Faire Face, novembre 2000.
MOELLE : RETABLIR LE CONTACT
Par Anne-Marie Bodson
Les dégâts provoqués par les lésions de la moelle épinière sont, aujourd'hui
encore, irréparables. Mais les expériences de régénération réalisées sur
l'animal laissent entrevoir la possibilité d'améliorer certaines capacités
fonctionnelles.
Longtemps, on a pensé que les lésions de la moelle étaient irréparables et que le contact
rompu ne pouvait être rétabli, les neurones du système nerveux central étant, a priori,
incapables de se régénérer. Aujourd'hui, grâce aux multiples expériences menées partout
dans le monde sur des animaux adultes, on sait qu'il est possible, dans certaines
conditions, de régénérer les neurones et de stimuler la repousse des axones, leurs
prolongements cellulaires.
Pour les blessés médullaires, comme pour les personnes atteintes de maladies
dégénératives du système nerveux (sclérose en plaques, Alzheimer, Parkinson,
Huntington…), l'espoir de récupérer une partie des fonctions perdues est donc,
aujourd'hui, fondé sur des données scientifiques. Même si l'on sait que les applications
cliniques chez l'homme ne sont pas encore à l'ordre du jour.
La recherche sur la moelle épinière se développe dans deux grandes directions : la
neuroprotection (empêcher les lésions de s'aggraver dans les heures qui suivent
l'accident) et la réparation des circuits détruits. Les Etats-Unis et le Canada sont à la
pointe de cette recherche, par les travaux de leurs équipes hospitalières et universitaires,
soutenus par les grands laboratoires et par un financement privé important. Pour sa part,
la France apporte une contribution non négligeable à la recherche internationale, avec les
travaux d'Alain Privat, Jacques Mallet, Marc Tadié, Didier Orsal et bien d'autres
chercheurs de l'Inserm et du CNRS. Ces travaux sont soutenus, essentiellement, par
l'IRME (institut de recherche sur la moelle épinière), pionnier et référence en matière de
recherche sur la moelle épinière en France, depuis quinze ans.
Empêcher la lésion de s'aggraver
Les lésions du système nerveux central s'aggravent dans les heures qui suivent l'accident
: en effet, les cellules endommagées libèrent des substances toxiques qui détruisent les
cellules nerveuses environnantes. Depuis 1990, de nombreuses molécules sont à l'essai
pour tenter de freiner ce processus délétère. La méthylprednisolone, un corticostéroïde,
semble réduire l'œdème, l'inflammation, la libération de substances toxiques ainsi que
l'accumulation de radicaux libres. D'autres substances, diminuant la sensibilité des
cellules nerveuses au glutamate (agent neurotransmetteur naturel libéré à doses
toxiques en cas de lésion), ont déjà fait l'objet d'essais préliminaires chez des personnes
victimes d'un accident vasculaire cérébral. Elles pourraient être applicables dans
quelques années aux lésions de la moelle épinière.
Mais pour être efficaces, ces substances neuroprotectrices doivent être administrées dans
les heures qui suivent l'accident. Ce qui suppose une prise en charge rapide des blessés
dans des centres de référence. Dès 1997, le réseau d'intervention rapide mis en place
par le Professeur Marc Tadié, neurochirurgien à l'Hôpital de Bicêtre (Hauts-de-Seine), a
permis de tester dans de bonnes conditions une molécule neuroprotectrice, la Gacyclidine
(GK11). Cette molécule, mise au point par l'équipe du Dr Alain Privat, chercheur à
l'Inserm (U 336, Montpellier), avec le Dr Kamenka, pharmacologue, a été administrée à
280 blessés médullaires. L'ensemble de l'opération a été menée sous l'égide de l'IRME,
en collaboration avec les laboratoires Ipsen-Beaufour. Les résultats semblent
encourageants.
Réparer les circuits endommagés.
La section de la moelle est rarement complète. Dans la plupart des cas, certains
neurones demeurés intacts pourraient rétablir le contact si leurs axones ne se heurtaient
au mur de la cicatrice gliale, cet amas de cellules qui se forme au niveau de la lésion.
Bon nombre de chercheurs tentent de réduire cet obstacle. Au Canada, le Dr Stéphane
Woerly a mis au point une substance, le Neurogel, capable de former un pont entre les
deux sections de la moelle lésée (après retrait chirurgical du tissu cicatriciel) et d'offrir
ainsi un support de guidage à la repousse des fibres nerveuses (voir Faire Face n° 574,
"Un gel porteur d'espoir"). Repousse permise et accélérée par différents médiateurs
chimiques et/ou cellules souches. C'est une des rares voies de recherche sur la moelle
épinière qui en arrive au stade des premiers essais chez l'homme. Elle concerne
également des lésions anciennes, pour autant que le sujet soit encore jeune, en bon état
général et sans atrophie musculaire.
Régénérer les cellules nerveuses. C'est aujourd'hui possible, du moins chez l'animal.
Les approches sont nombreuses : greffes de cellules souches embryonnaires, fœtales ou
adultes activées par des facteurs de croissance, injections directes de facteurs de
croissance aux endroits lésés pour stimuler la régénération des cellules, l'allongement
des axones, leur remyélinisation…Une méthode séduisante, et qui a le mérite de ne pas
soulever de débat éthique, consiste à utiliser le pouvoir particulièrement régénérant de
certaines cellules du système nerveux périphérique, les cellules de Schwann, prélevées
chez le sujet, multipliées en laboratoire, puis implantées dans la moelle épinière. Des
améliorations motrices ont été constatées chez les rats qui ont bénéficié de telles
transplantations. Une approche parallèle défraie actuellement la chronique : la possibilité
d'utiliser des cellules olfactives, cellules nerveuses qui ont la capacité de se renouveler
constamment.
La stimulation d'un "générateur de marche" qui serait opérationnel, même quand la
liaison avec le cerveau est coupée, constitue également une approche intéressante. Tous
les mammifères posséderaient, à un certain niveau de la moelle, une commande sensible
aux incitations du système nerveux périphérique. Elle serait capable d'agir sur la
motricité des membres inférieurs et de produire une marche réflexe, même en l'absence
de contrôle du cerveau. Marche réflexe que l'on observe chez le nouveau-né, bien avant
que les circuits de la motricité commandés par le cerveau ne soient arrivés à maturité.
L'équipe du Dr Privat, en collaboration avec des chercheurs québécois (Pr Rossignol, de
Montréal) et avec le Dr Jacques Mallet (CNRS - Pitié-Salpêtrière), a rétabli une
locomotion des membres postérieurs chez des rats, après section de la moelle, en
stimulant ce générateur de marche par une greffe de neurones embryonnaires
producteurs de sérotonine, un puissant neuromédiateur. Greffe réalisée au-dessous de la
lésion, sur le site précis de ce générateur de marche (L1-L2 chez le rat).
On devrait savoir si cette expérience est transposable à l'homme dans quelques années.
Les greffes embryonnaires se heurtant, chez l'homme, à des problèmes d'ordre éthique,
l'équipe étudie actuellement la possibilité d'utiliser des cellules non nerveuses, auxquelles
ont incorporerait un gène conduisant à la synthèse d'un neuromédiateur. Lorsque ces
cellules seront prêtes, il restera à résoudre le délicat problème de leur implantation : pas
question de provoquer un traumatisme supplémentaire chez un patient à la moelle déjà
lésée.
Marcher par électrostimulation : le projet Stand Up and Walk (SUAW)
D'autres recherches, cliniques cette fois, tentent de réactiver les muscles déficients, en
utilisant les ressources des nouvelles technologies. "Lève-toi et marche", tel est le nom
français du projet européen lancé en 1999 (six pays, dont la France) et coordonné par le
Pr Pierre Rabischong, de l'Université de Montpellier. Pas question, ici, de réparer quoi que
ce soit, mais d'essayer de restaurer une capacité de marche limitée (quelques mètres)
par des moyens techniques. Un stimulateur électronique est placé sous la peau de
l'abdomen. Seize fils en Téflon, également implantés à l'intérieur du corps, partent de ce
stimulateur vers les deux jambes. Au bout des fils, de petites électrodes en contact avec
différents muscles (grand fessier, petit fessier, quadriceps…). Le stimulateur envoie des
impulsions électriques vers les électrodes, stimulant les muscles de façon à produire une
marche en déplaçant hanche et genoux. Un programme informatique, contenu dans une
puce, gère les opérations de l'extérieur (un boîtier fixé à la ceinture) en envoyant les
impulsions au stimulateur par radio-fréquence. Ce projet ne concerne que de jeunes
paraplégiques, très motivés, avec une lésion basse, et ayant conservé une bonne
structure musculaire. Très médiatisé, en particulier par un reportage d'Envoyé Spécial, il
n'a encore fait l'objet d'aucune publication scientifique, alors que les résultats étaient
annoncés pour l'an 2000…
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