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Page 1
Le courrier des pays de l’Est
Le
courrier
des pays de l’Est
J'ai 40 ans…1964-2004
Le système économique. Des pseudo-réformes à la destruction
créatrice
●
Fragmentations et recompositions. Allemagne, Tchécoslovaquie,
Yougoslavie, URSS
●
Est-Ouest. Des échanges contrariés
●
Le CAEM. Echec d'une mutualisation imposée
●
La consommation. Des pénuries à une abondance mal répartie
●
L'emploi. Du droit au travail pour tous à l'explosion du chômage
●
L'énergie. Atout ou handicap ?
●
Les industries de défense. Une mue douloureuse
●
Le monde agricole. Eternel perdant ?
●
Les transports. Entre routes cahoteuses et projets pharaoniques
●
Repères bibliographiques 1964-2004
Numéro conçu et réalisé par Céline Bayou, Jaroslav Blaha,
Marie-Bernard Clauzier, Marie-Agnès Crosnier,
Daniela Heimerl, Michèle Kahn, Edith Lhomel, Laurent Rucker
Imprimé en France
Dépôt légal : décembre 2004
DF 08202-3-1046
ISSN : 0590-0239
CPPAP N° 0209 B 05929
13 €
N° 1046 ■ novembre-décembre 2004
●
J'ai 40 ans… 1964-2004
Avant-propos
dF
novembre-décembre 2004 BIMESTRIEL N°1046
exe couv CPE 1046
BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE
EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE
BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE
BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE
EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES
EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES
EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE
PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES
EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE
CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS
BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE
CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE
MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE
CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS
BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE
BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE
MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE
ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALEEUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE
EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE
CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE
ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE
EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE
BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE RUSSIE CAU-CASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE
CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAUCASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS
BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE CAU-CASE ASIE CENTRALE EUROPE MÉDIANE PAYS BALTES EUROPE ORIENTALE BALKANS RUSSIE
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courrier
des pays de l’Est
J’ai
40 ans...
p 2-3
CPE 1046 couvEXE
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Comité scientifique
Secrétariat général du
Gouvernement
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La Documentation française
29-31, quai Voltaire
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Téléphone : 01 40 15 70 00
Télécopie : 01 40 15 72 30
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Gilles Andréani Directeur du CAP, ministère des Affaires étrangères ●
Hélène Carrère d'Encausse de l'Académie française ● François David
Directeur général de la Coface ● Alain Etchegoyen Commissaire général au
Plan ● Lionel Fontagné Directeur du CEPII ● Pierre Hassner Chercheur au
CERI ● Marie Lavigne Institut des sciences mathématiques et économiques
appliquées ● Michel Lesage Professeur, Université Paris I ● Jacques
Lévesque Professeur, Université du Québec, Montréal ● Marie-Claude
Maurel Directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales
● Thierry de Montbrial Directeur de l'IFRI ● Grégoire Postel-Vinay Chef de
l'Observatoire des stratégies industrielles, ministère de l'Economie, des
Finances et de l'Industrie ● Jean-Pierre Saltiel Président, Rothschild Conseil
International ● Jean-Pierre Trotignon Directeur général du CFCE et d’UBIFrance
Comité éditorial
Directeur de la publication
Olivier Cazenave
Rédactrice en chef
Marie-Agnès Crosnier
Rédacteurs
Céline Bayou, Jaroslav Blaha
Daniela Heimerl, Michèle Kahn
Edith Lhomel, Laurent Rucker
Secrétariat d’édition
Marie-Bernard Clauzier
François Bafoil Directeur de recherche CNRS au CERI ● François Benaroya
Conseiller pour les affaires économiques internationales auprès des
directeurs de la DREE et du Trésor ● Alexis Berelowitch Directeur du
Centre franco-russe en sciences sociales de Moscou ● Jean-Pierre
Broclawski Chargé de mission, Direction de la prévision ● Dominique Colas
Professeur, IEP Paris ● Jean-Luc Delpeuch Directeur de l’École nationale
des Arts et Métiers de Cluny, ancien Secrétaire général adjoint SGCI ●
Gérard Duchêne Directeur du ROSES ● Farid El Alaoui Professeur, ESSC
Angers ● Renaud Girard Journaliste ● Bernard Guetta Journaliste ● Marie
Mendras Chercheur, CERI ● Claire Mouradian Directrice de recherche au
CNRS ● Jean-Yves Potel Conseiller de coopération scientifique, technique
et culturelle à l’Ambassade de France à Varsovie ● Georges Sokoloff
Professeur, INALCO ● Gérard Wild Chargé de mission, CEPII
A nos lecteurs
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Le courrier des pays de l’Est
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En allant sur le site
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En application de la loi du
11 mars 1957 (art.41) et du code
de la propriété intellectuelle
du 1er juillet 1992, toute reproduction
partielle ou totale à usage collectif
de la présente publication
est strictement interdite
sans autorisation expresse de l'éditeur.
Il est rappelé à cet égard que l'usage
abusif et collectif de la photocopie
met en danger l'équilibre économique
des circuits du livre.
Religions, pouvoir et société
Europe centrale, Balkans, CEI
● Le
Vatican et les pays d'Europe centrale. De l'Ostpolitik
aux concordats Jean-Yves Rouxel
● Les musulmans des Balkans. Ou l'islam de "l'autre Europe"
Nathalie Clayer
● Les religions et l'Etat en Russie. Une relation équivoque
Agnieszka Moniak-Azzopardi
● Les Eglises ukrainiennes. Entre Rome, Moscou et
Constantinople Natalka Boyko, Kathy Rousselet
● Le christianisme en Asie centrale. Miroir des évolutions
politiques Sébastien Peyrouse
Articles et documents
Pétrole russe et investisseurs étrangers. Des intérêts divergents Catherine Locatelli
Le chômage en Russie et en Ukraine Natalia Logvinova
La Ligue des familles polonaises. Montée en puissance d'un
parti anti-européen Katarzina Czernicka
Portrait
Le Centre d'analyse sur les stratégies et les technologies de
Moscou (CAST) Laurent Rucker
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Les opinions exprimées
dans les articles n’engagent
que leurs auteurs.
Ces articles ne peuvent être
reproduits sans autorisation.
Celle-ci doit être demandée à
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N° 1045, septembre-octobre 2004
Numéro spécial
Retrouvailles européennes
Conception graphique
Contacts
Le dossier
Europe centrale et orientale 2003-2004.
Composition
Annie Borderie
Studio des éditions
de La Documentation française
Titres récents parus dans
Le courrier des pays de l’Est
Albanie Edith Lhomel, Bosnie-Herzégovine Michel Roux,
Bulgarie Nadège Ragaru, Croatie Daniel Thomas Estonie
Antoine Chalvin, Hongrie Liliane Petrovic, Lettonie Céline Bayou,
Lituanie Géraldine Bertrand, Macédoine Nadège Ragaru,
Assen Slim Pologne Dorota Dakowska, Antoine Danzon,
Marc Lantéri, République tchèque Jaroslav Blaha Roumanie
Edith Lhomel, Serbie-et-Monténégro Daniela Heimerl,
Slovaquie Jaroslav Blaha, Slovénie Fabienne Beaumelou,
Urska Planinsec
Annexes : chronologies 2003-2004, tableaux des grands
indicateurs économiques, principales formations politiques,
résultats des dernières élections, composition des gouvernements, sélections bibliographiques.
N° 1044, juillet-août 2004 (268 p.)
Commandes
La documentation Française
124, rue Henri Barbusse
93308 Aubervilliers Cedex FRANCE
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75007 Paris FRANCE
Lyon
Cité administrative La Part-Dieu
165, rue Garibaldi
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Numéro simple : 13 €
Numéro spécial : 19 €
Abonnement d’un an (6 numéros)
France : 80 €
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Supplément avion : 15 €
p 2-3
CPE 1046 couvEXE
16/12/04
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Lévesque Professeur, Université du Québec, Montréal ● Marie-Claude
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Vatican et les pays d'Europe centrale. De l'Ostpolitik
aux concordats Jean-Yves Rouxel
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Nathalie Clayer
● Les religions et l'Etat en Russie. Une relation équivoque
Agnieszka Moniak-Azzopardi
● Les Eglises ukrainiennes. Entre Rome, Moscou et
Constantinople Natalka Boyko, Kathy Rousselet
● Le christianisme en Asie centrale. Miroir des évolutions
politiques Sébastien Peyrouse
Articles et documents
Pétrole russe et investisseurs étrangers. Des intérêts divergents Catherine Locatelli
Le chômage en Russie et en Ukraine Natalia Logvinova
La Ligue des familles polonaises. Montée en puissance d'un
parti anti-européen Katarzina Czernicka
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Le courrier des pays de l’Est
Albanie Edith Lhomel, Bosnie-Herzégovine Michel Roux,
Bulgarie Nadège Ragaru, Croatie Daniel Thomas Estonie
Antoine Chalvin, Hongrie Liliane Petrovic, Lettonie Céline Bayou,
Lituanie Géraldine Bertrand, Macédoine Nadège Ragaru,
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Marc Lantéri, République tchèque Jaroslav Blaha Roumanie
Edith Lhomel, Serbie-et-Monténégro Daniela Heimerl,
Slovaquie Jaroslav Blaha, Slovénie Fabienne Beaumelou,
Urska Planinsec
Annexes : chronologies 2003-2004, tableaux des grands
indicateurs économiques, principales formations politiques,
résultats des dernières élections, composition des gouvernements, sélections bibliographiques.
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Commandes
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Europe : 86 €
DOM-TOM : 84,20 €
Autres pays : 92 €
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N° 1046 novembre-décembre 2004
le courrier des pays de l’Est
Sommaire
J’ai 40 ans...
1964-2004
Avant-propos
3
Le système économique. Des pseudo-réformes
à la destruction créatrice
6
Fragmentations et recompositions. Allemagne,
Tchécoslovaquie, Yougoslavie, URSS
24
●
Est-Ouest. Des échanges contrariés
39
●
Le CAEM. Echec d’une mutualisation imposée
52
●
La consommation. Des pénuries à une abondance
mal répartie
65
L’emploi. Du droit au travail pour tous à l’explosion
du chômage
80
●
L’énergie. Atout ou handicap ?
93
●
Les industries de défense. Une mue douloureuse
107
●
Le monde agricole. Eternel perdant ?
124
●
Les transports. Entre routes cahoteuses
et projets pharaoniques
148
Repères bibliographiques 1964-2004
161
●
●
●
●
Ce numéro a été conçu et réalisé par Céline Bayou,
Jaroslav Blaha, Marie-Bernard Clauzier, Marie-Agnès Crosnier,
Daniela Heimerl, Michèle Kahn, Edith Lhomel, Laurent Rucker
1
N° 1046 novembre-décembre 2004
Comment lire J’ai 40 ans...
Cette livraison est entièrement dédiée au 40e anniversaire du
Courrier des pays de l’Est, né en 1964. Pour illustrer la façon
dont la revue a rendu compte de cette période, dix thèmes
ont été retenus. Ils sont loin de fournir une vision globale du
paysage éditorial de la publication, mais donnent quelques
coups de projecteurs sur des aspects qui nous semblent
représenter au mieux l’évolution qu’a connue la région
étudiée.
Ces différents thèmes sont synthétisés et mis en perspective
dans une introduction (en italique), puis traités à partir
d’extraits d’articles ayant été publiés dans la revue.
A la fin de chacun des extraits figurent le nom de l’auteur, son
appartenance professionnelle, le titre de l’article et le numéro
dans lequel ce dernier a été publié.
Par manque de place, l’approche transversale a été privilégiée,
ce qui prive donc le lecteur des contributions portant sur
l’analyse d’un pays, d’une région, des relations bilatérales,
etc. Pour ceux qui souhaiteraient poursuivre ce voyage dans
le passé, des bibliographies rappellent ce qui est paru dans
la collection sur tous les thèmes traités.
2
le courrier des pays de l’Est
J’ai 40 ans...
Avant-propos
Du limogeage de Nikita Khrouchtchev
à l'entrée dans l'Union européenne
de huit pays de l'ex-camp socialiste,
Le courrier des pays de l'Est a
parcouru à ce jour tout ce chemin en
cherchant à lui donner sens. «Fournir
une information sérieuse, indépendante
et régulière à ceux qui étaient appelés
à entrer en relation avec l'URSS et les
démocraties populaires», tel était le
credo des quelques chercheurs,
enseignants, journalistes, acteurs
économiques réunis par François
de Liencourt en cette fin de 1963.
Diplomate, notamment à Moscou,
il avait assisté, navré, à la mise en
place du rideau de fer et ne souhaitait
rien tant que le rétablissement des
contacts, ce qui passait, selon lui, par
une bonne connaissance de cet «autre
monde». C'est donc à cette mission
que sera dédié Le courrier des pays
de l'Est dont la création, aux premiers
jours du printemps 1964, doit beaucoup
à l'enthousiasme contagieux et à la
ténacité de son fondateur. Son projet
bénéficie d'ailleurs du soutien de
personnalités, comme Hélène Carrère
d'Encausse, François Perroux, le père
Chambre, Marc Ferro, Marie Lavigne,
Basile Kerblay… qui forment un
comité de parrainage et un comité
d'orientation.
De cette date à août 1968, la revue
réalisée alors avec notamment les
concours de Bernard Féron (rédacteur
en chef) et de la regrettée Amber
Bousoglou (secrétaire de rédaction),
qui se sont ensuite illustrés l'un et
l'autre au journal Le Monde, paraît
toutes les deux semaines et donne
une place privilégiée aux thèmes
économiques, même si des événements
politiques peuvent être commentés
dans l'éditorial et dans la rubrique
«Nouvelles générales». Sa couverture
géographique est très étendue
puisque, dès les premiers numéros,
la Chine communiste a sa place aux
côtés de l'URSS et de l'Europe de
l'Est, ainsi que, plus épisodiquement,
d'autres pays du camp, comme Cuba
et le Vietnam.
Le Centre national du commerce
extérieur (CNCE, devenu Centre
français du commerce extérieur,
CFCE), présent dès les premières
heures, puisque Le courrier des pays
de l'Est est imprimé sur ses rotatives
deux fois par mois, acquiert une
importance prépondérante après le
voyage du Général de Gaulle en
URSS (juin 1966) qui a, entre autres,
donné un coup de fouet à la demande
d'informations sur ce pays et, dans la
foulée, sur l'ensemble du monde
communiste. C'est en effet, cette
institution qui prend en charge, à
partir de septembre 1968, l'intégralité
du financement de la revue, sa
direction restant aux mains de JeanPierre Saltiel, militant ardent de la
coopération Est-Ouest, tandis que la
rédaction en chef revient à Georges
Sokoloff (Groupe d'études prospectives
sur les échanges internationaux du
CNCE, qui deviendra finalement le
Centre d'études prospectives et
d'informations internationales près
le Commissariat général au Plan). Si
cette transmission du témoin s'inscrit
dans l'air du temps (le voyage
présidentiel en URSS), elle est
également favorisée par la création
3
N° 1046 novembre-décembre 2004
en 1967, au sein de la Documentation
française, du Centre d'études sur
l'URSS, la Chine et l'Europe orientale
(le futur Ceducee), chargé de rassembler
l'information économique sur les pays
de l'Est pour la diffuser auprès des
administrations et des milieux d'affaires
français, et dont la direction est confiée
à Françoise Barry. L'équipe formée
par celle-ci a été aussitôt associée
à la réalisation de la revue aux côtés
de celle entourant Georges Sokoloff
au CNCE et qui en demeurait
la locomotive.
A partir de septembre 1968, Le courrier
des pays de l'Est devient mensuel (à
raison de dix parutions par an) et son
contenu exclusivement économique,
mais garde de la première formule la
place importante accordée à la
rubrique «Informations économiques
et commerciales», constituée tout
d'abord de brèves qui, au fil du temps,
vont s'étoffer pour devenir de véritables
articles.
Fin 1975, le CFCE se retire du jeu
et le périodique est repris par
La Documentation française. Ce
changement s'explique par des raisons
d'ordre financier, mais il entérine
également la reconnaissance du rôle
croissant joué par les collaborateurs
du Ceducee dans la réalisation de la
revue : à cette époque, sur une équipe
totale de 19 rédacteurs, 12 émargeaient
à la Documentation française. Enfin, il
était logique de rapprocher Le courrier
des pays de l'Est du Ceducee, comme
allait le montrer l'étroite symbiose qui
s'établirait entre activités documentaires
et travail rédactionnel. A partir de
janvier 1976, la rédaction en chef est
assurée par Françoise Barry, Georges
Sokoloff devenant conseiller scientifique
et le Groupe d'études prospectives
internationales continuant de participer
activement à la publication.
4
Placée sur d'autres rails, celle-ci
n'en poursuit pas moins la même
trajectoire, tout en cherchant à
présenter l'information sous une
forme plus élaborée. La structure du
sommaire est modifiée à diverses
reprises et enrichie : aux articles, qui
s'organisent selon la distinction dossier/
varia, s'ajoutent une page consacrée
à l'actualité politique dans la région
tenue par Thomas Schreiber,
journaliste à Radio France
internationale, ainsi que des recensions
d'ouvrages et, plus tard, des comptes
rendus de colloques. Par ailleurs, deux
livraisons spéciales, Le panorama de
l'URSS (février-mars 1979, 256 p.)
et Le panorama de l'Europe de l'Est
(août-septembre-octobre 1986, 304 p.)
ont connu un certain succès de
librairie.
La perestroïka gorbatchévienne, puis
l'effondrement des régimes communistes
vont, pendant un temps, captiver
l'attention du public, qui prend
brusquement conscience de sa
méconnaissance d'une partie de la
planète. Le courrier des pays de l'Est
ne pouvait que profiter de cette
redécouverte et les abonnements ont
atteint, dans les années 1990-1991,
un niveau inégalé. Les bouleversements
intervenus à l'Est rendaient toutefois
indispensable une réflexion sur les
moyens de renouveler l'offre éditoriale
de la Documentation française sur
cette zone, qui, rappelons-le, était
particulièrement abondante. Ainsi,
trois de ses publications traitaient
des pays de l'Est avec, il est vrai des
périodicités différentes et des thématiques
spécifiques : la série URSS, puis
Russie de Problèmes politiques et
sociaux, les deux annuels des Etudes
de La Documentation française,
Le courrier des pays de l'Est, sans
compter les articles ou numéros
spéciaux publiés dans Problèmes
le courrier des pays de l’Est
économiques. Une étude approfondie
a été engagée début 1997 sur
l'évolution de la diffusion de ces
périodiques, les besoins de leur public
respectif, l'état de la concurrence.
A l'examen des différents scénarios
imaginés, il est apparu raisonnable de
concentrer l'effort éditorial relatif à l'Est
sur un seul support, à savoir Le courrier
des pays de l'Est, les autres
publications devant cesser de paraître.
Ce dernier devient pluridisciplinaire à
partir de janvier 2000, évolution
d'ailleurs confortée par la nécessité
de plus en plus impérative de croiser
les grilles de lecture politique et
économique. Parallèlement, le champ
géographique couvert a été resserré
pour ne plus concerner que les
Nouveaux Etats indépendants (issus
de l'URSS) et les pays d'Europe
centrale et orientale. Mais alors qu'il
fallait mobiliser toutes les compétences
rédactionnelles, la séparation, devenue
effective début 2002, entre revue et
centre de documentation a retiré à la
première une partie de ses forces
vives. Enfin, une nouvelle étape a été
engagée en janvier 2004 avec le
passage à une périodicité bimestrielle
et un format «livre» plus maniable.
Une lettre électronique mensuelle est,
en outre, proposée gratuitement.
par la revue au cours de ces quarante
dernières années qui, nourris par une
lecture régulière et attentive de la
presse locale, parfois par des études
de terrain, ou rédigés par des chercheurs
de la région, se veulent au plus près
de la réalité. Quand on se souvient
des difficultés à se procurer l'information,
puis à la décrypter pour la rendre
intelligible, on ne peut qu'apprécier
ce souci de clarté, d'objectivité et
d'exhaustivité qui ont été et demeurent
les maîtres mots de cette revue.
A revisiter ces 490 numéros, on
prend conscience à quel point la
connaissance du passé est une clé
de compréhension du présent. Cette
observation générale et, somme toute
assez banale, vaut tout particulièrement
pour des pays ayant vécu pendant si
longtemps sous une chape de plomb.
A cet égard, force est de reconnaître
l'extrême diversité des articles publiés
Grâce à tous ceux qui s'investissent
dans sa réalisation, Le courrier des
pays de l'Est continue de remplir la
mission que lui avaient assignée ses
fondateurs : améliorer la connaissance
de ces vingt-sept pays, qu'ils soient
entrés dans l'Union européenne,
s'apprêtent à le faire ou en soient
devenus des «voisins» plus ou moins
proches.
Ce numéro n'a pas pour ambition de
retracer quarante ans de l'histoire de
pays passés du communisme à la
démocratie, mais de montrer comment
Le courrier des pays de l'Est a rendu
compte de cette évolution. Et, à ce
propos, deux remarques méritent
d'être faites. D'une part, il n'a jamais
été question que la revue «colle» à
l'actualité, le principe réaffirmé par
tous ceux ou celles qui se sont
succédé à sa tête étant de maintenir
un certain recul par rapport à
l'événement. Et d'autre part, en ayant
assuré une veille assidue durant tant
d'années, elle apporte un témoignage
sur des régimes aujourd'hui disparus
et généralement ignorés par les
générations les plus jeunes.
1964-2004...
5
N° 1046 novembre-décembre 2004
Le système
économique
Des pseudo-réformes
à la destruction créatrice
Comment réformer l’économie planifiée
sans remettre en cause ses fondements
politiques et idéologiques ? Comment
améliorer l’efficacité du système tout en
préservant son caractère socialiste ?
Comment donner une certaine autonomie
aux producteurs tout en maintenant le
contrôle de l’Etat et du Parti sur l’économie ? Les partisans des réformes en URSS
et dans les pays est-européens n’ont eu de
cesse de rechercher une réponse à ces
questions. Sans succès. Des réformes
«Liberman-Kossyguine» à la perestroïka
insufflée par M. Gorbatchev en passant
par les expériences «libérales» mises en
œuvre en Tchécoslovaquie en 1968 ou en
Pologne à la fin des années 1970, aucune
n’a pu être menée à son terme. Trop
timides ou trop audacieuses, heurtant les
intérêts de la bureaucratie ou ayant un
coût politique inacceptable, les raisons
des échecs sont multiples mais leur cause
profonde est identique : toute réforme
agissait comme un puissant révélateur
chimique des faiblesses structurelles du
système. Par conséquent, elle plaçait
inévitablement ses concepteurs devant une
contradiction insurmontable : poursuivre
l’œuvre entreprise en risquant de porter
atteinte à la légitimité du système ou y
mettre un coup d’arrêt − souvent brutal −,
mais avec le danger de voir la crise
s’aggraver. Jusqu’à l’arrivée de
M. Gorbatchev au pouvoir la seconde
solution a été privilégiée. Toutefois, ce
6
choix censé préserver les pays socialistes
du capitalisme a eu le résultat inverse. Il a
accru leur dépendance externe envers le
monde capitaliste où ils sont allés chercher
capitaux, technologies et débouchés
commerciaux. Si cette politique a fait
illusion, ce ne pouvait être que pour un
temps. Au cours des années 1980, tous les
maux se sont cristallisés : creusement de
l’endettement, recul de la productivité,
retard technologique. Les réformes
gorbatchéviennes, à la fois trop tardives et
trop improvisées, ont provoqué une crise
systémique, politique, économique et
sociale qui a fini de détruire la légitimité
d’un régime déjà bien entamée. Avec le
recul, le quart de siècle qui sépare la chute
de Nikita Khrouchtchev de celle du mur
de Berlin apparaît comme une période
de longue crise économique rampante,
masquée par l’imposante puissance
militaire soviétique. Faible productivité du
travail, pénurie de biens de consommation,
crise énergétique, chômage caché, appareil
industriel vieillissant furent autant
d’indicateurs d’une détérioration continue
de la situation économique au cours des
années 1970 et 1980 que l’on pouvait
déceler, y compris entre les lignes des
rapports toujours triomphalistes des
planificateurs.
Si le système économique des pays du
«socialisme réel» n’était pas uniforme,
loin s’en fallait, si chacun a exploré des
Le système économique
voies différentes pour tenter de résoudre les
problèmes auxquels tous étaient confrontés,
il n’en reste pas moins que nulle part − à
l’exception peut-être de la Biélorussie
d’Alexandre Loukachenko − l’économie
planifiée n’a survécu à la chute du mur
de Berlin et à la disparition de l’URSS.
La sortie du socialisme et l’entrée dans le
marché ont remis au premier plan
différences et disparités.
La perspective d’intégration à l’Union
européenne a eu un puissant effet
mobilisateur qui a incité les pays d’Europe
centrale et orientale à engager rapidement
de profondes réformes. La Russie, quant
à elle, a vu la crise se prolonger pendant
près d’une décennie, jusqu’au krach financier
de 1998. Au cours de cette période, le
modèle rentier exportateur, déjà en germe
à l’époque soviétique, a été consolidé à la
fois par opportunisme et par défaut. Si la
Russie a adopté et mis en œuvre nombre de
mécanismes de marché, il lui reste encore
néanmoins un long chemin à parcourir
avant d’être à égalité avec les économies
occidentales.
Ceci étant, force est de reconnaître qu’en
moins de quinze ans le plan a cédé la
place au marché sans convulsion majeure
− les guerres en ex-Yougoslavie ou dans
le Caucase ont d’autres racines
qu’économiques − ; par ailleurs, les
populations ont fait montre d’un
remarquable dynamisme et de formidables
capacités d’adaptation au prix il est vrai
d’un coût social souvent élevé et d’un
accroissement des inégalités.
Une priorité : accroître
la productivité
«La réforme de la gestion de l’économie soviétique adoptée en octobre
1965, assouplissait le système de la
planification, intéressait matériellement
le courrier des pays de l’Est
les ouvriers au résultat de leur travail et
octroyait l’autonomie financière aux
entreprises. Elle a été étendue le
1er juillet 1966 à des entreprises qui
emploient 8 millions de travailleurs.
Expérimentée d’abord dans deux entreprises de l’industrie légère, Maïak et
Bolchevitchka, la réforme a été appliquée le 1er janvier 1966 dans 43 entreprises employant 300 000 travailleurs
et, à partir du 1er avril 1966, à 200 autres
comptant 700 000 salariés.
Dans l’esprit de ceux qui en ont pris
l’initiative, la réforme doit accroître la
productivité des entreprises : 1 % d’accroissement à l’échelle nationale équivaut à un gain annuel de 2 milliards de
roubles. Selon les calculs soviétiques,
l’accroissement de la productivité sera
assuré pendant la période quinquennale
à venir pour 70 % par le progrès technique et pour 30 % grâce à l’encouragement matériel prévu par la réforme.
[…] Cette réforme ne saurait donc être
envisagée sans un vaste mouvement de
modernisation des équipements. […]
Pour réussir dans son entreprise,
l’URSS a besoin de nouveaux cadres
spécialisés. […] Certains auteurs soviétiques préconisent à cet effet une répartition plus judicieuse du personnel
existant. D’autres prônent la rationalisation du travail : ils montrent que le
“centre de pesanteur de la campagne
d’accroissement de la productivité se
trouve au sein des entreprises mêmes”.
Il apparaît également que l’URSS sera
tenue de faire un énorme effort de
développement du secteur tertiaire de
l’économie, faute de quoi on ne saurait
concevoir l’arrivée de nouvelles masses
de travailleurs dans la vie active de la
société. […] Pour trouver des “réserves”
de main-d’oeuvre, il faut déconcentrer
l’industrie et édifier un secteur tertiaire
moderne qui, dans de nombreux
districts de l’immensité soviétique,
n’existe même pas à l’état embryonnaire.
7
N° 1046 novembre-décembre 2004
Il semble donc que le côté “révolutionnaire” de la réforme ne réside pas tant
dans ses principes doctrinaux que dans
la quantité de biens nécessaires à
l’industrie et au secteur tertiaire de
l’Union, des républiques, des régions,
des districts et des municipalités. Sans
cet équipement, la réforme ne serait
ni rentable, ni même imaginable.
Comment est appliquée la réforme ?
Les autorités ont communiqué les
premiers résultats obtenus et signalé
les réactions psychologiques du personnel intéressé.
● Pot de terre et pot de fer
On sait que l’application de tout décret
important promulgué à Moscou exige,
pour des raisons géographiques, le
déclenchement, plus ou moins rapide,
d’une vaste campagne d’explication.
Dans le cas d’espèce de la réforme
décrétée en octobre 1965, les autorités
ont mis en oeuvre tous leurs moyens de
propagande afin d’amorcer à l’échelle
du territoire euro-asiatique un débat
sur le thème de la lutte contre les
débordements irrationnels de la
bureaucratie et pour l’accroissement de
la productivité des entreprises, de
l’esprit d’initiative des travailleurs et
de l’esprit d’affaires des cadres. […]
L’application de la réforme a été étroitement suivie au sein des entreprises
intéressées par des économistes qui y
sont attachés. Ces experts se sont
réunis en mai 1966 au siège de la
Commission de planification (Gosplan)
de Moscou pour dresser un premier
bilan de la tâche accomplie.
Il en résulte que “le nouveau système
stimule une haute efficience de
production”, que “les entreprises intéressées ont exécuté dans leur ensemble
et même dépassé leurs plans de
production et d’accumulation de
profits ; elles ont accru de 7 % (par
rapport à la même période de 1965)
8
leur productivité et augmenté les
salaires”. Peu après, la Pravda (26 mai
1966) a donné les premiers échos des
résultats de l’extension de la réforme
aux 200 autres entreprises en soulignant
que les rapports parvenant de ces
entreprises sont de nature à inspirer du
courage et que “l’on assiste à un
authentique essor de l’indépendance et
de l’initiative économique”.
Ainsi, dans un reportage sur l’application de la réforme en Biélorussie,
Ekonomitcheskaïa gazeta (n° 18, mai
1966) écrivait que “parfois la réforme
se heurte notamment à l’incapacité de
certains “managers” qui vivent de
leur bagage ancien de connaissances,
s’abstiennent de compléter leur savoir
technique et économique, et dont
l’activité se réduit à une gestion
bureaucratique grossière”. “Les dirigeants de ce type continuent d’agir
sans discernement selon les principes
“davaï-davaï” (produire en quantité
sans tenir compte de la qualité et des
possibilités d’écoulement) et le plan à
tout prix”. D’autres directeurs refusent
encore de faire confiance à leur
personnel. La revue concluait cette
note critique en remarquant qu’afin
d’assurer à la réforme les meilleures
conditions d’application, “un grand
travail reste encore à faire dans les
domaines de la spécialisation des
entreprises, de la rationalisation du
fonctionnement, de la modernisation
des équipements et de l’amélioration
de la planification interne de la production”. Pour y parvenir, ajoutait la
revue, “il est indispensable que le Parti
élève à un plus haut niveau ses méthodes de contrôle et que les directeurs se
pénètrent de la nécessité de parfaire
leur style de gestion”. […] Jusqu’au
lancement de la réforme, il y avait un
semblant de justification dans le mythe
selon lequel les producteurs ne
vendaient pas leurs services, mais
effectuaient des prestations librement
consenties. Et le dialogue du pot de
terre avec le pot de fer aurait pu s’éter-
Le système économique
niser si l’administration n’avait pas eu
recours finalement à un moyen fort
simple : intéresser matériellement les
producteurs, et avant tout les travailleurs manuels, à la recherche des
“réserves”. Et, vue sous cet angle, la
réforme apparaît comme étant conçue
pour éliminer les griefs réciproques de
l’administration et des entreprises ;
l’administration reproche aux entreprises leur manque de dynamisme,
alors que les entreprises se plaignent
de la tutelle de l’Etat. Tout se passe
comme si ce dernier disait aux entreprises admises aux nouvelles conditions de gestion : “Vous êtes maintenant des adultes émancipés, chargés
de votre propre comptabilité de pertes
et profits, à vous et à votre personnel
de vous “débrouiller” pour faire de
l’argent et vivre mieux”. Et la méthode
n’a pas manqué de porter ses fruits.
[…] Mais où est donc dans tout cela ce
“premier pas vers une économie à
l’occidentale” que certains commentateurs ont cru trouver dans la réforme ?
A notre sens, l’innovation repose sur le
fait qu’en se décidant à octroyer le
statut d’autonomie financière (khozrastchiot) aux entreprises, l’Etat […] a
rétabli la vérité sur la fonction économique des producteurs qui se traduit
par la vente de services. La réforme
a donc rendu possible un véritable
dialogue entre l’administration et les
producteurs. Ces derniers disent maintenant : “Nous soucier des intérêts de
l’entreprise ? D’accord. Mais à condition que nos salaires augmentent”.»
Alexandre Guthart
«Les premiers mois de la réforme économique en URSS»
CPE, n° 62, 21 septembre 1966, pp. 17-35
Les voies multiples
de la réforme
«On suppose trop facilement, en général, que les réformes économiques
adoptées et réalisées dans les pays
socialistes d’Europe représentent une
le courrier des pays de l’Est
copie fidèle du système soviétique. Si
l’on y regarde de plus près, on remarque,
au-delà d’une orientation globale similaire, des différences sensibles entre le
système soviétique d’une part et les
nouveaux mécanismes économiques
des pays socialistes d’autre part ; en
outre, ces pays, pris isolément, ont
chacun leur originalité dans la manière
de concevoir leur réforme et ne mettent
pas l’accent sur les mêmes aspects.
Assurément l’évolution des pays socialistes (URSS incluse) va actuellement
dans le même sens : rationalisation de la
planification, recherche de l’efficacité
économique non plus par des moyens
d’action bureaucratiques et centralisés
mais par l’emploi d’instruments “indirects laissant davantage place à l’autonomie des unités productives”.
Mais certains éléments caractéristiques
pour l’URSS ne se retrouvent pas dans
les autres pays socialistes, notamment
la grande difficulté qu’éprouve l’Union
soviétique pour concilier la logique de
la direction sectorielle des activités
économiques et les nécessités de la
coordination dans le cadre territorial.
Cette difficulté tient d’une part aux
vastes dimensions du pays, d’autre part
à la structure fédérale de l’Etat. Sur
le dernier point l’URSS pourrait se
comparer à la Yougoslavie, mais l’administration économique yougoslave, que
ce soit au niveau territorial ou par
branches, encadre beaucoup moins, de
toutes façons, les unités productrices,
pour que le problème puisse se poser
dans des termes comparables.
Inversement l’URSS ne connaît pas la
forte dépendance à l’égard du commerce extérieur qu’éprouvent les économies des autres pays socialistes, plus
petites et moins diversifiées, dépendance qui explique pourquoi dans
certains de ces pays la réforme des
mécanismes du commerce extérieur a
dominé l’ensemble de la réforme économique. […]
9
N° 1046 novembre-décembre 2004
● Trois situations
En ce qui concerne la procédure de
la réforme, un élément commun se
retrouve partout : c’est une décision du
Parti communiste, à la suite d’une
réunion plénière du Comité central, qui
a donné le coup d’envoi (par exemple
en juillet 1965 en Pologne, en janvier
1965 en Tchécoslovaquie, en octobre
1967 en Roumanie), les modalités de
réalisation étant ultérieurement précisées,
en général après discussion publique
du projet dans la presse, lors de réunions,
etc., par les organes supérieurs de
l’Etat.
L’application pratique des décisions
prises diffère par contre sensiblement.
On peut en gros distinguer trois situations.
Les pays qui optent pour une introduction progressive de la réforme,
avec mise en place échelonnée des éléments auxiliaires de celle-ci (révision
des prix, réévaluation des bilans des
entreprises). Ainsi, en Bulgarie, les principes généraux du nouveau système
ont été publiés en décembre 1965,
approuvés en avril 1966 ; au début de
1967, 65 % de la production industrielle brute était fournie par les entreprises transférées au nouveau système,
qui doit être généralisé en 1968. En
Pologne, après les décisions de juillet
1965, la réforme s’est appliquée dès
1966 à la plupart des branches et entreprises, ses divers éléments étant introduits par touches successives : réorganisation du financement des investissements en avril 1966, correction des
prix au 1er janvier 1967 (une révision
générale des prix avait eu lieu en
1960), adoption à la fin de 1966 du
statut des unions d’entreprises, réglementation du système d’attribution des
primes en 1967. En RDA, la réforme a
commencé en 1963, après qu’en janvier
de cette année le sixième congrès du
Parti eut adopté son programme et
posé la nécessité d’un perfectionne●
10
ment de la planification ; c’est en 1964
qu’ont été introduits les nouveaux prix
de gros, que l’autonomie financière a
été conférée aux unions d’entreprises ;
en 1965, la redevance sur le capital
productif a été expérimentée pour être
généralisée ensuite ; au cours des années
1965 et 1966, la réforme a progressivement gagné l’ensemble des activités
économiques (industrie, commerce
intérieur et extérieur, agriculture, transports) en même temps qu’était réorganisée, à partir du début de 1966,
l’administration économique ; actuellement, on peut considérer que le
nouveau système est entièrement installé,
et la RDA a ainsi coiffé au poteau
l’ensemble des pays socialistes. C’est
au moment même où s’achevait la
réforme allemande que la Roumanie
s’est jointe au mouvement, en définissant les grandes lignes du perfectionnement de la gestion et de la planification
économiques, par une décision du Parti
d’octobre 1967 : l’application en sera
échelonnée sur deux ans.
Les pays qui ont opté pour une
préparation théorique très minutieuse
de la réforme, et une expérimentation
de ses éléments avant l’adoption de
dispositions définitives, pour pouvoir
l’introduire d’un seul coup ensuite. En
Hongrie, le Parti a approuvé le principe de la réforme en novembre 1965
et en a confirmé les orientations en mai
1966 ; pendant dix-huit mois, les pièces
du nouveau système ont été assemblées (réforme des prix, du commerce
extérieur, de la planification, de la gestion de l’entreprise) ; le nouveau mécanisme est introduit dans sa totalité au
1er janvier 1968. En Tchécoslovaquie
les choses sont un peu plus confuses :
il semblerait à première vue que ce
pays se range dans la catégorie précédente des économies intégrant progressivement la réforme. En réalité, ce que
l’on a appelé la première étape de
celle-ci n’a consisté qu’en une série de
mesures de redressement de l’économie tchécoslovaque, la plus durement
●
Le système économique
touchée par le ralentissement de croissance caractérisant les pays socialistes
en 1963-1964 : la production industrielle n’y a augmenté que de 0,6 % en
1963, 4,1 % en 1964 contre 6,8 et 7,5 %
pour l’ensemble du Comecon. Aussi en
janvier 1965, le parti tchécoslovaque
a-t-il posé les bases d’un nouveau
système, expérimenté partiellement
pendant deux ans et introduit seulement
au 1er janvier 1967 sur la base d’une loi
de juillet 1966 relative aux “conditions
générales de l’activité économique des
entreprises”.
La Yougoslavie enfin peut être considérée en état de réforme permanente
depuis 1950, date de l’abandon du
centralisme dans la planification et des
méthodes autoritaires de direction. Les
mesures adoptées par l’Assemblée
fédérale à la fin de juillet 1967 font
franchir une étape nouvelle au système
yougoslave de l’autogestion : l’ouverture sur l’extérieur est accentuée, le
financement de l’activité économique
est assaini par la réduction du volume
des subventions et par un allègement
corrélatif des obligations envers l’Etat ;
la participation des travailleurs à la
gestion est accentuée.
●
● Rationaliser la gestion
Les économies socialistes étant ainsi
sommairement situées, quels sont les
traits communs des réformes réalisées
ou en cours ? Leur caractère le plus
évident est la revalorisation du rôle du
marché, beaucoup plus hardie et vigoureuse qu’en URSS. Si l’on se réfère
aux analyses des économistes de ces
différents pays, celui-ci est néanmoins
subordonné à la planification, exception faite de la Yougoslavie où les
entreprises ont effectivement une
grande autonomie, dont elles ne se
servent pas toujours à bon escient. Là
où, dans tous les pays, on souhaite
réellement établir les conditions de la
concurrence de marché, c’est vis-à-vis
le courrier des pays de l’Est
de l’extérieur ; les entreprises socialistes
doivent pouvoir affronter directement
le marché international, capitaliste spécialement.
Ainsi, l’autonomie des entreprises
continue à s’exercer dans le cadre du
plan ; elle est tempérée par l’encadrement des unités productrices de base,
sous forme d’unions d’entreprises de
types divers ; l’orientation des activités
productrices fait de plus en plus appel
à des mécanismes économiques et
financiers ; enfin, comme on l’a déjà
souligné, l’accès aux échanges extérieurs est facilité aux entreprises. […]
Ce très bref aperçu de l’état des réformes
économiques montre que pour le
moment il n’est pas question, dans les
pays socialistes, de rétablissement des
mécanismes de marché dans le sens
“capitaliste” du terme. Il s’agit avant
tout de mettre au point de meilleurs
instruments pour la planification, de
rationaliser la gestion des entreprises.
Chaque pays cherche ici sa voie, avec
plus ou moins de succès. Sans doute
les réussites ou les échecs des uns se
répercuteront-ils sur les résultats des
autres.»
Marie Lavigne, maître-assistant à la Faculté de droit
et de sciences politiques et économiques de Strasbourg
«Bilan de la réforme économique dans les pays socialistes»
CPE, n° 104-105, 19 juin 1968, pp. 25-48
L’Est, à l’abri de la crise ?
«L’organisation de type soviétique
comporte toute une série de défenses
érigées contre les forces économiques
“aveugles”. Ces défenses ont largement
pour principe commun la mise hors
circuit des mécanismes marchands. Or
on peut se demander si, de ce fait
même, les économies de l’Est ne
s’exposent pas à subir le contrecoup de
la crise actuelle.
Le schéma économique classique de
type soviétique n’a certes pas été
11
N° 1046 novembre-décembre 2004
conçu avec la seule préoccupation de
le rendre invulnérable aux crises endogènes comme exogènes. Néanmoins,
ce souci était incontestablement présent
à l’esprit de ses architectes. En outre, il
se trouve que certaines des caractéristiques dont ils ont doté l’organisation
économique, même pour des raisons
étrangères à la volonté de la placer à
l’abri des crises, peuvent être considérées comme faisant partie d’un
dispositif anti-crises.
On sait que, de façon très générale, le
système repose sur l’abolition des
mécanismes marchands, ou, pour le
moins, sur une forte restriction de leur
champ d’action interne. Ainsi, la substitution d’un système de prix imposés
et fermes aux prix flexibles du marché
est censée éliminer, par définition,
toute manifestation patente de tensions
inflationnistes. De même, la garantie
du plein-emploi par la Constitution,
associée à l’idée que le travail n’est pas
une marchandise, met hors-la-loi tout
chômage apparent. […]
● L’envers d’un système
défensif
Il faut bien voir cependant que les
différents types de “défenses” dont est
bardé le système ne le rendent pas réellement invulnérable aux perturbations
de l’économie mondiale ; sous certains
aspects, elles se trouvent, paradoxalement, à l’origine même de la sensibilité de l’économie de type soviétique à
de telles perturbations. […]
Ainsi, est-ce la singularité des systèmes
de prix nationaux des socialismes
d’Etat qui a pratiquement exigé d’eux
l’adoption, pour leurs échanges mutuels,
d’un ensemble de prix internationaux
dérivé des prix mondiaux. Du coup,
par le jeu d’une sorte d’effet de “résonance”, les mouvements qui affectent
ces derniers retentissent nécessaire-
12
ment sur les prix pratiqués à l’intérieur
du CAEM. […]
Un autre envers du système général de
protection de l’économie contre les
forces du marché a été de priver les
appareils de production des pays de
l’Est d’un système de guidage endogène de leur activité. Ainsi ne doit-on
sans doute pas s’expliquer le transfert,
en provenance d’Occident, de pans
entiers d’une structure industrielle
moderne vers les pays de l’Est uniquement par le moindre niveau de développement économique général de ces
derniers. L’absence d’un mécanisme
socio-économique moteur qui produise
sans cesse, en les liant d’ailleurs indissolublement, innovations technologiques et productions nouvelles semble
devoir rendre compte de façon plus
fondamentale de cette dépendance de
l’Est vis-à-vis de l’Ouest. Du coup, la
propension à l’autarcie “réelle” de la
planification centralisée, déjà nécessairement limitée dans nombre de pays
est-européens par l’exiguïté de leur
taille économique, se trouve battue en
brèche. Et la volonté d’autarcie “fonctionnelle” des animateurs du système
se trouve elle-même contrecarrée.
L’ampleur des achats auparavant effectués en Occident a provoqué vis-à-vis
de lui un endettement et des charges de
remboursement suffisamment importants pour qu’il ne puisse guère être
question de fermer immédiatement les
économies de l’Est aux influences extérieures. Ne serait-ce que de ce simple
fait, celles notamment de ces économies
qui dépendent le plus de l’Ouest vont se
trouver exposées − par le jeu d’un “effet
de contamination” direct cette fois − à
l’impact de la crise. Au niveau des prix
comme à celui des quantités, elles ne
peuvent pas en effet ne pas être tributaires des perturbations affectant l’activité économique mondiale.
[…] Du point de vue interne, la stagnation d’un secteur d’exportation impor-
Le système économique
tant peut évidemment constituer un
frein à la croissance générale. La question la plus importante pourtant réside
naturellement dans l’accroissement de
l’endettement extérieur vis-à-vis de
l’Ouest. On peut certes considérer que
les pays de l’Est les plus concernés
décideront de résoudre provisoirement
cette question par des procédures de
refinancement (en profitant opportunément des baisses de taux d’intérêt que
les phases de récession entraîneront en
Occident), repoussant ainsi vers le
futur le plus gros des difficultés intérieures associées aux charges de
remboursement des emprunts. Mais on
doit également envisager l’hypothèse
d’une restriction notable, par ces pays,
de leurs importations en provenance
d’Occident. De telles restrictions auraient
pour effet :
de “tendre” à brève échéance les
ressources générales disponibles ;
de compromettre les possibilités de
croissance à moyen terme, en soustrayant de l’investissement intérieur les
équipements occidentaux qui, selon
certaines études, sont justement ceux
qui permettent d’obtenir une amélioration de l’efficacité marginale des
investissements ;
d’inaugurer peut être à l’Est une
nouvelle phase de repli sur soi, aux
implications multiples.
●
●
●
Parmi ces implications, on peut retenir
principalement le risque d’une désorientation de la croissance des pays de l’Est.
● Une sécurité illusoire
Mais on est en droit de se demander si
les progressions prévues par les plans,
à supposer qu’elles se réalisent effectivement, ne seraient pas assez largement illusoires, car conduites suivant
une structure de production arbitrairement imposée. Il en serait ainsi
notamment s’il se créait une rupture
suffisamment profonde avec l’économie occidentale pour faire perdre à
le courrier des pays de l’Est
cette dernière son rôle de “boussole
extérieure” du développement oriental.
Un tel “égarement” de la croissance
pourrait être également favorisé par la
mise en branle accélérée des rouages
internes du dispositif anti-crise. Les
autorités risquent en effet d’exiger de
ce dispositif la plus grande efficacité
− pour sauvegarder la stabilité des prix
intérieurs, et le maintien d’un taux
d’activité élevé − au moment même où
les circonstances s’y prêtent le moins
bien. Agissant ainsi, elles ne feraient
qu’accentuer davantage encore la divergence entre les orientations qu’elles
imprimeront autoritairement à l’activité de production, et celles que commanderait une expression plus libre
des nécessités économiques réelles.
[…]
Dans l’ensemble, il apparaît que les
effets de la crise seront nettement plus
diffus à l’Est qu’à l’Ouest. Bien que
cette caractéristique ne soit pas, comme
on l’a laissé entendre, véritablement
positive, il est vraisemblable qu’elle
sera politiquement exploitée comme
une forte présomption en faveur de la
supériorité du système socialiste.
A court et moyen termes du moins, c’est
la détérioration, pour certains pays esteuropéens, de leurs “terms of trade”
vis-à-vis de l’URSS qui constitue le
problème le plus aisément prévisible et
le plus préoccupant de la zone. Du fait
de la place élevée que ces pays occupent
dans la hiérarchie des niveaux de
revenu par habitant au sein du CAEM
un des premiers effets de la crise pourrait être d’accélérer, dans un premier
temps du moins, le mouvement d’égalisation des niveaux de développement
comparés dans cette région du monde.
Il serait sans doute peu avisé d’interpréter cette tendance comme le signe
d’une cohésion accrue du système
oriental. L’apparition de fortes tensions
sur certains marchés nationaux de biens
de consommation peut au contraire
13
N° 1046 novembre-décembre 2004
préluder à des soubresauts politiques,
au moins localisés. […]
Il est assez concevable en définitive
qu’en ces temps de crise l’image extérieure du camp socialiste, en tant qu’îlot
mondial de sécurité pour ses habitants
et de solidarité entre ses gouvernements, puisse être assez bien préservée :
elle n’en sera pas moins illusoire.»
Georges Sokoloff, Groupe d’études prospectives
internationales (CFCE)
«Les incidences de la crise mondiale à l’Est»
CPE, n° 196, mai 1976, pp. 3-12
accru dans le système économique.
Cette réforme s’appuie sur les points
fondamentaux suivants :
La projection obligatoire du plan
national annuel sur les entreprises a été
supprimée, et désormais, même du
point de vue formel, le plan de l’entreprise ne fait plus partie intégrante du
plan macro-économique. Dorénavant,
seul le plan quinquennal a force de loi,
alors que le plan annuel ne contient
plus d’objectifs obligatoires pour les
entreprises.
●
En ce qui concerne les inputs, la
planification directe sous sa forme
classique était indissociable du système
d’approvisionnement matériel et technique qui, lui aussi, a été supprimé.
A l’exception de quelques produits,
l’affectation centralisée des marchandises a disparu, faisant entièrement
place, en principe, à l’approvisionnement par le marché.
●
La Hongrie en route
vers le marché
«En 1968, la Hongrie a accompli une
réforme économique globale véritable
et, depuis lors, le système de gestion
économique du pays présente des
différences qualitatives par rapport au
système classique de l’économie planifiée tel qu’il apparaît pour l’essentiel
dans les autres pays du CAEM. Cette
réforme est une réforme économique,
ce qui signifie qu’elle a pratiquement
laissé intact l’ensemble du mécanisme
politique, ainsi que les secteurs de la
vie sociale à la frontière de la politique
et de l’économie : tels le système institutionnel de l’administration de l’Etat,
le système organisationnel des entreprises et la position des cadres moyens.
C’est là une différence considérable
par rapport aux tentatives de réforme
tchécoslovaque de la même époque.
● Une réforme radicale
et globale
Le caractère radical et global de la
réforme hongroise signifie avant tout
que le rapport entre les entreprises et la
hiérarchie administrative de l’Etat − et
dès lors le comportement des entreprises − se sont modifiés et que le rôle
de la monnaie, moyen principal de
l’intégration, s’est considérablement
14
Les relations entre les entreprises et
le budget sont désormais instituées sur
la base de l’imposition. La situation a
donc changé par rapport à la période
où une entreprise ne recevait que les
fonds nécessaires au financement de la
réalisation d’un objectif du plan et où
le budget retenait automatiquement la
part du bénéfice imposée qui restait
après que l’entreprise eut provisionné
ses fonds propres.
●
Le système des prix, autrefois entièrement administratif, a été remplacé pour
moitié par un régime de prix libres et
pour un tiers par des prix encadrés par
un plafond maximum et un minimum.
●
Un lien s’est établi entre les salaires
et les bénéfices : les salariés sont rémunérés au prorata des bénéfices, par
conséquent l’évolution des rémunérations dépend du volume du profit. De
ce fait la direction de l’entreprise est
tenue d’augmenter ses profits à cause
de la pression venant du bas.
●
Le caractère multi-sectoriel de l’économie socialiste est reconnu et les inté-
●
Le système économique
rêts individuels et de groupe apparaissent désormais comme légitimes.
Cela signifie en fait l’émancipation du
secteur coopératif, le soutien des activités des coopératives autres qu’agricoles et la reconnaissance du caractère
fondamental de l’intérêt matériel.
En rapport direct avec cette libéralisation, l’idée de la libre circulation de la
main-d’œuvre a été admise.
●
Les organisations de base chargées de
l’exploitation du capital social sont les
entreprises et non pas les groupements
qu’elles constituent − combinats ou
unions − qui eux, par leur contenu économique, sont des organisations de
direction intermédiaire. En principe, le
seul indicateur de succès de l’activité
de l’entreprise est le volume du bénéfice par rapport aux moyens engagés. Il
semble que cela soit une particularité
de la gestion économique hongroise si
on observe la pratique des autres pays
de l’Est, notamment les mesures de
réforme engagées dans les années 70
qui, par les regroupements d’entreprises, suppriment pratiquement l’autonomie au niveau des entreprises.
●
Le principe de base de la régulation
économique est devenu “l’égalité devant
la justice” ou, selon la terminologie
hongroise, la normativité. C’est, dans
son essence, la concrétisation du marché
régulé où non seulement le plan, mais
aussi le budget, les régulateurs économiques et la politique financière sont
les instruments de la volonté centrale.
Ces instruments d’importance identique contrôlent pleinement la cohérence du plan.
●
Les organisations locales du Parti “ne
peuvent jamais et nulle part prendre en
main les tâches de direction de l’administration de l’Etat”.»
●
Laszlo Csaba, Institut d’économie mondiale
de l’Académie des sciences de Hongrie
«Le nouveau souffle de la réforme économique hongroise»
CPE, n° 293, mars 1985, pp. 3-21
le courrier des pays de l’Est
Le dilemme
de Gorbatchev
«Depuis l’arrivée au pouvoir de
M. Gorbatchev, et surtout depuis ces
deux dernières années, les Soviétiques
vivent une situation paradoxale : ils
recouvrent des libertés individuelles,
notamment celle de s’exprimer, font
l’apprentissage d’une participation
plus active à la vie politique de leur
pays, découvrent des pages entières de
leur histoire, assistent à une véritable
explosion culturelle. En même temps,
ils voient se dégrader leur niveau de
vie et péricliter l’économie.
Inflation, déficit budgétaire, pénuries
quasi générales, ces maux ne sont pas
nouveaux ; ils érodent l’économie
soviétique de longue date, mais si
auparavant on cherchait à les dissimuler,
désormais on les commente à l’envi.
Leur aggravation, en revanche, conduit
à s’interroger sur leur lien avec la politique de réforme poursuivie actuellement. Or, la réponse est claire : la
détérioration conjoncturelle ne procède
pas de la réforme, mais plutôt de l’absence de réforme. Pour tout un ensemble
de raisons, étroitement imbriquées, les
changements escomptés dans les comportements des opérateurs économiques
ne se produisent pas, le système continuant à fonctionner grosso modo comme
auparavant. […]
● Blocages et rigidités
Comme cela s’était déjà produit lors de
la réforme de 1965 et au mépris de
l’interdiction qui leur en est expressément faite dans la loi sur l’entreprise,
les ministères ont continué de s’immiscer
dans la gestion courante de celle-ci et
de la soumettre à un contrôle permanent.
15
N° 1046 novembre-décembre 2004
L’autonomie de l’entreprise reste donc
un leurre, puisque celle-ci ne peut
disposer librement de sa production ni
gérer elle-même ses relations avec ses
partenaires et cela durera […] tant que
ne sera pas instauré un marché des
biens de production. […]
La perestroïka a toujours été présentée
− et continue de l’être − comme incontournable car seule à même de remettre en
selle l’économie. Aujourd’hui, cette analyse apparaît d’autant plus juste que la
preuve a contrario en est donnée : l’absence de réforme s’est accompagnée, pour
ne pas dire s’est traduite, par une dégradation de la conjoncture économique. […]
Dirigeants et économistes estiment tous,
sans de plus amples explications, que
l’économie est désormais sortie de l’état
de “pré-crise” où l’avait trouvée Mikhaïl
Gorbatchev en mars 1985. Sans doute,
voient-ils dans ce postulat une consolation à la liste sans fin des difficultés
actuelles dont personne n’avait prévu
qu’elles prendraient une telle ampleur.
[…]
Mécontentement de la population face
aux pénuries croissantes, à l’allongement
des files d’attente et aux difficultés d’approvisionnement, exaspération des citadins face à l’afflux des “porteurs de sacs”
venus d’ailleurs, la presse n’en finit pas
de décrire la déception des Soviétiques
quant aux effets de la perestroïka sur
leurs conditions de vie et, ce faisant, elle
l’entretient et l’exacerbe. D’économique,
le problème des pénuries est devenu politique, leur persistance, leur aggravation
détournant la population des projets de
réforme et représentant, en outre, une
menace pour la paix sociale. Les dirigeants soviétiques le savent et Mikhaïl
Gorbatchev en a fait en personne très
concrètement l’expérience en septembre
1988 lors d’une tournée en Sibérie, où il
fut pris à partie par des ménagères de
Krasnoïarsk se plaignant des magasins
vides, du manque de logements et d’équipements sociaux.
16
● Un seul remède
Au terme de quatre années de gorbatchévisme, les dirigeants soviétiques se
trouvent face à un dilemme : comment
à la fois tenir le programme de réformes
libérales dont ils ont pris l’engagement
et redonner au plus vite la santé à
l’économie, ce pourquoi ils n’envisagent
qu’un seul remède, renforcer le contrôle
de l’Etat. Ils ont tranché, choisissant de
procéder en deux étapes et de commencer
par l’assainissement de la situation économique. Ainsi peuvent-ils, sans perdre
la face, différer toute décision concernant
la réforme des prix, en l’absence de
laquelle la poursuite de la perestroïka
économique reste un vain mot, mais
jugée socialement trop risquée tant que
les magasins seront vides : lors du
Plénum du Comité central de mars 1989,
l’assurance a été donnée à la population
que les prix des principaux produits alimentaires ne seraient pas modifiés dans
les deux-trois ans à venir. […]
Tout continue donc à se dérouler selon le
schéma pré-établi, mais l’on ne voit plus
très clairement la direction suivie par ce
processus, d’autant que la date de son
aboutissement semble très éloignée.»
Marie-Agnès Crosnier, Le courrier des pays de l’Est
«La perestroïka embourbée»
CPE, n° 339, avril 1989, pp. 3-21
Une transformation
brutale
«Au cours de ces cinq dernières
années, l’histoire s’est brusquement
accélérée pour la Russie, au point que
le visage qu’elle présentait en 1991
s’est bien souvent effacé des mémoires.
D’où l’attente maintes fois exprimée à
l’Ouest qu’elle applique sans faille les
principes du jeu démocratique et les
règles de l’économie de marché, et
d’où la déception quand elle y déroge.
Or, et pour s’en tenir au domaine éco-
Le système économique
nomique, c’est oublier que ce payscontinent a entrepris dans un laps de
temps finalement très court des transformations phénoménales qui demeurent,
par leur ampleur, sans équivalent dans
l’histoire. Et, de fait, l’économie russe
de 1996, où la politique monétaire joue
un rôle crucial, où le secteur privé est
devenu prédominant, où le commerce
extérieur est le moteur de la croissance,
etc., a peu de choses à voir avec celle
de 1991, plongée dans le plus grand
désordre par la dislocation du corset de
fer de la bureaucratie centrale. Mais en
même temps, les diverses pathologies
engendrées par le système soviétique,
comme la corruption et la délinquance
économique de plus ou moins grande
envergure n’ont fait que s’aggraver
avec la transition vers le marché et
l’affaiblissement de l’Etat. Ce dernier,
en effet, qui ne remplit encore que très
imparfaitement ses fonctions intrinsèques (assurer la sécurité publique,
faire appliquer le droit, lever les impôts),
a, par ailleurs perdu une bonne part de
son pouvoir d’arbitrage avec la fusion
des intérêts du pouvoir et du capital.
C’est de ce bilan contradictoire que
jugeront les électeurs lors de la présidentielle du 16 juin 1996. […]
● Des méthodes contestées
Si l’entreprise de sabotage des réformes
a disparu avec le Soviet suprême en
septembre 1993, il n’en reste pas
moins que la transition continue de
faire l’objet d’un débat interne aussi
passionné en 1996 qu’aux premiers
jours de sa mise en oeuvre. Le principe
n’en est, certes, jamais remis en cause,
mais les méthodes employées sont
fortement contestées, car jugées complètement inadaptées à une économie
aussi atypique que celle de la Russie,
cette succession d’erreurs tactiques
risquant de déboucher sur une désindustrialisation du pays accompagnée
d’un chômage massif. Or, ce négativisme, relativement répandu dans la
classe politique et les milieux écono-
le courrier des pays de l’Est
miques, tranche radicalement avec
l’attitude bien plus conciliante de la
communauté internationale. L’aide à la
Russie, qui de bilatérale est devenue
multilatérale en 1992, a en effet été
bien souvent destinée, pour diverses
raisons géopolitiques, à confirmer le
soutien du monde extérieur à Boris
Eltsine au moment où celui-ci allait se
trouver confronté à des échéances importantes dans son pays. L’attribution par
le FMI en février 1996, à quatre mois de
la présidentielle, d’un crédit de 10,2 milliards de dollars au titre de la “facilité
de financement élargie” en est le dernier
exemple. […]
Mais l’aide financière de la communauté internationale à Boris Eltsine
pourrait bien être aussi une arme à
double tranchant, car, outre les soupçons
pesant sur son détournement, elle avive
le sentiment d’humiliation d’une population déjà meurtrie par la perte du
statut de grande puissance essuyée par
son pays. […]
● L’Etat prédateur
Le problème budgétaire de la Russie
tient moins à un excès de dépenses
qu’à la non-réalisation des objectifs
fixés en matière de rentrées fiscales.
[…] L’Etat n’engrange pas l’intégralité
de ce qui lui est dû. Les carences de
l’administration fiscale, ainsi que celles
de la police ad hoc censée l’épauler y
sont sans doute pour beaucoup, mais la
complexité d’un système comportant
une multitude d’impôts et taxes, pouvant
entraîner des taux cumulés élevés,
ainsi que des exonérations tout aussi
nombreuses et souvent taillées sur
mesure pour telle entreprise ou région,
est également en cause. Enfin et surtout,
les contribuables se montrent rétifs à
remplir leur devoir civique, considérant l’Etat comme un prédateur plutôt
que comme le premier responsable de
l’organisation de la vie économique et
sociale du pays.
17
N° 1046 novembre-décembre 2004
Un aussi mauvais recouvrement de
l’impôt traduit, à n’en pas douter, la
faiblesse des institutions fédérales, mais
aussi l’absence de consensus national
sur l’idée de l’Etat et des fonctions
collectives qu’il remplit. […]
Quand ils ont engagé les réformes, les
dirigeants de la Russie, pas plus que
leurs conseillers russes et occidentaux,
ne soupçonnaient que les conséquences
pourraient en être aussi douloureuses
pour la population. Personne non plus
n’envisageait qu’elles s’installeraient
aussi durablement et rien n’a été mis
en place pour amortir les chocs. Or, si
la population a supporté dans un premier
temps ces nouvelles épreuves, approuvant même, dans sa majorité, les changements en cours, il semble que désormais sa capacité de résistance soit bien
entamée. […] La reprise de l’inflation
en septembre 1994, alors qu’elle semblait
en voie d’être jugulée, la généralisation des retards dans le paiement des
salaires ont alors retiré au pouvoir
russe la confiance d’une majorité de
l’opinion. […]
Les conséquences des réformes n’ont
cependant pas toutes été entièrement
négatives pour les Russes. Ainsi, les
avantages acquis concernant le droit au
logement n’ont pas été remis en cause :
les loyers et charges n’amputent toujours qu’une très faible part du budget
des ménages, bien inférieure à celle
que leurs homologues occidentaux
consacrent à ces postes. De plus, la
possibilité a été donnée à tous les occupants de logements du secteur d’Etat
d’en devenir propriétaires à part
entière, moyennant le paiement de
droits modiques d’enregistrement. Les
autorités régionales et locales tentent,
par ailleurs, avec plus ou moins de
succès selon l’autonomie budgétaire
dont elles disposent, de protéger des
décisions les plus rigoureuses des autorités centrales une population qui
représente aussi et surtout un électorat.
18
Enfin, la vie quotidienne des Russes
s’est trouvée transformée du tout au
tout par la disparition des pénuries,
ainsi que par les nombreuses opportunités de consommer inconnues sous le
régime soviétique. Et les plus chanceux
auront fait des placements fructueux
avant que ne s’effondrent les sociétés
d’investissement fondées sur le dispositif de la pyramide.
● Une formidable capacité
d’adaptation
Mais tout cela est sans commune
mesure avec la formidable capacité
d’adaptation des Russes face au retrait
de l’Etat-providence et des employeurs
qui recourent de plus en plus au
chômage technique ou versent les
salaires avec plusieurs mois de retard.
Ainsi, quand ils le peuvent, ils recherchent un second emploi. Mais ils ne
présentent pas tous les conditions
requises, l’âge, le sexe, le niveau d’éducation et le lieu de résidence constituant autant de facteurs discriminants.
Une autre solution, pratiquée à une
bien plus grande échelle, conduit la
plupart des citadins à cultiver une
parcelle de terrain dont les produits
sont en priorité destinés à l’autoconsommation, mais peuvent aussi, le
cas échéant, être vendus au marché.
S’y ajoutent les “navettes” susceptibles
de rapporter ponctuellement des gains
substantiels et bien d’autres activités se
situant parfois à la limite de la légalité.
Enfin, la solidarité des parents et
proches permet souvent à ceux qui sont
moins bien armés pour faire face aux
conditions de cette nouvelle existence,
de conserver néanmoins une certaine
dignité.»
Marie-Agnès Crosnier, Le courrier des pays de l’Est
«Bilan économique de la présidence Eltsine 1991-1996»
CPE, n° 408, avril 1996, pp. 3-27
Le système économique
Le rattrapage,
un horizon lointain
pour les PECO
«C’était en 1989, au moment de la
commémoration du bicentenaire de la
Révolution française, que les peuples
polonais, hongrois, tchèque et slovaque,
est-allemand, roumain et bulgare, ont
renversé les régimes communistes,
opté pour la démocratie et l’économie
de marché, et pris le chemin de l’intégration à l’Union européenne (UE).
C’est dix ans, jour pour jour après la
réunification de l’Allemagne, que la
population serbe a, en octobre 2000,
fait à son tour sa révolution tranquille,
mettant, après neuf ans de guerres dans
l’ex-Yougoslavie, le point final à un
demi-siècle de communisme en Europe
centrale. […]
Quel bilan tirer des évolutions économiques, irrégulières et contrastées,
observées au cours de ces premières
années de transition dans les dix pays
candidats ? Quelles sont les perspectives à long terme pour ces pays ? A
quels horizons l’intégration au sein de
l’Union leur permettra-t-elle de rattraper
les niveaux de vie occidentaux, une
espérance majeure de leurs populations ? […]
● Trois groupes de pays
Les chiffres disponibles font clairement apparaître trois groupes de pays
qui ont connu des évolutions très différentes au cours de ces dix dernières
années. Tous sont passés par une phase
de forte chute d’activité après les
changements politiques de 1989-1990
et l’effondrement du système d’économie centralisée ; mais la dépression a
été plus ou moins profonde selon les
pays, et certains en sont sortis plus vite
et dans de meilleures conditions que
d’autres.
le courrier des pays de l’Est
Cinq pays au contact direct de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie, la
Pologne, la République tchèque, la
Slovaquie, la Hongrie et la Slovénie,
sont apparus très tôt dans la situation la
plus favorable. Leur voisinage avec les
pays de l’Union leur a permis de
réorienter rapidement leurs échanges
extérieurs vers l’Ouest, et les a aidés
à mettre en œuvre efficacement les
réformes nécessaires à la renaissance
ou au développement de l’économie de
marché. Le point bas de la dépression a
été atteint dès 1991 en Pologne, en
1992 ou 1993 dans les quatre autres
pays, avec des niveaux d’activité inférieurs de 20 % environ aux maxima
atteints en 1988-1989. La nouvelle
croissance s’est engagée dès 19921993. Elle a atteint depuis un rythme
élevé, de 5 à 7 % par an en Pologne, de
4 à 6 % pour les autres, sauf pour la
République tchèque qui a connu une
récession en 1997-1998. Les cinq pays
ont à présent retrouvé ou dépassé leur
niveau d’activité de 1988-1989, parfois
très largement (+ 30 % pour la Pologne).
Deux pays plus excentrés par rapport à
l’Union, la Roumanie et la Bulgarie,
ont éprouvé davantage de difficultés
pour libéraliser et privatiser leur économie, accomplir les réformes institutionnelles nécessaires, attirer les investisseurs et trouver de nouveaux partenaires commerciaux à l’Ouest. En
conséquence, la dépression y a été plus
marquée, le volume de leur PIB
chutant d’un tiers entre 1988 et 1992.
Un redémarrage s’est amorcé, mais il a
été immédiatement suivi d’une rechute
en 1996 en Bulgarie et en 1997 en
Roumanie : aux effets de politiques
hésitantes en matière de réformes se
sont ajoutés ceux de la dépression
prolongée et des crises financières en
Russie et en Ukraine, ainsi que les
conséquences de la guerre dans l’exYougoslavie. L’activité économique
était ainsi retombée, en 1999, à un
niveau inférieur pour la Bulgarie, équi-
19
N° 1046 novembre-décembre 2004
valent pour la Roumanie au point bas
de la dépression atteint en 1992, avant
qu’une nouvelle reprise ne s’amorce en
2000.
Enfin les trois Etats baltes (Estonie,
Lettonie et Lituanie) ont, eux aussi,
connu des évolutions marquées par la
géopolitique et l’histoire particulière
de la région. Ils ont commencé récemment à bénéficier de leur proximité de
la Suède et de la Finlande (membres de
l’UE depuis 1995) ainsi que de la
Pologne et de l’Allemagne, mais leur
économie est néanmoins restée très
influencée par leurs relations avec la
Russie : c’est pourquoi la chute d’activité
a été très profonde, de 40 à 50 % entre
1989 et 1993. La reprise s’est amorcée
depuis 1995, encore hésitante, avec un
ralentissement en 1998-1999 sous l’effet
de la crise financière russe, suivi d’un
nouveau démarrage en 2000. […]
Il apparaît que les pays candidats ont
largement réussi à rétablir leurs grands
équilibres après les crises des premières
années : l’inflation a partout été ramenée
à moins de 10 % par an, sauf en
Roumanie où elle atteignait encore
40 % en 2000, et elle poursuit sa
baisse ; les déficits publics ont été
contenus et sont inférieurs à 5 %, voire
3 % du PIB ; l’endettement public a
été réduit dans tous les pays à moins de
40 ou 50 % du PIB (sauf encore en
Bulgarie) ; l’endettement extérieur est
stabilisé à des niveaux normaux (de
l’ordre de 40 % du PIB en général),
bien que la croissance se soit accompagnée dans tous les pays d’une augmentation des importations plus prononcée
que celle des exportations. Bref, plusieurs des pays candidats, en particulier ceux du premier groupe mentionné
plus haut (Pologne, République tchèque,
Slovaquie, Hongrie, Slovénie), apparaissent susceptibles dans un avenir
assez proche de respecter les critères
de Maastricht, ce qui devrait leur
permettre d’entrer dans la zone euro
assez rapidement après leur adhésion.
20
Par ailleurs, les privatisations, élément
clé pour l’instauration d’une économie
de marché à l’européenne, ont partout
progressé rapidement en dépit des
résistances politiques et de divers autres
problèmes : la part du PIB produite
par le secteur privé semble à présent se
stabiliser à un niveau de l’ordre de 70
à 80 % dans la plupart des pays, la
Roumanie et la Slovénie faisant figure
de retardataires avec une part comprise
entre 50 et 60 %. […]
● Un scénario de convergence
après l’élargissement
A quels rythmes devraient croître les
économies des pays candidats pour
rattraper dans un délai raisonnable les
niveaux de richesse de l’actuelle Union
à quinze ?
Dans le premier groupe des cinq pays
limitrophes de l’UE, le rattrapage économique, amorcé depuis 1993 à partir
de niveaux relativement élevés, pourrait venir à terme vers 2015-2020. La
Slovénie, déjà apparemment aussi
riche que le Portugal ou la Grèce,
pourrait voir son revenu par habitant
rejoindre la moyenne communautaire
dès 2010-2015 ; la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie feraient
de même entre 2020 et 2025 ; la
Pologne, partant d’un niveau moyen
plus bas, ne rejoindrait les autres pays
que vers 2030.
Dans les trois Etats baltes, en raison
d’un démarrage plus tardif et d’un plus
faible niveau de départ, le mouvement
de rattrapage pourrait difficilement
s’achever avant 2025-2030.
En Roumanie et en Bulgarie, enfin,
les revenus moyens sont restés à un
niveau très bas après la rechute de
1996-1997 : même en supposant que la
reprise amorcée en 2000 se prolonge
par une longue période de croissance
de plus en plus forte, il ne semble pas
raisonnable de penser que le PIB par
habitant puisse rejoindre la moyenne
●
●
●
Le système économique
communautaire avant les années 20302035. […]
Le rideau de fer a disparu de la carte
politique, mais sa trace se lira longtemps encore sur la carte économique
dans les écarts importants des richesses
relatives. En 2000, les 105 millions
d’habitants des dix pays candidats
représentaient 28 % de la population
des Quinze, mais leurs PIB (370 milliards d’euros évalués aux taux de
change courants) 4,5 % seulement du
PIB global de l’UE. En raison de ce
décalage, des montants d’aide, faibles
au regard du budget de l’Union, auront
un fort impact en termes de points de
croissance supplémentaires pour les
bénéficiaires. Les seules “aides préadhésion” des fonds Phare, Ispa et
Sapard vont apporter en moyenne aux
économies des dix pays candidats près
de 1 % de PIB supplémentaire chaque
année, alors que leur coût représentera
seulement 0,04 % du PIB total de
l’UE, et à peine plus de 3 % du budget
communautaire. Mais encore faut-il,
bien sûr, que les montants d’investissements programmés soient effectivement engagés, puis décaissés pour que
puissent être lancées les myriades de
projets conçus par les autorités des
pays candidats, avec l’accord et parfois
l’assistance de leurs correspondants
des institutions européennes.»
Michel Gaspard, chargé de mission au ministère
de l’Equipement, des Transports et du Logement,
ancien Conseiller pré-adhésion en Hongrie
«L’intégration des PECO. Scénario pour l’avenir»
CPE, n° 1014, avril 2001, pp. 4-14
Une économie
en reconstruction
«L’économie russe, avec la crise de
1998, était arrivée au terme de sa
première étape de transformation.
Cette première phase reposait sur un
objectif et une philosophie quasi exclusifs : briser la colonne vertébrale du
le courrier des pays de l’Est
système soviétique afin de rendre
impossible tout retour en arrière. Si
l’opération a été réussie, elle a entraîné
à sa suite l’ensemble de l’économie et
de la sphère sociale, laissant un pays
largement désemparé. Largement, mais
pas totalement. La déflagration de
1998, qui a, tout à la fois, sanctionné le
succès de la politique de stabilisation
macroéconomique et mis en évidence
ses limites a, en effet, ouvert la porte à
une seconde période de réformes : la
reconstruction après la phase de
“nettoyage”.
Trois grands facteurs se sont alors
conjugués pour faire du mandat du
président Poutine une période propice
pour l’avancée des réformes structurelles. Le premier est lié à l’héritage
légué par ses prédécesseurs. La décennie
1990 avait ainsi permis d’entamer
largement le chantier de la restructuration. […] Le deuxième facteur favorable
aux réformes, directement lié au
premier, a tenu à une conjoncture
macroéconomique exceptionnelle pendant quatre ans. Le “coup de pouce”
offert par l’environnement extérieur,
avec des prix du pétrole et des matières
premières exceptionnellement élevés
pendant toute la période, sera ainsi
venu s’ajouter aux effets de la dévaluation pour autoriser et amplifier le
rebond de l’économie russe. Le troisième facteur est lié au contexte politique. Le président Poutine a bénéficié,
dès son élection, d’une Douma recomposée, relativement docile et favorable
aux réformes, ce qui n’était pas le cas
pour les gouvernements précédents.
Même s’il n’a pas été univoque et sans
réserve, le soutien des parlementaires
s’est révélé efficace tout au long de la
période. S’appuyant sur cette base solide,
V. Poutine a entrepris de s’affranchir
progressivement des groupes de pression
qui avaient contribué à son élection,
mais qui disposaient d’un pouvoir
d’interférence élevé sur le processus de
décision politique. […]
21
N° 1046 novembre-décembre 2004
Le processus de réformes structurelles
aura donc bel et bien bénéficié d’une
volonté politique relativement claire
tout au long du mandat Poutine et un
grand nombre d’évolutions auront
effectivement été concrétisées. Pourtant, dans le même temps, les observateurs demeurent souvent suspicieux,
arguant du faible impact des mesures
adoptées sur les structures et les règles
du jeu économique en Russie. En
d’autres termes, la première présidence
de V. Poutine se serait résumée à un
travail de fourmi législatif, évitant
soigneusement de toucher les thèmes
sensibles susceptibles de mettre en jeu
des intérêts bien établis.
L’observation démontre que, lorsque
de réelles avancées ont été effectuées,
trois ingrédients étaient réunis : une
nécessité de faire évoluer des structures
inadaptées (régime fiscal pesant et
complexe, impossibilité de financer les
retraites, absence de stimulant au développement de l’agriculture, ...) ; le
dégagement d’un consensus suffisant
parmi les principaux groupes de pression (élites économiques, administratives, et régionales, institutions financières internationales et, dans une
moindre mesure, opinion publique) ;
un accord global sur la marche à suivre
(baisse de la pression fiscale, introduction d’éléments de capitalisation dans
le régime de retraites, nécessité de
permettre les transactions sur les terres
agricoles comme condition au développement du secteur).
● Un goût d’inachevé
Dresser un bilan des réformes sous la
présidence Poutine s’avère un exercice
malaisé. En termes purement quantitatifs, celui-ci se révèle incontestablement positif, les parlementaires ayant
adopté trois fois plus de textes de lois
qu’au cours des législatures précédentes.
En termes de contenu, il apparaît éga-
22
lement encourageant. Certes, aucun
chantier n’apparaît pleinement abouti,
mais la plupart ont fait l’objet d’avancées concrètes, généralement dans le
sens souhaité tant par les institutions
financières internationales que par les
observateurs indépendants. Qui plus
est, il eût été utopique de penser que
des problématiques aussi complexes
puissent se résoudre sans heurts et sans
débats, quelles que soient la volonté
politique et l’efficacité des instruments
aux mains des autorités.
Il demeure que le processus laisse un
goût d’inachevé. Plus précisément, à la
question de savoir si les réformes
structurelles menées par le président
Poutine ont favorisé une véritable
transformation de l’économie russe, la
plupart des observateurs sont tentés
aujourd’hui de répondre par la négative. Structurellement, celle-ci reste, en
effet, largement conforme au modèle
rentier exportateur qui s’est progressivement mis en place dans les années
1990 : prépondérance des secteurs de
matières premières et de produits énergétiques (40 % de la production industrielle, 80 % des exportations, 70 % de
l’investissement, 50 % des recettes
fiscales), d’où une forte exposition aux
aléas de la conjoncture internationale ;
indigence des secteurs de transformation (10 % seulement de la production
industrielle totale), de ceux à forte
valeur ajoutée et des petites et moyennes
entreprises (leur nombre n’a pas
progressé depuis quatre ans et stagne
autour de 1 million, pour l’essentiel
dans le tertiaire) ; creusement des inégalités entre une élite très fortunée et
une grande majorité en butte à des
conditions de vie précaires ; concentration des leviers de contrôle économiques et politiques ; faible compétitivité internationale, etc. […]
Dans le même temps, le visage qu’offre
la Russie apparaît, à bien des égards,
très différent de celui d’avant la crise :
Le système économique
assainissement de la situation, mais
aussi des procédures budgétaires et
monétaires ; amélioration du climat
des affaires ; maîtrise de la situation
financière globale ; quasi-disparition
des pratiques de troc et d’impayés ;
renforcement de l’efficacité du proces-
le courrier des pays de l’Est
sus de décision favorisant la complémentarité des relations économiques
sur l’ensemble du territoire, etc.»
Gilles Walter, économiste
«Tour d’horizon. Les réformes économiques en Russie»
CPE, n° 1038, septembre 2003, pp. 14-23
Pour plus d’informations lire
dans Le courrier des pays de l’Est
Michel Lesage, Georges Sokoloff, Jean-Pierre Saltiel, «La réforme de la gestion de l’économie soviétique», n° 40, 4 novembre 1965, pp. 5-47.
Georges Sokoloff, Gérard Wild, «Intégration économique et tensions politiques en Europe
orientale», n° 114, février 1969, pp. 49-74.
Claude Bornecque, Georges Sokoloff, «La Hongrie, économie ouverte», n° 135, novembre
1970, pp. 57-73.
«Une interprétation historique des crises récentes de l’économie tchécoslovaque», n° 160,
février 1973, pp. 5-18.
Françoise Lemoine, avec la coll. de Wilhelm Jampel, «Les nouvelles tentatives de la
réforme économique en Pologne», n° 164, juin 1973, pp. 7-15.
Chantal Beaucourt, Marie-Agnès Crosnier, Wilhelm Jampel, «Les réaménagements du
mécanisme économique en Union soviétique et en Europe orientale», n° 242, juillet-août
1980, pp. 3-55.
Gérard Duchêne, «Une nouvelle approche des économies de type soviétique», n° 224,
octobre 1980, pp. 41-54.
Thomas Schreiber, «Pouvoir politique et réforme économique en Hongrie», n° 254,
septembre 1981, pp. 4-10.
Xavier Richet, «La réforme des prix de 1980 en Hongrie», n° 254, septembre 1981, pp. 29-39.
Marie-Agnès Crosnier, «Bilan des années 1981-1985 en URSS : l’immobilisme», n° 304,
mars 1986, pp. 5-26.
Gérard Wild, «Perspective de croissance en Europe de l’Est et commerce avec l’Ouest»,
n° 309-310-311, août-septembre-octobre 1986, pp. 276-296.
Marie-Agnès Crosnier, «Russie 1992 : le saut dans l’inconnu», n° 368, avril 1992, pp. 3-27.
Christophe Leonzi, «La transition économique dans les Etats baltes, une marche à trois
temps vers l’Occident», n° 403, octobre 1995, pp. 3-16.
Daniel Gros, «Quel système économique pour l’Europe du Sud-Est après la guerre ?»,
n° 444, novembre 1999, pp. 66-78.
Marie-Agnès Crosnier, «Réformes économiques. Des dérapages à l’embardée», n° 1004,
avril 2000, pp. 39-55.
Arnaud Mehl, «Les systèmes bancaires dans les PECO. Etat des lieux au terme de dix ans
de transition», n° 1009, octobre 2000, pp. 48-63.
Philippe Perret, «La réforme économique en Russie. Deuxième étape de la transition»,
n° 1015, mai 2001, pp. 35-50.
23
N° 1046 novembre-décembre 2004
Fragmentations
et recompositions
Allemagne, Tchécoslovaquie,
Yougoslavie, URSS
L’ordonnancement du continent européen
a changé avec l’effondrement des régimes
communistes, bouleversant radicalement
le paysage territorial et politique de ce
qui fut l’Europe de l’Est. L’Allemagne
s’unifia, alors que trois fédérations
implosaient − la Tchécoslovaquie
pacifiquement, la Yougoslavie sous
l’effet des conflits armés et l’URSS sous
la pression des revendications
indépendantistes des républiques qui la
composaient. L’URSS et la Yougoslavie
se distinguaient par la présence de
diverses «nationalités», et deux nations
cohabitaient sur le territoire
tchécoslovaque. A contrario, l’Allemagne
fut divisée en deux Etats qui abritaient le
même peuple.
La disparition du rideau de fer − frontière
idéologique − a conduit à l’unification
d’un pays et à celle du continent européen, tout en permettant l’apparition
d’Etats souverains par la transformation
des frontières intérieures des anciennes
fédérations en frontières internationales.
Les mouvements simultanés d’unification
et de fragmentation ont ainsi profondément
modifié non seulement la donne
européenne, avec une Allemagne agrandie
dans une Europe élargie et différenciée,
mais également ce qui fut une aire
politique intégrée après l’incorporation
dans le bloc communiste, au lendemain de
la Seconde Guerre mondiale, de toute une
série de pays.
24
Alors clés de voûte de l’ordre européen, les
deux Allemagnes, ayant progressivement
acquis au sein de chaque camp une
certaine puissance, avaient des intérêts
qui leur étaient propres. Depuis
la signature de l’accord de Berlin du
20 septembre 1951, leurs relations
économiques ont ainsi suivi une logique,
plus sensible aux méandres des politiques
intérieures de chaque Etat qu’aux à-coups
des relations Est-Ouest. Ces échanges
mutuels ont procuré des bénéfices
économiques pour la RDA, et répondaient
à des intérêts politiques pour la RFA. Ce
modus vivendi dominé par le pragmatisme
a permis à Berlin-Est de profiter notamment
de la technologie occidentale pour rester
compétitive sur les marchés internationaux,
mais a également donné la possibilité à
ses citoyens d’améliorer leur niveau de vie.
Pour Bonn, le commerce avec «l’autre»
Allemagne faisait partie de la
Deutschlandpolitik : obtenir, par la voie
économique, un rapprochement entre les
deux Etats, voire permettre à la RDA
d’adopter certains aspects des économies
occidentales. Néanmoins, l’unification
allemande, le 3 octobre 1990, s’est révélée
très coûteuse à bien des égards, mettant
en exergue les difficultés de l’intégration
de deux économies de types aussi différents.
Aux frontières orientales de l’Allemagne,
un autre pays connaissait de fortes
tendances centrifuges. Jusqu’aux débuts
des années 1990, le problème national
Fragmentations et recompositions
tchéco-slovaque n’avait pas attiré
l’attention des capitales occidentales ;
celles-ci furent donc fort surprises de
constater, après l’effondrement du
communisme, à quel point les Slovaques
aspiraient non seulement à affirmer leur
identité, mais aussi à rééquilibrer leurs
relations avec les Tchèques au point de
soulever la question du maintien de l’Etat
commun. Depuis les origines de ce dernier
(1918), le dualisme tchéco-slovaque, porté
par des différences historiques, culturelles,
religieuses et économiques est en fait resté
intact. Sous la Première République
(1918-1939) comme au cours de la
période communiste, les Slovaques eurent
le double sentiment d’être écartés du
processus de décision et de ne pas recevoir
ce qui leur était dû des ressources
allouées par le gouvernement central.
Les Tchèques, de leur côté, se refusèrent
longtemps à admettre l’approche slovaque
et à renoncer au principe supra-national.
A partir de 1990, l’Etat tchécoslovaque
s’est déconstruit de manière pacifique et
négociée, jusqu’à ce que soit entérinée sa
dissolution au 31 décembre 1992.
Les bouleversements dans le bloc
soviétique ont également révélé à la
communauté internationale la grande
précarité de l’union des «Slaves du Sud»
qui s’est enfoncée dans une lente crise de
légitimité après la mort de Tito (1980) :
non seulement l’illusion d’une voie
particulière du socialisme s’est dissipée,
mais le principe d’une entité étatique
fondée sur une communauté de destin
«yougoslave» a été balayé par les
nationalismes. Les tendances centrifuges
furent toujours latentes dans la société
yougoslave et les disparités de
développement ont contribué à exaspérer
les conflits nationaux. Enfin, la dislocation
de la Yougoslavie socialiste (1989-1991)
s’est accompagnée de violences extrêmes
qui ont conduit l’Europe à s’interroger
sur sa capacité d’agir, alors que les Etats
le courrier des pays de l’Est
successeurs, une fois leur souveraineté
et leur identité confirmées, aspirent
à se rapprocher de l’Union européenne.
En URSS, le changement est venu d’en
haut et les chances de réussite dépendaient
de la possibilité de dissocier la réforme
du système de celle de l’empire. Mais de
l’Arménie à la Baltique, la glasnost a fait
ressurgir non seulement les aspirations
démocratiques mais également les
revendications nationales. Le pouvoir
central soviétique chercha un temps à
imaginer des modalités de réorganisation
de l’URSS et à définir de nouveaux types
de liens avec les républiques fédérées.
Mais il était déjà trop tard et on assista à
la «parade des souverainetés» de la part
des différentes républiques qui, les unes
après les autres, autoproclamèrent leur
indépendance. La faillite du système
apparut alors d’autant plus éclatante que
le pays le plus vaste, le plus peuplé, le
plus riche en ressources naturelles et le
plus puissant du système communiste
européen, l’URSS, avait cessé d’exister en
décembre 1991 «en tant que sujet de droit
international et réalité géopolitique», au
profit de quinze Etats très dissemblables,
dont douze se sont regroupés au sein de la
Communauté des Etats indépendants
(CEI).
Allemagne :
de la division à l’unité
«Le 13 août 1961 marque un tournant
dans l’histoire économique de la République démocratique allemande. Ce
jour-là, la RDA, décida d’établir à la
limite du secteur oriental et des secteurs occidentaux de l’ancienne capitale allemande “un contrôle, comme il
est d’usage aux frontières de tout Etat
souverain”.
La construction du “Mur de la honte” a
mis fin à l’hémorragie démographique
25
N° 1046 novembre-décembre 2004
qui vidait peu à peu l’Allemagne de
l’Est de sa substance. […] La RDA,
surgie du néant est devenue grâce à son
industrie un des grands pays d’Europe
centrale. Mais en raison de sa situation
particulière, elle demeure pour beaucoup − et pas seulement pour les
Allemands de l’Ouest − un pays artificiel, de plus en plus conscient de son
isolement.»
Thomas Schreiber, journaliste à Radio France
Internationale
«L’économie de l’Allemagne orientale»
CPE, n° 12, 9 septembre 1964, pp. 21-32
● Une coupure nette...
«L’analyse des faits nous a accoutumés
depuis longtemps à voir dans les deux
Allemagnes deux Etats profondément
séparés. Leurs institutions politiques et
sociales en font depuis plus de 20 ans
les représentants de deux types de
communautés nationales aux caractéristiques distinctes, sinon opposées.
Chacune, nolens volens, s’est intégrée
très rapidement aux deux camps européens constitués au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, en suivant
assez fidèlement les mouvements mis
en branle par les deux puissances
dominantes à l’intérieur de chaque
bloc. Les institutions, de même que les
politiques économiques se sont rapidement différenciées et ont progressivement donné naissance à deux économies qui, sans renier les structures
héritées, ont accompli des progrès et se
heurtent à des difficultés semblables à
celles des pays se réclamant de l’un ou
l’autre des deux systèmes.
● ... mais un cadre d’échanges
privilégiés...
En dépit de tous les aléas de la
conjoncture politique internationale,
un “pont” a été maintenu entre les deux
parties de l’Allemagne. Créé pour
respecter une donnée historique, et
traduit au niveau des institutions par
26
une convention internationale (l’accord
de Berlin), il a servi en particulier les
objectifs politiques et économiques
que les dirigeants de chaque “Etat” se
sont fixé l’un vis-à-vis de l’autre au
moment de la séparation. […]
Mais servant les intérêts des deux
Allemagnes dans la partie qu’elles
jouent l’une vis-à-vis de l’autre, les
réglementations issues de l’accord de
Berlin leur permettent en même temps
de bénéficier, par rapport à leurs partenaires respectifs, d’avantages économiques particuliers. Longtemps, les
ambiguïtés que le développement des
échanges interallemands pouvait comporter furent sinon négligées, du moins
éludées. Mais l’évolution politique et
économique des Allemands au cours
des années récentes suscite, de plus en
plus, des interrogations. Certains, non
contents de se livrer à des estimations
chiffrées des avantages relatifs que
retirent la RFA et la RDA de leur
commerce, vont jusqu’à émettre des
hypothèses sur leur éventuelle unité
d’action.
Nos propres recherches n’ont pas
permis de confirmer ces supputations.
[…] S’il est vrai qu’au travers des opérations de coopération ou par le biais
d’initiatives individuelles, certains
transferts de technologie peuvent
s’effectuer entre les deux Allemagnes,
le volume sinon caché du moins non
comptabilisable des échanges ne
saurait être tel qu’il puisse modifier les
conclusions de notre analyse. […] En
tout état de cause, on voit que l’analyse
des échanges interallemands débouche
sur un […] aspect, qui dépasse le
simple plan de l’économie : elle révèle
en effet combien les “démons” qui
habitent l’Europe depuis plus d’un
siècle restent encore à exorciser. […]
La montée des deux Allemagnes sur
les deux scènes économiques européennes a réveillé de chaque côté de la
frontière entre les deux blocs les senti-
Fragmentations et recompositions
ments profondément ancrés de méfiance
teintée de crainte, non seulement vis-àvis de chacune d’elle mais aussi vis-àvis d’un “projet germanique” qui pourrait renaître de ses cendres.»
Gérard Wild, Groupe d’études prospectives sur les
échanges internationaux (CNCE)
«Miracles” allemands et ”démons” européens»
CPE, n° 147, décembre 1971, pp. 38-64
● ... reconnu par la CEE
«Les échanges commerciaux et la facilité de règlement sont les principes de
base des échanges économiques entre
les deux Allemagnes […], régis par
l’accord de Berlin du 20 septembre
1951, intégré sous forme de protocole
dans les traités de Rome de 1957,
créant la CEE. Il s’applique aussi aux
échanges avec Berlin-Ouest. […] Les
échanges entre les deux Allemagnes
restent libres et sont réglés sur la base
de la parité monétaire (1 deutsche
mark = 1 Ostmark). Les paiements sont
effectués en clearing entre la Bundesbank de RFA et la Staatsbank de RDA.
Les deux pays peuvent, en outre, tirer à
découvert sur leur comptes clearing
respectifs, selon le principe du swing,
jusqu’à un certain montant fixé à
l’avance entre les deux pays. Le crédit
swing est donc une sorte de crédit
gratuit permanent. Depuis 1958, la RDA
a aussi la possibilité, ce qu’elle fait
rarement, de régler comptant et en
devises convertibles ses achats à la RFA.
Ce type d’opération est comptabilisé
sur un compte spécial, le“compte S”.
En outre, le commerce interallemand
comporte plusieurs avantages fiscaux
accordés par la RFA. Les produits estallemands entrent en franchise en
République fédérale. Les échanges
agricoles ne sont pas soumis aux
montants compensatoires fixés par la
CEE. Les importateurs et les exportateurs ouest-allemands qui commercent
avec la RDA bénéficient d’un allègement des taxes sur le chiffre d’affaires.
le courrier des pays de l’Est
● Compromis politiques
Les relations économiques entre les
deux pays sont en fait très complexes.
Elles englobent en effet, outre les axes
classiques − le commerce et la coopération −, des domaines particuliers : les
relations financières, les communications, le rachat des personnes(1), BerlinOuest. […]
Les relations économiques entre les
deux pays ont été bâties sur une série
de compromis politiques qui ont peu à
peu favorisé leur développement.
D’entrée de jeu, la construction du mur
de Berlin, en 1961, manifestation la
plus concrète de la politique de
“démarcation” (Abgrenzung) de la
RDA, semblait ôter tout espoir de voir
s’améliorer les relations entre les deux
pays. Celui-ci renaît néanmoins avec la
formule d’Egon Bahr(2) qui préconise
“le changement par le rapprochement”,
notamment économique. Cette idée
ouvre la voie à la proposition de Willy
Brandt, en octobre 1969, de négocier
sur la base du principe “deux Etats, une
nation”. Celle-ci aboutit à la signature
du Traité fondamental (Grundlagenvertrag) en décembre 1972, qui normalise les relations entre les deux
Allemagnes. Depuis, “la petite détente
interallemande” n’a traversé aucune
crise grave, même lorsque la tension
Est-Ouest a repris à partir de 1979. En
pleine crise des euromissiles, la RDA
continue d’obtenir d’importants crédits
ouest-allemands. L’arrivée de Mikhail
Gorbatchev au pouvoir en URSS en
1985 ouvre ensuite la voie à un nouvel
apaisement des relations Est-Ouest, ce
qui permet aux deux Allemagnes de
manifester plus clairement leur entente.
On aboutit ainsi à la visite d’Erich
Honecker à Bonn en septembre 1987,
soit cinq ans après le début de l’accélération de la politique de rapprochement
qu’on observe en RFA depuis l’arrivée
au pouvoir du chancelier H. Kohl, en
1982.
27
N° 1046 novembre-décembre 2004
Les relations économiques interallemandes qui ont suivi à peu près l’évolution de l’ensemble du commerce
Est-Ouest jusqu’à la fin des années
soixante-dix, semblent s’émanciper
dans les années quatre-vingt pour obéir
à une logique propre aux relations
interallemandes. Les difficultés économiques intérieures de la RDA provoqueront dans la deuxième moitié des
années quatre-vingt un affaissement
des échanges.
● Le «moteur» ouest-allemand
Cependant, les échanges se développent
sous le contrôle permanent des deux
Etats pour des raisons parfois économiques, et, le plus souvent, politiques.
En RDA, les échanges avec la RFA,
qui font partie du commerce extérieur,
sont un monopole d’Etat. L’Etat estallemand est soucieux de son indépendance vis-à-vis de la RFA. […]
Le gouvernement ouest-allemand tient,
en effet, à conserver un regard attentif
sur les échanges avec l’autre Allemagne.
En RFA, toute entreprise qui souhaite
effectuer des opérations commerciales
avec la RDA doit obtenir une licence.
[…] Conformément aux objectifs de
réunification inscrits dans la Loi fondamentale (Grundgesetz), le gouvernement fédéral considère qu’il existe
un espace économique panallemand
regroupant les deux républiques. Le
commerce interallemand appelé “commerce intra-allemand” (innerdeutscher
Handel) n’est pas considéré comme
faisant partie du commerce extérieur et
n’est donc pas compris dans les statistiques du commerce international de la
RFA. Il est comptabilisé à part dans
des statistiques qui font état des “livraisons” (Lieferungen) et des “fournitures” (Bezüge) et non pas des “exportations” et des “importations”. Notons
enfin, que les échanges inter-allemands
n’échappent pas, en principe, aux règles
du COCOM limitant les transferts de
technologie. […]
28
La diminution du commerce interallemand est apparue simultanément à un
ralentissement de la croissance économique en RDA […]. Relancer les
échanges avec la RFA pouvait être un
moyen de soutenir la croissance. Mais
les contraintes économiques entraient
en contradiction avec les contraintes
politiques de la RDA qui a toujours
souffert de “l’attraction d’un voisin
libre et prospère”. Le resserrement des
liens économiques avec la RFA a
toujours été ressenti en RDA comme la
source de problèmes sociaux. La preuve
que ces craintes étaient fondées a été
fournie de manière spectaculaire par
l’émigration importante des Allemands
de l’Est vers la RFA durant l’été
1989.»
Sigolène Brisou, Le courrier des pays de l’Est
«Les relations économiques RFA-RDA :
un état des lieux»
CPE, n° 344, novembre 1989, pp. 25-34
● Le choc de l’unification
allemande
«Au début de l’année 1989, les autorités est-allemandes présentaient encore
la RDA comme la dixième puissance
industrielle du monde. Après le
9 novembre 1989, date de la chute du
mur de Berlin, chacun s’accordait à
dire que l’économie de ce pays était au
bord du gouffre. […]
C’est entre autres la conviction que
l’économie est-allemande restait solide
et bien structurée par rapport aux autres
pays est-européens englués dans des
déséquilibres économiques graves qui
poussa E. Honecker à refuser toute
perestroïka de l’économie de son pays.
Il ira même en 1987 jusqu’à offrir à
M. Gorbatchev, lors d’un séjour de ce
dernier à Berlin-Est, une puce électronique en témoignage du haut niveau
technologique de la RDA. En fait, et la
chute du mur permettra de le vérifier,
les chiffres qui pendant des années ont
illustré le miracle est-allemand étaient
bien souvent surestimés. L’intention
Fragmentations et recompositions
n’était-elle pas de montrer une dynamique économique comparable à celle
du voisin ouest-allemand ? […]
L’écart entre les deux Allemagnes,
aussi bien dans le niveau de vie que
dans la production, pose, depuis la
chute du mur, le problème de la mise à
niveau des cinq Länder est-allemands.
Les statisticiens allemands se sont mis
à leurs machines pour calculer le coût
de la mise à niveau : 500 à 1 200 milliards de DM selon les sources pour la
reconstruction des infrastructures (routes,
ponts, chemins de fer, aéroports et télécommunications), la protection de
l’environnement, la modernisation des
industries et la protection sociale.»
Daniela Heimerl avec la collaboration
d’Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est
«L’ex-RDA vers l’économie de marché :
une voie inexplorée»
CPE, n° 356, janvier 1991, pp. 30-52
● Les conditions de l’intégration
«La chute du mur de Berlin, les migrations Est-Ouest et les résultats des
premières élections législatives libres
de 1990 ont été à l’origine d’une réunification extrêmement rapide qui a valu
cependant aux deux Allemagnes des
lendemains difficiles. Les choix effectués
lors de l’union [monétaire, économique et sociale] en matière de conversion et les négociations salariales,
qui ont eu lieu parallèlement, ont été
dommageables à l’économie réelle et
aux travailleurs est-allemands. […]
Le choix de la conversion ne pouvait
satisfaire à toutes les exigences (de
parité de pouvoir d’achat, de parité de
productivité et de compétitivité des
entreprises). Il existait d’importants
conflits d’objectifs. Face au vide théorique et à toute référence pour calculer
un taux de conversion d’équilibre, les
Allemands ont “improvisé”. Dans ces
conditions, il semble que l’on ait largement surestimé la richesse et le potentiel de la RDA. […]
le courrier des pays de l’Est
L’arbitrage effectué par le pouvoir
politique allemand en 1990 a privilégié
la dimension sociale et politique au
détriment des considérations économiques et financières, ce qui a contraint
la Bundesbank à adopter une politique
monétaire extrêmement rigoureuse afin
de faire face aux tensions, voire à un
dérapage de l’inflation. Par ailleurs, les
variables prix/salaires n’ayant pas joué
leur rôle, l’essentiel de l’ajustement a
été reporté sur la sphère réelle et financière. Enfin, l’ex-RDA n’a pas bénéficié des apports d’investissement étrangers attendus si bien que la croissance
tarde à décoller et que le chômage est
devenu massif. Sur le plan financier,
les répercussions sont considérables :
le coût de l’union ne cesse de croître et
les Länder de l’Ouest de se cotiser
pour les Länder de l’Est, sans que cette
partie de l’Allemagne connaisse une
envolée de croissance. […]
Malgré le déversement chaque année
de plus de la moitié de l’équivalent du
PIB français dans les nouveaux
Länder, les disparités entre les deux
parties de l’Allemagne sont encore
importantes. Et il semble que leur
convergence totale soit repoussée aux
calendes grecques.»
Thierry Cailleau, Université d’Angers
«Réunification allemande :
le choc de l’union monétaire»
CPE, n° 444, novembre 1999, pp. 52-65
De l’originalité slovaque
au divorce
tchécoslovaque
«Pendant des années […], la Slovaquie
fut à la pointe du combat contre
M. Novotny(3), alors que les Tchèques
semblaient passifs. Les journaux publiés
à Bratislava avaient à faire à une
censure beaucoup moins tatillonne que
celle de Prague. […] Le libéralisme s’y
épanouissait ces dernières années parce
que les intellectuels et la population
29
N° 1046 novembre-décembre 2004
entendaient marquer leur originalité
(c’était presque une forme de la revendication nationale). Et aussi parce que
A. Dubcek dirigeait le Parti communiste de cette région. […]
N’ont-ils pas conscience aujourd’hui
d’avoir atteint leur objectif ? Maintenant
qu’un des leurs est à la tête du pays, ils
vont recevoir les investissements qu’ils
réclamaient et la nouvelle Constitution,
qui doit être proclamée en octobre pour
le cinquantième anniversaire de la
Tchécoslovaquie, établira un Etat fédéral, avec égalité des nationalités. […]
L’expérience actuelle confirme donc
que les contrastes entre Slovaques et
Tchèques subsistent en dépit des changements de régime et de politique. On
se demande même parfois si ce n’est
pas un facteur d’équilibre pour le
pays.»
Article non signé
«Tchécoslovaquie : le cas de la Slovaquie»
CPE, n° 108, 31 août 1968, pp. 38-39
Une telle divergence d’appréciation
sur le thème de la forme juridique du
partenariat mérite une explication.
Opposer le nationalisme primitif,
obscurantiste et agressif des Slovaques
à la sagesse et à la modernité des
Tchèques serait céder à la facilité et
ignorerait la complexité de la réalité.
[…]
● Quelles dissensions dans le
partenariat tchéco-slovaque ?
● D’un malaise slovaque
profond à la séparation
«Depuis 1918, date de la création de la
Tchécoslovaquie, Tchèques et Slovaques
n’ont jamais vraiment partagé une
vision identique des principes fondamentaux de leur association à l’intérieur des frontières communes. Les
Slovaques ont eu tendance à définir
leur partenariat avec les Tchèques sous
la forme suivante : “la société tchécoslovaque est divisée, faite de deux
nations différentes, la nation tchèque et
la nation slovaque”. Pour les Slovaques,
cela sous-tendait une organisation de
l’Etat qui puisse tenir compte des
spécificités slovaques.
La plus large autonomie apparut
comme la stratégie la plus appropriée
pour un groupe qui ne vit que peu
d’espoir de dominer l’arène politique
par sa propre force démographique
et dont le sentiment fut que l’Etat
n’appartenait pas de manière égale à
chacun. Les demandes autonomistes de
l’entre-deux-guerres, la fédéralisation
de la Tchécoslovaquie en 1938, le détachement de la Slovaquie des pays
tchèques en 1939, la répugnance à
réincorporer l’Etat commun en 1945,
les demandes fédérales et confédérales
en 1968 et en 1990-1992 en ont été les
manifestations spectaculaires. […] Le
“problème slovaque” traversa, intact,
toute la période communiste et le
régime démocratique de Vaclav Havel
en hérita dans toute sa puissance en
1990. La crainte de voir le nouveau
pouvoir fédéral de Prague et son
Les Tchèques, à l’opposé, n’ont […]
jamais voulu enfermer les deux peuples
dans des catégories aussi exclusives et
ont en conséquence toujours répugné à
admettre cette approche slovaque,
préférant le principe civique suprana-
30
tional. Depuis 1990, ils ont recherché
une “fédération fonctionnelle” ou “raisonnable”, en rejetant une organisation
de l’Etat qui accorderait d’importants
pouvoirs à la périphérie (les territoires
tchèque et slovaque) au détriment du
centre (Prague). A l’opposé, les Slovaques,
et leurs représentants nationaux ont
toujours été − depuis l’entre-deuxguerres − en faveur d’un cadre constitutionnel dans lequel la Slovaquie se
verrait dotée de puissants pouvoirs de
décision et qui garantisse des relations
d’égalité entre partenaires tchèques et
slovaques. […]
Fragmentations et recompositions
ministre des Finances, Vaclav Klaus,
engager des réformes économiques
ultra-libérales, sans prendre en considération les intérêts spécifiques slovaques,
ne fit que renforcer le sentiment de la
nécessité de se gouverner soi-même,
en tout indépendance de l’administration fédérale. Les Slovaques n’ont pas
été contre la transition vers l’économie
de marché, mais ils ont reproché, non
sans raison, à Vaclav Klaus, de ne pas
se pencher sur le problème de la
relance économique en Slovaquie et de
faire abstraction de la nécessité d’améliorer l’état de la République.
Les Tchèques, eux, n’ont jamais connu
un mouvement nationaliste d’une telle
ampleur dans le cadre de la Tchécoslovaquie. Ils l’ont connu avant, sous
le régime de l’empire des Habsbourg,
mais pas après, une fois créé l’Etat
tchécoslovaque. Le président Havel
expliqua en 1990 pourquoi : “pour les
Tchèques, Tchèque est fusionné avec
Tchécoslovaquie. Cela crée l’impression que la République [la Tchécoslovaquie] est en quelque sorte la
nôtre, une République tchèque”. La
confusion entre “tchéquité” et “tchécoslovaquité” (selon les propres termes
du président Havel) est étroitement liée
à la position centrale des Tchèques
dans l’Etat qu’ils ont constitué avec les
Slovaques depuis 1918. Entre 1918 et
1968, l’Etat fut suffisamment tchèque
pour satisfaire les nationalistes tchèques
potentiels. Les politiques centripètes
non seulement de T. G. Masaryk et de
E. Benes (1918-1938) mais aussi de
K. Gottwald et de A. Novotny (19481968) encouragèrent ainsi les symboles
nationaux tchèques (tel que le lion
pour emblème de l’Etat) et l’accession
préférentielle aux postes de responsabilité des cadres tchèques. Nation la
plus nombreuse, le peuple tchèque fut
aussi la nation dirigeante : le vrai pouvoir
politique fut concentré dans les pays
tchèques.
le courrier des pays de l’Est
La conséquence de ce phénomène fut
double. Une telle situation eut pour
premier corollaire une grande difficulté
pour les Tchèques à se représenter la
spécificité slovaque : “les Tchèques ne
furent jamais vraiment capables de
comprendre ce que signifiait un Etat
commun avec les Slovaques, d’anticiper leurs demandes, d’aller à la
rencontre des Slovaques”(4). La seconde
implication fut la réticence à fédéraliser ou confédéraliser un Etat assimilé
à une chose tchèque : “Souvent, nous
identifions involontairement la République tchèque avec la Tchécoslovaquie
et, en conséquence, les attitudes slovaques
nous apparaissent incompréhensibles
et inacceptables”(5).
Dans un tel cadre, la politique tchécoslovaque s’est fortement polarisée, et
les manifestations en faveur d’attitudes
médianes ont été le plus souvent peu
nombreuses ou étouffées. Les échecs
successifs pour trouver un accord sur
le texte d’une nouvelle Constitution,
dont l’adoption avait été initialement
prévue avant les élections parlementaires de juin 1992, en ont été un
exemple.»
Jaroslav Blaha, Le courrier des pays de l’Est, Frédéric
Wehrlé, docteur en sciences politiques
«La Fédération tchèque et slovaque mise en cause :
aspects politiques et économiques»
CPE, n° 370, juin 1992, pp. 44-56
La Yougoslavie
socialiste : une mort
lente et douloureuse
«Devant ce qu’il est convenu d’appeler
l’opinion publique internationale, la
Yougoslavie bénéficie d’un préjugé
favorable. Elle est membre associé du
CAEM, fait partie de l’OCDE et a
récemment signé avec la CEE un accord
économique et commercial la mettant
en situation privilégiée ; de même a-telle constitué avec l’AELE un “groupe
31
N° 1046 novembre-décembre 2004
de travail” commun. Non contente
d’établir un pont économique entre
l’Est et l’Ouest, la Yougoslavie joue un
rôle de premier plan dans la Conférence des pays non alignés. Et elle se
présente finalement comme une sorte
de point de ralliement de toutes les
tendances qui divisent le monde contemporain. […]
● Une société disloquée
Tel qu’il est constitué après les deux
guerres mondiales, le territoire baptisé
“Yougoslavie” offre un cadre géographique peu favorable au fonctionnement
d’une société intégrée. Les massifs
montagneux qui couvrent les deux tiers
du pays y créent de multiples cloisonnements. […] La nature n’a pas fait
que diviser la Yougoslavie ; elle y a
créé également des conditions fort
inégales de développement économique. Celui-ci s’organise essentiellement autour de Belgrade, en Serbie et
dans le Nord-Ouest (Slovénie et région
de Zagreb en Croatie). Certaines
ramifications de ce développement
atteignent néanmoins les centres
miniers de Bosnie-Herzégovine dispersés autour de Sarajevo, ainsi que la
Macédoine.
En liaison avec les conditions naturelles, de nombreux facteurs historiques
et sociologiques ont fortement contribué à faire de la Yougoslavie une véritable mosaïque humaine. Les six
républiques de la Fédération yougoslave regroupent cinq ethnies principales (serbes, croates, slovènes, macédoniens, monténégrins) et de nombreuses
minorités d’importance variable
(Hongrois de Voïvodine, Albanais,
Turcs, Slovaques, Roumains, Bulgares,
Tchèques, Italiens). […]
Ces oppositions humaines ont également trouvé un terrain particulièrement
propice dans un sous-développement
économique général qui a toujours
32
pour effet de désarticuler une société.
Les deux foyers à partir desquels aurait
dû se propager un développement sont
localisés dans les républiques serbes et
croates. Or, depuis la création du
royaume de Yougoslavie, et lors de la
Seconde Guerre mondiale, ces populations ont toujours été les plus profondément divisées. […] Ainsi peut-on
dire que le respect d’une certaine hétérogénéité − marque profonde de toute
idéologie socialiste yougoslave −
résulte beaucoup plus de tout un
faisceau de nécessités que d’un choix
délibéré.
● Les risques
d’un développement
déséquilibré
On a pu croire pendant longtemps que la
mobilisation de la société yougoslave
autour d’objectifs économiques était un
succès, notamment au vu des taux de
croissance élevés obtenus au cours de la
première décennie de l’autogestion
(1950-1961). Mais cette croissance était
largement illusoire, car très déséquilibrée ; et elle s’est heurtée au cours de
la fin des années 1960 à des crises de
plus en plus fréquentes. […]
Instrument privilégié de l’intégration
sociale, le développement économique,
en se concentrant finalement sur certains pôles régionaux, a contrairement
aux espérances du pouvoir, donné un
regain de vigueur aux vieux antagonismes politiques. La querelle entre
Serbes et Croates, rendue plus aiguë
par l’approche de l’après-titisme, s’est
à nouveau exprimée à propos des projets
de modification constitutionnelle ainsi
que de la redistribution des fonds
“extrabudgétaires” jusqu’ici gérés par
les instances fédérales. Mais en devenant
plus autonomes, les différentes républiques ne risquent-elles pas de devenir
également beaucoup plus dépendantes
de leurs puissants voisins ? L’URSS,
notamment, pourrait profiter des sympa-
Fragmentations et recompositions
le courrier des pays de l’Est
thies qu’elle a encore en Serbie, du
mécontentement des populations pauvres
du Sud, et de l’appât du libéralisme
hongrois, pour réactiver sa stratégie
indirecte de poussée vers la Méditerranée.»
Cependant, ce processus ne peut être
que très lent ; et dans les conditions
actuelles, le renforcement du rôle de la
Ligue des communistes constitue un
moyen d’assurer un minimum de stabilité politique.»
Françoise Perrot, Georges Sokoloff, Groupe d’études
prospectives sur les échanges internationaux (CNCE)
«La Yougoslavie. Evolution économique
et perspectives de l’après-titisme»
CPE, n° 143, juillet 1971, pp. 80-101
Françoise Lemoine, Groupe d’études
prospectives internationales (CFCE)
«La Yougoslavie 1970-1975 : improvisations
ou nouvelle stratégie ?»
CPE, n° 169, décembre 1973, pp. 8-29
● Divergences d’intérêts
entre les républiques
«Un trop grand affaiblissement du
pouvoir central comporte des risques
manifestes tant pour la stabilité de
l’économie que pour l’unité même de
la Yougoslavie. [...] En outre, la latitude laissée aux autorités républicaines
dans le domaine économique peut
contribuer à favoriser les risques
d’éclatement politique de fait de la
Yougoslavie : on peut envisager que
dans le cadre de lois fédérales se développent des politiques sensiblement
divergentes en ce qui concerne l’investissement étranger, le développement
agricole, la propriété privée. [...]
Les risques de divergence croissante
entre les diverses républiques se
trouvent confirmés lorsqu’on sait que
leur opposition en matière de politique
et d’organisation économiques internes
se double d’une divergence dans
l’orientation géographique de leurs
échanges extérieurs. Ainsi, les régions
orientales, moins développées et plutôt
“centralisatrices”, ont-elles des relations économiques privilégiées avec
les pays du CAEM, alors que les républiques “occidentales” développées entretiennent des échanges plus intenses avec
des pays capitalistes. [...]
Une meilleure intégration économique
serait de nature à atténuer l’effet des
tendances centrifuges et de l’organisation très décentralisée de la Fédération.
● Les débuts de la fin
«Avec la fin du moratoire de trois mois
imposé par les accords de Brioni du
7 juillet 1991(6), le coup de force du
“bloc serbe” du 3 octobre 1991(7) met la
Yougoslavie dans une situation d’apesanteur proche de la disparition. Une
“fédération” déchirée, des évolutions
politiques diverses dans les républiques en voie de recomposition, des
perspectives de “libanisation” rampante
caractérisent ce pays, soixante-dix ans
après le vote de sa première Constitution du 28 juin 1921, dite Constitution
du Vidovdan. [...]
La démarche du président Milosevic,
entamée pour la défense des seuls
Serbes du Kosovo, atteint [...] ses limites
stratégiques. Grand tacticien et manœuvrier, dont le professionnalisme politique peut être apprécié par les
connaisseurs, ce n’est finalement pas
un stratège : avoir isolé le peuple serbe
face à l’opinion mondiale ne peut
préparer un avenir radieux pour ce
peuple dont il se veut le héraut.
Politiquement, la Yougoslavie contemporaine est en fait bel et bien morte le
3 octobre 1991. La transformation de
la présidence collégiale en présidencecroupion a rompu la continuité prévue
par la Constitution de 1974 ; en effet,
après la mort de Tito, d’un 15 mai à
l’autre, le président de la présidence
collégiale était alternativement le
représentant de l’une des huit répu-
33
N° 1046 novembre-décembre 2004
bliques ou républiques autonomes.
C’était là un instrument de la continuité de l’Etat.
Le coup de force du 3 octobre est un
hommage du vice de la force à la vertu
du droit et témoigne de la crainte de la
Serbie d’apparaître simplement réduite
à la Serbie et non comme une Yougoslavie rapetissée. S’il fallait dater le
début de la fin, la prise du pouvoir de
S. Milosevic au sein du parti serbe à la
fin de 1987, qui portait en elle l’élection de F. Tudjman de mai 1990 comme
la nuée porte l’orage, a sans doute été
le point de non-retour rendant infiniment probable la destruction de la
Yougoslavie. [...]
La Yougoslavie est donc politiquement
morte : comme l’a souvent souligné
Milovan Djilas, la Yougoslavie ne vaut
que par l’union serbo-croate. […]
L’extension du conflit à la BosnieHerzégovine et, plus tard, au Kosovo
et au Sandjak, en réservant le cas de la
Macédoine, apparaît probable. On peut
résumer le problème en paraphrasant
Raymond Aron : Yougoslavie impossible, paix improbable.»
Joseph Krulic, haut fonctionnaire, agrégé d’histoire
«La mosaïque politique des républiques yougoslaves»
CPE, n° 364, novembre 1991, pp. 23-33
● Vers l’autarcie économique
«Le 25 juin 1991, deux républiques
yougoslaves ont proclamé leur indépendance. A partir de cette date, un
processus de désintégration d’un pays
conçu comme une entité unique depuis
70 ans a commencé. Parallèlement,
l’économie se défait de plusieurs
manières : par découpage, destruction
physique, arrêt d’activité, ou encore
par absence de relations avec l’extérieur. D’un point de vue économique,
la décision d’indépendance de la
Slovénie et de la Croatie a été fondée
34
sur le besoin de se rapprocher de la
Communauté européenne. Elles ont
aussi considéré leur passage à l’acte
comme un ultimatum aux autres républiques yougoslaves pour une réorganisation de l’Etat, selon la proposition
avancée par les dirigeants slovènes au
mois de mars 1991. Celle-ci portait sur
la transformation de la fédération yougoslave en une Communauté à l’image de
la Communauté européenne. [...]
A la fin de l’année 1991, l’économie
de la Yougoslavie est complètement
éclatée. La Slovénie organise son indépendance, ce qui implique une série
importante de négociations autant avec
les autorités fédérales qu’avec des
organismes internationaux. Les anciennes
dispositions concernant la monnaie, les
finances, les transports, le commerce
extérieur et d’autres domaines économiques sont en cours de reformulation.
En Croatie, préoccupée par la guerre
sur son territoire, les décisions économiques relatives à l’indépendance sont
prises avec plus de retard. La Serbie,
avec ses deux régions autonomes de
Voïvodine et du Kosovo, intégrées
dans la république serbe, forme avec la
république du Monténégro un ensemble
économiquement de plus en plus isolé.
Restent la Bosnie-Herzégovine et la
Macédoine, dont la position économique est devenue périphérique par
rapport à l’ensemble des Etats yougoslaves. [...]
La Slovénie et la Croatie maîtrisent à
elles seules près de la moitié de la
production industrielle et du commerce
extérieur yougoslave, ce qui porte leur
produit social par tête bien au-delà de
la moyenne du pays. En Slovénie, le
produit social par habitant est huit fois
supérieur à celui du Kosovo, et le
salaire moyen est au moins le double.»
Tatjana Globokar, Le courrier des pays de l’Est
«L’économie de la Yougoslavie éclatée»
CPE, n° 364, novembre 1991, pp. 7-22
Fragmentations et recompositions
L’éclatement de l’Union
soviétique
«Deux ans après 1989, en décembre
1991, s’extrayaient de la gangue soviétique quinze Etats désormais indépendants dont douze sont actuellement
unis au sein de la Communauté des
Etats indépendants. Alors que les pays
d’Europe centrale et orientale avaient
malgré tout conservé quelques attributs
de leur identité nationale d’avant le
communisme (langue, noms de la
monnaie, ambassades à l’étranger et
surtout religion et culture), les douze
Etats de l’ex-URSS […] étaient amalgamés à l’intérieur du grand manteau
gris de la “culture soviétique” unique :
une langue de base − le russe −, une
monnaie − le rouble −, une armée
− l’armée rouge −, une seule frontière
soviétique, une éducation athéiste
monocolore. Tout venait de Moscou,
tout convergeait à Moscou. C’est donc
bien un tout nouvel ensemble géopolitique que le monde doit à présent
commencer à connaître. […]
● Le pari de quinze Etats
indépendants
Le divorce de ces Etats fait apparaître
crûment le caractère hétéroclite de ce
nouvel ensemble auparavant unifié par
le système communiste. Ils sont à
présent en principe reliés par l’institution de la CEI, en gésine ; en fait, les
indépendances les dispersent au gré de
leurs différentes évolutions et de situations géopolitiques contrastées. Imaginons, par comparaison, un ensemble
constitué à la fois de l’Alaska et du
Groënland, d’une Europe centrale à la
surface décuplée, d’un Maghreb et
d’un Moyen-Orient et d’un soupçon
d’Asie. C’est à cela que correspondent
grosso modo le Nord de la Russie européenne et sibérienne, les républiques
slaves, celles du Caucase et d’Asie
centrale et l’Extrême-Orient russe. Tel
est l’ensemble disparate de la CEI.
le courrier des pays de l’Est
Déjà profondément différents les uns
des autres par leurs cultures antérieures,
leurs traditions ressurgies, leurs dotations naturelles, leur patrimoine économique, héritage de l’ex-URSS, leur
localisation géographique sur cet
immense territoire, ces pays se sont
encore diversifiés au cours de ces
dernières années, dans l’euphorie de
l’indépendance, avec des accès de
nationalisme plus ou moins maîtrisés,
ensuite dans la crise économique grave
qui a affecté leur appareil industriel et
agricole, donc leurs finances et le
niveau de vie des populations ; simultanément, ils tentent, chacun avec son
style, de se réformer, de se restructurer,
de s’ouvrir au marché mondial. […]
Les nouveaux Présidents et leurs
équipes ont joué un rôle d’entraînement ou au contraire de frein suivant
les pays, de même que la présence plus
ou moins forte d’élites scientifiques
et techniques compétentes. Tous exnomenklaturistes, à part L. Ter-Petrossian
(Arménie) et A. Akaiev, le Président
philosophe du Kirghizstan, ces chefs
d’Etat peinent de toute évidence à
instaurer les structures d’une véritable
démocratie qui commence avec un
strict Etat de droit.[…] Des traces
d’autoritarisme, maîtrisé ou pas, apparaissent un peu partout […] ; dans tous
ces Etats, peu ou pas de contrepouvoirs, les partis politiques démocratiques sont petits et divisés, l’apathie
politique assez répandue faute de relais
sérieux dans la société civile.
L’environnement n’est donc pas aussi
favorable qu’il pourrait l’être aux jeunes
entrepreneurs pourtant nombreux, à
l’épargne, aux initiatives diverses, type
solidarités caritatives, d’autant que des
pratiques criminogènes sont mal ou
pas réfrénées, notamment dans les pays
les plus riches en ressources naturelles
ou d’arsenal comme la Russie et
l’Ukraine (trafic de minerais, d’armement) ou encore de drogues (Azerbaïdjan ou Asie centrale). Héritage du
35
N° 1046 novembre-décembre 2004
passé, partout une bureaucratie trop
nombreuse est corrompue. Un bémol
devrait être mis ici, car de nombreux
observateurs croient voir dans les
dénonciations voyantes de la mafia, en
Russie par exemple, une manoeuvre
des forces conservatrices pour un
retour à l’autoritarisme d’antan. Tout
concourt donc à encourager l’économie cachée, donc à l’appauvrissement
de l’Etat qui ne peut plus ou mal budgétiser l’éducation, la santé, la recherche.
De même, le filet social est peu ou pas
développé mais l’exemple de la Russie
où règne un calme social relatif laisse
penser que là, comme dans d’autres
Etats de la CEI, des relais locaux
(entreprises nourricières, pouvoirs
locaux, entrepreneurs privés) prendraient
peu à peu la place de l’Etat auprès des
plus démunis. Cet environnement
social peut inquiéter l’observateur qui
craindrait qu’au hasard d’élections de
type populiste s’instaure dans certains
Etats la loi de la force plutôt que la
force de la loi.
● Un édifice fragile
Dès sa création, en décembre 1991, la
plupart des observateurs prévoyaient
que ce “commonwealth eurasiatique”
était voué à l’échec. […] Les finalités
que prévoyaient les fondateurs de la
CEI étaient en fait de deux ordres :
supprimer définitivement un centre haï
et que M. Gorbatchev voulait conserver,
maintenir l’intégrité d’un certain
nombre d’infrastructures politiques et
économiques vitales à l’ex-URSS, tout
en accordant aux douze Etats qui s’y
rallièrent rapidement les moyens de
vivre leur indépendance et leur souveraineté. Les “entrelacs” des relations
tissées depuis plus de soixante-dix ans
entre ces Etats que sous-tendait le tissu
serré de l’appareil communiste devait
se perpétuer sous une autre forme grâce
à un nombre incalculable d’accords
multilatéraux préparés au sein de
36
comités et commissions innombrables,
lors des rencontres au sommet des
chefs d’Etat et de gouvernement, ou
encore des séances du Conseil de
l’Assemblée interparlementaire représentant chaque parlement des douze
Etats. […]
Mais la nostalgie d’empire se respire
aussi bien chez les Russes, notamment
chez 25 millions d’entre eux installés
dans d’autres Etats, que chez les
Ukrainiens et les Biélorusses. [...]
Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Tadjikistan et même Moldavie, la
plus calme face à l’orage, souhaitent que
se pérennise le lieu de dialogue symbolisé par la CEI, même si le maréchal
Chapochnikov(8) a désespéré en juin
1993 d’obtenir une coopération militaire
sincère entre les Etats au point de démissionner. Il ne faut donc pas s’étonner si
le sommet de la CEI de février 1995 a
vu l’échec du plan commun de protection des frontières extérieures de la
Communauté (Azerbaïdjan, Ukraine,
Ouzbékistan s’y opposèrent), même si
on peut considérer comme une avancée
l’approbation récente d’une union douanière réunissant la Russie, la Biélorussie
et le Kazakhstan.
On rappellera in fine un certain nombre
de points positifs : la capacité qu’a la
CEI de représenter les douze Etats sur
l’arène internationale, par exemple, en
tant qu’observateur à l’Onu, la création
d’un centre de clearing à Kiev où des
banques commerciales devraient faciliter le règlement des paiements entre
Etats et notamment pour les entreprises
de constructions mécaniques. [...] A cet
égard, des holdings transfrontières
dans certaines filières industrielles se
reconstituent. Bien entendu, une des
créations la plus utile de la CEI serait
un véritable marché commun agricole
proposé en avril 1995 par le ministre
russe de l’Agriculture, mais il se heurte
au scepticisme (intéressé ?) du département américain de l’Agriculture qui
Fragmentations et recompositions
avait étudié ce projet il y a deux ans
sans succès. Les instances ad hoc de la
CEI ont eu l’avantage de gérer le parc
de transport ferroviaire de l’ex-URSS
durant un certain temps, ce qui n’est
pas indifférent sur un tel espace.
S’agissant des ventes de matériel militaire, importantes sources de devises,
la Chambre de commerce et d’industrie
de la CEI est mandatée pour conduire
des négociations avec les pays intéressés,
l’Inde par exemple. Enfin, même si
certaines républiques ont repoussé une
défense aérienne commune, la plupart
acceptent volontiers le maintien de
trente bases militaires russes sur leur
territoire (à l’exception de l’Ukraine),
à la fois pour des questions de sécurité
propre et pour des raisons économiques. Par ailleurs, ce sont des troupes de la CEI (10 000 hommes) qui
protègent la frontière tadjiko-afghane
et approvisionnent en aide humanitaire
les vallées reculées de cet Etat.»
Françoise Barry, Le courrier des pays de l’Est
«Destins économiques des Etats de la CEI :
le pari des indépendances»
CPE, n° 397-398, mars-avril 1995, pp. 5-12
● Solidarités de fait
ou dispersion définitive ?
«La hantise américaine de voir l’exURSS devenir “une Yougoslavie avec
des missiles nucléaires” a heureusement fait long feu. Les menaces de
conflit entre la Russie d’une part,
l’Ukraine, la Moldavie et les Etats
baltes d’autre part ont été réglées par
un attentisme sage, la négociation, la
patience. En revanche, la réclamation
incessante du Kremlin de se voir
accorder par l’OSCE un “statut spécial”
pour faire la police dans la CEI n’est
pas de la même veine paisible. Pas plus
que ce ne l’est la surdité totale de la
présidence russe face au tollé international soulevé par l’affaire tchétchène.
Boris Eltsine devrait comprendre que
la volonté de maintenir l’intégrité territoriale russe perd beaucoup de sa légi-
le courrier des pays de l’Est
timité lorsqu’elle se transforme en une
tuerie besogneuse. […]
Parmi les scénarios d’avenir que l’on
puisse esquisser, deux méritent peutêtre qu’on s’y arrête un instant. Selon
le premier, les forces centrifuges se
montrent les plus actives. Les membres
de la CEI se souviennent qu’en russe,
leur organisation est davantage une
“amicale” (sodroujestvo) qu’une communauté. Ils se laissent satelliser par
des astres qu’ils trouvent plus attirants :
qui, par l’Europe, qui, par la Chine, la
Turquie ou l’Iran. Les Américains
applaudissent à cette dispersion définitive d’éclats d’empire. Les nouveaux
Etats indépendants (NEI) entrent dans
des nouvelles organisations internationales (l’Union européenne, la zone de
coopération économique de la mer
Noire) qui les absorbent, comme le
Conseil de la Baltique a absorbé
Lituaniens, Lettons et Estoniens. Bien
évidemment, il est des cas où ces
enceintes régionales ne feraient que
créer (ou réparer) des relations anormalement absentes ou déchirées. Mais
si l’on va bien au-delà de ces conjonctures anodines, c’est-à-dire vers l’hypothèse de véritables changements
d’orbite des NEI, on se place du même
coup dans un contexte où la Russie
aurait pratiquement perdu toute force
d’attraction. […] Dans le scénario
opposé, on voit disparaître les “pesanteurs” − aussi bien les relents d’impérialisme russe que les gourmes
nationalistes alentour − au profit d’un
réseau de relations modernes entre
membre de la CEI (de l’ex-CEI). Ces
relations permettraient éventuellement
aux NEI de préserver un espace historique, national et culturel commun et
des solidarités rationnelles : cela, non
pas au nom de “complémentarités”
(toujours très discutables), mais simplement de la compétitivité.»
Georges Sokoloff, Professeur des universités à l’Inalco
«De la CEI comme système solaire»
CPE, n° 397-398, mars-avril 1995, pp. 190-191
37
N° 1046 novembre-décembre 2004
Notes :
(1) Ndlr - A partir du début des années 1960, parents, Eglises et organisations privées essayèrent
de faire libérer des prisonniers, notamment politiques, incarcérés en RDA, en offrant des
«compensations» financières, versées au budget de l’Etat. La première transaction de ce
genre s’est déroulée en 1963, lorsque Bonn n’entretenait pas encore de relations officielles
avec Berlin-Est. Ludwig Rehlinger (CDU), alors secrétaire d’Etat au ministère pour les
Questions pan-allemandes, qui allait devenir l’une des personnalités clés des négociations
secrètes concernant le rachat des personnes, menait alors personnellement les pourparlers.
Plus tard, ceux-ci se déroulèrent sous l’égide de l’Eglise protestante (Diakonisches Werk der
Evangelischen Kirche). En RDA, la charge en revenait au département «KoKo»
(Kommerzielle Koordinierung - Coordination commerciale) au sein du SED, dont le responsable était Alexander Schalck-Golodkowski. Alors que jusque-là le prix de chaque prisonnier
était évalué au cas par cas, à partir de 1964, la somme à payer fut fixée à 40 000 DM, puis à
95 847 DM en 1977. Le prix pouvait toutefois toujours varier en fonction de la durée
d’emprisonnement du candidat. Entre 1964 et 1989, la RDA a ainsi libéré 33 755 prisonniers
politiques contre un montant s’élevant à 3,4 milliards de DM environ.
(2) Ndlr - Egon Bahr, social-démocrate, nommé en 1960 par Willy Brandt, maire de BerlinOuest, fut président de l’Office d’information et de la presse du Land de Berlin. Il utilisa pour
la première fois cette formule en juillet 1963, qui devait devenir la devise de la DeutschandOstpolitik.
(3) Ndlr - Secrétaire général du Parti communiste de 1951 à 1957, puis président de la
République jusqu’en 1968.
(4) Vilem Precan, texte dactylographié, Prague, 1991.
(5) Petr Pithart, Premier ministre, dans un discours radio-télévisé du 30 août 1990.
(6) Ndlr - Accord entre la troïka européenne et les hauts responsables yougoslaves sur les
modalités d’une évacuation de la Slovénie par l’armée fédérale et sur une résolution pacifique
de la crise, avec notamment un moratoire pour les indépendances croate et slovène.
(7) Ndlr - La présidence fédérale, dominée par les Serbes, s’arroge les pouvoirs du Parlement fédéral.
(8) Ndlr - Commandant en chef des forces armées unifiées de la CEI.
Pour plus d'informations lire
dans Le courrier des pays de l'Est
G. Sokoloff, «Problèmes et projets de l'autre Europe», n° 123, novembre 1969, pp. 41-55
Article non signé, «Une interprétation historique des crises récentes de l’économie
tchécoslovaque», n° 160, février 1973, pp. 7-15
Tatjana Globokar, «L'économie de la RDA en 1981 : une croissance trop exceptionnelle»,
n° 264, juillet-août 1982, pp. 3-30
Tatjana Globokar, Anita Tiraspolsky, «L'image de l'économie est-allemande en RFA»,
n° 266, octobre 1982, pp. 3-32
Anita Tiraspolsky, Tatjana Globokar, «Les relations économiques entre les deux
Allemagnes», n° 287, septembre 1984, pp. 3-36
Jaroslav Blaha, «La mobilisation de la science et de la recherche tchécoslovaques au
service de l'intégration», n° 302, janvier 1986, pp.42-56
Tatjana Globokar, «Yougoslavie», in Panorama de l'Europe de l'Est, n° 309-311, août-octobre
1986, pp. 158-188
Tatjana Globokar, «RDA», in Panorama de l'Europe de l'Est, n° 309-311, août-octobre
1986, pp. 88-108
Georges Mink, «L'Europe de l'Est et l'URSS : un empire se défait», n° 345, décembre
1989, pp. 63-72.
Françoise Barry, «La coopération éclatée : les républiques soviétiques entrent en scène»,
n° 348, mars 1990, pp. 39-48
Jaroslav Blaha, «L'économie tchécoslovaque en 1989-1990 : la marche vers l'Ouest»,
n° 349, avril 1990, pp. 75-83
Marie-Agnès Crosnier, «URSS : quinze républiques en route vers l'économie de marché»,
n° 361, juillet-août 1991, pp. 7-16
Françoise Barry, «La Yougoslavie en guerre», n° 364, novembre 1991, pp. 3-6
Daniela Heimerl, «Bilan économique des cinq nouveaux Länder de la RFA (1990-1995)»,
n° 406, janvier-février 1996, pp. 3-17
38
le courrier des pays de l’Est
Est-Ouest
Des échanges contrariés
Si Nikita Khrouchtchev se plaisait, en
1962, à affirmer que la volonté soviétique
d’intensifier le commerce avec l’Ouest
révélait les dispositions de l’Est en faveur
de la coexistence pacifique, la plupart des
pratiques commerciales adoptées durant
des décennies porte plutôt à croire que les
échanges commerciaux constituaient l’une
des facettes de la guerre froide.
Tous les coups n’étaient pas permis dans
ce jeu parfaitement agencé, doté de règles
bien définies, et qui s’autorisait évidemment
quelques exceptions et dérogations. Froid
emblème de cette manifestation de la
guerre commerciale que se livraient les
deux camps, le Cocom (Coordinating
Committee) a fixé à partir de 1949 les
limites technologiques des ventes de
l’Ouest à l’Est ; entouré de l’aura
mystérieuse d’une existence non
institutionnalisée, ce comité informel,
sis à Paris, rue de la Faisanderie, a été
le théâtre de discussions intenses entre
Européens et Américains sur le contenu
des exportations stratégiques jugées
acceptables. Ces négociations relevaient
autant de la confrontation intraoccidentale et inter-entreprise que
du seul combat idéologique opposant
les deux camps, Est et Ouest.
Certaines pratiques commerciales
spécifiques, comme le dumping ou la
compensation, ont été largement préconisées
par l’Est, contre la volonté d’un Ouest
plus réticent, preuve s’il en faut à la fois
de la volonté est-européenne d’échanger
avec le camp adverse et de son pouvoir
réel de négociation. Les débats qui ont
alimenté toute cette période et l’inventivité
dont ont pu faire montre les tenants de ces
échanges traduisent certes un rapport
de forces, les avancées et concessions
de chaque camp, mais révèlent aussi,
finalement, l’abandon progressif par l’Est
de certains de ses étendards : l’entrée du
capital privé, qui plus est étranger, dans
le système productif est-européen peut être
appréciée comme une ébauche de
rapprochement ; elle n’en reste pas moins
le pathétique constat d’échec d’un système
qui se construisait par opposition à cette
idée.
Dès lors que ce dernier s’est délité, la
réorientation, d’abord laborieuse puis
étonnamment rapide, des flux d’échanges
des pays d’Europe centrale et orientale
vers l’Ouest a montré que la volonté
de s’arrimer à l’Union européenne transcendait bien des obstacles structurels.
En revanche, la Russie, elle, se trouve
aujourd’hui aux frontières extérieures
de l’Union européenne et à la porte de
l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), ce successeur du GATT tant
critiqué par l’URSS : en 1955, N. Khrouchtchev
proposait de remplacer l’Accord général
sur le commerce par une organisation
internationale s’inscrivant dans le cadre
des Nations unies. Selon le Secrétaire
général du PCUS, l’absence d’un
organisme mondial légitime se traduisait
39
N° 1046 novembre-décembre 2004
par des phénomènes négatifs, tels que les
discriminations dans le commerce EstOuest, ou la constitution de groupements
régionaux fermés comme le Marché
commun...
«Nous sommes pour
le commerce, et c’est
cela la coexistence
pacifique !»
« “Il apparaît depuis longtemps nécessaire d’éliminer des pratiques du commerce international des méthodes par
lesquelles les forts s’enrichissent sur le
dos des faibles. Le gouvernement
soviétique estime que l’Organisation
des Nations unies ne doit pas rester à
l’écart de ce problème, vital pour des
centaines de millions de personnes. Il
estime opportun de convoquer une
conférence internationale sur le
commerce, qui examinerait la question
de la création d’une Organisation internationale du commerce, s’étendant à
toutes les zones et tous les pays du
monde, sans discrimination”.
C’est le 30 mai 1962 que Nikita
Khrouchtchev faisait cette déclaration,
à l’occasion d’un meeting d’amitié
entre les peuples soviétique et malien.
Aussi, en mars 1964, les articles de la
presse soviétique présentant l’ouverture de la Conférence de Genève ne
manquèrent-ils pas de souligner que
l’initiative était venue de l’URSS, qui
avait inspiré directement la décision
prise en décembre 1962 par l’Assemblée
générale des Nations unies de convoquer une conférence mondiale du
commerce. [...]
On ne peut guère dire que le contenu
de l’acte final de la conférence de
Genève soit “objectivement” satisfaisant pour l’URSS. Des trois thèmes
initiaux défendus par les Soviétiques :
création d’une Organisation internationale du commerce, normalisation du
40
commerce Est-Ouest, organisation des
relations avec les pays sous-développés,
il ne retient que le troisième, et encore
bien incomplètement. [...]
La normalisation du commerce entre
les pays “à systèmes économiques et
sociaux différents” [était] sans doute la
préoccupation principale de Nikita
Khrouchtchev […] en 1962. On a pu
lire ainsi au début de 1964 dans la
presse soviétique de nombreux articles
sur les échanges Est-Ouest, indiquant
la progression constante de ceux-ci (en
volume − base 100 en 1948 − indice
88 en 1950, 77 en 1953, 230 en 1960,
306 en 1962), rappelant l’attitude positive de diverses puissances occidentales à l’égard des relations commerciales avec l’URSS (notamment de
la Grande-Bretagne), et critiquant
violemment les Etats-Unis.
Le gouvernement soviétique entendait
sans doute attaquer publiquement les
Américains à Genève pour leurs
pratiques “discriminatoires” à l’égard
de l’URSS. [...]
Pour les Soviétiques, il y avait un
double intérêt à débattre de ce thème à
Genève : il permettait de développer
les idées communistes concernant la
coexistence pacifique (selon l’expression
de M. Khrouchtchev, “nous sommes
pour le commerce, et c’est cela la
coexistence pacifique”) ; il offrait à
l’URSS la seule possibilité de participer activement, en marquant politiquement des points, à la Conférence.
La suite a donné a contrario raison à
ce second argument : du fait que le
thème du commerce Est-Ouest n’a
pratiquement pas été abordé, les
Soviétiques − et à leur suite le bloc
socialiste − sont restés dans une grande
mesure en marge de la confrontation
principale, opposant Tiers Monde et
Occident. Ils ont ainsi échoué à imposer
leur idée, selon laquelle l’amélioration
des rapports Est-Ouest était l’une des
conditions d’un affaiblissement de
Est-Ouest
le courrier des pays de l’Est
l’exploitation impérialiste pesant sur
les pays sous-développés et, dans le
domaine commercial, l’un des moyens
pour stabiliser les prix sur le marché
mondial.»
Article non signé
«L’URSS à la Conférence mondiale
sur le commerce et le développement»
CPE, n° 13, 23 septembre 1964, pp. 21-34
Des pratiques
commerciales
très spécifiques
● Le Cocom, emblème
des obstacles aux échanges
«Les exportations de hautes technologies sont considérées comme stratégiques, mais la limite est souvent
difficile à tracer entre ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas. Deux définitions d’un bien stratégique peuvent
servir de base à une politique de restrictions aux exportations. La première
ne considérera que les implications
militaires d’un transfert de haute technologie vers l’Est et conduira à l’instauration d’un embargo stratégique. La
seconde, fondée sur l’idée que tout ce
que l’URSS importe est stratégique,
mettra l’accent sur la possibilité, pour
les pays occidentaux, d’utiliser leurs
exportations vers l’URSS pour la sanctionner ou lui signaler leur réprobation.
Si l’on retient la définition large, trois
questions se posent : quels produits
seront les plus efficaces pour “punir”
l’URSS ? Quelle doit être la politique
commerciale vis-à-vis des partenaires
européens de l’URSS ? Enfin, ne
risque-t-on pas d’affecter durablement
les secteurs exportateurs dans les pays
occidentaux ?
[...] Dès 1949, et sous la pression des
Etats-Unis, les pays de l’Otan moins
l’Islande, plus le Japon, s’étaient
regroupés dans un organisme chargé
d’assurer un contrôle multilatéral
des exportations de haute technologie
vers l’Est : le Cocom (Coordinating
Committee). [...]
Son siège se trouve à Paris. Il emploie
une douzaine de personnes. Ce n’est
pas une organisation internationale de
type traditionnel. Il n’a pas de traité
constitutif, mais trouve son origine
dans un gentleman’s agreement. Son
budget a été estimé à 1 million de
dollars en 1984, soit trois fois plus
qu’en 1981.
Les représentants des pays membres se
réunissent régulièrement pour établir
les listes de produits soumis à l’embargo
ou au contrôle, pour examiner les
demandes d’exception émanant d’un
Etat membre, pour définir des moyens
de coercition. Toutes les décisions sont
prises à l’unanimité et mises en œuvre
par chaque pays membre. Ces décisions
visent actuellement les pays membres
du Pacte de Varsovie, la Mongolie, le
Vietnam, l’Albanie, la Chine, la Corée
du Nord, mais non Cuba, le Laos, le
Cambodge et l’Afghanistan.
Trois types de listes de produits soumis
au contrôle sont établis par le Cocom :
la liste militaire (matériel militaire et
assimilés) ;
la liste nucléaire (matières fissibles,
réacteurs nucléaires et composants) ;
la liste industrielle.
●
●
●
Ces listes font l’objet de négociations
tous les trois ans. Depuis novembre
1985, elles sont révisables par quart
tous les ans pour obtenir une meilleure
adéquation des listes aux produits existants.
La liste industrielle est elle-même subdivisée en trois listes :
la liste internationale I, contenant les
produits soumis à l’embargo ; il s’agit
des produits haut de gamme ;
●
41
N° 1046 novembre-décembre 2004
la liste internationale II, contenant les
produits soumis à des contingentements ;
la liste internationale III ou liste de
surveillance.
●
●
De 1952 à 1976, le nombre de produits
sur la liste d’embargo a été réduit de
moitié. Mais la diminution n’a pas été
régulière : les réductions les plus
importantes ont eu lieu en 1954 et en
1958. Il faut aussi remarquer que la
liste a été augmentée de 1955 à 1958 et
dans la première moitié des années
soixante, ce qui correspond à la crise
de Berlin et à la crise des missiles à
Cuba.
42
moyens propres de pression, et d’abord
sa prééminence technologique.»
Françoise Haegel, Université Paris I
«Le Cocom et les restrictions aux exportations
de haute technologie vers les pays de l’Est»
CPE, n° 301, décembre 1985, pp. 52-70
● Le dumping
«La crise économique dans les pays
occidentaux a rendu plus aiguë la
concurrence des pays de l’Est et
renforcé les réactions protectionnistes
des industriels. Une des formes de
cette concurrence est le dumping,
c’est-à-dire la vente à l’extérieur d’un
produit dont le prix est inférieur à celui
pratiqué sur le marché intérieur.
Outre l’établissement des listes, le
Cocom a pour tâche d’accorder des
dérogations. Si un pays membre
souhaite exporter un produit figurant
sur la liste internationale I, ou s’il veut
dépasser le contingent fixé par la liste
II, il peut soumettre le dossier au
Cocom. [...] Dans certains cas, les
pays peuvent hésiter à déposer un
dossier devant le Cocom, car celui-ci
constitue un terrain privilégié pour
l’espionnage industriel entre alliés. En
effet, le gouvernement qui dépose une
demande d’exception doit fournir aux
différentes délégations un dossier
complet décrivant les aspects techniques, financiers et commerciaux du
projet de contrat.
La Grande-Bretagne est particulièrement touchée par le dumping. A
plusieurs reprises, et pour des produits
et services très divers, les représentants
des fabricants et industriels ont
demandé à leur gouvernement et à la
Commission économique de la CEE
des mesures de contrôle des importations en provenance des pays de l’Est,
mais aussi des enquêtes officielles
pour évaluer le préjudice causé à
l’industrie nationale. Si la preuve
prima facie du dumping est faite, des
sanctions sont alors prises automatiquement sous forme de quotas d’importation et de versement d’une taxe
provisionnelle par l’exportateur.
[...] Le Cocom s’est fixé comme tâche
de mettre au point des instruments
coercitifs suffisamment efficaces pour
assurer le respect par ses membres des
règles de contrôle des exportations.
Mais les décisions du Cocom n’ont pas
force contraignante à l’égard de ses
membres. En réalité, la seule force
coercitive existante est celle exercée
par les Etats-Unis. L’administration
américaine contrôle la circulation des
produits d’origine américaine hors de
son territoire. Elle possède donc des
Mais les cas de dumping effectivement
sanctionnés sont très rares, d’une part
parce que les pays est-européens
acceptent après négociations de réduire
leurs exportations ou de fixer des prix
plus élevés, d’autre part parce que la
preuve du dumping est très difficile à
établir en raison des systèmes monétaires et de formation des prix différents. Par ailleurs, la part très restreinte
du commerce extérieur avec les pays
de l’Est explique que certains gouvernements occidentaux hésitent au nom
Est-Ouest
du développement des échanges à long
terme à prendre des mesures jugées
discriminatoires.»
Marie-Bernard Clauzier, Le courrier des pays de l’Est
«Une forme de concurrence : le dumping des pays
socialistes sur les marchés de l’Ouest»
CPE, n° 201, novembre 1976, pp. 43-46
● La compensation
«Depuis le début des années 1970, les
différentes formes de compensation
semblent occuper une part croissante
des échanges internationaux, principalement à cause de leur développement
dans les courants commerciaux entre
l’Est et l’Ouest. Si, pour nombre de
pays occidentaux, la compensation est
une “épidémie aux effets pervers”, “un
moyen de dumping”, “rarement conforme
aux intérêts nationaux”, à l’opposé, les
autorités des pays de l’Est en dressent
un véritable panégyrique. En 1976, au
25e congrès du Parti, L. I. Brejnev
déclarait : “Le développement de
nouvelle formes de relations économiques internationales, qui vont audelà des échanges traditionnels, élargit
considérablement nos possibilités et,
en règle générale, a un effet très puissant.
Je pense, en particulier, aux accords de
compensation...”. Ils “ouvrent de nouvelles possibilités pour obtenir des
devises”, tout en protégeant la cohérence économique des pays de l’Est
des désordres venus du monde occidental”(1).
Rapport conflictuel, l’échange compensé
Est-Ouest semble souvent opposer
l’entreprise occidentale, peu conseillée
ou aidée, à des centrales de commerce
extérieur fermement soutenues par une
volonté politique. Ainsi, la compensation, réaction contingente d’un déséquilibre extérieur chronique, est
appréhendée comme une contrainte au
plan micro-économique et une perturbation au niveau macro-économique.
[…]
le courrier des pays de l’Est
L’échange compensé, sorte de vente
forcée, résulte essentiellement d’un
besoin en devises d’autant plus fort que
le pays ne dispose que d’une monnaie
très faible et inconvertible (CAEM) et
pâtit globalement d’un déficit commercial. Les difficultés financières iraient
donc de pair avec un recours croissant
à la compensation. L’évolution de
l’endettement du CAEM, notamment
l’explosion survenue en 1974, est bien
concomitante au développement de la
compensation. […]
[Celle-ci] apparaît également comme
une aide à la commercialisation des
produits du CAEM, souvent assez éloignés des normes occidentales. Lorsque
l’entreprise n’est pas entièrement
prisonnière d’une liste de produits, elle
peut prospecter, rechercher des biens
non vendus à l’Ouest susceptibles
d’une demande. En effet, si certains
sont invendables, d’autres, qui ont une
demande potentielle à l’Ouest, ne sont
simplement pas proposés. Très souvent,
la centrale de commerce extérieur se
borne en fait à chercher des débouchés
pour les produits qui lui sont proposés
par des entreprises nationales, sans
prendre l’initiative.
Dans la pratique, la recherche du
produit se fait en deux temps. Tout
d’abord, le partenaire occidental
s’efforce de persuader la centrale de
commerce extérieur de faire une
enquête auprès des unités de production dépendant d’elle pour y découvrir
des produits (adaptabilité et disponibilité en quantité suffisante). Puis, lorsqu’ils nécessitent une modification
pour être écoulés à l’Ouest (présentation, adaptation aux normes occidentales, ...), le partenaire occidental
conseille à l’éventuel importateur de
proposer une assistance technique
(toujours appréciée) permettant de
réaliser, avec un minimum de difficultés, les améliorations indispensables. La coopération commerciale
43
N° 1046 novembre-décembre 2004
peut également amener les deux partenaires à constituer une société mixte
implantée aussi bien chez l’un d’entre
eux ou sur un marché tiers.»
Elizabeth Balsam-Herzog, Direction
du développement, Société Générale
«Les échanges de compensation
dans le commerce Est-Ouest»
CPE, n° 284, mai 1984, pp. 4-30
● La coopération industrielle
tripartite
«Selon la Commission économique
pour l’Europe(2), “par coopération
industrielle tripartite (CIT) on entend,
d’une façon générale, un projet auquel
une entreprise d’un pays tiers (en développement) participe activement en
même temps qu’une entreprise d’un
pays d’Europe de l’Est et une firme
occidentale. Pour qu’il y ait véritablement CIT, le pays en développement
ne doit pas seulement être le bénéficiaire, le client ou l’acheteur du projet,
mais prendre activement part à son
exécution”. […]
L’étroite coopération nécessaire entre
les firmes occidentales et orientales
lors d’opérations de CIT dont les
dimensions sont parfois “gigantesques”,
comme le contrat de 150 millions de
dollars signé fin 1982 entre le Japon,
l’URSS et l’Algérie pour la construction d’un pipeline, ou parfois de plus
faible dimension comme l’atteste le
contrat de 4 millions de dollars signé
en 1983 par Technican Italia (filiale de
Technican US en Italie) et Tsvetmetpromeksport (URSS) pour la construction de complexes métallurgiques dans
le Tiers Monde, requiert une bonne
connaissance mutuelle des standards
technologiques, des méthodes de travail,
des qualités et des défauts de chacun,
ce qui peut, sous certaines conditions,
conduire à établir une corrélation entre
les participants à des opérations de
coopération bilatérale et à des opérations de CIT. [...]
44
A l’Est comme à l’Ouest, le background économique général semble
avoir joué un rôle important dans le
développement de la CIT au cours des
années 1970. En effet, le ralentissement des échanges Est-Ouest, en particulier après 1975, résultant essentiellement de problèmes de solvabilité
financière, a conduit les partenaires en
présence à trouver de nouveaux
moyens de commercer entre eux ; ce
fut tout d’abord la coopération bilatérale, puis la coopération industrielle
tripartite. De même, à l’Ouest, le ralentissement du commerce international
provoqué par la crise mondiale de
1973 a poussé les entreprises occidentales à développer, malgré les difficultés,
une forme de commerce qui, à la fois,
consolidait leurs liens avec les pays de
l’Est, et leur permettait d’échapper à
une trop grande dépendance vis-à-vis
de ces mêmes pays.
La CIT, une démarche marketing ?
C’est la question que l’on est en droit de
se poser, tant le motif de gains de nouveaux marchés par les partenaires orientaux et occidentaux est mis en avant par
de nombreux auteurs. [...] La présence
bien établie de nombreuses entreprises
est-européennes dans des pays en voie
de développement à économie de type
socialiste permet aux firmes occidentales de s’implanter et d’offrir leurs
produits et services sur des marchés qui,
autrement, leur seraient fermés. Ainsi,
le pays de l’Est sert en quelque sorte de
caution morale pour la firme occidentale − la Hongrie fait explicitement référence à cet avantage pour ses partenaires. [...] Il faut ajouter le fait que,
pour les entreprises est-européennes, les
opérations de CIT leur permettent de se
familiariser bien plus avec la technologie occidentale et d’avoir accès à des
sources de financement nouvelles grâce
aux banques occidentales ou à leurs
partenaires occidentaux.»
Michel Gomez, Université Paris IX - Dauphine
«La coopération industrielle tripartite.
Mythe ou réalité ?»
CPE, n° 284, mai 1984, pp. 31-49
Est-Ouest
● En cas de désaccord,
l’arbitrage
«L’exécution des contrats signés avec
les pays de l’Est donne rarement lieu à
problèmes importants, encore moins à
rupture, l’essentiel des difficultés se
trouvant en amont : lourdeur et lenteur
des négociations, attente de l’inscription au plan pour l’octroi de crédits...
Au niveau de l’exécution, on peut
observer les caractéristiques suivantes :
une parfaite sécurité politique :
jamais de rupture intempestive de
contrat quel que soit l’état des relations
avec le pays de l’entreprise occidentale
co-contractante ;
la rigueur des partenaires est-européens : ils ont en général excellente
réputation dans les milieux d’affaires
occidentaux, à l’exception toutefois, il
faut bien le souligner, des Roumains,
assez souvent présentés comme imprévisibles ;
des difficultés qui se cristallisent sur
certaines questions : défectuosité des
conditions de stockage, d’où détérioration du matériel avant même son utilisation, retards dans la fourniture des
prestations locales est-européennes,
mauvaise maîtrise de la technologie ou
du matériel livrés (surtout Pologne,
Bulgarie, Roumanie), d’où la survenue
de pannes et incidents pendant la
période de garantie.
●
●
●
Ces difficultés sont le plus souvent
réglées à l’amiable à la fois parce
qu’elles concernent plutôt des points
techniques, du ressort des ingénieurs et
techniciens, et n’ont donc aucune incidence d’ordre juridique, et parce que
les organisations de commerce extérieur est-européennes détestent aller
jusqu’à l’arbitrage et préfèrent transiger(3).
L’arbitrage existe néanmoins […].
D’où l’attention qui doit être portée à
la rédaction de la clause compromis-
le courrier des pays de l’Est
soire, du moins quand celle-ci fait l’objet de négociations, car il arrive que le
vendeur français − c’est le cas pour les
ventes ponctuelles de biens de
consommation − se contente d’apposer
sa signature au bas du contrat-type de
la centrale de commerce extérieur. [...]
Trois points doivent retenir l’attention
des rédacteurs : il s’agit de choisir une
juridiction, d’éviter les restrictions
quelles qu’elles soient, et de choisir le
droit applicable. [...] Si aucun problème n’existe à l’heure actuelle tant
est important l’intérêt politique, économique et commercial des pays
d’Europe de l’Est à sauvegarder leur
image de marque par une exécution
volontaire, il n’en demeure pas moins
que les garanties sont beaucoup plus
politiques que juridiques et qu’une
inquiétude est toujours possible, d’autant
plus qu’en raison même de la spontanéité et de l’exactitude de leur exécution, ces pays se refusent à mettre en
place un système d’exécution forcée
qu’ignore encore leur droit. Cela peut
inciter à la prudence.»
Michèle Poulain, docteur en droit
«La clause compromissoire et l’arbitrage socialiste
dans le commerce Est-Ouest»
CPE, n° 292, février 1985, pp. 60-80
Vers l’avènement de la
société à capital mixte
«Avec l’amélioration progressive des
relations politiques entre l’Est et
l’Ouest, la recherche de nouvelles
formes de coopération économique par
les Etats et les entreprises de production est à l’ordre du jour. En Europe,
les différences de régimes socio-économiques n’empêchent pas que l’on
tente de voir ce que l’on peut tirer de
complémentarités réelles, de modèles
d’organisation qui s’assouplissent,
d’attitudes qui changent.
Parallèlement à la poursuite de négociations dans le cadre du GATT, pour
45
N° 1046 novembre-décembre 2004
trouver des équivalences “réelles” dans
le domaine du commerce, il semble se
dessiner un mouvement favorable à
l’étude par les organisations internationales en Europe des conséquences économiques et sociales de la coopération
industrielle, scientifique et technique
entre pays de l’Est et de l’Ouest. [...]
L’accroissement du commerce entre
l’Est et l’Ouest, la structure des échanges qui risque d’en figer le volume, les
progrès industriels de l’Est, la faiblesse
apparente de ses réserves en devises,
tous ces facteurs qui jouent les uns en
faveur, les autres à l’encontre d’un
développement spectaculaire des relations économiques Est-Ouest expliquent
aussi que ceux qui sont résolument
favorables à leur intensification cherchent
des solutions nouvelles. La coopération industrielle est-elle possible entre
unités de production de l’Est et de
l’Ouest ? Quelles peuvent en être les
modalités ? Quelles en seront les conséquences ? La coopération industrielle
est-elle de nature à changer substantiellement la structure des échanges
Est-Ouest ?
[...] Si les pays de l’Est veulent avoir
accès aux ressources des marchés
financiers de l’Occident, il semble bien
qu’une formule juridique permettant
une véritable association des facteurs
de production doit être recherchée. Il
faut bien voir ici que ce n’est pas parce
que l’Occident a conscience de la
valeur déterminante que son capital
peut avoir pour la mise en valeur de
certains secteurs économiques de pays
de l’Est, qu’il pose le problème de la
co-propriété. La mise au point en
commun d’un procédé technique, dont
ni l’Est ni l’Ouest de l’Europe n’auraient encore la maîtrise, ne serait-elle
pas grandement facilitée par la constitution d’une usine pilote mixte ?»
Jean-Pierre Saltiel, directeur du Courrier des pays de l’Est
«Une table ronde Est-Ouest utile»
CPE, n° 54, 11 mai 1966, pp. 4-6
46
● Premières incursions
du capital privé
«Actuellement, on assiste en Europe
de l’Est à la création répétée de sociétés à capital mixte implantées à l’Est
comme à Ouest, où le partenaire peut
être socialiste comme occidental. Les
sociétés à capital mixte Est-Ouest, plus
communément appelées joint ventures,
se définissent comme des opérations
en association dont la gestion est assurée en commun par des pays occidentaux et socialistes. Les deux parties en
présence qui ont pouvoir de décision
sont propriétaires à divers degrés du
capital et se partagent les bénéfices et
les risques. Jusqu’ici, les seuls pays
socialistes à les autoriser sur leur territoire, dans des conditions précises,
sont la Yougoslavie, la Roumanie et la
Hongrie. En revanche, il existe un
grand nombre d’entreprises communes,
en général de commercialisation,
implantées à l’Ouest. Ces dernières
constituent une forme de coopération
destinée à promouvoir sur les marchés
étrangers des services techniques et la
vente de produits fabriqués par le
partenaire socialiste − plus rarement
par les deux parties.
Le nombre des sociétés mixtes EstOuest augmente de 25 % par an depuis
1965, mais leur poids [en 1972 − Ndlr]
est encore peu important au regard du
volume global des échanges commerciaux Est-Ouest. On estime leur nombre
à 200 environ, représentant une valeur
inférieure à 2 milliards de dollars pour
un commerce annuel Est-Ouest de
14 milliards de dollars dans les deux
sens. [...]
La plupart des sociétés mixtes à
l’étranger sont encore des sociétés de
commercialisation, spécialisées dans
des secteurs industriels bien définis :
ventes de produits de l’industrie légère
et artisanale, de produits chimiques et
alimentaires, enfin de machines et
équipements, de matériaux de cons-
Est-Ouest
le courrier des pays de l’Est
truction.[...] Les entreprises de production, moins nombreuses, ont le plus
souvent pour objet la prospection et
l’exploitation de gisements minéraux,
la transformation du bois ; certaines
entreprises mixtes ont des activités
agricoles, notamment d’élevage. Enfin,
il existe quelques sociétés mixtes de
transport international, et d’autres
spécialisées dans les travaux d’ingénierie ou de consultation.
possibilité en élaborant un cadre juridique pour l’activité sur leur territoire
de firmes à participation étrangère
aussi bien socialiste(7) que capitaliste.
En fait, ces législations, qui rappellent
les dispositions yougoslaves dans ce
domaine, visent surtout les partenaires
occidentaux.»
La constitution à l’étranger des sociétés
mixtes de production Est-Ouest représente une forme de participation pour
réaliser un objectif de production par
apport de capital, et souvent de crédits,
en général accordés sous forme d’équipements, d’installations de services,
etc. Elles contribuent ainsi au développement de l’industrie et de l’emploi du
partenaire socialiste. [...]
● Retour aux principes
léninistes d’ouverture
au capital occidental
Dans les économies socialistes, “le
capital privé, national ou étranger, ne
peut, par définition, être admis à participer à l’industrie du pays”(4). La Yougoslavie fut le premier pays à promulguer
en 1967(5) une loi autorisant les étrangers
à investir dans les entreprises locales.
Par la suite, les pays est-européens ont
statutairement adopté ce type de
coopération(6), admettant que “au cours
de la mise en œuvre du Programme
complexe, il peut apparaître opportun
que les organes d’Etat ou les organisations économiques des pays intéressés
constituent des entreprises communes
disposant de biens leur appartenant en
propre, ayant la personnalité juridique,
opérant selon le principe de l’autonomie financière et répondant avec tous
leurs biens des engagements assumés.
Les formes organisationnelles et les
fonctions des entreprises communes, et
toutes autres questions se rapportant à
leur fonction et à leurs activités, sont
réglées par les parties intéressées”.
Les législations roumaine en 1971 et
hongroise en 1972 ont consacré cette
Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est
«Les sociétés à capital mixte Est-Ouest»
CPE, n° 172, mars 1974, pp. 11-19
«L’URSS a adopté à la fin de 1986 le
principe de la constitution de sociétés
mixtes sur son territoire, avec la participation de capitaux occidentaux. Une
décision du Politburo en ce sens fut
prise le 25 décembre 1986. Elle fut
suivie d’une réglementation sous
forme d’un décret du Conseil des
ministres de l’URSS, en date du 3 janvier
1987. [...] Sans remonter trop loin, on
rappellera qu’entre 1922 et 1927, l’URSS
a connu une modeste expansion de la
co-entreprise, sous forme de concessions ou sociétés d’économie mixte.
Lénine lui-même y était favorable,
principalement comme à un moyen de
former les cadres du commerce extérieur et des entreprises, et aussi comme
à un procédé d’acquisition de technologie occidentale (avant tout allemande)(8).
[...] Les buts de la nouvelle législation
sont multiples et de ce fait contradictoires. La création de sociétés mixtes
doit contribuer à couvrir certains
besoins prioritaires, et notamment faciliter l’acquisition de technologies de
pointe (les restrictions à l’achat de ces
technologies ne sont pas évoquées).
Donc, il s’agit bien d’une forme évoluée
d’importation. Mais celle-ci doit servir
à développer le potentiel d’exportation
de l’URSS ; en même temps, la nouvelle formule doit permettre de pro-
47
N° 1046 novembre-décembre 2004
duire des substituts à l’importation et
de réduire l’importation “non rationnelle”. La contradiction entre les objectifs des partenaires occidentaux (vendre,
au premier chef) et ceux de l’URSS (à
terme, réduire certaines importations et
accroître l’exportation) ne peut être
facilement éliminée, sauf si l’on admet
d’avance que désormais les contrats
d’importation seront subordonnés à la
création de firmes mixtes... [...]
l’exception, le personnel étant essentiellement soviétique).»
L’URSS a choisi une limitation stricte
du capital étranger ; la part de celui-ci
ne peut excéder 49 %. En ce sens, la
législation est plus restrictive que dans
la plupart des pays de l’Est admettant
des sociétés mixtes sur leur territoire,
où le principe est certes posé, mais
permet des exceptions.
● Malgré une spécialisation
peu adaptée...
Les principes de fonctionnement sont
intéressants. Le texte emploie les
termes d’autonomie financière et autofinancement. Le premier est à la base
de la gestion des entreprises soviétiques dans le cadre de la réforme
interne actuellement en cours. Il signifie que l’activité courante de l’entreprise ne doit pas requérir de subventions : les dépenses doivent être
couvertes par les recettes, et même
dégager un profit. L’autofinancement
suppose la capacité d’investissement,
au moins à moyen terme. Il s’y ajoute
le principe de capacité de financement
en devises, qui est peut-être le plus
essentiel : ces procédures ne doivent
pas consommer des devises convertibles. L’activité des firmes mixtes doit
générer elle-même les rentrées nécessaires à l’acquisition d’équipements,
pièces, matières, etc., utilisés pour la
production, si ces éléments doivent
être importés. Qui plus est, tout transfert de devises est subordonné à l’obtention de devises par des activités de
commerce extérieur, qu’il s’agisse du
rapatriement des bénéfices revenant
aux partenaires étrangers, ou du versement des salaires des spécialistes étrangers (ces derniers doivent demeurer
48
Marie Lavigne, Université Paris I
«Les sociétés mixtes en URSS : aspects juridiques
et financiers»
CPE, n° 315, février 1987, pp. 17-22
Les PECO : du CAEM
à l’Union européenne
«La disparition du CAEM et la transition vers l’économie de marché sont à
l’origine d’une restructuration géographique et de la composition par
produits du commerce extérieur des
PECO. La spécialisation acquise par
ces pays dans le cadre du CAEM est un
handicap dans une phase d’ouverture
aux marchés extérieurs, et la restructuration du commerce extérieur ne sera
possible qu’à la condition d’une transformation et d’une modernisation des
structures productives. [...]
Les PECO se sont engagés dans la
production de biens régressifs, c’est-àdire pour lesquels la demande mondiale décline ou stagne. De plus, dans
ces secteurs comme la sidérurgie, la
métallurgie, la construction navale et
l’industrie légère [...], [ils] sont
concurrencés par les nouveaux pays
industrialisés et ont perdu des parts de
marché à l’Ouest. Une première conséquence de cette mauvaise spécialisation des PECO est la détérioration de
leurs termes de l’échange. [...] La composition par produits des exportations
est-européennes vers la CEE explique
ainsi que, jusqu’en 1988, ces pays,
occupant la dernière place dans la
pyramide des préférences communautaire, se soient vu opposer des barrières
non tarifaires, telles que des contingents et des procédures anti-dumping.
[...]
Est-Ouest
La CEE, consciente du manque de
compétitivité des produits des PECO, a
accordé à ceux-ci des concessions non
symétriques en s’ouvrant davantage et
plus rapidement à ces pays que ceux-ci
ne le font aux exportations communautaires. Cependant, on note un décalage
entre le poids de l’agriculture, du
textile et de l’acier pour les PECO, et
l’ouverture modérée de la CEE dans
ces trois domaines. [...]
L’ouverture aux échanges internationaux est bénéfique, à condition de
maintenir une dose minimale de
protection, en particulier tarifaire. Les
accords d’association, signés en
décembre 1991 entre la CEE et
[certains] pays d’Europe centrale les
plus avancés sur la voie des réformes
ne sont qu’une première étape dans le
rapprochement.»
Régis Chavigny, Université de Metz, Credes Nancy
«La difficile réorientation des échanges des cinq pays
d’Europe centrale et orientale»
CPE, n° 373, octobre 1992, pp. 3-12
● ... une réorientation rapide
des échanges
«Les effets traditionnels de réorientation des échanges liés à la constitution
de zones de libre-change se sont manifestés dans le cadre des accords d’association avec l’UE [...]. Celle-ci est
devenue très rapidement (à partir de
1994) le premier partenaire commercial de l’ensemble des PECO signataires de ces accords : sa part est ainsi
passée en une décennie de 32 % en
moyenne à près de 60 % du commerce
total des dix PECO associés. [...] Du
côté du commerce extérieur de l’UE,
on note la même tendance. Toutefois,
la place des dix pays associés demeurait,
fin 2000, encore marginale dans le
commerce extra-UE. En outre, depuis
la signature des accords d’association,
l’UE a dégagé des excédents commerciaux sans précédent dans ses échanges
avec les PECO. [...]
le courrier des pays de l’Est
Malgré l’émergence de l’intra-branche
(échange croisé de produits appartenant à la même branche), les échanges
dans le cadre des accords d’association
restent [...] dominés par le commerce
inter-branche, qui représente environ
60 % du total des échanges entre l’UE
et les PECO (alors qu’il compte pour
moins de 40 % dans les échanges intracommunautaires). [...] D’une manière
générale, les complémentarités intersectorielles occupent encore une place
importante dans le commerce entre
l’UE et les PECO.
[...] La montée du commerce intrabranche de produits à différenciation
verticale (différences de qualité) et la
progression de la sous-traitance de
façonnage (transferts de perfectionnement passif, TPP) indiquent que les
PECO s’inscrivent parfaitement bien
dans la division des processus productifs de l’UE.
L’amélioration qualitative régulière
des produits exportés par les pays associés vers l’UE est une bonne illustration de la convergence en cours des
systèmes productifs. Notons que c’est
dans les secteurs où la coopération est
la plus forte avec les firmes européennes que l’amélioration de la qualité
des produits exportés a été la plus
significative.»
Assen Slim, Inalco
«UE - Europe centrale et orientale.
Entre concurrence et complémentarité»
CPE, n° 1012, février 2001, pp. 32-44
La Russie : toujours
captivée par l’Organisation
mondiale du commerce
«La Russie est officiellement candidate
à l’OMC depuis 1993. Dix ans après,
elle se trouve toujours à la porte de
l’organisation, alors que d’autres pays
en transition, qui ont pourtant annoncé
plus tard leur candidature, en sont
49
N° 1046 novembre-décembre 2004
membres depuis déjà plusieurs années.
Cette lenteur, qui reste relative − la
Chine a négocié son entrée durant pas
moins de quinze années − n’est pas
principalement imputable à la taille de
l’économie russe : aujourd’hui premier
exportateur mondial non membre de
l’OMC, la Russie reste toutefois une
économie relativement modeste à
l’échelle mondiale. Le retard dans les
négociations a été pris pour l’essentiel
au cours de la période 1994-1999,
durant laquelle la politique d’ouverture
fut particulièrement chaotique(9).
[...] La voie sur laquelle les autorités
russes se sont engagées […] consiste à
conserver des éléments de protection
pour les secteurs les plus sensibles et
ceux qui présentent un réel potentiel de
modernisation, tout en ouvrant rapidement les autres marchés aux entreprises étrangères. De fait, l’effort
fourni en matière de réforme a été
considérable : les tarifs douaniers ont
été simplifiés et allégés, l’accès aux
marchés nationaux facilité ; la fiscalité
et l’intervention de l’Etat ont tendu à
clarifier et non pas opacifier, comme
par le passé, les conditions de la
concurrence et les monopoles naturels
ont entamé leur conversion vers des
pratiques de gestion plus conformes
aux normes internationales. Le crédit
international dont jouit l’économie russe
s’est notablement redressé à partir, il
est vrai, d’une situation passablement
dégradée. Cependant, l’avenir des négociations est loin d’être sans nuage : les
questions les plus difficiles − les pics
tarifaires, l’agriculture, la propriété
intellectuelle, les taxes sur les exportations, l’ouverture des services financiers aux participations étrangères et la
tarification interne des productions des
monopoles naturels, entre autres − sont
encore en discussion. La conclusion
d’accords sur ces points supposera
d’importantes concessions dont une
grande partie devra être faite par la
Russie, compte tenu de la nature asymétrique du processus de négociation.
Le problème est compliqué par le fait
que l’insertion de la Russie dans l’économie mondiale depuis 1992 n’a pas
produit les effets favorables escomptés
sur la structure de sa production : la
réorientation géographique du commerce extérieur vers les pays occidentaux s’est accompagnée d’une concentration des exportations sur les matières
premières et d’un effondrement des
parts de marché des industries manufacturières au profit des importations.
Un temps stoppée par la dévaluation
d’août 1998, cette évolution a repris à
la faveur de l’appréciation du taux de
change réel du rouble et de l’essor de
la demande intérieure.
Les autorités russes sont conscientes
des risques liés à une exposition trop
brutale des pans de l’industrie nationale qui ont survécu à la récession ;
mais elles mesurent également l’étroitesse des marges de manœuvre dont
elles disposent dans la négociation.
Fort probablement, moyennant l’assurance donnée à leurs partenaires sur
l’irréversibilité du processus de libéralisation engagé, elles tenteront d’obtenir
des clauses de sauvegarde et un aménagement du calendrier de ce processus,
en négociant par exemple des périodes
de transition relativement longues, de
l’ordre de huit à dix ans pour les
secteurs les plus sensibles, comme
l’agriculture.»
Julien Vercueil, Centre d’études
des modes d’industrialisation, EHESS
«La Russie et l’OMC. Enjeux d’une adhésion annoncée»
CPE, n° 1031, janvier 2003, pp. 58-65
Notes :
(1) Vnechniaia torgovlia, n° 4, 1980.
(2) La coopération industrielle Est-Ouest, Commission économique pour l’Europe des
Nations Unies, Genève, 1980.
50
Est-Ouest
le courrier des pays de l’Est
(3) Il y a quelques années, une firme parisienne de textile s’est ainsi vu demander 40 000 FF
en réparation d’une livraison défectueuse. Son acheteur soviétique n’ayant pas accepté une
vérification sur place, elle proposa 6 000 FF, ce qui fut accepté sans aucune difficulté.
(4) S. Pisar, Transactions entre l’Est et l’Ouest, Dunod, Paris, 1972, p. 26.
(5) Sluzebni list, Belgrade, n° 31, 19 juillet 1967.
(6) Voir le «Statut du Programme complexe», adopté au cours de la XXVe session du CAEM
en juillet 1971, Section 8, article 4. in M. Lavigne, Le Comecon, Ed. Cujas, Paris, 1973, p.
362.
(7) Après la guerre, l’URSS avait créé avec la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie − anciens
alliés de l’Allemagne − des sociétés mixtes par actions, dissoutes en 1954-1955. L’apport
soviétique était constitué par les biens allemands dans ces pays, qui furent attribués à l’URSS
par les Traités de Potsdam et de Paris. L’apport des partenaires représentait en fait des réparations
de guerre.
(8) V. I. Lenine, «Lettre au Politburo du Comité central du Parti communiste (bolchevik)
russe sur le contrat avec un consortium de firmes allemandes», au camarade Staline pour le
Politburo, copie au camarade Kamenev, 18 octobre 1922, V. I. Lenine, Œuvres, t. 45, p. 226.
L’historique est détaillé dans Marie Lavigne, Entreprises conjointes et coopération EstOuest, rapport présenté au colloque de l’Association internationale de droit économique,
Louvain la Neuve, 10-14 novembre 1986.
(9) Pour une analyse de la politique commerciale russe de cette période, voir par exemple
J. Vercueil, Transition et ouverture de l’économie russe (1992-2002). Contribution à une
économie institutionnelle du changement, Paris, L’Harmattan, 2002, 348 p.
Pour plus d’informations lire
dans Le courrier des pays de l’Est
Anita Tiraspolsky, Anne Vahl, «1971 : un tournant dans les relations économiques EstOuest ?», n° 159, janvier 1973, pp. 9-47.
Anita Tiraspolsky, «Les investissements occidentaux dans les pays de l’Est», n° 228, avril
1979, pp. 3-28.
Daniel Pineye, «Le commerce Est-Ouest dans les années quatre-vingt : réflexions sur
l’avenir de la demande des pays de l’Est», n° 243, septembre 1980, pp. 44-47.
Zoltan Krasznai, «Le poids des multinationales occidentales dans les échanges Est-Ouest»,
n° 267, novembre 1982, pp. 3-18.
Laure Despres, «Les retombées des ventes d’armes soviétiques et est-européennes sur les
relations économiques Est-Ouest», n° 297, juillet-août 1985, pp. 49-61.
Anita Tiraspolsky, «Les zones franches en URSS : projets et débats», n° 348, mars 1990,
pp. 21-25.
Nathalie Clergeau, Anita Tiraspolsky, «Consortiums et associations : prototypes des futures
maisons de commerce soviétiques», n° 348, mars 1990, pp. 4-18.
Anita Tiraspolsky, «Les consortiums occidentaux dans les échanges avec l’URSS», n° 348,
mars 1990, pp. 19-20.
Bertrand Warusfel, «La libéralisation du contrôle des échanges technologiques Est-Ouest
et ses implications internationales», n° 353 (octobre 1990), pp. 27-38.
Alice Landeau, «L’AELE, la CEE et les pays d’Europe centrale : vers une cohabitation ?»,
n° 366, janvier-février 1992, pp. 30-46.
Anita Tiraspolsky, «Les échanges de l’ex-URSS avec le monde extérieur», n° 373, octobre
1992, pp. 14-29.
Gérard Wild, «CEI-Ouest : inertie et frémissements», n° 397-398, mars-avril 1995,
pp. 152-166.
Catherine-Anne Remontet, Marcel Delbos, «L’évolution de la politique économique de
l’UE envers les PECO et l’ex-URSS», n° 421, août 1997, pp. 3-19.
Céline Bayou, «Relations économiques actuelles entre la Russie et l’Europe. De la nécessaire
définition d’un projet», n° 434, novembre 1998, pp. 16-35.
Céline Bayou, «Les relations Russie - UE : vers quelle intégration ?», n° 1025, mars 2002,
pp. 4-16.
51
N° 1046 novembre-décembre 2004
Le CAEM
Echec d’une mutualisation imposée
Fondé le 25 janvier 1949, le CAEM
(Conseil d’aide économique mutuelle),
plus connu à l’Ouest sous le sigle
Comecon, a d’abord rassemblé autour
de l’URSS, Bulgarie, Hongrie, Pologne,
Roumanie et Tchécoslovaquie. En ont
ensuite fait partie l’Albanie (de février
1949 à 1961) et la RDA (de 1950 à 1990).
La Mongolie en devint membre en 1962,
Cuba en 1972 et le Vietnam en 1978. La
Yougoslavie n’y fut qu’associée, à partir
de 1964.
Créé en réponse au Plan Marshall d’aide
à la reconstruction proposé par les EtatsUnis et à l’Export Control Act (ancêtre du
Cocom, cet organisme dépourvu de statut
et de reconnaissance officielle, qui a, à
partir de 1950, contrôlé les exportations
vers le bloc de l’Est des pays de l’Otan
et du Japon), le CAEM a fonctionné
jusqu’à sa disparition de façon
autarcique, coupé du reste du monde
par la non-convertibilité des monnaies, un
système de formation des prix spécifique
et des barrières commerciales. Il était
basé sur des accords de spécialisation de
la production entre pays membres. Les
échanges réciproques reposaient sur un
système de clearing, avec pour unité de
compte une monnaie fictive, le rouble
transférable, le dollar ne servant
qu’aux échanges de produits stratégiques
(minerais, combustibles, etc.). La BICE
(Banque internationale de coopération
économique), créée en 1963, avait pour
vocation de comptabiliser les opérations
52
commerciales réalisées et les crédits
alloués au sein du CAEM. La BII (Banque
internationale d’investissements), créée
en 1971, était, elle, destinée à financer
des investissements multilatéraux au
sein du CAEM. Le Conseil a généré
une bureaucratie réputée pléthorique
et complexe.
Reflet de l’évolution des pays de la zone,
des aléas de la construction socialiste
et, malgré tout, des influences du monde
capitaliste, le CAEM a connu une histoire
chaotique, alternant périodes de
coopération renforcée, crises, réformes,
recherches de nouvelles formes
d’intégration... Après une décennie
quasiment «défensive», ce n’est qu’à
partir du début des années 1960 que
se dessinèrent ses véritables desseins,
qui, selon la Charte adoptée en 1960,
consistaient à contribuer «par la voie de
l’union et de la coordination des efforts
des pays membres du Conseil, au
développement équilibré de l’économie
nationale, à l’accélération du progrès
économique et technique dans ces
pays, au relèvement du niveau de
l’industrialisation des pays dotés de
l’industrie la moins développée, à
l’accroissement continu de la productivité
du travail et à l’essor constant du bienêtre des peuples des pays membres du
Conseil».
L’échec du CAEM, qui a conduit à sa
disparition en juin 1991, a évidemment été
Le CAEM
le courrier des pays de l’Est
analysé de diverses manières, le sujet
se prêtant facilement à une lecture
idéologisée. Indéniablement, l’absence
de rationalité des flux commerciaux au
sein de ce bloc, ainsi que les divergences
politiques nées du caractère forcé de
l’intégration et/ou des interprétations
diverses portées par les membres euxmêmes sur les causes de la crise et les
remèdes appropriés, ont accéléré le
processus de délitement du Conseil.
La genèse
Juste après la mort du CAEM, il est
apparu qu’avec une interdépendance
très forte (70 à 100 % des importations
de pétrole et de gaz des pays d’Europe
centrale et orientale provenaient
traditionnellement de l’URSS) et en raison
des réticences occidentales face à cette
nouvelle concurrence, les protagonistes
se devaient de maintenir des liens
économiques, mais sur une autre base.
Se sont alors mises en place de nouvelles
formes de commerce mutuel, allant du
simple accord de troc au recours à des
intermédiaires occidentaux... Diverses
contraintes, pas seulement monétaires,
ont également influencé le devenir de ces
relations : le règlement de la dette de
l’ex-URSS et la dépendance énergétique
à l’égard de la Russie en font partie.
Dans une première phase que l’on peut
sensiblement situer de 1949 à 1954,
avec ensuite une période de transition
1954-1956, le champ d’activité de
l’organisation reste fort limité et se
borne pratiquement à établir des relations commerciales étroites entre les
pays membres. Les démocraties populaires étaient alors en proie aux graves
difficultés que suscitaient la reconstruction de l’après-guerre, en même
temps que la réorganisation de l’économie sur un modèle socialiste. Tout à
leurs problèmes intérieurs, elles
n’étaient guère en mesure de prendre
part à l’édification d’un ensemble économique à l’échelle européenne.
L’URSS stalinienne, de son côté, était
avant tout préoccupée par son propre
relèvement et l’affermissement de sa
puissance. Elle se souciait peu
d’apporter son aide économique à des
pays qui étaient, pour la plupart, des
ennemis vaincus et dont on ne pensait
pas que la fidélité fût à toute épreuve.
D’autre part, dans l’esprit de ses fondateurs, le Comecon était conçu comme
une réplique orientale de l’OECE(1), et
le développement du commerce était
son objectif premier. Le communiqué
publié à l’issue de la conférence constitutive de janvier 1949 indique que :
“les gouvernements des Etats-Unis
d’Amérique, de la Grande-Bretagne et
de certains pays d’Europe occidentale,
boycottent, en fait, les relations commerciales avec les démocraties populaires et l’URSS, parce que ces pays se
refusent à se soumettre aux obligations
Au lendemain de l’adhésion de huit pays
d’Europe centrale et orientale à l’Union
européenne (UE), dont trois étaient des
républiques constitutives de l’URSS, il
convient sans doute de se rappeler que ces
pays, sous une forme ou une autre, ont
tous (à l’exception de la Slovénie) été
membres du CAEM. La compréhension
de ce parcours de quarante ans au sein
d’une autre zone d’intégration permet
sans doute de poser un regard plus juste
sur ces nouveaux membres de l’UE ; de
même, il apporte un éclairage essentiel à
la compréhension des relations nouvelles
entre l’UE et ses nouveaux voisins, dont la
Russie n’est pas le moindre.
«Dès sa fondation, le Comecon était
envisagé, tout au moins en principe,
comme un organisme de vaste coopération dans tous les domaines de l’économie, ainsi que sur le plan scientifique et technique.
● Au début était le commerce...
53
N° 1046 novembre-décembre 2004
du plan Marshall...”. En conséquence,
la conférence a examiné la possibilité
d’organiser une coopération plus
étroite, dans un domaine plus large,
entre les démocraties populaires et
l’URSS.
Mais, si l’activité du Comecon, durant
cette période initiale, s’est essentiellement limitée au commerce, elle n’en
fut pas moins importante. […] En dix
ans (1950-1960), le volume global des
échanges extérieurs des pays de l’Est a
plus que triplé, la part des échanges à
l’intérieur de l’organisation étant
prépondérante. […] Pour tous les pays
du Comecon, les échanges au sein de
l’organisation sont de l’ordre de 70 %
du volume total. L’interdépendance
commerciale de ces pays est extrêmement avancée et continue de s’accentuer.
[...]
● Planifier, coordonner
Cette interdépendance même, au fur et
à mesure que s’accroissait l’industrialisation des démocraties populaires, et
que leurs plans respectifs devenaient
de plus en plus complexes, rendit vite
nécessaire un ajustement des conditions en fonction des besoins mutuels.
D’autre part, l’édification d’une économie moderne rendait de plus en plus
gênant un cloisonnement national. Il
fallait, pour planifier, prévoir grand,
donc au-delà des limites géographiques des Etats, et prévoir longtemps
à l’avance, donc coordonner les plans
nationaux.
Les premières mesures adoptées en ce
sens le furent en mars 1954, lors de la
IVe session du Conseil, où fut posé le
principe de consultations entre les pays
membres pour cordonner leurs plans
de développement. La Ve session (juin
1955) décida d’harmoniser les programmes des investissements. Mais
c’est la VIIe session (Berlin, mai 1956)
54
qui ouvre véritablement la voie à une
coordination des économies sur une
vaste échelle en instituant un ajustement
systématique des travaux dans toutes
les branches fondamentales de l’économie, à savoir : les constructions mécaniques, la sidérurgie, la métallurgie nonferreuse, les industries du charbon, du
pétrole et du gaz, l’industrie chimique,
l’industrie légère et l’agriculture. [...]
La progression de l’interdépendance
commerciale avait rendu nécessaire la
coordination des plans de développement aussi bien à l’échelon national
qu’au niveau des branches de production. Cette coordination, à son tour,
contribua à augmenter encore le flux
des échanges. D’autre part, les efforts
d’expansion économique, et plus particulièrement d’industrialisation, commençaient à donner des résultats. Les
prévisions de développement ultérieur
que l’on s’efforçait de faire en commun en vue d’une plus grande rentabilité, débouchaient de plus en plus
nécessairement sur des ensembles
supra-nationaux. Et comme aucun des
pays intéressés, en dehors de l’URSS,
ne possédait des ressources suffisantes
pour édifier à lui seul une économie
moderne complète, la question qui vint
très rapidement à l’ordre du jour fut
celle de la spécialisation des productions par pays. Cela était d’autant plus
impérieux que la politique des années
qui suivirent la guerre [...] avait été,
précisément, d’implanter partout, et à
tout prix, une puissante industrie
lourde.
On sait que cette politique économique, menée le plus souvent au
mépris des possibilités réelles des
pays, s’est révélée désastreuse et que,
en particulier, elle ne fut pas la dernière des causes de la crise qui secoua
l’Europe de l’Est lors des événements
tragiques de 1956 en Pologne et en
Hongrie. Pour que l’ensemble des pays
de l’Est puisse accroître rapidement
Le CAEM
son potentiel économique, il ne suffisait pas de commercer, il ne suffisait
pas d’échanger des informations sur
les investissements ou la planification,
il fallait également se répartir les
tâches au mieux des possibilités de
chacun.
Une conférence des partis communistes et ouvriers des pays membres du
Comecon, réunis à Moscou en mai
1958, posait officiellement le principe
d’une division internationale socialiste
du travail. En application de cette décision, les années qui suivirent furent
consacrées à spécialiser peu à peu,
d’abord dans des branches particulières
(en premier lieu les constructions
mécaniques, les matières premières et
l’énergie), chaque pays dans des types
de production déterminés. Cela n’allait
pas sans mal, ni sans heurts. Il était
délicat, en effet, de déterminer quels
types précis de machines, par exemple,
seraient construits avec le plus de rentabilité dans tel ou tel pays. Et, une fois
la décision prise, il fallait encore
reconvertir les usines produisant ce
type de machines dans les pays moins
aptes à les fournir. Il fallait également
doter le pays choisi d’un équipement
qui permette de couvrir le besoin des
autres. Néanmoins, l’expérience fut
jugée suffisante, lors de la XVe session
du Conseil (décembre 1961) pour que
l’on puisse élaborer une charte de la
division du travail : les “Principes de
base de la division internationale
socialiste du travail”. Ce document
fondamental fut adopté par la conférence des chefs de gouvernement et
Premiers secrétaires des Partis de juin
1962.»
Georges Martinowsky, Assistant de recherches
au CERI (Sciences Po)
«Le COMECON. Evolution et perspectives»
CPE, n° 5, 9 mai 1964, pp. 19-32
le courrier des pays de l’Est
Un pas en avant sur la
voie d’une intégration
coordonnée
«On assiste depuis 1971 à un regain
indéniable de l’activité du CAEM, qui
succède à plusieurs années d’hésitation
et de discussions sur les formes d’intégration à adopter. A Bucarest, en juillet
1971, les pays membres avaient mis au
point un programme d’intégration à la
fois vaste et détaillé, sans apporter
cependant de solutions fondamentalement nouvelles aux problèmes qui
avaient jusque-là freiné la formation
d’un ensemble économique cohérent.
Ce programme a été largement suivi :
les progrès réalisés dans la mise au
point des méthodes d’intégration, de
même que le développement des projets
concrets de coopération dans les divers
secteurs économiques s’inscrivent en
effet directement dans le cadre tracé à
la XXVe session du CAEM. Or, ce programme, élaboré de 1968 à 1971, qui
se présentait comme une réponse assez
traditionnelle aux risques de dissociation du CAEM(2) et à l’élargissement de
la Communauté économique européenne(3), prend dans le contexte économique international actuel une portée
nouvelle : la crise de l’énergie et les
difficultés économiques occidentales
devraient en effet accélérer sa mise en
œuvre et, d’une manière générale,
renforcer la cohésion du bloc socialiste. [...]
En ce qui concerne les mécanismes de
l’intégration, le Programme complexe
de juillet 1971 définissait des orientations qui se sont traduites depuis lors
par des progrès notables en matière de
coordination des plans et des efforts
appréciables pour développer la mobilité du capital dans la région.
Les mesures prises depuis 1971 témoignent d’un choix désormais très net de
la coordination des activités écono-
55
N° 1046 novembre-décembre 2004
miques nationales comme méthode
fondamentale d’intégration. Les nouveaux principes d’élaboration des
plans soviétiques révèlent les progrès
réalisés à cet égard (qui doivent aussi
se traduire dans la planification des
autres pays membres). [...]
Il est désormais expressément indiqué
que “les obligations de l’URSS découlant de la coordination des plans avec
les autres pays socialistes devront
figurer dans une section spéciale du
plan national”. Cela est particulièrement
valable en ce qui concerne les échanges
mutuels. Dans les plans de production
de chaque branche seront incluses les
obligations d’exportation (en quantités
et dans les délais requis) ; de même, les
plans de consommation − intermédiaire et finale − devront prendre en
compte les importations prévues. La
section du plan consacrée aux échanges
mutuels précisera notamment, outre le
volume et la composition des livraisons, l’évolution des prix, les entreprises
principalement responsables de la
production destinée à l’exportation, de
même que celles auxquelles sont destinées les importations.
La coordination des plans devra répondre
à certaines préoccupations générales
définies dans le Programme complexe
telles que le perfectionnement des
méthodes de coopération, l’approvisionnement en matières premières, la
recherche de progrès techniques, etc.
En outre, il semble qu’au cours des
travaux de coordination, l’accent soit
mis sur l’examen systématique des
possibilités de planification commune,
d’investissements conjoints, et d’achats
groupés de licences dans les pays tiers.
[...]
Toutes les mesures multilatérales d’intégration auxquelles aura abouti la
coordination seront rassemblées dans
un chapitre spécial, constituant le
“plan de développement de l’intégration socialiste”. Celui-ci regroupera
56
donc les accords de constructions communes, de coopération et spécialisation, et les opérations de planification
conjointe. Ce plan sera, en ce qui concerne
l’URSS, décomposé au niveau des
ministères, services, républiques, unions
industrielles et grosses entreprises ; et
les ressources correspondantes nécessaires seront affectées à la mise en
œuvre de ces projets. En ce qui concerne
les investissements conjoints, ce plan
fixera par exemple les apports de
chaque pays et la structure par produits
de cette contribution, le montant et la
répartition de la production commune,
les ressources humaines et les capacités de construction mobilisées par
chaque pays pour ce projet commun.
La nouvelle importance de la coopération dans l’activité économique nationale apparaît dans la priorité dont
jouissent les objectifs liés aux opérations communes par rapport aux objectifs purement nationaux − priorité quant
à l’affectation des investissements et à
l’approvisionnement matériel et technique. Parallèlement, les “accords généraux” (de construction commune, de
spécialisation, de planification conjointe)
qui constituent le fondement légal de la
coopération précisent aussi les garanties et les sanctions matérielles liées à
la défaillance d’un des partenaires.
En faisant des objectifs liés à la coopération une partie intégrante du plan
national, en prévoyant à ce titre les ressources adéquates, en imposant éventuellement leur priorité, les membres
du CAEM ont certainement fait un
grand pas en avant dans la voie d’une
intégration coordonnée. L’intégration
par la coordination des plans s’avère
d’ailleurs le modèle logique d’intégration d’économies qui restent centralement planifiées.»
Françoise Lemoine, Groupe d’études
prospectives internationales (CFCE)
«La relance de l’intégration dans le CAEM»
CPE, n° 185, mai 1975, pp. 7-19
Le CAEM
Des échanges,
mais à quel prix ?
«Le domaine des prix du commerce
intra-CAEM demeure l’une des zones
d’ombre des économies socialistes
parmi les plus difficiles à mettre en
lumière. En effet, on se trouve en présence d’un système économique (le
marché intra-CAEM) qui, à son origine, a voulu se “protéger” du marché
capitaliste, où le marché n’est pas un
marché, où les prix ne sont pas de véritables prix, où la sphère des échanges
est isolée des économies nationales, où
la monnaie inconvertible (le rouble
transférable) ne joue pas son rôle de
monnaie (mesure de la valeur, moyen
de paiement et de réserve). Que représentent les concepts de coûts, de valeur,
de cours officiel et taux de change,
d’équilibre de la balance commerciale,
de termes de l’échange dans des économies où le commerce extérieur,
monopole d’Etat, est planifié ? Il est
planifié bilatéralement à cinq ans avec
chaque pays membre : plans exprimés
en quantités physiques pour les produits
clés qui entrent dans les échanges ;
plans équilibrés avec chaque partenaire
selon des critères ni monétaires, ni
financiers, mais plutôt en fonction de
la rareté relative des produits au sein
de la zone, ou de leur rareté réelle sur
le marché international ou même selon
des rapports de force spécifiques à l’intérieur du camp où s’entrecroisent des
considérations politiques, idéologiques,
militaires et économiques.
Parce qu’il fallait “un prix” pour
échanger des locomotives contre du
pétrole ou du charbon, on a choisi celui
du marché mondial qu’on a manipulé.
Parce qu’il fallait “une monnaie” pour
transcrire ce prix, on a créé le rouble
transférable. Parce qu’il fallait une
“parité” pour passer d’une monnaie à
l’autre, on lui a affecté un “cours officiel”.
le courrier des pays de l’Est
Si les principes théoriques sont connus
grâce à la littérature soviétique et esteuropéenne, l’application en est, par
contre, moins évidente. Or, c’est dans
le système de prix communautaire que
réside actuellement l’une des sources
de tensions particulièrement vives
entre les partenaires socialistes, entre
l’URSS et ses voisins. Notamment, le
cloisonnement auquel conduit le strict
bilatéralisme des relations économiques
bloque l’information nécessaire à la
propagation des échanges. Chacun
ignore, semble-t-il, ce que fait le voisin,
le prix qu’il paiera, et les raisons
d’éventuelles concessions mutuelles.
Le processus actuel de fixation des
prix, élaboré en 1958, révisé en 1974,
est l’objet d’un débat ancien qui resurgit périodiquement au sein du camp
socialiste. Il est de plus en plus évident
que l’analyse du système de prix intraCAEM en tant qu’entité isolée est
insuffisante. Quel que soit l’objectif de
départ − comparaison avec les prix
mondiaux, vérification du “dogme” de
la stabilité des prix, ou détermination
des “gagnants” et des “perdants” du
système de fixation des prix intraCAEM −, toutes les études occidentales mettent en évidence l’échec des
tentatives du camp socialiste pour
instaurer un système de prix cohérent.
Ce problème n’est en fait qu’une fraction d’un problème beaucoup plus
vaste que pose l’absence de marché et
de véritables relations monétaires au
sein du camp. Il est la cible principale
des économistes est-européens qui
considèrent que les mécanismes de
prix et de paiements “communautaires” sont actuellement une entrave à
l’extension du commerce et de la
coopération au sein de la zone. C’est
certainement l’un des chapitres de la
construction de l’intégration économique socialiste le plus controversé.
Sans doute sous la pression des
déséquilibres induits par les prix mondiaux depuis 1974, les études […] sur
57
N° 1046 novembre-décembre 2004
les prix du CAEM se sont multipliées.
Les thèses, surtout hongroises et polonaises, s’opposent aux positions plus
doctrinaires de l’Union soviétique et
de la RDA : éternelle opposition entre
les partisans d’un système de prix flexibles reflétant les conditions de l’offre
et de la demande régionales (CAEM)
ou internationales, pouvant jouer le
rôle d’un véritable instrument de politique économique, et ceux pour qui
les prix traduisent simplement des
pratiques compensatoires. [...]
Les pays est-européens expriment
fréquemment un désarroi croissant :
leurs économies sont incapables de
s’adapter aux “nouvelles” conditions
que crée la situation économique
mondiale, entre autres à cause de leur
système de prix et de relations monétaires au sein de la zone, qui freine
tout à la fois le commerce et la coopération économique. Pour l’Europe de
l’Est, l’absence de souplesse générale
a des conséquences d’ores et déjà très
lourdes.
Dans le domaine de la coopération,
qu’il s’agisse des programmes de
développement de la coopération à
l’horizon 1990 (programmes finalisés), du «plan concerté d’actions
multilatérales d’intégration» récapitulant les opérations d’une certaine
envergure à mener en commun au
cours d’un plan quinquennal, ou des
organisations économiques internationales − phares de l’intégration économique socialiste − ils sont
considérés comme des “corps étrangers” par les pays est-européens et
sont sans effet incitatif sur la coopération, notamment parce qu’ils sont
dépourvus d’instruments économiques de types monétaires et financiers.»
Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est
«L’énigme du prix des échanges à l’intérieur du CAEM»
CPE, n° 271, mars 1983, pp. 3-26
58
Spécialisation
ou complémentarité ?
«Les interdépendances régionales sont
difficiles à mesurer, pour les pays
socialistes eux-mêmes et bien sûr pour
l’Ouest : d’abord parce que les informations sont très fragmentaires, ensuite
parce que le système de prix en
vigueur dans les relations intra-CAEM
et l’unité de compte − le rouble transférable créé en 1963 − utilisé pour
libeller ces prix, se démarquent toujours
de la logique des prix internationaux et
des monnaies convertibles. Les échanges
résultent en fait d’une concertation
dans le cadre de la coordination des
plans au niveau du CAEM. Ils font
toujours l’objet d’accords à long terme
(cinq ans) conclus bilatéralement entre
les Etats, et contingentés chaque année
en quantités physiques. Ils sont équilibrés
en valeur par groupes de produits de
même nature. La valeur des produits
est établie par référence au marché
mondial, mais corrigée pour “en éliminer
les mouvements conjoncturels et spéculatifs”. Depuis 1974, les prix contractuels intra-CAEM sont établis chaque
année, et pour la durée de l’année, par
référence aux prix moyens mondiaux
des cinq années précédentes. Ce système,
outre qu’il situe les prix intra-CAEM à
des niveaux différents des prix mondiaux,
se heurte au choix du prix mondial
notamment pour les produits finis qui,
par insuffisance de qualité et de
modernité, ne peuvent être écoulés sur
le marché occidental. Enfin, ces prix
sont libellés en roubles dits transférables, monnaie de compte inconvertible,
les échanges intra-CAEM étant équilibrés par type d’opérations ou de produits,
non substituables les uns aux autres.
● Une mesure
des interdépendances...
Quoi qu’il en soit, on peut tenter de
mesurer les interdépendances économiques par le degré de concentration
Le CAEM
des échanges et par la multiplication
des complémentarités industrielles et
économiques au sein du CAEM.
Or, le rythme de croissance des échanges
intra-CAEM ne reflète pas un dynamisme particulier du commerce régional, l’accroissement ayant été moins
rapide que pour leurs échanges avec le
reste du monde. Mais le plus caractéristique est la forte concentration des
échanges intra-CAEM sur l’URSS. En
moyenne, plus de 60 % des échanges
des pays membres se réalisent à l’intérieur du CAEM, chiffre sans doute
sous-estimé, puisque le niveau des prix
intra-CAEM, dans les années quatrevingt, se situait au-dessous du niveau
des prix mondiaux. L’URSS, à elle
seule, représente 39 % du commerce
des six pays est-européens, contre
30 % en 1980 et 37 % en 1970. Ces
évolutions observées en prix courants
reflètent essentiellement la forte progression des prix des matières premières
et des combustibles livrés par l’URSS.
Néanmoins, la part de l’URSS reste
prépondérante même si l’on ne peut la
mesurer précisément.
L’URSS est devenue un fournisseur de
combustibles pratiquement exclusif de
l’Europe de l’Est. Les produits énergétiques et les matières premières, qui
représentaient le tiers des exportations
soviétiques vers les pays du CAEM
dans les années soixante-dix, en représentent désormais plus de la moitié. Si
bien que la structure des échanges
intra-CAEM, et surtout de l’URSS,
traduit bien plus une complémentarité
naturelle qu’un effet d’une véritable
spécialisation internationale. [...] Le
degré de complémentarité industrielle,
développée dans les années soixantedix, est tenu pour faible par la plupart
des économistes est-européens. Généralement, ils expliquent cet état de choses
par les obstacles que présentent un
bilatéralisme trop rigide, l’absence de
monnaie convertible qui les contraint à
des pratiques comptables proches du
le courrier des pays de l’Est
clearing, enfin par le niveau des prix
intra-CAEM complètement décalé par
rapport aux prix mondiaux, et peu incitatif.
● ... qui révèle une dépendance
à l’égard de l’URSS
La spécialisation, de même que toutes
les autres formes de coopération économique intra-CAEM, est le plus souvent
représentée comme un système radial
avec pour centre l’économie soviétique, chaque pays se spécialisant dans
un produit ou un groupe de produits
pour le compte d’un seul pays − l’URSS −
qui fut un partenaire peu exigeant jusqu’à une date récente au plan qualitatif,
selon les critères occidentaux. Ce n’est
donc pas le terme d’interdépendances
économiques qui caractérise les relations intra-CAEM, mais bien plutôt
celui de la dépendance à l’égard de
l’URSS, si l’on tient compte des complémentarités que l’on observe.
Pour l’URSS, les pays membres du
CAEM peuvent offrir un certain nombre
de complémentarités naturelles : minières
(bauxite hongroise, charbon polonais...),
industrielles (semi-produits, biens de
consommation), techniques (RDA,
Tchécoslovaquie), agricoles (blé hongrois). La plupart de ces complémentarités sont réelles, mais très insuffisantes pour elle [...].
Par contre, pour l’Europe de l’Est,
l’URSS couvre quelque 60 % de ses
besoins en matières premières et combustibles. En contrepartie, elle est destinataire, souvent unique, de nombreuses
constructions mécaniques − machines,
équipements, pièces d’armement fabriquées par des pays, dans certains cas,
sans traditions industrielles (Bulgarie,
Pologne, Roumanie). Bien sûr, ceci
leur a permis de créer des emplois, de
devenir des exportateurs nets de machines
et équipements, et de se doter d’industries de biens de consommation qu’ils
59
N° 1046 novembre-décembre 2004
exportent surtout vers l’URSS. Mais
ces complémentarités ne sont pas sans
écueils. N’ayant pas eu à affronter la
concurrence internationale pendant des
années, ces pays sont devenus pratiquement incapables d’exporter vers
l’Ouest de nombreux produits finis de
qualité. De grands pans de leurs économies sont étroitement rattachés à
l’appareil de production soviétique,
par le biais notamment de la coproduction. Leur commerce est satellisé à
40 % au moins.
Aussi, lorsque les économistes esteuropéens dressent le bilan du CAEM,
ils évoquent souvent :
Le manque de technologie moderne.
L’inadaptation de la coopération et de
la spécialisation.
La surconsommation industrielle en
matériaux et énergie.
La détérioration simultanée des situations énergétiques dans tous les pays
est-européens.
Les pénuries alimentaires absolues ou
relatives.
Le manque d’organisation dans la
production industrielle.
L’absence de coordination dans les
relations économiques extérieures.
Enfin, l’inadéquation des mécanismes
de coopération aux exigences modernes,
les régulateurs économiques ne permettant de répondre à la conjoncture
qu’avec des décalages importants, c’està-dire bien souvent trop tard.
●
●
●
●
●
celui du renouvellement du capital productif. Tous les pays dénoncent l’usure
et l’obsolescence de leur infrastructure
économique qui se sont aggravées au
début des années quatre-vingt, par
manque d’investissements. Or, c’est
dans un tel contexte que l’URSS a
déclaré ne pouvoir maintenir ses
livraisons de pétrole et de matières premières à un niveau suffisant, que si ses
partenaires lui fournissaient “les produits
qui lui sont nécessaires”, c’est-à-dire
d’une qualité comparable à celle des
produits occidentaux : produits alimentaires, biens de consommation,
matériaux de construction, machines et
équipements conformes aux standards
techniques mondiaux. Aveu d’un échec
de l’intégration de l’époque brejnevienne, au point que M. Gorbatchev,
dans une interview à la télévision polonaise, dira : “Tout ce qui est arrivé
jusque-là est un chapitre clos de notre
coopération”.»
Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est
«Les pays d’Europe de l’Est et le CAEM :
une intégration économique renforcée»
CPE, n° 309-310-311, août-septembre-octobre 1986
pp. 266-275
●
●
●
Deux problèmes essentiels se dégagent
dans l’immédiat. Le premier est celui
de l’approvisionnement pétrolier, parce
que l’URSS doit investir davantage
pour maintenir son niveau de production actuel, et parce que les pays esteuropéens ne disposent pas de ressources
en devises suffisantes pour augmenter
leurs achats hors de l’URSS. Un
second problème, tout aussi vital, est
60
Effets d’une révolution
copernicienne
«Un processus de transformation historique est en cours en Europe de l’Est.
Après quinze années de stabilité apparente dans la politique, les institutions
et l’économie durant la période
Brejnev, les réformes audacieuses de
M. Gorbatchev ont fait apparaître au
grand jour les vices cachés des systèmes
est-européens. Confrontées à la pression
sociale et à des résultats économiques
de plus en plus insuffisants, les élites
dirigeantes de l’Europe de l’Est doivent
faire face à des choix vitaux. En attendant, la mise en place de mesures
impopulaires n’a pu être évitée malgré
les assurances sur les priorités formulées
par les différents dirigeants.
Le CAEM
L’espoir d’accélérer la croissance,
exprimé dans les plans 1986-1990, est
apparu totalement irréaliste dès la fin
des deux premières années du plan. Par
ailleurs le ralentissement général de
l’activité économique ne s’est accompagné ni d’un ajustement plus rapide
des structures économiques de l’Europe
de l’Est aux conditions extérieures, ni
d’une amélioration de la compétitivité
sur les marchés internationaux. L’équilibre tant intérieur qu’extérieur des
systèmes socialistes a donc alors subi
une très forte pression.
Cette situation incite à repenser entièrement la stratégie économique de tous
les pays de la région. Diverses voies
“nationales” ont été empruntées, en
fonction de l’équilibre des forces,
variable d’un pays à l’autre. Autrement
dit, l’originalité inhérente à chacune
des politiques s’est accrue, devenant
évidente et même voyante.
Si non seulement les voies nationales
sont tolérées, mais bien plus si l’idéologue en chef du Parti communiste de
l’Union soviétique considère le fait de
copier le modèle soviétique (même
rétrospectivement) comme parfaitement
déplorable, alors ce ne sont pas seulement
les nuances et les aspects particuliers,
mais les normes mêmes, l’ensemble du
système de coordination de la coopération entre les pays du CAEM, qui
subissent une révolution copernicienne.
[...] La dualité de la perestroïka soviétique a imprimé sa marque sur la
restructuration du CAEM. D’un côté,
même le discours officiel concernant
“le triste état des affaires de l’autre
intégration européenne” s’est essoufflé.
Lors de la session du CAEM qui s’est
tenue à Prague en 1988, des projets
audacieux, apparemment radicaux, de
création d’un marché socialiste ont été
adoptés venant remplacer les entrelacs
des divers organes de planification. La
libre circulation des biens et la conver-
le courrier des pays de l’Est
tibilité des monnaies sont au programme. La coopération directe interentreprise devrait remplacer un
commerce intra-CAEM administré
dans ses moindres détails. […] D’un
autre côté, la capacité d’imposer une
marche forcée vers l’unification à dix
pays, aussi différents au plan des
richesses naturelles et des inclinations,
éveille un scepticisme grandissant y
compris chez les experts soviétiques
traditionnellement conservateurs. Ils
avancent même l’idée, auparavant
hérétique, de former de petits sousgroupes qui seraient capables de nouer
peu à peu de véritables relations de
marché.»
Laszlo Csaba, chargé de mission à Kopint Datorg,
Institut de recherches sur la conjoncture
et les marchés, Budapest
«Quo Vadis Comecon ? Le point de vue des petits pays
d’Europe de l’Est»
CPE, n° 344, novembre 1989, pp. 3-23
Le CAEM est mort,
vive le CAEM !
«Il est établi aujourd’hui, même s’il est
difficile de prendre la mesure réelle de
ce phénomène(4), que l’effondrement
des flux d’échanges entre l’URSS et
les PECO a débuté dès avant la dissolution du CAEM : le total des échanges
hungaro-soviétiques (où la part de la
Russie s’élevait à 70 %) est évalué par
exemple à 9,5 milliards de dollars en
1990 ; ce total pour les échanges hungaro-russes était de 2,7 milliards en
1992 et 2,8 en 1997. L’arrêt de mort du
Conseil constitue à cet égard autant la
conséquence que la cause de la chute
des flux.
[...] L’analyse sur quelques années des
échanges bilatéraux entre la Russie et
ces pays montre que la contraction la
plus brutale a eu lieu en 1991-1992,
puis a été suivie d’une chute plus
modérée jusqu’en 1995, date à partir
de laquelle les montants (toujours en
valeur) ont de nouveau augmenté ou se
61
N° 1046 novembre-décembre 2004
sont stabilisés ; mais le fait que les flux
ne parviennent pas à faire preuve d’un
véritable dynamisme depuis 1995 et,
plus encore, l’analyse de la structure
par produits de ces échanges bilatéraux
révèlent, en même temps, le manque
d’enthousiasme suscité par ces relations et que l’on pourrait analyser
comme le révélateur du caractère artificiel des liens créés au sein du CAEM.
L’étude des données statistiques montre
à quel point la mutation qui a eu lieu
s’est faite au profit de la Russie : la
comparaison des résultats des années
1992 et 1998 […] révèle que la Russie
exporte vers les PECO des montants
légèrement supérieurs aujourd’hui à
ceux de 1992, qu’en revanche ses
importations en provenance de cette
région se sont contractées, et que, par
conséquent, elle dégage un excédent
plus confortable encore en 1997-1998
qu’au lendemain de la disparition du
CAEM. Dans le même temps, il faut
garder en tête que, si la part des pays
d’Europe centrale et orientale dans les
échanges de la Russie était de plus de
37 % en 1990, elle est passée à 9 % en
1997(5).
● Les PECO, cap sur l’Ouest
[…] Les évolutions […] résultent en
grande partie de la volonté manifestée
par les pays d’Europe centrale et orientale depuis la fin du CAEM en vue de
réorienter leurs échanges vers l’Union
européenne (UE) ; dans un contexte de
demande croissante en Europe occidentale, les exportations de la plupart
des pays d’Europe centrale ont commencé à croître à partir de la seconde
moitié de 1997. Pourtant, dans la hiérarchie des priorités géographiques de
la politique économique extérieure de
la Russie, les PECO occupent une
place notable. Le fait que nombre de
ces pays s’apprêtent à entrer dans l’UE
change la donne pour la Russie : la
62
concurrence croissante dans les PECO,
due à la réduction des barrières tarifaires appliquées aux biens industriels
en provenance des pays de l’UE et de
l’AELE, a commencé à se manifester
en 1995. Déjà, en décembre 1992, la
signature de l’Accord de libre-échange
centre européen (ALECE) entre la
Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie (depuis, la Roumanie, la
Bulgarie et la Slovénie s’y sont jointes)
avait été vue par Moscou comme un
facteur supplémentaire risquant d’affecter à court terme les potentialités
d’exportations russes vers ces pays. La
Russie sait qu’elle a tout intérêt à
empêcher la création d’une zone tampon
la séparant de l’Union européenne : la
plupart de ses hommes politiques prônent
donc la reconnaissance de la vocation
de certains pays d’Europe centrale et
orientale à adhérer à l’UE ; mais celleci doit se faire de pair avec l’adoption
de mesures favorables à la libéralisation des échanges mutuels et la mise en
place d’une véritable politique de soutien
du commerce avec les PECO aux
niveaux local, régional et sectoriel ; la
Russie devrait en outre mener une politique d’aide aux investissements, créer
des mécanismes de concours financiers
à partir d’institutions bi- et multilatérales qui puissent fournir des garanties,
des crédits, des assurances, etc., régler
le problème de sa dette, instituer un
réseau d’entreprises non gouvernementales transnationales dans les PECO qui
prennent la forme de consortiums,
d’associations, de maisons de commerce
et d’agences de développement des
exportations... [...]
Non seulement la Russie est devenue
moins dépendante des importations
est-européennes, mais les PECO ont,
par ailleurs, perdu en diversification.
Les raisons en sont diverses, mais sont
notamment liées aux restructurations
économiques en Russie même. La
politique industrielle russe prône en
effet la substitution aux importations :
Le CAEM
le courrier des pays de l’Est
l’un des exemples concerne les locomotives, qui étaient un poste essentiel
des exportations tchécoslovaques vers
la Russie dans le cadre du CAEM. Or,
ces matériels font aujourd’hui l’objet
d’un programme fédéral russe qui vise
à la substitution totale des importations
par la production nationale d’ici 2000.
Pour contrer cette tendance, les entreprises est-européennes pourraient envisager d’investir sur le marché russe,
afin d’assurer un relais à leurs exportations et d’obtenir des réductions sur les
droits de douane touchant leurs produits.
Mais, pour le moment, compte tenu du
climat économique en Russie, elles se
montrent plutôt réticentes. A titre
d’exemple, on citera le cas de l’usine
de locomotives de Iaroslavl, qui a
convaincu début 1995 la firme tchèque
Skoda d’investir à ses côtés dans un
atelier d’entretien et de réparation des
locomotives. Skoda aurait reçu 48 %
du capital. Mais le gouvernement
tchèque s’est refusé à accorder à Skoda
le soutien à l’exportation nécessaire
pour réaliser cette opération et a proposé,
plutôt que d’injecter de l’argent dans
une société à capital mixte, que l’investissement soit mis au compte du
règlement de la dette russe. Les négociations ont débouché sur un échec.
n’étonnera pas : près de 70 % d’entre
elles sont constituées de pétrole et de
gaz. En 1996, un tiers des exportations
russes de pétrole, un quart des ventes
de gaz naturel et un cinquième de celles
de charbon ont été destinées aux
PECO. Au total, c’est 90 % de tout le
gaz russe exporté qui passe par l’un de
ces pays, soit pour la consommation
intérieure, soit pour le transit et, en
volume, le niveau d’exportations est
comparable à celui de 1990. […]
La crise russe d’août 1998 a révélé à
quel point les relations entre la Russie
et les pays d’Europe centrale et orientale sont toujours loin, huit ans après
la disparition du CAEM, d’être régies
par des mécanismes de marché. La
rémanence d’accords de troc, faisant
intervenir les institutions d’Etat au
détriment des firmes privées, en est à
la fois la cause et la conséquence.
Elle entrave les initiatives, encore
trop peu nombreuses, entre acteurs
privés, par exemple régionaux, et
traduit en même temps le faible
enthousiasme suscité par l’enjeu que
constitue la construction de nouvelles
relations sur les ruines du CAEM.»
Céline Bayou, Le courrier des pays de l’Est
«Que faire sur les ruines du CAEM ?»
CPE, n° 444, novembre 1999, pp. 2-45
En revanche, la structure des exportations russes à destination des PECO
fait preuve d’un degré d’inertie qui
Notes :
(1) Ndlr - L’Organisation européenne de coopération économique (OECE), instituée en avril
1948, est issue du Plan Marshall et de la Conférence des Seize (Conférence de coopération
économique européenne) qui a œuvré pour l’établissement d’une organisation permanente
chargée d’assurer la mise en œuvre d’un programme de relèvement commun et, en particulier,
de superviser la répartition de l’aide. L’OECE a été remplacée par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en septembre 1961.
(2) Marqués par la crise tchécoslovaque et le développement des échanges Est-Ouest.
(3) L’ouverture des négociations avec l’Angleterre et les autres pays candidats est décidée au
sommet de La Haye en décembre 1969.
(4) La contraction réelle des flux d’échanges en valeur est difficile à estimer dans la mesure
où, jusqu’en 1991, les statistiques ont été réalisées à partir de données établies en roubles
transférables et à des prix très différents de ceux du marché mondial. Elles ne sont donc comparables ni aux données concernant les flux avec les pays hors-CAEM dans les mêmes
années, ni à celles des années suivantes, calculées selon les prix mondiaux et en dollars. Ce
phénomène affecte à la fois les parts de marché par pays et l’évolution dans le temps. Pour
63
N° 1046 novembre-décembre 2004
peu qu’elles soient disponibles, les données en quantités physiques permettent une analyse
plus fiable. En outre, il faut tenir compte du changement de nature d’un des partenaires, les
échanges PECO-URSS n’étant pas comparables aux échanges PECO-Russie.
(5) Ndlr - On notera qu’en 2003, six pays d’Europe centrale et orientale (Bulgarie, Hongrie,
Pologne, République tchèque, Roumanie et Slovaquie) absorbaient 12 % des exportations
russes hors-CEI et lui fournissaient 8,1 % de ses importations.
Pour plus d’informations lire
dans Le courrier des pays de l’Est
Article non signé, «La banque du Comecon», n° 11, 1er août 1964, pp. 23-35.
Bernard Demory, «Le problème des prix du commerce extérieur dans le CAEM», n° 43,
9 décembre 1965, pp. 23-37.
Bernard Demory, «Les structures énergétiques du Comecon», n° 45, 5 janvier 1966,
pp. 21-44.
Bernard Demory, «Les structures énergétiques du Comecon (2)», n° 46, 19 janvier 1966,
pp. 23-37.
G. Thirion, «Les effets directs et indirects du problème des prix sur la coopération entre les
pays du Comecon», n° 49, 16 février 1966, pp. 19-37.
Bernard Demory, «Les accords commerciaux à long terme dans le Comecon», n° 58,
6 juillet 1966, pp. 19-33.
Article non signé, «Le nouveau programme d’intégration des pays du CAEM», n° 157,
novembre 1972, pp. 7-18.
Anita Tiraspolsky, avec la coll. de Barbara Despiney, «Les échanges des pays européens du
CAEM de 1971 à 1975. Perspectives 1980», n° 201, novembre 1976, pp. 3-17.
Tatjana Globokar, «Les relations économiques de la Yougoslavie avec le CAEM», n° 238,
mars 1980, pp. 51-57.
J. P. Gilbert, J. J. Janowski, «CAEM : vers une intégration économique accrue», n° 250,
avril 1981, pp. 5-43
Françoise Lemoine, «Le CAEM de 1970 à 1980 : des tensions comprimées», n° 263, juin
1982, pp. 3-37.
Anita Tiraspolsky, «Une évaluation des gains et pertes dans le commerce intra-CAEM : les
termes de l’échange de 1970 à 1982», n° 279, décembre 1983, pp. 3-22.
Jaroslav Blaha, Anita Tiraspolsky, «La Tchécoslovaquie dans les options industrielles du
CAEM», n° 283, avril 1984, pp. 3-28.
Anita Tiraspolsky, «Interrogations sur l’avenir du CAEM», n° 291, janvier 1985, pp. 3-28.
Tatjana Globokar, «Les relations économiques de la Yougoslavie avec le CAEM», n° 299,
octobre 1985, pp.58-69.
Sophie Verny, «CEE-CAEM : le problème de la reconnaissance mutuelle», n° 305, avril
1986, pp. 30-44.
Laszlo Csaba, «Le CAEM sous le signe de la restructuration», n° 313, novembre 1986,
pp. 3-21.
Céline Bayou, «Les relations économiques CEI-pays d’Europe centrale et orientale : les
tâtonnements de l’après-CAEM», n° 397-398, mars-avril 1998, pp. 172-184.
64
le courrier des pays de l’Est
La consommation
Des pénuries à une abondance
mal répartie
Le but proclamé des régimes socialistes en
URSS et en Europe centrale et orientale
était d’assurer à la population un niveau
de vie élevé, comparable à celui des pays
occidentaux, tout en garantissant une
égalité plus grande entre les citoyens.
En réalité, la satisfaction des besoins du
consommateur a été reléguée au second
plan face aux exigences, du moins en
URSS, toujours plus grandes, du complexe
militaro-industriel.
Le déséquilibre entre offre et demande,
reflété par les pénuries, s’est avéré en
effet être une caractéristique permanente
des économies centralement administrées.
Pendant longtemps, les causes de ce
déséquilibre ont été attribuées à des
défaillances ou des erreurs du système
de planification que de nouvelles
réglementations suffiraient à corriger :
difficultés du secteur de l’offre à s’adapter
à une demande en constante évolution
sous l’effet de facteurs culturels,
incohérences et approximations des
décisions centrales sur l’assortiment
de la production et sur sa répartition
géographique, pratiques bureaucratiques
des organisations commerciales
indifférentes aux goûts des consommateurs,
etc.
Mais l’idée s’est progressivement imposée
de la responsabilité du système de fixation
des prix. Maintenus stables et à un niveau
bas pour les produits et services essentiels
(le logement, notamment), ils avaient
d’autres fonctions que d’établir l’équilibre
entre l’offre et la demande et étaient le
produit d’un compromis tacite entre le
pouvoir et les consommateurs. Dès lors,
l’ajustement se faisait par les quantités
afin de «répartir la pénurie», selon
l’expression forte de l’économiste
hongrois Janos Kornai. Ainsi, sur le
marché des biens de consommation, la
sélection des demandeurs se fondait-elle
sur des critères extra-monétaires, comme
l’organisation administrative du
rationnement (tickets, files et listes
d’attente) ou la position hiérarchique
(réseau parallèle de distribution réservé
à la seule nomenklatura).
Toutefois, le recours à la pénurie comme
instrument de régulation entretient
et aggrave ce phénomène par les
comportements qu’il suscite chez les
agents économiques. Par «crainte de
manquer», les consommateurs constituent
des stocks de certaines marchandises très
supérieurs à leurs besoins, contribuant
ainsi à épuiser les disponibilités de biens
déjà insuffisantes. Une autre conséquence
résidait dans le report de la demande sur
les marchés libres, licites et illicites, où la
monnaie recouvrait un pouvoir d’achat
véritable et les prix leur fonction
d’indicateurs de la rareté.
Les dirigeants communistes avaient
parfaitement conscience de ce que de tels
dysfonctionnements du système présentaient
une menace pour la paix sociale, tout en
étant à l’origine d’un sentiment très
répandu de démotivation. Mais ils feignaient
65
N° 1046 novembre-décembre 2004
de croire qu’il s’agissait là d’un mal
auquel de simples palliatifs pourraient
remédier.
La chute du mur et l’éclatement de
l’URSS ont confronté brutalement ces
pays aux réalités de l’économie de marché
et ils ont dû faire face, dans les premières
années qui ont suivi ces événements, à une
crise économique sévère et à une chute
brutale du niveau de vie. Cependant, dans
l’ensemble des pays, on voit apparaître
des gagnants et des perdants des
changements, ces derniers se recrutant
essentiellement parmi les personnes
peu instruites et/ou peu qualifiées
et les retraités.
Le discours
● La priorité à l’industrie
lourde, un dogme
«Les dernières consignes énoncées au
début de ce mois [octobre 1964] par
M. Khrouchtchev(1) pour la mise au
point du prochain plan de développement économique de l’URSS [...]
n’apportent aucune surprise : il y a
bien longtemps que [celui-ci] plaide en
faveur d’un “développement accéléré”
de la production des biens de consommation, demande aux dirigeants de
l’économie de prêter plus d’attention à
la qualité et aux ingénieurs d’étudier ce
qui se fait à l’étranger dans leur
domaine.[...] Depuis plus de deux ans
maintenant, M. Khrouchtchev proclame
dans presque tous ses discours ce qu’il
vient de répéter devant le présidium du
Parti, à savoir que l’économie n’a de
sens que si elle débouche en fin de
compte sur la consommation et l’élévation du niveau de vie, et que les
plans de développement − qu’ils soient
annuels, quinquennaux ou septennaux
− doivent tenir compte de cette exigence.
A plusieurs reprises, il a dû critiquer en
termes violents ceux que l’on appelle à
66
Moscou les “mangeurs de métal”, les
fonctionnaires du plan et dirigeants des
comités spécialisés qui ne voient l’économie qu’à travers les tonnes d’acier et
les machines lourdes, comme au temps
des premiers plans quinquennaux. A
relire toutes ces diatribes, on recueille
l’impression que la machine planificatrice est d’une telle lourdeur, les fonctionnaires chargés de la faire tourner
d’une telle inertie, que toutes les adjurations d’un homme aussi haut placé
que M. Khrouchtchev tombent dans un
silence sans lendemain.
Cet obstacle administratif [...] serait
cependant surmontable, et somme toute
secondaire, s’il ne s’y joignait un obstacle idéologique devant lequel, cette
fois, M. Khrouchtchev doit s’incliner,
ou tout au moins transiger. Le développement prioritaire des biens de production, principe traditionnellement schématisé par la division industrielle en
“groupe A” (biens de production) et
“groupe B” (biens de consommation),
imprègne depuis quarante ans toute la
génération actuelle des théoriciens de
l’économie, des planificateurs et des
“idéologues” du Parti. Inscrit à son
programme et dans tous les textes de
doctrine, il fait figure aujourd’hui
encore de forteresse imprenable, telles
que les aiment les propagandistes du
Parti, épris de vérités “immuables” et
facilement formulées. [...]
La marge de liberté laissée dans ce
domaine aux réformateurs est extrêmement réduite et [...] la cause n’en est
pas seulement l’inertie naturelle de la
machine bureaucratique. Certes, cette
machine serait plus souple que ces
conseils pourraient à la rigueur suffire,
les notions de “développement accéléré des biens de consommation”, de
“rapprochement des rythmes entre les
deux groupes” étant par elles-mêmes
assez explicites. Mais dans les structures
actuelles de l’Union soviétique, il faut
plus de radicalisme doctrinal, une
modification profonde des directives et
La consommation
des slogans pour obtenir un changement très sensible dans les faits.
L’expérience prouve que, pour le
moment du moins, le conservatisme
doctrinal empêche de franchir ce
seuil».
Michel Tatu, correspondant du Monde à Moscou
«Une forteresse redoutable en URSS : la loi
du développement prioritaire des biens de production»
CPE, n° 15, 21 octobre 1964, pp. 4-6
● Le «communisme du ventre»
«Alors qu’il polémiquait avec les
Chinois, N. Khrouchtchev se moquait
des dirigeants de Pékin qui aspiraient,
disait-il, à devenir le premier producteur
mondial de crans de ceinture. Depuis
longtemps, pour sa part, il opposait à
cette conception spartiate une image
riante du communisme. Nous proposons, affirmait-il en 1959, le marxisme
avec du beurre dessus. Quelques mois
avant sa destitution, alors qu’il visitait
la Hongrie, il inventait une autre
image : nous créons, proclamait-il, le
«communisme du goulasch».
Il est vrai que l’URSS se propose de
passer du socialisme au communisme.
Tel est le sens du programme adopté au
XIIe Congrès [octobre 1961]. On sait
que selon les théoriciens, le communisme, stade suprême de l’histoire, se
caractérise par ceci : il n’y a pas de
classes sociales, pas de différence fondamentale entre les travailleurs des
villes et les travailleurs des campagnes.
Enfin, l’abondance des biens permet de
rétribuer chacun selon ses besoins.
Au début de son règne, Nikita
Khrouchtchev mettait l’accent sur les
premières conditions du passage au
communisme. Certaines réformes entreprises dans l’agriculture visaient à rendre
les ruraux semblables aux ouvriers de
l’industrie. Il y eut d’abord à cet égard
le plan d’agrovilles, puis les expériences
de rémunération par salaires d’un certain
nombre de kolkhoziens. La réforme
le courrier des pays de l’Est
scolaire de 1958 était d’autre part justifiée par la nécessité de faire de chaque
Soviétique à la fois un manuel et un
intellectuel.
Mais, notamment pour des raisons économiques, ces réformes n’eurent pas le
succès attendu. Aussi le chef du
gouvernement parla-t-il de plus en plus
souvent de la dernière condition nécessaire au passage du socialisme au communisme, l’abondance des biens de
consommation. Il pouvait de la sorte
présenter un programme attrayant pour
la population. Il cherchait aussi à
éloigner de la tentation chinoise les
autres communistes. Il ne fait aucun
doute qu’en tenant ce langage, Nikita
Khrouchtchev répondait au désir des
populations. Les consommateurs lui
reprochaient seulement de ne pas tenir
ses promesses.»
Article non signé
«Contre le communisme du ventre»
CPE, n° 31, 3 juin 1965, pp. 41-43
● Points de vue de deux
dirigeants soviétiques
Le guide et le grand commis
«La présentation du plan au XXVe
congrès du Parti [mars 1976] a fourni
l’occasion aux plus hauts dirigeants de
l’URSS d’esquisser un jugement sur
certains des «problèmes de société»
auxquels se heurte le développement
de l’économie soviétique. D’une façon
qui surprendra peut-être, les vues émises
sur la question par L. Brejnev apparaissent de loin plus pénétrantes que
les déclarations, fort plates, de Alexis
Kossyguine(2).
C’est sur la question, cruciale, du rôle
de la consommation dans l’équilibre
économique et social de l’URSS que
les positions prises par les deux dirigeants apparaissent les plus contrastées.
67
N° 1046 novembre-décembre 2004
Les déclarations du Premier secrétaire
ne constituent pas, certes, sur ce point
un modèle d’objectivité. C’est à lui,
notamment, qu’est revenue la tâche
malaisée d’affirmer que les IXe et Xe
plans [1971-1975 et 1976-1980] “forment
comme un tout” et que si certains éléments chiffrés du plan actuel paraissent démentir que le but ultime du Parti
reste l’élévation du niveau de vie des
Soviétiques, il ne s’agit là, en somme,
que de subtilités tactiques.
Il n’empêche que L. Brejnev s’est
livré, à propos des conditions encore
fort précaires de l’équilibre sur le
marché des biens de consommation, à
des réflexions véritablement intéressantes qu’on peut rassembler autour de
trois thèmes.
En divers points de son discours, le
Premier secrétaire s’est interrogé sur le
profit réel, pour le consommateur, des
produits ou des revenus qu’il tire de
l’activité économique de l’URSS.
Ainsi a-t-il, après bien des économistes
soviétiques et occidentaux, dénoncé
l’engouement excessif du Plan pour les
productions intermédiaires. “La production d’acier, dit-il à ce propos, augmente dans le pays d’année en année.
Mais ce qu’il faut en fin de compte au
consommateur, ce n’est pas de l’acier,
mais les articles concrets qu’il permet
de fabriquer”. De même, L. Brejnev s’est
montré assez sceptique sur la portée
véritable de certains chiffres d’offre de
biens de consommation. L’URSS, rappelle-t-il, produit quelque 700 millions
de paires de chaussures par an, soit
près de trois paires par habitant : ce
chiffre peut-il être considéré comme
significatif lorsqu’on sait combien est
médiocre la qualité de cette production ?
●
Enfin et surtout, le dirigeant soviétique
a avalisé les thèses occidentales dénonçant l’existence d’un déséquilibre entre
revenus monétaires et produits offerts
à la population, ainsi que l’effet
68
dépressif exercé par cette situation sur
la productivité. “Il est clair, dit-il
notamment, que la croissance des
revenus monétaires ne signifie pas, à
elle seule, que le niveau de vie s’élève
en termes réels. A ce propos, le
manque d’une série de marchandises et
la restriction du volume des services
diminuent les possibilités de stimulation matérielle du travail”. On ne peut
pas ne pas remarquer que cette prise de
position tranche nettement sur celle de
M. Kossyguine. Celui-ci a cité des
chiffres, d’ailleurs intéressants, d’augmentation des revenus monétaires de la
population comme reflétant sans ambiguïté une élévation du niveau de vie ;
en outre, sur les problèmes d’équilibre
monétaire évoqués dans ce point, il a
été le porte-parole des thèses défendues en URSS par la doctrine économique traditionnelle depuis près d’un
demi-siècle : “la couverture réelle des
revenus, affirme-t-il, est garantie par la
stabilité des prix de détail des biens de
consommation de base et par la baisse
des prix de certains types de marchandises au fur et à mesure que se créent
les conditions nécessaires et que s’accumulent les ressources en marchandises”. Et de poursuivre : “c’est là une
des conquêtes de notre économie planifiée, qui est retranchée des influences
de l’inflation saisissant tous les pays
capitalistes”.
Les causes des nombreuses failles de
l’approvisionnement en biens de
consommation et en services ont également retenu, quoique dans une
moindre mesure, l’attention du Premier
secrétaire. Il attribue cette situation à
une sorte de mauvais pli pris par
l’appareil de production soviétique.
“Nous n’avons pas encore appris, alors
que nous assurons des taux de croissance élevés à l’industrie lourde, à
développer de la même manière le
groupe B et la sphère des services”.
Pourquoi ? Parce qu’on continue à
considérer cela comme “secondaire et
accessoire”. En outre, L. Brejnev a eu
●
La consommation
l’air de s’interroger à ce propos sur ce
que font réellement les 40 millions de
personnes travaillant pour le consommateur, parmi lesquelles, pourtant, on
compte un million et demi de membres
du Parti et trois millions de komsomols. Nul doute que l’accusation
d’ “incurie et de laisser-aller” qu’il a
lancée à la cantonade, s’adresse tout
particulièrement à eux.
Politiquement bien plus intéressant,
cependant, apparaît son appréciation
des implications sociales d’une situation de sous-consommation. A tous les
responsables du développement économique soviétique, le Premier secrétaire a explicitement reproché de ne
pas avoir compris que l’élévation du
niveau de vie est “une affaire d’une
énorme importance politique et économique”. Egalement sans ambages
est son avertissement aux travailleurs
du secteur de la consommation :
“Camarades, c’est de vous, de votre
travail que dépendent en grande partie
et le bien-être et l’humeur des Soviétiques”.
●
Ce ton assez alarmiste n’a pas semblé
devoir être retenu par le président du
Conseil des ministres. Dans une formule balancée, et de fait très en retrait
de l’inspiration brejnevienne, il déclare
en effet : “Les communistes ne sont
pas des partisans de l’ascétisme, ni
d’une limitation artificielle des besoins
des gens .[…] Mais notre style de vie
socialiste exclut le gaspillage, la
dépense insensée de valeurs matérielles, de travail et d’énergie qui ont lieu
dans les conditions du capitalisme”. A
noter aussi que, presqu’aussitôt après,
M. Kossyguine a adressé un vibrant
hommage aux forces armées − “orgueil
du peuple soviétique” − dont il promet
de “se préoccuper comme par le passé” ;
cette déclaration corrige en quelque
sorte les inquiétudes qu’aurait éventuellement pu provoquer une précédente affirmation du président du
Conseil et suivant laquelle la priorité
le courrier des pays de l’Est
maintenue dans le Xe plan en faveur de
la consommation “témoigne de façon
convaincante de la politique pacifique
de notre Etat socialiste”.»
Georges Sokoloff, Groupe d’études
prospectives internationales (CFCE)
«Les dirigeants soviétiques et le consommateur
vers une prise de conscience des problèmes ?»
CPE, n° 204, février 1977, pp. 3-11
Une réalité
moins radieuse
● Vivre avec la crise à l’Est
«Rares sont les enquêtes dans les pays
de l’Est qui font état de la manière dont
les ménages réagissent à la crise. Des
enquêtes polonaises sur les dépenses
des ménages montrent comment le
consommateur touché par la crise va
s’adapter pour vivre avec elle. I1
semblerait que les réflexes polonais
soient du même type que ceux qu’on
observe dans les économies de marché.
[…]
Parmi les dépenses alimentaires, on
observe des comportements particuliers pour certains produits touchés
pourtant par des augmentations de prix
importantes. L’augmentation du coût
de la vie, combinée sans doute aux
pénuries, se traduit par une baisse
généralisée de la consommation réelle,
d’abord alimentaire, ensuite de tous les
autres produits à l’exception de l’alcool
et du tabac. I1 y a d’abord une désaffection du consommateur pour les
produits alimentaires élaborés (plats à
emporter, conserves), puis pour la
confection et la chaussure, les ménages
vivant sur leurs réserves et recourant
davantage aux cordonniers, alors que
la consommation réelle de chaussures
a baissé. Les derniers postes touchés
sont ceux de l’électricité et du chauffage malgré la hausse des prix tout
aussi forte que pour les autres catégories de produits.
69
N° 1046 novembre-décembre 2004
Pour l’alcool, le comportement du
consommateur n’obéit pas à la même
logique, traduisant une forme d’adaptation à la crise. L’année 1981 − année
de Solidarité −, les consommateurs se
sont moins portés en termes réels sur
l’alcool et le tabac ; par contre ils ont
consommé davantage de biens culturels.
En 1982, bien que la vente d’alcool ait
été réglementée par coupons, et que les
prix aient très fortement augmenté,
dans des proportions supérieures à la
hausse de 1981, on assiste à une
reprise des achats d’alcool en volume
de 23 % par rapport à 1981, pour les
ouvriers et employés. Comportement
de crise ? En effet, comme le remarquent
les enquêteurs, l’alcool devient un
produit de substitution, mais surtout un
moyen de paiement lorsque la monnaie
officielle se déprécie. Toutes les
personnes ayant droit à des coupons,
les réalisent automatiquement, soit
pour les boire, soit pour les revendre à
d’autres catégories de la population, en
spéculant sur le prix. [...]
Ce que les enquêtes ont montré pour la
Pologne, n’est pas contrôlable dans les
autres pays. Pourtant on sait par des
récits de voyageurs qu’en Roumanie,
les cigarettes occidentales et le café,
produits courants du marché noir, et
véritables symboles faisant l’objet de
sanctions moindres que d’autres
produits de marché noir, sont devenus
des monnaies d’échange. La cigarette
Kent est l’étalon attestant que le leu
perd de plus en plus de sa valeur
interne ; ainsi, une trentaine de paquets
de cigarettes Kent équivaut à un salaire
moyen.
Les seuls chiffres officiels de consommation alimentaire par habitant dont
on dispose [pour 1a période 19801983] montrent une lente croissance de
la consommation de viande, de lait ...,
sauf pour la Pologne. Dans la littérature socioéconomique, les Hongrois et
les Polonais sont les seuls à attester un
processus d’appauvrissement qui témoi-
70
gnerait en fait que ces accroissements
ne sont pas distribués de façon égale
dans la population. Mais le phénomène
de paupérisation se remarque de plus
en plus. Même en Tchécoslovaquie,
des enquêtes officieuses attestent le
nombre croissant de personnes économiquement faibles : alors qu’en 1975
elles représentaient autour de 5 %,
actuellement leur nombre aurait doublé.
En Roumanie également, les témoignages s’accordent sur ce point. Ainsi,
un économiste polonais s’étant rendu
dans les Balkans dira : “Le pays traverse actuellement une grave crise économique perceptible à l’oeil nu. En
visitant avant la tombée de la nuit les
abords de la gare centrale, j’ai constaté
qu’il y a un nombre considérable de
gens qui vivent dans la rue. De la fenêtre de la voiture, j’ai vu des clochards
fouillant dans les poubelles. J’ai vu des
signes évidents de pauvreté dans les
vêtements et sur les visages”.
L’épargne constitue un autre champ
d’observation. […] Si on rapporte la
masse épargnée par habitant au salaire
nominal moyen, on distingue deux
comportements chez les épargnants. Le
premier est tout à fait classique des
économies socialistes. Les gens semblent
épargner davantage : le rapport a
tendance à croître parce qu’il y a pénurie
de biens durables sur le marché et/ou
parce qu’on économise pour une
dépense importante. [...] [Le deuxième
cas est illustré par la] Pologne [où], dès
que l’inflation a pris des proportions
importantes, elle a entraîné une perte
de confiance dans le gouvernement et
la crainte d’une réforme monétaire.
Les épargnants ont transformé alors
leur épargne de long terme en épargne
disponible à tout moment : celle des
bas de laine.
Dans la situation de crise actuelle, le
champ d’activité de l’économie parallèle a tendance à s’étendre par la prolifération de comportements non contrôlés
regroupés dans le langage officiel sous
La consommation
les termes de crimes économiques, de
spéculation et de corruption. Depuis
quelques années, des analyses de plus
en plus structurées, y compris à l’Est,
essaient de préciser la place de l’économie parallèle dans les pays socialistes. De toute évidence, il n’y a pas
unanimité sur sa nature.
Pour les uns, l’économie parallèle s’est
développée pour combler les défaillances de l’économie planifiée et en
cela elle contribue positivement à la
réalisation des plans. Pour d’autres,
elle reste une perversion mal tolérée et
reflète surtout l’impossibilité de résoudre
la contradiction entre le plan et le marché
dans tous les projets de réforme.»
le courrier des pays de l’Est
compris dans le loyer ; quant aux achats
de carburants, ils sont peu importants
vu le faible niveau de motorisation.
La qualité du régime alimentaire s’est
très nettement améliorée [depuis le
milieu des années 1960], les produits
les plus évolués (et notamment les produits de l’élevage) prennent de plus en
plus d’importance au détriment des aliments de base. [...]
● La quantité ne remplace pas
la qualité
La composition de l’alimentation en
URSS accuse des différences importantes en fonction des revenus, mais
aussi du fait de la mosaïque des nationalités, en fonction des traditions culturelles. I1 faut noter aussi que, paradoxalement, la consommation de
“denrées nobles” (produits de l’élevage, fruits et légumes) est plus faible
à la campagne qu’à la ville : l’augmentation de la demande de ces produits
incite, en effet, les kolkhoziens à les
vendre au marché plutôt qu’à les utiliser pour leurs propres besoins.
«La comparaison des dépenses de
consommation d’un ménage soviétique
et d’un ménage français doit être analysée avec circonspection. Certes, les
dépenses alimentaires en URSS sont
deux fois plus élevées que celles d’un
consommateur français. En outre, ce
poste exclut, dans les statistiques
soviétiques, la consommation de boissons alcoolisées(3) qui forme une partie
de la rubrique “divers” ; or, les achats
de boissons alcoolisées représentent
une part importante des budgets soviétiques : 15 % des dépenses totales de la
population dans les magasins d’Etat et
coopératifs en 1972. Cependant, l’importance de l’alimentation dans le
budget d’un ménage soviétique s’explique en grande partie par la
faiblesse des dépenses de services. Par
ailleurs, les dépenses d’énergie constituent une charge très modeste pour le
consommateur soviétique : les frais de
chauffage très bas (1,24 rouble par
mois pour un 3 pièces à Moscou) sont
La consommation de produits industriels (articles d’habillement, biens
durables et semi-durables) a également
progressé de façon très tangible [...],
mais les améliorations ont été essentiellement quantitatives. Les produits
proposés au consommateur restent,
pour la plupart, de qualité médiocre,
d’une conception périmée et manquent
de variété. Or, les achats des consommateurs soviétiques sont devenus plus
sélectifs et tout particulièrement dans
les villes où s’exercent avec de plus en
plus de force les effets attractifs des
sociétés de consommation occidentales. L’industrie soviétique ne parvenant
pas, pour diverses raisons, à s’adapter
aux goûts des consommateurs, certains
biens sont produits en quantités très
insuffisantes pour la demande potentielle, tandis que d’autres, dédaignés
par le consommateur, s’accumulent
dans les entrepôts des magasins. En
outre, l’inefficacité des réseaux de distribution officiels est telle qu’un même
Georges Mink, CNRS, Anita Tiraspolsky,
Le courrier des Pays de l’Est
«A l’Est : gérer la crise, vivre avec la crise»
CPE, n° 301, décembre 1985, pp. 4-29
71
N° 1046 novembre-décembre 2004
produit peut être introuvable et très
recherché dans un endroit donné, alors
qu’ailleurs, l’offre qui en est faite,
dépasse très largement la demande. Le
marché noir, en permettant aux individus de se redistribuer les biens en fonction de leurs besoins, a donc incontestablement un effet correcteur. Cependant, la particularité du marché noir
soviétique tient au fait que tout
consommateur y est partie prenante et
y joue un double rôle : il y acquiert ce
qu’il n’a pu obtenir par la voie normale
(des vêtements et des articles courants
de fabrication occidentale qui bénéficient d’un prestige inattaquable, mais
aussi des biens de marque soviétique),
mais il devient aussi occasionnellement fournisseur du marché parallèle.
Le taux d’équipement des ménages en
appareils électroménagers n’est pas
très éloigné des chiffres occidentaux,
et les progrès réalisés [depuis le milieu
des années 1960] ont été considérables ; ceux-ci s’expliquent d’ailleurs
en très grande partie par l’amélioration
des conditions de logement : l’acquisition d’appareils ménagers n’est, en
effet, envisagée qu’à partir du moment
où la famille dispose d’un appartement
individuel et non plus communautaire.
[...]
[Mais] la qualité des appareils (machines
à laver à essoreuse manuelle, réfrigérateurs de faible capacité et sans compartiment à très basse température, etc.)
est généralement médiocre. Par ailleurs,
les différences entre la ville et la campagne sont encore très sensibles en ce
qui concerne la possession d’appareils
aussi courants que les réfrigérateurs,
les machines à laver le linge, etc.
Le cas de l’automobile est plus spécifique. La voiture particulière est certainement le bien qui, actuellement,
exerce le plus d’attrait sur le consommateur soviétique. L’équipement de la
population connaît depuis ces dernières
années une progression spectaculaire :
72
le nombre de voitures particulières
pour 1 000 habitants doit tripler de
1972 à 1980 et quadrupler entre 1980
et 2000, mais il faut noter que ces taux
de croissance élevés sont principalement le fait du très faible niveau de
départ (8,1 voitures pour 1 000 habitants en 1972). Au début de 1979, on
pouvait estimer le parc privé à 6 millions environ, ce qui représentait 23
voitures pour 1 000 habitants ; en 2000,
le taux devrait être de 100 voitures
pour 1 000 habitants.
Cependant, l’automobile est encore, en
URSS, un bien dont l’accès est restreint(4) en raison de son prix très élevé.
L’achat d’une voiture demande, en
effet, un gros effort financier, d’autant
plus que les ventes à crédit ne sont pas
admises, comme c’est le cas pour tout
produit dont la demande excède largement l’offre. En outre, et quel que soit
le modèle souhaité, l’acquéreur devra
généralement patienter deux ans avant
de prendre livraison de son véhicule,
les listes d’attente étant toujours très
chargées.
La part du budget familial consacrée,
en URSS, aux services payants, est très
peu importante surtout comparativement au budget d’un ménage occidental où les services forment le plus gros
poste de dépenses. Ces différences
s’expliquent par plusieurs raisons :
importance des prestations gratuites
(éducation, santé), bas niveau des
loyers(5) et des prix d’un grand nombre
de services publics (comme les transports en commun par exemple), mais
aussi faiblesse du réseau des services,
particulièrement flagrante dans les
zones rurales(6), comme en témoigne la
proportion minime de ce poste dans les
dépenses monétaires d’une famille kolkhozienne (3,5 %).»
Centre d’études et de documentation
sur l’URSS, la Chine et l’Europe de l’Est
de la Documentation française
Panorama de l’URSS
CPE, n° 226-227, 1980 (2e édition mise à jour)
pp. 220-225
La consommation
Vive le système D !
● Comment faire face
aux pénuries ?
«Le fait le plus marquant de 1989 aura
été l’approfondissement du déséquilibre monétaire perçu par l’opinion
publique sous sa manifestation la plus
visible, l’aggravation des pénuries qui,
par leur étendue, rappellent aux plus
âgés des Soviétiques la période de la
collectivisation ou celle de la guerre.
[...]
Le rationnement administratif a donc
gagné en extension ; le Comité d’Etat
aux statistiques note ainsi que sur les
445 villes tenues sous observation, 20
avaient rétabli le système des tickets
pour la vente de la viande (1 à 2 kilos
par tête et par mois), du beurre (400 à
500 grammes), du thé (100 grammes).
En se développant, le système du
rationnement s’est diversifié et il présente aujourd’hui près de vingt modalités distinctes : tickets, vente aux seuls
résidents sur présentation d’un justificatif de domicile (cette pratique est
notamment employée dans les républiques baltes, en Biélorussie, à Leningrad) ou à certaines catégories de
population, (anciens combattants,
familles nombreuses, jeunes mariés,
diabétiques), attribution de produits
rares à ceux qui collectent pour l’Etat
vieux papiers ou autres déchets, y compris les os de bovins dont la récupération donne droit à des biens de marque
étrangère ; certains articles, durables
surtout, ne peuvent être acquis que sur
commande et moyennant une attente
assez longue ; enfin, un nombre croissant de produits, alimentaires ou non,
ne sont accessibles que par l’intermédiaire de l’entreprise-employeur : rien
qu’à Moscou, cette forme de commerce
bien particulière a multiplié son chiffre
d’affaires par deux et demi en 1989. Or
la vente sur les lieux de travail, qui
existe depuis de nombreuses années,
le courrier des pays de l’Est
introduit un mode de répartition relativement inégalitaire : d’une part, ceux
qui n’ont pas d’activité salariée en sont
exclus ; d’autre part, cette pratique n’est
pas autorisée dans la plupart des établissements budgétisés (écoles, hôpitaux, jardins d’enfants, etc.) ; enfin et
surtout, l’approvisionnement est très
variable selon la taille de l’entreprise,
sa localisation et son appartenance sectorielle. [...]
L’afflux des consommateurs sur les
marchés kolkhoziens y a provoqué,
selon les données officielles, une hausse
moyenne des prix de 7 % (6 % sur la
viande, 8 % sur les pommes de terre,
10 % sur les légumes, 5 % sur les
fruits). Et, comme cela se conçoit, l’activité du marché noir s’est grandement
intensifiée ; manifestement, celui-ci est
en partie approvisionné par des marchandises destinées aux magasins
d’Etat, détournées dans le but de réaliser
des profits spéculatifs ou dans celui,
plus machiavélique, d’attiser le mécontentement populaire contre la politique
du gouvernement. Quel que soit l’objectif poursuivi, c’est d’ailleurs bien là
le résultat obtenu, d’autant que les prix
pratiqués sur les marchés libres, de
deux à trois fois supérieurs à ceux fixés
par l’Etat, sont hors de portée pour
toute une partie de la population [...].
Ces détournements, pour réels qu’ils
soient, ne sauraient cependant expliquer
à eux seuls la montée des pénuries.
Plus décisive, au contraire, a sans
doute été la “fuite devant le rouble”.
Selon les résultats d’une enquête, 90 %
des personnes interrogées ont reconnu
avoir acheté en 1989 des produits dont
elles n’avaient pas un usage immédiat,
ce chiffre s’établissant à 25 % pour
1988. Preuve en est la bataille menée
dans le domaine de l’approvisionnement en savon et en lessive et qui a été
perdue : la production a été augmentée
de 10 %, les importations multipliées
par dix, les livraisons au commerce
accrues de 45 %, mais ces produits
73
N° 1046 novembre-décembre 2004
sont toujours au nombre des “introuvables” dans les magasins d’Etat ; en
revanche, il n’est pas rare qu’une
famille détienne des stocks équivalant
à la consommation courante de six à
huit mois. La dévalorisation de la monnaie s’est également traduite par un
phénomène caractéristique des périodes
de crise : des achats massifs d’or, de
bijoux et d’objets précieux qui ont augmenté de 50 % en 1989, contre 24 %
en 1988 et 7,5 % en 1986-1987. Pour
tenter de calmer cette fièvre, mais sous
le prétexte qu’avec la dévaluation du
rouble touristique, acheter de l’or
soviétique était devenu une aubaine
pour les touristes étrangers, le gouvernement a procédé début janvier 1990 à
un relèvement global des prix des articles
précieux de 50 %, cette hausse ne permettant cependant pas de rattraper les
cours du marché noir, de 75 à 100 %
supérieurs aux anciens tarifs d’Etat.
[...]
L’aggravation des pénuries est de plus
en plus mal vécue par la population.
Elle fut à l’origine des émeutes qui
ont éclaté en mai et juin 1989 en
Turkménie et au Kazakhstan, contribua
à exacerber les tensions entre ethnies
différentes rassemblées sur un même
territoire, constitua l’un des points, et
non le moindre, du cahier des doléances
présenté en juillet par les «gueules
noires» en grève(7), motiva bien d’autres
arrêts de travail et manifestations,
comme à Sverdlovsk (Oural) où les
consommateurs indignés de ne pouvoir,
à l’occasion des fêtes de fin d’année, se
ravitailler, y compris en alcool, un peu
mieux que de coutume, firent le siège
des autorités locales. Or, il va de soi
que cette exaspération croissante de la
population constitue une arme redoutable contre la politique du gouvernement ; les forces d’opposition, les syndicats officiels en premier lieu, n’hésitent
d’ailleurs à la brandir et la partie leur
est d’autant plus facile que le pouvoir
mis en place en 1985 s’est montré
74
jusqu’ici incapable de réformer le système économique.»
Marie-Agnès Crosnier, Le courrier des pays de l’Est
«Désarroi et crise d’autorité en URSS»
CPE, n° 349, avril 1990, pp. 3-54
● L’internationalisation
du marché noir
«Le phénomène des “voyages-négoces”(8)
ou du “tourisme alimentaire” à l’intérieur de l’Europe de l’Est n’est pas
nouveau. […] Voici un échantillon de
ce que les touristes cherchent à obtenir
dans le pays voisin lors d’une excursion.
Les Polonais en Tchécoslovaquie : des
produits alimentaires en général et
notamment le café, le cacao, les laitages
et les fruits ; viennent ensuite les biens
de consommation divers tels que
l’électroménager, l’outillage, les outils
de jardinage, les pièces détachées pour
automobiles et motocycles, l’électronique ainsi que les vêtements pour
enfants, chaussures, jeans et d’autres
produits comme les serviettes périodiques, le papier toilette et le dentifrice, enfin des bijoux.
Les Tchèques et les Slovaques en RDA :
des chaussures, des produits alimentaires, en particulier le sucre et les épices,
des vêtements d’enfants, des voitures
et pièces détachées, des téléviseurs,
des radios et des produits chimiques
divers.
Les Polonais en URSS : des biens de
consommation durables, téléviseurs,
réfrigérateurs, machines à laver, produits alimentaires, en particulier le
café et le caviar, et enfin de l’or et des
bijoux.
Les Soviétiques en Hongrie : du savon
et du dentifrice, des vêtements notamment pour le sport, de l’alcool, de la
margarine et des déodorants.
La consommation
Les Hongrois en URSS : de l’essence
et des matériaux de construction.
En Pologne, on peut se procurer : des
produits alimentaires, dont de la
vodka, et des vêtements de cuir. […]
le courrier des pays de l’Est
d’Occident par les centrales de commerce extérieur tchécoslovaques, une
seule reste à la disposition des nationaux. […]
La «Perspective Nevski»
de Bialystock
Prague, une ville convoitée
Selon l’hebdomadaire soviétique
Argumenty i Fakty, “les monuments
historiques n’intéressent pas beaucoup
nos concitoyens. Il n’est pas difficile
de les repérer parmi la foule bruyante
et polyglotte qui emplit les rues et
places de Prague. Des tapis roulés,
d’innombrables paquets et boîtes permettent, sans se tromper, de déterminer
leur pays d’origine. Oui, ce sont eux
qui, ayant changé entre 500 et 1 300
roubles par personne et caché dans un
endroit discret quelques centaines de
roubles pour le change “au noir”, prennent d’assaut les magasins praguois,
autrefois si tranquilles, et poussent les
vendeurs à bout, comme ils ont l’habitude de le faire chez eux”.
Avant la réglementation du 15 novembre
1988, les Soviétiques achetaient aussi
notamment des voitures “Volga” déclassées qui n’intéressaient pas les
Tchèques en raison de leur trop grande
dimension et de leur forte consommation d’essence. Ces Volga encombraient
les magasins de vente d’occasion
(Autobazar) avant d’être presque toutes
rachetées, le temps d’un semestre, 40 à
60 % plus cher que le prix officiellement indiqué, soit autour de 30 000
couronnes tchécoslovaques (près de
3 000 roubles au taux officiel). Selon le
responsable de la direction des Douanes
du ministère du Commerce extérieur,
6 500 Volga ont ainsi quitté le pays.
Ajoutons que, vu la situation du marché
des voitures d’occasion en URSS,
3 000 roubles est un prix avantageux.
En une seule année, les achats des
Soviétiques en Tchécoslovaquie ont
augmenté de 60 %. Par exemple, sur
quatre paires de chaussures importées
L’activité des Polonais ne se limite pas
à leurs voisins du Sud. Elle est encore
bien plus intense à la frontière avec
l’URSS. A Bialystock, le marché fonctionne tous les jours, même l’hiver, et
connaît sa plus forte activité le jeudi
quand arrivent les vendeurs de toute la
Pologne. Sur un hectare, ils sont entre
5 000 et 6 000 et à peu près autant
d’acheteurs. Au marché de Bialystock
on vend de tout, il est même possible
de se faire établir une invitation pour
un séjour à l’étranger et de la faire
légaliser par un notaire. Mais l’attraction de ce marché, c’est une allée de
300 mètres, la “Perspective Nevski”.
Là, une foule, où se mêlent Polonais,
Soviétiques et parfois des étudiants
vietnamiens, se livre au commerce de
produits dont la provenance est approximativement la suivante : pour 60 %
de l’URSS, pour 30 % de Turquie et de
Thaïlande, Hong-Kong, Singapour, les
10 % restants étant des produits polonais. Le commerce le plus actif, en toutes
saisons, porte sur les téléviseurs de
marque soviétique que les Polonais
achètent sans discuter 350 000 à 400 000
zlotys, soit 700 à 800 roubles, pour les
revendre ensuite 480 000 à 520 000
zlotys, soit 960 à 1 040 roubles. Cette
intense activité commerciale a eu pour
effet de “nettoyer” toute la Lituanie et
la Biélorussie, où il est devenu pratiquement impossible de trouver un seul
téléviseur à 1 000 kilomètres de la
frontière. Pour s’en procurer, il faut se
déplacer jusqu’à l’Oural ou la mer
Noire. Tous les jours, quatorze trains
en provenance d’URSS passent par
Bialystock, bourrés d’électronique et
d’électroménager de marque soviétique. […]
75
N° 1046 novembre-décembre 2004
Depuis le début des années 1980, les
Polonais se sont d’abord plaints des
Yougoslaves, puis ces derniers des
Hongrois, qui à leur tour se sont dit
“envahis” par les Tchèques et les
Slovaques. Et puis, de concert, tous se
sont retournés contre les Polonais, de
loin les plus actifs et les plus habiles
dans la conversion des monnaies.
Selon des estimations tchécoslovaques, près de 50 % des devises occidentales en circulation en dehors du
circuit étatique, sont “exportées” par des
personnes privées vers l’étranger (sans
que soit précisée la distinction habituelle entre pays socialistes et capitalistes). Une fois les devises dépensées
en Hongrie, Pologne, Yougoslavie ou
Autriche, le cycle peut recommencer.»
Jaroslav Blaha, Le courrier des pays de l’Est
«Vers un marché noir unique à l’Est.
L’essor du tourisme de shopping»
CPE, n° 342, août-septembre 1989, pp. 40-48
Après la chute du mur
● Un niveau de vie en baisse
«La dépression de l’activité économique a des conséquences néfastes sur
la situation sociale de la majorité de la
population, directement en réduisant
les revenus réels et les niveaux de la
consommation, et indirectement en
entraînant une forte contraction des
budgets privés et publics consacrés aux
dépenses sociales (retraites, santé,
enseignement, etc.).
La spirale inflationniste concomitante
à la libéralisation des prix est à l’origine d’une brutale diminution des
revenus réels et des patrimoines de
nombreux groupes sociaux [comme
les]: retraités, [les] salariés des administrations et des entreprises d’Etat.
[...]
L’inflation ouverte a débuté tôt (en
1987 et 1988) en Pologne, où les prix
ont été multipliés par 100 depuis 1987.
76
Elle a commencé en 1989-1990 dans
les autres pays, et seulement en 1992
en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques avec le début des
politiques de libéralisation des prix.
Les taux d’inflation restent relativement modérés en Hongrie et dans les
Républiques tchèque et slovaque, où le
niveau général des prix n’est que de
deux à trois fois supérieur à celui de
1987. L’inflation est beaucoup plus
rapide en Roumanie, en Bulgarie et en
Albanie où les prix ont été multipliés
par 10 ou 20 ; quant à la Russie, elle
connaît depuis le début de 1992 une
inflation galopante. [...]
La hausse du chômage engendre la
dégradation des conditions de vie de
nombreux salariés et de leurs familles,
notamment dans les régions où la
majorité des travailleurs étaient employés
dans de grands complexes industriels
ou dans des activités agricoles qui
n’ont aucune chance de subsister dans
le cadre d’économies ouvertes à la
concurrence internationale, compte
tenu de leurs techniques et de leurs
modes d’organisation dépassées.
Les taux de chômage (officiellement
négligeables jusqu’en 1990) varient
aujourd’hui autour de 10 à 15 % en
Europe centrale (les chiffres sont bien
entendu plus élevés dans l’ex-Yougoslavie). Ils devraient atteindre en 1993
16 à 18 % en Pologne et en Hongrie.
Dans l’ex-Union soviétique, où la libéralisation a commencé plus tardivement, ces taux sont actuellement
nettement plus faibles, mais ils pourraient grimper en flèche dans les
années à venir. [...]
Les niveaux maximum de revenu
national annuel atteints en 1989-1990,
évalués sur la base de taux de change à
parité de pouvoir d’achat (PPA),
étaient de l’ordre de 5 300 dollars par
habitant en Europe centrale et orientale
et de 6 700 dollars par habitant dans la
La consommation
partie européenne de l’ex-Union soviétique. En comparaison, le PIB moyen
par tête était en 1990 de 17 000 dollars
(PPA) en moyenne dans les pays de
l’OCDE, de 21 000 dollars environ aux
Etats-Unis et de 16 000 dollars dans la
Communauté européenne.
Depuis 1989, on enregistre une forte
chute des revenus nationaux dans les
pays de l’Est, la baisse [étant] plus
marquée dans les ex-républiques soviétiques qu’en Europe centrale et orientale. Selon des calculs effectués à partir
des estimations du PlanEcon Institute,
le PIB moyen par tête serait en 1993 à
peu près identique dans ces deux
régions (4 200 dollars environ). En
moyenne, le revenu national moyen
réel par tête a baissé par rapport aux
maximums atteints à la fin des années
1980, de 20 à 25 % en Europe centrale
et orientale et de près de 40 % dans
l’ex-Union soviétique. [...]
La baisse du niveau de vie observée
depuis 1989 reflète en grande partie les
évolutions divergentes du PIB dans les
différents pays. Les plus touchés sont
l’Albanie − avec une chute du PIB par
tête et de la consommation de 50 % −
et la Roumanie (près de 40 %), suivies
de la Bulgarie (avec une baisse du PIB
par tête, des salaires réels et de la
consommation de 30 %). Les populations d’Europe centrale sont relativement mieux loties : la baisse des indicateurs de niveau de vie est limitée à
15-20 % en Hongrie et dans les
Républiques tchèque et slovaque, et à
10 % au plus en Pologne.
● Production et consommation,
des évolutions dissemblables
Il est intéressant de noter que la baisse
de la consommation totale n’a pas,
dans tous les pays, suivi celle de l’activité économique de la même manière.
Selon les données disponibles, la
baisse de ces deux indicateurs a été de
le courrier des pays de l’Est
la même amplitude en Albanie, en
Roumanie et en Bulgarie. La contraction
de la consommation a, au contraire, été
sensiblement plus réduite que celle du
PIB en Europe centrale, et notamment
en Pologne et en Hongrie. Ceci peut
notamment s’expliquer par le développement du secteur privé. Il en va de
même des salaires réels (exprimés en
dollars constants à parité de pouvoir
d’achat), dont la diminution a suivi
étroitement celle du PIB en Bulgarie et
en Roumanie, mais a été beaucoup plus
faible en Hongrie (- 12 %) et en
Tchécoslovaquie (- 15 %) ; quant aux
salaires réels polonais, ils sont aujourd’hui supérieurs de 5 à 10 % à leur
niveau de 1989. Ces divergences sont
sans doute liées, au moins en partie, à
des différences de comportements collectifs face à la dégradation des conditions de vie, et aux différences des
politiques mises en oeuvre par les pouvoirs publics. [...]
Dans l’ensemble de l’ex-URSS, les
revenus réels et les niveaux de vie ont
baissé de 40 % environ par rapport aux
niveaux atteints en 1990-1991. Il est
cependant difficile de dire dans quelle
mesure les statistiques officielles reflètent
les conditions de vie réelles dans le
contexte actuel caractérisé par la croissance du secteur privé et le développement de la production et de la consommation informelle.
● Le creusement des inégalités
La répartition des revenus dans les systèmes communistes était notoirement
plus égalitaire que dans la plupart des
économies occidentales. Contrairement
à une opinion répandue, la part des
dépenses sociales dans le total des
revenus réels était, en moyenne, sensiblement plus faible dans les pays de
l’Est que dans les pays de l’OCDE.
De récentes études réalisées en
Hongrie et en Pologne ont montré que
77
N° 1046 novembre-décembre 2004
les structures des salaires et des revenus
ont commencé à se modifier sous l’effet
de la libéralisation économique et des
changements politiques, ainsi que de la
dépression économique et de l’inflation. L’évolution la plus généralement
observée se traduit par une progression
des revenus réels pour une minorité de
gens sachant et pouvant profiter des
nouvelles libertés économiques et politiques, tandis que la situation de la
majorité de la population se dégrade
très rapidement. […] Les gagnants
d’une telle évolution sont les nouveaux
entrepreneurs, parfois issus des anciennes
nomenklaturas communistes, les jeunes
ayant effectué des études supérieures,
les habitants des grandes villes... […]
Une minorité de salariés a rejoint le
secteur privé en plein essor dans les
grandes villes, particulièrement dans le
commerce et les services. Ceux-ci ont
connu une rapide progression de leurs
revenus. Les ouvriers et employés qui
ne pouvaient se prévaloir que d’un faible
niveau de qualification et d’études, et
qui étaient restés dans le secteur
d’Etat, ont vu leurs revenus réels et
leurs conditions de vie baisser lorsqu’ils ont perdu divers revenus en
nature ainsi qu’une partie du pouvoir
d’achat dont ils bénéficiaient sous le
régime communiste.
Les agriculteurs et leur famille ont été
les grands perdants : leurs revenus
réels ont chuté de 45 % en 1990 et
1991, en liaison avec le transfert de la
distribution des produits alimentaires
au secteur privé et la suppression des
subventions.
La situation des retraités a été bien
meilleure car le montant des retraites
en termes réels a augmenté en 1990 et
1991 ; la part des retraités dans les trois
déciles inférieurs est ainsi passée de
50 % en 1989 à 26 % en 1991. […]
Le groupe le plus défavorisé est celui
des ménages frappés par le chômage
(seulement 5 % de la population active
de Varsovie en 1992, mais plus de
17 % dans le nord-est du pays). Le
chômage de longue durée a déjà commencé à croître à une vitesse alarmante, touchant un grand nombre de
jeunes et de femmes qui ne possèdent
qu’un faible niveau d’études et de qualification, particulièrement dans les
régions agricoles. […]
Suite à la baisse des revenus réels
moyens et à l’étirement vers le bas de
la répartition des revenus, de nouvelles
formes de pauvreté ont commencé à se
développer très rapidement dans tous
les pays d’Europe centrale et orientale,
ainsi que dans l’ex-Union soviétique.»
Michel Gaspard, Banque européenne
pour la reconstruction et le développement (Berd)
«Revenus et niveaux de vie en Europe centrale
et orientale et en ex-URSS»
CPE, n° 383, octobre 1993, pp. 4-13
Notes :
(1) Ndlr - L’article de Michel Tatu a été écrit avant l’événement.
(2) Ndlr - Léonid Brejnev était alors Premier secrétaire du Parti et Alexis Kossyguine Premier
ministre. Ce dernier, qui avait occupé plusieurs postes de responsabilité dans le domaine
économique (dont celui de président du Gosplan) était alors considéré en Occident comme un
réformateur.
(3) La consommation d’alcool pur par habitant était de 6,3 litres en 1975. I1 est vrai que la
même année, elle était de 17 litres en France. Mais les Soviétiques boivent essentiellement de
la vodka vendue à un prix relativement élevé (4 roubles la bouteille de 50 cl). I1 faut noter,
par ailleurs, que ce chiffre n’inclut pas la consommation d’alcool fabriqué de façon artisanale
(samogon, braga) et qui, selon certaines estimations, s’élèverait à 2 litres d’alcool pur par
personne et par an.
78
La consommation
le courrier des pays de l’Est
(4) Les achats d’automobiles ne représentent que 2 % environ de tous les achats de biens
durables.
(5) Rappelons que les loyers, en URSS, sont parmi les plus bas du monde et qu’ils ont été
maintenus stables depuis 1928.
(6) A titre d’exemple, en 1970, la moitié des enfants des villes fréquentaient les établissements
préscolaires contre seulement 30 % dans les zones rurales.
(7) Ndlr - Cette grève, très largement suivie, a touché l’ensemble des bassins houillers de
l’URSS. Se limitant au début à des revendications économiques, elle prit rapidement un caractère
politique de protestation contre le totalitarisme et fut largement soutenue par l’ensemble de la
population.
(8) Ce type de tourisme est désigné, dans la presse est-européenne, sous des dénominations
diverses : excursion, excursion à caractère commercial en Pologne ; pseudo-tourisme,
tourisme spéculatif en Tchécoslovaquie ; on parle des «invités» et d’exportations touristiques
traditionnelles dans la presse soviétique, en ce qui concerne la Hongrie et la Tchécoslovaquie.
Le terme «touristbusinessman» apparaît de temps à autre. De manière générale, l’expression
utilisée reflète la manière différenciée dont chaque pays appréhende la situation.
Pour plus d’informations lire
dans Le courrier des pays de l’Est
Article non signé, «Le problème des services pour la population en URSS», n° 102, 1er mai
1968, pp. 17-36.
Article non signé, «Evolution des besoins en biens de consommation de l’Union soviétique»,
n° 114, février 1969, pp. 75-84.
Chantal Beaucourt, «Niveaux de vie dans les différentes républiques de l’Union soviétique»,
n° 117, mai 1969, pp. 43-60.
Wilhelm Jampel, «Bilan comparé et perspectives de la consommation en Europe de l’Est»,
n° 206, avril 1977, pp. 3-18.
Marie-Agnès Crosnier, «L’amélioration du niveau de vie en URSS dans le XIe quinquennat
(1981-1985), un pari difficile à tenir», n° 250, avril 1981, pp. 80-90.
Marie-Agnès Crosnier, Georges Mink, «Le face-à-face pouvoir-consommateur en URSS et
en Pologne», n° 256, novembre 1981, pp. 3-32.
Michel Tompa, «La consommation en Hongrie», n° 261, avril 1982, pp. 50-67.
Vassil Vassilev, «Politique des revenus et dynamique de l’économie parallèle en Bulgarie»,
n° 279, décembre 1983, pp. 23-36.
Michèle Kahn, «Le programme des biens de consommation non alimentaires et des services à
l’horizon 2000 : un espoir pour le consommateur soviétique ?», n° 317, avril 1987, pp. 2735.
Marie-Agnès Crosnier, «Indigence du secteur tertiaire en URSS», n° 326, février 1988,
pp. 3-22.
Marie-Agnès Crosnier, «Ombres et lumières sur le niveau de vie en Russie», n° 383, octobre
1993, pp. 15-26.
Artur Borzeda, «Coups de projecteur sur la consommation des ménages en Europe de l’Est
et de l’Ouest», n° 444, novembre 1999, pp. 18-31.
79
N° 1046 novembre-décembre 2004
L’emploi
Du droit au travail pour tous
à l’explosion du chômage
Un des principaux sujets de satisfaction
des dirigeants communistes était d’avoir
aboli le chômage, fléau des économies
de marché. Effectivement, en dépit de
l’existence d’un sous-emploi assez
important, on peut affirmer que tous les
citoyens en âge de travailler avaient
une activité professionnelle. Celle-ci
correspondait-elle à leur qualification
et à leurs souhaits, c’est là un autre
problème, qui ne laissait pas de se poser.
En URSS, où le système était
particulièrement rigide, les jeunes diplômés
se voyaient ainsi souvent nommés, à
l’issue de leurs études, dans des régions
reculées, au climat inhospitalier et en
outre sans espoir de retour s’ils étaient
originaires de grandes villes, puisqu’ils
n’avaient pratiquement pas la possibilité
d’être réintégrés sur les listes de résidents
où tout un chacun devait être enregistré.
Faut-il alors s’étonner du nombre
d’ingénieurs acceptant de s’embaucher
comme ouvriers dans une usine de la
partie européenne du pays, ou de celui
des jeunes qui concluaient des mariages
blancs dans le seul but de ne pas «s’exiler» ?
Un des principaux dysfonctionnements
engendrés par la politique de l’emploi
mise en place dans les pays à économie
centralement planifiée est l’instabilité de
la main-d’œuvre à laquelle contribuait
également la supériorité de l’offre
d’emplois sur la demande. Une des
préoccupations essentielles des
responsables dans ce domaine a donc
été de trouver des solutions permettant de
80
maintenir dans les entreprises les salariés
les mieux formés et les plus dynamiques.
Autre souci des dirigeants, l’épuisement
progressif des «réservoirs» de maind’œuvre constitués par la population
rurale et les femmes au foyer. Même si
dans des pays comme la Bulgarie ou la
Roumanie, le problème se posait de façon
moins aiguë. Par ailleurs, les mesures
visant à améliorer la productivité du
travail, en l’absence de véritables
incitations matérielles et d’un marché de
la consommation digne de ce nom, se sont
avérées peu efficaces.
Ce système allait devoir se confronter à
l’ouverture sur l’extérieur, à la liquidation
de la planification centralisée de la maind’œuvre et à l’apparition d’un secteur
privé. Les conséquences en ont été
différentes selon les pays. Dans ceux où la
libéralisation a été radicale, notamment
dans certains pays d’Europe centrale et
orientale, on a assisté à l’apparition d’un
chômage de masse, au développement des
emplois précaires et du travail au noir,
ainsi qu’à l’émigration, l’expansion du
secteur privé, en particulier dans le
tertiaire ne suffisant bien souvent pas
à satisfaire la demande d’emplois. La
situation varie bien évidemment selon le
niveau économique qu’avaient atteint les
pays et leur degré d’avancement dans les
réformes à la veille de la chute du mur,
même si tous ont connu une forte baisse
de l’activité économique. La Russie, pour
sa part, a adopté une politique visant à
freiner l’apparition d’un chômage de
L’emploi
masse. C’est ainsi qu’en dépit de la
réduction drastique de la production dans
de nombreux secteurs, en particulier
dans l’industrie lourde, on a maintenu
artificiellement la main-d’œuvre dans
toute une série d’entreprises, afin d’éviter
une explosion sociale. Par ailleurs, le
secteur privé, qui était totalement absent
ou presque avant l’éclatement de l’URSS,
connaît un dynamisme certain, en
particulier dans le secteur tertiaire, créant
de nombreux emplois, dont une grande
partie, il est vrai, n’est pas déclarée. Les
chiffres officiels du chômage sont en outre
fortement minimisés, les personnes privées
d’emploi n’étant pas particulièrement
incitées à s’inscrire dans les agences,
étant donné le faible niveau des indemnités.
Les dysfonctionnements
de la politique
de l’emploi
● Une première tentative
de réguler le marché du travail
«Depuis l’arrivée au pouvoir de Nikita
Khrouchtchev, [à la suite de la libéralisation du régime du travail], les chefs
d’entreprises soviétiques se plaignent
de l’instabilité de la main-d’œuvre. [...]
Une solution partielle est certes apportée
par la réforme économique, qui permet
d’attacher à l’entreprise la partie la
plus dynamique du personnel en
indexant les salaires sur la productivité, la qualité des marchandises
livrées et le profit réalisé par l’établissement. Toutefois, le problème est loin
d’être résolu dans son ensemble. [...]
Les répercussions
de la réforme économique
sur l’emploi
En effet, la réforme, irréalisable sans
une modernisation poussée des équipements, crée de nouvelles difficultés
le courrier des pays de l’Est
en [...] “libérant” une partie de la
masse d’ouvriers qui ont été formés sur
des équipements démodés. [...]
Les économistes soviétiques pensent
que le mouvement qu’ils qualifient par
euphémisme de “baisse du rythme
d’accroissement du nombre de travailleurs” ne va pas seulement affecter
certaines entreprises, mais s’étendra à
des branches entières de l’industrie,
telles que les houillères et l’industrie
forestière. En revanche, dans les branches
modernes, telles que l’industrie des
appareils de précision, l’industrie automobile et la chimie, on assistera à un
mouvement d’embauche rapide de
travailleurs qualifiés. [...]
En raison de l’insuffisance de l’effort
de reclassement, une grande partie des
ouvriers licenciés quittent définitivement les entreprises alors qu’ils
auraient pu être employés à d’autres
postes de travail. [...]
Les «réservoirs»
de main-d’œuvre
Des sondages effectués en 1965
avaient démontré que les neuf dixièmes
de la population valide occupés à des
travaux auxiliaires étaient des femmes.
A l’intérieur de ce groupe, les deux
tiers n’avaient pas de qualification
professionnelle et une partie très
importante était âgée de plus de
quarante ans. Toutefois, à cette époque,
les planificateurs soviétiques espéraient résorber un peu ce réservoir de
main-d’œuvre confinée à des travaux
domestiques. [...] Ils calculaient que la
proportion de postes de travail destinés
aux femmes devait progresser au
rythme minimum de 4 000 emplois
pour 23 800 demandes. [...]
L’urgence d’un très important effort de
reclassement et de formation professionnelle des adultes apparaît également lorsqu’on analyse le courant
irréversible de l’exode rural. [...] De
81
N° 1046 novembre-décembre 2004
1959 à 1965, le nombre des personnes
occupées dans l’agriculture a baissé de
12 %. Au cours de la même période, la
production agricole a augmenté de
14 %. [...]
Le reclassement
des travailleurs licenciés
La réforme de la gestion de l’entreprise
qui indexe, notamment, les salaires sur
la productivité, favorise évidemment
les licenciements. Dans une telle situation, [...] l’Etat cherche à intervenir
pour que les entreprises effectuent des
prélèvements sur leurs profits et limitent
les augmentations de salaires, en réservant des sommes importantes pour la
formation professionnelle et le reclassement des travailleurs licenciés. [...]
Les disparités régionales
L’URSS souffre des multiples inconvénients d’une mauvaise répartition de la
main-d’œuvre par région. On sait
qu’en Sibérie, dans l’Extrême-Orient
et dans le Caucase-Nord où sont
concentrées les plus importantes
ressources énergétiques et matières
premières du pays, la main-d’œuvre
manque. Cette pénurie se fait également sentir dans les centres industriels
de la partie européenne de l’URSS, tels
que Moscou, Leningrad, Kiev, Kharkov,
etc., où se trouve concentrée la
majeure partie de l’industrie. La situation est inverse dans les petites villes.
Là, il y a de grandes “réserves” de
main-d’œuvre occupées dans l’économie domestique. [...] Certes, l’Etat
soviétique songe, imitant en cela
l’exemple des pays occidentaux, à
déconcentrer l’industrie en y transférant certains établissements, [...] mais
souvent, on ne peut y créer que des
industries de transformation des matières
premières agricoles locales. [...]
A la suite de la mise en valeur des
régions orientales de l’URSS, il est
apparu nécessaire d’orienter la main-
82
d’œuvre vers ces régions. […] Une
telle mobilité exige d’y améliorer le
niveau de vie. […] Toutefois, avec la
réduction des avantages et des prérogatives dont pouvaient se prévaloir
jusqu’en 1965 les travailleurs des
régions orientales, le nombre de ceux
qui quittent la Sibérie, le Grand Nord
et l’Extrême-Orient dépasse celui des
arrivants. Les pressions exercées sur
les jeunes ne résolvant pas le problème,
l’Etat se trouve dans l’obligation de
créer un réseau convenable de services
publics et sociaux et, partant, un
secteur tertiaire de l’emploi.
Développer le secteur
tertiaire
Si, dans l’agriculture socialisée et
l’industrie, la tendance est au ralentissement de l’accroissement de la maind’œuvre, le nombre de [salariés du
secteur tertiaire] devrait augmenter au
cours de la période 1966-1970 de plus
de 9 millions de personnes, soit d’un
tiers, contre un accroissement prévu de
5 millions pour le secteur de la
“production matérielle”. Cependant, en
ce qui concerne les salaires, il reste à
combler la différence entre ces deux
secteurs. En 1965, elle a été atténuée
grâce à une augmentation de 20 % des
salaires dans le tertiaire. Toutefois, on
est encore loin d’avoir créé dans la
population un courant favorable à ces
emplois. Les “réserves” de maind’œuvre, faute de trouver une occupation plus lucrative semblent préférer
l’économie domestique. Celle-ci occuperait 13 % de la population valide.»
Article non signé
«Nouvelles tendances de l’emploi en URSS»
CPE, n° 76, 5 avril 1967, pp. 21-33
● Chômage à l’Ouest, pénurie
de main-d’œuvre à l’Est ?
«Le principal problème des pays
d’Europe de l’Est dans le domaine de
l’emploi est incontestablement une
L’emploi
pénurie générale de main-d’œuvre. [...]
Les responsables est-européens avancent
à cette situation une explication
d’ordre démographique. [...] Celle-ci
n’est acceptable que pour la RDA où,
effectivement, les taux de croissance
ont été la plupart du temps négatifs au
cours des vingt-cinq dernières années.
Pour l’ensemble des pays de la région,
la moyenne annuelle s’est stabilisée
pendant le quinquennat 1966-1970 à
0,9 %, seules la Hongrie et la Tchécoslovaquie, et bien sûr la RDA, descendant au-dessous de 0,7 %. Dans la
période quinquennale précédente, le
taux était encore plus élevé, soit 1,1 %.
[...] La croissance de la population en
âge de travailler a connu un rythme
encore plus favorable : environ 1 %
pour la période 1960-1970 et 1,2 % en
moyenne entre 1970 et 1975. [...]
Plein-emploi et productivité
I1 semble, en fait, que les problèmes
que connaissent actuellement les pays
du CAEM dans le domaine du travail
doivent être plutôt examinés sous
l’angle de la productivité. En raison de
l’afflux d’une masse considérable de
main-d’œuvre résultant du boom
démographique de l’après-guerre, de
l’exode rural et de l’arrivée des
femmes sur le marché du travail, ces
pays ont pu, jusqu’au milieu des
années 70, se contenter d’une élévation
modérée de la productivité puisqu’une
partie considérable (en général entre 10
et 20 %) de la croissance du produit
social brut résultait de l’augmentation
de la main-d’œuvre. [...] L’objectif
primordial des responsables des pays
socialistes étant de réaliser le pleinemploi, c’est cette politique qui détermine le niveau de productivité du
travail et non l’inverse. On peut
constater, de ce point de vue, que les
dysfonctionnements des économies
planifiées − manque d’efficacité dans
l’utilisation du travail et du capital,
insuffisance de souplesse du système
le courrier des pays de l’Est
de planification − proviennent en
grande partie d’une mauvaise appréhension du concept de plein-emploi et
il n’est pas prouvé, jusqu’à présent,
que les dirigeants des pays du CAEM
soient en mesure de contrôler le développement de la productivité. [...]
Ce problème a même donné naissance
en URSS à des propositions “fracassantes”. Gavril Popov, professeur d’économie à l’université de Moscou, [...]
préconisait ainsi de diminuer les salaires
des ouvriers en cas de rentabilité insuffisante et de chasser sans pitié les
“paresseux” des usines. [...]
Donner un emploi à chacun
La politique du plein-emploi a
surtout atteint son but social :
fournir un travail et le minimum vital à
chaque citoyen. Il a fallu, pour ce faire,
maintenir les salaires à un niveau relativement bas, ce qui a entraîné la généralisation du travail féminin (un seul
salaire ne suffisait plus) et a conduit les
retraités à reprendre du service. [...] Un
autre effet pervers de la politique de
l’emploi pratiquée dans les pays étudiés consiste dans la non-adéquation
entre la qualification et la fonction
exercée [...] : les jeunes diplômés de
l’enseignement supérieur ont du mal à
trouver du travail, surtout dans les
villes. [...] En URSS, ce problème est
particulièrement aigu, et cela pour
deux raisons : une mauvaise adéquation entre la formation et les besoins
réels de l’économie, et la répugnance
qu’ont les jeunes spécialistes à
“s’expatrier” dans des régions peu
accueillantes.[…] Dans bien des cas,
ces derniers sont même contraints
d’occuper des postes d’une qualification inférieure à la leur, et cela parfois
même à leur propre demande, car les
ouvriers bénéficient fréquemment de
rémunérations supérieures à celles des
cadres. […]
83
N° 1046 novembre-décembre 2004
Pourquoi les travailleurs
de l’Est ont-ils «la bougeotte» ?
L’insatisfaction qu’éprouvent les travailleurs des pays de l’Est en ce qui
concerne leur travail est à l’origine de
l’instabilité de la main-d’œuvre. [...]
En période de pénurie, les travailleurs
n’ont aucun problème d’embauche et
on hésitera toujours à licencier lorsqu’il est tellement difficile de trouver
du personnel. En outre, on peut parler
de l’exercice d’un certain “droit à la
paresse” : les bas salaires, le peu de
possibilités de dépenser l’argent gagné
en raison d’une offre insuffisante de
biens, les avantages du travail au noir
par rapport au travail “officiel”, tout
cela conditionne le manque d’enthousiasme des citoyens des pays d’Europe
de l’Est pour leur travail. […] L’absentéisme est également un problème
majeur. [...]
Quelle évolution possible ?
La plupart des pays de la région basent
leur développement économique au
cours du quinquennat 1981-1985 sur
l’accroissement de la productivité du
travail. [...] Or, la croissance relative
de la population en âge de travailler
diminuera dans tous les pays au moins
jusqu’en 1985 et, dans la plupart,
même au-delà ; en outre, elle sera par
moments négative en Bulgarie, en
Hongrie et en RDA. [...] C’est pourquoi
le développement économique des pays
concernés est presque entièrement basé
désormais sur l’augmentation de la
productivité du travail. [...]
La répartition de l’emploi entre les
secteurs est susceptible de se modifier
par le biais de la mobilité de la maind’œuvre. Du fait de leur niveau
d’industrialisation, la Bulgarie et la
Roumanie sont les seuls pays européens du CAEM à connaître encore un
exode rural, mais à partir de la
deuxième moitié des années 70, on
peut également constater un certain
84
ralentissement de celui-ci. Ailleurs, les
réserves de main-d’œuvre agricole
semblent être beaucoup plus réduites
mais elles resteront encore pendant
longtemps importantes pour l’industrie
et le secteur tertiaire. Cependant, si
l’on prend en considération l’ensemble
de la zone, on peut juger que cette
tendance ne sera sans doute pas tout à
fait généralisée.
Cette opinion est confirmée par
l’évolution de l’emploi en Hongrie et
en Pologne. En 1979, ces deux pays
ont connu une baisse de l’offre
d’emplois dans l’industrie [...] et ils se
sont efforcés, entre autres mesures, de
réaliser un redéploiement de la maind’œuvre dans l’agriculture. Dans les
deux pays, il s’agit donc d’une modification de la balance de l’emploi. [...].
Pour accélérer ce processus, on favorise l’ouverture de boutiques, de
restaurants et d’ateliers de réparations
privés. En Pologne, des crédits ont été
accordés à des conditions très favorables aux ouvriers qui voulaient lancer
leur propre exploitation agricole. On
peut prévoir une tendance semblable
pour la RDA et la Tchécoslovaquie. La
part de la population active occupée
dans l’agriculture est déjà très faible et,
par conséquent, ce secteur n’est plus
capable dans l’immédiat de fournir de
la main-d’œuvre aux autres. Par contre,
la part de la population active dans
l’industrie est très élevée dans les deux
pays. Seul ce secteur pourra donc
dégager du personnel pour les services
ainsi que pour certaines branches
industrielles déficitaires, en particulier
les mines. [...] I1 est intéressant de
souligner que, dans son ensemble, la
répartition sectorielle de l’emploi dans
les pays européens du CAEM en 1979
est comparable à celle des pays
d’Europe occidentale dans les années
60, et notamment à celle de l’Italie en
1963. [...]
En ce qui concerne la mobilité de la
main-d’œuvre entre les différents pays
L’emploi
le courrier des pays de l’Est
du CAEM, elle est très faible : environ
130 000 personnes en 1975-1976, les
pays d’accueil étant principalement
la RDA, puis la Tchécoslovaquie et
l’URSS. [...] Le redéploiement de la
main-d’œuvre et l’amélioration du
niveau technologique restent donc les
seuls moyens de satisfaire les besoins
dans le cadre de la politique de pleinemploi, ce qui implique une meilleure
formation des travailleurs et des possibilités accrues de recyclage.[...]
I1 apparaît donc clairement que la politique du plein-emploi, telle qu’elle est
appliquée dans les pays du CAEM,
grève très lourdement l’économie de
ces pays. [...] On constate également
que, tout en pratiquant une politique de
redéploiement de la main-d’œuvre, ces
Etats continueront à garantir le droit au
travail et le plein-emploi. Envisagée
sous son seul aspect économique, une
telle politique maintiendra un certain
chômage caché qui a, pour plusieurs
raisons, peu de risques de se transformer
en chômage véritable : le taux d’accroissement de la population en âge de
travailler demeurera trois fois plus bas
qu’en Europe occidentale (0,3 % contre
0,8-0,9 %) ; de plus, la réalisation
des objectifs de la politique sociale
− prolongation de la durée des congés
payés, diminution de la durée hebdomadaire du travail, formation continue,
recyclage, etc. − permettra de libérer
des postes de travail supplémentaires.
I1 reste donc à ces pays à prouver
qu’ils peuvent, ainsi qu’ils estiment
pouvoir le faire, améliorer la situation
des travailleurs en fournissant à chacun
non plus seulement un travail, mais le
travail qu’il souhaite effectuer au
mieux de ses intérêts propres et de
ceux de la société.»
Tatjana Globokar, Michèle Kahn,
Le courrier des pays de l’Est
«Vers une problématique de l’emploi à l’Est»
CPE, n° 258, janvier 1982, pp. 3-27
Andropov en lutte
contre l’absentéisme
«Dès son arrivée au pouvoir en novembre
1982, Iouri Andropov a entrepris de
s’attaquer à un des fléaux de l’économie soviétique, la faiblesse de la
productivité du travail. En effet, bien
que les entreprises soviétiques disposent
d’une main-d’œuvre pléthorique, leurs
dirigeants se plaignent perpétuellement
du manque de travailleurs et ce en raison
du faible rendement fourni. On a pu
calculer qu’en 1981, deux millions de
postes de travail demeuraient vacants.
[...] Mais c’est à un aspect particulier
du problème [...] que s’est attaquée
l’équipe Andropov, ce que la terminologie soviétique regroupe sous le terme
de “violations de la discipline du
travail”, c’est-à-dire l’absentéisme, les
pertes de temps diverses, la mauvaise
qualité du travail effectué, l’ivresse sur
les lieux de travail, et même l’instabilité de la main-d’œuvre. [...] Ces
pratiques aboutiraient à 15-20 % de
perte de la durée totale du travail. [...]
Des mesures de caractère disciplinaire
ont ainsi été adoptées conjointement
par le Conseil des ministres de l’URSS
et le Conseil central des syndicats. Le
congé annuel des ouvriers et employés
qui se sont absentés de leur travail sans
motif valable est grevé du nombre de
jours d’absence. [...] Les ouvriers et
employés coupables de violations de la
discipline du travail, d’absences sans
motifs valables, d’ivresse sur les lieux
de travail, peuvent être mutés à un
poste moins rémunéré pour une durée
maximum de trois mois. [...] Les
ouvriers et employés licenciés pour
violation systématique de la discipline
du travail verront, lors d’une nouvelle
embauche, leurs primes diminuées de
moitié pendant une période de six
mois. [...]
Ces mesures peuvent certes avoir un
effet dissuasif, mais des habitudes prises
au fil des années ne peuvent s’effacer
85
N° 1046 novembre-décembre 2004
d’un coup de baguette magique alors
que les causes qui les ont engendrées
n’ont pas disparu : les travailleurs
s’absentent pour faire leurs emplettes
en cours de journée pour éviter les files
d’attente du soir, ou pour effectuer un
travail au noir parce que leur travail
“officiel” leur procure des revenus
insuffisants. Quant à l’ivrognerie, il
s’agit d’un problème particulièrement
complexe.»
Michèle Kahn, Le courrier des pays de l’Est
«Andropov, les travailleurs et la discipline»
CPE, n° 277, octobre 1983, pp. 35-38
Les défis de la transition
● Pas de chômage massif
dans l’industrie russe
«La transition représente un choc multiforme pour les grandes entreprises
industrielles. Elles sont en effet amenées
à recentrer leur fonction autour d’activités assurant au moins leur survie,
sinon leur rentabilité. Etant donné le
rôle essentiel qu’elles jouaient dans
l’organisation de la société, les
contraintes qui s’exercent sur elles sont
très diversifiées. De plus, il leur faut
s’adapter aux nouvelles conditions
dans un contexte de dépression économique violente et durable dont elles
sont à la fois la cause et les victimes.
[...]
Pas d’adéquation
systématique entre baisse
d’activité et réduction
des effectifs
Dans les pays à économie de marché,
les évolutions de la production sont
souvent corrélées avec celles de l’emploi,
même si l’ajustement n’est pas simultané et est parfois incomplet. En Russie,
la production industrielle s’effondre
depuis le début des années 1990 […] :
elle aurait chuté de moitié entre 1991 et
1996. […] De nombreuses entreprises
86
ont vu leur effectif fondre considérablement, bien que les licenciements
aient été peu nombreux, et l’emploi
industriel est passé de 20 millions de
salariés en 1991 à 15 millions en 1996,
soit une baisse de 25 %. Ce mouvement
est très différencié selon les secteurs.
[...] Il ressort des chiffres disponibles
sur une période de plusieurs années
[...] que l’emploi chute proportionnellement moins que la production.
Cependant, le classement des secteurs
selon l’ampleur des deux variations est
identique. [...]
En Russie, la chute de l’activité
productive ne se traduit pas par des
mises en faillite suivies de fermetures
d’entreprises. Elle a plutôt pour effets
une érosion continue des effectifs [...]
et les restructurations s’opérant pas
scission ou par fusion, l’évolution
globale de l’emploi dans chaque secteur est la résultante de divers phénomènes. Dans ce mouvement général, la
démographie du tissu productif évolue
de façon différenciée.
Ainsi, la concentration des emplois
selon les secteurs varie considérablement. Si dans le secteur de l’énergie
électrique, les entreprises de plus de
cent salariés tendent désormais à
regrouper l’ensemble des effectifs, la
tendance à la dispersion est cependant
réelle dans la plupart des secteurs. Elle
est très prononcée dans la branche
confection.
L’évolution globale de l’industrie se
caractérise entre 1991 et 1996 par la
chute des effectifs des entreprises de
plus de cent salariés : elle a été d’un
tiers, le nombre d’entreprises diminuant, quant à lui, de 20 %. La baisse
des effectifs des très grandes entreprises
(plus de 5 000 salariés) est encore plus
marquée (42 %), alors que ces dernières
assuraient un tiers de l’emploi industriel
en 1991 ; pour la seule année 1996, le
recul s’est chiffré à 10 %.
L’emploi
Une enquête menée en 1996 [par des
chercheurs russes et français auprès de
142 directeurs d’entreprises dans sept
régions − Vladimir, Voronej, NijniNovgorod, Samara, Saratov, Perm,
Sverdlovsk − et quatre secteurs industriels − énergie, constructions mécaniques, confection et agro-alimentaire]
permet d’appréhender les comportements des chefs d’entreprises
confrontés à une récession forte et
durable et aux changements importants
intervenus dans les relations clientsfournisseurs comme dans l’accès aux
crédits et aux subventions. A partir des
réponses recueillies, on comprend
mieux que les niveaux de l’emploi
souhaités et constatés par les directeurs
correspondent pour partie à un ajustement aux possibilités financières de
leur entreprise et à la diversification de
ses activités. Mais aussi, il apparaît un
lien entre les “départs volontaires” et
l’existence d’offres plus avantageuses.
L’emploi est donc une variable qui
dépend non seulement de la situation
de l’entreprise mais aussi du dynamisme du marché du travail. […]
Logiquement, les entreprises où le
recul de la production est particulièrement prononcé sont aussi celles pour
lesquelles on rencontre la plus forte
possibilité d’enregistrer des baisses
majeures d’effectifs. [...] En outre, ces
entreprises, les plus touchées par la
récession de 1994, ont connu le plus
souvent un ajustement important du
niveau de leurs effectifs, soit l’année
même, soit l’année suivante. Ainsi, les
deux tiers des entreprises où la production a chuté fortement en 1994 ont été
affectées par une baisse supérieure à
20 % du nombre de leurs salariés en
1995.
Pour autant, baisse de la production et
baisse des effectifs ne touchent pas
systématiquement les mêmes entreprises, même avec un décalage temporel. Ainsi, parmi les entreprises où la
production a baissé en 1994 ou en
1995, certaines ont néanmoins accru
le courrier des pays de l’Est
leur effectif. Cela a été le comportement des trois quarts des entreprises en
récession du secteur de l’énergie et de
40 % de celles de l’agro-alimentaire,
ce phénomène étant rarissime dans les
deux autres secteurs (constructions
mécaniques et confection).
On remarque le mouvement inverse
entre récession et emploi pour des
entreprises de secteurs industriels qui
jouissent d’une situation économique
relativement plus favorable puisque ce
sont aussi ceux qui distribuent des
salaires plus élevés. Tel est, bien sûr, le
cas de l’énergie, mais aussi celui de
l’agro-alimentaire. [...] On ne peut
exclure également que ces entreprises
[...] soient sollicitées pour absorber une
partie du suremploi apparaissant localement.
Une réticence à licencier
Seul un quart des directeurs d’entreprises déclare des licenciements importants effectués en 1995 ou prévus pour
1996. [...] Parmi les entreprises qui
jugeaient avoir des capacités de
production excédentaires, 30 % prévoyaient une vague de licenciements
pour 1996. Sur les 29 entreprises [se
trouvant dans ce cas], 26 citaient
comme motif de leur décision, en
première ou en deuxième position, la
chute de la production et 10 la nécessité d’abaisser le coût du travail, alors
que la modernisation du processus de
production, les manquements à la
discipline du travail ou l’inadéquation
des qualifications n’étaient presque
jamais évoqués. [...]
En fait, il apparaît que les chefs d’entreprises sont souvent réticents à
reconnaître une responsabilité active
dans les départs et, partant, dans la
chute des effectifs. Parmi les entreprises
enquêtées, 72 % affirmaient en effet
que les démissions avaient été, en
1995, la première raison des diminutions d’effectifs. Les départs en retraite
87
N° 1046 novembre-décembre 2004
sont, quant à eux, cités comme premier
motif par 11 % des entreprises et
comme second motif par 44 %. Enfin,
les licenciements économiques ne sont
mentionnés en première position que
dans 13 % des cas et en seconde dans
23 %. [...]
Pourtant, il y avait toujours des
personnes à la recherche d’un emploi,
[...] mais ceux-ci étaient tout simplement ignorés. [...] Naturellement, cela
rendait impossible toute protection
sociale.
Un chômage reconnu
C’est la concomitance de la situation
économique dégradée des entreprises
et de l’opportunité de trouver ailleurs
de meilleures conditions salariales qui
expliquerait les départs dits volontaires. La mobilité, qui est souvent
subordonnée à la possibilité de conserver
un accès aux services sociaux et de
garder son logement, conduit finalement à un redéploiement de la maind’œuvre “à l’initiative des travailleurs”.
Les réponses des chefs d’entreprises
montrent que la fidélisation, qui est un
des objectifs affirmés de maintien de la
sphère sociale, est contrariée par le
manque de moyens financiers.»
Jan Robert Suesser, INSEE
«L’emploi industriel en Russie dans les premières
années de la transition (1991-1996)»
CPE, n° 427, février 1998, pp. 17-26
● Roumanie : de l’embauche
forcée au chômage indemnisé
«La crise économique qui a frappé la
Roumanie et l’ensemble des PECO à
partir de la fin des années 70 a créé un
véritable chômage, même s’il a continué
à ne pas être reconnu. Pour combattre
le phénomène, le pouvoir communiste
eut de plus en plus recours à des mesures
administratives. Les entreprises furent
obligées d’embaucher un minimum de
jeunes diplômés et eurent interdiction
de licencier. Les jeunes diplômés
étaient répartis sur les emplois disponibles dans un stage obligatoire de
deux à trois ans. Par la suite, le déplacement de la main-d’œuvre fut limité
[...], les grandes villes étant “fermées”
à ceux qui n’y étaient pas domiciliés.
88
Après 1990, la mise en place des
premières réformes structurelles a
conduit à une croissance explosive du
chômage et en janvier 1991 [fut adoptée
une loi] qui précisait les critères d’éligibilité et les modalités de protection
sociale des chômeurs [et créait des
Offices pour l’emploi]. Dans les statistiques officielles du chômage figurent
les personnes enregistrées dans ces
offices [qu’elles bénéficient ou non
d’une allocation]. Ce type d’estimation
statistique est sujet à plusieurs critiques,
car il ne correspond pas à la définition
du BIT : “Toute personne de plus de
dix-huit ans, sans emploi, disponible
pour travailler et qui recherche activement un emploi”.
La plus importante critique porte sur
l’incapacité de juger de la recherche
active d’un emploi. Cela a sans doute
permis à un grand nombre de personnes
en fait inactives de toucher une indemnité de chômage, tout en augmentant
artificiellement le nombre de chômeurs.
[...] Il y a aussi [le problème des]
personnes qui travaillent au noir,
notamment dans le secteur privé et qui
sont toujours enregistrés [comme
chômeurs].
Par ailleurs, de nombreuses personnes,
qui correspondent à la définition du
BIT échappent à cette statistique. Il
s’agit d’une part de celles qui quittent
volontairement leur emploi pour en
rechercher un meilleur et n’ont aucune
raison de s’enregistrer dans les Offices
[qui ne proposent] généralement que
des emplois faiblement rémunérés ; et
d’autre part de celles en butte au
chômage technique et dont le contrat
L’emploi
de travail n’est pas formellement interrompu, situation courante durant les
mois d’hiver, en raison des difficultés
d’approvisionnement en énergie.[...]
En outre, des données sur la structure
du chômage selon les causes ne sont
pas disponibles. Selon les estimations
des syndicats, 25 % seulement du total
proviendraient de licenciements (chiffres
d’août 1993). [...] La structure par sexe
indique une situation nettement défavorable pour les femmes. Une des causes
en est la crise qui a frappé les industries qui utilisaient traditionnellement
de la main-d’œuvre féminine, comme
le textile ou l’alimentaire. En ce qui
concerne la structure par âge, le poids
des jeunes de moins de 25 ans, soit
41 %, est inquiétant. On peut considérer
qu’il s’agit en majorité de jeunes
diplômés nouvellement entrés sur le
marché du travail. Ceci est doublement
négatif : l’économie est incapable d’utiliser cette ressource de main-d’œuvre
et le licenciement des salariés des
branches non rentables est différé. [...]
La structure du chômage par
profession est, elle aussi, peu précise.
[...] Le concept d’ouvrier inspiré par
les statistiques de l’époque socialiste
continue d’être utilisé. En fait, on y
trouve pêle-mêle des métiers comme
vendeur, maçon, tourneur, etc. Une
autre catégorie comprend les diplômés
de l’enseignement secondaire, mais la
frontière des professions est assez
floue par rapport à la catégorie précédente. L’inconvénient de ce classement
est la confusion entre profession et
niveau d’études, entre lesquels il n’y a
pas nécessairement concordance stricte.
La troisième catégorie comprend les
personnes ayant fait des études supérieures. La plupart des chômeurs se
trouvent dans la première catégorie. Au
31 décembre 1992, ils représentaient
89 % de ceux bénéficiant ou ayant
bénéficié de l’indemnité de chômage.
La deuxième catégorie représentait
11 % et la troisième 2 %. [...]
le courrier des pays de l’Est
Pour de multiples raisons, notamment
à cause du risque politique significatif,
la protection sociale des chômeurs a
été une des priorités des réformateurs
[...] et une assurance-chômage a été
établie en janvier 1991. [...] Par ailleurs, le ministère du Travail et de la
Protection sociale a créé un système de
gestion des emplois vacants. [...] La loi
oblige les entreprises à communiquer
tout emploi disponible aux offices locaux
de la main-d’œuvre. Ensuite, ces derniers se chargent de proposer les
emplois aux chômeurs enregistrés. Il
semblerait que le système ait eu des
résultats positifs. [...] Son efficacité est
cependant limitée par le nombre
modeste d’emplois vacants. En outre,
les entreprises, notamment celles du
secteur privé et celles en quête de
personnel qualifié, préfèrent éviter les
Offices pour l’emploi pour faire des
recherches plus sélectives. Le moyen
le plus courant est les petites annonces
passées dans les journaux de grande
diffusion.
Des centres de requalification ont été
créés dans neuf départements, dont
trois en coopération avec l’Allemagne
(1992). Un soutien est également offert
par la Grande-Bretagne et le BIT et par
le programme Phare. Cependant, les
résultats sont largement au-dessous des
promesses, [...] en partie à cause de la
modestie des dépenses. L’incertitude
sur les besoins précis en main-d’œuvre
pour l’avenir est cependant la cause
principale de l’inefficacité de la formation. [...] Tant que la restructuration ne
sera pas réellement entamée et que les
tendances de longue durée n’apparaîtront pas clairement, former à de
nouveaux métiers qui risquent d’être
sans avenir peut être considéré comme
du gaspillage.»
Radu Vranceanu, doctorant en économie,
ESSEC-Paris II
«Le chômage en Roumanie»
CPE, n° 383, octobre 1993, pp. 63-73
89
N° 1046 novembre-décembre 2004
● Echec des politiques
de l’emploi en Bulgarie
«La transition économique a été très
rude en Bulgarie, avec une chute
brutale du PIB à la sortie du communisme, puis une grave crise économique. Cette instabilité a abouti à la
mise en place d’un Directoire financier
le 1er juillet 1997. Depuis lors, la
Bulgarie a retrouvé une meilleure santé
économique, mais des difficultés de
fond persistent.
En l’espace d’une douzaine d’années,
le marché du travail a connu de
profonds bouleversements : changements dans la structure de l’emploi,
augmentation du chômage, notamment
de longue durée, fortes disparités
régionales, difficultés d’insertion pour
certains groupes, baisse des salaires
réels et amplification des inégalités de
revenus. Cela a conduit nombre de
personnes vers l’économie parallèle et
l’émigration, alors que les emplois
précaires se développaient. De plus,
l’Etat a cessé de garantir l’emploi
après 1989 [...] faute d’un budget
suffisant. Et bien que des mesures aient
été prises pour minimiser le coût social
de la transition, elles se sont soldées
par un échec. Actuellement, le gouvernement doit faire face au mécontentement social et à un taux de chômage
avoisinant les 17 %. [...]
Un chômage persistant
De nombreuses entreprises ont pratiqué
des licenciements massifs. En 1991,
34 % des travailleurs avaient perdu
leur emploi à la suite d’un licenciement. Les départs en raison des
compressions d’effectifs allaient augmenter de façon spectaculaire, parallèlement à une diminution accrue des
offres d’emploi. Le nombre de chômeurs
déclarés s’accroissait de 344 % entre
1990 et 1991, tendance qui s’est poursuivie jusqu’en 1993, mais à un rythme
moins rapide. [...] Ce sont les entre-
90
prises de taille moyenne qui procédèrent aux coupes les plus sévères,
touchant notamment les ouvriers non
ou peu qualifiés. Les services publics
furent relativement moins affectés.
Le nombre de chômeurs déclarés
commença à se réduire à partir de
1993. L’arrivée au pouvoir des socialistes (ex-communistes) en 1994 et la
mise en place d’une stratégie de soutien
financier aux entreprises publiques en
difficulté expliquent certainement en
partie ce phénomène. Mais, c’est surtout
le développement des activités privées
qui est à son origine, surtout dans le
commerce et l’agriculture, même si, en
fait, il s’agissait plutôt d’une agriculture de subsistance. [...]
Malgré les prémices d’une nette aggravation de la crise économique et les
licenciements dans les services publics
en 1995, le chômage déclaré baissait
de 2,8 %. Il repartait cependant à la
hausse en 1997, avec la mise en place
de nouvelles réformes structurelles
(+ 27 % par rapport à 1996). [...] Il
diminuait légèrement vers le milieu de
1998, mais la situation s’est ensuite
aggravée durant les premiers mois de
1999 à cause de la crise du Kosovo et
du blocus imposé à la République
fédérale de Yougoslavie. [...]
Le chômage de longue durée (plus
d’un an) reste une des caractéristiques
fondamentales du marché du travail
bulgare (plus d’un chômeur sur deux),
même si, depuis 2000, il a légèrement
baissé. Il concerne surtout des personnes
peu qualifiées, peu instruites. [...]
Les “groupes à risques” sont en premier
lieu les femmes, [...] indépendamment
de leur niveau d’instruction. En 1997,
55,6 % des personnes sans emploi
depuis plus d’un an étaient des femmes,
ce chiffre passant à 56,1 % un an plus
tard. Les jeunes de moins de 25 ans
sont également concernés, mais leur
nombre tend à diminuer régulièrement.
L’emploi
Enfin, les Roms s’insèrent difficilement sur le marché du travail, car peu
qualifiés et victimes de préjugés défavorables. [...]
En 1999, un changement intervint dans
la structure du chômage : la part des
spécialistes augmentait de 14,9 % entre
décembre 1998 et décembre 1999. [...]
En décembre 2001, elle représentait
24,4 % du total et 11 % des effectifs
des chômeurs de longue durée. L’économie bulgare n’est donc pas assez
dynamique pour intégrer la totalité de
sa main-d’œuvre qualifiée. [...]
Les mesures
contre le chômage
Depuis la mise en place, fin 1989, de
l’indemnisation du chômage, le nombre
de chômeurs sans droits n’a cessé
d’augmenter, ce qui traduit la volonté
du gouvernement de privilégier les
mesures actives de lutte contre le
chômage : aide à la création d’entreprises, formation professionnelle, encouragement de la mobilité, programmes
d’emplois subventionnés, etc. [...] Le
ministère du Travail et de la Politique
sociale a proposé à partir de 1992 aux
entreprises une aide sous forme de subventions publiques à la création
d’emplois destinés aux jeunes diplômés.
[...] Cependant, nombre de jeunes
embauchés à cette occasion ont été
licenciés quand les subventions sont
arrivées à leur terme. [...] Ce type d’action a été abandonné par le gouvernement de Simeon II.
Quant aux programmes d’emplois temporaires, ils doivent permettre à des
chômeurs de travailler pendant cinq
mois. L’Etat peut soit les employer
directement, soit subventionner une
partie de leur salaire. [...] Ce sont les
services municipaux qui sont le mieux
à même d’offrir une activité à ce
groupe de population, essentiellement
constitué de chômeurs de longue durée
et de personnes non qualifiées. Mais
le courrier des pays de l’Est
les salaires sont bas, et ces programmes
font peu d’adeptes. [...]
Face au taux de chômage inquiétant
des femmes (69 %), le Service national
pour l’emploi a pris un ensemble de
mesures, le plus souvent financées par
des fonds extérieurs, notamment le
programme Phare. [...] Un groupe
particulièrement marginalisé est celui
des handicapés. En juin 1997, les
dépenses en leur faveur ne représentaient que 0,01 % du total et ce n’est
qu’au cours de cette même année
qu’une loi a prévu leur protection en
cas de chômage. [...] Des allègements
fiscaux sont en outre accordés aux
entreprises qui les embauchent. [...]
Quant à la formation professionnelle
des adultes, elle est financée sur des
fonds publics, mais les cours sont habituellement dispensés dans des centres
privés. [...]
Le développement du secteur
privé
Dès 1990, nombreux ont été ceux qui
ont créé leur propre affaire. […] Il
s’agissait soit de personnes ayant
quitté leur emploi, soit d’inactifs.
Malheureusement, pour nombre d’entre
eux, cette expérience allait se solder
par un échec : seules 20 % de ces
entreprises étaient toujours en activité
en 1995. [...] Par la suite, le processus
de privatisation est venu renforcer le
poids du secteur privé qui comprend à
la fois de grandes sociétés privatisées
et de très nombreuses petites entreprises, souvent à caractère familial,
sans compter tout un ensemble d’activités non déclarées. [...]
Quoi qu’il en soit, le développement
du secteur privé légal ne suffit pas à
absorber le nombre important de
chômeurs. L’emploi y a pourtant augmenté de 6,9 % entre 2000 et 2001,
mais cette hausse n’a pas permis de
compenser la diminution du nombre
91
N° 1046 novembre-décembre 2004
d’agents du secteur public (- 9,2 %) et
les réductions d’effectifs dans les
entreprises nouvellement privatisées.
[...]
Toutes les mesures prises par le
gouvernement trouveront vite leurs
limites tant que ne sera pas engagée
une véritable lutte contre les milieux
mafieux directement liés aux activités
informelles et à l’économie grise.
Nicole Fondeville-Gaoui, Centre d’économie
du développement, Université Montesquieu, Bordeaux
«L’échec des politiques de l’emploi en Bulgarie»
CPE, n° 1038, septembre 2003, pp. 54-65
Pour plus d’informations lire
dans Le courrier des pays de l’Est
Alexandre Guthart, «La situation de l’emploi dans les petites villes de l’URSS», n° 44,
22 décembre 1965, pp. 21-36
Article non signé, «Nouvelles tendances de l’emploi en URSS», n° 76, 5 avril 1967,
pp. 21-33.
Hervé Gicquiau, «Scekino : une expérience de productivité et d’intéressement», n° 139,
mars 1971, pp. 59-75.
Catherine Audidière, «La réglementation du travail en Union soviétique», n° 146, novembre
1971, pp. 35-63.
Michel Tompa, «Répartition de la main-d’oeuvre et politique de l’emploi en Hongrie
durant le IVe plan quinquennal (1971-1975)», n° 216, mars 1978, pp. 25-34.
Michèle Kahn, Georges Mink, «Les ouvriers en URSS, statut économique et social»,
n° 234, novembre 1979, pp. 3-39.
Paul Charpentier, Dominique Meurs, «La sécurité du travail en URSS», n° 273, mai 1983,
pp. 35-47.
Tatjana Globokar, Michèle Kahn, «Le travail à l’Est, des réalités contrastées», n° 295, mai
1985, pp. 3-23.
Michèle Kahn, «La nouvelle politique de l’emploi en URSS : redéploiement ou risques de
chômage», n° 334, novembre 1988, pp. 20-26.
François Guilbert, «Les travailleurs vietnamiens à l’Est», n° 353, octobre 1990.
Gabor Kardos, «Nuages sur l’emploi en Hongrie», n° 359, avril 1991, pp. 21-35.
Nadine Marie, «La législation du travail en Russie : rupture ou continuité ?», n° 381, août
1993, pp. 37-50.
Michèle Kahn, «L’emploi en Russie», n° 395, décembre 1994, pp. 53-78.
Elena Voznessenskaïa, David Konstantinovski, Galina Tcherednichtchenko, «L’insertion
des jeunes sur le marché du travail en Russie», n° 435, décembre 1998, pp. 43-53.
Alexandra Picard, «Les travailleurs étrangers en Russie», n° 435, décembre 1998, pp. 30-41.
Karine Clément, «Enjeux et luttes sociales en Russie. La réforme du Code du travail»,
n° 1019, octobre 2001, pp. 35-49.
Natalia Logvinova, «Le chômage en Russie et en Ukraine», n° 1045, septembre-octobre
2004, pp. 77-84.
92
le courrier des pays de l’Est
L’énergie
Atout ou handicap ?
La Russie peut-elle être une solution à la
crise énergétique mondiale, principalement
pétrolière, qui se traduit par une forte
hausse du cours du baril de brut et
menace la croissance des économies
occidentales ? Cette question était déjà
posée dans les années 1970 lorsque les
Etats occidentaux cherchaient des réponses
aux chocs pétroliers. A l’origine de la
crise, les mêmes causes : les désordres
moyen-orientaux et la hausse de la
demande − hier occidentale, aujourd’hui
chinoise − qui poussent à rechercher
des sources de diversification de
l’approvisionnement énergétique. Pour la
Russie, comme pour l’URSS, l’intégration
au marché mondial de l’énergie présente
un intérêt majeur : d’énormes rentrées en
devises fortes à même de financer une
économie et un Etat qui connaissent
d’importantes faiblesses structurelles.
plus à faire face à un tel dilemme.
L’énergie est devenue un instrument
d’intégration à un grand marché européen
qui regroupera tous les Etats du vieux
continent, membres ou non de l’Union
européenne. Pour les dirigeants européens,
ce projet vise à garantir la sécurité des
approvisionnements, à stabiliser les zones
de conflits, notamment l’ex-Yougoslavie, et
à associer à l’Union tous les Etats qui ne
peuvent l’intégrer, en premier lieu la
Russie. Mais un regard sur les quarante
dernières années montre que loin d’être le
produit de la disparition de l’URSS, cette
construction d’un marché européen intégré
de l’énergie s’inscrit dans la longue
durée. Elle remonte au début des années
soixante-dix lorsque la combinaison du
choc pétrolier et de la détente a ouvert des
perspectives commerciales nouvelles de
part et d’autre du rideau de fer.
Mais il existe une première différence
de taille entre les deux époques. La
fourniture de produits énergétiques à
l’Occident plaçait l’URSS devant un
dilemme. Pour répondre à la demande
occidentale, elle devait réduire son offre
à ses satellites et alliés du Pacte du
Varsovie faute de pouvoir satisfaire tout le
monde en raison de l’insuffisance de ses
capacités de production. Le bénéfice
économique procuré par le marché
occidental avait un coût politique : une
désolidarisation avec l’Europe orientale
à laquelle l’URSS avait fourni une énergie
à bas prix. La Russie post-soviétique n’a
Deuxième différence : Moscou ne dispose
plus du monopole sur les ressources
énergétiques de l’ex-URSS. Avec les
indépendances, de nouveaux acteurs
ont émergé. La Russie doit maintenant
composer avec les projets, les ambitions
et les intérêts des anciennes républiques
soviétiques riveraines de la Caspienne et
celles d’Asie centrale pour l’exploitation
et le transport des richesses pétrolières et
gazières. Mais surtout elle a dû faire face
à l’arrivée en force des Etats-Unis et des
Européens sur ce marché. L’énergie est
devenue le facteur central de ce nouveau
«Grand jeu» dans un espace marqué par
93
N° 1046 novembre-décembre 2004
de fortes tensions et qui se situe en plein
cœur de la zone de crise depuis les
attentats du 11 Septembre 2001.
Les richesses énergétiques des Etats de
l’espace post-soviétique constituent à la
fois un atout et un handicap pour leur
développement économique. Un atout en
raison des ressources financières qu’elles
procurent, en particulier lorsque les cours
mondiaux sont au plus haut. Mais il peut
se transformer en handicap lorsque la
conjoncture se retourne, mettant alors
en lumière les faiblesses structurelles de
ces économies de rente. A ces facteurs
économiques vient s’ajouter un problème
politique. Le contrôle de la rente devient
l’enjeu central de la lutte pour le pouvoir,
ce qui constitue un terreau favorable aux
diverses formes d’autoritarisme et un
danger dans une région où la culture
démocratique est faiblement enracinée.
Intérêts commerciaux
et contrôle politique
«Au dehors de ses frontières, l’URSS
apparaît liée par une double contrainte
expliquant le caractère incompressible
de ses exportations d’hydrocarbures. Il
s’agit d’une part de l’équilibre de sa
balance commerciale et des impératifs
à plus long terme de sa politique
d’échanges, lui interdisant pratiquement de surseoir brutalement à ses
engagements. Il s’agit d’autre part du
contrôle politique des pays d’Europe
orientale, dont les économies dépendent
directement des livraisons russes. La
Tchécoslovaquie et la RDA s’attendent
à multiplier par 7 leurs achats de produits
énergétiques entre 1965 et 1980, pour
un accroissement d’environ 75 % de
leur consommation. De façon générale,
on prévoit un décuplement du manque
à produire des pays est-européens
durant ces 15 années, le relais nucléaire
ne devenant effectif que vers 1985.
94
Il ne suffit pas de dire que l’URSS ne
réduira pas le niveau de ses exportations, il faut encore souligner que le
nécessaire maintien d’un volume suffisant de ventes lie sa politique extérieure à la recherche de certaines
importations. Pratiquant une politique
assez comparable à celle des grandes
firmes pétrolifères américaines, l’URSS
tend à s’assurer un ensemble de fournisseurs dans le tiers monde.
Sans doute comprend-on mieux ainsi
le soutien renouvelé aux pays arabes,
l’engagement contre le Biafra et l’extension des assistances techniques à
tous les producteurs potentiels de
pétrole sur le continent africain. Cette
politique s’est déjà concrétisée par les
accords récemment conclus avec
l’Iran.
Il est cependant peu plausible que les
résultats de cette politique suffisent à
résoudre les problèmes intérieurs à
court terme. Sur ce terrain les autorités
soviétiques vont devoir pratiquer une
restriction sélective de la demande de
produits énergétiques.
● Une politique restrictive
Les catégories socio-économiques qui
constituent le soutien du régime seront
vraisemblablement épargnées, mais
encouragées à modifier leur style
de consommation. En examinant les
échelles d’augmentation de prix décidées en juillet 1967, on constate ainsi
que la population des villes et l’ensemble
des agriculteurs ne subiront aucune
hausse, à condition toutefois de préférer
l’électricité aux autres formes d’énergie.
En revanche, les activités caractérisées
par une forte consommation de combustibles seront pénalisées par les
nouveaux prix et risquent de voir leur
développement freiné. Il est d’ailleurs
intéressant de constater que les branches
pour lesquelles le plan 1966-70
L’énergie
prévoyait les plus forts accroissements
de consommation (chimie, métallurgie,
mécanique, matériaux de construction)
sont des branches de progrès, tant sur
le plan purement technique, que par les
orientations et le style des équipes qui
en sont responsables.
De même les régions de l’URSS où
sont localisées les activités industrielles
menacées par le goulet d’étranglement
énergétique (Centre, Nord-Ouest) risquent
de voir quelque peu compromis leurs
objectifs de développement. [...]
● Une modernisation
nécessaire
Ce mésemploi du potentiel énergétique
gêne l’effort industriel. Une amélioration des équipements énergétiques se
traduirait par une élévation générale de
la productivité de l’industrie. […] Les
chances d’une telle modernisation, qui,
pour être efficace, devrait se traduire
rapidement dans les faits sont évidemment liées aux perspectives générales
de la réforme économique. Appliquée
résolument et acceptée sincèrement,
cette réforme apporterait dans le
domaine énergétique une sensibilisation à de nombreux problèmes d’offre
et de demande ainsi qu’une incitation
durable aux innovations. Or, le succès
de la réforme tient à tout un environnement socio-politique, où, précisément,
la perspective d’un déficit énergétique,
a créé des tensions extérieures et intérieures. Ainsi certaines pénuries de ressources, les défauts d’imagination
réformatrice, les involutions sociopolitiques semblent-ils s’induire les
uns les autres et entraîner la société
soviétique vers une période difficile au
début des années 70.»
M.P.
«Le problème de l’énergie en URSS»
CPE, n° 119-120, juillet-août 1969, pp. 37-87
le courrier des pays de l’Est
La recherche
de nouveaux
approvisionnements
pétroliers
«L’approvisionnement en Union soviétique était en général considéré comme
nettement avantageux pour les pays de
l’Est et actuellement encore on estime
le prix des importations de pétrole du
Moyen-Orient beaucoup plus élevé que
celui des importations d’URSS. Mais
on devra désormais tenir compte dans
ces estimations de la participation des
pays de l’Est au financement de l’exploitation du pétrole soviétique. En
effet, suivant les nouvelles tendances
de la coopération à l’intérieur du
CAEM, les démocraties populaires
devront supporter le coût d’une part
accrue des investissements nécessaires
à la prospection et à l’exploitation du
pétrole soviétique. Dès septembre 1966,
la Tchécoslovaquie avait accordé à
l’URSS un crédit de 500 millions de
roubles pour le développement de
l’industrie du pétrole en contrepartie
d’une augmentation des quantités de
pétrole qui lui étaient livrées ; en mars
1967, un accord analogue a été conclu
entre la RDA et l’URSS ; et le
“Programme d’intégration” adopté fin
juillet 1971 à Bucarest prévoit l’étude
“des conditions de coopération des
pays intéressés à la construction sur le
territoire soviétique des capacités complémentaires destinées à l’extraction et
au transport du pétrole”.
L’égalisation des coûts d’approvisionnement ainsi introduite peut inciter les
démocraties populaires à rechercher
une extension de leurs échanges avec
le Moyen-Orient ; et la construction de
l’oléoduc Adria qui doit amener le
pétrole arabe vers la Hongrie et la
Tchécoslovaquie − via la Yougoslavie −
constitue un pas important dans cette
direction : à son achèvement, en 1982,
95
N° 1046 novembre-décembre 2004
il pourra acheminer 10 millions de tonnes
de brut vers ces deux pays ; mais surtout c’est le type même de réalisation
permettant l’exécution effective des
“accords pétroliers”, jusqu’ici entravés
par des difficultés de transport.
● Diversification
des importations
vation reprend un intérêt particulier et
amène à se poser deux questions au
moins.
La crise constituera-t-elle une incitation, pour l’URSS, à accélérer l’exploitation de ses ressources énergétiques
au point que les Soviétiques puissent
devenir d’importants fournisseurs
d’énergie à l’Occident ?
Est-ce que les Occidentaux doivent,
peuvent et veulent coopérer à la mise
en valeur de ces ressources ? [...]
●
●
On estime à l’heure actuelle que les
besoins d’importation de l’Europe de
l’Est en pétrole et en produits pétroliers atteindront en 1975 environ 72
millions de tonnes, dont 55 à 60
millions environ seraient fournis par
l’URSS. Les importations de pétrole
en provenance d’autres pays (essentiellement du Moyen-Orient) qui ont déjà
doublé de 1968 à 1969 et représentent
6 millions de tonnes, devront donc,
d’ici 1975, atteindre au minimum 12
millions de tonnes, soit 15 % des
importations totales. L’examen des
accords récemment conclus entre les
pays d’Europe orientale et les pays en
voie de développement producteurs de
pétrole confirme ces prévisions. [...]
Certes les quantités paraissent dans
l’ensemble minimes en regard du
volume de pétrole importé d’URSS.
Cependant leur progression pourrait
être le signe d’un changement notable
dans la manière dont, à plus long
terme, certains pays du bloc soviétique
envisagent de résoudre le problème de
leur déficit en pétrole.»
Article non signé
«L’Europe de l’Est, le tiers monde et l’URSS :
un jeu triangulaire»
CPE, n° 155, septembre1972, pp. 5-24
Les réserves potentielles de l’URSS
sont considérables pour le pétrole
comme pour le gaz. Selon une étude de
la British Petroleum, la zone arctique
sibérienne serait la seule région du
monde où l’on pourrait découvrir
encore des réserves d’une ampleur
comparable à celles du Moyen-Orient,
dans des conditions difficiles il est
vrai, et sans qu’on soit à l’abri de
certaines déceptions.
Pourtant, il paraît plus judicieux d’introduire une distinction entre moyen et
long termes d’une part, entre les ressources en divers types d’hydrocarbures d’autre part. [...] L’industrie
pétrolière soviétique épuise de plus en
plus rapidement des réserves exploitables et son problème d’avenir est principalement d’en prospecter de nouvelles. Pour le gaz, en revanche, les
réserves prouvées sont considérables,
mais le problème majeur réside dans
leur exploitation, dans l’organisation
de la production et son écoulement.
[...]
● Un choix décisif
L’URSS, fournisseur
de l’Occident ?
«On a souvent relevé le contraste entre
l’importance des réserves et la relative
modestie des productions d’hydrocarbures en URSS. Dans le contexte de la
crise actuelle de l’énergie, cette obser96
II est clair que ces évolutions prévisibles à moyen et long termes, placent
les responsables de l’URSS devant un
choix décisif, dans la mesure où les
disponibilités ne permettront plus en
1980 de couvrir les besoins de
l’Europe orientale tout en garantissant
aux autres pays les mêmes ventes. Les
L’énergie
termes de ce choix sont en fait très
complexes. Favoriser l’Europe orientale semble offrir à l’URSS des avantages essentiellement politiques (contrebalancés par des coûts économiques),
encore que plusieurs éléments interviennent pour nuancer cette appréciation. Quelque puisse être l’effort
consenti par l’URSS en leur faveur, les
besoins des pays est-européens seront
satisfaits dans une moindre proportion
par les exportations soviétiques qu’auparavant [...].
Les avantages d’un effort d’exportation accru vers l’Occident semblent
surtout économiques, alors que les
coûts (désolidarisation avec l’Europe
orientale) seraient surtout politiques.
Mais là encore, il faut nuancer fortement.
Même en vendant tout son pétrole
exportable à l’Occident, l’URSS n’en
resterait qu’un fournisseur marginal,
tant les besoins comparés de l’Europe
occidentale et orientale sont disproportionnés. D’autre part, l’URSS ne peut
espérer négocier ses fournitures à des
prix déraisonnables.»
Article non signé
«Le pétrole soviétique et la crise de l’énergie»
CPE, n° 176, juillet-août 1974, pp. 9-25
La fin de l’énergie
à bon marché
«Les pays de l’Europe de l’Est étaient
bien persuadés, au début des années
70, d’être à l’abri des problèmes énergétiques que connaissait le monde
occidental après le premier choc pétrolier. En effet, l’URSS leur fournissait
− sauf à la Roumanie, elle-même producteur de pétrole − une énergie à bon
marché, ce qui leur permit de réaliser
une croissance de 4 % par an jusqu’en
1980. Or, à la fin des années 70, l’énergie
devenait pour eux l’un des problèmes
économiques majeurs : les productions
nationales de combustibles stagnaient,
voire fléchissaient, tandis que la
le courrier des pays de l’Est
consommation d’électricité augmentait
sans cesse.
● Un problème économique
majeur
L’impossibilité financière, pour la plupart d’entre eux, d’importer une énergie
et des combustibles d’appoint devenus
plus chers dans la zone du CAEM
poussa alors ces pays à adopter des
politiques volontaristes visant à :
réduire leur dépendance à l’égard du
pétrole importé du Moyen-Orient
devenu trop cher pour les plus endettés, puis du pétrole soviétique qui
s’était rapidement renchéri après 1975
et dont, de surcroît, la production piétinait ;
promouvoir les productions internes
de charbon mais aussi d’énergie
nucléaire ;
enfin, mettre en oeuvre des programmes
d’économies d’énergie drastiques.
●
●
●
Le problème du manque d’énergie
allait se conjuguer par ailleurs à d’autres
facteurs défavorables comme l’endettement, l’arrêt des crédits occidentaux
après l’instauration de l’état de guerre
en Pologne, la nécessité de dégager des
soldes commerciaux positifs, la baisse
relative de la productivité du capital,
l’inefficacité habituelle de l’administration économique, entraînant une
véritable dépression dans la croissance
économique de ces pays au début des
années 80. Les dirigeants étaient alors
contraints de mettre en place des politiques d’austérité, en accentuant notamment les économies d’énergie aussi
bien pour les entreprises que pour les
particuliers [...].
Depuis 1980, non seulement les prix
soviétiques sont devenus de moins en
moins «avantageux» pour l’Europe de
l’Est et même, en 1985, supérieurs à
ceux du marché mondial, mais l’URSS
s’est vue également obligée à partir de
97
N° 1046 novembre-décembre 2004
1982 de réduire le volume de ses
livraisons et dans les cas les plus favorables de les maintenir à leur niveau de
1980. On estime cette réduction à plus
de 10 % pour la Tchécoslovaquie, la
RDA et la Hongrie. Seule la Pologne
bénéficierait d’un «régime de faveur»,
lié à la précarité de son redressement
économique. Pour la Bulgarie, les chiffres sont trop imprécis pour identifier
une réduction. Quant au cas de la
Roumanie, il est différent : moins
dépendante jusqu’à aujourd’hui du
pétrole soviétique, elle le payait de surcroît en devises fortes au prix du marché mondial. Depuis 1984, il semble −
à défaut de précisions de la part de ces
pays − que la Roumanie ait obtenu
davantage de pétrole soviétique à des
conditions plus favorables que précédemment.
En 1985 et 1986, les prix mondiaux
ont diminué sensiblement, rendant les
réexportations de produits pétroliers
est-européens bien moins sûres et dans
tous les cas moins lucratives pour
l’Europe de l’Est.
Le manque de devises fortes contraint
l’Europe de l’Est à maintenir autant
que faire se peut ses achats de pétrole à
l’URSS quel que soit le prix du marché
mondial, car elle les acquitte en produits de compensation. Si l’Europe de
l’Est maintient certaines importations
de pétrole en provenance des pays de
l’OPEP, c’est que là aussi elle peut
réaliser un échange compensé et continuer ainsi à tirer avantage de réexportations de produits pétroliers payés en
dollars par l’Ouest, jusqu’à 25 % de
leurs recettes en devises fortes. [...]
● Rationaliser la consommation
Il est clair que la plupart des pays esteuropéens et la Yougoslavie connaissent
aujourd’hui des problèmes d’approvisionnement énergétique rendant indispensable une meilleure utilisation de
98
l’énergie. Or jusqu’ici, comparée aux
pays occidentaux, l’Europe de l’Est
consomme proportionnellement beaucoup plus d’énergie par unité de production et par habitant. Les taux de
croissance de la consommation d’énergie par habitant ont été tout au long des
années 70 le plus souvent supérieurs à
ceux du revenu national par habitant.
Depuis 1980, c’est encore le cas pour
la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne et
la Tchécoslovaquie. Il est vrai que les
pays est-européens ne se sont pas hâtés
de mettre en place des programmes
rigoureux de restructuration de leurs
industries alors qu’ils pouvaient encore
importer du pétrole soviétique à des
conditions avantageuses [...].
Plus rigoureux après 1979, les pays
est-européens ont accompagné les programmes d’économies d’énergie de
mesures restrictives ou dissuasives
pour lutter contre la négligence des
consommateurs. Brutales en 1979, les
hausses des prix de l’essence, des combustibles, de l’électricité sont devenues
depuis lors régulières, pour les ménages
comme pour les industriels, dans tous
les pays sauf en RDA qui a préféré
limiter plutôt les subventions aux
entreprises.
● Une efficacité limitée
Dans la panoplie des mesures, ces pays
choisissent entre les coupures d’électricité, les réductions de l’éclairage
urbain et même domestique en limitant
par exemple la puissance autorisée des
ampoules d’éclairage dans les logements
et en fixant un seuil à la température
dans les locaux publics (17°) (Roumanie,
Bulgarie), des restrictions de circulation routière, etc. Les entreprises sont
pénalisées lorsqu’elles dépassent les
normes de consommation d’électricité : amendes, réduction des salaires,
etc. A ce jour, les bilans des mesures
d’économies d’énergie et des programmes
de restructuration attestent que le taux
L’énergie
de consommation d’énergie par unité
de production ne s’est que faiblement
amélioré. Et s’il y a eu diminution globale
de la consommation, elle s’explique
essentiellement par le ralentissement
de la croissance économique et non par
des gains réels de productivité. En fait,
plusieurs facteurs entravent l’application des mesures restrictives et des
programmes. Trop souvent encore les
plans de production privilégient le
volume de la production et non sa
rentabilité. Sur les lieux où l’énergie
est relativement bon marché, on trouve
surtout des usines vieillies et des équipements obsolètes. Enfin les mesures
les plus draconiennes d’économies
d’énergie concernent surtout les ménages
et les utilisateurs non industriels qui ne
représentent qu’un cinquième de la
consommation totale.»
Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est
«Les choix énergétiques à l’Est»
CPE, n° 309-310, août-septembre-octobre 1986,
pp. 250-265
Après Tchernobyl
«L’énergie nucléaire soviétique se
trouve aujourd’hui confrontée à une
contradiction majeure. D’une part, son
développement à une grande échelle
est considéré comme le seul moyen
d’assurer l’autosuffisance énergétique
du pays et plus précisément de satisfaire les besoins croissants des utilisateurs des régions européennes. D’autre
part, après bien des atermoiements, les
responsables soviétiques se sont rendus à l’évidence : le ralentissement du
programme électronucléaire est inéluctable. La catastrophe de Tchernobyl
impose, en effet, de reconsidérer les
problèmes liés à la sécurité du fonctionnement de toutes les centrales du
pays ; elle a, en outre, fait naître dans
une opinion publique, jusqu’alors
inconsciente (sauf dans quelques cercles
restreints) du risque nucléaire, un fort
mouvement de contestation avec lequel
le pouvoir va devoir désormais compter.
[…]
le courrier des pays de l’Est
● La découverte d’un nouvel
impératif : la sécurité
Selon V. Asmolov, chef du département “Sécurité dans l’énergie
nucléaire” de l’Institut Kourtchatov,
tous les pays dotés de capacités
nucléaires ont consacré, après l’accident de Three Miles Island en 1979 aux
Etats-Unis, plusieurs millions de dollars par an pour améliorer la sécurité,
tous à l’exception de l’URSS qui
voulait considérer que son énergie
nucléaire était sûre... par définition.
Or, cette assertion parait aujourd’hui
d’autant plus ahurissante que des
scientifiques soviétiques viennent de
reconnaître qu’une catastrophe nucléaire,
ayant fait plusieurs centaines de victimes,
s’était bien produite en 1957 à Kychtym,
dans l’Oural, confirmant ainsi divers
rapports de la CIA et l’enquête du
célèbre biologiste dissident, Jaurès
Medvedev, installé à Londres depuis
1973. [...]
Ce n’est donc pas faute d’expérience
que les responsables soviétiques ont
voulu ignorer si longtemps les problèmes
de sécurité liés à l’exploitation de
l’énergie nucléaire : ceux-ci ont délibérément été relégués au second plan, le
seul but étant d’accélérer à n’importe
quel prix le programme électronucléaire.
En revanche, depuis quelques mois,
l’URSS déploie dans le domaine de la
sûreté nucléaire une activité intense.
[...] Alors qu’il a été décidé de ne
plus construire de réacteurs RBMK,
l’industrie soviétique s’oriente, avec la
coopération de firmes occidentales,
vers la mise au point de deux nouvelles
versions de réacteurs à eau pressurisée
(VVER) où “la sûreté prime la productivité”. [...]
Par ailleurs, alors que l’URSS s’est
retranchée durant des années dans une
attitude isolationniste, elle cherche
maintenant à multiplier les contacts
99
N° 1046 novembre-décembre 2004
entre ses propres spécialistes et leurs
collègues étrangers. [...]
● Composer avec l’opinion
anti-nucléaire
La catastrophe de Tchernobyl aura eu,
entre autres, pour effet de donner aux
mouvements écologistes et avec eux
aux populations directement concernées par le nucléaire un motif supplémentaire de lutte qui jusqu’alors ne
leur avait pas paru prioritaire. Le
silence des autorités sur les accidents
précédents ainsi que sur les manifestations anti-nucléaires à l’Ouest avait, en
effet, laissé la quasi-totalité de la population soviétique dans l’ignorance
totale du risque nucléaire. La prise de
conscience en a donc été d’autant plus
brutale. [...]
S’ils constituent une force de pression
véritable, c’est que ces mouvements
d’opinion rallient, autour de simples
citoyens, les administrations républicaines ou locales, voire les antennes du
Parti, quand ils ne bénéficient pas du
soutien d’une partie de la communauté
scientifique. Aussi les pétitions signées
toujours massivement s’accompagnent-elles très certainement d’interventions directes auprès des instances
dirigeantes de l’URSS.»
Marie-Agnès Crosnier, Le courrier des pays de l’Est
«Le ralentissement du programme nucléaire de l’URSS»
CPE, n° 337, février 1989, pp. 17-27
Un nouveau Koweit ?
«Si la région de la Caspienne soulève
un tel intérêt et si elle est devenue le
centre d’un jeu géopolitique mondial,
plus proche, par sa complexité, du jeu
de go que des échecs, c’est essentiellement, pour ne pas dire uniquement, à
cause des formidables ressources de
pétrole et de gaz qu’elle recèlerait. Ce
jeu est à deux niveaux : celui des
enjeux liés à la prospection et à la pro-
100
duction et celui de la décision sur le
tracé des oléoducs et des gazoducs qui
achemineront les hydrocarbures hors
de cette région enclavée vers les
marchés à devises. Le premier implique,
outre les pays producteurs, les plus
grandes compagnies mondiales et le
second pratiquement tous les pays
situés sur l’axe Caspienne - mer Noire
ainsi qu’au sud et à l’est de l’Asie
centrale. Dans les deux cas, on retrouve
en toile de fond la lutte sourde entre les
intérêts américains et russes.
● Des ressources inépuisables ?
On observe une véritable inflation de
données statistiques sur les réserves
d’hydrocarbures de la Caspienne et de
ses zones côtières. De plus, les prospections en cours les mettent constamment à la hausse, certains Etats
producteurs les surévaluant pour des
raisons politiques évidentes.
Cependant, une fourchette d’estimation des ressources peut être avancée.
Ainsi les Américains la situent, pour le
pétrole, entre 13 et 28 milliards de tonnes,
les Européens entre 7 et 14 milliards,
les Russes entre 7 et 10 milliards. Quoi
qu’il en soit, ces chiffres approximatifs
placent la région de la Caspienne
derrière le Moyen-Orient mais à égalité avec − sinon devant − la mer du
Nord et justifient l’intérêt qu’on lui
porte.
On estime que les gisements de la
Caspienne peuvent avoir une durée
d’exploitation de 40 à 50 ans dans des
conditions d’extraction intensive et si
la demande se maintient sur le marché
mondial. Toutefois cette zone, délaissée
à l’époque soviétique et réellement
prospectée depuis quatre à cinq ans
seulement, n’a sans doute pas livré
toutes ses potentialités. […]
L’absence d’un nouveau statut de la
mer Caspienne, le désir de chaque pays
L’énergie
riverain de profiter au plus vite de ses
ressources, stimulé en cela par l’intérêt
que lui portent les grandes compagnies
pétrolières, n’ont pas manqué de créer
une situation conflictuelle où l’on voit
s’affronter l’Azerbaïdjan et le Turkménistan soutenu par l’Iran, le Kazakhstan
et la Russie à propos de gisements
revendiqués par les uns et par les autres.
[...]
● La bataille des oléoducs
Le terme de “Grand jeu” à propos du
choix des itinéraires empruntés par les
oléoducs et les gazoducs qui doivent
acheminer les huiles et le gaz hors
de cette zone enclavée qu’est la
Caspienne, apparaît plus que jamais
approprié. Seule la Russie possède son
propre réseau de pipelines lui permettant d’exporter vers l’Europe ; jusqu’à
présent l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et
le Turkménistan en étaient tributaires.
Avec la promesse d’une très forte augmentation de la production, ces pays
envisagent d’autres tracés leur permettant, sans passer par la Russie, d’atteindre
les marchés extérieurs. Ils y sont
encouragés à la fois par les pays
demandeurs en énergie qui sont également les principaux investisseurs à
travers leurs compagnies, et par les
pays susceptibles de voir leur territoire
traversé par un oléoduc ou un gazoduc,
ce qui signifie pour eux rentrées de
devises et renforcement de leur position politique régionale.
Dans ce jeu complexe, sont impliqués,
au premier chef, la Russie mais aussi
les pays de Transcaucasie, véritable
corridor euro-asiatique débouchant sur
la mer Noire, la Turquie avec son accès
à la Méditerranée, l’Iran qui offre une
sortie sur le golfe Persique et un passage vers la Turquie, l’Afghanistan et
le Pakistan avec leur ouverture sur la
mer d’Oman, la Chine et son vaste
marché, sans oublier l’Ukraine, la
Bulgarie, la Roumanie et la Grèce
accessibles par la mer Noire et qui
le courrier des pays de l’Est
permettent d’éviter les détroits turcs.
Pour le moment, seuls les oléoducs
russes sont opérationnels. Tous les autres
ne sont qu’à l’état de projets, plus ou
moins avancés et réalisables en fonction des coûts ou de la situation politique des pays appelés à les accueillir.»
Alain Giroux, Le courrier des pays de l’Est
«La Caspienne : un gâteau pétrolier à partager»
CPE, n° 423, octobre 1997, pp. 5-15
La naissance des majors
russes
«Depuis 1992, l’industrie pétrolière
russe est le théâtre d’une restructuration en profondeur marquée par
l’émergence de holdings verticalement
intégrées, de la production jusqu’à la
distribution, en passant par le raffinage. L’objectif implicitement visé par
cette réforme était de créer des compagnies pétrolières autonomes susceptibles de financer les immenses besoins
d’investissement de ce secteur. [...]
● L’émergence de groupes
industriels et financiers
en Russie
Ce mouvement de réorganisation de
l’industrie pétrolière russe s’est doublé
d’une recomposition du capital ayant
pour objectif une privatisation par
étapes des groupes pétroliers créés.
Processus non encore entièrement
achevé, il n’en a pas moins débouché
sur la constitution de groupes industriels et financiers parfois puissants. A
ce titre, l’opération engagée à la fin de
1995, souvent qualifiée de prêts contre
actions, représente un mouvement
décisif dans la restructuration du capital de cette industrie. Pour certaines
holdings, elle a marqué, en effet, un
désengagement significatif de l’Etat,
qui a essentiellement profité au secteur
bancaire et financier russe. Cette opération a consisté dans la vente aux
enchères d’actions détenues par l’Etat
101
N° 1046 novembre-décembre 2004
dans les holdings pétrolières contre
l’ouverture d’un crédit au gouvernement. Ayant pour principal objectif de
financer l’imposant déficit budgétaire
de l’Etat, le décret, signé en septembre
1995 par B. Eltsine, a donné temporairement aux investisseurs privés le
contrôle d’une partie des actions des
principales holdings pétrolières, au
premier rang desquelles Ioukos,
Sourgoutneftegaz, Sidanko et Loukoil.
[...] La scène pétrolière et gazière russe
est, ainsi, de plus en plus dominée par
quelques groupes, relativement stables
car puissants, notamment dans leurs
rapports de forces avec l’Etat ou les
pouvoirs régionaux. S’allier aujourd’hui avec Gazprom est sans aucun
doute pour tout investisseur étranger
minimiser les risques encourus, tant
cette compagnie domine la scène énergétique. Il pourrait en être de même,
demain, pour Loukoil dans l’industrie
pétrolière. L’ouverture au capital étranger y est cependant conditionnée par
une stabilisation des relations de ces
entreprises avec l’Etat fédéral et les
pouvoirs régionaux.»
Catherine Locatelli, Chercheur, IEPE-CNRS
«Les groupes pétroliers russes : restructurations
et investissements étrangers»
CPE, n° 430, juin 1998, pp. 5-17
Etats baltes : sortir
de la dépendance
énergétique
«Depuis l’indépendance des Etats
baltes, l’énergie est devenue un enjeu
majeur dans cette région, facteur d’influence habilement utilisé par les différents protagonistes. Les Etats baltes
sont particulièrement pauvres en ressources énergétiques. [...] Les trois
pays sont des importateurs nets de
pétrole et de gaz, l’essentiel de leurs
achats venant à l’heure actuelle de
Russie. [...] Electricité mise à part,
l’énergie est donc aujourd’hui pour les
Etats baltes un facteur de dépendance
102
important, essentiellement à l’égard de
la Russie, principal fournisseur de
pétrole et de gaz. Dans le cadre de
l’URSS, Moscou avait fait des républiques baltes des pays de transformation : elles recevaient les matières
premières et l’énergie brute soviétique
et fournissaient ensuite aux autres
républiques des produits finis. Cette
forte dépendance énergétique n’a pas
empêché les Baltes d’être à l’origine
de l’effondrement soviétique. Toutefois,
la Russie post-soviétique du début des
années 1990 ne s’est pas privée d’utiliser certaines tactiques de chantage
économique et politique, déjà employées
par le régime Gorbatchev à l’égard de
la région, allant jusqu’à cesser les
livraisons d’énergie pour punir les
Baltes de leur attitude à son égard ou à
celui de la minorité russophone située
sur leur territoire. [...]
● La carte du transit
Au milieu des années 1990, on estimait
que le commerce de transit contribuait
à hauteur de 30 % au PIB des trois
Etats baltes. [...] Dans ces flux de
transit à l’exportation, les hydrocarbures occupent une place prépondérante : pour les trois Baltes, 1997 a été
une année d’essor, puisque le volume
de pétrole brut, produits pétroliers et
gaz naturel transitant par ces pays a crû
d’un tiers, Moscou ayant levé un
certain nombre de barrières à l’exportation de ces produits. […] Grâce à ces
activités, les Etats baltes disposent
d’un certain pouvoir de négociation
face à une Russie dépendante d’eux
pour la sortie de ses hydrocarbures.
[...]
Les trois Etats baltes sont dans une
situation de concurrence grandissante
depuis 1991 pour cette captation du
transit du pétrole russe. La rivalité qui
oppose les terminaux baltes est somme
toute plutôt saine, contribuant à leur
modernisation. Elle a permis de main-
L’énergie
tenir les coûts de transport et les tarifs
douaniers à un niveau assez bas. Les
compagnies russes paient actuellement
environ 5 dollars par tonne de pétrole
transportée vers le terminal de Ventspils.
Tout compte fait, ce sont d’ailleurs ces
compagnies pétrolières russes qui
apparaissent comme les bénéficiaires
de cette concurrence, puisqu’elles ont à
leur disposition plusieurs options pour
la sortie de leur pétrole. La Russie peut
en effet porter son choix sur divers
terminaux baltes, se partageant entre
Ventspils, Tallinn-Muuga, Klaipeda et,
désormais, Butinge. [...]
Les différents protagonistes de ces
enjeux énergétiques tendent finalement
tous vers un même but, qui est de
réduire autant que faire se peut les
dépendances qui les lient : les Baltes
s’efforcent ainsi depuis quelques années
de sortir du réseau de connexion russe
d’électricité et de gaz pour entrer dans
le système nordique. Afin de s’affranchir
de l’influence économique et politique
de Moscou, ils cherchent de nouvelles
sources d’approvisionnement en pétrole
en Norvège, en Asie centrale, voire en
Iran, à la fois pour leur consommation
propre et pour les devises qu’ils tirent
du transit. Ils tentent également de
limiter les prises de participation
russes dans le secteur énergétique
national, le cas extrême de cette
tendance étant présenté par la privatisation du complexe pétrolier lituanien.
De leur côté, les Russes souhaitent
accroître leur présence sur le marché
balte grâce à ces prises de participation
qui doivent leur permettre de maîtriser
l’évolution du marché du transit. Dans
le même temps, ils cherchent des voies
alternatives de sortie de leurs hydrocarbures, et se sont lancés dans la création
de nouveaux ports sur la Baltique. [...]
Pays de transit soumis à une Russie
dont les humeurs conditionnent le
rythme de ses envois pétroliers vers
des marchés qu’elle sait captifs, les
Etats baltes s’efforcent aujourd’hui
d’attirer dans leurs ports des hydrocar-
le courrier des pays de l’Est
bures non russes. Ce qui ne leur réussit
pas trop mal, puisque les Kazakhstanais aiment à dire aujourd’hui que
Ventspils est leur principal port. En
matière de pétrole, il est vrai que les
ruptures d’approvisionnement russes,
fréquentes et très politiques, coûtent
cher aux Baltes : en 1999, elles ont par
exemple coûté 250 000 dollars par jour
d’inactivité imposée à la raffinerie de
Mazeikiai. [...]
● Le double jeu de la Russie
Les Baltes tentent de marginaliser les
Loukoil et autres Gazprom, dont ils ne
veulent pas être dépendants. Cette
approche concorde avec celle des
firmes multinationales, qui ont une
stratégie globale dans la région,
comme l’a montré l’exemple de Neste
(Finlande) qui a absorbé ses concurrents pour donner naissance au consortium Fortum, fusionner ensuite avec le
Norvégien Statoil et conquérir autant
de parts de marché que possible sur la
côte orientale de la Baltique. [...]
La Russie n’hésite pas à jouer un double
jeu, comme elle l’a fait en 1996 lors de
la privatisation du terminal pétrolier de
Ventspils : le ministère russe de
l’Energie et du Pétrole souhaitait alors
reprendre 30 % du terminal et s’était
engagé, pour convaincre la Lettonie, à
ne pas baisser ses livraisons de pétrole ;
or, au même moment, la Russie annonçait son projet de construire le terminal
russe rival de Primorsk.»
Céline Bayou, Le courrier des pays de l’Est
«Les interdépendances énergétiques de la rive
orientale de la Baltique»
CPE, n° 1003, mars 2000, pp. 17-29
La montée en puissance
de l’Asie centrale
«Les perspectives qui s’ouvrent aux
Etats d’Asie centrale sont prometteuses.
Leur production pétrolière totale permet
103
N° 1046 novembre-décembre 2004
à la région d’atteindre un niveau
d’environ 1,4 million de barils/jour,
équivalent à celui de la Libye ou de
l’Indonésie, ces deux pays figurant
parmi les principaux exportateurs de
leurs zones géographiques respectives.
Si les ordres de grandeur indiqués par
les estimations des réserves pétrolières
sont avérés, l’Asie centrale devrait
produire environ 4 millions de barils/
jour d’ici 2010, dont 3 millions seraient
réservés à l’exportation. L’Asie centrale sera alors en mesure de rivaliser
avec les principaux producteurs du
Golfe persique (notamment l’Iran,
actuellement 4e producteur et 3e exportateur mondial de pétrole) et d’affirmer
son rôle de pôle international d’approvisionnement énergétique. [...]
● Des bases fragiles
Cependant, le développement de la
production du pétrole d’Asie centrale
repose sur des bases fragiles. S’appuyant
presque exclusivement sur l’exportation de ses ressources naturelles, cette
région est de ce fait exposée plus que
toute autre zone d’extraction pétrolière
aux risques de retournement du marché
et d’effondrement des cours des matières
premières, comme cela s’est produit en
1998-1999. Une crise aurait pour effet
immédiat de remettre en question la
viabilité de projets, rendus possibles par
de substantielles recettes d’exportation. L’Asie centrale s’insère enfin
dans un environnement régional très
compétitif : tous ses voisins et partenaires sont eux-mêmes de grands
producteurs et exportateurs d’énergie
qui ont tout autant besoin des recettes
d’exportation pour alimenter leurs
budgets respectifs. Handicap supplémentaire, les infrastructures héritées de
l’époque soviétique ne lui permettent
pas d’exporter massivement ses hydrocarbures. Dès lors, la croissance exponentielle de sa production de pétrole et
de gaz intervient parallèlement à la
104
gestion du problème d’évacuation des
flux d’exportations (et donc à la construction de nouvelles conduites). Les
gouvernements et les sociétés exploitant les gisements sont contraints de
négocier avec Moscou l’acheminement,
via le territoire russe, d’une production
devenue elle-même concurrente des
exportations de pétrole russe et ce, tout
en échafaudant des projets de construction de voies d’évacuation dans une
région considérée comme très instable.
[...]
Si l’essentiel du trésor énergétique de
l’Asie centrale n’est pas constitué de
pétrole brut mais bien de gaz naturel, il
semble néanmoins acquis que l’Asie
centrale s’affirmera plus rapidement
dans son rôle d’exportateur de pétrole
que dans celui de puissance gazière.
Ne pouvant être aisément stocké et
devant être transporté dans des conditions très contraignantes, le marché du
gaz naturel est régional par définition,
sauf à investir dans des infrastructures
d’un coût exorbitant. Or, deux des
voisins immédiats des Etats d’Asie
centrale, la Russie et l’Iran, figurent
parmi les tout premiers producteurs et
exportateurs mondiaux de gaz naturel.
En outre, l’essentiel des réseaux fixes
de transport du gaz extrait en Asie
centrale transitent par le territoire de la
Fédération de Russie. [...] Le problème
des exportateurs de gaz d’Asie centrale
se pose avant tout en termes de
débouchés commerciaux. Le marché
russe n’est pas une option et l’accès à
ceux de l’Europe dépend du bon vouloir
de Moscou. Les débouchés iraniens
sont interdits à tout projet comprenant
des intérêts américains. Le marché turc
est certes captif mais aujourd’hui
saturé, Ankara ayant considérablement
surestimé la croissance de la consommation domestique de gaz. De surcroît,
il est convoité par toutes les puissances
gazières régionales, y compris la Russie,
qui est son premier fournisseur. Quant
aux marchés pakistanais et indien, ils
L’énergie
ne deviendront accessibles que grâce à
la construction d’un gazoduc de près
de 2 000 kilomètres qui devra traverser
l’Afghanistan d’un bout à l’autre... [...]
● Un nouveau pôle
Tous les éléments sont réunis pour faire
de l’Asie centrale, dans les décennies à
venir, un nouveau pôle énergétique.
[...] Le plus remarquable dans ce
contexte est peut être la réaction de la
Russie, devenue elle-même partenaire
stratégique des Etats-Unis, alors que
ceux-ci prenaient pied dans ce qui a été
pendant plusieurs siècles la chasse
gardée de Moscou. Cette conjonction
inattendue des intérêts russes et américains, qui comporte une importante
dimension énergétique, sert les intérêts
de l’Asie centrale puisque la coopération régionale semble pouvoir prendre
l’ascendant sur les antagonismes idéologiques ou historiques. Elle fournit à
l’Asie centrale la possibilité de s’imposer
dans la politique énergétique internationale et de pérenniser les flux d’investissements dont elle bénéficie
aujourd’hui.»
Alexandre Huet, économiste
«Hydrocarbures en Asie Centrale. L’émergence d’un
nouveau pôle énergétique»
CPE, n° 1027, août 2002, pp. 24-38
L’Etat rentier
«La Russie est et restera durablement
un pays de rente de matières premières,
et en particulier d’hydrocarbures.
D’après les économistes de la Berd,
cette rente atteindrait 25 % du PIB, soit
un niveau équivalent à celui de pays
comme l’Arabie saoudite.
Dans la littérature économique, la
possession d’une rente (surplus laissé
après la juste rémunération du capital
et du travail selon les concepts de
David Ricardo) engendre un certain
le courrier des pays de l’Est
nombre de problèmes structurels, ce
qui explique que peu d’Etats rentiers
aient connu un véritable développement. D’une part, la rente est liée à une
demande le plus souvent externe et,
s’agissant de matières premières, très
inélastique à la variation des prix. Ceci
se traduit par une forte volatilité des
cours. [...] D’autre part, les revenus
tirés de la rente engendrent ce que la
littérature économique a décrit sous les
termes de syndrome hollandais (dutch
disease). En exerçant une pression à la
hausse sur le taux de change réel du
pays rentier, ils rendent non compétitifs de nombreux autres secteurs de
l’économie productive qui ne bénéficient pas de rente. A terme, comme on
l’a constaté par exemple en Norvège, à
la suite de la montée en puissance de
l’économie pétrolière, seuls tendent à
subsister le pôle rentier et un vaste secteur
d’économie non marchande comme
celui des services publics et privés, non
exposés à la concurrence internationale. On observe manifestement ce
phénomène aujourd’hui en Russie. [...]
La stratégie alternative passe tout
d’abord par une renationalisation de la
rente. Celle-ci est bien distincte de l’idée
d’une renationalisation des firmes
privatisées au cours de la précédente
décennie. [...] En termes clairs, ceci
signifie que non seulement l’Etat va
être plus vigilant dans la perception
des impôts dus (malgré une nette amélioration de la collecte depuis 1998,
l’évasion fiscale reste importante),
mais qu’il va aussi considérablement
renforcer le taux des impôts sur les
rentes de matières premières et donc
sur les sociétés pétrolières. [...] La
contrepartie paradoxale d’une telle
évolution pourrait être un meilleur
accès des étrangers au secteur des
hydrocarbures russes.»
Christophe Cordonnier, économiste
«L’affaire Khodorkovski. Ou l’économie politique
de la nouvelle Russie»
CPE, n° 1042, mars-avril 2004, pp. 60-71
105
N° 1046 novembre-décembre 2004
Pour plus d’informations lire
dans Le courrier des pays de l’Est
Bernard Demory, «Les structures énergétiques du COMECON» (Première partie), n° 45,
5 janvier 1966, pp. 21-44.
Bernard Demory, «Les structures énergétiques du COMECON» (Deuxième partie), n° 46,
19 janvier 1966, pp. 23-38.
Bernard Demory, «Le gaz naturel en URSS», n° 70, 11 janvier 1967, pp. 21-33.
Chantal Beaucourt, «Le potentiel énergétique de l’URSS. Perspectives 1975-1980»,
n° 150, mars 1972, pp. 6-24.
Article non signé, «L’approvisionnement énergétique de l’URSS au Moyen-Orient»,
n° 177, septembre 1974, pp. 9-13.
Chantal Beaucourt, «Le gaz soviétique», n° 178, octobre 1974, pp. 9-24.
Marie-Agnès Crosnier, «Pétrole et gaz naturel en Union soviétique», n° 212, novembre
1977, pp. 3-38.
Groupe d’études prospectives internationales, «Situation et perspectives du bilan énergétique
de l’URSS et de l’Est européen», n° 216, mars 1978, pp. 3-16.
Daniel Pineye, «La production pétrolière soviétique à l’horizon 1985. Approche régionale»,
n° 229, mai 1979, pp. 3-12.
Hervé Gicquiau, «Bilan et perspectives de l’industrie électrique de l’URSS face au défi
énergétique», n° 262, mai 1982, pp. 3-41.
Anita Tiraslpolsky, «Quel pétrole pour quelle croissance en Europe de l’Est ?», n° 280,
janvier 1984, pp. 3-29.
Jean-Pierre Broclawski, «L’URSS face au contre-choc pétrolier», n° 307, juin 1986, pp.
39-42.
Chantal Beaucourt, «L’énergie en URSS en 2010», n° 337, février 1989, pp. 4-15.
Marie-Agnès Crosnier, «L’hydro-électricité en Union soviétique : le retour aux sources»,
n° 337, février 1989, pp. 28-42.
Catherine Locatelli, Catherine Mercier-Suissa, «Les ventes de pétrole et de gaz soviétique :
quel prix pour l’Est ?», n° 347, février 1990, pp. 52-58.
Marie-Agnès Crosnier, «Les ressources primaires d’énergie en ex-URSS : état des lieux fin
1993», n° 387, mars 1994, pp. 3-32.
Galina Kalioulina-Luquet, «La privatisation de l’industrie pétrolière en Russie», n° 400,
juin 1995, pp. 28-42.
Minas Analytis, «Le projet d’oléoduc Bourgas-Alexandroupolis un enjeu géostratégique»,
n° 411, août 1996, pp. 45-54.
Alexandre Matveev, «Le statut de la mer Caspienne : le point de vue russe», n° 411, août
1996, pp. 55-61.
Iakov Pappé, «La nébuleuse Gazprom : un anachronisme de l’économie russe», n° 430,
juin 1998, pp. 18-29.
Laurent Rucker, «Lukoil, une major russe», n° 1033, mars 2003, pp. 76-78.
Catherine Locatelli, «Pétrole russe et investisseurs étrangers. Des intérêts divergents»,
n° 1045, septembre-octobre 2004, pp. 64-76.
106
le courrier des pays de l’Est
Les industries
de défense
Une mue douloureuse
Durant toute la période de la guerre
froide, l’Union soviétique s’est livrée à
plusieurs reprises à une démonstration de
sa force militaire terrestre, mais dans sa
zone d’influence : intimidation à Berlin,
lors du blocus de la ville (1948-1949),
puis lors de la rébellion ouvrière (1953),
écrasement de l’insurrection hongroise
(1956), invasion de la Tchécoslovaquie,
avec l’aide des alliés du Pacte de Varsovie
(1968), ce dernier servant de puissant
levier de normalisation politique,
technologique et industrielle, au service
des intérêts du plus puissant des «pays
frères». Les différents pays satellites ne
figuraient-ils pas au nombre de généreux
fournisseurs d’armements à différents
Etats de par le monde ? Pendant ce temps,
l’URSS pouvait centrer ses efforts sur
quelques domaines d’excellence (secteur
spatial et aéronautique, systèmes d’armes
de destruction massive) dans la course
aux armements engagée avec les EtatsUnis. Un avantage relatif en faveur des
forces soviétiques exista durant les années
1960 et au début des années 1970, lorsque
fut établie une parité nucléaire entre les
deux puissances, notamment avec la mise
en place d’une flotte de sous-marins
nucléaires. Puis, tandis que l’invasion de
l’Afghanistan démontrait les faiblesses du
corps expéditionnaire soviétique (avec sa
retraite sans tambours ni trompettes en
1989), le durcissement de la politique des
transferts de technologies dès la fin des
années 1970, et le projet d’une guerre
technologique à outrance formé par
l’administration de Ronald Reagan mirent
en échec les visées d’expansion de Moscou,
tout en révélant en pleine lumière son
incapacité économique à poursuivre cette
compétition sans entamer encore plus la
portion congrue consacrée au bien-être
des populations dans l’ensemble du bloc
«socialiste».
A partir du début des années 1980, une
plus grande attention sur l’état des
dépenses militaires est accordée aussi
bien de la part des autorités américaines
(Département de la Défense et CIA) que
de celle de l’Institut indépendant suédois
(SIPRI) ou encore de l’institut privé
Wharton de Washington qui, par ailleurs,
diffusent plus largement leurs travaux.
L’Otan n’était pas en reste. Avec l’arrivée
au pouvoir de M. Gorbatchev, un débat fut
rapidement ouvert en Union soviétique sur
les voies possibles d’une réduction des
dépenses militaires et sur la mise en place
d’une (re)conversion du complexe militaroindustriel (CMI), au bénéfice des
productions duales et des biens de
consommation. Des engagements
internationaux avaient été pris en vue
d’une réduction des dépenses et des forces
conventionnelles, mais sur le terrain, en
URSS, ces manœuvres butèrent rapidement sur la barrière de dissémination de
l’information et sur la culture du secret
profondément enracinée au sein du CMI.
En effet, comment établir des passerelles
107
N° 1046 novembre-décembre 2004
entre les industries civiles et militaires,
alors que les premières ne bénéficiaient
que de procédés de second choix, livrés
par les premières, de tous temps habituées
à agir en prédatrices ? Après la disparition
de l’URSS, le CMI a traversé une période
de chaos et ce n’est qu’à partir de la fin
des années 1990 qu’une restructuration,
potentiellement viable, semble se mettre
en place. Quant aux industries de défense
dans les pays de l’Europe centrale et
orientale, libérés de la tutelle soviétique
en 1989, et dont dix sont désormais dans
l’Otan, elles continuent à se débattre, tant
bien que mal, avec l’héritage, en tentant
de sauver un certain potentiel industriel.
Parfois, avec l’assistance bienveillante de
leurs concurrents...
Une croisade tardive
pour l’innovation
«Parmi les nombreuses tâches que
s’est assignées Mikhaïl Gorbatchev
dans le domaine de l’économie, la
consolidation des industries “mécaniques” vient au tout premier rang. En
dépit de réalisations industrielles impressionnantes pour les besoins de la
défense, les industries “mécaniques”
soviétiques demeurent un colosse sans
assise solide.
Le projet de M. Gorbatchev, qui s’appuie
sur une politique de modernisation
concernant l’ensemble de l’appareil de
production industrielle et principalement les industries “mécaniques”, a
pour double objectif de les amener à
surmonter leur incapacité à produire en
fonction des besoins et de suivre
convenablement la progression de la
technologie mondiale. [...]
Les déficiences dans le domaine de la
qualité sont devenues encore plus
criantes et sont désormais très vigoureusement dénoncées. A la notion de
“produire pour produire” se substitue
108
enfin l’évidence de répondre aux
besoins sous toutes leurs formes.
La perestroïka est très ambitieuse à
l’égard de la qualité : redresser le
niveau de la fiabilité actuellement au
plus bas, renouveler chaque année
13 % des articles en production, et
mettre en œuvre les moyens d’une
innovation authentique. [...] Atteindre
le niveau mondial et devenir compétitives − non plus désormais pour les
seules productions militaires − c’est
l’obligation qui est faite aux industries
“mécaniques”. [...]
La relative autarcie technique et économique de l’URSS lui a permis, pendant
des décennies, de s’accommoder de
produits obsolètes du point de vue
mondial ; mais l’accélération des mutations techniques et l’ouverture de l’économie aux contingences planétaires
ont mis un terme au laxisme officiel et
font mesurer aux Soviétiques l’étendue
de leur retard et l’inadaptation de leur
système de recherche et production à
gérer le progrès technique.
Le renouvellement des productions
dans les industries “mécaniques” résume
bien le retournement de tendance
actuel. Certains chiffres sont éloquents :
ainsi de 1970 à 1980, la part des produits de ces industries se trouvant en
production depuis plus de dix ans
s’était élevée de 19 % à 29 % (16,2 %
en 1967 et 30,6 % en 1981) ; il n’y
aurait pas d’amélioration aujourd’hui.
Remarquons aussi que plus de la moitié
des biens ayant le label de qualité,
c’est-à-dire supérieurs en valeur technique aux normes d’Etat soviétiques,
sont fabriqués depuis plus de dix ans !
[...]
M. Gorbatchev a qualifié de peu satisfaisante la situation de la science sectorielle des industries “mécaniques”,
ajoutant qu’elle constitue l’un des problèmes les plus délicats de la perestroïka dans ces industries. Il est vrai
Les industries de défense
que ce secteur de la recherche s’est
satisfait de rester, pendant environ trois
décennies, à la remorque de l’étranger,
copiant les modèles du jour ou même
de la veille, incapable de s’ouvrir des
perspectives originales. Or, il est
incontestable qu’il a reçu beaucoup,
favorisé par la politique de développement extensif : nombre de chercheurs
augmenté des deux tiers en quinze ans,
ressources financières largement distribuées depuis le budget de l’Etat
quoique non liées aux résultats des
travaux, création trop facile d’organisations de recherche sans stratégie
d’ensemble. La science sectorielle
dans les industries “mécaniques”
compte 700 instituts et bureaux d’études,
employant plus de 400 000 personnes.
[...]
En 1988, rien ne permet de penser
qu’un renouveau de la technique soviétique industrialisée soit en passe de se
réaliser. Les secteurs de pointe et
secteurs traditionnels des industries
“mécaniques” n’ont pas avancé en
deux ans et leurs perspectives n’appellent
pas de commentaires enthousiastes. Le
secteur des industries de défense, et
nous pensons essentiellement aux
industries de l’électronique, de la radio
et des télécommunications, semble être
bloqué dans son développement technologique à des fins civiles tout au
moins, faute de pouvoir s’adapter à une
production de masse en même temps
que compétitive ; il est de plus en plus
vraisemblable qu’il subit l’influence en
retour des carences profondes du secteur civil et tout particulièrement la
mauvaise qualité au sens large des
produits de base et produits intermédiaires.»
Hervé Gicquiau, Le courrier des pays de l’Est
«Situation et perspectives des industries soviétiques
dites mécaniques : productions et technologies»
CPE, n° 332, septembre 1988, pp. 3-33
le courrier des pays de l’Est
Chiffres incertains
et zones d’ombre
«L’incertitude reste grande encore
aujourd’hui sur la réalité des dépenses
de défense soviétiques (15-17 % du
PIB selon l’Otan), de leurs éventuelles
réductions, de la conversion au civil de
l’industrie de défense et de la réforme
militaire. Comment faire le point sur
les mesures déjà prises dans le sens de
la réduction des dépenses militaires :
personnel, exploitation et maintenance,
activités spatiales... ? Les zones d’ombre
sont encore nombreuses sur les capacités de production d’armements, les
programmes de recherche et développement, la volonté réelle de conversion
au civil, […] sur la nouvelle répartition
des pouvoirs entre centre et républiques, la propriété des usines ou les
conséquences de réductions de dépenses
trop brutales dans cette industrie : elles
risqueraient en effet d’entraîner un
chômage insupportable dans certaines
régions de mono-industrie militaire.
La transformation des pays du Pacte de
Varsovie, hors URSS, en Etats indépendants, la dissolution de ce Pacte
d’alliance militaire, les réductions unilatérales des forces de défense soviétiques et le retrait des troupes stationnées en Europe de l’Est, l’unification
de l’Allemagne, désormais au sein de
l’Otan et, surtout, l’accord intervenu
en novembre 1990 sur les Forces
conventionnelles en Europe (FCE) ont
renforcé, dans une mesure considérable, la sécurité en Europe, telle que la
perçoit l’Alliance. [...] En effet, les
décisions relatives à l’allocation des
ressources en URSS, ainsi que la
reconversion de l’industrie de défense,
auront probablement des répercussions
importantes sur la planification des
forces de l’Otan et ceci même dans le
contexte de la période suivant l’accord
sur les FCE ; elles pourraient en effet
109
N° 1046 novembre-décembre 2004
avoir une influence déterminante sur le
rythme auquel l’URSS modernisera le
reste de ses forces, sur la stratégie de
sa R&D et sur la réforme militaire. [...]
● La réduction des dépenses
de défense en 1989 et 1990
et leur impact
Etant donné l’absence de chiffres de
référence réalistes, il a été difficile de
calculer les répercussions de la réduction de 14,2 % du budget militaire et
de 19,5 % de la production militaire,
annoncée par M. Gorbatchev en janvier
1989. Ce n’est qu’en mai que le chef
du Kremlin a avancé un autre chiffre,
plus crédible, reflétant les dépenses
totales de son pays. M. Gorbatchev
indiquait en effet qu’elles s’élèveraient
à 77,3 milliards de roubles pour 1989,
et non pas à 20,2 milliards comme cela
avait été publié à l’origine. Cette
déclaration fut suivie d’une série sans
précédent de révélations de la part de
hauts responsables soviétiques, mettant
en évidence les réductions des dépenses
de défense pour les plans quinquennaux 1986-1990 et 1991-1995. D’avril
à juillet 1990 pourtant, ces nouvelles
estimations ont dû être réinterprétées
après que M. Chevardnadzé, alors
ministre des Affaires étrangères, et
M. Gorbatchev lui-même, parlant du
poids de la défense, eurent avancé des
chiffres qui impliquaient un niveau de
dépenses militaires bien plus élevé que
ne le laissait croire le budget officiel.
[...] A long terme, la capacité de
modernisation de l’Union soviétique
risque d’être affectée par l’ampleur des
restrictions d’allocation des ressources
concernant les activités de recherche et
de développement militaires. En dépit
des coupes sombres pratiquées dans le
budget officiel de R&D militaires et de
l’arrêt présumé de 150 programmes de
recherche, rares sont les indices qui
permettent de croire aujourd’hui que
les grands programmes de développement d’armements ont été annulés ou
110
reportés. [...] Le débat sur la réforme
militaire constitue un autre domaine où
les considérations sur les ressources
pourraient s’avérer importantes. Ce
débat a été alimenté par le discours de
Mikhaïl Gorbatchev à l’occasion de
son accession à la présidence en mars
1990, dans lequel il avait déclaré que
la réforme militaire figurait parmi les
principales missions qu’il s’était fixées.
Le débat ne se limite pas à la doctrine
militaire et à l’avenir des mécanismes
d’acquisition d’armements et de R&D.
Il porte également sur la taille et
l’organisation des forces armées soviétiques, le rôle de l’administration politique au sein de la communauté
militaire et le degré de professionnalisme des forces armées. [...]
● Vers la transparence ?
Outre l’accord sur les FCE intervenu
dans le cadre de la Conférence sur la
coopération et la sécurité en Europe
(CSCE), d’importants progrès avaient
été réalisés, dans le même cadre, vers
plus d’ouverture dans le domaine de
l’économie de la défense. Un pas
important avait été fait dans ce sens
lors du séminaire sur la doctrine militaire, organisé début 1990 à Vienne,
sous l’auspice des négociations sur les
mesures de confiance et de sécurité
(MDCS). Ce séminaire n’avait pas
seulement pour but de promouvoir un
dialogue de qualité entre militaires de
haut rang des 35 pays membres de la
CSCE sur la doctrine militaire et surtout
sur le nouveau courant de pensée au
sein du Pacte de Varsovie ; il avait également offert des séances d’échanges
d’informations sur les budgets militaires. Cinq des sept pays membres du
Pacte de Varsovie avaient présenté un
exposé sur leur budget militaire. [...]
Chaque Etat participant “peut demander
des explications à un autre Etat participant quant aux informations budgétaires
fournies”. L’Etat invité à fournir de
telles explications “fera tout son possible
Les industries de défense
pour répondre rapidement et intégralement aux questions qui lui sont
posées”.
Bien que l’adoption des MDCS constitue, à n’en pas douter, un développement positif, il reste à voir combien de
données supplémentaires l’Union soviétique sera en mesure d’apporter. En
raison de l’incertitude qui prévaut,
même en Union soviétique, quant au
niveau des dépenses de défense, il ne
serait pas réaliste de formuler des
espoirs excessifs à court terme. En
conséquence, pour ce qui concerne le
proche avenir, l’Otan devra continuer à
évaluer suivant ses propres critères la
dimension des ressources que l’Union
soviétique affecte à sa défense.»
Christopher Wilkinson, OTAN, Direction économique
«La perestroïka et la révision du budget
de défense soviétique»
CPE, n° 362 septembre 1991, pp. 54-61
L’utopie de la
reconversion
«Si la production des entreprises du
complexe militaro-industriel (CMI)
représentait, à la fin des années 1980,
60 % du PIB de l’URSS, seulement
6 % d’entre elles travaillaient à temps
complet pour les armées. C’est donc, à
partir de 1991, bel et bien 94 % des
capacités du CMI qu’il devient nécessaire, en théorie du moins, de réorienter
vers une production civile. Pourtant, à
dix ans de distance, on conçoit aujourd’hui combien cette reconversion était
utopique, tant elle signifiait pour la
plupart des directeurs de l’époque une
révolution culturelle et l’acquisition
d’un savoir-faire industriel totalement
étranger à leur façon de penser l’économie. Les ratés étaient inévitables.
● La gestion de l’héritage
Le 20 mars 1992, le complexe militaroindustriel, dépendant de la Commis-
le courrier des pays de l’Est
sion militaro-industrielle (VPK) est
aboli en tant que tel. A cette date, les
entreprises de défense employaient
encore entre 12 et 16 millions de
personnes − sur une population active
estimée à 67,7 millions − mais aussi, et
surtout, les deux tiers des scientifiques
et des techniciens qualifiés (soit environ 2,7 millions de personnes). Elles
étaient concentrées dans la Russie
d’Europe, et principalement dans les
régions de Saint-Pétersbourg, de Moscou,
de l’Oural et de Novossibirsk. Avec
l’éclatement de l’URSS, la Russie a
hérité à la fin de 1991 d’environ 70 %
des industries du CMI soviétique, mais
seules 25 % d’entre elles avaient
encore l’année suivante une véritable
activité, entraînant une immédiate raréfaction de nombreux objets de la vie
quotidienne, la plupart étant produits
par des usines du complexe (80 % de la
technologie médicale, 70 % de l’équipement agricole, par exemple). Cependant, et contrairement aux autres pays
de la CEI, Ukraine exceptée, cet héritage permet à la Russie de contrôler la
quasi-totalité des filières et des niches
technologiques indispensables à la
constitution d’un CMI autonome et
équilibré. En revanche, l’héritage reçu
par l’Ukraine dans les secteurs des
constructions navales, de l’aérospatial
et de l’électronique explique à la fois
les difficultés rencontrées par la
Russie, tout au long de la décennie
1990, pour maintenir en état opérationnel certains de ses équipements, comme
ses missiles stratégiques (ICBM) SS18 par exemple, et la réactivation de
coopérations entre les industries des
deux pays.
● Un casse-tête économique
La multiplicité de ces structures
répond à la recherche d’une plus
grande efficacité, mais aussi, et peutêtre surtout, illustre les luttes des différents clans politiques pour s’emparer
du contrôle de ce secteur. En dix ans à
111
N° 1046 novembre-décembre 2004
peine, le CMI a changé six fois de
tutelle. [...]
La première loi sur la conversion, qui
date du 21 avril 1992, va buter immédiatement sur l’endettement interne
des entreprises, évalué à quelque 5 000
milliards de roubles, soit environ 3 milliards de dollars au taux de change de
l’époque (mais probablement dix fois
plus en parité de pouvoir d’achat), les
impayés de l’Etat (au moins 3 000
milliards de roubles) et les déclarations
d’intention du gouvernement. Face à la
nette diminution des commandes
d’Etat (goszakaz), cinq politiques sont
possibles. Les quatre premières (réduction et suppression des activités sans
licencier ou toucher à l’infrastructure
sociale ; privatisation ; accroissement
de la production civile ; mise en place
de joint ventures et appel aux investisseurs étrangers) ont été un échec et
seule la cinquième a donné rapidement
des résultats.
En décembre 1993, un décret prévoyant la privatisation de 1 167 des
1 968 entreprises du CMI est publié. Il
précise également que 70 sites environ
(arsenaux, bases militaires, centres
d’essai) et quelques dizaines de villes
fermées demeureront dans le giron de
l’Etat. Ce texte va pratiquement rester
lettre morte. En 1995, deux ans plus
tard, la part publique du CMI représente encore 60 % de la capacité scientifique et technique du pays, 85 % de
ses bureaux d’études et 90 % de ses
instituts de recherche, mais son
volume de production ne représente
plus que 8,7 % du niveau de 1991. Au
même moment, la presse commence à
évoquer la création, sous l’impulsion
d’entrepreneurs dynamiques et souvent
liés aux clans politico-économiques,
de “groupes financiers et industriels”
(Finansovo-promychlennye groupy, FPG)
qui s’organisent, comme le préconise
une loi du 30 novembre 1995, en
corporations verticales fondées, ce qui
est nouveau, sur une union entre des
112
concepteurs (bureaux d’études), des
usines de production en série, des
banques ou des compagnies d’assurances.
L’apparition de ces FPG a presque
toujours pour toile de fond une lutte
entre groupes politiques ou entre
grands monopoles d’Etat (Gazprom en
tête). [...]
● Un CMI à deux vitesses
Dès cette époque, il devient évident
que le CMI est en train de se scinder en
deux parties : celle des “groupes pour
la survie”, dont l’existence ne se justifie
plus autrement que par la volonté politique de préserver l’ordre social en évitant les licenciements, et celle des
“groupes pour le développement” qui
mettent en place une véritable politique à long terme afin de s’insérer
dans le marché mondial, comme
Soukhoï, le plus grand exportateur
russe de produits manufacturés.
Fin 1997, l’Etat contrôle encore totalement 42 % des entreprises du CMI,
partiellement 29 %, les autres étant
entièrement privatisées. A cette date,
[...] le CMI employait toujours de 4 à
6 millions de personnes, “dont 2 millions directement impliquées dans la
fabrication d’armes et 800 000 à 1,2
million de chercheurs et de techniciens”. Il compte […] quelque 1 700
entreprises de production, 660 établissements de recherche-développement
militaire auxquels il convient d’ajouter
la multitude d’instituts et de départements de l’Académie des sciences. En
janvier 2000, 92 % des entreprises
répertoriées comme appartenant au
CMI participent encore plus ou moins
à la fabrication d’armes, ainsi que
80 % des instituts.
La restructuration/conversion du CMI
et, au-delà, de l’industrie russe dans sa
totalité, a subi une très forte impulsion
avec l’arrivée sur la scène politique de
V. Poutine et la création des cinq agences
Les industries de défense
industrielles spécialisées. Pourtant, dès
leur apparition en 1999, ces agences
font l’objet de nombreuses critiques.
D’aucuns soulignent le manque de
relais existant entre elles et les destinataires, leur incapacité à évaluer les
problèmes des régions et à mettre en
place un dialogue avec les administrations locales au sujet des dettes des
entreprises, du volume des commandes,
etc. Mais, la critique principale porte
sur le fait qu’elles ne contrôlent qu’une
faible partie des industries du CMI
(1 470 entreprises sur 2 500 entreprises
en juin 2000). De plus, pour l’observateur extérieur, ces agences ont comme
un arrière-goût de ministère sectoriel
soviétique !
Le 11 mai 2001, un plan très ambitieux
de restructuration du secteur aéronautique est rendu public. Doté d’une
enveloppe budgétaire de 7,7 milliards
de dollars, il prévoit la création au
cours des trois années suivantes de six
grands groupes réunissant quelque 300
constructeurs et bureaux d’études. La
logique de marché semble alors pour la
première fois l’emporter. [...] Deux
mois plus tard, fin juillet, un programme de réduction de moitié des
“1 700 entreprises du CMI” d’ici
à 2006 voit le jour (les centres de
recherches ne semblent pas concernés).
Ce programme, qui prend pour exemple
les fusions entreprises par le groupe
européen EADS et l’Américain Boeing,
est complété par un deuxième plan en
octobre 2001 qui vise à réduire encore
un peu plus le nombre des survivantes,
en les ramenant à une “cinquantaine
d’entreprises publiques”, destinataires
en priorité des ordres de recherche et
de production de l’Etat, lequel cesserait, en conséquence, de subventionner
les autres entreprises. Fait nouveau, ce
plan prend en compte les intérêts des
régions auxquelles serait reversée une
partie des taxes acquittées par les
entreprises locales, contrairement aux
pratiques précédentes. [...] D’ores et
déjà, le paysage militaro-industriel
le courrier des pays de l’Est
russe se dessine nettement autour de
quelques dizaines de grands noms.
Combien survivront à la compétition
mondiale ? Etant donné les facteurs
inhérents à sa taille (nombre d’emplois
générés dans les régions, infrastructures sociales, etc.), la réforme du CMI
ne peut guère être soumise sur la totalité du territoire aux règles du marché.
Par obligation sociale donc, mais aussi
politique (la loi sur la défense de 1996
rend les régions responsables du suivi
des commandes d’Etat), les régions
plus pauvres ont grandement contribué
à favoriser l’apparition d’un CMI à
deux vitesses. [...] En moyenne, la part
du CMI dans l’industrie des régions est
de 35 %, avec quelques pics, comme
en Oudmourtie, où elle atteint 80 %
environ de la production industrielle
brute, ou dans la région de Moscou
qui abrite 37 % des usines et 80 %
des centres de recherche russes. Mais
Moscou est une région riche où d’autres
secteurs que celui de la défense sont
créateurs d’emplois. Son budget est
donc moins grevé par l’entretien du
CMI que celui de l’Oudmourtie. C’est
donc un gouffre financier pour les
régions. [...]
● Doublons, propriété
industrielle, concurrence
stérile et exode des cerveaux
Faibles charges d’activité et concurrences fratricides sont deux autres
problèmes bien connus du CMI russe.
Ainsi en 2001, le coefficient d’activité
des entreprises du CMI ne dépassait-il
pas en moyenne 15 % de leurs capacités de production et même 7 % pour
les six usines en charge de la production de munitions, tandis que plus
de 150 entreprises parmi celles qui
dépendent de l’Agence pour les systèmes
de contrôle (électronique, radars...)
étaient engagées dans le développement de produits similaires. Ce
phénomène de doublons conduit, bien
évidemment, comme durant la période
113
N° 1046 novembre-décembre 2004
soviétique, à une spirale de concurrences stériles et à l’apparition de
produits similaires. Contrairement aux
attentes, la création en 2000 d’une
agence d’exportation unique, Rosoboroneksport, n’a pas, faute d’une
réorganisation suffisante, mis un frein
à ces luttes fratricides. Aujourd’hui, la
Russie compte toujours beaucoup trop
d’entreprises par domaines d’activité
et niches technologiques : plusieurs
motoristes d’aéronautique, missiliers,
constructeurs d’aéronefs, une quarantaine de chantiers navals militaires,
plusieurs fabricants de blindés, etc.
En 1990 la R&D militaire russe représentait 75 % de la R&D totale du pays.
Aujourd’hui, si cette même part est
impossible à évaluer, sa faiblesse
transparaît à travers les sommes qui lui
sont officiellement consacrées : en
2001, elle comptait pour 42 % du
chapitre “R&D-achats” du budget de la
défense, soit à peine 24 milliards de
roubles (798 millions de dollars),
c’est-à-dire une somme inférieure à la
R&D militaire française. Toutefois, ce
montant est sans doute très largement
sous-estimé dans la mesure où
plusieurs budgets civils abritent des
allocations au secteur militaire. [...] La
part des brevets industriels russes dans
le total mondial ne représenterait plus
aujourd’hui, selon l’Académie des
sciences, que 0,3 %, tandis que la
Russie ne serait plus présente que dans
1 % des transactions passées sur le
marché mondial des hautes technologies, contre 39 % pour les Etats-Unis
et 30 % pour le Japon. [...] La Russie
avoue être à égalité avec les Etats-Unis
et le Japon dans deux d’entre eux
seulement : celui des lasers et des technologies nucléaires. [...] Le retard de la
Russie dans le domaine de l’électronique est considéré par le gouvernement comme une vraie menace pour la
sécurité nationale et l’indépendance de
la recherche russe. Il est aussi ressenti
comme une véritable humiliation.
Aujourd’hui seuls 60 % des armements
114
produits par la Russie seraient entièrement équipés d’électronique russe et,
bien souvent, le client préfère faire
remplacer celle-ci par une électronique
d’origine occidentale, comme ce fut le
cas pour les chasseurs Su-30MKI
vendus à l’Inde. Seules les armes servant
à la dissuasion nucléaire ne comporteraient aucun composant électronique
étranger. […] Les autorités russes sont
bien conscientes que sans R&D efficace et bien financée, les armes produites par leur CMI seront bientôt à
reléguer au magasin des antiquités. [...]
L’un des problèmes majeurs qui se
posent aujourd’hui aux entreprises russes,
et donc à celles du CMI, est celui de la
propriété des droits intellectuels.
L’Etat russe est en effet l’unique propriétaire des droits sur toute technologie qui a été développée grâce à des
fonds gouvernementaux durant la
période soviétique. [...]
Effet direct du sous-développement de
la recherche scientifique civile et militaire et du faible niveau des salaires, le
départ des scientifiques russes vers
l’étranger et le secteur privé, où bien
souvent ils cessent de pratiquer leur
spécialité, a atteint ces dernières
années des proportions énormes. A la
fin des années 1980, la politique de
M. Gorbatchev avait déjà eu pour
conséquence une émigration massive
vers Israël de nombreux spécialistes de
haut vol. Plus tard, au cours des trois
années qui ont suivi la chute de
l’URSS, ce serait plus de 50 % des
meilleurs spécialistes du CMI qui
auraient quitté le pays. On retrouve ces
derniers un peu partout dans le monde :
en Chine, en Corée du Sud, mais surtout
aux Etats-Unis, en Israël et en Europe.
[...] Aujourd’hui, [...] les chercheurs
russes à l’étranger seraient au nombre
de 30 000 environ. Mais un rapport
récent du Conseil de sécurité de la
Fédération de Russie, affirme qu’au
cours de ces dernières années, la
Russie a perdu environ 200 000 scientifiques et continue à en perdre. [...]
Les industries de défense
Faire face aux problèmes
Comment transformer en centres de
haute technologie des entreprises que
le Président russe lui-même qualifie
“d’archaïques et ne satisfaisant pas
aux besoins militaires et politiques
modernes” ? La politique actuelle du
gouvernement, on l’a vu, est de maintenir sous contrôle de l’Etat la partie du
CMI indispensable à l’indépendance
technologique du pays, quitte à procéder
à des renationalisations qui viendraient
alors trancher avec la politique de
privatisation de l’industrie civile. C’est
tout le sens des divers plans qui se sont
succédé à partir de mai 2001. Le tout
est de savoir si le gouvernement aura
des moyens financiers suffisants pour
réaliser ses projets. Dans le seul domaine
aérospatial, par exemple, selon la
Chambre d’audit de la Fédération, sur
les 224 entreprises privatisées, l’Etat
ne possède une majorité de contrôle
que dans 7 d’entre elles et une action
de blocage dans 87 autres. Dans 16
entreprises, il détient une action préférentielle et dans 20 autres, moins de
25,5 % des parts et est complètement
absent dans 94 cas. [...]
● La coopération
internationale : une solution
à tous les problèmes ?
Parmi les diverses politiques engagées
par les entreprises, la coopération avec
des sociétés étrangères et la création de
joint ventures semblent être les voies
les plus prometteuses pour réaliser le
lien entre la conversion industrielle et
l’intégration dans l’économie mondiale,
mais à condition de ne pas se limiter à
des partenariats avec la Chine et l’Inde
qui n’ont aucune technologie évoluée à
offrir. [...] La coopération avec les
Européens et les Américains, à la fois
variée et ancienne, concerne surtout le
domaine aérospatial et aéronautique,
dans lequel les Russes disposent d’une
le courrier des pays de l’Est
immense expérience, acquise après
plus de quarante ans de vols habités,
d’un savoir-faire indéniable et de technologies encore inexploitées (lancement
de satellites, fournitures de composants
pour satellites, caméras, bus de données,
moteurs de fusées, pièces d’avions...).
Cette coopération n’est donc pas à sens
unique et la Russie n’est pas seule à en
tirer profit. Pour l’Europe, la coopération avec Moscou signifie en effet économies dans la recherche et rattrapage
dans certains domaines de son retard
sur les Etats-Unis. [...] Les investisseurs étrangers hésitent à s’engager
dans un pays où sévit la corruption, où
le dispositif juridique est mouvant et
lacunaire et où leur participation dans
le capital des entreprises dites stratégiques est limitée par un décret de
1993. [...]
Epiphénomène sans doute des divers
problèmes évoqués ci-dessus (technologies particulières, manque d’investissements étrangers, éclatement des
programmes entre des usines implantées à présent dans divers pays, etc.), la
reconstitution des réseaux entre les
entreprises de toute la CEI frappe par
sa rapidité. Aujourd’hui, aucun programme d’armement russe n’est intégralement national. Les liens avec
l’Ukraine et la Biélorussie sont dans ce
domaine particulièrement forts. [...] La
coopération russo-ukrainienne est très
développée dans le domaine aérospatial et des missiles : “développement
des propulseurs spatiaux, conversion
du ICBM SS-18 en lanceur de satellites,
participation ukrainienne à la partie
russe de la station orbitale internationale, au programme Sea Launch et
construction de lanceurs spatiaux”. De
leur côté, les entreprises du CMI biélorusse ont participé, en 2000, aux commandes d’Etat russes à hauteur de
10 %. En 2000, ce sont plus de 600
sociétés de toute la CEI qui ont fourni
des pièces aux usines russes d’armement, tandis que parmi ces dernières,
500 d’entre elles travaillent quotidien-
115
N° 1046 novembre-décembre 2004
nement sur des projets communs avec
1 326 entreprises de la CEI. Quelque
700 entreprises de la CEI sont aussi
impliquées dans la construction des
chars T-72 et 568 dans celle des chasseurs Mig-29. Les sous-marins lanceengins (SNLE) sont construits en
Russie (1 300), en Ukraine (550), en
Biélorussie (83), au Kazakhstan (5), en
Arménie (4), en Moldavie (3) et au
Kirghizstan (2).
Le CMI soviétique est donc toujours
bien présent dix ans après la disparition de l’URSS ! Cette cohabitation,
forcée en quelque sorte, n’est cependant pas toujours amicale. Ainsi la
Russie menaçait-elle récemment de
rapatrier la totalité de la production des
avions de transport militaires IL-76
fabriqués par l’usine de Tachkent en
Ouzbékistan (90 % des pièces sont
livrées par la Russie) à cause de divergences entre les deux pays à propos de
la vente de vingt appareils à la Chine.»
Cyrille Gloaguen, Centre de recherches et d’analyses
géopolitiques, Université Paris-VIII
«Le complexe militaro-industriel russe : entre survie,
reconversion et mondialisation»
CPE, n° 1032, février 2003, pp. 4-17
Qui contrôlera
cette nébuleuse opaque ?
«La rupture avec la situation antérieure
a été réelle et brutale pour l’industrie
de défense en Russie. A terme, on peut
douter de la survie des entreprises les
moins capables de s’adapter. Le pouvoir
du complexe militaro-industriel (CMI)
d’influencer sérieusement les orientations de la politique économique du
gouvernement s’est érodé de manière
décisive. Dans le même temps, un
“certain CMI”, composé d’un nombre
beaucoup plus restreint d’entreprises,
est en passe de s’imposer en tant
qu’enjeu de défense et de souveraineté
politique et économique, et de reprendre
par conséquent ses droits sur la scène
116
politique. Parmi ces entreprises, celles
qui ont la possibilité d’exporter sont
les mieux placées. [...] L’émergence de
pôles plus forts du lobby militaroindustriel par rapport à d’autres groupes
d’intérêts économiques suscite un certain
nombre de questions. [...]
En Russie, et plus particulièrement
dans le cas du CMI, où le poids des
liens personnels entre industriels et
responsables politiques a toujours
constitué un facteur important dans les
décisions, les choix se font encore
souvent en fonction du poids du
“demandeur”. Il s’agit des industriels,
bien sûr, mais aussi des responsables
des régions ou villes où l’industrie de
défense constitue toujours une part
importante de l’économie. En ce sens
donc, les analyses décrivant la difficulté du CMI à évoluer se justifient
partiellement, mais elles touchent aussi
bien au comportement des élites politiques elles-mêmes qu’aux seuls
“barons rouges” du CMI.
La montée d’un lobby des exportateurs
d’armement ne va pas non plus sans
quelques interrogations, notamment
sur l’emprise des groupes exportateurs
sur le pouvoir politique, compte tenu
des enjeux que ceux-ci représentent. Si
les grandes banques proches du pouvoir devaient confirmer leur intérêt
pour les investissements et des prises
de participation dans ces groupes
lucratifs, cette emprise déjà perceptible
pourrait devenir plus puissante à
travers des alliances de raison entre
industriels et financiers. En ce sens,
l’industrie de défense − celle qui
exporte − peut devenir un groupe de
pression à part entière, disposant, à
l’instar du TEK (lobby de l’énergie et
des combustibles), d’importateurs et
de banques, de leviers sur le pouvoir
politique [...] et exercer des pressions
d’une part sur la politique d’armement,
d’autre part sur la politique étrangère
de la Russie. […] Dans le principe, sa
tutelle administrative est exercée par
Les industries de défense
un vice-Premier ministre en charge de
l’industrie, des sciences et technologies auquel ont été subordonnées les
cinq agences industrielles créées à
partir du 1999. Toutefois, celles-ci sont
parfois dirigées par des hommes de la
nomenklatura eltsinienne ou poutinienne aussi influents, voire plus, que
le ministre lui-même. [...]
D’autres préoccupations s’expriment
quant aux effets potentiellement pervers
sur la politique étrangère de l’accent
mis sur les exportations d’armements.
La Russie, après avoir instauré un système assez strict de contrôle des exportations d’armement et des transferts de
technologies, inquiète la communauté
internationale par le choix de ses partenaires en matière de coopération militaro-technique. Les échanges, avec
notamment la Chine et l’Iran, sont
d’autant plus mal perçus par les Occidentaux que le ton du débat intérieur à
Moscou − doctrinal, économique et de
politique étrangère − semble se durcir.
A cet égard, les déceptions des Russes
quant aux effets souvent mitigés des
coopérations industrielles avec des
firmes occidentales ou l’accès toujours
difficile des industriels russes aux technologies étrangères, constituent des
facteurs de raidissement.»
Isabelle Facon, CREST - Ecole polytechnique
«Pouvoir politique et industries de défense en Russie
de 1991 à 1996 : des relations complexes»
CPE, n° 414, novembre 1996, pp. 3-21
Vendre à la Chine
«Depuis la disparition de l’URSS, la
République populaire de Chine est
devenue le principal client de la Russie
pour les armements. Ses achats sont en
augmentation régulière : de un milliard
de dollars en 1997-1998, ils sont passés
à plus de deux milliards et demi en
2002, année record pour les exportations d’armes par la Russie, qui ont
atteint 4,8 milliards de dollars. La part
de la Chine dans le total n’est jamais
le courrier des pays de l’Est
tombée en dessous de 40 % au cours de
la décennie 90, dépassant même les
60 % ces dernières années, du fait de
l’exécution d’importants contrats portant sur des équipements maritimes et
aéronautiques.
● Enjeux économiques
et technologiques
Les achats chinois ont joué un rôle
essentiel dans la survie de l’industrie
militaire russe ; ils ont maintenu relativement en bonne santé le leader de
l’aéronautique Soukhoï, et en particulier sa plate-forme industrielle, l’union
de production de Komsomolsk-surAmour. C’est également grâce aux
commandes chinoises que certaines
entreprises peuvent afficher des résultats satisfaisants, du moins selon les
critères russes, notamment les chantiers navals (surtout “Severnaïa verf”,
qui a fourni de 1997 à 2000 deux destroyers 956 E et où vient d’être entamée
la construction de deux nouveaux
modèles de classe 956 EM, qui
devaient être livrés en 2006, pour un
coût de 1,4 milliard de dollars), mais
aussi les producteurs d’instruments et
d’armements destinés aux avions de
combat ainsi que ceux de systèmes de
défense antiaérienne.
La Chine achète des armements de
série en grandes quantités et se montre
peu exigeante ; par conséquent, les
contrats passés avec ce pays se caractérisent par leur forte rentabilité. Il en va
fort différemment avec l’Inde, dont les
commandes d’avions et de navires se
situent aux limites des possibilités de
l’industrie militaire russe et abondent
en demandes spécifiques. [...]
Grâce aux livraisons russes, l’armée
chinoise a réalisé en dix ans un bond
qui l’a menée de l’utilisation de systèmes
d’armement des première et deuxième
générations d’après-guerre à celle
d’équipements tout à fait modernes de
117
N° 1046 novembre-décembre 2004
quatrième génération. L’équilibre des
forces en Asie orientale ne s’en est pas
trouvé pour autant modifié. [...] Aussi
les principaux résultats de la coopération militaire russo-chinoise sont-ils à
rechercher non pas dans le domaine
militaire, mais avant tout sur le plan
technologique. Dans un certain sens,
les transferts d’armements et surtout de
technologies russes symbolisent le passage de témoin de la Russie à la Chine.
Toute la décennie écoulée a été marquée
pour la Russie par la perte de son statut
de grande puissance. En Chine, on
assiste au processus inverse, le pays se
développe de façon impressionnante et
se rapproche à grande vitesse de la
position de concurrent politique, économique et militaire des Etats-Unis.
Comparaison n’est pas raison, mais, en
simplifiant quelque peu, la situation
actuelle de l’industrie de haute technologie, en particulier militaire, peut être
comparée à celle qu’a connue l’industrie soviétique dans les années 1930.
La Chine ne se contente pas d’acheter
des technologies, des prototypes ou
des séries d’équipements modernes.
Elle forme ses propres spécialistes
dans le domaine de la construction
d’avions, de missiles, d’instruments et
de navires. La Russie, dès lors, joue à
peu près le même rôle que celui tenu
par l’Allemagne pour l’industrie aéronautique soviétique dans l’entre-deuxguerres. Le temps montrera l’efficacité
de cette stratégie. On sait que dans les
années cinquante, on avait déjà assisté
à un transfert de grande envergure de
technologies militaires de l’URSS vers
la Chine, ce mouvement ayant été
stoppé à la suite de la rupture des relations sino-soviétiques en 1960. [...]
● En retard d’une génération
Lorsqu’on parle d’une modification
possible du statu quo géostratégique, il
s’agit avant tout de l’évolution du
rapport de forces entre la Chine et les
Etats-Unis. Le dynamisme écono-
118
mique de la première et la croissance
de son potentiel militaire, combinés à
ses ressources démographiques colossales permettent à bon droit de la
considérer comme un concurrent
potentiel à long terme des Etats-Unis.
Il convient donc de se demander dans
quelle mesure les achats d’armes à la
Russie pèsent sur l’équilibre des forces
militaires sino-américain. Il est absolument évident que le transfert par la
Russie d’armements et de technologies
modernes réduit l’écart entre la Chine
et les Etats-Unis. Mais permettra-t-il à
Pékin de rattraper complètement son
retard ? [...] Dans les années 1990, la
Chine a importé de Russie des armements de troisième et de quatrième
génération, soit ceux dont sont actuellement dotés les pays les plus développés
sur le plan militaire. Il semble donc
que le saut de deux générations accompli par la Chine grâce à ses importations en provenance de Russie lui
permette de combler son retard sur les
Etats-Unis. Cependant, les armes de
quatrième génération ont été élaborées
à la fin des années 1970, et les armées
en ont été équipées pendant les années
1980, mais elles ont commencé à
devenir obsolètes dans les années 1990
et devront être remplacées dans la
première décennie du XXIe siècle. [...]
Les transferts de technologies russes
ne font donc que réduire le retard de la
Chine, mais l’écart d’une génération
qui subsiste avec les Etats-Unis permet
à ces derniers de conserver un leadership absolu dans le domaine militaire.»
Konstantin Makienko, Centre d’analyse
des stratégies et des technologies, Moscou
«Les ventes d’armes de la Russie à la Chine : aspects
stratégiques et économiques»
CPE, n° 1032, février 2003, pp. 29-40
Le premier cercle
des entrants dans l’Otan :
une rude épreuve
«Quelle est la situation des “novices”
(République tchèque, Hongrie, Pologne),
Les industries de défense
entrés dans l’Otan il y maintenant plus
de trois ans, alors que sept nouveaux
postulants (Etats baltes, Roumanie,
Bulgarie, Slovaquie, Slovénie) vont
renforcer en 2004 les rangs de
l’Alliance, en tirant la leçon des expériences des trois pays du premier
cercle. Il semblerait que les rapports
avec le siège de l’Alliance à Bruxelles
ne soient finalement pas aussi bons
qu’auraient pu le laisser croire les
festivités données aux Etats-Unis en
1999 à l’occasion de leur admission
qui coïncidait avec le 50e anniversaire
de l’Otan. Les responsables tchèques,
hongrois et polonais de la défense
s’entendent reprocher la lenteur avec
laquelle est menée la réorganisation de
leur secteur [...] de défense [...] toujours
sous-équipé.
Lors de la guerre en Afghanistan,
l’offre hongroise s’est limitée à une
équipe médicale spécialisée, mais
dépourvue de matériel adéquat et incapable de rejoindre le théâtre des opérations par ses propres moyens. “Modernisez, sinon vous aurez des problèmes”.
[...] La Pologne semble avoir acquis le
statut de primus inter pares et fait
figure de puissance régionale, malgré
son retard dans la réalisation des 179
objectifs assignés à ses forces armées
par le “Plan de six ans” qui a été fixé
par l’Alliance [...] et elle est loin d’avoir
achevé la mutation de ses forces
armées et de son industrie de défense.
[…] En République tchèque, la professionnalisation des forces armées se
réalise plus lentement qu’en Pologne,
mais elle a une longueur d’avance sur
la Hongrie, grâce au nombre de ses
unités spécialisées (guerre bactériologique et chimique, hôpitaux de campagne). De plus, son système de communications est le meilleur parmi les trois
pays. Toutefois, la communauté internationale lui reproche de consacrer une
faible part de son budget à la défense et
d’être incapable d’enrayer la fuite des
cadres vers le secteur privé.
le courrier des pays de l’Est
L’expérience de l’entrée dans l’Otan
des trois premiers pays a permis de
faciliter les candidatures des nouveaux
aspirants invités à rejoindre l’Alliance
en 2004. Dans le plan d’action, la
feuille de route remise à tous les candidats, chacun peut choisir, “à la carte”
[...] (par exemple, conserver ou non
des armements ex-soviétiques, des unités
du génie, des bataillons de chasseurs
alpins, etc.) pourvu que ses choix
s’harmonisent avec les demandes américaines de spécialisation. Ainsi, les
pays qui furent invités, lors du sommet
de Prague (novembre 2002), peuvent
faire état d’une préparation plus adéquate que leurs prédécesseurs avant de
rejoindre l’Alliance. En s’élargissant,
cette dernière comprendra 26 pays
européens, couvrira un espace de plus
de 4,6 millions de km², aura la maîtrise
d’une grande partie des côtes de la
Baltique, et renforcera sa présence
dans la région de la mer Noire, avec
l’adhésion de la Roumanie et de la
Bulgarie.[...]
● Reprise en main des pôles
industriels
Le programme adopté par le gouvernement polonais en été 2002 prévoit la
création, fin 2003, de deux holdings,
chargées de regrouper la production et
la commercialisation. En outre, 21 entreprises vont être privatisées. Toutes sont
placées, soit sous l’autorité de la
société PHZ Bumar (division des
munitions, des missiles et blindés), soit
sous celle de l’Agence pour le développement industriel (ARP, pour la
division aéronautique et électronique),
ces deux chefs de file devant œuvrer à
la consolidation des entreprises dans
leur secteur. Deux firmes (Cenrex et
PHZ Cenzin), en outre, ont pour missions
la commercialisation, l’exportation des
services afférents à l’armement et le
suivi du programme des compensations industrielles qui suivra durant dix
119
N° 1046 novembre-décembre 2004
ans l’achat d’avions de combat américains. [...]
En Pologne, “l’otanisation” est bien
perçue au sein des troupes, rompues
depuis un certain temps aux manœuvres
communes et ayant acquis une bonne
maîtrise opérationnelle lors des missions extérieures réalisées en BosnieHerzégovine et au Kosovo. De plus, un
véritable effort de formation des officiers a été accompli en coopération
avec les Etats-Unis et le Danemark.
Seule ombre au tableau, comme d’ailleurs dans d’autres armées, la mauvaise connaissance de l’anglais.
Toutefois, la mise en vigueur du
deuxième volet du processus d’adaptation s’avère nettement plus problématique, puisqu’il s’agit désormais de
réduire les effectifs pour dégager des
ressources à affecter à la professionnalisation et au rééquipement des unités.
Les plans pour 2000-2001 prévoyaient
une réduction des effectifs de 190 000
à 150 000 hommes, dont 20 000 dans
une première étape, mais le corps des
officiers, jugé pléthorique, refuse de
telles coupes, plaidant pour une armée
moins performante et, certes, plus “végétative”, selon un analyste des affaires
militaires. [...] L’Otan ne cesse de
pousser Varsovie à accélérer le rythme
du dégraissage des forces armées, estimant encore trop élevées les dépenses
destinées aux salaires et aux pensions
dans le budget de la défense. [...]
● République tchèque :
les «phares» ne brillent plus
Depuis l’adhésion de ce pays à l’Otan,
l’un des événements les plus marquants fut l’adoption par le Parlement,
début 2000, d’un ensemble de textes
qui définissaient de nouveaux rapports
entre l’Etat, l’armée et les industries de
la défense ébranlées par une privatisation mal organisée. [...] Cette réorganisation visait à mettre fin à l’anarchie
120
qui sévissait dans ce secteur depuis une
décennie à la faveur des privatisations
et en raison de l’exercice de responsabilités dans des sociétés privées par des
fonctionnaires. [...]
Après des années durant lesquelles ce
secteur a été condamné à la portion
congrue, l’entrée dans l’Otan a montré
qu’il était grand temps “de penser à le
moderniser et à le soutenir […] plutôt
que d’accepter sans discussion les
offres en provenance de l’étranger”.
L’ensemble de ces nouvelles règles
constitue une véritable révolution.
Mais, contrairement à leurs homologues européens (ou transatlantiques),
les producteurs tchèques sont incapables de mobiliser des moyens pour la
R&D, la mise au point d’équipements
compétitifs et la commercialisation.
Démantelés au cours d’une privatisation menée à hue et à dia, ils n’ont reçu
aucune orientation de la part des hommes
politiques dans les années 1990 et sont
restés isolés. [...] Les produits de ce
secteur, considérés, à tort ou à raison,
comme des “phares” de l’industrie
locale, ne trouvent toujours pas preneurs
sur les marchés extérieurs. [...]
● En Slovaquie : «il était
une fois...»
Cette industrie a connu trois étapes
depuis 1990. Durant la première, qui a
duré jusqu’en 1993, sa production a
chuté de plus de 80 %, ce qui a
entraîné le licenciement de plus de
50 000 personnes sur un total de
80 000 ; ses clients habituels étaient
mis sous embargo (Libye, Iran, Irak) et
les aides fédérales étaient définitivement supprimées en mai 1992. Pendant
que les ex-dissidents, arrivés au pouvoir
en 1990, militaient en faveur d’un
“désarmement économique” de ce secteur et de sa conversion, les politiciens
slovaques tentaient d’en retarder les
effets. La deuxième période, durant
laquelle deux gouvernements de
Les industries de défense
V. Meciar se sont succédé (1993-1998),
s’est caractérisée par la recherche du
prestige perdu, suivie d’une tentative
d’appropriation des entreprises du secteur de la défense par les affidés du
pouvoir en place. Il était alors question
de “résurrection”, de conversion graduelle et de sauvetage des entreprises
pouvant exporter, thèmes politiquement
porteurs. En 1994, la firme Armex fut
créée avec mission de coordonner les
ventes d’armes. En 1995, 26 entreprises
du secteur se regroupèrent avec pour
ambition de mieux coordonner la
production et la conversion des entreprises. Elles sombrèrent avec la chute
de Vladimir Meciar en 1998. La DMD
Holding aurait même réussi à transférer des fonds publics et des moyens
de production vers des entités de droit
privé, contrôlées par l’entourage de
l’ex-chef du gouvernement. [...] Lors
de la troisième période, le gouvernement Dzurinda (1998-2002) eut pour
seule priorité de remettre de l’ordre
dans le commerce des armes. [...] Les
douanes et les services secrets furent
chargés de contrôler l’attribution des
licences. Depuis son indépendance en
janvier 1993, la Slovaquie a été citée
dans pas moins de vingt affaires de
ventes illégales d’armes vers des zones
de conflits. [...] Le ministre de l’Economie a dû admettre que la Slovaquie
avait été une plaque tournante du
commerce des armes, au moins jusqu’en
1996. [...]
Laissée au bord de la route lors du
sommet de l’Otan à Madrid en 1997, la
Slovaquie a fini par recevoir son carton
d’invitation à Prague, en novembre
2002. Elle était prête sur le plan militaire et affichait la volonté de ne pas
“se cantonner dans le rôle de simple
consommateur de sécurité collective,
mais de prendre une part active aux
opérations” au sein d’un pôle militaire
régional. [...] Dès 2000, la réforme des
armées a été entamée (intitulée Model
2010) avec pour objectifs “une interopérabilité accessible et efficace”, sa
le courrier des pays de l’Est
professionnalisation avec le passage
d’un effectif de 40 000 personnes à
20 000 militaires et 4 500 civils, et
l’amélioration de sa mobilité et de son
équipement. [...] Les dépenses consacrées à la défense vont passer de
1,78 % du PIB en 2002 à 1,9 % en
2003 (la norme fixée par l’Otan est de
2 %). Un effort particulier va être
fourni en matière d’acquisitions pour
moderniser les matériels et les armes :
la part du budget qui y sera affectée
passera de 10 % actuellement à 25 %
dans les prochaines années.
Selon Donald Rumsfeld, secrétaire
d’Etat américain à la Défense, venu
féliciter les Slovaques au lendemain du
sommet de Prague, l’Otan pourrait
avoir besoin d’unités de génie, d’assaut,
de lutte contre les armes chimiques et
bactériologiques. Mais il a surtout
insisté sur le contrôle à exercer sur les
informations classifiées et le commerce des armes, et sur la lutte contre
la corruption, toutes batailles à mener
dans l’ensemble des pays membres.
[...]
● Le sommet de Prague
de novembre 2002 : «il faut
passer commande !»
En mai 2004, l’Otan va s’étendre jusqu’aux portes de la Russie et comptera
26 membres. L’Alliance a, par ailleurs,
établi de nouveaux liens avec Moscou.
La Russie participe en effet au “Forum
des 20” depuis 2002, sans pour autant
partager complètement la nouvelle
conception prônée par Washington, qui
souhaiterait la transformer en une
“instance politico-militaire régionale
de l’ère post-communiste”, mais destinée
à imposer les vues américaines. Désormais, l’Otan pourrait bien être réduite à
n’être qu’une force d’appoint et de
soutien lors de missions menées par un
nombre restreint de pays, voire par un
seul. La recherche du consensus pour
l’engagement d’une opération n’a en
121
N° 1046 novembre-décembre 2004
effet plus les faveurs des Anglais ni des
Américains. Mais pour les trois pays
du premier cercle, aussi bien que pour
les sept aspirants qui vont rejoindre
l’Alliance en 2004, il ne faut pas
s’attendre, comme cela avait été dit, à
ce qu’ils touchent “les dividendes de la
paix”, qui auraient consisté dans la
réduction de leurs budgets de défense
et dans un redéploiement des ressources
vers des secteurs en crise. Car les nouvelles missions, voire une éventuelle
participation à la “mutualisation” de
certains moyens en ce qui concerne
notamment le renseignement, le déploiement d’une force d’action rapide dans
des délais très courts, divers moyens
logistiques communs...) vont représenter en fait un effort supplémentaire
(autour de 2 % du PIB), avec la
contrainte de la mise aux normes technologiques américaines. C’est ainsi
qu’au lendemain du sommet de Prague
s’est engagée une concurrence féroce
entre acteurs euro-atlantiques pour la
conquête des marchés de fournitures
militaires aux futurs membres de
l’Otan. Les aspirants de la “Nouvelle
(jeune) Europe”, selon la formule désormais consacrée par les cercles néoconservateurs américains, du moins
ceux qui ont soutenu, avec des membres
de l’UE, la campagne d’Irak (Lettre
des huit également signée par les dix
du groupe de Vilnius), vont donc être
l’objet de toutes les attentions. [...]
Ainsi, la Pologne a pu bénéficier, fin
2002, d’un prêt de 3,8 milliards de dollars, garanti à 100 % par le gouvernement américain, pour l’achat de 48
appareils de combat F-16 de Lockheed
Martin, après avoir reçu en présent
deux bâtiments pour ses forces navales.
Il est probable que la Hongrie, qui
avait offert une base sur son territoire
pour l’entraînement des forces d’exilés
irakiens dûment encadrés par le
Comité pour la libération de l’Irak
reçoive une gratification sous forme de
commandes d’équipements pour l’armée
américaine. Par contre, une certaine
confusion entoure le montant accordé à
la République tchèque. [...] Quant à la
Slovaquie, elle percevra 6 millions de
dollars, des promesses d’investissements lui ont été faites, ainsi que celles
d’une participation à la reconstruction
en Irak.[...] Etant donné que le Pentagone se prépare à se désengager de ses
bases en Allemagne, pour redéployer
ses forces plus à l’Est, ces pays seront
sans doute courtisés pour accueillir des
bases américaines sur leur sol et se
verront offrir des facilités de crédit
pour des achats de matériels made in
USA, avec quelques coopérations à la
clé.»
Jaroslav Blaha, Le Courrier des pays de l’Est
«Trois “novices” dans l’Otan : quelles conséquences
pour l’industrie ?»
CPE, n°1032, février 2003, pp. 19-27
Pour plus d’informations, lire
dans Le courrier des pays de l’Est :
François Gèze, «La coopération Est-Ouest dans l’industrie électronique», n° 230, juin
1979, pp. 3-33.
Hervé Gicquiau, «La construction des ordinateurs dans le CAEM», n° 230, juin 1979,
pp. 38-47.
Laure Desprées, «Les retombées des ventes d’armes soviétiques et est-européennes sur les
relations économiques Est-Ouest», n° 297, juillet-août 1985, pp. 49-61.
Hervé Gicquiau, «Niveau technique, compétitivité et innovation dans l’industrie soviétique», n° 297, juillet-août 1985, pp. 4-21.
Hervé Gicquiau, «L’impératif de modernisation de l’appareil productif des industries
«mécaniques» de l’URSS», n° 327, mars 1988, pp. 3-21.
122
Les industries de défense
le courrier des pays de l’Est
Jaroslav Blaha, «Aviation civile et industrie aéronautique en Europe de l’Est», n° 336,
janvier 1989, pp. 29-42.
Thierry Malleret, «La conversion des industries de défense de l’ex-URSS», n° 365,
décembre 1991, pp. 25-40.
Artur Borzeda, «Le tissu industriel polonais», n° 387, mars 1994, pp. 43-63.
Jaroslav Blaha, «Les tissus industriels tchèque et slovaque», n° 404, novembre 1995,
pp. 30-66.
Edith Lhomel, «Le tissu industriel roumain», n° 407, mars 1996, pp. 27-57
Vesselin Mintchev, «Le tissu industriel bulgare», n° 407, mars 1996, pp. 3-26
Hervé Gicquiau, «Aspects industriels de la reconversion des entreprises du complexe militaroindustriel. Evolution de la reconversion de 125 entreprises du CMI», n° 414, novembre
1996, pp. 21-62.
Isabelle Sourbès-Verger, «Le secteur spatial russe», n° 414, novembre 1996, pp. 62-73
Jaroslav Blaha, «L’industrie aéronautique en Europe centrale et orientale», n° 416, janvierfévrier 1997, pp. 57-79.
Hervé Gicquiau, «Maiak, le géant du nucléaire militaire russe», n° 1004, avril 2000,
pp. 96-98.
Françoise Daucé, «Luttes politiques autour des ventes d’armes russes. Vie et mort de
Rosvooroujenie», n° 1011, janvier 2001, pp. 71-72.
123
N° 1046 novembre-décembre 2004
Le monde agricole
Eternel perdant ?
Mal aimé du système socialiste, selon
lequel seule l’industrialisation permettrait
l’instauration d’une société égalitaire et
l’épanouissement de l’homme nouveau,
le monde agricole et rural a longtemps été
regardé avec suspicion par les idéologues
communistes. Jusqu’en 1965 au moins,
les livraisons obligatoires de produits
agricoles à l’Etat moyennant des prix peu
rémunérateurs pour le producteur illustrent
la volonté des dirigeants d’encadrer et de
ponctionner un secteur qui ne bénéficiera
que trop tard, des investissements
nécessaires pour se développer.
Si le rouleau compresseur de la
collectivisation est parvenu à
fondamentalement remodeler les structures
et l’organisation des exploitations,
l’idéologie communiste s’est heurtée,
sur le terrain, à tout un ensemble de
résistances, forçant ses adeptes à amender
tantôt à la marge, tantôt sensiblement le
modèle imposé. Tandis que l’importance
du lopin individuel pour le ravitaillement
de la population obligeait, à certaines
époques, les dirigeants soviétiques mais
aussi est-allemands, tchèques ou roumains
à se montrer moins dogmatiques,
l’agriculture individuelle polonaise,
l’autonomie étendue accordée aux
coopératives hongroises ou encore le
dynamisme des entreprises agricoles
bulgares témoignaient de la diversité des
trajectoires. Quels que soient cependant
les accommodements et les semi-réussites
obtenus durant la période socialiste,
124
aucune de ces agricultures n’a pu éviter
de subir de plein fouet le traumatisme de
la transition vers l’économie de marché.
Le choc de la décollectivisation et surtout
de la libéralisation des échanges fut tel
qu’il est aujourd’hui légitime de se
demander si ce que le volontarisme aveugle
du système communiste n’est pas parvenu
à détruire, la course effrénée à la
rentabilité et au profit n’est pas en train
de le réaliser ! En effet, alors que la
restructuration des exploitations agricoles,
conséquence inévitable du morcellement
excessif des terres intervenu au début des
années quatre-vingt dix, contribuera dans
les années à venir à la baisse d’une
population active nettement plus
nombreuse, dans la plupart des cas, que
dans les pays de l’Europe occidentale, les
rigueurs de la concurrence des produits
agro-alimentaires occidentaux ajoutées
aux exigences de l’UE en matière de
normes sanitaires et vétérinaires risquent
fort d’avoir raison des potentiels agricoles
reconnus de la majorité des pays d’Europe
centrale et orientale. Seule, la Russie
devrait pouvoir tirer son épingle du jeu
sur le plan céréalier de même, peut-être,
que la Hongrie et la Pologne mais pour
des niches de production tout à fait
circonscrites. A l’inverse, les autres pays
issus de l’URSS, comme les trois Etats du
Sud-Caucase, ont perdu, avec l’implosion
de l’empire soviétique et la libéralisation
des échanges, leur fonction centrale de
fournisseurs de produits méridionaux à
leurs voisins tandis que le secteur agricole
Le monde agricole
bulgare et surtout roumain risque, à la
suite de l’intégration dans l’Union
européenne, d’être dépossédé, à court
et à moyen termes du moins, de ses très
modestes avantages comparatifs. Cette
crise agricole profonde n’est évidemment
pas sans conséquences sur le tissu rural :
quid, dans ce maelström de l’Histoire,
des hommes et des campagnes ?
L’hémorragie de main-d’œuvre et de
population qu’ont connue ces dernières
durant les vingt premières années de
l’instauration du socialisme a été
impressionnante au point que les
planificateurs de l’époque durent user,
à compter des années soixante-dix, de la
carotte et du bâton pour endiguer cet
exode. Après 1990, les restructurations et
les privatisations des entreprises, source
d’une explosion du chômage industriel
changèrent à nouveau la donne. Acculés
dans de nombreux pays post-communistes,
à commencer par la Pologne, à des
stratégies de repli et d’autosubsistance,
voire, pour les plus jeunes, à l’émigration,
des millions de paysans sont voués, dans
les quinze années à venir, à disparaître, la
population rurale se caractérisant partout
par son vieillissement et son taux élevé de
féminisation. Il est certes permis d’espérer
que l’important effort financier réalisé en
faveur des actuels candidats à l’entrée
dans l’UE et des nouveaux pays membres
dans le domaine du développement rural,
au travers notamment du programme de
pré-adhésion Sapard et du second pilier
de la Politique agricole commune (PAC),
permette une diversification indispensable
des activités agricoles, une organisation
efficace des acteurs économiques et
sociaux du monde rural, enfin une
amélioration des conditions de vie qui,
en matière d’adduction d’eau,
d’électrification ou encore de services,
restent souvent lamentables avec les cas
extrêmes des pays de la CEI. Mais
comment parvenir à ce que cette nécessaire
«modernisation» des campagnes qui
le courrier des pays de l’Est
participe d’une politique de cohésion
économique et sociale visant à réduire
les disparités régionales de pays où les
différences de niveaux de vie entre villes
et campagnes sont allées, dans la majorité
des cas, en s’accentuant depuis 1990, ne
soit pas, sur un plan sociologique et
culturel, par trop brutale ? La réponse
dépend autant des politiques
d’aménagement du territoire qui seront
mises en place que des modalités de
préservation d’un patrimoine et de
traditions qui seront retenues, s’agissant
de sociétés, encore caractérisées bien
souvent par leurs origines rurales.
Heurs et malheurs
de l’agriculture
collectivisée
«La préoccupation de l’heure à l’Est
semble être l’agriculture et chaque
pays, par des voies diverses, cherche à
en augmenter la production. En URSS,
pour ce faire, on avait déjà introduit le
salaire minimum garanti dans les
kolkhozes (coopératives agricoles). On
avait même apporté une aide officielle
aux possesseurs de lopins individuels
pour les pousser à produire davantage.
Actuellement, les autorités se penchent
sur le problème des sovkhozes (fermes
d’Etat) qui fournissent 40 % de la
production agricole du pays.
Après de longs mois d’études et de
discussions, on a annoncé fin mars, la
prochaine introduction dans l’agriculture d’une réforme similaire à celle en
vigueur dans l’industrie. On veut appliquer dans les sovkhozes les principes
d’autonomie et de rentabilité pour
abandonner la méthode ancienne, selon
laquelle les sovkhozes rentables payaient
les déficits des sovkhozes mal gérés.
La Pravda estime même que la rentabilité des fermes d’Etat s’accroîtrait
avec l’introduction de tels principes et
“si leurs activités étaient moins contrôlées d’en haut”. Deux formules sont en
125
N° 1046 novembre-décembre 2004
présence. Le comité du Plan préconise
une formule prudente à essayer dans
quelques entreprises pilotes. Certaines
autorités régionales estiment qu’il
vaudrait mieux appliquer la réforme
dans des régions entières.
Le Parti communiste roumain vient
également d’adopter des mesures
concernant les fermes d’Etat mais on
en ignore encore les principes.
En Bulgarie, enfin, se tient actuellement le premier congrès des fermes
coopératives. Le chef du gouvernement et du Parti, Teodor Jivkov, vient
de proposer la création d’une Union
autonome des fermes coopératives qui
serait une sorte d’organisme central
dirigeant les kolkhozes. Cet organisme
devrait être fondé sur les principes “de
la démocratie, du volontariat et du
financement autonome”. Il devrait
obtenir une intensification de la
production et de la productivité. Mais,
a dit T. Jivkov, “le nouveau système de
gestion rencontre toujours des obstacles”
... ce qui doit être aussi vrai en
Bulgarie qu’en URSS.»
Article non signé
«L’éternel problème agricole»
CPE, n° 76, 5 avril 1967, p. 4
● Le secteur agricole :
casse-tête des dirigeants
soviétiques
«Depuis 1917, l’agriculture a toujours
posé des problèmes aux dirigeants
soviétiques : Staline a collectivisé
l’agriculture au début des années 30, y
puisant les ressources nécessaires à
l’industrialisation du pays ; le nom de
N. Khrouchtchev est lié à la première
tentative de décentralisation de l’économie et de l’agriculture, en particulier
avec la création des “sovnarkhozes” et
des “stations de machines et tracteurs
(MTS)”, ainsi qu’à la campagne historique des “terres vierges” en 1954.
Comme ses prédécesseurs, L. Brejnev
126
s’y est trouvé confronté. Au cours de
l’Assemblée plénière du Parti communiste de l’Union soviétique de mars
1965, date qui marque une nouvelle
approche des problèmes agricoles, il a
reconnu que la stagnation du secteur
agricole était un obstacle majeur à la
modernisation de l’économie du pays
et de la société tout entière. Le point de
vue du consommateur commençait à
être pris en compte. En 1982, dans la
dernière année de son exercice, Leonid
Brejnev a annoncé le “Programme alimentaire”, vaste programme affectant
tous les secteurs du complexe agroindustriel et ayant pour but ultime
l’amélioration de l’alimentation des
Soviétiques.
Y. Andropov n’est pas resté assez longtemps aux commandes du pays pour
laisser sa marque sur l’agriculture. Il
avait hérité du “Programme alimentaire” et son équipe comptait un spécialiste avisé, Mikhaïl Gorbachev, pour
s’occuper de ces problèmes. Konstantin
Tchernenko, apparemment est plus
impliqué dans le développement de
l’agriculture qu’il définit comme “non
seulement un objectif économique
mais comme une tâche socio-politique
d’une suprême importance”.
Depuis 1965, les responsables soviétiques ont constamment cherché à
améliorer l’activité de l’agriculture
dont les bons résultats, enregistrés
certaines années, sont plus la conséquence de conditions atmosphériques
propices que d’une utilisation rationnelle des investissements énormes
consacrés à ce secteur. [...]
La mutation indispensable de l’agriculture soviétique vers une forme plus
intégrée, plus industrialisée, mieux
gérée économiquement, en un mot plus
efficace compte tenu des investissements alloués au complexe agro-industriel (le tiers du total des investissements dans l’économie), se heurte à
un certain nombre d’obstacles que la
Le monde agricole
Conférence de mars 1984 et les
communiqués réguliers sur les travaux
de la “commission pour le complexe
agro-industriel auprès du Présidium du
Conseil des ministres de l’URSS” ont
particulièrement mis en évidence. Ces
difficultés concernent autant les secteurs
en amont de l’agriculture (mécanisation, bonification, chimisation) que ceux
en aval : infrastructure routière, stockage,
prestations de services et surtout amélioration des conditions de vie en milieu
rural dont dépend le maintien dans les
campagnes d’une main-d’oeuvre de plus
en plus déficitaire. [...] Les problèmes
posés par leur introduction au niveau
de toute l’URSS démontrent que l’esprit
d’initiative et l’autonomie “à la hongroise” sont des articles difficilement
transposables en Union soviétique.»
Alain Giroux, Le courrier des pays de l’Est
«La difficile mutation de l’agriculture soviétique»
CPE, n° 285, juin 1984, pp. 3-21
De réorganisation
en réorganisation
«Sorti renforcé de l’épreuve [la guerre
1939-1945], le régime entreprit dès
1950, alors que la production dans son
ensemble avait retrouvé son niveau de
1940, une nouvelle phase de son évolution. Il s’agissait alors d’organiser en
profondeur le système socialiste de
production agricole. Les mesures d’organisation commencèrent par le regroupement des nombreux kolkhozes, de
dimensions souvent restreintes (10 à
30 foyers), en grosses unités dont la
taille répond aux moyens modernes de
production et de gestion. Le renforcement
des kolkhozes commença en 1950. Le
terme d’agroville lancé au début de
l’opération pour désigner l’agglomération qui devait se créer à la campagne,
effaroucha et fut abandonné. Mais la
réalité qu’il représente avec un mode
d’habitat quasi urbain, centre d’une
exploitation scientifique où le champ
et l’étable remplacent l’usine et ses
ateliers, demeure tacitement l’objectif
à terme.
le courrier des pays de l’Est
Aussi bien la réorganisation des kolkhozes continua-t-elle après la mort de
Staline par une série de mesures institutionnelles et économiques : planification allégée dès 1955 (on en était
venu à imposer dans les enquêtes
demandées aux kolkhozes 8 fois plus
d’indices en 1953 qu’en 1940) ; suppression des contraintes liées à l’existence des MTS avec la réorganisation
de celles-ci en Stations techniques de
réparation (RTS) en 1958 et concentration de l’initiative de la production
dans les kolkhozes avec une cascade
de réorganisations administratives.»
Inna Kniazeff
«Cinquante ans d’agriculture soviétique.
Les moyens mis en œuvre»
CPE, n° 107, 17 juillet 1968, pp. 13-25
Le profit individuel : hérétique
mais indispensable !
«Le XIIe quinquennat (1986-1990)
apparaît comme celui pendant lequel
s’impose “un sérieux changement dans
le style et les méthodes d’encadrement” ; le collectif de base, celui qui
laboure, sème, récolte doit se sentir
“patron” (khoziaïn) de la terre dont il a
la responsabilité. C’est de son travail
dont dépend en fin de compte la
production agricole. C’est pourquoi,
depuis 1982, on parle beaucoup des
“contrats collectifs” et en général de
toutes les formes d’organisation qui
permettent d’obtenir des rendements
élevés, et par là, des gains substantiels.
[...] Les mesures adoptées visent à augmenter, à tous les échelons, l’intéressement des travailleurs aux résultats
finaux. Meilleure est la récolte, plus
hauts sont les salaires et plus fortes
sont les primes. Cette recherche du
profit doit être le moteur de la productivité. La rentabilité doit être la règle
d’or des entreprises. C’est la raison
pour laquelle les autorités généralisent
l’introduction de l’autonomie comptable
et l’organisation du travail sur la base
des contrats collectifs.
127
N° 1046 novembre-décembre 2004
Mais parallèlement à cette campagne
pour la rentabilité et l’efficacité, un
débat s’est installé dans la presse,
depuis un an environ, sur d’autres formes
d’organisation du travail d’autant plus
intéressantes qu’elles enregistrent des
succès importants sur le plan de la production et rapportent des gains substantiels à ceux qui les pratiquent, alors
que la majorité des rapports sur les
contrats collectifs font état de grandes
difficultés de fonctionnement dans les
conditions actuelles. Le débat, ou plutôt
la polémique, porte sur la notion
“d’argent bien ou mal gagné” et témoigne
de la sensibilisation d’une grande partie
de la population pour des problèmes
dont les dirigeants vont avoir à tenir
compte dans un avenir proche.
La campagne pour l’introduction des
contrats collectifs ou “brigade sous
contrat” a commencé en 1979 et s’est
surtout développée en 1981-1982 [...].
Nous rappellerons seulement qu’il s’agit
de petites équipes, responsables, pour
une superficie donnée, de tout le cycle
agricole − des labours à la récolte − et
qui s’engagent par contrat passé avec
le kolkhoze ou le sovkhoze, à fournir
une certaine récolte. L’entreprise agricole dont ils dépendent doit leur fournir
tout le matériel nécessaire. [...]
Certains exemples en disent long sur
les problèmes qui se posent à l’existence des contrats collectifs. Souvent
les membres des collectifs se séparent
au bout de un, deux ou trois ans pour
incompatibilité d’humeur ou bien
parce que l’équipe n’a pas les moyens
de fonctionner correctement. Mais la
revue Eko cite le cas de conducteurs de
machines qui, dans le cadre d’un
contrat collectif percevaient des salaires
mensuels de 500 à 600 roubles et qui
ont préféré retourner à leur ancienne
affectation pour un salaire de 250 roubles, une fois leurs “poches remplies”,
pour la simple raison que gagner plus
était inutile dans la mesure où “il n’y
avait rien à acheter”. [...]
128
Les contrats familiaux ne semblent
pas, par contre, se heurter aux mêmes
obstacles que les contrats collectifs.
Cela fait plusieurs années que ces formes
d’organisation existent d’une manière
non officielle dans différentes parties
du pays : Estonie, Lituanie, Lettonie,
Géorgie, Ouzbékistan, Moldavie, Crimée,
Kouban, terres non noires. Après s’être
implantées dans la culture du tabac, du
raisin, des légumes, elles se développent
maintenant dans la production laitière.
[...]
Le secret de la réussite de ces familles
sous contrat est évident. Se sentant
responsables de leur troupeau, elles
travaillent beaucoup plus que les autres ;
l’autonomie comptable s’appliquant
tout naturellement au sein de la
famille, il n’y a pas de problèmes de
répartition des primes. Jusqu’à présent,
cette forme d’organisation n’avait pas
de caractère officiel, aucun statut ne
venant la réglementer, contrairement
aux contrats collectifs. De plus, beaucoup de directeurs d’entreprises, de
responsables locaux et de particuliers
sont méfiants par rapport à cette forme
d’organisation du travail qui procure
des revenus considérés par eux comme
trop importants et donc suspects. Il est
vrai que, au sein des entreprises agricoles, cette disparité de revenus fait de
nombreux jaloux, même si les gains
obtenus le sont grâce à un travail réel.
[...]
En même temps que le contrat familial,
le “contrat individuel” est également
officialisé. Il s’agit, sur le même modèle,
d’un contrat passé avec une seule
personne. Par contre, à ce sujet, les
exemples manquent.
Travailleurs modèles pour les uns,
parasites sociaux pour d’autres, les
chabachniki sont en fait des travailleurs saisonniers qui passent des
contrats avec des entreprises agricoles
pour assurer la culture et la récolte de
melons, d’oignons, de légumes. Leur
Le monde agricole
le courrier des pays de l’Est
statut n’est défini par aucun document.
Ils se déplacent par équipes de 5 à
8 personnes et viennent surtout des
républiques du sud de l’URSS (Arménie
entre autres). Leur but avoué est de
gagner le maximum d’argent mais les
rendements qu’ils obtiennent dépassent
de loin ceux des travailleurs officiels.
[...]
départ, mais la productivité agricole
hongroise dépasse celle de la Pologne
au prix d’acquisitions technologiques
coûteuses. En tout état de cause, spécialisation et intégration forment le
tronc commun de ces voies qui, toutes,
aboutiront à l’industrialisation agroalimentaire à plus ou moins long
terme. [...]
Les possesseurs de lopin :
fournisseurs de produits
ou spéculateurs ?
Diversité des trajectoires :
entre «modèle hongrois»
et «exception polonaise»
L’importance de l’agriculture privée
est reconnue par les responsables. En
1977 et 1981, des textes importants ont
été pris pour soutenir ce secteur d’activité. Actuellement 12,6 millions de
kolkhoziens, 11 millions de travailleurs
des sovkhozes et environ 9 millions
d’employés et de travailleurs citadins
possèdent un lopin. Il faut ajouter à
cela également 9 millions de familles
qui participent aux jardins collectifs
(horticulture). Les lopins contribuent
pour 25 % au produit agricole de
l’URSS et les revenus procurés par
l’exploitation privée représentent en
moyenne 20 % des revenus globaux
des familles. La surface utilisée par les
lopins atteint 8 millions d’hectares.»
En Hongrie, la relance de la socialisation agraire par les coopératives est
massive entre 1958 et 1961. Le mouvement est achevé en 1961 (82 % de la
SAU). Elle prend la forme d’un compromis attractif pour les paysans,
conçu pour obtenir leur adhésion au
mouvement. Il semble que la pression
idéologique ait joué un rôle moins
important qu’en RDA. Par contre,
l’effort massif d’apport de moyens de
production industriels et de soutien
technique et financier semble avoir
joué un rôle décisif ; il est remarquable
eu égard aux possibilités limitées de
l’industrie hongroise et du CAEM.
Mais le trait le plus original de cette
relance hongroise est une autonomisation économique exceptionnellement
précoce et poussée des coopératives
agricoles, qui se renforce par étapes
tout au long des années 60. [...]
Alain Giroux, Le courrier des pays de l’Est,
«Gorbatchev et l’agriculture : cinq ans pour convaincre»
CPE n° 305, avril 1986, pp. 3-21
● Europe centrale : du dogme...
à la mise en oeuvre
«Une étude comparative du cheminement des réformes depuis 1945 permet
d’embrasser un certain nombre de problèmes, sinon de tirer une conclusion
définitive sur la “voie socialiste” en
matière d’agriculture. L’industrialisation de la RDA lui a sans doute permis
de résoudre plus vite les problèmes
d’intégration du secteur agricole ;
Hongrie et Pologne cherchent chacune
la meilleure voie pour absorber une
main-d’oeuvre agricole importante au
En Pologne, on assiste à un assouplissement des rapports Etat-paysans.
Après 1956, les contraintes globales
qui pesaient sur l’agriculture minifundiaire se sont progressivement détendues. On renonce à une collectivisation
rapide ; une nouvelle stratégie industrielle accorde plus d’importance aux
biens de consommation et aux moyens
de production agricoles ; une légère
détente démographique se produit du
fait de la résorption partielle du sousemploi rural par l’industrialisation
extensive et du développement massif
de l’agriculture à temps partiel (notam-
129
N° 1046 novembre-décembre 2004
ment dans les zones industrialisées du
Sud-Est). Pourtant, le dynamisme démographique reste assez puissant pour
maintenir à peu près au même niveau
la population active agricole entre
1960 et 1970.
Tout ceci permet très progressivement,
et avec des “hésitations” traduisant une
incertitude sur la nouvelle problématique du développement agricole, la
mise en place d’une articulation assouplie entre secteur d’Etat et exploitations agricoles coopératives et individuelles (qui utilisent désormais plus de
80 % de la surface agricole). [...]
Le caractère indirect de la planification
agricole (sauf pour le secteur d’Etat)
s’affirme donc : réduction de la place
relative des livraisons obligatoires (supprimées en 1972 seulement) au profit
des contrats, rôle accru des prix et du
crédit (distribué par des coopératives
d’épargne et de prêt). Il y a donc “autonomisation” des unités agricoles comme
en Hongrie, mais à un niveau beaucoup
plus réduit, celui de la ferme paysanne.
[...]
A la fin des années 60, la déconcentration territoriale de la planification et le
rôle croissant des “leviers économiques”
indirects pouvaient laisser penser que
l’on se rapprochait progressivement de
la voie hongroise de “planification indirecte”. Le mouvement de concentration
des coopératives, parallèle en Hongrie
et en RDA, bien que situé à un niveau
différent (deux fois plus de surface et
trois à quatre fois plus de travailleurs
par coopérative en Hongrie), allait dans
le même sens.
Compte tenu des nouveaux moyens
techniques disponibles poussant à la
constitution de grands ateliers de production, deux voies possibles s’ouvraient
en fait :
soit l’accélération brutale de la concentration de coopératives restant polyva-
●
130
lentes. C’est schématiquement la voie
choisie par la Hongrie (aujourd’hui
près de 4 000 ha agricoles par coopérative et 7 000 ha par ferme d’Etat, en
partant de 1 800 et 3 000 environ en
1970), transformée cependant par les
“systèmes” spécialisés ;
soit l’éclatement des coopératives
polyvalentes en ateliers spécialisés et
le regroupement de ceux-ci en nouvelles
grandes associations spécialisées qui
deviennent progressivement des unités
de production économiquement puis
juridiquement séparées des “coopératives mères”. C’est la voie que la RDA
a suivie à partir du VIIIe congrès du
SED (1971). [...]
●
Entre 1967 et 1970, l’agriculture individuelle polonaise avait connu une
quasi-stagnation de sa production,
résultant en partie des incertitudes sur
son sort et d’une politique exagérée
d’autarcie fourragère (prix élevés et
rareté des céréales et fourrages, bas
prix des produits animaux) décourageant la production animale. Ceci avait
contribué indirectement au déclenchement des émeutes urbaines de décembre
1970. […] En attendant que la socialisation agraire puisse se généraliser
grâce à un exode agricole massif
(prévu surtout dans les années 80), on
risque donc de voir éclater l’agriculture familiale en deux groupes séparés,
plus concurrents sur les moyens de
production mécaniques et l’accès aux
circuits agro-industriels d’aval que
complémentaires : d’un côté des exploitations ou petits groupes d’exploitations, de taille plutôt grande, très intégrées dans ces circuits, intensives et
spécialisées ; de l’autre côté, des petites
fermes paysannes en voie de repli
semi-autarcique, de marginalisation et
de paupérisation.»
Alain Pouliquen, chargé de recherche à l’Inra de
Montpellier
«Trois voies de restructuration agraire :
Hongrie, Pologne, République démocratique allemande»
CPE, n° 208, juin 1977, pp. 3-25
Le monde agricole
Les agricultures
socialistes dans la
tornade de la transition
● A qui appartiendra la terre ?
«La privatisation de l’agriculture pose
un nombre impressionnant de problèmes
que l’on peut au moins tenter d’organiser autour de quelques points.
Les nouveaux pouvoirs issus des
élections législatives des années 19901991 ont eu à trancher une question
économiquement et socialement délicate et politiquement très sensible :
faut-il ou non restituer les terres à leurs
anciens propriétaires ou les indemniser ? Cette indemnisation (dite encore
compensation), dont il s’agit de fixer le
montant alors que le prix de la terre est
encore fictif, doit-elle leur ouvrir la
possibilité d’acheter, avec (ou non) une
priorité sur les autres acheteurs, d’autres
terres ou encore de devenir actionnaire
dans une ferme d’Etat ou coopérative,
transformées en sociétés par actions ?
●
Dans quelle mesure faut-il démanteler
et liquider les anciennes coopératives
et fermes d’Etat et se priver ainsi de la
possibilité − dans le cas où ces unités
sont réputées pouvoir être rentables −
de conserver en l’état des superficies
importantes, gages de performances
prometteuses ? Si, dans le cas des fermes
d’Etat, les terres que l’Etat s’était
appropriées avaient appartenu à un
nombre restreint de propriétaires
souvent facilement identifiables (grande
noblesse, Eglises, communautés allemandes dans le cas de la Tchécoslovaquie et de la Pologne), la situation
est plus complexe pour les coopératives
qui ont accaparé l’ensemble ou partie
des terres, les propriétaires les ayant
“concédées” à titre d’usufruit.
●
La transformation des coopératives
en sociétés par actions ou à responsabi●
le courrier des pays de l’Est
lité limitée s’adresse-t-elle en priorité à
ceux qui ont cultivé les terres concernées
quatre décennies durant et qui peuvent
donc prétendre, en fonction de leur
investissement en travail, à une parcelle
de terre ou à quelques actions gratuites
ou non ? Faut-il ouvrir la prise de participation aux étrangers, voire permettre à
ceux-ci l’achat de terres ?
Comment, une fois encore en l’absence de marché foncier, fixer les critères
de location-bail, formule qui, dans le
cas où la procédure de restitution est
choisie, se posera sans aucun doute, les
anciens propriétaires ou leurs héritiers
n’ayant pas l’intention, généralement,
de gérer eux-mêmes leurs terres ?
●
Autant de questions que viennent
encore compliquer les multiples aménagements fonciers qui rendent impossible, aujourd’hui, la reconstitution de
l’ancienne parcelle ou même sa simple
identification dans des pays où, au vide
juridique, s’ajoute l’absence de mise à
jour des cadastres. Enfin, il faut aussi
compter avec les conflits d’intérêts
entre une nomenklatura locale (directeurs de coopératives, ingénieurs agronomes, secrétaires du Parti communiste,
responsables des stations de machines
agricoles) qui a régné sans partage sur
la paysannerie et tous ceux désireux de
“(re)monter” leur petite exploitation,
entreprise périlleuse dans un contexte
de récession économique et de concurrence. [...]
● Bouleversements
dans la production et l’emploi
La privatisation des terres implique
non seulement un processus de décollectivisation de celles-ci − qui n’est en
fait pour l’heure que partiellement
amorcé − mais aussi un formidable
désengagement de l’Etat à la mesure
de l’emprise qui fut la sienne en système communiste ; elle provoque donc
un nombre important de perturbations.
131
N° 1046 novembre-décembre 2004
Sur la production agricole. L’incertitude qui règne sur l’identité des propriétaires de milliers de parcelles
n’incite guère les paysans à engager
leurs ressources financières pour
autant qu’ils puissent en avoir, dans
des cultures dont ils ne sont pas sûrs de
récolter le bénéfice. C’est ainsi que des
centaines d’hectares n’ont été ni ensemencés, ni emblavés pour la seconde
année consécutive pour cause d’incertitude sur l’identité du véritable
propriétaire de la terre ou pour nondétention en bonne et due forme du
titre de propriété [...].
●
Sur l’emploi. Les problèmes y sont de
deux ordres. Le premier se pose essentiellement dans les pays qui ont choisi
de redistribuer les terres à une myriade
d’anciens propriétaires qui, partis
depuis travailler à la ville, ne sont
nullement disposés à opérer “un retour
à la terre” mais uniquement prêts à
recueillir les fruits d’une location ou
d’un fermage pour lesquels il faudra
également définir des cadres juridiques.
[...]
●
Le second recouvre l’immense perte de
savoir-faire en raison de la destruction
du rapport à la terre durant quatre
décennies et de la “taylorisation” des
tâches agricoles au sein des coopératives et des fermes d’Etat. Une telle
réalité soulève également le problème
de la perte du sentiment de responsabilité individuelle, que l’on retrouve
partout évoqué au niveau de l’ensemble
des acteurs économiques et sociaux de
ces pays. [...]
Sur l’amont et l’aval de la production
agricole. Le désengagement de l’Etat
qu’implique la rupture avec l’ancien
système planifié signifie le démantèlement des monopoles pour lequel
chaque pays a mis en place un dispositif juridique ainsi que le rétablissement, à tous les niveaux de l’activité
économique, des règles de la concurrence. En amont de la production agri-
cole, cela signifie que, brutalement, les
centres d’approvisionnement en intrants
(machines, semences, produits phytosanitaires, engrais) se sont transformés
en sociétés commerciales, libres de
fixer leurs tarifs en fonction de l’état
de l’offre et de la demande. Mais en
attendant que cette nouvelle réalité soit
plus qu’une création juridique et se
concrétise sur le terrain, les principaux
fournisseurs d’intrants, maîtres du jeu
de l’offre et de la demande, en l’absence
de toute concurrence réelle, font régner
leur loi sur les utilisateurs. [...]
● Europe centrale et orientale :
révolution agraire
ou décollectivisation
en douceur ?
L’aggravation de la situation dans le
secteur agricole et partant du sort des
agriculteurs a essentiellement pour
causes :
les coupes sombres opérées dans les
dépenses budgétaires au nom de la
restauration des grands équilibres
financiers et budgétaires et qui ont
durement éprouvé un secteur réputé
pour avoir été particulièrement “aidé”
par l’Etat ; [...]
●
la libération des prix : parallèlement à
des hausses sensibles du coût de leurs
intrants (énergie, engrais, semences,
fourrage), les paysans n’ont pas bénéficié en proportion de la hausse des
prix de détail des produits alimentaires
en raison de l’écran dressé par les
monopoles de l’aval ; [...]
●
●
132
la chute de la demande intérieure,
conséquence directe des baisses impressionnantes du pouvoir d’achat subies
par l’ensemble des populations, a
engendré des phénomènes de mévente
dans les pays où le déséquilibre entre
l’offre et la demande au détriment de la
seconde était, du moins dans le
domaine des produits alimentaires de
●
Le monde agricole
base, peu important : en Hongrie, en
Pologne, en Tchécoslovaquie ; [...]
la dislocation du CAEM avec surtout
la perte des marchés de l’ex-URSS et
de l’ex-RDA, ont largement contribué
à cette situation de mévente, privant
ces pays, surtout la Hongrie, de plus de
la moitié de leurs débouchés dans le
secteur agricole et agroalimentaire ;
●
enfin, cette mévente s’est encore
accentuée avec la libéralisation des
échanges extérieurs et l’arrivée de
quantités importantes de produits occidentaux, notamment laitiers, dont la
qualité ou, plus simplement, la présentation et le conditionnement ont eu
immédiatement les faveurs des consommateurs, contraignant les producteurs
locaux à brader leurs produits. [...]
●
Au terme de deux années de débats, la
privatisation des terres, objectif que se
sont fixé la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Roumanie, la
Bulgarie, l’Albanie, commence à peine
à se concrétiser. Cette opération en plusieurs temps a débuté selon des modalités différentes en fonction tant des
majorités gouvernementales en place
que de l’état et de la place dans l’économie du secteur agricole ; si les pays
d’Europe orientale ont très rapidement
initié une “révolution agraire”, ceux
d’Europe centrale connaissent un
processus de décollectivisation en
douceur. L’échec de la socialisation des
terres et le niveau de vie souvent précaire
des paysanneries en Roumanie ou
encore en Albanie ont incité celles-ci à
rejeter d’un bloc l’ancien système tandis
que les dirigeants ex-communistes
visaient, en répondant à cette “faim de
terres”, à acquérir une nouvelle légitimité et surtout une clientèle électorale.
En Europe centrale, les réactions des
populations rurales et la réponse des
politiques furent moins radicales.»
Edith Lhomel, Le courrier des pays de l’Est
«Privatisations et politiques agricoles en Europe
centrale et orientale»
CPE, n° 367, mars 1992, pp. 3-43
le courrier des pays de l’Est
● Russie : la sécurité
alimentaire menacée ?
«L’agriculture est-elle, en Russie, la
grande perdante dans la course engagée
pour le passage à l’économie de marché ?
A la lecture de certaines déclarations
officielles, des médias, des revues spécialisées russes qui dressent un sombre
tableau de la situation, corroboré par
de nombreuses analyses d’observateurs
étrangers, on pourrait le penser. Le
gouvernement russe, face aux critiques,
affiche lui-même ses préoccupations.
Le secteur agricole − ainsi que celui
des industries agro-alimentaires − a
toujours été un problème majeur pour
l’économie soviétique et russe. Selon
le puissant lobby agrarien, il s’agit
maintenant pour la Russie d’assurer sa
“sécurité alimentaire” face à l’effondrement de la production nationale et à
la concurrence croissante des produits
étrangers meilleur marché mais de
qualité considérée comme inférieure.
Le consommateur russe ne se plaindra
pas, quant à lui, de voir nombre de
commerces et de petites boutiques lui
proposer ces produits. Le danger de
pénuries extrêmes − qui faisait la une
des médias au début de la décennie et
qui a déclenché l’aide alimentaire de
l’hiver 1990-1991 − semble bien écarté
même si on assiste à une baisse insidieuse des rations alimentaires chez
une part importante de la population.
A une époque pas si lointaine, par plaisanterie et pour en souligner les faiblesses chroniques, on disait que l’agriculture soviétique était frappée par
quatre maux : le printemps, l’été, l’automne et l’hiver. Les fluctuations du
climat ont bien sûr toujours une incidence sur les récoltes, comme l’a
prouvé de nouveau cette année la
sécheresse qui a affecté la Russie. De
leur côté, les dysfonctionnements récurrents du secteur, hérités de l’URSS, ont
été depuis longtemps répertoriés et
analysés. Cependant, avec la difficile
transition vers l’économie de marché,
133
N° 1046 novembre-décembre 2004
d’autres difficultés sont venues s’y
ajouter. Elles concernent surtout l’approvisionnement en amont (équipements, engrais, etc.) qui s’est notablement détérioré depuis 1992, le financement du secteur agro-alimentaire, le
cours chaotique de la réforme agraire et
des privatisations, les difficultés financières des agriculteurs, la difficile
concurrence face aux importations, la
baisse de la demande solvable d’une
majorité des consommateurs. [...]
Les avatars de la réforme
agraire
Le processus de la réforme agraire a
vraiment commencé à la fin des années
80 avec le lent développement des
fermes familiales, encouragé par
Mikhail Gorbatchev. Entre novembre
1989 et mars 1990, le Soviet suprême
de l’URSS a adopté les lois sur les
baux, sur la propriété, sur la terre, qui
ont permis à des individus et à des
familles de contracter des baux à long
terme à l’extérieur et à l’intérieur des
kolkhozes et des sovkhozes. A la fin de
1990, le Soviet suprême de la Fédération de Russie a été plus loin avec
l’adoption de lois sur l’exploitation
(ferme) paysanne, sur la réforme agraire,
sur le développement social des campagnes. Sans engager une véritable
redistribution des terres, elles mettaient en place des mécanismes permettant aux paysans d’acquérir des
terres en propriété privée sans qu’ils
aient cependant le droit de la vendre à
une autre personne privée. [...]
Ces quatre dernières années apparaissent donc comme le temps des occasions ratées pour la réforme agraire.
Celle-ci a commencé avec la restructuration des entreprises agricoles alors
que les réformes financières et le développement des infrastructures n’ont
pas suivi. L’agriculture russe continue
de connaître un énorme gaspillage dû
aux conditions de la récolte, de stockage, de transports. Chaque année, 30
134
à 40 % des produits agricoles sont
perdus pour les consommateurs. Les
retards qui s’accumulent, la situation
dans laquelle se trouve actuellement le
complexe agro-industriel hypothèquent
une amélioration dans un avenir proche.
Les signes encourageants enregistrés
ici et là sont le résultat d’initiatives
locales prises par des entrepreneurs et
des autorités dynamiques anticipant
sur les mesures fédérales. Comme dans
les autres secteurs de l’économie, la
Russie a besoin d’aide extérieure et
celle-ci − y compris celle de la Banque
mondiale qui soutient la réforme
agraire − reste et restera sans doute
insuffisante. Les importations continueront à alimenter une grande partie
du marché urbain russe et les paysans
vont faire le rude apprentissage de la
concurrence. [...] La résurrection de
l’agriculture reste pour elle un des
grands défis du troisième millénaire.»
Alain Giroux, Le courrier des pays de l’Est,
«L’agro-alimentaire russe en panne
entre réforme et conservatisme»
CPE, n° 405, décembre 1995, pp. 3-24
Productions et échanges
agricoles : des évolutions
paradoxales
● De l’URSS à la Russie :
des rendements en dents
de scie
«L’agriculture soviétique demeure une
agriculture extensive dans son ensemble.
C’est la première constatation qui
s’impose et il suffit pour s’en convaincre
de comparer la concentration et
l’intensité de la production agricole
dans les exploitations collectives et
étatiques, à celles des “lopins” individuels : sur 6 % des surfaces cultivées
du pays, les lopins occupent plus de
30 % du temps de travail dépensé dans
l’agriculture et produisent environ le
tiers de la production agricole de
l’URSS. [...]
Le monde agricole
Le développement extensif de la production agricole a ses limites naturelles
mais des possibilités s’ouvrent encore
à l’URSS dans cette voie. Mais une
agriculture extensive n’est pas l’indice
d’une économie développée. Une production intensive par contre permet
d’accroître les rendements et de réduire
les coûts, mais elle suppose que des
moyens techniques et financiers y soient
affectés. Les efforts portés dans ce
domaine par les dirigeants de l’économie
soviétique depuis une décennie sont
considérables. Ils demeurent pourtant très
insuffisants et sont loin d’avoir atteint
tous les effets possibles et souhaitables.
Le caractère extensif de la production
agricole se traduit, en particulier, par
des variations annuelles de production,
considérables, qui sont un des handicaps de la croissance de l’économie
soviétique. Sur la période de cinq ans
qui a été observée, les dix régions économiques que l’on peut considérer
comme les régions agricoles développées de l’URSS sont responsables de
65 à 82 % des variations de la production agricole. En réalité, quatre d’entre
elles influent de façon décisive sur ces
variations ; ce sont d’une part le
Caucase-Nord, et, d’autre part, les trois
régions caractérisées par une agriculture extensive du Kazakhstan, de la
Sibérie occidentale et de la Volga [...].
Ainsi, ces régions qui représentent
28 % de la production agricole de
l’URSS sont responsables de 62 % de
l’accroissement de la production en
1966 et de 70 % de la diminution de
cette production en 1969.
La production céréalière, élément déterminant qui polarise la politique agricole
de l’URSS, est une de celles dont le
développement est le moins intensif.
C’est celle aussi qui accuse les écarts de
récoltes les plus considérables.»
Chantal Beaucourt, Groupe d’études prospectives
internationales (CFCE)
«Le potentiel agricole de l’URSS. Une approche régionale»
CPE, n° 170, janvier 1974, pp. 9-31
le courrier des pays de l’Est
Hier, dépendante en céréales
«Rarement dans l’histoire économique
récente un fait aussi banal en soi que
l’achat de blé sur le marché mondial
pour pallier une défaillance de la production intérieure a suscité un retentissement aussi considérable que les
importations de 24 millions de tonnes
de blé et de 2 millions de tonnes de
farine effectuées par l’URSS de fin
1963 à 1967.
C’est en effet tout le modèle de l’agriculture socialiste à travers le mythe de
son inhérente supériorité qui s’est
trouvé ainsi battu en brèche. L’événement a pris plus de relief encore
peut-être en raison de l’abondance bien
connue des terres arables, réparties
sous les cieux les plus divers, qui était
censée compenser largement les éventuelles erreurs de gestion d’une politique agricole mal inspirée. L’incapacité subséquente où a été l’URSS de
subvenir aux besoins des démocraties
populaires et des autres pays amis,
sinon par le biais d’un mécanisme
d’achat et de revente n’a pas peu
contribué non plus à entacher le prestige général de ce pays.
Quoi qu’il en soit, le coût politique des
mauvaises récoltes de blé de 1963 et de
1965 l’emporte de très loin sur la
dépense en devise proprement dite.
[...] Résolu dans l’immédiat (grâce aux
importations), comment se présente le
problème du blé et des céréales en
général, pour les prochaines années ?
La tâche que doit résoudre l’agriculture
soviétique n’est pas si malaisée
puisque les céréales étant cultivées sur
plus de 120 millions d’hectares, il suffirait d’accroître les rendements d’un
peu plus de 2 quintaux à l’hectare et de
les élever à 16 quintaux pour porter la
récolte globale à 200 millions de tonnes.
C’est là un objectif qui n’est nullement
irréalisable car il fait appel pour
l’atteindre à la mise en œuvre de tech-
135
N° 1046 novembre-décembre 2004
niques agronomiques pas très évoluées.
[...] Mais il ne suffit pas de produire
des céréales, faut-il encore pouvoir les
conserver et les stocker. La presse s’est
fait l’écho à plusieurs reprises des
nombreuses pertes enregistrées dans ce
domaine, notamment dans les zones
reculées du pays...»
Conseiller commercial Ambassade de France à Moscou
«L’URSS a-t-elle résolu son problème de blé ?»
CPE, n° 113, janvier 1969, pp. 63-67
Demain, sérieuse concurrente
de l’Union européenne ?
«La réforme foncière [loi de juillet
2001] intervient à un moment où
l’agriculture russe fait preuve d’une
indéniable capacité de rebond. [...]
Bien que la situation sur le terrain soit
contrastée, certaines régions et certaines
fermes faisant preuve d’une réelle vitalité alors que d’autres périclitent de
manière parfois pathétique, on peut
schématiquement distinguer trois phases
dans l’évolution de l’agriculture russe
depuis le début de la transition : dans
la première moitié des années 1990, le
secteur subit une série de chocs extrêmement brutaux qui entraînent une
contraction marquée de l’offre ; puis,
se mettent en place de ci de là des
mécanismes d’adaptation qui permettent
d’enrayer la chute de la production ;
après la crise financière de 1998, ces
mécanismes se généralisent et débouchent sur une reprise soutenue de l’offre
des productions végétales, le secteur
animal n’ayant que très récemment
amorcé son rebond. [...]
Comme pour la politique des marchés
agricoles, il paraît donc probable que
la Russie avancera à tâtons s’agissant
des transformations apportées aux structures agraires. Si la libéralisation de la
réglementation foncière permettra
incontestablement aux grandes agroholdings d’acquérir plus facilement
d’immenses domaines agricoles et surtout de mieux estimer leur valeur, elle
n’éliminera pas du jour au lendemain
136
les grandes exploitations collectives. A
priori, celles qui sont bien gérées et
rentables devraient garder les moyens
d’une certaine autonomie. Quant à celles
qui sont en faillite et surendettées (au
début de 2001, les dettes accumulées
représentaient 7,7 milliards de dollars,
soit l’équivalent de 60 % de la production des grandes fermes collectives,
dont une grande partie n’est pas mise
sur le marché), elles constitueront à
l’évidence des cibles privilégiées pour
des prédateurs extérieurs. Mais leur
remise à flot demandera des efforts
considérables, la variable décisive
dans leur approche étant le facteur
humain. [...]
Pour toutes ces raisons, il est clairement de l’intérêt stratégique des nouveaux investisseurs agricoles, qui
pèsent d’un poids déterminant sur les
décisions politiques, de favoriser
l’émergence de réseaux de véritables
fermiers entrepreneurs auxquels ces
agro-holdings apporteraient des biens
fonciers et du capital. Couplé avec la
reconstitution d’un système national de
crédit à l’agriculture, celle-ci pourrait
s’orienter vers un modèle de développement assez proche de celui qui fit la
fortune de l’Angleterre au XVIIe siècle
et qui était basé sur la complémentarité
entre landlords et farmers liés par des
contrats de fermage ou de métayage à
très long terme.
Si un tel modèle venait à se mettre en
place, la production agricole russe
serait susceptible de connaître une
croissance soutenue dans les prochaines
années. Elle pourrait en effet tirer parti
d’un volant considérable de terres en
friches qu’il serait relativement aisé de
remettre en cultures ou au moins en
prairies artificielles. Quant à la maind’œuvre, elle serait largement suffisante pour faire face à la fois à une
intensification de la production végétale et à la relance de l’élevage. Certes,
d’après la FAO, la part de la population
agricole dans le total de la population
Le monde agricole
active ne dépasse pas aujourd’hui
10,5 % en Russie, contre 21,7 % en
Pologne, mais le découpage des terres
y est remarquablement bien adapté à la
mécanisation, les champs étant dans les
terres noires, par exemple, de l’ordre de
70 à 100 hectares d’un seul tenant.
Sous réserve d’une bonne gestion,
l’agriculture russe pourrait ainsi devenir
à terme l’une des plus productives
d’Europe.
Dans ce contexte, on comprend les
angoisses des responsables de l’UE et
des milieux paysans européens qui
craignent les retombées pour leurs
marchés d’un boom agricole russe. Ces
craintes sont partiellement fondées.
Les coûts de production étant aujourd’hui très bas, en raison à la fois de la
faible utilisation d’intrants chimiques
(engrais, pesticides) et de salaires inférieurs à 50 dollars par mois, dont en
outre une grande partie en nature, il
suffirait de 3 milliards de dollars pour
emblaver les 30 millions d’hectares de
terres abandonnées à la friche depuis le
début de la transition. Si l’on y ajoute
la réduction des jachères au niveau
d’avant la transition, et sous réserve du
maintien des rendements à la hauteur
de ces dernières années, la Russie
serait en mesure de produire environ
130 millions de tonnes de céréales,
contre un peu plus de 85 millions
actuellement. Aussi la menace pour
l’équilibre précaire des marchés internationaux, si ces volumes venaient à
s’y déverser, est-elle majeure. [...]
La Russie a donc aujourd’hui le choix
entre une agriculture qui, partiellement
contrôlée par les oligarques, resterait
durablement sous-capitalisée et donc
incapable d’augmenter sa production ;
ou une agriculture qui, progressivement, permettrait l’émergence d’une
nouvelle catégorie de fermiers entrepreneurs rappelant à certains égards les
koulaks d’antan. Dans ce dernier cas,
les contraintes de l’espace et les
le courrier des pays de l’Est
besoins du marché intérieur favoriseraient un rééquilibrage en faveur de
l’élevage, éloignant définitivement
le “spectre” d’une inondation des marchés européens par les blés russes.»
Christophe Cordonnier, Cercle Kondratieff
«Russie. Droit foncier et stratégies agricoles»
CPE, n° 1034, avril 2003, pp. 4-13
● Europe centrale
et orientale : une capacité
d’exportation toute relative
«Dans les prochaines années, les pays
de l’Europe de l’Est espèrent développer
leurs exportations agricoles et alimentaires vers le monde occidental et plus
particulièrement vers l’Europe de l’Ouest,
à l’instar des pays occidentaux qui
nourrissent des ambitions fort similaires, mais de sens contraire.
Certes, les agricultures est-européennes
éprouvent des difficultés persistantes et
chroniques à bien des niveaux. Production, qualité, productivité, gestion et
organisation de l’agriculture comme de
l’industrie agro-alimentaire sont autant
de points sensibles dans ces pays qui
traditionnellement exportent de la
viande, des produits laitiers, des fruits
et des légumes frais et en conserve sur
les marchés en devises fortes. Mais
jusqu’à présent encore, il leur faut se
procurer, en devises, le blé et les céréales
fourragères qu’ils ne parviennent pas à
produire en quantités suffisantes pour
répondre à la demande croissante de la
population et surtout pour assurer la
réalisation de leurs programmes d’expansion de l’élevage. Jusqu’à présent
encore, les populations de ces pays
connaissent des moments de pénuries
pour certains produits alimentaires :
viande, fruits et légumes frais. [...]
Ainsi, en 1976, les importations nettes
de produits agricoles représentaient
près de 42 % du déficit commercial
Est-Ouest. [...]
137
N° 1046 novembre-décembre 2004
Démocraties populaires :
une autosuffisance
alimentaire discutable
Pour l’ensemble de la zone, il semble
que ce soit le monde occidental qui
fournisse la majeure partie des importations. En 1977, la Pologne et la RDA
qui représentaient 80 % des céréales
importées par ces pays, totalisaient
plus de 50 % des échanges globaux
agro-alimentaires des six pays esteuropéens. [...]
La modernisation de l’industrie
requiert des équipements et des technologies que le pays doit acquérir sur
le marché occidental, en devises fortes.
Les surplus agricoles devaient compenser en partie le déficit commercial
inévitable au premier stade de la
“modernisation”. D’où la tendance à
maintenir un approvisionnement tendu
sur le marché intérieur des produits
agro-alimentaires. Cette politique qui
frappe le niveau de consommation,
présente un “seuil d’intolérance” que
la Pologne a expérimenté à diverses
reprises. Le mécontentement suscité
par des pénuries alimentaires chroniques [émeutes de 1970] a fini par
constituer une pression populaire qui
agit sur le pouvoir de décision.
Celui-ci doit tenir compte de cette
pression et céder à certaines revendications de type alimentaire en se procurant
en devises fortes, ou auprès des autres
pays socialistes lorsque c’est possible,
les mêmes catégories de produits
qu’elle exporte (viande notamment),
ce qui aggrave son déficit commercial.
On peut se demander si l’évolution que
l’on a observée en Pologne depuis
plusieurs années est spécifique de ce
pays. La Roumanie et la Bulgarie, tout
comme la Pologne financent grâce à
leurs exportations agro-alimentaires
une partie de leur industrialisation. Or,
leur niveau de consommation alimentaire par habitant est inférieur à celui
de la Pologne. Est-ce à dire que le
138
“seuil d’intolérance” varie d’un pays à
l’autre ?
Quoiqu’il en soit, ceci pose le problème de la capacité réelle optimum
d’exportation agro-alimentaire qui,
dans ces trois pays, se trouverait surévaluée.»
Anita Tiraspolsky, Le courrier des pays de l’Est
«Vers une auto-suffisance agro-alimentaire
de l’Europe orientale»
CPE, n° 232, septembre 1979, pp. 3-25
Economie de marché
et libéralisation des échanges :
l’épreuve de vérité
«L’analyse macro-sectorielle conduit
donc finalement aux diagnostics et
pronostics globaux suivants. A moyen
terme, compte tenu du manque de
financements (surtout budgétaires)
disponibles dans et pour le secteur
agro-alimentaire, et donc de la lenteur
avec laquelle sont et seront surmontés
des handicaps structurels hérités du
système antérieur, la tendance de la
production agro-alimentaire à reculer
plus rapidement qu’une demande intérieure en voie de stabilisation semble
devoir se poursuivre encore généralement au moins quelques années.
Pour les mêmes raisons, là où est
amorcée une relance de la croissance
globale (en particulier en Pologne),
celle-ci aura très probablement, dans
une première phase, un effet plus dynamisant sur la demande que sur la production agro-alimentaire nationale.
Tant que se maintiennent, pour l’essentiel, les actuelles “règles du jeu”
des marchés agricoles internationaux
déprimés par les excédents très subventionnés des grands agro-exportateurs
protectionnistes (Union européenne,
Etats-Unis en particulier), l’agroexportation rentable des PECO vers
ces marchés (y compris vers la CEI)
restera impraticable à l’échelle de
masse. A l’inverse, les PECO continueront en pratique à protéger leurs agri-
Le monde agricole
cultures contre ces excédents subventionnés et contre d’autres importations
alimentaires compétitives. Dans ces
conditions, l’hypothèse la plus optimiste à moyen terme est que ces pays
parviennent à conserver des positions
plus ou moins proches, selon les cas,
de l’autosuffisance alimentaire en
produits de la zone tempérée.
L’analyse effectuée par ailleurs des
impacts actuels et prévisibles des
récents accords régionaux de libéralisation partielle des échanges, concernant les PECO (accords d’association
avec l’UE, accords de Visegrad,
accords avec l’AELE) n’infirme ces
conclusions en rien d’essentiel. En
effet, les concessions les plus importantes (UE surtout, et AELE) sont en
elles-mêmes modestes. Et surtout leur
dissymétrie formelle en faveur des
PECO s’est avérée généralement, jusqu’à présent, plus que compensée par
une dissymétrie de compétitivité effective en faveur des exportateurs ouesteuropéens. Ainsi, depuis les accords
d’association, la balance des échanges
agro-alimentaires des pays d’Europe
centrale a évolué en faveur de l’UE,
cependant que les nouveaux contingents d’importation à régime privilégié
offerts par celle-ci n’ont souvent été
utilisés que très partiellement.
A long terme, globalement les PECO
disposent de plus de terres agricoles
par habitant que l’Europe occidentale.
L’abondance relative de force de travail
agricole peu chère est un autre atout.
Mais ces avantages comparatifs partiels
ne pourront se traduire en nouvelle
expansion agricole que si le secteur a
accès aux financements indispensables
à son adaptation structurelle à grande
échelle, en même temps qu’à des
débouchés assez larges et rémunérateurs.»
Alain Pouliquen, directeur de recherches à l’Inra de Montpellier
«L’agriculture des pays d’Europe centrale et orientale :
quelles productions pour quels marchés ?»
CPE, n° 391, août 1994, pp. 35-43
le courrier des pays de l’Est
Intégration à l’UE, mais PAC
«au rabais»
«En juin 2000, une étape importante a
été franchie dans le déroulement des
négociations d’adhésion des pays
d’Europe centrale et orientale (PECO)
à l’Union européenne (UE). En effet,
parmi les 31 chapitres de la législation
de l’UE qui doivent être successivement traités par chaque Etat candidat
avec son interlocuteur européen, celui
relatif à l’agriculture a été ouvert.
Limitée provisoirement au groupe de
Luxembourg, c’est-à-dire à la Pologne,
la Hongrie, la République tchèque,
l’Estonie, la Slovénie et Chypre, cette
ouverture est un événement marquant.
De fait, deux ordres de grandeur traduisent le poids considérable de la
question agricole dans les négociations
d’adhésion et l’impact qu’aura, dans ce
domaine, l’intégration des PECO.
Ainsi, alors que le PIB des dix PECO
s’élevait en 1998 à 4,4 % de celui de
l’UE, les surfaces agricoles représentaient 46 % de la moyenne européenne
et la production 30 %. A ceci s’ajoutent
deux caractéristiques essentielles. D’une
part, l’agriculture occupe une place
relativement importante dans les économies de ces dix pays en contribuant
au PIB pour près de 7 % contre 1,6 %
dans l’UE. D’autre part, ce secteur
emploie 21,5 % des actifs, contre seulement 5 % dans l’UE. [...]
Dans ce contexte marqué par de grandes
incertitudes, les pays candidats n’ont
pas plus de raisons d’être satisfaits de
la réforme annoncée à Berlin concernant la viande bovine que de celle relative aux céréales. Leur inéligibilité,
même après leur adhésion, aux aides
directes, alors qu’elles vont augmenter
pour les membres actuels de l’UE,
paraît être une position politique difficilement tenable. Deux questions
méritent à cet égard une attention particulière. En premier lieu, avec l’abaissement du niveau des prix des céréales
dans l’UE, les agriculteurs des pays
139
N° 1046 novembre-décembre 2004
candidats ne verront pas leurs revenus
augmenter grâce à ceux-ci, comme ce
fut le cas, par le passé, pour les membres
actuels lors de leur accession. Certes,
les écarts de prix qui existent encore
actuellement entre l’UE et les PECO,
s’ils poursuivent la tendance actuelle,
vont progressivement s’amenuiser
pour finalement disparaître d’ici l’adhésion de ces derniers. Dans ce cas,
aucune période de transition ne sera
nécessaire pour permettre un alignement des prix comme cela le fut lors
des précédents élargissements. Quoi
qu’il en soit, si les agriculteurs des
pays candidats ne reçoivent pas de
paiements compensatoires, lesquels
sont devenus le moyen le plus répandu
dans l’UE de soutenir les revenus agricoles, se pose la question de savoir
quels bénéfices ils tireront de l’adhésion. En d’autres termes, comment rendre
cette dernière attractive pour les plus
sceptiques ?
En second lieu, si les pays candidats
sont exclus du champ des paiements
compensatoires, la hausse de ces
derniers, décidée dans le cadre de la
réforme de 1999, va rendre les négociations encore plus difficiles. La
concurrence entre les PECO et les
membres de l’UE a, en effet, toutes les
chances d’amener les premiers à
revendiquer la mise en place de mécanismes faisant contrepoids. De fait, on
peut s’interroger sur la capacité des
petites unités de production bulgares à
supporter la pression des grands
producteurs ouest- européens, ou sur
l’avenir de l’agriculture hongroise,
encore au stade “de la seconde révolution industrielle”, si les subventions
étaient supprimées. Quant au négociateur en chef polonais, Jan
Kulakowski, il réclamait, en mai 2000,
que son pays “bénéficie des mêmes
avantages que les agriculteurs européens”, faisant allusion aux aides
directes destinées à compenser les
baisses de prix des céréales et de la
viande bovine. [...]
140
Compétitivité des agricultures
de l’Est et coût
de l’intégration à l’UE
L’éventualité que les PECO retrouvent
à terme leurs niveaux de production
antérieurs à 1989 pour certains produits,
dont les excédents posent déjà problème à l’UE, a été à l’origine d’un vif
débat sur les risques encourus par les
producteurs ouest-européens et l’Union
européenne dans son ensemble. Les
experts ont tenté de le dédramatiser :
pour certains, cette hypothèse n’a
aucun fondement dans la mesure où les
PECO représentent “une considérable
et durable opportunité d’exportations
nettes de l’UE, accrue après l’élargissement”. De plus, tous les PECO, à
l’exception de la Hongrie et de la
Bulgarie, ont, depuis 1990, une
balance commerciale agroalimentaire
déficitaire avec l’UE. Ce débat soulève, en fait, la question de la compétitivité future de l’agriculture des PECO
par rapport à celle de l’UE, dont va
finalement dépendre le coût de leur
intégration. [...] En fin de compte, le
choc provoqué par l’adhésion des
PECO sur la compétitivité-prix des
produits agricoles devrait être moins
important qu’on ne l’envisageait initialement, au moins pour certains de
ceux-ci. En outre, la mise en conformité aux normes communautaires,
notamment dans le domaine sanitaire,
ne peut qu’entraîner à la hausse les
prix agricoles des pays candidats. [...]
La réforme de la PAC de 1999 présente
bien des faiblesses en ce qui concerne
l’intégration des agricultures est-européennes. D’une part, elle ne résout pas
la question des aides directes, cruciales
dans les secteurs des céréales et de la
viande bovine, et dont l’extension aux
PECO conduirait à réévaluer son budget d’au moins 3,5 milliards d’euros
par an, mais qui, si elle est refusée à
ces pays risque de conforter l’opposition à l’adhésion à l’UE de certaines
franges de l’opinion. [Ndlr - Un com-
Le monde agricole
promis sera finalement trouvé en
2002 ; les pays bénéficieront des aides
directes de façon progressive, soit
25 % en 2004, année de l’adhésion,
30 % en 2005... pour arriver à 100 %
en 2013]. D’autre part, les mesures de
1999 n’envisagent pas de solution pour
faire face à la concurrence qu’exerceront les PECO dans certains secteurs,
déjà en crise (le lait et le porc en particulier) du fait de l’absence de réformes
visant à juguler des productions excédentaires ; et pourtant, l’entrée de ces
pays dans l’UE ne manquera pas d’avoir
pour celle-ci un coût très important,
non seulement financier (gestion des
stocks et chute des cours), mais également social. Soucieux de limiter le
poids des dépenses futures de la PAC
dans le budget communautaire, les
Quinze ont pris le risque, à Berlin,
d’avoir à affronter l’hostilité des PECO
déçus par un tel manque de solidarité.»
Marie-Line Duboz, Université de Franche-Comté,
Centre de recherche sur les stratégies économiques
(CRESE), Jean-Luc Proutat, Assurances
Générales de France
«Agricultures et élargissement. Les enjeux et les coûts»
CPE, n° 1014, avril 2001, pp. 33-51
Le devenir du monde
paysan
● Recul de la population
rurale en Union soviétique
«La modernisation de l'agriculture
soviétique s'accompagne, désormais,
d'un exode rural que les médias du
pays, après en avoir reconnu l'existence, dénoncent comme un danger.
Entre les recensements de 1970 et de
1979, la population rurale soviétique,
ramenée de 105,729 à 98,851 millions
de personnes, a perdu 6,5 % de ses
effectifs initiaux, alors que la population totale s'accroissait de 8,6 %, le
nombre des citadins ayant progressé,
de son côté et dans le même laps de
temps, de 20,3 %. Aussi les ruraux qui
formaient 44 % de la population totale
le courrier des pays de l’Est
en 1970 ne représentent-ils plus que
38 % de celle ci en 1979 : l’urbanisation de la société, comme celle de
l'espace soviétique, ont donc progressé
de manière significative au cours de la
décennie. Pourtant, cette “déruralisation” ne s'effectue pas au même rythme
partout comme le montre l'analyse au
niveau des différentes unités administratives qui se partagent le territoire
national : républiques fédérées, régions
économiques, oblast et entités de même
rang. [...]
Ainsi, dans les régions économiques à
peuplement slave de l'Europe soviétique, tout comme dans celles qui
accueillent les anciens “allogènes” de
l'Ouest, l'industrialisation de l’économie a provoqué l'urbanisation de
l'espace et de la société, vidant les
campagnes de la plus grande partie de
leur population active. Le territoire de
l'Union soviétique présente donc lui
aussi de vastes espaces ruraux que la
modernisation des forces productives
cantonne de plus en plus exclusivement dans l'exercice d'une fonction de
production agricole, la mécanisation
des façons culturales y provoquant une
inquiétante dépopulation, et il en est
même où progresse la friche. Inversement, en Transcaucasie, au Kazakhstan et surtout en Asie moyenne, les
ruraux sont de plus en plus nombreux
et il leur arrive même, c'est le cas au
Tadjikistan, de tenir une place grandissante dans la société globale ! Ici, les
dépositaires de la puissance publique
s'efforcent de provoquer un exode
auquel les populations locales demeurent
rebelles et les voici qui doivent même
envisager la diffusion, dans ces
campagnes où sévit un sous-emploi
chronique mais caché, d'activités non
agricoles, tâche d'aménagement fort
ardue.»
Pierre Carrière, Université Paul Valéry, Montpellier III
«La population rurale en URSS (1970-1979).
Etude cartographique»
CPE, n° 252, juin 1981, pp. 37-46
141
N° 1046 novembre-décembre 2004
«Les problèmes posés par la restructuration du milieu rural apparaissent tout
particulièrement dans le cas de la mise
en valeur des terres non noires (TNN)
de la RSFSR, un des plus grands
programmes soviétiques actuels d'aménagement du territoire, lancé en 1974,
et qui concerne 23 régions et 6 républiques autonomes s'étendant sur
2 823 000 km2 (soit environ la superficie de l'Europe de l'Ouest). Cette zone
inclut notamment Moscou, Leningrad
et Gorki [l'actuel Nijni-Novgorod].
[…] Ce sont surtout les jeunes qui sont
candidats à la migration vers les villes
(environ 60 % des migrants). Ces dernières années, le processus s'est amplifié avec pour conséquences un vieillissement marqué de la population
rurale (à dominante féminine) et un
déficit inquiétant en main-d'oeuvre.
[…] 25 % seulement des jeunes ayant
suivi un enseignement dans les écoles
rurales choisissent de vivre et de travailler dans leur ferme d'origine. La
plupart des parents (40 %), de leur
côté, poussent leurs enfants à quitter le
secteur agricole. Une enquête menée
dans la région de Kalouga, très représentative de la zone des TNN, auprès
de 767 jeunes ayant quitté la campagne
pour travailler à l'usine en ville a fait
apparaître que 24,2 % d'entre eux émigraient à cause des conditions insatisfaisantes de vie, du manque d'activités
culturelles, 19,4 % à cause de l'insuffisance des salaires, 13,8 % à cause des
mauvaises communications avec la
ville (état des routes et des moyens de
transport), 12,1 % à cause de l'impossibilité de travailler et de s'instruire en
même temps, 10,7 % pour des raisons
familiales, 6,2 % pour non-satisfaction
dans le travail, 4,8 % à cause de l'impossibilité de trouver du travail dans
leur spécialité, 4,3 % à cause des
conditions de logement.
Dès 1974, et dans le but de lutter
contre l'hémorragie de main-d'oeuvre,
le programme de 15 ans prévoyait un
142
certain nombre de mesures destinées à
fixer la population rurale.
A propos des «villages
sans avenir»
Le point le plus important de ce programme concerne l'élimination des
petits villages “sans avenir”, le déplacement et le regroupement des populations dans des centres modernes de
type urbain. [...] Mais les populations
marquent une résistance très forte aux
déplacements et refusent de quitter les
villages “sans avenir”, malgré les offres
de crédit et les facilités qui leur sont
offertes. Souvent, les personnes qui
acceptent de migrer avec leur famille,
par l'intermédiaire d'une agence de
recrutement et au vu d'une annonce
alléchante (appartement avec toutes les
commodités, travail dans la spécialité
recherchée, etc.) sont déçues par les
conditions de vie qu'elles trouvent en
arrivant : pas de gaz ni d'eau dans les
appartements, absence de lopins individuels, mauvaises conditions de travail.
Les journaux dénoncent souvent ces
publicités mensongères de la part des
entreprises agricoles en quête de maind'oeuvre, et l'absence de contrats en
bonne et due forme qui responsabiliseraient plus ces entreprises.»
Alain Giroux, Le courrier des pays de l'Est
"La difficile mutation de l'agriculture soviétique"
CPE, n° 285, juin 1984, pp. 3-21
● La lutte contre l'exode
rural en Europe de l'Est
«Le phénomène d'exode rural est très
marqué en Roumanie. On peut penser
qu'en 1930, 84 % de la population
active travaillaient dans l'agriculture,
alors qu'en 1975, 38 % y étaient
employés. L'Etat a pratiqué une politique de “saupoudrage industriel” sur
l'ensemble du territoire. La rareté des
implantations d'usine, sous le régime
antérieur, permettait de partir de zéro
Le monde agricole
pour aménager la répartition comme on
l'entendait. De ce fait, les hommes ont
été attirés par les nouveaux emplois, et
ceci a accentué leur désaffection à
l'égard des travaux des champs. Seules
restent à la coopérative l'épouse et la
fille. Au moment des gros travaux, des
récoltes, les entreprises agricoles ont
d'importantes difficultés de maind'oeuvre et il faut faire appel à des étudiants. [...] La réglementation pour
freiner l'exode vers la capitale est particulièrement tatillonne et, au dire de
certains Roumains, se présente comme
un traquenard. Il est indiqué, par
exemple, que l'on peut obtenir sa carte
d'identité urbaine si l'on a un emploi et
un logement à Bucarest. Mais les
candidats à un logement se voient exiger
une carte d'identité urbaine. Or sans
logement, on ne peut avoir cette carte.
C'est un cercle vicieux.
“L'exode pendulaire” est important
dans toute la région qui subit l'attraction de la capitale. Mais de très nombreux
habitants des zones rurales, à plus de
deux cents kilomètres de Bucarest,
viennent travailler en ville en louant
une chambre et repartent chaque weekend chez eux. [...] Tout ceci finit par
vider la Grande Plaine autour de
Bucarest de ses paysans, et pour pouvoir
continuer à exploiter, l'on fait appel à
des agriculteurs de régions plus éloignées qui acceptent de venir parce que
les sols y sont plus fertiles et qu'ils sont
plus près de la capitale.
Il est étonnant de voir tous les ouvriers,
venus travailler à Bucarest, repartir le
soir avec des provisions. Ou bien, en
week-end, de nombreux paysans viennent des alentours faire leurs achats en
ville. Les contrats que l'Etat passe avec
les coopératives sont en effet assez
durs. Les quantités à livrer sont importantes. Il finit par y avoir pénurie sur
place. Il reste peu pour la consommation des paysans, et ceux-ci vont se
ravitailler en ville. Le phénomène est
étrange, mais indiscutable.
le courrier des pays de l’Est
Le phénomène d'exode rural en
Tchécoslovaquie présente deux caractères. D'une part, il n'a pas revêtu l'ampleur qu'il a prise ailleurs, d'autre part,
il n'a pas toujours impliqué une hémorragie de population quittant la campagne
pour aller s'installer en ville. Depuis
1950, le nombre de personnes vivant
dans des bourgs de moins de 2 000
habitants n'a cessé de diminuer, mais il
n'y a pas eu écroulement comme en
Occident. La densité humaine est très
forte, d'environ 110 habitants au km2. Il
existe, dans le pays, près de 20 000
villages. Par la force des choses, ils ne
sont jamais très éloignés d'une agglomération urbaine. De plus, traditionnellement, les moyens de communication (autobus principalement) ont
toujours été très développés. Le nombre
de voitures est plus élevé que dans les
autres démocraties populaires. [...] Le
gouvernement s'est efforcé de créer le
maximum d'usines en zones rurales, en
particulier en Slovaquie. Il est donc
tentant pour le paysan d'abandonner sa
profession pour aller travailler dans le
secteur industriel, sans quitter son
cadre de vie. En effet, si un ou deux
membres de la famille continuent à
faire partie de la coopérative (ou même
de la ferme d'Etat), cela est suffisant
pour continuer à bénéficier des avantages accordés par l'entreprise : jardin,
lopin individuel, élevage personnel et
surtout logement. Donc les ouvriers
cherchent à ne pas quitter leur cadre de
vie. Si l'Etat a eu moins à intervenir
qu'en URSS et en Bulgarie pour freiner
l'exode rural, il a cependant exercé une
action particulière pour Prague. Il a
sévèrement réglementé l'entrée dans la
capitale jusqu'en 1965. Toutefois, depuis
1970, il a accepté le principe d'un
“Prague d'un million d'habitants”, mais
la construction de logements est loin
de suivre à une vitesse suffisante. [...]
En 1962, fut édicté un ensemble de
mesures administratives destinées à
freiner l'exode vers Budapest, dont on
voulait diminuer la puissance attractive
143
N° 1046 novembre-décembre 2004
sur la population des campagnes. La
règle de base est que, pour acheter un
logement dans la capitale, ou en louer
un comme locataire en titre (“locataire
principal”), il faut justifier d'un emploi
à Budapest, ou bien y habiter depuis
5 ans comme sous-locataire (“locataire
secondaire”). Or être sous-locataire
oblige à passer par des exigences très
dures, imposées par les propriétaires
ou les locataires à titre principal. Le
minimum réclamé pour une seule pièce
est de 1 000 forints par mois, alors que
certains salariés ne gagnent pas plus de
2 800 forints. Le nouvel arrivant à
Budapest a également la solution d'aller
habiter hors des limites administratives
de la ville, dans les communes limitrophes, et d'effectuer des déplacements
pendulaires. C'est seulement au bout de
5 ans que “l'émigré” pourra demander
officiellement à bénéficier d'un logement d'Etat. [...] L'attitude officielle
du gouvernement, dans les zones
rurales, est de laisser faire librement
les paysans pour leur habitat. La planification des migrations rurales n'a été
assortie d'aucune mesure coercitive
pour que les agriculteurs abandonnent
leur maison isolée. Aucune pression
officielle ne s'exerce pour supprimer
les hameaux, car toute action en ce
sens pourrait encore accentuer le départ
des jeunes. L'on préfère que les regroupements se fassent spontanément. Il
s'agit de problèmes de générations. Les
vieux manifestent souvent le désir de
mourir dans leur maison. A leur décès,
les enfants abandonneront le plus souvent
l'habitat dispersé, iront vers des centres
plus importants. [...]
L'Etat, sans l'avouer, tout comme en
Bulgarie, en Tchécoslovaquie, en
Roumanie est tenté de faire renaître
une mentalité paysanne productiviste,
dont la flamme n'est pas entièrement
éteinte, en dépit du progrès de l'agriculture industrielle. “L'usine aux champs”
ne s'est pas révélée être une panacée.
La révision de la politique de l'Etat ne
peut faire l'objet de déclarations fracas-
144
santes. Elle se fait lentement, dans les
faits, de façon subreptice. Il est peu
d'esprits pour prôner désormais les
bienfaits des agrovilles, des regroupements autoritaires dans le but de maintenir sur place la population et de
freiner l'exode rural.»
Georges Frelastre, professeur, Faculté des sciences
économiques de Clermont-Ferrand
«Les moyens de lutte contre l'exode rural
en Europe de l'Est»
CPE, n° 258, janvier 1982, pp. 27-38
● Les campagnes : zones
de repli ou futurs pôles
de développement ?
Russie : une société délaissée
«Les salaires agricoles sont de deux
fois inférieurs à ceux pratiqués en
moyenne dans les autres secteurs de
l'économie. Le seul avantage pour les
paysans est la possibilité de s'autoapprovisionner en produits frais grâce
à leur lopin individuel tout en obtenant
un revenu supplémentaire. En fin de
compte, toutes les enquêtes font
ressortir un désintéressement évident
des paysans pour les résultats de leur
travail, un développement inquiétant de
l'alcoolisme, une dégradation de la
discipline. [...]
Le retard des infrastructures sociales
est un problème récurrent pour la
Russie. De ce point de vue, les campagnes ont toujours été défavorisées et la
politique de désinvestissement de l'Etat
n'est pas pour améliorer la situation. A
la fin de 1990, un programme ambitieux pour le développement social des
campagnes avait été adopté mais il n'a
pu être appliqué. Avec l'introduction de
la réforme, les anciens réseaux de
financement par l'Etat ont disparu et
les nouveaux (par le canal des autorités
locales) ne sont pas encore en place.
On relève une absence quasi totale de
gestion des infrastructures sociales et
le risque existe de voir revenir la liquidation des “villages sans avenir”, ima-
Le monde agricole
ginée par N. Khrouchtchev. En situation de déficit des ressources, celles
qui sont disponibles vont en priorité
aux villes et aux centres industriels.
L'état médiocre des budgets locaux
entraîne une chute des investissements
et les banques, très frileuses vis-à-vis
de l'agriculture, rechignent à débloquer
des prêts à long terme.
Les résultats de cette absence pérenne
de politique apparaissent dans les données statistiques corroborées par tous
les observateurs. Sur 153 000 localités
rurales, seules 10 % sont entièrement
équipées de toutes les infrastructures
modernes. [...] L'approvisionnement
centralisé en eau n'est assuré que pour
la moitié des appartements en zones
rurales et 15 % seulement d'entre eux
ont l'eau courante à l'intérieur du logement. Le grand retard enregistré par la
société rurale inquiète nombre d'observateurs en Russie. Il représente un
danger pour la société tout entière.»
Alain Giroux, Le courrier des pays de l'Est
«L'agro-alimentaire russe en panne entre réforme et
conservatisme»
CPE, n° 405, décembre 1995, pp. 3-24»
Des politiques
de développement rural
pour les futurs membres
de l'UE
«Durant ces années de transition économique, synonymes pour la majorité
des populations concernées d'une
importante diminution de leur niveau
de vie, les campagnes ont pour partie
assuré un rôle de tampon social, à commencer par les pays ayant connu une
multiplication des micro-exploitations
individuelles. Frappés par le chômage
industriel, nombreux ont été les
ouvriers de la première génération à
regagner les campagnes qui, pour
beaucoup d'ailleurs, étaient demeurées
le lieu de résidence officiel de ces
“navettistes”.
le courrier des pays de l’Est
Peu satisfaisant sur le plan économique, puisque allant à l'encontre de la
modernisation du secteur agricole, il
reste que ce rôle de “tampon” joué par
les campagnes a été reconnu par beaucoup comme socialement nécessaire, à
tout le moins comme une solution
transitoire. Mais pour combien de
temps ? Le phénomène d'exode rural
observé en Albanie, avant qu'une nouvelle crise politique et financière ne
précipite l'effondrement de ce pays,
mais aussi dans certaines régions de
Roumanie, s'il n'infirme pas la fonction
de “zone de repli” jouée par les campagnes, témoigne simplement des limites
rapidement atteintes par cette solution
de court terme, dès lors qu'aucune
autre activité économique n'est envisagée pour inciter la population à rester.
C'est ainsi que la politique de développement rural introduite dans les pays
occidentaux il y a une vingtaine d'années, qualifiée par les spécialistes,
selon les cas, de “durable” ou encore
d' “intégré” (voire de “global”) a commencé de faire un certain nombre
d'émules dans différentes institutions
européennes et occidentales (comme
l'OCDE) travaillant sur et avec
l'Europe centrale et orientale, ainsi que
dans les ministères (ceux de l'agriculture notamment) des pays concernés.
Plusieurs arguments plaident en faveur
de cette approche. Bien sûr et avant
tout, la place importante (démesurée
chez certains) qu'occupe l'emploi agricole, ajoutée au nombre de ruraux, font
du développement des zones rurales un
élément fondamental d'une politique
d'aménagement du territoire, que peu
d'Etats dans ces pays ont formulé pour
le moment. La présence d'une population active dans l'agriculture, encore
nettement en surnombre, sous-entend
l'existence d'un chômage, certes inégalement réparti, mais quasiment généralisé à l'ensemble des espaces ruraux.
Qu'il soit ouvert ou masqué, il pose le
problème des possibilités de création
145
N° 1046 novembre-décembre 2004
d'emplois, auquel le seul secteur agricole est dans l'incapacité de pouvoir
répondre ; par ailleurs, et l'étude des
structures le prouve, la restructuration
actuellement à l'oeuvre engendrera
encore de nombreuses pertes d'emplois. La tendance à considérer que
dans les campagnes, les populations
pouvaient toujours “se débrouiller”, a
conduit à oublier que le secteur agricole a été très durement touché par le
chômage et qu'il continuera de l'être, si
des solutions de remplacement ne sont
pas mises en place. Le fait, par exemple,
que la privatisation des anciennes
fermes d'Etat tchèques se soit faite
avec pour contrepartie l'engagement de
ne pas licencier pendant trois ans, ne
fait que surseoir à un problème qui, tôt
ou tard, se posera de façon ouverte.
Le caractère encore insuffisant, voire
sous-développé, des services et surtout
du tissu des petites et moyennes entreprises en milieu rural, incite à considérer cette notion de politique de
développement rural autrement que
comme un simple gadget, créateur, à
tout le moins, de quelques centaines
d'emplois dans un secteur comme le
tourisme rural. La déstructuration de la
chaîne de transformation agro-alimentaire et le démantèlement des monopoles dans ce secteur ont engendré, sur
le plan local, de nombreuses opportunités de création de petites unités de
transformation et de commercialisation,
auxquelles seule l'absence de capital
fait défaut pour être concrétisées.
Enfin, la mise en oeuvre d'une politique de développement rural est également un instrument à mettre au service
de la lutte contre les disparités régionales anciennes et surtout nouvelles,
créées par les récentes restructurations
industrielles. La politique suivie en la
matière ne peut être que volontariste,
sachant qu'il est exclu de pouvoir
compter sur un apport en capitaux
étrangers pour faire fonction d'amorce ;
les investissements extérieurs se
concentrent par expérience dans les
régions déjà dotées d'un minimum
d'infrastructures. Qui dit zones rurales
dit donc, dans un grand nombre de cas,
“zones défavorisées” (concept plus
généralement utilisé par la Banque
mondiale), désignant ainsi des régions
victimes d'un taux de chômage nettement supérieur aux moyennes nationales.
[…] Abandonner une logique agricole
strictement “productiviste” dont il
apparaît qu'à court terme du moins,
même les pays les mieux placés
(Hongrie, Pologne, République tchèque)
ne sortent pas forcément gagnants, au
profit d'une approche privilégiant la
pluri-activité en milieu rural, dont il ne
faut pas a contrario sous-estimer les
coûts, constitue une nouvelle équation,
dont les termes demandent à être posés
à l'échelle de chacune des réalités
nationales».
Edith Lhomel, Le courrier des pays de l'Est
«Structures agricoles en Europe centrale et orientale :
une transformation inachevée»
CPE, n° 416, janvier-février 1997, pp. 40-50
Pour plus d’informations, lire
dans Le courrier des pays de l’Est
Article non signé, «La réforme agraire en Roumanie», n° 37, 16 septembre 1965, pp. 23-32.
Alexandre Guthart, «L’agriculture polonaise à l’étape de la “consolidation” de la propriété
foncière privée», n° 93, 3 janvier 1968, pp. 19-28.
Gérard Wild, «Agriculture et croissance économique : l’exemple roumain», n° 141, mai
1971, pp. 79-90.
Françoise Lemoine, Georges Sokoloff, «Les interventions de l’URSS sur le marché céréalier
mondial», n° 190, novembre 1975, pp. 6-19.
146
Le monde agricole
le courrier des pays de l’Est
Alain Giroux, «Les possibilités de réformes structurelles dans l’agriculture soviétique»,
n° 252, juin 1981, pp. 3-20.
Colette Beaucourt, «L’alimentation du bétail : clé de voûte du “programme alimentaire”
soviétique», n° 268, décembre 1982, pp. 3-25.
Alain Giroux, «L’expérience hongroise au secours de l’agriculture soviétique», n° 273, mai
1983, pp. 3-21.
Edith Lhomel, «Les productions agricoles en Europe de l’Est», n° 336, janvier 1989, pp. 3-28.
Wilhelm Jampel, avec la coll. d’Edith Lhomel, «L’industrie agro-alimentaire en Europe de
l’Est. Production et échanges», n° 338, mars 1989, pp. 3-33.
Edith Lhomel, «Les mutations des structures agricoles à l’Est 1980-1990», n° 347, février
1990, pp. 3-32.
Alain Giroux, «Transformation et distribution des produits agricoles en URSS : la désagrégation», n° 355, décembre 1990, pp. 3-37.
Edith Lhomel, «Privatisations et politiques agricoles en Europe centrale et orientale»,
n° 367, mars 1992, pp. 3-25.
Edith Lhomel, «Industries agro-alimentaires et investissements occidentaux en Europe
centrale et orientale», n° 377, mars 1993, pp. 3-35.
Alain Pouliquen, «L’illusoire compétitivité agricole des PECO : vers l’élargissement des
exportations de l’UE», n° 416, janvier-février 1997, pp. 51-56.
Nadège Ragaru, Maria Halamska, «Quels porte-parole pour le monde rural ? Les cas bulgare
et polonais», n° 1013, mars 2001, pp. 17-28.
Jurgita Maciulyte, «L’agriculture en Lituanie. Dix ans de transition», n° 1025, mai 2002,
pp. 52-60.
François Bafoil, Rachel Guyet, Loïc L’Haridon, Vladimir Tardy, «Pologne. Profils d’agriculteurs», n° 1034, avril 2003, pp. 28-47.
147
N° 1046 novembre-décembre 2004
Les transports
Entre routes cahoteuses et projets
pharaoniques
Durant toute la période de l’existence
du rideau de fer et du mur de Berlin,
les seules voies d’accès aux pays de l’Est
étaient constituées d’autoroutes (couloirs)
aboutissant à Berlin. Le monde s’arrêtait
en quelque sorte au «Check point
Charlie». Qui n’a pas en mémoire
ces trains étroitement surveillés, ces
interdictions de descendre sur les quais,
ces contrôles douaniers à n’en plus finir,
ces passages frontaliers et leurs lumières
d’ambiance tombant des miradors. Entre
les pays «frères» du bloc des démocraties
populaires (et plus tard celui du
«socialisme réel») les marchandises
circulaient, mais peu les hommes, sauf
certains privilégiés. Les routes, les
ouvrages permettant de franchir les
frontières, dans de nombreux cas hors
service depuis leur destruction en 19441945, restaient fermés. Il en allait de
même pour des projets de grands travaux,
souvent conçus depuis plus de cent ans. Ils
restaient dans les cartons, soit pour des
raisons stratégiques, soit parce que les
ressources financières étaient destinées
à d’autres priorités, quand ce n’était pas
en raison de mésententes entre les pays,
dont les dirigeants, malgré le vernis
internationaliste ostensiblement exhibé,
continuaient à se méfier les uns des autres.
Comment s’expliquer en effet que, après
les années de la détente et pendant la
perestroïka, aucun des projets n’ait pu
voir ne serait-ce qu’un début de
réalisation ? Ni celui d’une autoroute
allant de Prague jusqu’en Moldavie,
148
conçu en 1934, ni celui d’un désenclavement
du bassin de l’Oder et la liaison avec la
Vistule vers la Baltique. Et que dire du
pont Marie-Valérie, enjambant le Danube
à Esztergom, en Hongrie, détruit en 1945
par la Wehrmacht, et reconstruit seulement
en 2002, permettant aux habitants d’une
même ville de passer d’une rive à l’autre,
et cela grâce à la volonté et à l’aide de
l’Union européenne ? Tout ceci ne signifie
pas pour autant qu’il y ait eu une absence
totale de réalisations dans l’ensemble du
«bloc», mais force est de constater qu’en
matière de réseaux de transports, les pays
de l’Europe centrale et orientale pâtissaient
autant du manque de vision de leurs
dirigeants que du rôle qui leur avait été
assigné «à la périphérie» par la puissance
dominante, l’URSS. A cela il faut ajouter
l’archaïsme des méthodes et des techniques
de gestion, qui affecte les différents modes
de transport. S’il n’y a pas de contrastes
très marqués entre l’est et l’ouest du
continent européen dans le mode fluvial
(lequel hormis les pays danubiens n’a
qu’un rôle marginal), en revanche la
différence est frappante pour les modes
majeurs, ferroviaire et routier. Dans
l’ensemble des pays de l’Ouest, la route
a pris largement l’avantage sur le rail,
ce n’est pas encore le cas à l’Est. La
prépondérance du transport ferroviaire
en Europe centrale et orientale peut
s’expliquer par les conditions
géoclimatiques, mais elle résulte aussi
d’autres facteurs. Politiques, idéologiques
et institutionnels, ceux-ci jouèrent en sa
Les transports
faveur dans l’après-guerre, avec la mise
en place de structures calquées sur le
modèle soviétique, celui d’un bloc
autarcique, peu enclin à «fluidifier» ses
frontières. Par ailleurs, la modernisation
des entreprises industrielles et l’apparition
d’un tissu de PME, intervenues à l’Ouest
depuis plus de vingt ans, ont fait naître de
nouveaux besoins en rapidité et flexibilité.
Cette «révolution logistique» qui profite
au transport routier, puisque l’organisation
des compagnies ferroviaires reste par
essence plus rigide et centralisée, ainsi
que la modernisation industrielle sont loin
d’être achevées dans les pays de l’Europe
centrale et orientale. Son aboutissement
dépendra largement du développement de
transports diversifiés, souples et rapides,
avec les efforts conjoints des acteurs
publics et privés. Un vaste chantier, un
formidable défi politique et technique
attend là l’Europe récemment élargie.
La mise en place entre 1994 et 1997 de
corridors pan-européens et la définition
des axes stratégiques de transports,
consécutives à la disparition du rideau de
fer, restent l’une des pièces maîtresses de
ce que l’on continue à considérer dans
l’Europe centrale et orientale comme
partie d’un processus de «reconstruction»,
dont le succès dépendra, pour une part
non négligeable, de la suppression des
effets «frontières» dans le nouvel espace
Schengen.
Etat des lieux : priorité
aux marchandises
«Considérant l’évolution générale des
transports entre 1970 et 1988 pour
l’ensemble des pays de la région, on
peut dire que le réseau s’est peu développé, sauf en URSS, alors que la
charge s’est considérablement accrue.
L’image générale reste donc extrêmement contrastée, avec des pays relativement bien dotés en rail et en routes −
RDA, Tchécoslovaquie, Hongrie − ou
le courrier des pays de l’Est
même en voies fluviales aménagées
− Pologne, Yougoslavie − et d’autres
aux infrastructures sous-développées
− Roumanie, Bulgarie. L’URSS, quant
à elle, constitue un cas à part puisque le
vide de la Sibérie fait tomber la
densité de son réseau au niveau zéro,
alors que sa partie européenne est assez
bien dotée, en rail notamment. [...]
La part des transports dans les investissements est en baisse dans la plupart
des pays de la région, ce qui freine bien
évidemment la modernisation du
secteur. Les infrastructures sont très
insuffisantes, surtout dans les zonesfrontières, qui sont les plus chargées, et
cette situation entrave considérablement le développement des transports
internationaux. Notons en outre que les
distances de chargement entre les pays
du CAEM sont grandes : 12 000 km en
moyenne contre 400 km pour la CEE.
La structure des transports s’est également modifiée. La part des transports
ferroviaires s’est considérablement
réduite au profit des transports par mer,
mais aussi par tubes. Par contre, le
transport routier demeure insignifiant
et les transports fluviaux stagnent,
alors qu’ils ont connu un développement sensible en Europe occidentale.
[...]
Les grands travaux
du CAEM
C’est une commission permanente du
CAEM qui est en charge, depuis 1958,
de la coordination dans le domaine des
transports des différents pays membres.
Les plans quinquennaux de ces pays
sont mis au point en commun, comme
c’est le cas dans tous les secteurs de
l’activité économique. En 1974 est
parue une première version des prévisions de développement des transports
des pays du CAEM à l’horizon 2000.
Elle a été corrigée en 1985 et étendue
jusqu’en 2005. [...]
149
N° 1046 novembre-décembre 2004
Les pays européens du CAEM ont
réalisé un certain nombre de grands
travaux financés en commun. Le premier
ouvrage réalisé a été un pont sur le
Danube à la frontière entre la Bulgarie
et la Roumanie, construit avec la participation de la Hongrie, de la Pologne,
de l’URSS et de la Tchécoslovaquie.
En outre, en raison des difficultés
causées par les différences d’écartement des voies entre l’URSS (1 520 mm)
et le reste de l’Europe (1 435 mm), qui
occasionnent des transbordements de
marchandises particulièrement difficiles
en hiver, il a fallu construire des tronçons de voie à écartement de 1 520 mm
dans les régions frontalières. Le premier
tronçon construit achemine le minerai
de fer soviétique vers la ville roumaine
de Galac. Le second, qui date de 1966,
d’une longueur d’environ 100 km, part
de la ville soviétique de Tchop et
amène le charbon cokéfiable du Donbass
et le minerai de fer de Krivoï Rog vers
le combinat métallurgique de Kosice,
en Tchécoslovaquie. Le troisième, long
de 400 km, réunit Vladimir-Volinski,
en URSS, à Katovice, en Pologne,
pour approvisionner en minerai de fer
le combinat métallurgique de cette
ville (il devrait en utiliser 16 millions
de tonnes en 1990). [...]
Le premier grand projet est l’autoroute
Nord-Sud (TEM) [entre la mer
Baltique et la Turquie]. En 1977, on
prévoyait que les travaux de construction seraient terminés en 1990. [...] En
1981, son achèvement était repoussé à
l’an 2000. [...] C’est en 1972 que la
Pologne et la Hongrie présentent à
l’Onu une initiative commune concernant la réalisation d’une autoroute
continentale, d’une longueur approximative de 10 000 km. Le projet TEM a
débuté officiellement cinq ans plus
tard, soit le 1er septembre 1977. A la fin
des années 1980, seuls 2 000 km
avaient été construits. Plusieurs liaisons étaient alors achevées, en particulier des ouvrages comme le pont sur le
150
Danube − déjà mentionné −, un pont
sur le Bosphore avec ses raccordements routiers. Un autre pont sur le
Danube est en construction à Bratislava. Mais dorénavant, la contribution
du Programme des Nations unies pour
le développement (PNUD) diminuera
et la participation des Etats concernés
devra être plus active. […] Etant donné
les difficultés économiques de plusieurs
pays d’Europe de l’Est concernés, on
peut supposer que le projet prendra
encore du retard. Cependant, dans le
cadre de l’exposition mondiale VienneBudapest qui doit avoir lieu en 1995, la
Banque mondiale offre un prêt pour la
construction du premier tronçon de
71 km. [...] Cette route fera partie de la
TEM(1).
Les travaux d’aménagement du
Danube entrepris en commun par la
Tchécoslovaquie et la Hongrie s’échelonnent en principe jusqu’en 1991. Ils
viendront s’ajouter à l’aménagement
des Portes de Fer, effectué par la
Roumanie et la Yougoslavie. Une fois
tous ces travaux achevés, et grâce aux
canaux Rhin-Main-Danube et Danubemer Noire déjà en exploitation, on
pourra enfin réaliser le vieux rêve de
Charlemagne, relier Rotterdam à la
mer Noire par voie fluviale. Cependant, de graves problèmes ont été
posés par la controverse concernant le
barrage hydro-électrique de Nagymaros,
à la frontière hungaro-tchécoslovaque.
Ce projet est vivement contesté par les
écologistes aussi bien hongrois que
tchécoslovaques, qui considèrent qu’il
entraînerait une pollution du fleuve, un
assèchement de la région et entraverait
la navigation. Finalement, les autorités
hongroises ont décidé de suspendre les
travaux, au grand dam de la Tchécoslovaquie. […] La partie du barrage
située en Tchécoslovaquie, à Gabcikovo,
elle, est achevée(2). En Yougoslavie, le
projet d’un canal Danube-Sava a été
adopté. Il aura 58,9 km de long et
réunira Vukovar, sur la rive droite du
Les transports
Danube, à Slavonski Samar, sur la rive
droite de la Sava. II devrait être achevé
en 2000(3).»
Jaroslav Blaha, Michèle Kahn, Le courrier des pays de l’Est
«Les transports à l’Est : clé du commerce
entre les deux Europes»
CPE, n° 345, décembre 1989, pp. 4-31
Le Danube : la liberté
de navigation entravée
«La première mention sur le plan international du principe de libre navigation
remonte au Traité de Paris de 1856. La
Convention du même nom a été signée
à Belgrade le 18 août 1948 par
l’URSS, la Bulgarie, la Hongrie, la
Roumanie, la République socialiste
soviétique d’Ukraine, la Tchécoslovaquie et la République populaire fédérative de Yougoslavie. L’Autriche était
présente à Belgrade en tant qu’observateur ; son adhésion au traité, que l’on
nomme Actes de Belgrade ou Convention du Danube, intervint le 7 janvier
1960.
Cette structure s’est maintenue de
longues années. Elle a contribué à la
reprise des relations économiques entre
les Etats riverains à l’issue de chacune
des deux guerres mondiales et a même,
dans ce domaine particulier, rendu le
rideau de fer perméable. [...]
Le Danube, long de 2 800 km, dont
2 414 navigables, est le deuxième
fleuve d’Europe et traverse dix pays. A
titre de comparaison, la transversale
Rhin-Main-Danube, qui va de la mer
du Nord à la mer Noire, mesure 3 500
km. [...]
Le régime de navigation sur le Danube
de 1948 à 1990 était fondé essentiellement sur deux piliers : en droit international, la Convention du Danube
(1948) ; en droit privé, les Accords de
Bratislava (1955). [...] Cela n’a pas
constitué de problèmes pratiques tant
que le Danube formait un marché
le courrier des pays de l’Est
autarcique et que, de surcroît, chacun
des pays riverains ne comptait qu’une
seule entreprise de navigation, propriété
de l’Etat. Au début des années quatrevingt-dix, une série d’événements est
venue contrarier ce système de navigation, et l’a même d’ores et déjà exclu
sur le cours supérieur du fleuve.
La crise bosniaque et l’embargo
décrété par l’Onu contre la Yougoslavie en réaction aux faits de guerre,
ont certes entravé de façon durable la
navigation sur le Danube, mais ils
n’ont pas provoqué de mutations structurelles. [...]
Au cours de la crise du Kosovo, plusieurs ponts sur le Danube furent
endommagés, mais seule la destruction
totale de celui de Novi Sad provoqua
une réelle gêne, voire une interruption
de la libre navigation. Le bombardement des ponts lors des opérations
militaires avait sans doute d’autres
objectifs, mais, même minimisée, l’interruption de la navigation sur le
Danube fut néanmoins reconnue. Les
appels de la Commission du Danube
(avril 1999) pour la restauration de la
libre navigation n’eurent aucun écho.
D’emblée, les inconvénients et les
dommages économiques furent énormes
pour les pays danubiens. En juillet
2000, ils se chiffraient approximativement à 550 millions d’euros.»
Veronika Kessler, Chambre de commerce autrichienne
«La navigation sur le Danube : dimensions politiques
et économiques»
CPE, n° 1008, septembre 2000, pp. 14-30
Le réseau ferroviaire
● Créer une artère
transcontinentale...
«En URSS, depuis 1974, le projet de
voie ferrée Baïkal-Amour, le BAM,
reliant la région située à l’ouest du lac
Baïkal à la côte Pacifique, est l’objet
151
N° 1046 novembre-décembre 2004
d’une publicité sans précédent. Tous
les médias sont mobilisés pour le
“chantier du siècle”. Pourquoi les
Soviétiques se sont-ils lancés dans une
entreprise aussi gigantesque, qui a
nécessité des investissements énormes
(estimés à 30 milliards de dollars pour
la seule construction de la voie), le
déplacement d’une quantité considérable de main-d’œuvre ? Un projet [...]
qui dépasse les “terres vierges”,
Magnitogorsk ou Bratsk au palmarès
des grandes “campagnes” soviétiques
d’aménagement du territoire.
Le projet prévoit la mise en valeur des
régions de la Sibérie orientale et de
l’Extrême-Orient soviétique traversées
par la voie ferrée. L’aménagement de
ces régions, qui couvrent une superficie de 1 à 1,5 million de km2 soit 5 à
8 % du territoire de l’URSS, est
présenté par tous les planificateurs et
économistes soviétiques comme
l’exemple même de la mise en pratique
des grands principes qui régissent
depuis quarante ans la planification
régionale soviétique et qui ont été, au
cours des années, expérimentés et
appliqués dans d’autres réalisations.
L’un de ces principes est la création de
complexes territoriaux de production
(CTP), véritables symboles du développement complexe régional en
URSS. Tout au long du BAM, seront
créés des CTP dont les plus importants
seront ceux de la Yakoutie du Sud
(minerai de fer et charbon) et de
l’Oudokan (cuivre). [...]
L’idée de la construction d’un
deuxième Transsibérien est ancienne et
antérieure à la Révolution. […] C’est
en 1904, au moment où s’achèvent
avec succès les travaux du Transsibérien (construit entre 1891 et 1904), que
naît à l’initiative d’un Français, Loïc
de Lobelle, qui travaille pour les syndicats américains, l’idée de construire
une voie ferrée à travers la Sibérie,
reliant ainsi Paris à New York, via
Moscou, Irkoutsk, Yakoutsk et l’Alaska.
152
Les syndicats américains devaient
amener les capitaux et, en échange, ils
obtiendraient le droit d’exploiter,
durant 90 ans, les ressources minérales
dans les territoires traversés par la voie
ferrée. [...] Le projet est étudié par une
commission impériale en 1906, et il est
alors définitivement rejeté, car la plupart
des participants refusent l’ingérence
des syndicats américains. [...] En 19291930, de nouveaux projets sont examinés. Les autorités recommandent
que la construction de nouvelles voies
de communication soit subordonnée à
la mise en valeur de nouveaux territoires.
Dans les années 30, le projet de voie
ferrée Baïkal-Amour prend forme : il
est considéré par les planificateurs
comme partie organique d’un vaste
programme complexe de mise en
valeur des régions de la Sibérie orientale et de l’Extrême-Orient soviétique.
La partie orientale du BAM est subordonnée à la création d’une puissante
base métallurgique en Extrême-Orient,
la partie occidentale à l’exploitation
des ressources hydro-énergétiques de
l’Angara et de la Léna. Quant à la partie
centrale, elle doit jouer un rôle primordial dans la mise en valeur de la
Yakoutie et de ses gisements de minerai
de fer et de charbon.
En 1943, le Comité populaire aux
transports décide de commencer la
construction du tronçon KomsomolskSovietskaïa Gavan. Les travaux sont
achevés en juillet 1945. [...] Mais après
1953, la priorité étant accordée aux
travaux dans les autres régions de
l’URSS et notamment en Sibérie occidentale, le projet BAM est mis en
veilleuse. [...] Dans ces conditions,
quel est son avenir ? On peut d’ores et
déjà affirmer que la réalisation de la
voie ferrée sera menée à son terme
grâce à une grande concentration de
moyens. En effet, c’est un objectif
prioritaire qui ouvre les portes à l’exportation vers le Pacifique. Les pays
occidentaux sont intéressés à ce projet
et le Japon a déjà conclu des accords
Les transports
de coopération. [...] Quel que soit le
prix à payer, et l’URSS a déjà montré
par le passé qu’elle ne reculait pas
devant certains sacrifices, ce projet
d’aménagement économique deviendra
sans doute réalité à l’horizon 2000 ou
2010(4), car il s’insère parfaitement
dans la logique du développement économique soviétique.»
Alain Giroux, Le courrier des pays de l’Est
«L’aménagement du territoire en Sibérie : le BAM»
CPE, n° 217, avril 1978, pp. 3-19
● ... et faire le tour du monde
par le rail
«Nombreux sont ceux qui rêvent de
ranimer des liaisons délaissées du fait
des conflits armés et des différends
idéologiques du siècle dernier. Certains
projets ont été ressortis des cartons.
Ainsi, les travaux sur le tronçon de 240
km qui permettra de relier les lignes
ferroviaires coréennes au Transsibérien
(entre Khasan et Oussouriïsk) ont
débuté après la signature en novembre
2002 d’un mémorandum entre les
ministères des Transports des deux
parties. [...] Pour financer ce chantier
de près de 3 milliards de dollars, la
Russie propose de constituer un
consortium international. Elle a par
ailleurs offert son assistance technique
pour la modernisation du réseau nordcoréen, de façon à permettre sa
connexion avec celui du Sud, qui a été
construit au début du XXe siècle par les
Russes. Ce chantier a connu une accélération en 2002 avec les progrès
accomplis dans la normalisation des
relations entre les deux Corées. Le président Poutine a, par ailleurs, insisté en
août 2002 à Vladivostok […] pour que
les deux parties retroussent leurs manches, déclarant : “Si nous manquons
cette occasion, le projet se fera sur le
territoire de notre respecté voisin, la
Chine”. Cette dernière a déjà proposé
trois tracés possibles dans lesquels elle
se réserve une bonne part du gâteau.
[...] La Russie escompte revitaliser les
le courrier des pays de l’Est
activités portuaires du Territoire maritime (Extrême-Orient) et plus largement de la partie septentrionale de la
Sibérie, qu’en son temps le président
Roosevelt qualifia de “Californie à
l’échelle mondiale”.
Le Transsibérien va-t-il avoir la
République tchèque pour point de
départ ? Ce projet a germé dans la tête
des stratèges du ministère russe des
Chemins de fer, en collaboration avec
la firme israélienne Shiran. Son coût
est estimé à 300 millions de dollars, sur
lesquels 30 % doivent être apportés par
un consortium international. Ses
concepteurs veulent relier près de la
moitié de la planète par le chemin de
fer et permettre un acheminement plus
rapide vers l’Europe des marchandises
provenant d’Asie du Sud-Est, du Japon
et de la Chine et vice versa. La Russie
cherche en effet à renforcer sa position
de pays de transit dans l’espace euroasiatique tout en évitant d’être prise de
vitesse par des projets de corridors de
transport qui la contourneraient. Aussi
s’efforce-t-elle de valoriser par tous les
moyens les avantages dont elle dispose
dans la future organisation des transports intercontinentaux. En se présentant comme le plus naturel des “ponts
entre l’Asie et l’Europe”, elle se prévaut
tout d’abord des réseaux ferroviaires
existants, dont le Transsibérien et le
BAM (Baïkal-Amour Magistral). Dans
la stratégie de développement du système de transports pour dix ans, élaborée à la fin de la présidence Eltsine et
remaniée par son successeur Vladimir
Poutine, les principales dispositions
visent la rénovation des réseaux et leur
interopérabilité, ainsi que le rétablissement du contrôle exercé par Moscou
sur les débouchés terrestres ou maritimes, quand elle l’a perdu avec l’éclatement de l’URSS.
Selon les promoteurs de ce projet, la
ville de Bohumin (région Moravo-silésienne) a de sérieuses chances de servir
de terminal à la voie à grand écarte-
153
N° 1046 novembre-décembre 2004
ment qui arrivera de Corée du Sud et
de Vladivostok. Cela permettrait de
désenclaver cette région, qui deviendrait ainsi “un port terrestre multimodal”. Une vraie porte entre l’Europe
et le Pacifique. D’après les calculs des
experts, cette liaison longue de 14 000
km offre de nombreux avantages : un
fret deux fois plus rapide par rapport à
la route maritime par le Sud, sécurisé
(sans les dangers du piratage), et sur un
itinéraire praticable toute l’année,
contrairement à la route maritime du
Nord de la Russie, bloquée l’hiver par
les glaces ; de plus, les effets frontières,
facteur majeur de ralentissement des
flux, seront supprimés, les contrôles
douaniers étant limités au minimum.
[...]
En juin 2001, au cours d’une imposante cérémonie placée sous le parrainage personnel du chef du gouvernement tchèque, M. Zeman, plusieurs
ministres et directeurs apposèrent leurs
signatures au bas d’une lettre d’intention portant sur le projet en question.
Au-dessus d’eux flottaient les drapeaux
russe, ukrainien, tchèque et l’enseigne
de la firme Shiran. En octobre, le premier
rail était symboliquement posé. Mais,
il manquait l’acteur incontournable,
sans lequel tout le projet peut avorter :
la Pologne. Signer ce document signifie en effet pour les Polonais s’engager
à prolonger la voie à grand écartement
sur les 90 km qui séparent leur terminal près de Katowice de celui de
Bohumin au risque de perdre un
volume certain de fret sur leur propre
territoire.»
Jaroslav Blaha, Le courrier des pays de l’Est
«Projets tchèques pour les transports. Comment
s’intégrer aux flux transcontinentaux»
CPE, n° 1029, octobre 2002, pp. 28-35
● La dure réalité des réformes
«Les entreprises ferroviaires des pays
de l’Est continuent de couvrir leurs
déficits issus du transport de voyageurs
par les bénéfices du transport de
154
marchandises. Beaucoup de réseaux
d’Europe de l’Ouest vivent la situation
inverse. Alors qu’au sein de l’Union
européenne (UE), certains cherchent à
revitaliser le fret ferroviaire par le
doublement des réseaux existants,
ceux dont disposent les pays d’Europe
centrale sont en moyenne bien plus
denses que dans l’Union. Contrairement à une idée reçue, ces pays n’ont
presque pas ou pas du tout opéré de
fermetures de lignes. [...]
Par ailleurs, la faible concurrence de la
route aurait, dans une certaine mesure,
limité l’érosion du trafic ferroviaire,
puisque la constitution d’un réseau
autoroutier n’en est qu’à ses débuts.
Ces constats amènent à se poser
plusieurs questions. Les stratégies des
acteurs ferroviaires d’Europe de l’Est
vont-elles permettre à ces derniers de
continuer à remplir leur vocation économique à l’égard du transport de
longue distance ? L’importance du
mode ferroviaire dans les pays de la
CEI est-elle susceptible d’influencer
ces stratégies ? Qu’en est-il de l’influence des pratiques logistiques européennes sur les systèmes de transport
de ces pays ? Quel rôle dès lors pourrait jouer le rail dans l’Europe élargie ?
Dans les PECO, les chemins de fer
étaient jusqu’aux années 1960 comparables à ceux de l’Ouest en matière de
normes techniques. Depuis cette date,
les réseaux d’Europe de l’Ouest se sont
affranchis du transport par wagons
isolés au profit du transport par train
complet, tandis que ceux de l’Est ont
maintenu cette fonction. C’est en partie
à cause de cette évolution que les trafics
entre l’Est et l’Ouest se sont modestement développés depuis la disparition
du rideau de fer. A bien des égards, le
fonctionnement actuel des chemins de
fer est-européens reste fortement
imprégné par leurs origines historiques. Beaucoup d’entre eux furent
mis en service au XIXe siècle, soit à
l’initiative de la Prusse et de l’empire
Les transports
austro-hongrois, soit à celle, concomitante, de la Russie. Dans les deux cas,
les lignes principales, radiales de
Berlin, de Vienne, de Budapest et de
Moscou se développèrent considérablement après la révolution de 1848.
Les réseaux commencèrent de desservir
des liaisons internationales à partir de
1860. Aujourd’hui encore, tout comme
à l’intérieur de l’Europe de l’Ouest, les
normes techniques diffèrent selon les
régions : on parle encore des signalisations “à l’allemande”, “à la française”
ou “à la russe“. [...]
Préoccupées par les difficultés que
soulève la circulation des trains de
marchandises sur les lignes internationales de l’ensemble du continent européen, les instances européennes recherchent depuis 1990 toutes les solutions
possibles pour converger vers ce qu’il
est convenu de nommer l’interopérabilité. Il est compliqué d’introduire des
changements : les expériences menées
depuis trente ans montrent que les
savoir-faire sont bien plus difficilement réformables que les équipements.
Comme à l’Ouest, les entreprises ferroviaires de l’Est sont souvent les
dernières à avoir été concernées par les
programmes de privatisation. Par
ailleurs, le transport est, avec la
défense, l’un des derniers secteurs à
avoir fait l’objet d’une politique commune européenne. On lui confère des
fonctions qui relèvent de la souveraineté des Etats. Les directives 91-440,
95-18 et 95-19 de l’UE, qui visaient à
ouvrir les réseaux ferroviaires à la
concurrence, notamment par la séparation entre la propriété de l’infrastructure et l’exploitation, ainsi qu’à
favoriser l’interopérabilité et le
transport combiné, constituaient des
moyens de revitaliser le rail, en
réponse à la progression régulière des
parts de marché de la route.
le courrier des pays de l’Est
L’application des directives européennes pour le transport ferroviaire
[...] a pris des formes différentes dans
les Etats membres et les pays candidats. Ces derniers, sans exception, ont
été tenus d’appliquer ces directives
avant l’adhésion. Il est par ailleurs
intéressant de noter que les chemins de
fer russes suivirent cette évolution
générale en engageant des réformes
plus tard, à partir de 2000. Dans tous
les cas, la transformation des modes de
gestion des administrations sous tutelle
du ministère concerné s’est avérée
délicate pour l’ensemble des acteurs.
Cela tient autant à la remise en cause
d’un bien public dont la vocation a toujours été pensée dans un cadre national
qu’à la difficulté pour les services
ferroviaires d’être compétitifs. [...]
En Europe centrale, les implantations
de nouveaux centres de production à
proximité d’une voie ferroviaire ou
d’un chantier intermodal à vocation
essentiellement ferroviaire se font de
plus en plus rares. En effet, les entreprises de ces pays optent généralement
pour une localisation peu éloignée des
infrastructures routières. [...]
Pour l’instant, les PECO qui ont appliqué la directive 91-440 et ouvert le
réseau d’infrastructures à de nouveaux
opérateurs n’ont pas toujours mesuré
les risques techniques (liés à la sécurité) de cette démarche, ni économiques (les marchés lucratifs et
fortement captifs du mode ferroviaire
ont souvent été perdus). Souvent les
autorités publiques ont fait de l’application de la directive un alibi à des
réformes structurelles délicates socialement.»
Antoine Kunth, Ecole nationale des ponts et chaussées
«Chemins de fer en mutation dans l’Europe médiane»
CPE, n° 1029, octobre 2002, pp. 15-27
155
N° 1046 novembre-décembre 2004
Les routes russes
en déshérence
● Réseau et développement
économique
«Les différences de développement
des régions tiennent pour beaucoup à
leur position par rapport au réseau routier.
En général, plus on est proche de l’axe
principal, plus l’espace est développé,
peuplé et urbanisé. Dans les régions
dites vierges de Sibérie, l’urbanisation
a d’ailleurs suivi et non précédé la
mise en place des réseaux. Les carrefours importants ont, eux, un pouvoir
d’attraction supplémentaire du fait de
liaisons plus aisées. De nombreux
villages ont été entièrement abandonnés
durant les quinze dernières années, et
ce pas seulement en Sibérie, mais aussi
dans d’autres régions, y compris au
centre de la Russie. L’une des causes en
était l’insuffisance grave des infrastructures routières les desservant. [...]
L’inégalité entre régions peut être également illustrée par les taux annuels de
croissance du réseau. L’oblast de
Moscou, qui a la plus forte densité routière de Russie et est déjà très développée, voit son avantage sans cesse
conforté par de nouvelles constructions, le taux moyen annuel de croissance étant de 5,9 % par an en
1991-1993 pour une moyenne nationale de 3,4 %. Un certain mécontentement se fait jour dans les régions
périphériques au sujet de la politique
de construction routière, qui privilégie
depuis longtemps Moscou et son oblast
(cela n’est pas seulement vrai dans le
domaine routier). Cependant, il semble
rationnel de développer en premier lieu
les routes du centre du pays, c’est-àdire des régions les plus peuplées. Si
l’on prend l’exemple de Moscou, le
parc automobile y a augmenté de
229 % pendant les dix dernières années.
[...] En 1995, on comptait 143 véhicules
privés pour 1 000 Moscovites, contre
156
52 en 1986 (moyenne nationale : 84
pour 1 000 habitants).
Les projections faites à deux reprises,
en 1971 et 1983, se situent évidemment
très loin de la réalité actuelle. Selon
celles-ci, le parc de véhicules à Moscou
devrait augmenter de 4 % en 1995 en
rythme annuel (contre 16 % en réalité)
et de 2 % en 2000. Or, les schémas de
construction et d’entretien du réseau
routier avaient été établis en tenant
compte de ces prévisions. En conséquence, à partir de 1989-1990, apparaît
un énorme déséquilibre entre le nombre
de véhicules et la longueur du réseau
routier. [...]
● Des routes en mauvais état
Si la qualité des routes se détériore,
cela n’est pas dû à la seule crise économique. Ce problème est depuis longtemps récurrent en Russie, et s’explique
en partie par d’autres facteurs. Le premier
réside dans les conditions climatiques
rigoureuses et la composition des sols.
Tout le territoire, à l’exception de
quelques régions, se caractérise par un
sol de type argileux, qui gonfle pendant
l’hiver et se rétracte au printemps, ce
qui déstabilise le revêtement. En outre,
les régions de Russie ont parfois une
superficie énorme. [...] Dans ces conditions, les travaux de réhabilitation dans
les zones éloignées et peu peuplées
sont rarement effectués, une fois tous
les dix à quinze ans, d’où l’importance
de la qualité initiale de la construction.
[...] Or, 86 % des routes ont un remblai
de type argileux qui a été mal compacté
lors de la construction, 55 % des routes
sont actuellement dotées d’un revêtement mince et 20 % sont parsemées de
nids de poule. De plus, le sol est généralement gelé en hiver jusqu’à un ou
deux mètres de profondeur, même dans
le centre de la Russie, sans parler des
régions de permafrost du Nord ou de la
Sibérie. [...] Le mode de fonctionnement de l’économie planifiée sovié-
Les transports
tique explique également la mauvaise
qualité des routes. Il était en effet plus
rentable de construire de nombreuses
routes, même de mauvaise qualité, en
les réparant ensuite chaque année, que
de s’appliquer à assurer au départ la
qualité de la construction. Or, la
logique bureaucratique sectorielle a eu
la vie dure. Jusqu’en 1991, il n’existait
pas de structures gouvernementales
chargées de coordonner, de contrôler et
de gérer le financement du secteur
routier. C’est pourquoi la Russie est le
seul pays au monde où les dépenses de
réhabilitation et d’entretien des routes
sont plus élevées que celles affectées à
la construction, les premières dévorant
60 % du budget total du secteur routier.
A titre de comparaison, les chiffres
pour les Etats-Unis sont de 25-30 % et
pour le Japon de 14-17 % seulement.
[...]
● Le programme «Routes
de Russie»
Le président Eltsine a signé un décret
(décembre 1992) autorisant la construction et l’exploitation de routes à
péage, afin d’améliorer la qualité des
routes ainsi que les services et de permettre l’accès à de nouvelles sources
de financement. [...] La première autoroute à péage (870 km) conforme aux
normes internationales doit relier
Moscou et Saint-Pétersbourg. [...] Il
existe plusieurs autres projets, comme
une rocade autour de Vyborg (dans la
région de Leningrad) et plusieurs routes
sur l’île de Sakhaline. [...] Ce décret
évoquait aussi de nombreux projets
d’autoroutes internationales à péage.
Par exemple, la Russie et la Chine
s’étaient mises d’accord fin 1992 sur
un projet de construction d’une autoroute Moscou-Pékin. Mais le projet le
plus spectaculaire, inscrit au Schéma
directeur de Russie, concernait la
connexion de l’Europe avec l’Asie et
l’Amérique. Il s’agissait d’une autoroute à péage de 18 000 km environ !
le courrier des pays de l’Est
Elle devrait [...] traverser la zone de
permafrost de Sibérie et aboutir à un
pont de 10 kilomètres enjambant le
détroit de Béring. La probabilité de
réalisation de ce projet est extrêmement faible. [...]
Le programme intitulé “Routes de
Russie” date de la fin de 1994. [...] Il
propose de “considérer le développement des routes comme l’un des
problèmes les plus importants de l’économie. La réalisation des mesures
envisagées devrait avoir une influence
positive sur la mobilisation des ressources du pays, la réduction du taux
de chômage et favoriser le développement des régions rurales”. Le terme du
programme est fixé à 2000, avec une
échéance complémentaire en 2010.
[…] Il envisage, outre la réhabilitation
des routes existantes, de porter la longueur du réseau routier à 1 500 000 km
en 2000. Cette augmentation de 40 %
du réseau existant paraît bien optimiste. Il faudrait alors construire
chaque année 60 000 à 70 000 km de
routes revêtues et en réhabiliter 200 000250 000 km.»
Svetlana Klessova, Maison de la géographie à Montpellier
«Routes et politique routière :
un enjeu d’aménagement pour la Russie»
CPE, n° 411, août 1996, pp. 23-37
Repenser le continent
européen
«Dans le cadre du processus de l’élargissement, les efforts de l’Union se
sont déployés pour étendre aux pays
candidats la politique de développement des réseaux trans-européens
(RTE), et accroître progressivement les
moyens financiers correspondants ;
cette démarche s’est déroulée parallèlement au lancement, sur la base du
traité de Maastricht, de la politique du
Réseau trans-européen de transport qui
fait appel pour les pays membres aux
ressources du budget RTE, du Fonds
de cohésion et, dans une moindre
157
N° 1046 novembre-décembre 2004
mesure, du Fonds européen de développement régional (Feder) sans
oublier la Banque européenne d’investissements (BEI) qui apporte à cette
politique un appui considérable.
● La stratégie des corridors
Dès 1990 avait été mis en place un
groupe de travail G-24 Transports,
auquel participaient des représentants
des ministères concernés d’Europe
centrale. Ses travaux, pilotés par la
Commission européenne et ponctués
par les conférences de Prague (1991) et
de Crète (1994), étaient centrés sur la
planification à long terme et la recherche
de financements pour les infrastructures
de neuf “corridors pan-européens”. [...]
Cette stratégie souffrait toutefois d’un
manque de ressources patent. [...] Le
Conseil de Copenhague de juin 1993,
reconnaissant que des infrastructures
vieillies et inadaptées risquaient de
retarder ou de bloquer le processus
d’élargissement, décida de consacrer
au soutien d’investissements d’infrastructures une enveloppe de 15 % du
budget global du programme Phare qui
était alors de l’ordre de 1 milliard
d’écus par an. Le Conseil européen
d’Essen (décembre 1994) décida
d’augmenter cette enveloppe en portant à 25 % le plafond des financements Phare affectés à des projets
d’infrastructures.
En 1993 et 1994, le programme Phare
commença ainsi à subventionner
(modestement) en Pologne, Hongrie,
Bulgarie et Roumanie quelques projets
routiers et ferroviaires préparés par la
BEI ou la Berd, voire la Banque mondiale, la décision de Copenhague
imposant un cofinancement avec des
institutions financières internationales
(IFI). Dans le cadre de la programmation pluri-annuelle du budget Phare
pour 1995-1999, un programme de
soutien aux projets d’infrastructures de
transport fut élaboré pour l’ensemble
158
des pays candidats. A la “facilité de
Copenhague” s’ajoutaient deux sources de financements plus modestes, le
programme de franchissement de frontières et celui de coopération transfrontalière, qui permirent de porter à près
de 30 % du budget Phare, jusqu’en
1999, les fonds disponibles pour la
modernisation des infrastructures.
● Le processus Tina
Un tournant a été pris avec le passage,
en 1995-1996, du “dialogue structuré”
entre l’Union et les pays candidats à un
véritable processus de pré-adhésion.
Dans la perspective d’une extension à
terme des politiques de développement
du réseau trans-européen, le processus
Tina (Transport - Infrastructure Needs
Assessment ou Evaluation des besoins
d’infrastructures de transport) fut
engagé à cette date. [...]
Le processus Tina visait à identifier un
réseau susceptible de constituer une
extension du RTE de transport à
l’Europe centrale et orientale ; néanmoins l’approche des corridors ne fut
pas abandonnée. La troisième Conférence paneuropéenne des transports
(Helsinki, juin 1997) adopta la proposition de la Commission d’utiliser
comme base des travaux d’élaboration
du réseau Tina les “9 corridors de
Crète”, devenus les “10 corridors
d’Helsinki” avec l’ajout d’un système
de liaisons entre l’Autriche et la
Hongrie et la Grèce et la Bulgarie à travers la Slovénie, la Croatie et la Serbie.
[...] S’y ajoutaient quatre “aires paneuropéennes de transport” maritime
(Petra) (Méditerranée, AdriatiqueIonienne, mer Noire, mer de Barents et
euro-arctique) et un lien euro-asiatique
(Traceca : Europe-Caucase-Asie), correspondant à l’ancienne route de la
soie, aujourd’hui plutôt orientée vers
les ressources énergétiques de la mer
Caspienne.
Les transports
Le processus Tina s’est achevé en
2000. [...] Dans le cadre des négociations d’adhésion, des travaux d’adaptation technique de ce réseau se sont
poursuivis en 2001 et 2002, pour permettre aux autorités des pays candidats
et aux services de la Commission de
préparer l’extension du RTE en vue de
l’échéance de 2004. Dès le lancement
du processus Tina en 1996, une étude
de la Commission avait révélé l’importance des financements nécessaires à la
mise à niveau du futur réseau des pays
candidats (de l’ordre de 90 milliards
d’euros à l’horizon 2015). Elle soulignait l’incapacité de ces Etats à les
mobiliser à eux seuls et, par conséquent, la nécessité de recourir à des
instruments financiers communautaires analogues à ceux mis à la disposition de l’Espagne, du Portugal, de
l’Irlande et de la Grèce depuis le traité
de Maastricht, pour moderniser leurs
réseaux d’infrastructures. [...]
● Des projets de plus en plus
nombreux
Selon les données pour la période
1989-2002, les contributions du budget
de l’Union européenne (programme
Phare puis Ispa) et des IFI (Banque
mondiale, Berd, et surtout BEI dans les
années récentes) auront atteint un
volume global avoisinant les 15 mil-
le courrier des pays de l’Est
liards d’euros. La mobilisation des
enveloppes budgétaires programmées
(Ispa, budget RTE et Fonds structurels
après les adhésions) et la montée en
puissance des prêts de la BEI sont susceptibles de porter ce montant à plus
de 30 milliards d’euros en 2006. Ainsi,
dans les quatre ans à venir, les ressources
nouvelles engagées pour les projets du
futur RTE d’Europe centrale devraient
dépasser les volumes totaux investis en
treize ans pour les projets des “corridors” (Crète et Helsinki), puis pour les
projets du réseau Tina : la cadence du
lancement de nouveaux projets devrait
donc devenir trois ou quatre fois plus
rapide que durant les dix premières
années de la transition. Il faut toutefois
garder à l’esprit que les données disponibles recouvrent des engagements. Or,
pour les grandes infrastructures dont la
réalisation s’échelonne souvent sur
cinq ans et parfois plus, le décalage
temporel avec lequel s’effectuent les
paiements est considérable. Ainsi, sur
la quinzaine de milliards d’euros engagés au total depuis 1989 par les différentes institutions pour le futur RTE
d’Europe centrale et orientale, une
proportion élevée, peut-être de l’ordre
du quart, n’a pas encore été effectivement investie.»
Michel Gaspard, ministère des Transports
«Réseaux de transport pour l’Est de l’Europe.
Les financements internationaux et de l’Union européenne»
CPE n° 1029, octobre 2002, pp. 4-14
Notes de la rédaction :
(1) Aujourd’hui, la TEM est devenue une réalité technique, 4 300 km sont ouverts à la circulation et un tronçon de 1 800 km est en cours de construction. Avec la Croatie qui a adhéré au
projet TEM en juillet 1993, le nombre des pays participants s’élève à onze. Initialement
conçu comme un corridor Nord-Sud, ce projet comporte maintenant des tronçons Est-Ouest,
formant désormais un réseau de plus de 20 000 km. Du même coup, certaines liaisons NordSud se trouvent reléguées au second plan en termes de priorités.
(2) Dans les années 1990, après la partition de la Tchécoslovaquie, la Slovaquie a décidé de
mettre l’ouvrage en service.
(3) La disparition du rideau de fer donne aujourd’hui une nouvelle chance à la voie d’eau qui
peut jouer un rôle important dans le développement futur des échanges entre l’Est et l’Ouest :
par la mer du Nord et la Baltique d’un côté, par la Méditerranée et la mer Noire de l’autre, par
les bassins du Rhin et du Danube, enfin dont la liaison à grand gabarit, à partir de 1992, ouvre
une véritable «autoroute fluviale» continue d’Amsterdam et Rotterdam à Constanza sur la
mer Noire (via un canal) en passant par Francfort, Vienne, Bratislava, Budapest et Belgrade.
159
N° 1046 novembre-décembre 2004
Un autre projet présenté en mai 1993 propose de relier, par une transversale fluviale, le plus
grand port d’Europe (Duisbourg) à la Biélorussie par les voies navigables polonaises.
(4) En septembre 1984, toute la presse soviétique annonçait triomphalement que les constructeurs
des tronçons Est et Ouest du BAM avaient effectué la jonction. Ainsi, dix ans après la mise en
chantier de la nouvelle voie ferrée transsibérienne un train pouvait symboliquement la
parcourir de bout en bout. Cependant, la ligne ne sera opérationnelle qu’aux environs de
1990. Avant la mise en service du BAM, les Soviétiques assuraient déjà plus de 10 % du trafic
de marchandises entre l’Europe occidentale et le Japon, et en particulier 25 % du trafic de
conteneurs. Pratiquant des tarifs inférieurs de 15 % à ceux recommandés par la Conférence
maritime d’Extrême-Orient, l’URSS a également conquis le marché grâce à des délais rapides
d’acheminement (20-25 jours contre 30-35 jours par voie maritime).
Pour plus d'informations, lire
dans Le courrier des pays de l'Est
Georges Sokoloff, «L'Extrême-Orient soviétique», n° 29, 6 mai 1965, pp. 23-41.
Article non signé, «Les problèmes marginaux de l'automobilisme en Union soviétique»,
n° 98, 6 mars 1968, pp. 19-37.
Tatjana Globokar, Michèle Kahn, «Les transports fluviaux en URSS et en Europe orientale»,
n° 220, juillet-août 1978, pp. 3-22.
Paul Revay, «Le projet d'autoroute trans-européenne Nord-Sud», n° 234, novembre 1979,
pp. 48-53.
Wilhelm Jampel, «Le projet d'aménagement de la Vistule», n° 236, janvier 1980, pp. 47-52.
Hervé Gicquiau, «Une crise durable des transports intérieurs de l'URSS», n° 251, mai 1981,
pp. 3-32.
Tatjana Globokar, Michèle Kahn, «Le rôle des transports dans les économies est-européennes»,
n° 270, février 1983, pp. 3-39.
Jaroslav Blaha, «Aviation civile et industrie aéronautique en Europe de l'Est», n° 336, janvier
1989, pp. 29-42.
Michel Gaspard, avec la coll. de Jaroslav Blaha, «Les transports en Europe centrale et
orientale : quels besoins et quels projets ?», n° 380, juin-juillet 1993, pp. 3-43.
Anne Godron, «Le bassin de l'Amour : une nouvelle zone de coopération entre la Chine et
la Russie», n° 406, janvier-février 1996, pp. 65-71.
Pierre Thorez, «Les transports maritimes dans les Etats issus de l'URSS», n° 426, janvier
1998, pp. 18-53.
160
le courrier des pays de l’Est
Repères bibliographiques 1964-2004
Le choix des ouvrages cités ici a été effectué en fonction de plusieurs critères,
notamment leur caractère généraliste, l’offre d’une réflexion de fond ou sur longue
période de la part de chercheurs, le champ géographique couvrant dans la
mesure du possible l’ensemble de la région concernée, la langue française.
Nombre d’entre eux ont fait l’objet d’un compte rendu de lecture dans Le courrier
des pays de l’Est et sont disponibles à la bibliothèque de La Documentation
française. Ne sont pas répertoriées ici les nombreuses publications des institutions
internationales ou encore des Missions économiques françaises dans les pays de
l’Est, aisément repérables sur leurs sites internet.
Aleksiun (Natalia), Beauvois
(Daniel),
Ducreux
(MarieElizabeth), Kloczowski (Jerzy),
Samsonowicz (Henryk), Wandycz
(Piotr), Histoire de l’Europe du
Centre-Est, Nouvelle Clio, L’histoire
et ses problèmes, PUF, Paris,
2004, 997 p.
Amalrik (Andreï), L’Union soviétique survivra-t-elle en 1984 ?,
Fayard, Paris, 1970, 130 p.
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N° 1046 novembre-décembre 2004
A La Documentation française
Dès 1945, les pays communistes et
notamment l’URSS ont bénéficié
d’un très large suivi de l’actualité,
tous domaines confondus, au sein
de différentes collections.
Chronique URSS, puis URSS. Faits
et documents de la vie soviétique,
enfin les séries URSS puis Russie
de la revue Problèmes politiques et
sociaux, de 1970 à 2000, à raison
de six numéros par an, puis quatre
et trois. Seul ce pays avait un
traitement à part, les autres Etats
de l’Est faisant l’objet de numéros
«normaux».
Notes et études documentaires
(puis Les Etudes), de son côté, a
publié de nombreux documents
officiels et des analyses de la vie
économique et politique de ces
pays. De plus, de 1968 à 2000, un
«annuel», puis deux, (URSS ;
Europe centrale et orientale) leur
furent consacrés, intégrés par la
suite dans Le courrier des pays de
l’Est.
Cette dernière propose dans son
Centre de documentation internationale des dossiers par pays et
mots-clés, consultables gratuitement sur place.
Autres revues françaises
L’Alternative, devenue La Nouvelle
Alternative. Politique et société à
l’Est (semestrielle).
L’autre Europe (L’Age d’homme),
qui a cessé de paraître.
Revue d’études comparatives EstOuest (trimestrielle)
En langue anglaise
Au sein de la très importante
production en langue anglaise sur
les pays de l’Est, citons surtout : la
parution chaque année de deux
gros volumes encyclopédiques
Central and South Eastern Europe
et Eastern Europe, Russia and
Central Asia, Europa Publications,
Londres.
La revue La documentation photographique a également participé à
cette information, de même que
Problèmes économiques.
Economic Survey of Europe (deux
fois par an), Commission économique pour l’Europe des Nations
unies, Genève.
On peut retrouver sur les sites
dédiés à chaque revue, www.la
documentationfrancaise.fr, les
publications disponibles à la vente.
Le rapport annuel de la Berd,
Londres.
Toutes les collections sont par
ailleurs conservées en intégralité à
166
la bibliothèque de La Documentation française.
Pour chacun des pays, Country
Profile (annuel) et Country Report
(trimestriel), Economist Intelligence
Unit (EIU), Londres.
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