Volet 2 : Variation et pérennité du discours de domination.
De l’expansion à l’administration coloniale
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villageois africains – ils avaient emporté un phonographe et des disques.568 Ils s’attendaient à
quelque forme de reconnaissance, mais n’obtiennent aucune réaction particulière. L’art de
l’Afrique – ce qui est considéré comme tel – enthousiasme les musiciens et leur public,
domine les expositions ethnographiques (1919 : installation d’une exposition d’art nègre à
Paris, 1930 : grande exposition d’art Africain et d’Océanie, dans la galerie Pigalle), et inspire
l’art pictural.
Il faut placer le début de cet engouement pour l’art nègre vers 1907, année où certains
artistes, comme Picasso, visitent le musée du Trocadero où se tient une exposition de masques
africains. Au lieu d’y voir des curiosités ethnographiques, ils y découvrent un vrai art qui
apporte à l’avant-garde une nouvelle conception de la représentation.569 Art non-mimétique,
conceptuel, les formes y sont en accord avec des idées abstraites et l’expression y a un lien
plus profond avec l’humain.570 L’intérêt des artistes pour les cultures non-occidentales,
comme ce fut le cas pour les surréalistes et les cubistes, s’inscrit dans la recherche d’une
nouvelle source d’inspiration. Vient à l’esprit, bien sûr, Les Demoiselles d’Avignon (1907) de
Picasso, dont les visages sont inspirés de masques africains et dont la composition fait
étrangement songer aux clichés ethnographiques de l’époque, aux photos de tribus africaines
ou même aux clichés des minorités ‘Moïs’ de l’Indochine.571 Avant la guerre, cette
‘indigènophilie’ touche principalement l’avant-garde, mais dès 1919, c’est la grande mode de
l’art nègre qui entre de plein pied dans la culture française et dans la littérature.572 Le cubisme
du jeune Malraux en serait un exemple.573 Car il est, lui aussi, selon Panivong Norindr, à la
recherche de la jonction entre formel et réel et d’un art perdu mais essentiel.574 Telle est
également l’attitude de Valery Larbaud, cet autre moderniste français, lorsqu’il décrit sa muse
comme « une dame créole ».575 C’est tellement dans le vent que l’industrie du faux en devient
568 JAMIN, Jean, « Introduction à Miroir de l’Afrique », dans : LEIRIS, Michel, Miroir de l’Afrique, Manchecourt,
Gallimard, 1996, p. 9-59, p. 31.
569 FLAM, Jack et DEUTCH, Miriam (prés.), « Introduction », Primitivism and Twentieth-century Art. A
Documentary History, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press, 2003, p. 1-22.
570 Ibid., p. 4.
571 On sait bien sûr que la première version du tableau était une scène de lupanar, mais la composition me frappe
comme ‘pose’ ethnographique.
572 FLAM, Jack et DEUTCH, Miriam, op. cit., p. 13.
573 DE FREITAS, Maria Teresa, « Résistances aux dérives de l’Occident », dans : LARRAT, Jean-Claude et
LECARME, Jacques (dir.), D’un siècle l’autre, André Malraux, Actes du colloque de Cerisy-la-Salle, Paris,
Gallimard, 2002, p. 62-77.
574 NORINDR, Panivong, op. cit., p. 98.
575 LARBAUD, Valery, cité par : FOKKEMA, Douwe et IBSCH, Elrud, op. cit., p. 106.