise : jardin, lopin individuel, élevage personnel et surtout logement. Donc les ouvriers cherchent à ne pas quitter leur cadre de vie. Si l'Etat a eu moins à intervenir qu'en URSS et en Bulgarie pour freiner l'exode rural, il a cependant exercé une action particulière pour Prague. Il a sévèrement réglementé l'entrée dans la capitale jusqu'en 1965. Toutefois, depuis 1970, il a accepté le principe d'un “Prague d'un million d'habitants”, mais la construction de logements est loin de suivre à une vitesse suffisante. [...] En 1962, fut édicté un ensemble de mesures administratives destinées à freiner l'exode vers Budapest, dont on voulait diminuer la puissance attractive 143 N° 1046 novembre-décembre 2004 sur la population des campagnes. La règle de base est que, pour acheter un logement dans la capitale, ou en louer un comme locataire en titre (“locataire principal”), il faut justifier d'un emploi à Budapest, ou bien y habiter depuis 5 ans comme sous-locataire (“locataire secondaire”). Or être sous-locataire oblige à passer par des exigences très dures, imposées par les propriétaires ou les locataires à titre principal. Le minimum réclamé pour une seule pièce est de 1 000 forints par mois, alors que certains salariés ne gagnent pas plus de 2 800 forints. Le nouvel arrivant à Budapest a également la solution d'aller habiter hors des limites administratives de la ville, dans les communes limitrophes, et d'effectuer des déplacements pendulaires. C'est seulement au bout de 5 ans que “l'émigré” pourra demander officiellement à bénéficier d'un logement d'Etat. [...] L'attitude officielle du gouvernement, dans les zones rurales, est de laisser faire librement les paysans pour leur habitat. La planification des migrations rurales n'a été assortie d'aucune mesure coercitive pour que les agriculteurs abandonnent leur maison isolée. Aucune pression officielle ne s'exerce pour supprimer les hameaux, car toute action en ce sens pourrait encore accentuer le départ des jeunes. L'on préfère que les regroupements se fassent spontanément. Il s'agit de problèmes de générations. Les vieux manifestent souvent le désir de mourir dans leur maison. A leur décès, les enfants abandonneront le plus souvent l'habitat dispersé, iront vers des centres plus importants. [...] L'Etat, sans l'avouer, tout comme en Bulgarie, en Tchécoslovaquie, en Roumanie est tenté de faire renaître une mentalité paysanne productiviste, dont la flamme n'est pas entièrement éteinte, en dépit du progrès de l'agriculture industrielle. “L'usine aux champs” ne s'est pas révélée être une panacée. La révision de la politique de l'Etat ne peut faire l'objet de déclarations fracas- 144 santes. Elle se fait lentement, dans les faits, de façon subreptice. Il est peu d'esprits pour prôner désormais les bienfaits des agrovilles, des regroupements autoritaires dans le but de maintenir sur place la population et de freiner l'exode rural.» Georges Frelastre, professeur, Faculté des sciences économiques de Clermont-Ferrand «Les moyens de lutte contre l'exode rural en Europe de l'Est» CPE, n° 258, janvier 1982, pp. 27-38 ● Les campagnes : zones de repli ou futurs pôles de développement ? Russie : une société délaissée «Les salaires agricoles sont de deux fois inférieurs à ceux pratiqués en moyenne dans les autres secteurs de l'économie. Le seul avantage pour les paysans est la possibilité de s'autoapprovisionner en produits frais grâce à leur lopin individuel tout en obtenant un revenu supplémentaire. En fin de compte, toutes les enquêtes font ressortir un désintéressement évident des paysans pour les résultats de leur travail, un développement inquiétant de l'alcoolisme, une dégradation de la discipline. [...] Le retard des infrastructures sociales est un problème récurrent pour la Russie. De ce point de vue, les campagnes ont toujours été défavorisées et la politique de désinvestissement de l'Etat n'est pas pour améliorer la situation. A la fin de 1990, un programme ambitieux pour le développement social des campagnes avait été adopté mais il n'a pu être appliqué. Avec l'introduction de la réforme, les anciens réseaux de financement par l'Etat ont disparu et les nouveaux (par le canal des autorités locales) ne sont pas encore en place. On relève une absence quasi totale de gestion des infrastructures sociales et le risque existe de voir revenir la liquidation des “villages sans avenir”, ima- Le monde agricole ginée par N. Khrouchtchev. En situation de déficit des ressources, celles qui sont disponibles vont en priorité aux villes et aux centres industriels. L'état médiocre des budgets locaux entraîne une chute des investissements et les banques, très frileuses vis-à-vis de l'agriculture, rechignent à débloquer des prêts à long terme. Les résultats de cette absence pérenne de politique apparaissent dans les données statistiques corroborées par tous les observateurs. Sur 153 000 localités rurales, seules 10 % sont entièrement équipées de toutes les infrastructures modernes. [...] L'approvisionnement centralisé en eau n'est assuré que pour la moitié des appartements en zones rurales et 15 % seulement d'entre eux ont l'eau courante à l'intérieur du logement. Le grand retard enregistré par la société rurale inquiète nombre d'observateurs en Russie. Il représente un danger pour la société tout entière.» Alain Giroux, Le courrier des pays de l'Est «L'agro-alimentaire russe en panne entre réforme et conservatisme» CPE, n° 405, décembre 1995, pp. 3-24» Des politiques de développement rural pour les futurs membres de l'UE «Durant ces années de transition économique, synonymes pour la majorité des populations concernées d'une importante diminution de leur niveau de vie, les campagnes ont pour partie assuré un rôle de tampon social, à commencer par les pays ayant connu une multiplication des micro-exploitations individuelles. Frappés par le chômage industriel, nombreux ont été les ouvriers de la première génération à regagner les campagnes qui, pour beaucoup d'ailleurs, étaient demeurées le lieu de résidence officiel de ces “navettistes”. le courrier des pays de l’Est Peu satisfaisant sur le plan économique, puisque allant à l'encontre de la modernisation du secteur agricole, il reste que ce rôle de “tampon” joué par les campagnes a été reconnu par beaucoup comme socialement nécessaire, à tout le moins comme une solution transitoire. Mais pour combien de temps ? Le phénomène d'exode rural observé en Albanie, avant qu'une nouvelle crise politique et financière ne précipite l'effondrement de ce pays, mais aussi dans certaines régions de Roumanie, s'il n'infirme pas la fonction de “zone de repli” jouée par les campagnes, témoigne simplement des limites rapidement atteintes par cette solution de court terme, dès lors qu'aucune autre activité économique n'est envisagée pour inciter la population à rester. C'est ainsi que la politique de développement rural introduite dans les pays occidentaux il y a une vingtaine d'années, qualifiée par les spécialistes, selon les cas, de “durable” ou encore d' “intégré” (voire de “global”) a commencé de faire un certain nombre d'émules dans différentes institutions européennes et occidentales (comme l'OCDE) travaillant sur et avec l'Europe centrale et orientale, ainsi que dans les ministères (ceux de l'agriculture notamment) des pays concernés. Plusieurs arguments plaident en faveur de cette approche. Bien sûr et avant tout, la place importante (démesurée chez certains) qu'occupe l'emploi agricole, ajoutée au nombre de ruraux, font du développement des zones rurales un élément fondamental d'une politique d'aménagement du territoire, que peu d'Etats dans ces pays ont formulé pour le moment. La présence d'une population active dans l'agriculture, encore nettement en surnombre, sous-entend l'existence d'un chômage, certes inégalement réparti, mais quasiment généralisé à l'ensemble des espaces ruraux. Qu'il soit ouvert ou masqué, il pose le problème des possibilités de création 145 N° 1046 novembre-décembre 2004 d'emplois, auquel le seul secteur agricole est dans l'incapacité de pouvoir répondre ; par ailleurs, et l'étude des structures le prouve, la restructuration actuellement à l'oeuvre engendrera encore de nombreuses pertes d'emplois. La tendance à considérer que dans les campagnes, les populations pouvaient toujours “se débrouiller”, a conduit à oublier que le secteur agricole a été très durement touché par le chômage et qu'il continuera de l'être, si des solutions de remplacement ne sont pas mises en place. Le fait, par exemple, que la privatisation des anciennes fermes d'Etat tchèques se soit faite avec pour contrepartie l'engagement de ne pas licencier pendant trois ans, ne fait que surseoir à un problème qui, tôt ou tard, se posera de façon ouverte. Le caractère encore insuffisant, voire sous-développé, des services et surtout du tissu des petites et moyennes entreprises en milieu rural, incite à considérer cette notion de politique de développement rural autrement que comme un simple gadget, créateur, à tout le moins, de quelques centaines d'emplois dans un secteur comme le tourisme rural. La déstructuration de la chaîne de transformation agro-alimentaire et le démantèlement des monopoles dans ce secteur ont engendré, sur le plan local, de nombreuses opportunités de création de petites unités de transformation et de commercialisation, auxquelles seule l'absence de capital fait défaut pour être concrétisées. Enfin, la mise en oeuvre d'une politique de développement rural est également un instrument à mettre au service de la lutte contre les disparités régionales anciennes et surtout nouvelles, créées par les récentes restructurations industrielles. La politique suivie en la matière ne peut être que volontariste, sachant qu'il est exclu de pouvoir compter sur un apport en capitaux étrangers pour faire fonction d'amorce ; les investissements extérieurs se concentrent par expérience dans les régions déjà dotées d'un minimum d'infrastructures. Qui dit zones rurales dit donc, dans un grand nombre de cas, “zones défavorisées” (concept plus généralement utilisé par la Banque mondiale), désignant ainsi des régions victimes d'un taux de chômage nettement supérieur aux moyennes nationales. […] Abandonner une logique agricole strictement “productiviste” dont il apparaît qu'à court terme du moins, même les pays les mieux placés (Hongrie, Pologne, République tchèque) ne sortent pas forcément gagnants, au profit d'une approche privilégiant la pluri-activité en milieu rural, dont il ne faut pas a contrario sous-estimer les coûts, constitue une nouvelle équation, dont les termes demandent à être posés à l'échelle de chacune des réalités nationales». Edith Lhomel, Le courrier des pays de l'Est «Structures agricoles en Europe centrale et orientale : une transformation inachevée» CPE, n° 416, janvier-février 1997, pp. 40-50 Pour plus d’informations, lire dans Le courrier des pays de l’Est Article non signé, «La réforme agraire en Roumanie», n° 37, 16 septembre 1965, pp. 23-32. Alexandre Guthart, «L’agriculture polonaise à l’étape de la “consolidation” de la propriété foncière privée», n° 93, 3 janvier 1968, pp. 19-28. Gérard Wild, «Agriculture et croissance économique : l’exemple roumain», n° 141, mai 1971, pp. 79-90. Françoise Lemoine, Georges Sokoloff, «Les interventions de l’URSS sur le marché céréalier mondial», n° 190, novembre 1975, pp. 6-19. 146 Le monde agricole le courrier des pays de l’Est Alain Giroux, «Les possibilités de réformes structurelles dans l’agriculture soviétique», n° 252, juin 1981, pp. 3-20. Colette Beaucourt, «L’alimentation du bétail : clé de voûte du “programme alimentaire” soviétique», n° 268, décembre 1982, pp. 3-25. Alain Giroux, «L’expérience hongroise au secours de l’agriculture soviétique», n° 273, mai 1983, pp. 3-21. Edith Lhomel, «Les productions agricoles en Europe de l’Est», n° 336, janvier 1989, pp. 3-28. Wilhelm Jampel, avec la coll. d’Edith Lhomel, «L’industrie agro-alimentaire en Europe de l’Est. Production et échanges», n° 338, mars 1989, pp. 3-33. Edith Lhomel, «Les mutations des structures agricoles à l’Est 1980-1990», n° 347, février 1990, pp. 3-32. Alain Giroux, «Transformation et distribution des produits agricoles en URSS : la désagrégation», n° 355, décembre 1990, pp. 3-37. Edith Lhomel, «Privatisations et politiques agricoles en Europe centrale et orientale», n° 367, mars 1992, pp. 3-25. Edith Lhomel, «Industries agro-alimentaires et investissements occidentaux en Europe centrale et orientale», n° 377, mars 1993, pp. 3-35. Alain Pouliquen, «L’illusoire compétitivité agricole des PECO : vers l’élargissement des exportations de l’UE», n° 416, janvier-février 1997, pp. 51-56. Nadège Ragaru, Maria Halamska, «Quels porte-parole pour le monde rural ? Les cas bulgare et polonais», n° 1013, mars 2001, pp. 17-28. Jurgita Maciulyte, «L’agriculture en Lituanie. Dix ans de transition», n° 1025, mai 2002, pp. 52-60. François Bafoil, Rachel Guyet, Loïc L’Haridon, Vladimir Tardy, «Pologne. Profils d’agriculteurs», n° 1034, avril 2003, pp. 28-47. 147 N° 1046 novembre-décembre 2004 Les transports Entre routes cahoteuses et projets pharaoniques Durant toute la période de l’existence du rideau de fer et du mur de Berlin, les seules voies d’accès aux pays de l’Est étaient constituées d’autoroutes (couloirs) aboutissant à Berlin. Le monde s’arrêtait en quelque sorte au «Check point Charlie». Qui n’a pas en mémoire ces trains étroitement surveillés, ces interdictions de descendre sur les quais, ces contrôles douaniers à n’en plus finir, ces passages frontaliers et leurs lumières d’ambiance tombant des miradors. Entre les pays «frères» du bloc des démocraties populaires (et plus tard celui du «socialisme réel») les marchandises circulaient, mais peu les hommes, sauf certains privilégiés. Les routes, les ouvrages permettant de franchir les frontières, dans de nombreux cas hors service depuis leur destruction en 19441945, restaient fermés. Il en allait de même pour des projets de grands travaux, souvent conçus depuis plus de cent ans. Ils restaient dans les cartons, soit pour des raisons stratégiques, soit parce que les ressources financières étaient destinées à d’autres priorités, quand ce n’était pas en raison de mésententes entre les pays, dont les dirigeants, malgré le vernis internationaliste ostensiblement exhibé, continuaient à se méfier les uns des autres. Comment s’expliquer en effet que, après les années de la détente et pendant la perestroïka, aucun des projets n’ait pu voir ne serait-ce qu’un début de réalisation ? Ni celui d’une autoroute allant de Prague jusqu’en Moldavie, 148 conçu en 1934, ni celui d’un désenclavement du bassin de l’Oder et la liaison avec la Vistule vers la Baltique. Et que dire du pont Marie-Valérie, enjambant le Danube à Esztergom, en Hongrie, détruit en 1945 par la Wehrmacht, et reconstruit seulement en 2002, permettant aux habitants d’une même ville de passer d’une rive à l’autre, et cela grâce à la volonté et à l’aide de l’Union européenne ? Tout ceci ne signifie pas pour autant qu’il y ait eu une absence totale de réalisations dans l’ensemble du «bloc», mais force est de constater qu’en matière de réseaux de transports, les pays de l’Europe centrale et orientale pâtissaient autant du manque de vision de leurs dirigeants que du rôle qui leur avait été assigné «à la périphérie» par la puissance dominante, l’URSS. A cela il faut ajouter l’archaïsme des méthodes et des techniques de gestion, qui affecte les différents modes de transport. S’il n’y a pas de contrastes très marqués entre l’est et l’ouest du continent européen dans le mode fluvial (lequel hormis les pays danubiens n’a qu’un rôle marginal), en revanche la différence est frappante pour les modes majeurs, ferroviaire et routier. Dans l’ensemble des pays de l’Ouest, la route a pris largement l’avantage sur le rail, ce n’est pas encore le cas à l’Est. La prépondérance du transport ferroviaire en Europe centrale et orientale peut s’expliquer par les conditions géoclimatiques, mais elle résulte aussi d’autres facteurs. Politiques, idéologiques et institutionnels, ceux-ci jouèrent en sa Les transports faveur dans l’après-guerre, avec la mise en place de structures calquées sur le modèle soviétique, celui d’un bloc autarcique, peu enclin à «fluidifier» ses frontières. Par ailleurs, la modernisation des entreprises industrielles et l’apparition d’un tissu de PME, intervenues à l’Ouest depuis plus de vingt ans, ont fait naître de nouveaux besoins en rapidité et flexibilité. Cette «révolution logistique» qui profite au transport routier, puisque l’organisation des compagnies ferroviaires reste par essence plus rigide et centralisée, ainsi que la modernisation industrielle sont loin d’être achevées dans les pays de l’Europe centrale et orientale. Son aboutissement dépendra largement du développement de transports diversifiés, souples et rapides, avec les efforts conjoints des acteurs publics et privés. Un vaste chantier, un formidable défi politique et technique attend là l’Europe récemment élargie. La mise en place entre 1994 et 1997 de corridors pan-européens et la définition des axes stratégiques de transports, consécutives à la disparition du rideau de fer, restent l’une des pièces maîtresses de ce que l’on continue à considérer dans l’Europe centrale et orientale comme partie d’un processus de «reconstruction», dont le succès dépendra, pour une part non négligeable, de la suppression des effets «frontières» dans le nouvel espace Schengen. Etat des lieux : priorité aux marchandises «Considérant l’évolution générale des transports entre 1970 et 1988 pour l’ensemble des pays de la région, on peut dire que le réseau s’est peu développé, sauf en URSS, alors que la charge s’est considérablement accrue. L’image générale reste donc extrêmement contrastée, avec des pays relativement bien dotés en rail et en routes − RDA, Tchécoslovaquie, Hongrie − ou le courrier des pays de l’Est même en voies fluviales aménagées − Pologne, Yougoslavie − et d’autres aux infrastructures sous-développées − Roumanie, Bulgarie. L’URSS, quant à elle, constitue un cas à part puisque le vide de la Sibérie fait tomber la densité de son réseau au niveau zéro, alors que sa partie européenne est assez bien dotée, en rail notamment. [...] La part des transports dans les investissements est en baisse dans la plupart des pays de la région, ce qui freine bien évidemment la modernisation du secteur. Les infrastructures sont très insuffisantes, surtout dans les zonesfrontières, qui sont les plus chargées, et cette situation entrave considérablement le développement des transports internationaux. Notons en outre que les distances de chargement entre les pays du CAEM sont grandes : 12 000 km en moyenne contre 400 km pour la CEE. La structure des transports s’est également modifiée. La part des transports ferroviaires s’est considérablement réduite au profit des transports par mer, mais aussi par tubes. Par contre, le transport routier demeure insignifiant et les transports fluviaux stagnent, alors qu’ils ont connu un développement sensible en Europe occidentale. [...] Les grands travaux du CAEM C’est une commission permanente du CAEM qui est en charge, depuis 1958, de la coordination dans le domaine des transports des différents pays membres. Les plans quinquennaux de ces pays sont mis au point en commun, comme c’est le cas dans tous les secteurs de l’activité économique. En 1974 est parue une première version des prévisions de développement des transports des pays du CAEM à l’horizon 2000. Elle a été corrigée en 1985 et étendue jusqu’en 2005. [...] 149 N° 1046 novembre-décembre 2004 Les pays européens du CAEM ont réalisé un certain nombre de grands travaux financés en commun. Le premier ouvrage réalisé a été un pont sur le Danube à la frontière entre la Bulgarie et la Roumanie, construit avec la participation de la Hongrie, de la Pologne, de l’URSS et de la Tchécoslovaquie. En outre, en raison des difficultés causées par les différences d’écartement des voies entre l’URSS (1 520 mm) et le reste de l’Europe (1 435 mm), qui occasionnent des transbordements de marchandises particulièrement difficiles en hiver, il a fallu construire des tronçons de voie à écartement de 1 520 mm dans les régions frontalières. Le premier tronçon construit achemine le minerai de fer soviétique vers la ville roumaine de Galac. Le second, qui date de 1966, d’une longueur d’environ 100 km, part de la ville soviétique de Tchop et amène le charbon cokéfiable du Donbass et le minerai de fer de Krivoï Rog vers le combinat métallurgique de Kosice, en Tchécoslovaquie. Le troisième, long de 400 km, réunit Vladimir-Volinski, en URSS, à Katovice, en Pologne, pour approvisionner en minerai de fer le combinat métallurgique de cette ville (il devrait en utiliser 16 millions de tonnes en 1990). [...] Le premier grand projet est l’autoroute Nord-Sud (TEM) [entre la mer Baltique et la Turquie]. En 1977, on prévoyait que les travaux de construction seraient terminés en 1990. [...] En 1981, son achèvement était repoussé à l’an 2000. [...] C’est en 1972 que la Pologne et la Hongrie présentent à l’Onu une initiative commune concernant la réalisation d’une autoroute continentale, d’une longueur approximative de 10 000 km. Le projet TEM a débuté officiellement cinq ans plus tard, soit le 1er septembre 1977. A la fin des années 1980, seuls 2 000 km avaient été construits. Plusieurs liaisons étaient alors achevées, en particulier des ouvrages comme le pont sur le 150 Danube − déjà mentionné −, un pont sur le Bosphore avec ses raccordements routiers. Un autre pont sur le Danube est en construction à Bratislava. Mais dorénavant, la contribution du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) diminuera et la participation des Etats concernés devra être plus active. […] Etant donné les difficultés économiques de plusieurs pays d’Europe de l’Est concernés, on peut supposer que le projet prendra encore du retard. Cependant, dans le cadre de l’exposition mondiale VienneBudapest qui doit avoir lieu en 1995, la Banque mondiale offre un prêt pour la construction du premier tronçon de 71 km. [...] Cette route fera partie de la TEM(1). Les travaux d’aménagement du Danube entrepris en commun par la Tchécoslovaquie et la Hongrie s’échelonnent en principe jusqu’en 1991. Ils viendront s’ajouter à l’aménagement des Portes de Fer, effectué par la Roumanie et la Yougoslavie. Une fois tous ces travaux achevés, et grâce aux canaux Rhin-Main-Danube et Danubemer Noire déjà en exploitation, on pourra enfin réaliser le vieux rêve de Charlemagne, relier Rotterdam à la mer Noire par voie fluviale. Cependant, de graves problèmes ont été posés par la controverse concernant le barrage hydro-électrique de Nagymaros, à la frontière hungaro-tchécoslovaque. Ce projet est vivement contesté par les écologistes aussi bien hongrois que tchécoslovaques, qui considèrent qu’il entraînerait une pollution du fleuve, un assèchement de la région et entraverait la navigation. Finalement, les autorités hongroises ont décidé de suspendre les travaux, au grand dam de la Tchécoslovaquie. […] La partie du barrage située en Tchécoslovaquie, à Gabcikovo, elle, est achevée(2). En Yougoslavie, le projet d’un canal Danube-Sava a été adopté. Il aura 58,9 km de long et réunira Vukovar, sur la rive droite du Les transports Danube, à Slavonski Samar, sur la rive droite de la Sava. II devrait être achevé en 2000(3).» Jaroslav Blaha, Michèle Kahn, Le courrier des pays de l’Est «Les transports à l’Est : clé du commerce entre les deux Europes» CPE, n° 345, décembre 1989, pp. 4-31 Le Danube : la liberté de navigation entravée «La première mention sur le plan international du principe de libre navigation remonte au Traité de Paris de 1856. La Convention du même nom a été signée à Belgrade le 18 août 1948 par l’URSS, la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie, la République socialiste soviétique d’Ukraine, la Tchécoslovaquie et la République populaire fédérative de Yougoslavie. L’Autriche était présente à Belgrade en tant qu’observateur ; son adhésion au traité, que l’on nomme Actes de Belgrade ou Convention du Danube, intervint le 7 janvier 1960. Cette structure s’est maintenue de longues années. Elle a contribué à la reprise des relations économiques entre les Etats riverains à l’issue de chacune des deux guerres mondiales et a même, dans ce domaine particulier, rendu le rideau de fer perméable. [...] Le Danube, long de 2 800 km, dont 2 414 navigables, est le deuxième fleuve d’Europe et traverse dix pays. A titre de comparaison, la transversale Rhin-Main-Danube, qui va de la mer du Nord à la mer Noire, mesure 3 500 km. [...] Le régime de navigation sur le Danube de 1948 à 1990 était fondé essentiellement sur deux piliers : en droit international, la Convention du Danube (1948) ; en droit privé, les Accords de Bratislava (1955). [...] Cela n’a pas constitué de problèmes pratiques tant que le Danube formait un marché le courrier des pays de l’Est autarcique et que, de surcroît, chacun des pays riverains ne comptait qu’une seule entreprise de navigation, propriété de l’Etat. Au début des années quatrevingt-dix, une série d’événements est venue contrarier ce système de navigation, et l’a même d’ores et déjà exclu sur le cours supérieur du fleuve. La crise bosniaque et l’embargo décrété par l’Onu contre la Yougoslavie en réaction aux faits de guerre, ont certes entravé de façon durable la navigation sur le Danube, mais ils n’ont pas provoqué de mutations structurelles. [...] Au cours de la crise du Kosovo, plusieurs ponts sur le Danube furent endommagés, mais seule la destruction totale de celui de Novi Sad provoqua une réelle gêne, voire une interruption de la libre navigation. Le bombardement des ponts lors des opérations militaires avait sans doute d’autres objectifs, mais, même minimisée, l’interruption de la navigation sur le Danube fut néanmoins reconnue. Les appels de la Commission du Danube (avril 1999) pour la restauration de la libre navigation n’eurent aucun écho. D’emblée, les inconvénients et les dommages économiques furent énormes pour les pays danubiens. En juillet 2000, ils se chiffraient approximativement à 550 millions d’euros.» Veronika Kessler, Chambre de commerce autrichienne «La navigation sur le Danube : dimensions politiques et économiques» CPE, n° 1008, septembre 2000, pp. 14-30 Le réseau ferroviaire ● Créer une artère transcontinentale... «En URSS, depuis 1974, le projet de voie ferrée Baïkal-Amour, le BAM, reliant la région située à l’ouest du lac Baïkal à la côte Pacifique, est l’objet 151 N° 1046 novembre-décembre 2004 d’une publicité sans précédent. Tous les médias sont mobilisés pour le “chantier du siècle”. Pourquoi les Soviétiques se sont-ils lancés dans une entreprise aussi gigantesque, qui a nécessité des investissements énormes (estimés à 30 milliards de dollars pour la seule construction de la voie), le déplacement d’une quantité considérable de main-d’œuvre ? Un projet [...] qui dépasse les “terres vierges”, Magnitogorsk ou Bratsk au palmarès des grandes “campagnes” soviétiques d’aménagement du territoire. Le projet prévoit la mise en valeur des régions de la Sibérie orientale et de l’Extrême-Orient soviétique traversées par la voie ferrée. L’aménagement de ces régions, qui couvrent une superficie de 1 à 1,5 million de km2 soit 5 à 8 % du territoire de l’URSS, est présenté par tous les planificateurs et économistes soviétiques comme l’exemple même de la mise en pratique des grands principes qui régissent depuis quarante ans la planification régionale soviétique et qui ont été, au cours des années, expérimentés et appliqués dans d’autres réalisations. L’un de ces principes est la création de complexes territoriaux de production (CTP), véritables symboles du développement complexe régional en URSS. Tout au long du BAM, seront créés des CTP dont les plus importants seront ceux de la Yakoutie du Sud (minerai de fer et charbon) et de l’Oudokan (cuivre). [...] L’idée de la construction d’un deuxième Transsibérien est ancienne et antérieure à la Révolution. […] C’est en 1904, au moment où s’achèvent avec succès les travaux du Transsibérien (construit entre 1891 et 1904), que naît à l’initiative d’un Français, Loïc de Lobelle, qui travaille pour les syndicats américains, l’idée de construire une voie ferrée à travers la Sibérie, reliant ainsi Paris à New York, via Moscou, Irkoutsk, Yakoutsk et l’Alaska. 152 Les syndicats américains devaient amener les capitaux et, en échange, ils obtiendraient le droit d’exploiter, durant 90 ans, les ressources minérales dans les territoires traversés par la voie ferrée. [...] Le projet est étudié par une commission impériale en 1906, et il est alors définitivement rejeté, car la plupart des participants refusent l’ingérence des syndicats américains. [...] En 19291930, de nouveaux projets sont examinés. Les autorités recommandent que la construction de nouvelles voies de communication soit subordonnée à la mise en valeur de nouveaux territoires. Dans les années 30, le projet de voie ferrée Baïkal-Amour prend forme : il est considéré par les planificateurs comme partie organique d’un vaste programme complexe de mise en valeur des régions de la Sibérie orientale et de l’Extrême-Orient soviétique. La partie orientale du BAM est subordonnée à la création d’une puissante base métallurgique en Extrême-Orient, la partie occidentale à l’exploitation des ressources hydro-énergétiques de l’Angara et de la Léna. Quant à la partie centrale, elle doit jouer un rôle primordial dans la mise en valeur de la Yakoutie et de ses gisements de minerai de fer et de charbon. En 1943, le Comité populaire aux transports décide de commencer la construction du tronçon KomsomolskSovietskaïa Gavan. Les travaux sont achevés en juillet 1945. [...] Mais après 1953, la priorité étant accordée aux travaux dans les autres régions de l’URSS et notamment en Sibérie occidentale, le projet BAM est mis en veilleuse. [...] Dans ces conditions, quel est son avenir ? On peut d’ores et déjà affirmer que la réalisation de la voie ferrée sera menée à son terme grâce à une grande concentration de moyens. En effet, c’est un objectif prioritaire qui ouvre les portes à l’exportation vers le Pacifique. Les pays occidentaux sont intéressés à ce projet et le Japon a déjà conclu des accords Les transports de coopération. [...] Quel que soit le prix à payer, et l’URSS a déjà montré par le passé qu’elle ne reculait pas devant certains sacrifices, ce projet d’aménagement économique deviendra sans doute réalité à l’horizon 2000 ou 2010(4), car il s’insère parfaitement dans la logique du développement économique soviétique.» Alain Giroux, Le courrier des pays de l’Est «L’aménagement du territoire en Sibérie : le BAM» CPE, n° 217, avril 1978, pp. 3-19 ● ... et faire le tour du monde par le rail «Nombreux sont ceux qui rêvent de ranimer des liaisons délaissées du fait des conflits armés et des différends idéologiques du siècle dernier. Certains projets ont été ressortis des cartons. Ainsi, les travaux sur le tronçon de 240 km qui permettra de relier les lignes ferroviaires coréennes au Transsibérien (entre Khasan et Oussouriïsk) ont débuté après la signature en novembre 2002 d’un mémorandum entre les ministères des Transports des deux parties. [...] Pour financer ce chantier de près de 3 milliards de dollars, la Russie propose de constituer un consortium international. Elle a par ailleurs offert son assistance technique pour la modernisation du réseau nordcoréen, de façon à permettre sa connexion avec celui du Sud, qui a été construit au début du XXe siècle par les Russes. Ce chantier a connu une accélération en 2002 avec les progrès accomplis dans la normalisation des relations entre les deux Corées. Le président Poutine a, par ailleurs, insisté en août 2002 à Vladivostok […] pour que les deux parties retroussent leurs manches, déclarant : “Si nous manquons cette occasion, le projet se fera sur le territoire de notre respecté voisin, la Chine”. Cette dernière a déjà proposé trois tracés possibles dans lesquels elle se réserve une bonne part du gâteau. [...] La Russie escompte revitaliser les le courrier des pays de l’Est activités portuaires du Territoire maritime (Extrême-Orient) et plus largement de la partie septentrionale de la Sibérie, qu’en son temps le président Roosevelt qualifia de “Californie à l’échelle mondiale”. Le Transsibérien va-t-il avoir la République tchèque pour point de départ ? Ce projet a germé dans la tête des stratèges du ministère russe des Chemins de fer, en collaboration avec la firme israélienne Shiran. Son coût est estimé à 300 millions de dollars, sur lesquels 30 % doivent être apportés par un consortium international. Ses concepteurs veulent relier près de la moitié de la planète par le chemin de fer et permettre un acheminement plus rapide vers l’Europe des marchandises provenant d’Asie du Sud-Est, du Japon et de la Chine et vice versa. La Russie cherche en effet à renforcer sa position de pays de transit dans l’espace euroasiatique tout en évitant d’être prise de vitesse par des projets de corridors de transport qui la contourneraient. Aussi s’efforce-t-elle de valoriser par tous les moyens les avantages dont elle dispose dans la future organisation des transports intercontinentaux. En se présentant comme le plus naturel des “ponts entre l’Asie et l’Europe”, elle se prévaut tout d’abord des réseaux ferroviaires existants, dont le Transsibérien et le BAM (Baïkal-Amour Magistral). Dans la stratégie de développement du système de transports pour dix ans, élaborée à la fin de la présidence Eltsine et remaniée par son successeur Vladimir Poutine, les principales dispositions visent la rénovation des réseaux et leur interopérabilité, ainsi que le rétablissement du contrôle exercé par Moscou sur les débouchés terrestres ou maritimes, quand elle l’a perdu avec l’éclatement de l’URSS. Selon les promoteurs de ce projet, la ville de Bohumin (région Moravo-silésienne) a de sérieuses chances de servir de terminal à la voie à grand écarte- 153 N° 1046 novembre-décembre 2004 ment qui arrivera de Corée du Sud et de Vladivostok. Cela permettrait de désenclaver cette région, qui deviendrait ainsi “un port terrestre multimodal”. Une vraie porte entre l’Europe et le Pacifique. D’après les calculs des experts, cette liaison longue de 14 000 km offre de nombreux avantages : un fret deux fois plus rapide par rapport à la route maritime par le Sud, sécurisé (sans les dangers du piratage), et sur un itinéraire praticable toute l’année, contrairement à la route maritime du Nord de la Russie, bloquée l’hiver par les glaces ; de plus, les effets frontières, facteur majeur de ralentissement des flux, seront supprimés, les contrôles douaniers étant limités au minimum. [...] En juin 2001, au cours d’une imposante cérémonie placée sous le parrainage personnel du chef du gouvernement tchèque, M. Zeman, plusieurs ministres et directeurs apposèrent leurs signatures au bas d’une lettre d’intention portant sur le projet en question. Au-dessus d’eux flottaient les drapeaux russe, ukrainien, tchèque et l’enseigne de la firme Shiran. En octobre, le premier rail était symboliquement posé. Mais, il manquait l’acteur incontournable, sans lequel tout le projet peut avorter : la Pologne. Signer ce document signifie en effet pour les Polonais s’engager à prolonger la voie à grand écartement sur les 90 km qui séparent leur terminal près de Katowice de celui de Bohumin au risque de perdre un volume certain de fret sur leur propre territoire.» Jaroslav Blaha, Le courrier des pays de l’Est «Projets tchèques pour les transports. Comment s’intégrer aux flux transcontinentaux» CPE, n° 1029, octobre 2002, pp. 28-35 ● La dure réalité des réformes «Les entreprises ferroviaires des pays de l’Est continuent de couvrir leurs déficits issus du transport de voyageurs par les bénéfices du transport de 154 marchandises. Beaucoup de réseaux d’Europe de l’Ouest vivent la situation inverse. Alors qu’au sein de l’Union européenne (UE), certains cherchent à revitaliser le fret ferroviaire par le doublement des réseaux existants, ceux dont disposent les pays d’Europe centrale sont en moyenne bien plus denses que dans l’Union. Contrairement à une idée reçue, ces pays n’ont presque pas ou pas du tout opéré de fermetures de lignes. [...] Par ailleurs, la faible concurrence de la route aurait, dans une certaine mesure, limité l’érosion du trafic ferroviaire, puisque la constitution d’un réseau autoroutier n’en est qu’à ses débuts. Ces constats amènent à se poser plusieurs questions. Les stratégies des acteurs ferroviaires d’Europe de l’Est vont-elles permettre à ces derniers de continuer à remplir leur vocation économique à l’égard du transport de longue distance ? L’importance du mode ferroviaire dans les pays de la CEI est-elle susceptible d’influencer ces stratégies ? Qu’en est-il de l’influence des pratiques logistiques européennes sur les systèmes de transport de ces pays ? Quel rôle dès lors pourrait jouer le rail dans l’Europe élargie ? Dans les PECO, les chemins de fer étaient jusqu’aux années 1960 comparables à ceux de l’Ouest en matière de normes techniques. Depuis cette date, les réseaux d’Europe de l’Ouest se sont affranchis du transport par wagons isolés au profit du transport par train complet, tandis que ceux de l’Est ont maintenu cette fonction. C’est en partie à cause de cette évolution que les trafics entre l’Est et l’Ouest se sont modestement développés depuis la disparition du rideau de fer. A bien des égards, le fonctionnement actuel des chemins de fer est-européens reste fortement imprégné par leurs origines historiques. Beaucoup d’entre eux furent mis en service au XIXe siècle, soit à l’initiative de la Prusse et de l’empire Les transports austro-hongrois, soit à celle, concomitante, de la Russie. Dans les deux cas, les lignes principales, radiales de Berlin, de Vienne, de Budapest et de Moscou se développèrent considérablement après la révolution de 1848. Les réseaux commencèrent de desservir des liaisons internationales à partir de 1860. Aujourd’hui encore, tout comme à l’intérieur de l’Europe de l’Ouest, les normes techniques diffèrent selon les régions : on parle encore des signalisations “à l’allemande”, “à la française” ou “à la russe“. [...] Préoccupées par les difficultés que soulève la circulation des trains de marchandises sur les lignes internationales de l’ensemble du continent européen, les instances européennes recherchent depuis 1990 toutes les solutions possibles pour converger vers ce qu’il est convenu de nommer l’interopérabilité. Il est compliqué d’introduire des changements : les expériences menées depuis trente ans montrent que les savoir-faire sont bien plus difficilement réformables que les équipements. Comme à l’Ouest, les entreprises ferroviaires de l’Est sont souvent les dernières à avoir été concernées par les programmes de privatisation. Par ailleurs, le transport est, avec la défense, l’un des derniers secteurs à avoir fait l’objet d’une politique commune européenne. On lui confère des fonctions qui relèvent de la souveraineté des Etats. Les directives 91-440, 95-18 et 95-19 de l’UE, qui visaient à ouvrir les réseaux ferroviaires à la concurrence, notamment par la séparation entre la propriété de l’infrastructure et l’exploitation, ainsi qu’à favoriser l’interopérabilité et le transport combiné, constituaient des moyens de revitaliser le rail, en réponse à la progression régulière des parts de marché de la route. le courrier des pays de l’Est L’application des directives européennes pour le transport ferroviaire [...] a pris des formes différentes dans les Etats membres et les pays candidats. Ces derniers, sans exception, ont été tenus d’appliquer ces directives avant l’adhésion. Il est par ailleurs intéressant de noter que les chemins de fer russes suivirent cette évolution générale en engageant des réformes plus tard, à partir de 2000. Dans tous les cas, la transformation des modes de gestion des administrations sous tutelle du ministère concerné s’est avérée délicate pour l’ensemble des acteurs. Cela tient autant à la remise en cause d’un bien public dont la vocation a toujours été pensée dans un cadre national qu’à la difficulté pour les services ferroviaires d’être compétitifs. [...] En Europe centrale, les implantations de nouveaux centres de production à proximité d’une voie ferroviaire ou d’un chantier intermodal à vocation essentiellement ferroviaire se font de plus en plus rares. En effet, les entreprises de ces pays optent généralement pour une localisation peu éloignée des infrastructures routières. [...] Pour l’instant, les PECO qui ont appliqué la directive 91-440 et ouvert le réseau d’infrastructures à de nouveaux opérateurs n’ont pas toujours mesuré les risques techniques (liés à la sécurité) de cette démarche, ni économiques (les marchés lucratifs et fortement captifs du mode ferroviaire ont souvent été perdus). Souvent les autorités publiques ont fait de l’application de la directive un alibi à des réformes structurelles délicates socialement.» Antoine Kunth, Ecole nationale des ponts et chaussées «Chemins de fer en mutation dans l’Europe médiane» CPE, n° 1029, octobre 2002, pp. 15-27 155 N° 1046 novembre-décembre 2004 Les routes russes en déshérence ● Réseau et développement économique «Les différences de développement des régions tiennent pour beaucoup à leur position par rapport au réseau routier. En général, plus on est proche de l’axe principal, plus l’espace est développé, peuplé et urbanisé. Dans les régions dites vierges de Sibérie, l’urbanisation a d’ailleurs suivi et non précédé la mise en place des réseaux. Les carrefours importants ont, eux, un pouvoir d’attraction supplémentaire du fait de liaisons plus aisées. De nombreux villages ont été entièrement abandonnés durant les quinze dernières années, et ce pas seulement en Sibérie, mais aussi dans d’autres régions, y compris au centre de la Russie. L’une des causes en était l’insuffisance grave des infrastructures routières les desservant. [...] L’inégalité entre régions peut être également illustrée par les taux annuels de croissance du réseau. L’oblast de Moscou, qui a la plus forte densité routière de Russie et est déjà très développée, voit son avantage sans cesse conforté par de nouvelles constructions, le taux moyen annuel de croissance étant de 5,9 % par an en 1991-1993 pour une moyenne nationale de 3,4 %. Un certain mécontentement se fait jour dans les régions périphériques au sujet de la politique de construction routière, qui privilégie depuis longtemps Moscou et son oblast (cela n’est pas seulement vrai dans le domaine routier). Cependant, il semble rationnel de développer en premier lieu les routes du centre du pays, c’est-àdire des régions les plus peuplées. Si l’on prend l’exemple de Moscou, le parc automobile y a augmenté de 229 % pendant les dix dernières années. [...] En 1995, on comptait 143 véhicules privés pour 1 000 Moscovites, contre 156 52 en 1986 (moyenne nationale : 84 pour 1 000 habitants). Les projections faites à deux reprises, en 1971 et 1983, se situent évidemment très loin de la réalité actuelle. Selon celles-ci, le parc de véhicules à Moscou devrait augmenter de 4 % en 1995 en rythme annuel (contre 16 % en réalité) et de 2 % en 2000. Or, les schémas de construction et d’entretien du réseau routier avaient été établis en tenant compte de ces prévisions. En conséquence, à partir de 1989-1990, apparaît un énorme déséquilibre entre le nombre de véhicules et la longueur du réseau routier. [...] ● Des routes en mauvais état Si la qualité des routes se détériore, cela n’est pas dû à la seule crise économique. Ce problème est depuis longtemps récurrent en Russie, et s’explique en partie par d’autres facteurs. Le premier réside dans les conditions climatiques rigoureuses et la composition des sols. Tout le territoire, à l’exception de quelques régions, se caractérise par un sol de type argileux, qui gonfle pendant l’hiver et se rétracte au printemps, ce qui déstabilise le revêtement. En outre, les régions de Russie ont parfois une superficie énorme. [...] Dans ces conditions, les travaux de réhabilitation dans les zones éloignées et peu peuplées sont rarement effectués, une fois tous les dix à quinze ans, d’où l’importance de la qualité initiale de la construction. [...] Or, 86 % des routes ont un remblai de type argileux qui a été mal compacté lors de la construction, 55 % des routes sont actuellement dotées d’un revêtement mince et 20 % sont parsemées de nids de poule. De plus, le sol est généralement gelé en hiver jusqu’à un ou deux mètres de profondeur, même dans le centre de la Russie, sans parler des régions de permafrost du Nord ou de la Sibérie. [...] Le mode de fonctionnement de l’économie planifiée sovié- Les transports tique explique également la mauvaise qualité des routes. Il était en effet plus rentable de construire de nombreuses routes, même de mauvaise qualité, en les réparant ensuite chaque année, que de s’appliquer à assurer au départ la qualité de la construction. Or, la logique bureaucratique sectorielle a eu la vie dure. Jusqu’en 1991, il n’existait pas de structures gouvernementales chargées de coordonner, de contrôler et de gérer le financement du secteur routier. C’est pourquoi la Russie est le seul pays au monde où les dépenses de réhabilitation et d’entretien des routes sont plus élevées que celles affectées à la construction, les premières dévorant 60 % du budget total du secteur routier. A titre de comparaison, les chiffres pour les Etats-Unis sont de 25-30 % et pour le Japon de 14-17 % seulement. [...] ● Le programme «Routes de Russie» Le président Eltsine a signé un décret (décembre 1992) autorisant la construction et l’exploitation de routes à péage, afin d’améliorer la qualité des routes ainsi que les services et de permettre l’accès à de nouvelles sources de financement. [...] La première autoroute à péage (870 km) conforme aux normes internationales doit relier Moscou et Saint-Pétersbourg. [...] Il existe plusieurs autres projets, comme une rocade autour de Vyborg (dans la région de Leningrad) et plusieurs routes sur l’île de Sakhaline. [...] Ce décret évoquait aussi de nombreux projets d’autoroutes internationales à péage. Par exemple, la Russie et la Chine s’étaient mises d’accord fin 1992 sur un projet de construction d’une autoroute Moscou-Pékin. Mais le projet le plus spectaculaire, inscrit au Schéma directeur de Russie, concernait la connexion de l’Europe avec l’Asie et l’Amérique. Il s’agissait d’une autoroute à péage de 18 000 km environ ! le courrier des pays de l’Est Elle devrait [...] traverser la zone de permafrost de Sibérie et aboutir à un pont de 10 kilomètres enjambant le détroit de Béring. La probabilité de réalisation de ce projet est extrêmement faible. [...] Le programme intitulé “Routes de Russie” date de la fin de 1994. [...] Il propose de “considérer le développement des routes comme l’un des problèmes les plus importants de l’économie. La réalisation des mesures envisagées devrait avoir une influence positive sur la mobilisation des ressources du pays, la réduction du taux de chômage et favoriser le développement des régions rurales”. Le terme du programme est fixé à 2000, avec une échéance complémentaire en 2010. […] Il envisage, outre la réhabilitation des routes existantes, de porter la longueur du réseau routier à 1 500 000 km en 2000. Cette augmentation de 40 % du réseau existant paraît bien optimiste. Il faudrait alors construire chaque année 60 000 à 70 000 km de routes revêtues et en réhabiliter 200 000250 000 km.» Svetlana Klessova, Maison de la géographie à Montpellier «Routes et politique routière : un enjeu d’aménagement pour la Russie» CPE, n° 411, août 1996, pp. 23-37 Repenser le continent européen «Dans le cadre du processus de l’élargissement, les efforts de l’Union se sont déployés pour étendre aux pays candidats la politique de développement des réseaux trans-européens (RTE), et accroître progressivement les moyens financiers correspondants ; cette démarche s’est déroulée parallèlement au lancement, sur la base du traité de Maastricht, de la politique du Réseau trans-européen de transport qui fait appel pour les pays membres aux ressources du budget RTE, du Fonds de cohésion et, dans une moindre 157 N° 1046 novembre-décembre 2004 mesure, du Fonds européen de développement régional (Feder) sans oublier la Banque européenne d’investissements (BEI) qui apporte à cette politique un appui considérable. ● La stratégie des corridors Dès 1990 avait été mis en place un groupe de travail G-24 Transports, auquel participaient des représentants des ministères concernés d’Europe centrale. Ses travaux, pilotés par la Commission européenne et ponctués par les conférences de Prague (1991) et de Crète (1994), étaient centrés sur la planification à long terme et la recherche de financements pour les infrastructures de neuf “corridors pan-européens”. [...] Cette stratégie souffrait toutefois d’un manque de ressources patent. [...] Le Conseil de Copenhague de juin 1993, reconnaissant que des infrastructures vieillies et inadaptées risquaient de retarder ou de bloquer le processus d’élargissement, décida de consacrer au soutien d’investissements d’infrastructures une enveloppe de 15 % du budget global du programme Phare qui était alors de l’ordre de 1 milliard d’écus par an. Le Conseil européen d’Essen (décembre 1994) décida d’augmenter cette enveloppe en portant à 25 % le plafond des financements Phare affectés à des projets d’infrastructures. En 1993 et 1994, le programme Phare commença ainsi à subventionner (modestement) en Pologne, Hongrie, Bulgarie et Roumanie quelques projets routiers et ferroviaires préparés par la BEI ou la Berd, voire la Banque mondiale, la décision de Copenhague imposant un cofinancement avec des institutions financières internationales (IFI). Dans le cadre de la programmation pluri-annuelle du budget Phare pour 1995-1999, un programme de soutien aux projets d’infrastructures de transport fut élaboré pour l’ensemble 158 des pays candidats. A la “facilité de Copenhague” s’ajoutaient deux sources de financements plus modestes, le programme de franchissement de frontières et celui de coopération transfrontalière, qui permirent de porter à près de 30 % du budget Phare, jusqu’en 1999, les fonds disponibles pour la modernisation des infrastructures. ● Le processus Tina Un tournant a été pris avec le passage, en 1995-1996, du “dialogue structuré” entre l’Union et les pays candidats à un véritable processus de pré-adhésion. Dans la perspective d’une extension à terme des politiques de développement du réseau trans-européen, le processus Tina (Transport - Infrastructure Needs Assessment ou Evaluation des besoins d’infrastructures de transport) fut engagé à cette date. [...] Le processus Tina visait à identifier un réseau susceptible de constituer une extension du RTE de transport à l’Europe centrale et orientale ; néanmoins l’approche des corridors ne fut pas abandonnée. La troisième Conférence paneuropéenne des transports (Helsinki, juin 1997) adopta la proposition de la Commission d’utiliser comme base des travaux d’élaboration du réseau Tina les “9 corridors de Crète”, devenus les “10 corridors d’Helsinki” avec l’ajout d’un système de liaisons entre l’Autriche et la Hongrie et la Grèce et la Bulgarie à travers la Slovénie, la Croatie et la Serbie. [...] S’y ajoutaient quatre “aires paneuropéennes de transport” maritime (Petra) (Méditerranée, AdriatiqueIonienne, mer Noire, mer de Barents et euro-arctique) et un lien euro-asiatique (Traceca : Europe-Caucase-Asie), correspondant à l’ancienne route de la soie, aujourd’hui plutôt orientée vers les ressources énergétiques de la mer Caspienne. Les transports Le processus Tina s’est achevé en 2000. [...] Dans le cadre des négociations d’adhésion, des travaux d’adaptation technique de ce réseau se sont poursuivis en 2001 et 2002, pour permettre aux autorités des pays candidats et aux services de la Commission de préparer l’extension du RTE en vue de l’échéance de 2004. Dès le lancement du processus Tina en 1996, une étude de la Commission avait révélé l’importance des financements nécessaires à la mise à niveau du futur réseau des pays candidats (de l’ordre de 90 milliards d’euros à l’horizon 2015). Elle soulignait l’incapacité de ces Etats à les mobiliser à eux seuls et, par conséquent, la nécessité de recourir à des instruments financiers communautaires analogues à ceux mis à la disposition de l’Espagne, du Portugal, de l’Irlande et de la Grèce depuis le traité de Maastricht, pour moderniser leurs réseaux d’infrastructures. [...] ● Des projets de plus en plus nombreux Selon les données pour la période 1989-2002, les contributions du budget de l’Union européenne (programme Phare puis Ispa) et des IFI (Banque mondiale, Berd, et surtout BEI dans les années récentes) auront atteint un volume global avoisinant les 15 mil- le courrier des pays de l’Est liards d’euros. La mobilisation des enveloppes budgétaires programmées (Ispa, budget RTE et Fonds structurels après les adhésions) et la montée en puissance des prêts de la BEI sont susceptibles de porter ce montant à plus de 30 milliards d’euros en 2006. Ainsi, dans les quatre ans à venir, les ressources nouvelles engagées pour les projets du futur RTE d’Europe centrale devraient dépasser les volumes totaux investis en treize ans pour les projets des “corridors” (Crète et Helsinki), puis pour les projets du réseau Tina : la cadence du lancement de nouveaux projets devrait donc devenir trois ou quatre fois plus rapide que durant les dix premières années de la transition. Il faut toutefois garder à l’esprit que les données disponibles recouvrent des engagements. Or, pour les grandes infrastructures dont la réalisation s’échelonne souvent sur cinq ans et parfois plus, le décalage temporel avec lequel s’effectuent les paiements est considérable. Ainsi, sur la quinzaine de milliards d’euros engagés au total depuis 1989 par les différentes institutions pour le futur RTE d’Europe centrale et orientale, une proportion élevée, peut-être de l’ordre du quart, n’a pas encore été effectivement investie.» Michel Gaspard, ministère des Transports «Réseaux de transport pour l’Est de l’Europe. Les financements internationaux et de l’Union européenne» CPE n° 1029, octobre 2002, pp. 4-14 Notes de la rédaction : (1) Aujourd’hui, la TEM est devenue une réalité technique, 4 300 km sont ouverts à la circulation et un tronçon de 1 800 km est en cours de construction. Avec la Croatie qui a adhéré au projet TEM en juillet 1993, le nombre des pays participants s’élève à onze. Initialement conçu comme un corridor Nord-Sud, ce projet comporte maintenant des tronçons Est-Ouest, formant désormais un réseau de plus de 20 000 km. Du même coup, certaines liaisons NordSud se trouvent reléguées au second plan en termes de priorités. (2) Dans les années 1990, après la partition de la Tchécoslovaquie, la Slovaquie a décidé de mettre l’ouvrage en service. (3) La disparition du rideau de fer donne aujourd’hui une nouvelle chance à la voie d’eau qui peut jouer un rôle important dans le développement futur des échanges entre l’Est et l’Ouest : par la mer du Nord et la Baltique d’un côté, par la Méditerranée et la mer Noire de l’autre, par les bassins du Rhin et du Danube, enfin dont la liaison à grand gabarit, à partir de 1992, ouvre une véritable «autoroute fluviale» continue d’Amsterdam et Rotterdam à Constanza sur la mer Noire (via un canal) en passant par Francfort, Vienne, Bratislava, Budapest et Belgrade. 159 N° 1046 novembre-décembre 2004 Un autre projet présenté en mai 1993 propose de relier, par une transversale fluviale, le plus grand port d’Europe (Duisbourg) à la Biélorussie par les voies navigables polonaises. (4) En septembre 1984, toute la presse soviétique annonçait triomphalement que les constructeurs des tronçons Est et Ouest du BAM avaient effectué la jonction. Ainsi, dix ans après la mise en chantier de la nouvelle voie ferrée transsibérienne un train pouvait symboliquement la parcourir de bout en bout. Cependant, la ligne ne sera opérationnelle qu’aux environs de 1990. Avant la mise en service du BAM, les Soviétiques assuraient déjà plus de 10 % du trafic de marchandises entre l’Europe occidentale et le Japon, et en particulier 25 % du trafic de conteneurs. Pratiquant des tarifs inférieurs de 15 % à ceux recommandés par la Conférence maritime d’Extrême-Orient, l’URSS a également conquis le marché grâce à des délais rapides d’acheminement (20-25 jours contre 30-35 jours par voie maritime). Pour plus d'informations, lire dans Le courrier des pays de l'Est Georges Sokoloff, «L'Extrême-Orient soviétique», n° 29, 6 mai 1965, pp. 23-41. Article non signé, «Les problèmes marginaux de l'automobilisme en Union soviétique», n° 98, 6 mars 1968, pp. 19-37. Tatjana Globokar, Michèle Kahn, «Les transports fluviaux en URSS et en Europe orientale», n° 220, juillet-août 1978, pp. 3-22. Paul Revay, «Le projet d'autoroute trans-européenne Nord-Sud», n° 234, novembre 1979, pp. 48-53. Wilhelm Jampel, «Le projet d'aménagement de la Vistule», n° 236, janvier 1980, pp. 47-52. Hervé Gicquiau, «Une crise durable des transports intérieurs de l'URSS», n° 251, mai 1981, pp. 3-32. Tatjana Globokar, Michèle Kahn, «Le rôle des transports dans les économies est-européennes», n° 270, février 1983, pp. 3-39. Jaroslav Blaha, «Aviation civile et industrie aéronautique en Europe de l'Est», n° 336, janvier 1989, pp. 29-42. Michel Gaspard, avec la coll. de Jaroslav Blaha, «Les transports en Europe centrale et orientale : quels besoins et quels projets ?», n° 380, juin-juillet 1993, pp. 3-43. Anne Godron, «Le bassin de l'Amour : une nouvelle zone de coopération entre la Chine et la Russie», n° 406, janvier-février 1996, pp. 65-71. Pierre Thorez, «Les transports maritimes dans les Etats issus de l'URSS», n° 426, janvier 1998, pp. 18-53. 160 le courrier des pays de l’Est Repères bibliographiques 1964-2004 Le choix des ouvrages cités ici a été effectué en fonction de plusieurs critères, notamment leur caractère généraliste, l’offre d’une réflexion de fond ou sur longue période de la part de chercheurs, le champ géographique couvrant dans la mesure du possible l’ensemble de la région concernée, la langue française. Nombre d’entre eux ont fait l’objet d’un compte rendu de lecture dans Le courrier des pays de l’Est et sont disponibles à la bibliothèque de La Documentation française. Ne sont pas répertoriées ici les nombreuses publications des institutions internationales ou encore des Missions économiques françaises dans les pays de l’Est, aisément repérables sur leurs sites internet. Aleksiun (Natalia), Beauvois (Daniel), Ducreux (MarieElizabeth), Kloczowski (Jerzy), Samsonowicz (Henryk), Wandycz (Piotr), Histoire de l’Europe du Centre-Est, Nouvelle Clio, L’histoire et ses problèmes, PUF, Paris, 2004, 997 p. Amalrik (Andreï), L’Union soviétique survivra-t-elle en 1984 ?, Fayard, Paris, 1970, 130 p. Andreff (Wladimir), La crise des économies socialistes. La rupture d’un système, PUG, Grenoble, 1993, 446 p. Andreff (Wladimir) La mutation des économies post-socialistes. Une analyse économique alternative, L’Harmattan, Paris, 2003, 366 p. Aslund (Anders), How Russia Became a Market Economy, The Brookings Institution, Washington, 1995, 378 p. 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Faits et documents de la vie soviétique, enfin les séries URSS puis Russie de la revue Problèmes politiques et sociaux, de 1970 à 2000, à raison de six numéros par an, puis quatre et trois. Seul ce pays avait un traitement à part, les autres Etats de l’Est faisant l’objet de numéros «normaux». Notes et études documentaires (puis Les Etudes), de son côté, a publié de nombreux documents officiels et des analyses de la vie économique et politique de ces pays. De plus, de 1968 à 2000, un «annuel», puis deux, (URSS ; Europe centrale et orientale) leur furent consacrés, intégrés par la suite dans Le courrier des pays de l’Est. Cette dernière propose dans son Centre de documentation internationale des dossiers par pays et mots-clés, consultables gratuitement sur place. Autres revues françaises L’Alternative, devenue La Nouvelle Alternative. Politique et société à l’Est (semestrielle). L’autre Europe (L’Age d’homme), qui a cessé de paraître. Revue d’études comparatives EstOuest (trimestrielle) En langue anglaise Au sein de la très importante production en langue anglaise sur les pays de l’Est, citons surtout : la parution chaque année de deux gros volumes encyclopédiques Central and South Eastern Europe et Eastern Europe, Russia and Central Asia, Europa Publications, Londres. La revue La documentation photographique a également participé à cette information, de même que Problèmes économiques. Economic Survey of Europe (deux fois par an), Commission économique pour l’Europe des Nations unies, Genève. On peut retrouver sur les sites dédiés à chaque revue, www.la documentationfrancaise.fr, les publications disponibles à la vente. Le rapport annuel de la Berd, Londres. Toutes les collections sont par ailleurs conservées en intégralité à 166 la bibliothèque de La Documentation française. Pour chacun des pays, Country Profile (annuel) et Country Report (trimestriel), Economist Intelligence Unit (EIU), Londres.