LA REVUE DES MANAGERS ET DES ORGANISATIONS RESPONSABLES N°257 Décembre 2014 Responsabilité sociétale D é velo ppe men t dur abl e Resp on sa bi l i t é s o c i al e Environnement Sécurité Qualité E t hiq ue ISSN 0767-9432 L’ e n t r e p r i s e f a c e à l a s o c i é t é : d e n o u ve l l e s p r at i q u e s m a n a g é r i a l e s . Entreprise et changements sociétaux. Vers une culture renouvelée du management. page 6 page 13 SOMMAIRE N°257 • DECEMBRE 2014 6 4 Edito L’entreprise de demain : une métamorphose annoncée... 6 Rencontre avec ... Geneviève Brichet. Entreprise et changements sociétaux. 8 Actualités Myriam Maestroni, élue « Femme en Or 2014 » dans la catégorie environnement. Rencontre avec... Geneviève Brichet, Administratrice de l’ALEES, Association lyonnaise d’éthique économique et sociale. 2015, année de la lumière en France. Saint-Pierre et Miquelon, un projet de grand port de transbordement. Stratégie et Management 11 L’entreprise face à la société : de nouvelles pratiques managériales. Dossier : L’entreprise face à la société : de nouvelles pratiques managériales. 64 Sélection du mois 11 L’entreprise du futur. 13 Vers une culture renouvelée du management. 22 Un nouveau rôle de l’entreprise dans les sociétés développées : la citoyenneté. 32 L’entreprise face à la diversité. 38 L’équité, un enjeu managérial. 46 Le concept de responsabilité. 55 Le manager face à l’e-co-innovation. 66 Tendances Le développement du m-commerce. Le HomeChat. Le bar à vitamines, un nouveau concept. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 3 N° 257 - Décembre 2014 E D I TO R I A L Les crises économiques, sociales et politiques nous mènent vers l’abîme. L’évolution du monde vers un « tout profit » avec son marché, son capital, a entraîné une rupture humaine sans précédent avec la réalité du vivant, la nature et ses lois. L’humanité souffre des effets destructeurs d’une logique économique prédatrice et anthropophage qui met en coupe réglée la terre et les êtres. L’entreprise, face aux défis sociaux et sociétaux, à l’accélération des échanges et à la tyrannie de l’immédiat et de l’instantané, est aujourd’hui au coeur d’un paradoxe. Attendue avec force pour développer l’emploi, créer des vraies richesses, participer au développement des territoires, elle est perçue, dans le même temps, comme un facteur de risques économiques, sociaux et écologiques majeurs. La crise économique que nous traversons révèle les effets «toxiques» de l’entreprise, à côté de ses prétendues vertus de création... JEAN-LUC LAFFARGUE De nombreuses voix, des associations, des institutions, des mouvements divers, promeuvent aujourd’hui des modèles alternatifs exprimant et dénonçant un peu partout dans le monde cet ordre marchand qui nous précipite dans des crises de plus en plus profondes, détruisant tout ce qui lui est étranger, avec pour seul objectif de faire de chaque minute de la vie une occasion de produire, d’échanger ou de consommer de la valeur marchande. Les différents mouvements qui s’amorcent n’acceptent plus que quelques milliers de personnes soient capables d’appauvrir des centaines de millions d’autres. Le développement met le modèle occidental comme archétype universel pour la planète. Il suppose que les sociétés occidentales constituent la finalité de l’histoire humaine… l’idée de « supportabilité » ou de durabilité ne saurait améliorer profondément l’idée même de développement. Elle ne fait que l’adoucir, que l’enrober de pommade. L’esprit humain est conditionné comme il ne l’a jamais été par une dictature médiatique qui abrutit pour nous rendre réceptif à la publicité, ou pour noyer les enjeux sociaux et réduire la politique à des questions de rivalités de personnes. La liberté de choix disparait derrière le modèle unique de la consommation. L’entreprise de demain : une métamorphose annoncée… Le développement économique, commercial ou financier d’une entreprise peut-il avoir un sens profond s’il ne contribue pas à l’accès aux droits des citoyens impactés par ses activités ? Nos organisations ne peuvent faire l’économie d’une réflexion et d’un engagement sur ces enjeux qui sont au cœur de leurs activités. La société a changé et ce n’est que le commencement car nous sommes toujours dans la préhistoire de l’humanité. Les citoyens ne veulent plus être exclus des choix qui engagent le présent et l’avenir. Les systèmes pyramidaux doivent faire place à des engagements collectifs, mobilisant l’ensemble des forces vives, salariés, organisations syndicales, actionnaires, investisseurs, fournisseurs, clients, institutions internationales, Etat, collectivités, consommateurs, ONG … d’autant plus dans une période où nos économies, nos institutions sociales, nos systèmes politiques, nos systèmes monétaires, nos organisations internationales… échappent à notre contrôle et deviennent ingouvernables. Nos conditions de vie sont elles-mêmes menacées, que ce soit par les catastrophes naturelles et technologiques, la pollution sous toutes ses formes (la pire étant celle de l’esprit), le réchauffement climatique, la désertification, l’aggravation de la misère et de la faim dans le monde, la sécurité des aliments, les déséquilibres démographiques, les tensions géopolitiques, … L’humanité est entrée dans une période prolongée de transition. Pour ce XXIème siècle, l’urgence est claire : il est impératif de changer de modèle de civilisation. Pour cela, il faut commencer par dévoiler et démonter les mécanismes du modèle capitaliste dominant, régime basé sur l’appropriation et le contrôle privé de la production et de la consommation orientée vers la maximisation du profit. En même temps, il faut mettre en route les alternatives du changement. Mais quels seront les nouveaux modèles économiques du 21ème 4 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com E D I TO R I A L siècle ? Quels nouveaux systèmes financiers, de production, de distribution ? Reposant sur quelles matrices énergétiques ? Parmi les principes de cette nouvelle vision se trouvent le soin, la coopération, la solidarité, la participation, la satisfaction des besoins vitaux, l’échelle du territoire et de la proximité, une redistribution plus juste, la coresponsabilité, l’éthique, l’équité. Face à cela, il ne suffit pas de sauver des banques, de renflouer des dettes et de développer des actions désespérées d’aides financières de la dernière heure. Cela ne sert qu’à retarder l’inévitable. Il est nécessaire de transformer radicalement les règles du système financier qui devra se nourrir des fondements éthiques d’une bio-civilisation pour la soutenabilité de la vie sur la planète. Il serait temps que l’humanité s’interroge sur sa signification et sur le rôle qu’elle joue dans le processus de la vie. C’est une crise humaine et de civilisation qu’il nous faut régler en procédant à une meilleure répartition des ressources de par le monde. Car chacun doit retrouver son droit fondamental à exister dignement. Pour cela nous devons nous reconnecter à nous-mêmes et à la nature. La transformation du monde passe d’abord par un changement profond en nous-mêmes et autour de nous. Ajoutons le numérique qui est au cœur de tous les processus et en particulier celui de l’innovation : Internet et les réseaux sociaux, la géo-localisation, les smart grids, les Moocs, les objets connectés et intelligents, les jeux, le design numérique, l’impression 3D, les robots… le numérique nous entraine dans un véritable « big bang ». Avec lui, l’ère du tout connecté est en route. En quelques années, l’économie numérique a explosé et va encore plus révolutionner notre façon de communiquer, de consommer, de travailler, de nous soigner, de vivre et de penser. Parler de société numérique signifie que tous les aspects de la vie sociale, l’économie, l’organisation du travail, les relations interindividuelles, la culture, les loisirs… se trouvent concernés par cette transformation de nos modes de communication et d’information, créant un mouvement sociétal d’un autre type par la modification de notre rapport aux autres et au monde. Cette transformation va concerner également la structure cognitive de l’individu à la fois dans son fonctionnement et dans ses rapports avec la société. Les crises actuelles sont des alertes, des opportunités à saisir pour accéder à un ordre plus naturel ; elles nous conduisent vers une tâche urgente et nécessaire, celle d’effectuer des choix fondamentaux où l’humanité est face au défi d’aller vers la construction des bases et des relations entre les humains, de ces derniers avec la biosphère, qu’ils soient ainsi capables de nourrir un processus vertueux, encore possible, de durabilité sociale, environnementale et écologique. Il faut alors construire des collectifs, des liens, de la coopération et alimenter les pratiques réformatrices de l’économie vers un monde plus équitable et plus durable. Les transitions emprunteront des voies plurielles, mais c’est dans ce contexte que l’humanité, et donc l’entreprise, est en train de construire un horizon commun comme jamais elle ne l’avait fait auparavant, tout en ayant en même temps une conscience très vive de sa propre diversité, de sa multiplicité, de ses différences et de ses complémentarités. Tous les acteurs économiques sont appelés à relever le défi de mettre les droits humains au cœur de leur politique et de leur stratégie de développement, et à exercer ainsi, effectivement, leur responsabilité sociétale d’entreprise. Ce programme urgent est décisif et essentiel pour éviter à tout prix que l’uniformité et la désertification, l’extrême richesse et l’absolue pauvreté, l’inculture et la guerre, ne deviennent la lumière noire qui éteigne notre libre destinée. A coup sûr, l’accélération sociale et sociétale, ses conséquences, ses risques, et la manière dont nous saurons y faire face représentent un des grands défis de notre XXIème siècle. Nos priorités résident aujourd’hui dans la production de sens. D’autres modèles de développement existent. Tournons-nous comme certains chercheurs, agriculteurs, citoyens, vers ceux qui travaillent à remettre les sillons de nos champs dans le bon sens… Toute l’équipe de Qualitique, la rédaction, les auteurs et personnalités qui ont contribué à enrichir la réflexion vous souhaitent une bonne année 2015. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 5 RENCONTRE AVEC... ... Geneviève Brichet. Geneviève Brichet, Administratrice d’ALEES, Association lyonnaise d’éthique économique et sociale. Entreprise et changements sociétaux. Qualitique Depuis quelques décennies, les anciens modes d'organisation de l'entreprise se trouvent remis en question. L'entreprise de demain est sans doute à réinventer. Selon vous, quels sont les principaux éléments à prendre en compte pour innover et anticiper les modes de management futurs ? Geneviève Brichet L’entreprise est à réinventer, tout comme la société qui se réinvente tous les jours, et de plus en plus vite. Il faut d’ailleurs remarquer que l’entreprise est souvent en avance sur les changements sociétaux, peut être en tant que société en miniature? Je vois trois éléments principaux à prendre en compte pour manager les entreprises de demain: le respect de la valeur-travail, la nécessité de trouver du sens à ce qu’on fait (et le partager) et la confiance en la capacité des collaborateur à effectuer leur mission... Mais pour cela, encore faut-il que celle-ci soit correctement définie et comprise par tous ! La valeur travail, c’est considérer que l’individu se réalise dans ce qu’il fait si tant est que son travail 6 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com soit respecté. Il est bien entendu que l’on ne peut se réaliser dans son travail que si on lui donne du sens. Les managers devraient s’en préoccuper pour que chaque collaborateur ait sa place dans l’équipe, une place connue et reconnue garante de son autonomie et de sa responsabilité vis-à-vis de lui même et de ses collègues. Quant à la confiance, elle est le corollaire du respect. Cela ne veut pas dire que le manager doive se contenter de laisser faire, ce qui s’apparenterait à de l’indifférence. C’est peut être la bienveillance qui pourrait le mieux définir la confiance. Qualitique Que représente aujourd'hui une entreprise éthique et quelles sont ses valeurs ? Geneviève Brichet Les entreprises sont des entités et non des personnes. Elles n’ont donc pas de valeurs autres que celles des hommeset des femmes qui la constituent. L’éthique étant prise au sens de questionnement permanent sur les conséquences d’une décision, les RENCONTRE AVEC... valeurs de respect sont prédominantes. Mais une fois qu’on a dit ça, comment le met-on en pratique au quotidien ? Je propose deux exemples de situations qui pointent ces valeurs de respect : - pouvoir résister à un objectif purement financier, pour remettre l’être humain au centre, comme valeur prédominante. Le questionnement éthique intervient alors pour faire des choix (parfois difficiles) en faveur de l’émancipation, plutôt que de l’enfermement dans les oukases du système. Comme par exemple avoir le courage de choisir de réaliser une performance financière moins importante, de préférence à entrer à tout prix dans des ratios imposés, en imposant un surcroit de travail sans contrepartie ou un licenciement. - faire confiance en ceux qui sont les forces vives de l’entreprise, pour prendre la bonne décision, trouver les bonnes idées, celles qui bénéficient à la fois aux salariés et à l’entreprise. Bien sûr, les conflits d’intérêts existent, mais il est possible de les régler par le dissensus, c’est-à-dire que chacun puisse conserver ses prérogatives, sans menacer la vie du groupe. Inviter à trouver un consentement mutuel (ce qui ne veut pas dire un consensus, trop souvent mou et qui crée des insatisfactions). Parce qu’inciter à jouer collectif, ça passe par la confiance que les individus s’apportent mutuellement. Qualitique Comment favoriser une attitude éthique dans le management ? Geneviève Brichet Développer une démarche RSE sincère est déjà un bon départ. Il semblerait que l’exemplarité du (des) manager(s) soit un préalable. Ne demandez pas à des collaborateurs d’avoir un comportement éthique si la direction de l’entreprise fait tout le contraire ! Pour l’Association Lyonnaise d’Éthique Économique et Sociale, l’éthique est avant tout un questionnement. Un manager qui s'interroge n’est pas un manager indécis qui doute en permanence et incapable de décider ; c’est juste un individu conscient de l’impact de ses décisions sur la vie d’une équipe (plus ou moins importante) d’individus. En ce sens, le questionnement est un devoir et l’éthique suit. Qualitique Nous entendons de plus en plus parler de "management en mode chaotique horizontal" et de "bunsha". Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Geneviève Brichet On parle beaucoup de sociocratie qui considère que l’entreprise se comporte comme un organisme vivant. C’est le cas du bunsha. Cette méthode consiste à favoriser la division de l'entreprise selon le mode biologique de la division cellulaire. A partir d'une certaine taille, les structures sont trop complexes pour être gérables. Il s'agit donc pour le manager non plus de diriger, mais de faciliter la création de cellules autonomes et interconnectées reposant sur des personnes-idée innovantes. Celles-ci sont en charge de développer leur activité en toute liberté, tout en donnant à chacune de ces cellules la responsabilité collective de l'ensemble de l'entreprise (comme en biologie). Cette méthode repose là aussi sur la confiance et l'autonomie des personnes. Le management dit «en mode chaotique horizontal» s’applique avec succès aux entreprises innovantes ou aux petites entreprises où le partage du pouvoir se fait au prorata de la reconnaissance par tous des compétences de chacun. La progression se fait naturellement sur un process « échec/réussite ». Il s’agit là de simplifier la structure pour que chacun ait un rôle déterminant, l’encadrement n’étant qu’une compétence, pas un instrument de pouvoir. A partir de là, l’implication des collaborateurs se fait à travers des catalyseurs : écouter, célébrer, reconnaître; consacrer une importance primordiale au recrutement à travers toutes les facettes de l’individu (et pas simplement son savoir-faire); reconnaître les potentialités de chacun; accepter la remise en cause, l’échec, susciter l’évolution et former en permanence. Et ça marche! Qualitique Et en guise de conclusion… Geneviève Brichet Je vous propose une conclusion simple et exigente à la fois : les Valeurs créent de la valeur. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 7 ACTUALITÉS Myriam Maestroni, Présidente de la société « Économie d’Énergie », élue « Femme en Or 2014 » dans la catégorie Environnement. Myriam Maestroni, fondatrice et Présidente de la Société Économie d’Énergie SAS, vient de recevoir le Trophée de « Femme en Or » dans la catégorie Environnement. La 22ème cérémonie de remise des prix récompensant des femmes d’exception a eu lieu le samedi 13 décembre à Avoriaz. Ce trophée, créé en 1993 par Estelle Barelier, a pour but de récompenser des femmes qui contribuent, chacune dans son domaine, à valoriser, le rôle et la place des femmes dans le monde. Les lauréates sont choisies pour l’exemplarité de leurs actions et de leurs parcours. Pour Myriam Maestroni, cette distinction représente la consécration d’une vie dédiée à l’énergie et notamment, ces trois dernières années, aux économies d’énergie et à l’environnement. L’ex-dirigeante de Primagaz a, en effet, créé un nouveau métier spécialisée dans l’accompagnement en économie d’énergie en fondant la Société Économie d’Énergie SAS en 2011. Les résultats de l’entreprise lui confèrent aujourd’hui une réelle légitimité sur le marché. 8 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com Cette entreprise vise à promouvoir et à accompagner les travaux de rénovation énergétique chez les particuliers et plus généralement les actions d’optimisation d’efficacité énergétique des sociétés (B2B) qui souhaitent être parties prenantes de la transition énergétique en France. En seulement 3 ans, elle a réussi à gagner la confiance des plus grands acteurs de l’économie (Auchan, Mr. Bricolage, Total, Esso, Schneider, Rexel, Castorama, etc), en les accompagnants de façon très opérationnelle, qui ont déjà permis de financer 250 000 travaux de rénovation énergétique dans notre pays. En créant des solutions digitales globales innovantes, la société qu’elle a fondée et qu’elle dirige a fortement contribué à faire entrer le monde numérique dans le secteur de l’énergie : les plateformes web dédiées aux économies d’énergie conçues par la société pour ses clients ont drainé un trafic représentant 5 millions de visiteurs. Une réussite porteuse d’espoir pour le futur dans notre pays dans lequel on compte 15 millions de logements consommant 6 à 9 fois plus qu’un logement construit neuf, et dont la dirigeante donne les clés dans un livre qui a marqué les esprits : « Comprendre le nouveau monde de l’énergie - Économie d’énergie et efficacité énergétique : le monde de « l’Énergie 2.0 » ». Myriam Maestroni a fondé et préside également un think tank opérationnel, « e5t » www.e5t.fr»-, pour contribuer à la réflexion sur la transition énergétique et milite pour atteindre le million de logements rénovés chaque année, soit le double des objectifs fixés par l’État. Un signal fort que pourrait donner la France, à un an de l’organisation à Paris de la 21ème conférence des Parties de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques. ACTUALITÉS 2015, année de la lumière en France. L’Organisation internationale des Nations Unies (ONU) a proclamé « 2015, Année Internationale de la Lumière et des Techniques utilisant la Lumière » lors de la 68e session de sa Conférence générale. En proclamant une Année Internationale dédiée à la lumière ainsi qu’à ses applications, l’ONU reconnaît l’importance de sensibiliser le public à la capacité des techniques utilisant la lumière de contribuer au développement durable et d’apporter des solutions aux grands défis contemporains tels que l’énergie, l’éducation, l’agriculture et la santé. Un Comité National élargi a été mis en place pour l’animation de « 2015, Année de la Lumière en France », comité constitué de toutes les forces vives qui gravitent autour de la lumière en France. Ce Comité rassemble et fédère, sous le patronage de Claude Cohen-Tannoudji et Serge Haroche, prix Nobel de Physique, les principales structures qui travaillent dans le domaine de la lumière : ministères, académies, sociétés scientifiques, universités, grandes écoles, associations, clubs, centre de culture, musées, grands groupes industriels, PME, grands organismes, maisons d’édition, organismes et structures de formation. La lumière est un sujet qui unifie l’humanité, elle est essentielle à la vie. L’Année internationale de la Lumière est un instrument idéal pour une prise de conscience du rôle central que la lumière occupe dans notre futur, dans son impact sociétal, économique, écologique, dans le développement durable. L’année de la lumière mettra en valeur les capacités de la lumière à apporter des solutions aux grands défis contemporains dans des secteurs vastes et variés: énergie, éducation, sciences et technologies, santé, industrie, notre univers, vie quotidienne, culture, biologie, agriculture raisonnée, exploitation durable des ressources naturelles. Le Comité National organise la Cérémonie de lancement de « 2015, Année de la Lumière en France » le 8 janvier 2015 à la Sorbonne qui donnera le signal de départ à des centaines de manifestations, d’évènements et de projets organisés partout en France et tout au long de l’année. L’éducation des jeunes est un enjeu important de cet événement afin de promouvoir, dans les collèges, lycées et universités, le rôle des sciences et technologies de la lumière (regroupées sous le terme couramment appelée Photonique) vers des nouvelles carrières pluridisciplinaires et transversales de grand avenir. La parité et l’égalité entre les hommes et les femmes sera naturellement un autre enjeu majeur. Cette cérémonie sera l’occasion d’écouter des interventions d’acteurs prestigieux des doQualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 9 ACTUALITÉS maines concernés par la lumière, ainsi que des témoignages très concrets des possibilités qu’offre le domaine de la lumière pour stimuler l’innovation technologique, préserver l’environnement, améliorer la santé et la vie quotidienne. Au cours de l’après-midi, sera également remis le Prix Jean Jerphagnon. Ce prix récompense un projet innovant à cœur optique-photonique avec un fort potentiel industriel ou une grande valeur scientifique. Optiques, Société chimique de France, Société française d’astronomie et d’astrophysique, Société francophone des lasers médicaux, Société française de physique, Supelec, Synchotron SoleilL,Techinnov, Télécom Paris Tech, Université Franche-Comté, Université Joseph Fourier. Partenaires : Ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ; Essilor ; Hamamatsu ; CNRS ; AFOP; EDP Sciences ; CNOP France ; Optics Valley ; Thales ; SFO. Et avec le soutien de : ACE, AFE, Anciens de Supoptique, CEA, CIE-France, Cluster Lumière, CNAM, Élopsys, ENSSAT, ESPCI, Institut d’Optique Graduate School, Observatoire de Paris, Optitec, Photonics Bretagne, Pôle Ora, Quantel, Route Des Lasers, SEDI ATI Fibres Saint-Pierre et Miquelon, un projet de grand port de transbordement... L'archipel français de Saint-Pierre et Miquelon se rêve un avenir maritime en dehors de la pêche, avec un projet de grand port de transbordement de containers. Saint-Pierre et Miquelon, situé dans l'Atlantique nord en face du Saint-Laurent, "a l'avantage d'être au croisement de plusieurs routes maritimes : de l'Europe du nord vers Montréal et la côte est des Etats-Unis, de l'Asie via Suez et la Méditerranée vers Montréal", explique à l'AFP Michel Darche, président de la Nord Atlantic Container Terminal (NACT), société ad hoc créée il y a un mois par deux entreprises privées de l'archipel (Hélène et Fils et la SPI). De plus, le port de Saint-Pierre atteint "rapidement les 25 mètres de tirant d'eau, ce qui permettrait d'accueillir des gros navires, il bénéficie d'une protection naturelle, il y a de la place et pas de concurrence avec d'autres activités portuaires", détaille M. Darche, qui fut le directeur d'exploitation du port du Havre. Il avance aussi l'absence, en Amérique du nord, de hub de transbordement : "ce n'est pas dans la culture des Etats-Unis et du Canada dont les ports sont très chers 10 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com et soumis à des cultures syndicales pesantes". Selon les études, cofinancées par le Medef local (présidé par Roger Hélène) et l'Etat à hauteur de 80.000 euros, entre 100 et 180 emplois directs seraient générés à l'horizon 2020 par le terminal dont le coût total de réalisation (infrastructure et équipements) s'élèverait à environ 300 millions d'euros. Reste que ce projet est adossé à une aide de l'Etat via la défiscalisation, au titre des investissements outre-mer, qui pourrait représenter "entre 50 et 100 millions d'euros de la somme totale", selon les estimations du ministère des Outre-mer. A suivre… DOSSIER L’ e n t r e p r i s e f a c e à l a s o c i é t é : d e n o u ve l l e s p r at i q u e s m a n a g é r i a l e s . L’entreprise du futur. Nous sommes encore dans des modèles de management qui garde les empreintes du début du XXème siècle, alors que l’entreprise de demain est collaborative créant de l’émulation et des interactions entre toutes les parties prenantes, dans un monde qui change à une vitesse effrénée. Ce changement implique de nouveaux défis managériaux : redéfinir les rôles de chacun, les modalités de communication internes et externes, les relations hiérarchiques, les codes, etc. Pour réussir cette transition il faut avant tout reconnaitre la nécessité de modifier la culture organisationnelle, les styles d’encadrement et les attitudes en matière de management. Le management sera fondé sur la confiance, l’entraide, la coopération, dans un système de gouvernance holocratique, qui redistribue l’autorité et les prises de décisions au travers d’équipes auto-organisées et opérant en réseau. Dans ce contexte, l’organisation est considérée comme un être vivant. Celui-ci a une raison d’être et est également sujet à des tensions. Ces dernières doivent être identifiées et signalées par ses membres, pour être ensuite traitées de façon systématique et rapide. Le pilotage de l’organisation est dynamique et connecté aux problématiques du quotidien, Page 11 L’entreprise du futur. Page 13 Vers une culture renouvelée du management. Page 22 Un nouveau rôle de l’entreprise dans les sociétés développées : la citoyenneté. Page 32 L’entreprise face à la diversité. Page 38 L’équité, un enjeu managérial. Page 46 Le concept de responsabilité. Page 55 Le manager face à l’é-co-innovation.. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 11 DOSSIER permettant à l’organisation de traiter rapidement les sujets et être plus agile. Le plus grand défi sera de repenser l’organisation du travail et de revenir à des entreprises à taille humaine pour que le management prenne en compte les êtres humains. La capacité de comprendre son environnement, d’être complètement connectée, de s’adapter voire de se réinventer, sera plus que jamais les atouts qui vont conditionner non pas seulement le développement mais la survie de l’entreprise. Le besoin de solutions collaboratives intégrant le chat, la gestion de présence, la vidéo, le partage de connaissances et de documents va devenir de plus en plus fort. Parallèlement, on observe une intégration des solutions « grand public » dites « communautaires », comme par exemple Facebook, dans la sphère professionnelle et dans la stratégie des entreprises. Les « causes » de modification des conditions de l’exercice du management sont principalement : la mondialisation de l’économie, la déréglementation et l’avènement des technologies de l’information et de la communication. Face à cela, les managers se retrouvent moins nombreux pour exercer des activités élargies avec des services fonctionnels amaigris. Parmi les nouvelles attributions du manager, les ressources humaines prennent une place prépondérante ; il se retrouve ainsi coresponsable avec les services des ressources humaines. D’acteur interne à l’entreprise, il est devenu en quelques années agent d’interface entre l’organisation et l’environnement. Sa vocation, ou plus exactement celle de son entreprise, est de produire de la valeur qui n’est plus exclusivement axée vers les actionnaires puisque la dimension éthique et de citoyenneté prend une place de plus en plus importante dans les préoccupations des parties prenantes… cette valeur produite doit bénéficier aussi bien aux clients qu’aux collaborateurs et servir la société dans son ensemble. Les décisions devront émerger du groupe en toute transparence. Les réseaux de création de valeur transcendent souvent les limites de l’entreprise. Ils rendent, de la sorte, obsolètes les outils de management basés sur le pouvoir et l’autorité. L’épanouissement personnel, la considération de l’être, l’expertise de chacun, au service de l’entreprise, de l’organisation, conduisent à recentrer l’activité autour des hommes, qui font la réussite de l’entreprise. 12 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com Il devient nécessaire de créer au niveau mondial un contexte moral, éthique, philosophique, voire spirituel qui, non seulement, nous permette de relever les défis actuels, mais nous pousse également individuellement à adopter une vision intégrale pour faire évoluer notre niveau global de conscience et transformer notre culture. Ce même changement de perspective doit advenir aux entreprises. Combien de conflits, d’injustices, de suicides, de réorganisations « miracles » seront nécessaires pour comprendre qu’il faut ouvrir la porte à une nouvelle culture entrepreneuriale qui donne au collectif son véritable sens ? Il est temps d’adopter une nouvelle gouvernance qui permette aux individus de transcender leurs peurs et leurs ambitions personnelles pour laisser la place aux valeurs humaines les plus fondamentales. Jean-Luc Laffargue. STRATÉGIE ET MANAGEMENT Vers une culture renouvelée du management. L es évolutions socioculturelles, les évolutions technologiques, constituent les foyers où s’esquissent les structures de la société de demain et même si le « socle managérial » demeure le même celles-ci vont fortement impacter le pilotage des activités et le management des hommes. Ceci va demander des aptitudes aux entreprises et aux managers pour s'adapter aux mutations de leur environnement. DE PROFONDS CHANGEMENTS. Qui dirige ? La dispersion du pouvoir dans l'économie mondiale est devenue flagrante. Les frontières entre le privé et le public, le national et l'international, le licite et l'illicite sont en fait très floues. La crise économique et financière n'a pas affaibli la domination des schémas de pensée qui orientent les politiques économiques depuis plus de trente années. Le pouvoir de la finance n'est toujours pas remis en cause. Cette grande crise doit provoquer une refondation de la pensée économique. Une alliance entre la société civile, les organisations syndicales, les mouvements sociaux et les forces politiques progressistes est nécessaire pour sortir l’Europe de la crise engendrée par le néolibéralisme et la finance. Le modèle de développement actuel n’est pas viable, pas seulement pour l’environnement, mais aussi d’un point de vue économique, social et de l’emploi. Cependant, le nouvel ordre du monde semble laisser les humains désarmés face à un ensemble de situations nouvelles qui appellent d’autres pratiques, d’autres valeurs. Nous en sommes à essayer de réinsuffler du sens en réhabilitant ou en réinventant des valeurs. Le système mondialisé mis en place pour faire circuler les richesses ne nous permet plus de croire qu’il fonctionne pour le bien de l’humanité, et l’impression de chaos se fait sentir Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 13 STRATÉGIE ET MANAGEMENT dans tous les domaines : crise écologique, alimentaire, politique, sociale, financière, économique, et enfin crise des valeurs. La société a changé et ce n’est qu’un début. Les citoyens, confrontés à des risques technologiques, environnementaux, sanitaires, alimentaires, sociaux, économiques, … ne veulent plus être exclu s des choix qui engagent notre avenir. Le modèle autoritariste et unilatéral, qui a prévalu depuis un demi-siècle, commence à produire des effets « boomerang » qui ne seront désamorcés qu’avec l’implication de toutes les composantes de la société. Les systèmes pyramidaux doivent faire place à des engagements collectifs pour le développement durable, mobilisant l’ensemble des forces vives : salariés, organisations syndicales, investisseurs, fournisseurs, clients, et des partenaires de l’entreprise : institutions internationales, Etats, pays et collectivités d’implantation, experts indépendants, ONG, consommateurs … L’entreprise doit passer d’une culture de la demande, de l’exploitation des ressources (humaines, naturelles, financières) à l’élaboration de contrats sociétaux, concertés et évalués. Le développement durable conduit les entreprises à une culture renouvelée du management, fondée sur la responsabilité, et sur une réelle reconnaissance d’acteurs, de savoirs et de modes d’intervention complémentaires. Cette reconnaissance est une source d’innovation (sociale et technologique) et de richesses (économiques et culturelles), sous réserve qu’elle s’appuie sur les partenariats. Les partenariats entre les ONG et les entreprises sont des vecteurs indispensables à la mise en œuvre du développement durable. Les entreprises doivent s’appuyer sur la capacité d’expertise, de vigilance et d’observance des pratiques des ONG. Les ONG doivent s’appuyer sur les contre-pouvoirs que constituent les quelques entreprises pionnières, pour leurs capacités à projeter à moyen et à long terme et à faire évoluer, au sein de leurs secteurs d’activité, les pratiques des dirigeants. 14 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com Les entreprises doivent également tisser des partenariats avec les autorités locales. En France, l’engagement croissant des Régions dans des stratégies intégrées de développement durable et des collectivités (villes, agglomérations, pays, départements) dans les Agendas 21 locaux, devrait contribuer à créer des espaces de concertation et de dialogue où définir à la fois les enjeux et les moyens à mettre en œuvre pour l’ancrage territorial du développement durable, à partir des besoins et des attentes exprimés par les acteurs territoriaux. Pour Susan Strange, le pouvoir est la capacité d'écrire les règles du jeu de la mondialisation dans les quatre domaines, à ses yeux fondamentaux, que sont la sécurité, la production, la finance et le savoir. Elle demande alors qui en a la capacité : dans son ouvrage « Le retrait de l'Etat. La dispersion du pouvoir dans l'économie mondiale », elle aborde plusieurs acteurs comme les mafias, les compagnies d'assurances, les grands cabinets d'audit… plus qu'une grande théorie du monde, une chimère à laquelle elle ne croyait pas, elle propose une méthode de diagnostic, valable pour n'importe quel secteur de l'économie mondiale que l'on veut décrypter. Cette méthode consiste à identifier le réseau complexe d'autorités entrecroisées à l'œuvre (pas seulement les décisions des Etats) ; à mettre en évidence les accords qu'ont passés entre elles ces autorités et le résultat (outcome) produit ; à mettre au jour les valeurs prioritaires retenues par ces autorités (prospérité et richesse, justice et équité, sécurité, ordre et stabilité, liberté et autonomie de décision) et comment elles se répartissent entre groupes sociaux et individus (qui gagne quoi, qui perd quoi ?) ; à déterminer les points de fragilité des accords en cours ; et, enfin, à mettre en évidence les accords alternatifs possibles. Le tout en mobilisant l'économie, la science politique et l'histoire, éléments d'une nouvelle discipline créée par Strange et baptisée "économie politique internationale". STRATÉGIE ET MANAGEMENT REMETTRE L’HUMAIN AU CŒUR DE L’ÉCONOMIE nagement porteur de sens qui passe par la responsabilité et l’éthique. Notre modèle actuel se caractérise par la démesure et le mal de vivre. Il faut promouvoir une transition vers une société « du bien vivre ». Une coordination de l’ensemble du tissus économique est obligatoire afin d’atteindre l’objectif et de créer ainsi les leviers nécessaires. C’est pour cela que nous devons nous tourner vers des méthodes qui abordent l’entreprise dans toutes ses facettes : organisationnelle, humaine, sociale, managériale et qui prônent une vision interactive du changement, avec des démarches qui allient vision stratégique, organisation transverse et management opérationnel … Cette situation est en grande partie le résultat de la mainmise du système financier sur les entreprises industrielles. L’entreprise est devenue l’un des instruments majeurs de la course au profit imposée par ce système boulimique et irréductible qui la détourne ainsi d’une grande partie de ses finalités originelles ou potentielles ; en particulier, son rôle dans le développement social de la société à laquelle elle appartient. L’entreprise, sous la pression de la financiarisation est devenue un outil qui doit générer un rendement financier immédiat pour des actionnaires de plus en plus gourmands. L’entreprise créatrice d’emplois, répartiteur de revenus entre le travail et le capital… autant de responsabilités aujourd’hui sacrifiées à la quête permanente du profit à court terme. Une réorientation de cette économie doit être effectuée de manière à prendre en compte les enjeux du long terme pour créer de vraies richesses et des emplois. La performance de demain repose sur un ma- « L’entreprise est devenu l’un des instruments majeurs de la course au profit imposée par ce système boulimique... » Après les slogans des années 80 : motivation, participation, implication, puis l'amélioration de la qualité des années 90, l'objectif des approches de ce début de siècle sont : transversaliser, dynamiser, décloisonner, fluidifier, alléger, responsabiliser, innover, donner du sens… Leur quête pose la question fondamentale des mécanismes de survie de l'entreprise. Nous sommes à un virage où probablement seul un Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 15 STRATÉGIE ET MANAGEMENT changement de paradigme permettra de trouver dans l'arsenal des méthodes de management traditionnel une autre façon de voir, de penser le fonctionnement des organisations industrielles et de service, des administrations et des groupements d'hommes œuvrant pour une cause commune. Ce management permet de développer la richesse et la créativité individuelles et collectives. atomes de carbone. Pour y parvenir, elles disposent d’un fantastique pouvoir d’évolution, leur ayant permis de s’adapter à ces divers milieux, de cohabiter, de coopérer avec les autres organismes vivants au fur et à mesure de l’évolution de ceux-ci, de biodégrader des molécules créées par la civilisation humaine, de résister aux antibiotiques… L’entreprise du futur ne se conçoit plus uniquement en termes technologiques, mais de manière fondamentale via son approche managériale. La véritable innovation n’est pas celle qui va uniquement mettre à jour de nouveaux outils de travail, mais celle qui va permettre leur intégration dans les stratégies d’entreprises et qui va prendre en compte leurs impacts humains et sociétaux. EVOLUTION ET SURVIE. La survie des espèces passe par leur aptitude à s'adapter aux mutations de leur environnement. La bactérie est une championne de la survie. Elle est capable de vivre dans tous les milieux de notre planète, sur et sous la terre, jusque dans l’interstice des roches profondes, en surface ou au fond des océans, dans les déserts et sur les glaces, en parasites ou en commensales de tous les autres êtres vivants au point que, sans elles, la plupart des organismes dits supérieurs ne pourraient pas vivre. Elles sont capables d’utiliser comme source d’énergie presque tout ce qui possède des liaisons chimiques riches en énergie et comme source de carbone presque tout ce qui contient des 16 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com Pour cela, il leur faut apprendre à accompagner les évolutions, à trouver leur place dans un équilibre dynamique, à intégrer rapidement des comportements adaptés au contexte. L'adaptabilité nécessite aussi une capacité à développer des relations harmonieuses avec les autres espèces, faute de quoi il y aura lutte pour la survie de l'une au détriment de l'autre. Les espèces les plus prolifiques sont non seulement capables d'anticiper ces évolutions mais aussi de les influencer, et enfin d'adapter progressivement leurs relations avec l'extérieur. Parfois, cela requiert une mutation profonde de leur métabolisme et de leur structure interne. La disparition des dinosaures est l'exemple de STRATÉGIE ET MANAGEMENT la difficulté d'une espèce à s'adapter. Plus que le résultat du changement lui-même, c'est la propension au changement, c'est-à-dire l'aptitude à réagir, puis à changer en fonction des contraintes externes, qui est la condition essentielle, le moteur de la survie des espèces. mettre des énergies en commun et accepter les risques de la confrontation avec d'autres dans un environnement donné. C'est associer des ressources de nature particulièrement différente, ayant leurs caractéristiques propres et une autonomie de fonctionnement pour atteindre un objectif donné. Dans un autre ordre d'idée, la vitalité traduit la capacité des espèces à se développer, à se reproduire, à profiter des opportunités, des changements d'environnement pour multiplier leurs actions et interventions sur celui-ci. L'entreprise est une structure complexe qui doit évoluer au moins au rythme de son environnement (adaptabilité passive) ou mourir. La vitalité mesure l'aptitude à agir rapidement (action ou réaction), dans un jeu de relation, en fonction des opportunités et du contexte. Elle se traduit par une capacité à se mouvoir, une aptitude à se déplacer qui nécessite une concentration d'énergie sur un objectif donné. La vitalité est aussi une condition nécessaire pour participer activement à l'évolution de l'environnement, à créer des conditions externes favorables à l'évolution de l'espèce ; de cette vitalité dépend parfois la capacité à influencer plutôt que d'être influencé par lui. Elle peut aussi influencer les données de son environnement, être partie prenante de l'évolution du contexte en agissant sur les variables caractéristiques de cet environnement (adaptabilité active). Dans un environnement donné, l'entreprise prend une place, joue un rôle, grandit, se développe à un certain rythme ..., cela dépend de sa vitalité. Nous avons dit que l'entreprise était une espèce complexe compte tenu de la diversité des « Adaptabilité et Vitalité sont donc deux propriétés essentielles pour la survie et le développement des espèces. L'entreprise est une espèce à part entière. C’est une espèce vivante composée d'éléments spécifiques et dotée d'objectifs économiques et sociaux. Entreprendre, c'est agir ensemble, c'est mettre en œuvre des moyens, prendre des risques, saisir des opportunités ; c'est réunir des compétences et des ressources pour créer des richesses pour l’Homme et la société dans son ensemble. L'entreprise est une structure particulière qui subit les mêmes influences, qui répond aux mêmes règles que les espèces animales et biologiques : en cela elle ne déroge pas aux lois de la nature. L’entreprise est une structure particulière qui ne déroge pas aux lois naturelles ... » ressources et composants mis en relation ; cette complexité est accrue du fait d'une caractéristique qui lui est particulière. Une de ses composantes, l'Homme en tant qu'individu ou groupe, est dotée d'une intelligence active et d'une capacité de réflexion interactive qui influencent et déterminent son comportement et ses réactions face à certaines situations. Cette intelligence active et interactive se caractérise par des comportements non standards, non typiquement réflexes (au sens biologique du terme), mais par des stratégies qui accroissent à l'infini les scénarii d'évolution possible. Cette propriété est un atout formidable pour l'espèce. En effet, elle accroît les capacités créatives nécessaires à son évolution, son adaptation et son influence sur l'environnement. Entreprendre, c'est agir ensemble: cela signifie Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 17 STRATÉGIE ET MANAGEMENT Mais cette propriété peut aussi être un handicap et entraîner des difficultés d'adaptation et de survie dans un environnement instable et imprévisible. En effet, nous constatons parfois des incohérences dans le comportement et les attitudes de certaines composantes de la structure. Elles ne s'inscrivent pas toujours dans une logique commune, leurs actions peuvent diverger et se contredire. C'est cette caractéristique qui entraîne des dysfonctionnements, des conflits internes, des pertes de temps, des retards, des erreurs ... dont la conséquence est une déperdition importante d'énergie et un gaspillage de ses forces ; dans ce cas, la vitalité est mise en œuvre de façon inopportune et détournée de ses objectifs premiers, à savoir sa survie et son développement. Dans les situations les plus graves, lorsque les conditions d'environnement sont particulière- des valeurs permet de définir une identité commune, une cohérence collective et de donner du sens à nos actions. ADAPTABILITÉ L’adaptabilité c’est la capacité d’un système, d’une communauté, d’une entreprise, d’une région, à ajuster ses mécanismes et sa structure pour tenir compte des changements de son environnement, qu’ils soient réels, potentiels ou supposés. En raison de l’accélération et des changements des paradigmes dans tous les domaines, l’adaptabilité, la vitesse maîtrisée et l’agilité sont devenues des piliers déterminants de la compétitivité de l’entreprise. L'adaptabilité mesure la capacité de l'entreprise à se mettre en relation harmonieuse avec son environnement, à réagir avec les évolutions voire à les anticiper ou à les influencer comme nous l'avons mentionné précédemment. L'adaptabilité est une propriété de l'évolution de l'espèce et de son influence. Elle repose sur des caractéristiques particulières ; pour être adaptable, il faut être : ouvert, c'est-à-dire être disponible au changement, capable d'en percevoir le sens et de l'anticiper ; ment difficiles, une telle situation va progressivement ou rapidement entraîner sa mort. Si l'adaptabilité est la condition première de la survie de l'entreprise, la vitalité est le moyen de sa pérennité. 18 créatif, c'est-à-dire être apte à trouver des réponses aux sollicitations de l'environnement, des solutions adaptées, originales, nouvelles et harmonieuses ; L'analyse détaillée de ces deux propriétés nous donne un regard neuf et original sur les mécanismes de développement de l'entreprise. flexible, c'est-à-dire avoir la capacité à intégrer ces solutions, à se plier (ne pas être rigide), à prendre de nouvelles formes sans que l'évolution n'entraîne une rupture, une fracture ; la flexibilité permet de ne pas se bloquer face au changement de forme et de structure nécessaire. L’Homme est un acteur qui véhicule du sens et des valeurs qui vont influencer nos actes et nos comportements au quotidien. Le partage De façon opérationnelle, l'adaptabilité est une recherche permanente de toutes les entreprises, inscrite dans leurs fonctions ou leurs Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com STRATÉGIE ET MANAGEMENT missions de base. Cette fonction est encore plus fondamentale que la vitesse de changement de l'environnement est rapide. VITALITÉ La vitalité fait référence à la capacité d'action de l'entreprise. Elle détermine la faculté à mobiliser de l'énergie sur un objectif donné. Elle repose sur trois autres caractéristiques propres : la réactivité est la capacité à réagir face à un événement, à une situation, à mettre en œuvre et à mobiliser ses ressources pour un objectif donné, à se mettre en mouvement, à se transformer ; la tonicité mesure la quantité d'énergie disponible pour l'action que la structure est capable de mobiliser en fonction de l'enjeu, et la rapidité avec laquelle cette énergie va pouvoir être mobilisée ; la synchronicité est la capacité à mettre en mouvement toutes les composantes de la structure vers le but assigné, dans la bonne direction ou pour le bon objectif, dans un temps court. Le développement de l'entreprise, dans un environnement compétitif, repose sur cette vitalité. Plus elle est grande, plus l'entreprise sera capable de saisir les opportunités qui se présentent à elle, voire même à générer des opportunités. L'adaptabilité et la vitalité sont étroitement complémentaires, car adaptabilité sans vitalité ne permet pas d'agir assez rapidement dans le sens du changement nécessaire ou souhaité ; vitalité sans adaptabilité, c'est le risque du mouvement ou de l'action sans direction, sans sens. C'est dans ces constats que le management transfonctionnel puise ses racines pour définir ses bases conceptuelles et fournir des outils d'analyse et d'intervention sur les structures. Son but est de faciliter la compréhension des mécanismes de fonctionnement des entreprises afin d'accroître leurs capacités d'action et de réaction, de développer leurs aptitudes créatives au service de leurs finalités. Il trouve son inspiration dans la réflexion sur la survie des espèces et ses outils dans les approches managériales traditionnelles. Son originalité réside non pas dans la définition de techniques nouvelles mais dans la façon de penser l'entreprise et d'utiliser les outils existants selon un agencement et une méthode qui lui sont spécifiques. RUPTURES (mpm : Management PostModerne). La société a changé. Le passage à la postmodernité émerge sous nos yeux et bouscule le paradigme d’hier. Visibilité réduite, hésitations, déstabilisation, démobilisation et saturation idéologique : tel est le lot commun des gens. Evidemment, ces changements profonds, irréversibles et irrémédiables s’accompagnent d’une nouvelle façon de vivre sa vie et son travail. Six ruptures entre monde moderne et postmoderne expliquent la transformation en cours de notre paradigme socio-économique. Tentons de les nommer et de mieux les comprendre pour s’offrir une nouvelle grille de lecture sur la façon de vivre sa vie et son activité professionnelle. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 19 STRATÉGIE ET MANAGEMENT La première rupture est le passage d’une pensée rationnelle à une pensée émotionnelle. La troisième grande rupture est le passage d’un mode hiérarchique à un mode réseau. L’ère postmoderne sera incarnée par une infiltration du sensible dans la raison. Le tout raisonnable ennuie ou agace. La demande d’émotion est en hausse. Aujourd’hui, on est plus « fan de » que « froidement pour » ou « froidement contre ». On a « plus envie de » que « besoin de ». On préfère « avoir le sentiment que » plutôt que « d’avoir l’argument pour ». Nous sommes passés d’une raison moderne métallique à une raison postmoderne sensible qui fait coexister « des couples » jusqu’ici conflictuels : raison/sentiment, nature/culture, travail/loisir. La pensée moderne, essentiellement rationnelle et mécanique, évolue progressivement en une pensée plus organique, plus débridée et plus décomplexée ce qui va ouvrir et offrir de nouveaux modes de vie et de management dans les organisations et les entreprises postmodernes. Dans le monde moderne, les relations étaient hiérarchiques, construites sur des injonctions, base de toutes les relations. Aujourd’hui, cette logique d’injonction devient stérile. Dorénavant, les relations hiérarchiques sont déjà souvent remplacées par des fonctionnement en réseaux, construites sur des interactions réelles qui transforment « le contrat social » (relation très mécanique entre un « employeur » et un « employé ») en « pacte sociétal » (relation beaucoup plus biologique entre personnes). Le lien sociétal et managérial n’est plus sur le devoir être, il est sur le vivre ensemble. Un contrat est en phase avec des écrits. Un pacte est en phase avec des affects et des humeurs. L’explosion des réseaux sociaux est bien entendu le marqueur le plus flagrant de cette évolution des liens. Seuls les managers qui intègreront ces changements parviendront à être en phase avec les profils postmodernes. La deuxième grande rupture est le passage de « l’effort pour demain » à « la jouissance ici et maintenant’ : le monde moderne comptait durer ; le futur et l’avenir y étaient synonymes de progrès et d’espoir. Dorénavant, ce qui compte le plus, c’est l’intensité de ce que je vis ici et maintenant. Ce rapport différent au temps est lié au sentiment naissant que le futur et l’avenir ne sont plus forcément synonymes de jours meilleurs. Le futur et l’avenir sont même parfois synonymes de précarité et d’incertitude. C’est cette sensation de « potentielle précarité » qui donne envie aux gens de vivre le moment présent avec intensité sans tout miser sur des lendemains très incertains. Comment vivre sans préparer l’avenir ? Miser sur la durée et miser sur l’intensité requièrent des leviers de vie tout à fait différents, voire opposés, et cette rupture du temps est parfois très déroutante pour les modernes que nous étions ! Et pourtant, cette envie d’intensité qui est en train de monter, devrait, si on arrive à la renifler, faire naître une nouvelle forme de vitalité socioéconomique durant l’ère postmoderne. 20 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com La quatrième rupture est le passage de la notion d’ « enjeu » à la notion de « jeu ». Dans le monde moderne, tout était une question d’enjeux. Il y avait les enjeux commerciaux, les enjeux stratégiques, les enjeux professionnels, les enjeux personnels. Ces enjeux répétés et multiples, tous flanqués du culte de la performance, ont fini par émousser et lasser les bons petits soldats. En réaction, la notion de « jeu » pointe le bout de son nez. Malgré la crise ou à cause de la crise, l’individu n’a jamais autant joué aux jeux de hasard et jamais autant parié sur des sujets divers et variés. La France et les salariés sont en crise, mais la France et les salariés s’amusent, jouent et parient. Le jeu, à travers les expériences et les émotions qu’il nous fait vivre, est-il un nouveau levier de motivation de vie ? La cinquième rupture est le passage du déterminisme au relativisme. L’individu moderne était un individu extrêmement déterminé. La notion de progrès STRATÉGIE ET MANAGEMENT continu était la pierre angulaire de la société dite moderne et le moteur de ce déterminisme. Dans le monde moderne, tout était considéré comme urgent et prioritaire afin que les « arbres grimpent au ciel ». Dans les interstices des désillusions politiques et des crises économiques répétées et successives, le mythe du progrès perpétuel a été écorné. Cette contamination des esprits, qui grignote du terrain jour après jour, change en profondeur notre logique sociétale et managériale et est en train de balayer tout le mythe et la puissance du déterminisme en installant, en creux, un certain relativisme. Est-il possible de faire de ce repli, de ce lâcher-prise, un levier de vie pour la société ou un levier de management dans les organisations postmodernes ? La sixième et la dernière rupture est la transformation de l’individu moderne en personne postmoderne. Dans le monde moderne, on aimait modéliser les gens pour les classer par types ou profils. La démarche était assez aisée car l’individu moderne était assez univoque et principalement guidé par la domestication de la raison. Chez la personne postmoderne s’est creusé des interstices et des creusets qui ne demandent qu’à se remplir de libertés interstitielles (faille existante entre la réalité vécue et la doctrine officielle) pour faire éclater au grand jour sa pluralité et ses différences. Nous ne sommes plus des individus homogènes aux réactions stéréotypées et parfaitement prévisibles. Nous sonnes devenus singulier-pluriel en portant différents « masques » en fonction des situations et des circonstances. Nous avions plutôt appris à vivre avec des individus modernes qui mettaient des barrières très étanches entre leurs différentes vies, mais nous sommes de plus en plus confrontés à des personnes plus insaisissables et plus imprévisibles car vivant plusieurs vies intriquées à la fois. Si nous voulons passer des pactes gagnants-gagnants avec les différentes vies de cette personne, nous devons évoluer pour s’ajuster aux différentes facettes de la personne qui est en face de nous ! Ces six ruptures entre monde moderne et postmoderne transforment en profondeur le paysage de notre société et en creux le mode de fonctionnement de nos entreprises. Ces six ruptures jettent les bases d’une nouvelle raison humaine. Une nouvelle raison aux arcanes parfois bien différents de la raison moderne. EN QUÊTE DE LÉGITIMITÉ. Pour être légitime, l’entreprise doit se conformer aux attentes de ses parties prenantes, qui reflètent plus globalement les normes, valeurs et croyances prévalant dans le contexte dans lequel elle évolue. Les évolutions culturelles récentes prônent la responsabilité de chacun, y compris des entreprises, sur le long terme. Dans ce contexte, l’adoption de pratiques responsables favorise l’émergence et le maintien d’une forme de légitimité qui assure la survie de l’organisation. L’engagement des entreprises dans des démarches de management responsable soustend leur recherche d’une certaine légitimité sociétale. En effet, les entreprises dépendent du consentement de la société dans laquelle elles évoluent. Ainsi, par l’introduction de pratiques organisationnelles spécifiques, ontelles la possibilité d’être, ou de paraître, « socialement responsable ». Tout ceci conduit à une culture renouvelée du management, fondée sur la responsabilité, l’éthique et sur une réelle reconnaissance des acteurs et des savoirs. Elle s’appuie sur la connaissance et sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, sur l’innovation et la créativité. Jean-Luc Laffargue. Comité de rédaction. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 21 STRATÉGIE ET MANAGEMENT Un nouveau rôle de l’entreprise dans les sociétés développées : la citoyenneté. L a volonté d’adopter une attitude citoyenne apparaît aujourd’hui comme une nécessité face à une demande plus responsable, plus éthique, plus respectueuse de l’environnement et des droits de l’Homme des consommateurs. INTRODUCTION. Tout d’abord, notons qu’aucun consensus n’existe sur ce que recouvre théoriquement le concept de citoyenneté d’entreprise. Dans la pratique, ce terme est utilisé pour dénommer des activités multiples et diverses, allant par exemple du respect des lois sociales et environnementales aux investissements proactifs dans des bonnes causes, l’éducation ou encore les droits de l’homme. Ensuite, les définitions données à la citoyenneté d’entreprise sont presque uniquement basées sur les perceptions qu’ont les managers de ce qu’est une entreprise citoyenne ; rarement le point de vue d’autres stakeholders est pris en compte pour définir la citoyenneté d'entreprise. Or, quand il s’agit d’étudier l’impact de la citoyenneté d'entreprise sur les attitudes et 22 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com les comportements des stakeholders, il est indispensable de savoir ce que ces derniers considèrent comme étant de la citoyenneté d'entreprise. Enfin, la plupart des écrits sur le sujet sont d’origine anglo-saxonne (Etats-Unis, Royaume-Uni) et trouvent leur source dans un contexte politique, social et économique relativement différent du nôtre. Dans nos pays (Europe continentale), où le bien-être de la communauté est traditionnellement l’apanage du gouvernement, ce n’est que récemment que les entreprises commencent à jouer un rôle par rapport au bien-être des personnes et aux politiques sociales. Le rôle de l’entreprise dans les sociétés développées est devenu tellement important que de nouvelles responsabilités sont apparues. La société attend des entreprises qu’elles of- STRATÉGIE ET MANAGEMENT critiques. Comment alors mobiliser l'entreprise autour de la déLa volonté d’adopter une attitude marche ? citoyenne apparaît maintenant - La pression pour l'immobilisme comme une nécessité...» est forte. Agir en entreprise cifrent des emplois, protègent l’environnement toyenne implique souvent de changer les faet participent au développement des plus çons de faire. Mais comment opérer cette pauvres. Ainsi, pour être pleinement acceptée transformation alors que les équipes sont par la société, l’entreprise doit répondre à l’inavant tout préoccupées de répondre aux exitérêt général en acceptant une responsabilité gences de résultats économiques ? sur le plan interne par le respect de son perDeux caractéristiques distinguent les entresonnel mais aussi au niveau externe par le resprises qui sont parvenues le mieux à traduire pect de l’environnement local et social. leur engagement d'entreprise citoyenne dans La volonté d’adopter une attitude citoyenne les faits : elles ont clairement défini la nature apparaît donc maintenant comme une nécesde leur engagement citoyen et ont su ancrer sité. cet engagement dans les comportements au Nécessité, d’autant plus que le client d’auquotidien. jourd’hui n’est pas celui de 1938, ni celui de 1970. Pourtant, des entreprises continuent enLE PATERNALISME ET SES NOUVEAUX core à envisager leur relation aux clients sur HABITS. une vision qui n’a plus lieu d’être. L'entreprise doit être « citoyenne ». Si l'on La multiplication des grèves, l’intervention de écoute les discours des dirigeants, l'affaire l’Etat ébranlent le pouvoir social du dirigeant semble désormais entendue. Dans leurs rapet sonnent le glas d’un certain paternalisme. ports annuels ou leurs chartes de valeurs, la Le passage de l’entreprise providence à l’Etat plupart des entreprises soulignent leurs engaprovidence symbolise la disparition d’une sogements en matière de responsabilité sociale, lidarité subjective où tout est dû à la bonne vode protection de l'environnement ou encore lonté patronale, voire à la charité, à une d'éthique. solidarité objective, fondée sur le travail et les Pourtant, la mise en œuvre est une autre hisdroits des citoyens. Les trois ordonnances de toire. 1945 assoient définitivement le système des Par quoi commencer ? Quels objectifs s'assiassurances sociales. Le paternalisme du 19ème gner ? Comment concilier engagement citoyen siècle a vécu. et respect des impératifs de rentabilité ? Rares La terminologie elle-même se modifie pour sont les entreprises qui ont trouvé une régommer l'aspect péjoratif du paternalisme. : ponse satisfaisante à ces questions, pour trois néo-paternalisme, maternalisme (image du principales raisons : père remplacée par celle de la société anoLe sujet est tentaculaire. La citoyenneté nyme), fraternalisme (les relations professiond'entreprise recouvre un très grand nombre nelles changent de niveau, le patron devient d'aspects : impact sur l'environnement, condiun « frère » avec qui l’on peut discuter sur un tions de travail, actions philanthropiques, inpied d'égalité), familialisme ... tégration des minorités, etc. Cela complique la La crise de l’Etat-providence (crise financière, définition des priorités d'action et la cohérence crise de légitimité) remet l’entreprise sur le dede la mise en œuvre. vant de la scène ; elle devient citoyenne. L’enBeaucoup d'employés sont sceptiques. treprise citoyenne laisse sa place à l’entreprise Ils n'y voient qu'une lubie de la direction ou éthique, concept plus large que l’on peut déun simple engagement de façade destiné à se finir à travers des mots-clés : « justice, respondonner bonne conscience ou à faire taire les sabilité sociale, exemplarité, confiance « Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 23 STRATÉGIE ET MANAGEMENT mutuelle, respect des autres. L’éthique ne peut exister que dans des organisations justes qui sont ainsi socialement responsables à travers les membres qui la composent ; elle suscite la confiance mutuelle à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise et assure le respect des autres ». (1). Ainsi, plus qu’un effet de mode, l’éthique dans l’entreprise demeure un phénomène récurrent sous des vocables divers : l’éthique de cette fin de siècle, c’est le paternalisme qui débute dans les années 1850 ; c’est l’Etat-providence à partir des années 36, renforcé depuis 1945 ; c’est l’entreprise citoyenne des années 80. « l’éthique de la responsabilité ». 1992 : son congrès de Nantes donne ses lettres de noblesse à l’entreprise citoyenne à travers « Ses neuf principes pour construire une entreprise citoyenne ». Dans ce dernier congrès, Alain Brunaud, président du CJD, affirme qu’« on ne gagne pas au détriment des autres, mais à long terme avec eux. » (3). La charte de l’entreprise citoyenne allie la performance économique (ho- NAISSANCE DE L’ENTREPRISE CITOYENNE. La citoyenneté d’entreprise est un terme importé des Etats-Unis : « good citizen », né dans les années 1970, introduit en Europe 20 ans plus tard. Des firmes multinationales (« entreprises sans cité ») tentent de faire oublier leur gigantisme par des actions dans la société. Elles participent notamment directement (en leur nom) ou indirectement (en incitant leurs salariés) aux « community services », ensemble d’actions sociales auquel participe la majorité du personnel de l’entreprise. En France, le concept de citoyenneté dans l’entreprise est consacré dès 1982 par les lois Auroux. Légalement, la citoyenneté dans l’entreprise s’exerce encore à travers les organisations représentatives des salariés : comités d’entreprise, délégués du personnel, élus par le suffrage direct des salariés. L’entreprise citoyenne, un concept patronal. Avant même la promulgation des lois Auroux, le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) (2) à travers différents colloques et publications s’intéresse au concept d’entreprise citoyenne : 1975 : il proclame que « l’entreprise doit être sociale pour être économique ». 1982 : il met en place la charte « Bien entreprendre ». 1988 : il s’interroge dans un congrès sur 24 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com norer la confiance des actionnaires et des clients), la performance sociale (capacité de l’entreprise à rendre les hommes acteurs et auteurs) et la performance sociétale (contribution de l’entreprise au développement de son environnement). En 1938, à la création du Centre des Jeunes Patrons (ancêtre du CJD), les clients étaient des consommateurs. La fin de la seconde guerre mondiale annonçait la fameuse période des Trente Glorieuses, dans laquelle, si nous sommes schématiques, les entreprises trouvaient à peu près toujours preneurs pour leurs produits et leurs services. Il s’agissait plus pour les entreprises de parvenir à satisfaire la demande qu’à la susciter. Pour les dirigeants, l’organisation devait répondre à un besoin de quantité plus que de qualité. En 1968, le CJP change de nom et devient le CJD. D comme Dirigeants d’entreprise. Ce changement de nom n’est pas que symbolique, il correspond à une évolution significa- STRATÉGIE ET MANAGEMENT tive du monde économique. Désormais, de plus en plus, le client n’est plus seulement consommateur mais devient citoyen. Il attache une importance plus grande au bien-être que procurent les produits et services des entreprises sur leur territoire et dans leur vie de tous les jours. Parce que ses besoins changent, l’entreprise doit se réorganiser pour proposer plus de qualité et parvenir ainsi à répondre à ses nouvelles attentes. C’est le début de la fin du taylorisme et l’apparition de la prise en compte de l’humain dans l’entreprise. Pour le CJD, c’est le début de l’entreprise citoyenne, et bientôt, en 1992, de la Performance globale. Le début du troisième millénaire marque une nouvelle ère pour le client. Celuici devient acteur à part entière et veut peser par ses choix de consommation sur le devenir de sa vie et de son territoire. La connexion croissante fait qu’il compare systématiquement, souvent à l’échelle planétaire, et choisit ainsi l’offre qui correspond autant à ses valeurs, ses convictions, qu’à ses besoins. C’est une révolution pour l’entreprise désormais obligée de s’organiser en fonction de ses clients afin de parvenir à les enchanter en leur proposant une valeur ajoutée toujours meilleure que celle de la concurrence. La visibilité n’existe plus ou presque, l’organisation doit répondre à l’immédiateté en mettant l’intelligence humaine au cœur d’une entreprise organisée en écosystème. C’est l’ère de l’entreprise infinie. Le CNPF s’intéressera plus tardivement au concept d’entreprise citoyenne. Jean Gandois, candidat à la présidence du CNPF en 1994, fera campagne autour de ce thème. Après son élection, il charge J. Dermagne, chef d’entreprise, vice-président du CNPF, d’expliciter cette notion. Un premier rapport est publié en novembre 1995, complété en 1996 par une plaquette, éditée par le CNPF « Citoyenneté de l’entreprise, pour jouer pleinement notre rôle dans la cité » et la publication d’un ouvrage intitulé : « Révolution chez les patrons ? L’entreprise citoyenne ». Les moyens d’action. Pour impulser et développer ce modèle d’entreprise citoyenne, le CJD ouvre de nouveaux chantiers : participation plus forte des salariés au pouvoir de décision et au partage de la valeur ajoutée, création de nouvelles régulations ouvrant la voie à un développement durable au niveau de la planète pour répondre à la question : « Peut-on bâtir une économie au service de l’homme sans contribuer à édifier des régulations internationales assurant, de fait, le respect de la préférence humaine ? » Si le CJD est à l’origine d’une véritable charte de l’entreprise citoyenne, des manifestions ont également montré l’intérêt des entreprises pour ce thème : En juillet 1992, le Nouvel Observateur initie un « Manifeste pour l’emploi », ratifié par différentes entreprises françaises. Abondé, il deviendra le manifeste « Entreprises contre l’exclusion », ratifié par 150 chefs d’entreprises. Le 10 janvier 1995, ce manifeste modifié devient européen avec 5 axes prioritaires : favoriser la réinsertion des chômeurs, améliorer la formation professionnelle, prévenir les licenciements, promouvoir la création de nouveaux emplois, contribuer à la « solidarité en faveur des zones et des groupes de personnes particulièrement vulnérables ». L’entreprise citoyenne, un concept critiqué Il définit la citoyenneté de l’entreprise sans jamais évoquer la citoyenneté dans l’entreprise. C’est un oubli important, car la démocratie dans l’entreprise semble une condition nécessaire de l’exercice des vertus civiques à l’exté- Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 25 STRATÉGIE ET MANAGEMENT rieur de l’entreprise. La citoyenneté suppose également l’égalité, or elle n’existe pas dans l’entreprise puisqu’elle fonctionne de manière hiérarchique. Par analogie, l’entreprise est dite citoyenne en ce qu’elle doit respecter la loi, traiter son personnel comme des citoyens, tenir compte du milieu social dans lequel elle évolue. « Disposer de conditions de vie convenables constitue un préalable pour exercer les droits de la citoyenneté … L’entreprise est l’instrument grâce au- Finalement, l’entreprise citoyenne relève d’un néo-paternalisme ou encore d’un paternalisme démembré, même si ses partisans s’en défendent. Les mots sont révélateurs à cet égard. Derrière le paternalisme, se glisse l’image du père ; derrière l’entreprise citoyenne transparaissent la cité et la protection du non-citoyen. LES DIFFÉRENTES ÉCOLES CONTEMPORAINES DE L’ÉTHIQUE DES AFFAIRES. Les théories américaines. Dès 1875, l’économiste anglais A. Marshall décrit l’influence de la forme du développement industriel aux Etats-Unis et en Europe de l’Ouest sur l’éthique prédominante dans les deux régions. Mais c’est essentiellement à partir du milieu des années 1950 que la réflexion sur la responsabilité de l’entreprise semble se développer rapidement. Ces analyses reposent alors sur un « contrat implicite » entre la société et l’entreprise. La première remet à la seconde le pouvoir de dégager des profits et de réaliser la production mais, en contrepartie, la firme doit se montrer responsable envers la société. quel les citoyens acquièrent les conditions concrètes de l’exercice de la citoyenneté ». Il subsiste une ambiguïté majeure : « la coexistence irréductible de deux sources distinctes de légitimité, la propriété et l’emploi ». L’entreprise a ainsi une double responsabilité : une responsabilité économique vis-à-vis de ses actionnaires, propriétaires de la firme et une responsabilité sociale vis-à-vis de son personnel auquel il doit « des comptes sur l’usage qu’elle fait du travail, des savoirs qu’ils mettent à sa disposition, notamment pour assurer leur avenir ». 26 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com Le modèle CSR1. Le Committee for Economic Development (CED, 1971) cherche d’abord à synthétiser l'approche de l'entreprise en termes de responsabilités. Cette première tentative correspond au modèle CSR1 (Corporate Social Responsibility n°1). Elle s'appuie sur trois cercles concentriques. Le cercle interne correspond aux responsabilités économiques de base de l'entreprise : produire, employer... Pour obtenir une formulation morale et aller plus loin que l’action économique, le CED propose un deuxième cercle plus vaste qui tient compte dans l’exercice des responsabilités économiques de normes ou de valeurs sociales comme le respect de l’environnement ou les relations avec les employés, les conditions de travail… Le troisième cercle intègre des responsabilités nouvelles que l’entreprise peut STRATÉGIE ET MANAGEMENT assumer, notamment l’amélioration des conditions sociales et environnementales dans lesquelles évolue l’entreprise, au-delà de ce que les lois ou les valeurs exigent. Il existe donc une différence de nature entre le cercle intermédiaire des valeurs ou lois qui imposent une contrainte à l’entreprise et le cercle extérieur correspondant à une volonté. Le degré de responsabilité apparaît ainsi dans la distinction entre une attitude passive et une attitude active de l'organisation. L’opposition, le modèle CSR2. Le nouveau modèle CSR2 s’interroge sur la manière dont la firme doit répondre à ces responsabilités, sans que celles-ci soient précisées. Il est forgé à partir du concept de « Corporate Social Responsiveness » en opposition avec celui de « Corporate Social Responsibility ». Il « se réfère à la capacité de l’entreprise à répondre aux pressions sociales. Il s’agit de la mise en place de mécanismes, procédures, aménagements, et de modèles de comportement qui, pris collectivement, feront que l’organisation sera plus ou moins capable de répondre aux pressions sociales ». (4). Dans le modèle CSR2, l’entreprise doit internaliser de nouvelles contraintes dans le seul but d’assurer sa performance économique, voire simplement sa survie sur le marché. Ce modèle concerne seulement le processus de management de la réponse à donner à l’environnement socio-économique. Ensuite, il convient de centrer l’analyse sur les types d’actions ou les manières de répondre à ces responsabilités. Enfin, ces actions s’exercent dans des domaines spécifiques qui évoluent avec le temps et dans l’espace, notamment consumérisme, environnement, discrimination, sécurité des produits, sécurité du travail, actionnaires. A partir de ces six domaines, un croisement est effectué avec les niveaux de responsabilité. Cette première grille permet de mesurer les responsabilités engagées par les firmes et de les positionner les unes par rapport aux autres. La grille de Carroll restera la référence pendant 10 ans. Partant du modèle précédent, Wood soulève une nouvelle définition du concept de CSP, il s’agit, « pour une organisation économique, d’une configuration de principes de responsabilité sociale, de processus de réponse sociale, et de politiques, programmes, et résultats observables en tant qu’ils sont relatifs aux rapports sociétaux de la firme ». Cette nouvelle définition conduit l’auteur à croiser les quatre niveaux de responsabilité de Caroll avec les trois niveaux qu’il définit : institutionnel, organisationnel et individuel. Des tentatives de synthèse : le modèle CSP (Corporate Social Gouvernance). Dans la synthèse de Caroll (1979), il s’agit d’abord de tenir compte des différentes catégories de responsabilités : responsabilité économique, responsabilité juridique, responsabilité éthique, responsabilité discrétionnaire. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 27 STRATÉGIE ET MANAGEMENT La théorie des « Stakeholders » (parties prenantes). Cette théorie cherche à dépasser la théorie de la firme maximisatrice de profit et intègre les intérêts et les demandes de personnes ou groupes sociaux en relation avec l’entreprise. Au-delà de l’identification des parties prenantes, elle tente d’étudier l’évolution des priorités données à leurs demandes. Freeman (5) donne une définition large des parties prenantes, s’appuyant sur une réalité empirique : « une partie prenante dans une organisation est (par définition) tout groupe ou individu qui affecte ou est affecté par l’accomplissement des objectifs de l’entreprise ». La confiance joue un rôle déterminant entre les parties prenantes et est dépendante de l’information disponible et du risque associé au comportement ou à la décision de l’entreprise. Elle peut être reliée à différents effets : effet d’intendance (dirigeant, actionnaires), effet de loyauté (consommateur, entreprise) et effet de réputation (entreprise, parties prenantes). En toute logique, l’éthique de la discussion suppose que toutes les personnes impliquées participent à cette discussion. Cependant, l’environnement extérieur, à moins qu’il n’ait des liens privilégiés avec la firme (tel un fournisseur particulier) ne sera pas impliqué dans la discussion. L’accent est généralement mis sur les salariés, de sorte que les décisions prises par les dirigeants ne sont pas en contradiction avec l’éthique du personnel. Cette forme d’éthique ne considère pas que les normes soient établies une fois pour toutes pour tous les cas envisageables. Au contraire, chaque situation nouvelle suppose un débat argumenté afin de faire émerger des normes morales et des codes de conduite à tenir dans cette nouvelle situation. Mais l’éthique de la Les écoles européennes. En Europe, deux écoles ont influencé les pratiques et la réflexion dans le domaine de l’éthique du management : l’école allemande, école philosophique ; l’école française qui s’est constituée en réaction aux pratiques spécifiques de l’entreprise. L’école allemande : l’éthique de la discussion. Elle se rattache à l’éthique de la discussion développée par le philosophe allemand J. Habermas (6). Cette éthique n’est plus comme dans l’école américaine une éthique du manager. Elle concerne au contraire l’ensemble de la collectivité. Les salariés sont au premier chef parties prenantes de cette éthique. En effet, l’originalité de cette éthique de la discussion réside dans la constitution de normes morales à partir d’un dialogue établissant un consensus sur ce qu’il convient de faire. Sur le plan pratique, cela n’implique que les décisions concernant les stratégies de l’entreprise seront prises de manière discutée et argumentée avec le personnel. 28 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com discussion ne peut être une éthique de « comptoir ». La discussion ne donnera naissance à une règle morale qu’à la condition que s’établisse entre les participants une discussion impartiale, en dehors de toute manipulation réciproque. La procédure d’argumentation se doit d’être exempte de manipulations et fondée sur un équilibre des pouvoirs de négociations et d’argumentation. Alors dans ce cas, les normes établies deviendront valides et pourront êtres mises en pratique. Si l’éthique de la discussion paraît parfaitement utilisable et pratique dans le cadre de STRATÉGIE ET MANAGEMENT l’entreprise, plusieurs limites viennent contrarier l’idéal communicatif : La spécificité de chaque cas suppose des délibérations régulières et parfois longues. Or le manque de temps à consacrer à ce genre de débats dans l’entreprise (les décisions devant être parfois prises très rapidement), peut limiter l’utilisation du cadre communicationnel. Le fait qu’aucune norme ne soit donnée à priori de manière universelle, ou avec une validité générale, peut induire un certain relativisme moral. Toute règle de conduite devient éthique à partir du moment où elle émerge de la discussion et où les parties se sont accordées sur sa validité. Or le fait qu’un consensus soit établi entre les parties prenantes à la discussion n’implique pas la moralité de la règle. Il est difficile d’admettre qu’une norme morale émerge sans établir, au préalable, des normes pour définir la discussion et régir les débats. L’école française : une école critique. L’école française n’est pas à proprement parler une école de pensée ni de mise en pratique dans le sens où aucune référence commune n’assoie le développement des différents auteurs y appartenant. A ce titre, des influences diverses se font sentir, en particulier certains auteurs attachés à un mouvement religieux sont particulièrement présents dans cette « école ». Elle emprunte à l’école américaine de la Business ethics comme à l’école allemande de l’éthique de la discussion. Selon Y. Pesqueux et B. Ramanantsoa (7) quatre spécificités du développement des auteurs français sur l’éthique des affaires peuvent être relevées. Tous partent d’une critique acerbe du discours des entreprises sur l’éthique. Ils mettent en opposition le discours et le comportement. A. Etchegoyen (8) va jusqu’à affirmer que « plus une entreprise parle d’éthique moins elle en fait ; plus une entreprise se tait sur l’éthique, plus elle en fait ». La non-confor- mité du discours par rapport à la pratique semble refléter une véritable duperie de la part des firmes qui par un effet d’annonce essaient de « dorer ou redorer leur blason ». Certains nient même l’existence d’une éthique des affaires, tandis que d’autres plus optimistes plaident en faveur de sa reconstruction, d’une reformulation de l’éthique dans l’entreprise. Le tableau suivant décrit les différentes tendances sur ce point de vue. L’éthique des affaires est appréciée à l’aune du critère de justice, chaque auteur lui attribuant une signification différente. Les différents auteurs insistent sur les conflits qui peuvent se produire entre les diverses obligations éthiques. En particulier, les obligations en tant que personne et les obligations liées à la fonction ne sont pas nécessairement compatibles. Il s’agit enfin de distinguer l’éthique de la morale et de la déontologie. La déontologie n’est qu’une formalisation de l’éthique par sa matérialisation via les codes professionnels. La différence essentielle concerne plutôt l’éthique et la morale, les auteurs renvoyant le plus souvent à des définitions philosophiques. UN CONCEPT ENVIRONNEMENTAL QUI DEVIENT UN OBJECTIF STRATÉGIQUE. Né dans les années 60, le concept de développement durable est popularisé par le rapport Bruntland qui le définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». (9). Essentiellement écologique, il connaît rapidement un succès politique et médiatique dans un souci à la fois éthique et pragmatique d’assurer la vie et la survie de l’humanité, dans l’immédiat et à plus long terme. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 29 STRATÉGIE ET MANAGEMENT Les entreprises elles-mêmes, dans les années 90, prennent conscience que la croissance économique se heurtera rapidement, face à l’augmentation démographique, à l’épuisement des ressources naturelles, à l’incapacité de notre planète à absorber tous les déchets, aux effets des pollutions sur la santé et à la demande sociale. A partir de ces problèmes concrets, une définition plus opérationnelle du développement durable complète celle du rapport Bruntland. Il devient un contrat d’équilibre entre trois piliers : l’efficacité économique, la préservation de l’environnement et l’équité sociale avec deux dimensions : mondiale et intergénérationnelle. sociaux, tout en assurant sa performance financière. - Une approche intégrée : le développement durable est intégré dans la stratégie de l’entreprise. Il devient un de ses objectifs, il donne un sens à son activité, il permet de partager avec les parties prenantes de la firme. Si on considère que le développement durable fait partie des objectifs de l’organisation, il ne peut être atteint que s’il s’appuie sur « une bonne gouvernance », elle-même résultat d’une éthique de la responsabilité qui constitue le socle du système. En conclusion, la fresque historique de l’éthique du management tente de démontrer qu’il s’agit d’un phénomène récurrent dans l’histoire économique et sociale du monde. Les mots changent : éthique, morale, paternalisme, état-providence, entreprise citoyenne, développement durable, entreprise éthique, responsabilité sociale des entreprises, mais les fondements demeurent. L’économie, puis l’entreprise, à travers les siècles, se sont toujours à des degrés divers préoccupées de leur environnement social et écologique. DE MULTIPLES RESPONSABILITÉS. Trois niveaux caractérisent la maturité de l’entreprise au regard du développement durable: Une approche de conformité : l’entreprise respecte les lois, mais sa seule motivation demeure le profit. Une approche périphérique : l’entreprise répond aux enjeux environnementaux et 30 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com L’entreprise citoyenne contribue à la société dans son ensemble au travers de ses activités, son investissement social et ses programmes philanthropiques, ainsi que ses engagements sociopolitiques. L’entreprise citoyenne se développe tout en protégeant son environnement et en produisant des biens recyclables, non nocifs pour l’environnement. Les questions relatives à l’écologie ont de plus en plus de poids dans les décisions politiques. En effet, les entreprises citoyennes veillent dans leur mode de production à la qualité de l’eau, de l’air, du sol, et évitent toute dégradation des ressources naturelles. L’entreprise citoyenne doit bien sûr s’intéresser à son environnement so- STRATÉGIE ET MANAGEMENT ponsabilités envers ses fournisseurs. Nous constatons une volonté croisBien que les phénomènes d’« entreprises citoyennes », d’« entreprises sante des entreprises d’investir éthiques » et d’« entreprises sociadans des activités à caractère cilement responsables » ne soient pas toyen...» des phénomènes récents, nous cial, « à l’intérêt général », mais elle doit avant constatons ces dernières années une volonté tout s’assurer du respect de ses salariés. Le croissante des entreprises d’investir dans des respect des personnes est encouragé dans les activités à caractère citoyen. La citoyenneté rapports entre les salariés. devient souvent un investissement à part enAinsi lors des grands changements qui affectière, un élément intégré à la stratégie de l’entent la vie des entreprises, l’entreprise citreprise et dont l’usage se répand à différents toyenne doit veiller au respect de chacun des secteurs comme les secteurs pétrochimique, salariés. Elle facilite l’insertion des jeunes, le cosmétique et alimentaire. De plus en plus réemploi des salariés plus âgés et l’intégration d’articles de presse managériale traitent de ce des handicapés. sujet ; de nombreuses conférences sont vouées En effet, dans la vie quotidienne sur les lieux à ce thème, des centres de recherche se créent de travail, le droit du travail et le droit social et les sites Internet concernant la citoyenneté imposent de nombreuses normes relatives à d’entreprise prolifèrent sur la toile… la vie dans l’entreprise. L’entreprise citoyenne s’efforce d’aller au(1) J. Ballet et F. de Bry, op. cit. p. 35. delà du simple respect de la réglementation, (2) Le CJD (1968) est né en 1938 sous l’appellation « ceci peut d’ailleurs être rendu public par l’insCentre des Jeunes Patrons » (CJP). (3) Cité par Favilla, « Entreprise citoyenne », Les Echos, tauration d’un code de bonne conduite. 9 juin 1992. D’une façon générale, l’entreprise citoyenne (4) W.C. Frederik, «From CSR1 to CSR2 : The maturing aide le salarié à s’épanouir dans son travail, of Business-and-Society Thought », Working Paper, n° contribue à élever son niveau de formation, 279, 1978, Graduate School of Business, University of lui offre des perspectives de carrière et des Pittsburgh, p. 6. (5) R.E. Freeman, Strategic Management : A Stakeholpostes conformes à sa formation, à ses aptider Approach, Boston, Pittman-Ballinger, 1984, p. 46. tudes. (6) L’éthique de la discussion développée par J. HaberL’entreprise citoyenne agit aussi lors des mas a été influencée par H. Arendt pour ce qui grands événements de la vie des entreprises : concerne la « théorie de l’action communicative », et lors des opérations de fusion, regroupement, par K. Otto Appel concernant l’éthique du discours. (7) Y. Pesqueux et B. Ramanantsoa, « La situation de acquisition où le sort des salariés est souvent l’éthique des affaires en France », Ethique des Affaires, négligé. Ainsi, l’entreprise citoyenne évite n°1, janvier 1995, p.15-26. toutes les actions conduisant à des licencie(8) A. Etchegoyen, La valse des éthiques, Bourin, 1991. ments et propose des solutions de remplace(9) Commission mondiale sur l’environnement et le dément acceptables par les salariés (préretraite ; veloppement, présidée par Mme Gro Harley Bruntland, 1er Ministre de Norvège, Notre Avenir à tous, Editions reclassement ...) du Fleuve, publications du Québec, 1989. Enfin, elle encourage ses salariés à la création d’entreprise (pratique de l’essaimage) et aide à l’insertion et à la réinsertion. Favoriser l’insertion des jeunes est une priorité pour l’enD’après : treprise citoyenne, elle favorise les contrats de Françoise de Bry, Vice-présidente de l’Acadéqualification et d’apprentissage (contrats mie de l’éthique. aidés) mais elle s’occupe aussi des salariés les Jean-Luc Laffargue, Directeur de la Publicaplus âgés ayant des difficultés à retrouver un tion. emploi. L’entreprise citoyenne a aussi des res- « Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 31 STRATÉGIE ET MANAGEMENT L’entreprise face à la diversité. D ans l’engagement social et sociétal des entreprises, la diversité est toujours un sujet d’actualité. Enjeux économique pour les uns, démarche managériale pour éliminer tout comportement discriminatoire pour les autres. Le management de la diversité permet d’instaurer une culture de la tolérance qui va permettre l’inclusion de chacun avec ses apports et ses différences. DISCRIMINATIONS ET DIVERSITÉ. Alors que les discriminations ont toujours existé, elles occupent aujourd’hui une place importante dans les débats nationaux et internationaux. La diversité a pour fondement l’égalité de traitement, qui figure à l’article 1er de la constitution française : « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». La diversité vise à préserver ou restaurer cette égalité entre individus, quelque soit leur sexe, âge, handicap, leur nationalité, leur origine « leur appartenance réelle ou supposée à une ethnie, race », leur orientation sexuelle, leur religion, leur appartenance syndicale…, pour ne retenir que les compétences ou talents, suivant des critères objectifs. Sur le plan économique, la diversité fait partie du volet social du développement durable et de la responsabilité sociale de l’entreprise. Bien qu’il n’existe pas de définition juridique de la diversité, cette dernière peut être considérée comme le résultat d’une approche globale de la lutte contre l’ensemble des 18 critères de discrimination définis par la loi et repris dans le Code du travail. Les pratiques discriminatoires produites à 32 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com l’échelle de la société et dans l’emploi interrogent la capacité des organisations, et en particulier des entreprises, à prévenir et à lutter contre toutes les formes de discrimination. La mondialisation des marchés, l’intégration des dimensions culturelles dans les pratiques de management ainsi que l’intérêt que portent les entreprises au développement durable et à la RSE, renforcent leur implication dans la prévention et la lutte contre les discriminations. L’ALTÉRITÉ. L'altérité est un concept philosophique (1) signifiant « le caractère de ce qui est autre » (Définition du Petit Robert), ou la reconnaissance de l’autre dans sa différence. Elle est un témoignage de compréhension de la particularité de chacun, hors normalisation, individuellement ou en groupe. Elle n'est pas la tolérance. Pourquoi ? La tolérance considère que ma li- STRATÉGIE ET MANAGEMENT de santé ou le handicap. Elle s'applique à toutes les périodes du cycle de vie du salarié : depuis le La diversité, c’est le refus de la disrecrutement jusqu'au licenciement crimination directe ou indirecte et en passant par la formation et le l’altérité, c’est combattre toutes déroulement de carrière. Deux problèmes subsistent noles discriminations...» tamment : la liste n'est pas exhaustive et laisse une large place à berté s'arrête là où commence celle des autres, l'interprétation des tribunaux, les preuves « justifiant le regard qui se détourne au nom étant souvent difficiles à rapporter. de l'idée que je ne dois pas me mêler des afLa diversité, c'est donc le refus de la discrimifaires des autres ». nation directe ou indirecte, mais comment la Avec l'altérité, ma liberté s'étend au travers de gérer dans l'entreprise ? La fable suivante, celle des autres, elle implique donc l'attention certes caricaturale, explicite clairement la déaux autres, le respect des droits fondamentaux finition de la diversité et la difficulté de son des femmes et des hommes à être eux-mêmes management. et chacun différent. L'altérité combat donc toutes les discriminaLA GIRAFE ET L’ÉLÉPHANT. tions quelle que soit leur origine : minorités religieuses, philosophiques, ethniques ou Une fable à propose de la diversité : la girafe culturelles, étrangers, homosexuels, et « tous et l’éléphant ou comment construire une maiceux que nous n’avons que trop tendance à son pour la diversité ? confiner dans leur ghetto parce qu’ils ne sont pas dans la norme, ou encore ceux que leur Dans une petite ville de banlieue, une girafe âge, leur handicap ou leurs caractéristiques s’était fait construire une maison répondant propres placent à la marge ». La législation aux besoins spécifiques de sa famille. C’était française demeure très restrictive sur ce point une maison merveilleuse pour les girafes avec dans la définition de la discrimination en droit des plafonds très hauts et de grandes portes. du travail. De hautes fenêtres offraient une luminosité La discrimination consiste à traiter différemmaximale et une jolie vue tout en protégeant ment une personne ou un groupe de perl’intimité de la famille. D’étroits couloirs personnes. mettaient de gagner de l’espace sans pour auElle n’est interdite par le Code du travail que tant nuire au confort. La maison était si bien si elle est fondée sur un motif prohibé et construite qu’elle gagna le Prix National de la qu’elle intervient dans l’un des domaines visés par la loi. Ces deux conditions sont donc cumulatives. Les motifs de discrimination énumérés par l’article L122-45 du Code du travail sont : l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’appartenance ou la nonappartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l’apparence physique, le patronyme ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail […], l’état « Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 33 STRATÉGIE ET MANAGEMENT Maison de Girafe de l’Année. Le propriétaire de la maison était très fier. Un jour, alors qu’il travaillait dans son atelier de menuiserie « dernier cri » situé dans son sous-sol, Monsieur Girafe aperçut, par la fenêtre, un éléphant descendant la rue. « Je le connais », pensa-t-il. « Nous avons travaillé ensemble au comité des parents d’élèves. Il est, lui aussi, un excellent menuisier. Je pense que je vais lui proposer de venir visiter mon nouvel atelier. Nous pourrions peut être même travailler ensemble sur certains projets ». Monsieur Girafe passa donc la tête par la fenêtre et invita l’éléphant à entrer. L’éléphant fut enchanté, il avait apprécié travailler avec Monsieur Girafe et il se réjouissait d’apprendre à mieux le connaître. De plus, il connaissait l’existence de l’atelier et souhaitait le visiter. Il se dirigea donc vers la porte du sous-sol et attendit qu’on lui ouvre. « Entrez, entrez », dit Monsieur Girafe. Mais il fut immédiatement confronté à un problème. Bien que l’éléphant pût passer sa tête par la porte, il ne put aller plus loin. « C’est une bonne chose que nous ayons construit cette porte de façon à ce qu’elle puisse être agrandie pour faire rentrer mon matériel de menuiserie » dit Monsieur Girafe. « Donnez-moi une minute pour que je résolve notre problème ». Il enleva quelques boulons et quelques panneaux afin que l’éléphant puisse entrer. Les deux amis échangeaient gaiement des histoires de menuiserie quand Madame Girafe passa sa tête par les escaliers du sous-sol et appela son mari : « Téléphone, chéri, c’est ton patron ». « Je ferais mieux de le prendre en haut » dit M. Girafe à l’éléphant. « Je vous en prie, faites comme chez vous, cela peut être un peu long. » L’éléphant regarda autour de lui. Il vit une pièce à moitié finie sur le tour à bois dans le coin de la pièce et il décida de l’examiner plus avant. Alors qu’il passait par la porte qui menait à l’atelier, il entendit un inquiétant craquement. Il recula en se grattant la tête. « Peut-être devrais-je rejoindre Monsieur Gi34 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com rafe à l’étage ? » pensa-t-il. Mais alors qu’il commençait à monter les escaliers, il entendit ces derniers commencer à craquer. Il sauta et tomba à la renverse contre le mur qui lui aussi commença à trembler. Alors qu’il était assis là, sous le choc et consterné, Monsieur Girafe redescendit les escaliers. « Que diable se passe-t-il ici ? » demanda Monsieur Girafe avec stupéfaction. « J’essayais de faire comme chez moi » répondit l’éléphant. Monsieur Girafe jeta un coup d’œil alentour. « Ok, je vois le problème, l’embrasure de la porte est trop étroite. Il faut que nous fassions en sorte que vous maigrissiez. Il y a une salle de sport à proximité. Si vous suiviez quelques cours d’aérobic, nous pourrions réduire votre taille ». « Peut-être », dit l’éléphant sans grande conviction. « Et les escaliers sont trop fragiles pour supporter votre poids » poursuivit Monsieur Girafe. « Si vous preniez des cours de danse le soir, je suis sûr que vous pourriez être plus léger sur vos pieds. J’espère vraiment que vous le ferez, j’aime bien vous avoir ici ». « Peut-être » dit l’éléphant. « Mais à dire vrai, je ne suis pas sûr qu’une maison conçue pour une girafe puisse convenir à un éléphant, à moins de faire quelques aménagements majeurs. » (d’après R. Roosevelt Thomas, (1999) Building a House for Diversity (NDT : Construire une maison pour la diversité), New York, American Management Association (NDT : Association Américaine du Management), pages 3-5. Cette fable illustre parfaitement la questionclé du Management de la Diversité : « Comment construire ensemble une maison, notre STRATÉGIE ET MANAGEMENT entreprise, dans laquelle toute la diversité soit respectée, où elle puisse trouver toute sa place, et où on y ait activement recours ? » COMMENT DÉFINIR LE MANAGEMENT DE LA DIVERSITÉ ? Qu’est-ce qu’on entend par diversité lorsque l’on manage une équipe ? La diversité, c’est la réunion de personnes dont les caractéristiques diffèrent sur le plan culturel, social, professionnel, personnel. Depuis les années 70, sa définition et surtout son champ d'application ont profondément évolué. Si elle n'a longtemps concerné que les femmes et les minorités ethniques, sous l'influence des cinq avantages déclinés par les Communautés européennes : 1- Le renforcement des valeurs culturelles au sein de l’organisation. 2- L’amélioration de la réputation de l’entreprise. 3- Une plus grande facilité à attirer et à conserver du personnel extrêmement compétent. 4- L’accroissement de la motivation et de l’efficacité du personnel en poste. 5- Le développement de l’innovation et de la créativité parmi les employés. La diversité concerne ainsi, non seulement les ressources humaines, mais tous les services de l'entreprise et tous les niveaux hiérarchiques. L'Union Européenne définit ainsi la diversité: « Reconnaître la diversité, c’est comprendre comment les individus peuvent contribuer à l’essor collectif et apporter des qualités qui peuvent être capitalisées et utilisées pour le plus grand bénéfice de tous, de l’entreprise et de la société en générale. Gérer notre diversité en assurant la justice et l’égalité ne devient plus seulement une « bonne action », mais une façon de s’inscrire dans un monde complexe et en perpétuel mouvement. » Le Management de la Diversité n’est rien d’autre que l’intégration des idées et de la pratique de la diversité dans les processus quoti- diens de management et d’apprentissage d’une entreprise et de son environnement. « Ce nouveau modèle de management de la diversité laisse l’organisation intérioriser les différences parmi ses employés de telle sorte qu’elle apprend et grandit grâce à elles. Nous sommes tous dans la même équipe avec nos différences et non malgré elles. » La difficulté, en particulier pour une entreprise multinationale, réside dans le fait d'exploiter les avantages de la diversité tout en préservant sa cohésion. Il faut donc avant tout reconnaître que la diversité et la cohésion sont les deux visages d'une même réalité. Il ne s'agit pas de donner à penser que « toutes les différences sont positives ». L'objectif n'est pas non plus d'imposer des règles strictes et uniformes de comportement, ce qui aurait pour effet d'annuler les avantages de la diversité. Il s'agit plutôt d'identifier les facteurs-clés de cohésion qui sont nécessaires pour réussir, et de tirer le meilleur parti possible de la diversité. METTRE EN ŒUVRE LE MANAGEMENT DE LA DIVERSITÉ. Les managers ont besoin de résultats. Leur préoccupation n’est pas de se conformer esthétiquement à de grandes théories. Afin d’atteindre leurs objectifs et de prendre l’avantage sur leurs concurrents, les managers doivent comprendre leur environnement extérieur, le marché, ainsi que la mission, la vision, la stratégie et la culture de l’entreprise. La question qui se pose est donc « Quelles formules de di- Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 35 STRATÉGIE ET MANAGEMENT versité ont le potentiel de nous fournir un avantage stratégique, ou, au contraire, d’entraver notre capacité à atteindre nos objectifs ? » Si l’entreprise se contente de recruter sans penser comment fédérer, comment coordonner, comment motiver… dans un contexte de diversité, peut-être plus que dans un environnement homogène qui aura tendance à reproduire des comportements connus voire prévisibles, non seulement elle ne produira rien de particulier, mais en plus elle prendra le risque de générer des conflits en interne. La diversité se manage donc, en anticipation déjà, en quotidien ensuite, en perspectives enfin. Le processus de mise en œuvre de la diversité est donc crucial. Il peut être analysé comme un processus d’apprentissage organisationnel. Vous trouverez ci-dessous la description des six principales étapes, développées par Synetz qui peuvent se résumer ainsi : Troisième étape. Vision et stratégie. La prochaine étape consiste à formuler une vision et une mission pour l’entreprise, issues du scénario précédemment sélectionné. Cette vision et cette mission devront être axées sur les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces identifiées par le scénario. (Méthode SWOT). Au final, des énoncés de vision et de mission devront être formulés, permettant à l'entreprise d'établir une stratégie claire. Mise en œuvre du management de la diversité développé par Synetz www.synetz.de Première étape. Création d'un Comité de Pilotage de la Diversité, composé de membres engagés et issus d’origines diverses, nommés par la direction. Deuxième étape. Scenarii pour le futur. Le Comité de Pilotage de la Diversité, en partenariat avec le top management, les parties prenantes-clés et les représentants de différents services de l’entreprise, doit organiser une sorte d’atelier d’élaboration de scenarii. Au final, on sélectionnera un scénario sur lequel on se concentrera. 36 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com Quatrième étape. Audit de la diversité. Un audit de la diversité permet ensuite d'analyser la situation présente de l'entreprise. Il est conduit au moyen d’entretiens personnels avec tous les groupes concernés et peut être accompagné d’un questionnaire standardisé permettant d’étudier les attitudes envers la diversité. Les résultats de l’audit de diversité seront examinés par le comité de pilotage de la diversité qui présentera les éléments-clés de sa situation actuelle à un public plus large pour déterminer le point de départ des changements qui conduiront à l’adoption d’une approche sincère du management de la diversité. STRATÉGIE ET MANAGEMENT Cinquième étape. Objectifs de l’entreprise. L’étape suivante consistera pour le management et le comité de pilotage de la diversité à définir les objectifs généraux de l’entreprise pour la mise en œuvre du management de la diversité. Ces objectifs devront être clairement en lien avec la stratégie globale précédemment formulée, et garantir la participation de tous. Chacun d’entre eux devra être invité à ajuster ces objectifs à son propre contexte et à définir des critères précis et mesurables pour leur réalisation. Sixième étape. Mise en œuvre du Management de la Diversité. Au cours du processus de mise en œuvre, le comité de pilotage de la diversité joue un rôle crucial. Il supervise, pilote et accompagne les différentes actions. Il est le carrefour central de la communication. Les discussions autour du bien-fondé des différentes politiques de management, sont nombreuses et même si de plus en plus entreprises s’engagent conscientes d’un atout économique, dans les faits les avis sont plus partagés et beaucoup de freins existent en interne. Selon une enquête de l’IFOP datant de janvier 2013, pour 81% des actifs, la crise et la détérioration de l’emploi ont une forte influence sur la fréquence des discriminations. Autre motif d’inquiétude, la formation des managers de demain. Ils sont aujourd’hui formés dans des écoles de commerce qui ne sont pas diversifiées. Il est indispensable cependant pour les gérer au mieux de se poser la question en terme d'approche éthique de la diversité. Quelle éthique pour la diversité ? La diversité est-elle éthique ? Deux écueils fondamentaux sont à éviter : le manque d'exemplarité du top management, la victimisation des personnes ou des groupes de personnes concernés. (1) L'un des pères contemporains de ce concept est : Emmanuel Lévinas, Altérité et transcendance, Éditeur LGF, 2006. (2) Ce paragraphe s'inspire largement du Manuel de Management pour la Formation de la Diversité (International Society for Diversity Management – idm), www.idm-diversity.org, Septembre 2007. Françoise de Bry, Vice-présidente de l’Académie de l’éthique. Jean-Luc Laffargue, Directeur de la Publication. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 37 STRATÉGIE ET MANAGEMENT L’équité, un enjeu managérial. L ’équité résulte d’un ensemble cohérent de politiques et de pratiques appropriées. Les valeurs organisationnelles qui se fondent sur le respect de valeurs éthiques, constituent les ingrédients essentiels pour le maintien et le développement d’une bonne qualité de vie au travail. UNE DEMANDE D’ÉQUITÉ Aujourd’hui, où l’image de l’entreprise est un facteur-clé pour recruter des « hauts potentiels», l’équité au sein de l’organisation est devenue un élément de différenciation pour le futur embauché. Pour eux il apparaît évident qu’une entreprise doit offrir un certain bienêtre au travail, avec de bonnes conditions d’exercice de leur métier et des possibilités d’évolution. Ils sont aussi plus attentifs aux perspectives offertes par un grand groupe : l’innovation sur son marché ou face à ses concurrents et, à un niveau plus proche, de leur travail, une bonne transmission des compétences professionnelles, par exemple par une politique de formation active. Quant aux critères d’excellence qui vont rendre une entreprise nationale plus attractive que les autres, ils se concentrent autour de l’équité RH : l’égalité hommes-femmes, l’ouverture aux jeunes, etc. C’est sur cet engagement sociétal, le rôle de l’employeur dans la cité, que les entreprises sont les plus attendues. 38 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com La gestion des personnes est sans aucun doute le domaine du management où la RSE, dans sa dimension de responsabilité sociale, apparaît comme incontournable. L'équité sociale concerne tant les rapports entre l'entreprise et le salarié que les rapports entre les salariés eux-mêmes, et également, les rapports de l'organisation et de ses membres avec leur environnement et les autres parties prenantes, notamment les sous-traitants, les fournisseurs, les clients. Elle est au centre des contradictions entre les logiques économiques et les logiques sociales, mais elle est en même temps la cheville de la politique de motivation et d'implication du personnel. Les dirigeants eux-mêmes ont des pratiques contradictoires, considérant les salariés tantôt comme une variable d'ajustement, tantôt comme un avantage compétitif, ou encore comme un enjeu idéologique. Le respect des droits de l'homme, en tout premier lieu le respect de la dignité humaine, constitue le fondement même des relations sociales dans l'entreprise. Leur violation, sous des formes diverses (harcèlement moral et STRATÉGIE ET MANAGEMENT « Le poisson pourrit par la tête dit le proverbe chinois...» sexuel, non-respect de la vie privée des individus ...), est à l'origine des principaux conflits éthiques. « Tous DRH », tel est le titre d'un ouvrage collectif sous la direction du Professeur Jean-Marie Peretti, qui nous démontre que la gestion des ressources humaines n'est pas l'apanage de la fonction correspondante dans l'entreprise. Si l'équité sociale est l'un des objectifs de la RSE, elle ne peut se construire qu'à partir de l'exemplarité et de la justice. EXEMPLARITÉ ET JUSTICE NE DOIVENT PAS ÊTRE UTILISÉES POUR MANIPULER LES SALARIÉS. « Le poisson pourrit par la tête » dit le proverbe chinois. « La femme de César ne doit pas être soupçonnée », mots par lesquels César, d'après Plutarque (Vie de César, XI), aurait répudié sa femme Pompeia. Ces citations expriment la nécessité pour le dirigeant, mais aussi pour tous les responsables à quelque niveau que ce soit, d'être exemplaire. Cette exemplarité doit être au cœur de l'équité sociale, elle constitue le fondement de la confiance des salariés dans leurs supérieurs hiérarchiques. Comment le chef d'entreprise payant un bakchich pour obtenir un marché peut-il interdire à ses salariés d'accepter des cadeaux des fournisseurs ? Comment prôner la rigueur salariale lorsqu'on s'octroie une augmentation conséquente ou des stock-options ? Le dirigeant, par sa fonction morale dans l'entreprise, joue un rôle fondamental en créant la confiance indispensable à sa survie. La performance de l'organisation à long terme dépendra de la valeur personnelle de ce dirigeant, notamment de ses principes éthiques et de sa faculté à donner l'exemple. Si l'entreprise affirme son rôle éthique, les chefs doivent certes montrer l'exemple, mais il ne leur appartient pas de s'ériger en direc- teur de conscience, détenteur des valeurs universelles, ce qui mettrait l'exemplarité au service de la manipulation. Quels sont les critères d'un comportement exem- plaire ? L'honnêteté, la franchise, le sens de l'intérêt général, le charisme, la cohérence personnelle ... Il peut se définir de manière positive : « Je fais ce que je dis, je dis ce que je fais», de manière négative : « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ». Il tend à légitimer l'autorité du chef, corollaire du pouvoir qui lui est donné par sa place dans la hiérarchie de l'entreprise. Théorie du processus, l'équité est l'une des explications de la satisfaction, de la motivation et de l'implication du salarié. Elle repose sur l'idée que les salariés attendent que leurs apports dans le travail (compétence, expérience, temps, obéissance ...) soient récompensés équitablement. Symétriquement, l'employeur attend qu'en échange l'employé fournisse un effort qui lui paraisse équitable. Le salarié effectue des comparaisons avec les autres employés dans l'entreprise, qui fournissent soit le même travail, soit un travail hiérarchiquement inférieur ou supérieur, et également avec les salariés d'autres entreprises. Ces comparaisons le conduisent à déterminer son comportement au travail. Qualifiée de « dissonance cognitive » au sens de Festinger (1957), cette situation différenciée se définit comme « un état de malaise psychique dû au fait que l'on est partagé entre deux ou pluQualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 39 STRATÉGIE ET MANAGEMENT La France oscille ainsi entre la soft law avec la mise en place spontanée Du recrutement au départ du salade chartes éthiques et le respect vorié, la RSE concerne tous les aslontaire de normes facultatives pects de son cycle de vie dans (SA8000, ISO9000,ISO 14000, GRI...) l’entreprise : intégration, rémunéet la hard law (cf. notamment le ration, formation, discrimination, code du travail) caractérisée par des obligations légales telles que : stress, départ à la retraite...» - le bilan social, rendu obligatoire sieurs idées contradictoires ». Dans un souci par la loi de 1977, de cohérence logique et d'harmonie affective, - ensuite le Rapport sur l'égalité professionl'individu tente de réduire, voire de faire disnelle, instauré par la loi Roudy en1983 et comparaître cette dissonance. plété récemment par la loi Génisson en 2001, - enfin la loi sur les Nouvelles Régulations L'équité sociale tente ainsi d'établir un équiliÉconomiques en 2002 qui impose notamment bre entre les attentes du salarié, ses perforaux entreprises cotées d'établir annuellement mances et la rentabilité de l'entreprise. De un rapport social et environnemental. nombreux exemples apparaissent ainsi dans L'émergence du développement durable, de le cycle de vie du salarié. la RSE et de l'éthique crée dans les organisations un nouveau métier aux dénominations LA RSE ET LE CYCLE DE VIE DU variées : déontologue, éthicien, compliance ofSALARIÉ DANS L'ORGANISATION. ficer. « Du recrutement au départ du salarié, la RSE concerne tous les aspects de son cycle de vie dans l'entreprise, notamment : intégration, rémunération, formation, climat social, harcèlement, discrimination, stress, alerte éthique, organisation du travail, licenciement, démission ou départ à la retraite. L'institutionnalisation de la RSE : de la hard law à la soft law. Si la liberté de l'entreprise doit s'exercer dans un cadre, on peut ainsi distinguer les pays de soft law (normes douces) des pays de hard law (obligations légales). Les « normes douces » comprennent toutes les normes à l'exception des lois, des règlements et des contrats qui constituent les obligations légales. Les premières peuvent être classées en deux catégories : - l'autorégulation : normes juridiques élaborées par et pour l'entreprise, par exemple les codes éthiques, - la réglementation volontaire : normes encouragées par les décideurs et élaborées avec les acteurs concernés, par exemple la norme SA8000. 40 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com LE DÉONTOLOGUE. À la croisée des fonctions dans l'organisation, le déontologue, pour sauvegarder son indépendance, dépend généralement directement de la direction, que son poste soit une fonction à temps plein ou qu'il fasse partie de la DRH, de la direction juridique, voire du service financier. STRATÉGIE ET MANAGEMENT La fonction de déontologue dans l'entreprise remonte aux années 1970 aux USA ; elle connaît un essor remarquable en France dans la décennie 1990. À partir de 1997, une réglementation a imposé aux entreprises du secteur financier de mettre en place une fonction déontologique. Les principales raisons invoquées par l'entreprise pour promouvoir une fonction éthique sont les suivantes : - en interne, affirmer l'identité de l'entreprise et sa différence, rechercher une cohérence éthique autour de principes communs, fédérer et mobiliser le personnel, développer la culture de responsabilité des managers ; - en externe, concrétiser la responsabilité sociale de l'entreprise et se donner un avantage concurrentiel ; - en interne comme en externe, protéger l'entreprise contre les agissements d'agents susceptibles de nuire à ses intérêts. Les missions du déontologue varient, notamment avec le secteur d'activité et la taille de l'entreprise. Les plus souvent repérées dans l'organisation sont les suivantes: - aider l'entreprise à expliciter sa politique en matière d'éthique, - mettre en œuvre la politique éthique, - organiser et déployer la fonction éthique, - sensibiliser et former le personnel à l'éthique, - mettre l'entreprise à l'abri de toute malversation et la protéger contre les risques éthiques, - promouvoir la politique éthique dans l'entreprise, - assurer le reporting global et mettre en évidence les réalisations de l'entreprise en matière de RSE. LES RÉMUNÉRATIONS. Garantir à chaque salarié une rémunération équitable : cet engagement est affiché dans de nombreuses politiques de rémunération. Pour les entreprises, être un employeur équitable permet d’être classé parmi les employeurs de référence, d’être reconnue comme une entreprise où il fait bon travailler. Avoir une bonne image employeur, dans le contexte actuel de guerre des talents, est un atout pour attirer et fidéliser les compétences nécessaires au développement de l’entreprise. Des recherches ont fait ressortir le lien entre « entreprise équitable » et « salariés fidèles ». Le besoin d’équité est externe – être aussi bien traité que dans les autres entreprises – et interne – chacun dans l’entreprise est convenablement traité. L’équité externe favorise le recrutement et la rétention des talents. L’équité interne développe l’engagement et l’implication des salariés. Pour être perçues comme équitables, les entreprises se doivent d’identifier les attentes d’équité des salariés. Elles réduisent ainsi les risques induits par des sentiments de souséquité, individuelle ou collective. Elles veillent à définir des règles et à mettre en oeuvre des procédures pour parvenir à un niveau d’équité élevé. Réaliser des audits de l’équité dans l’entreprise permet de garantir l’équité. Chaque salarié souhaite et recherche un traitement équitable. Les enquêtes montrent une exigence accrue de justice et d’équité et le poids croissant des comparaisons. Mieux informé, bien que de façon parcellaire, le salarié utilise un nombre croissant de référentiels. Il s’interroge sur les écarts et attend des justifications ou des actions correctives. La préoccupation d’équité s’élargit depuis quelques années dans le cadre du refus de toute discrimination. L’entreprise doit garantir non seulement l’équité entre les personnes, mais aussi entre des groupes d’appartenance. L’équité entre les fonctions, les établissements, les filiales, est importante. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 41 STRATÉGIE ET MANAGEMENT Lors de fusions et d’acquisitions, la diversité des situations génère souvent des sentiments d’iniquité qu’il faut faire disparaître pour réussir l’opération. Le toilettage des statuts et l’harmonisation des pratiques sont des préalables pour dégager les synergies attendues. L’équité entre générations, selon le genre, selon l’origine et en fonction de tous les autres critères de discrimination interdits doit également être recherchée. Les parties prenantes sont sensibles à la non discrimination. Les entreprises doivent justifier toute différence susceptible de refléter une discrimination même indirecte. La loi 2006 sur l’égalité salariale femme/homme illustre cette pression croissante sur les entreprises pour qu’elles contrôlent toutes les pratiques pouvant réduire l’équité. Les salariés sont sensibles à la relation entre la contribution qu’ils apportent à l’entreprise et la rétribution qu’ils en reçoivent. Dans leur échange avec l’entreprise, ils évaluent ce qu’ils donnent et ce qu’ils reçoivent. Chaque salarié construit son ratio d’équité, rapport entre sa rétribution et sa contribution. Ce rapport sert de base aux comparaisons internes et externes. Lorsque le salarié se compare à ses collègues, ses collaborateurs, sa hiérarchie dans son entreprise, il apprécie l’équité interne. Lorsqu’il prend comme base de comparaison des salariés d’autres entreprises, il se situe sur le plan de l’équité externe. Dans les deux cas, le sentiment d’équité ou de non équité a des incidences fortes sur les comportements des salariés. L’INIQUITÉ. L’hyper-rationalisation des organisations conduit à un éloignement des salariés entre eux et vis-à-vis du management. Il est indispensable de renforcer le lien social, ciment des organisations, d’autant plus qu’il est nécessaire de travailler de manière collaborative : du top talent qui devra mener une carrière internationale et tisser un réseau très large et multiculturel à l’intérieur de l’entreprise, aux 42 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com techniciens experts qui seront centre de support auprès de commerciaux à l’autre bout de la planète… les entreprises ont besoin de favoriser l’initiative et la coopération. Dans l’entreprise de demain, on sera amené à travailler avec tout le monde en réseau. Il ne suffira plus de recruter des talents, il faudra les faire travailler ensemble et donc pour cela créer de la confiance réciproque. Tout cela s’inscrit dans le cadre d’une responsabilité sociale toujours plus large de l’entreprise, à l’intérieur comme à l’extérieur. Or l’iniquité conduit à un appauvrissement, aux discriminations, au mécontentement et à la démobilisation. Le salarié qui a un sentiment d’équité interne et externe satisfaisant, témoigne d’un haut niveau de fidélité organisationnelle. La fidélité organisationnelle est caractérisée par : une faible propension à rechercher un travail ailleurs ; un attachement affectif ; une efficacité dans l’exécution des activités qui contribuent au noyau technique de l’organisation (performance dans la tâche) ; une contribution à l’entretien et à l’enrichissement du contexte social et psychologique de l’organisation (performance contextuelle) (Swalhi, 2007). STRATÉGIE ET MANAGEMENT « La perception d’un haut niveau d’équité développe la fidélité organisationnelle. Un sentiment de nonéquité est source de risque...» La perception par les salariés d’un haut niveau d’équité développe cette fidélité organisationnelle. Au contraire, un sentiment de non équité est source de risque. Selon la théorie de l’équité (Adams, 1963), tout salarié en situation perçue de non équité agit pour rétablir la justice. Les comportements qu’il adopte sont des sources de risques pour l’entreprise. Les principaux risques proviennent de la sous- équité interne. Selon la théorie de l’équité formulée par J.S. Adams, le constat d’une situation de sous équité entraîne une action pour modifier le ratio en faisant varier la contribution ou la rétribution En situation de sous-équité, le salarié essaie d’accroître sa rétribution en réclamant (ou en « trichant » : détournement de fournitures, utilisation personnelle d’équipement, remboursements abusifs de frais, …) ou, plus généralement, réduit discrètement sa contribution (moindre qualité, absentéisme, ralentissement, non-coopération,…). Le salarié peut également s’efforcer d’agir sur le ratio du référent. En sous- équité à l’égard d’un collègue il cherche à réduire son ratio en accroissant le dénominateur (sa contribution) ou en réduisant son numérateur (sa rétribution). Ainsi par une faible coopération avec son collègue, en conservant certaines « astuces de travail » ou en bloquant des informations, il accroît la charge de travail de son collègue. En le dénigrant, il met en péril l’accroissement de sa rétribution. Ces comportements entre collègues contribuent à la sous-performance de l’organisation. L’équité peut être interne ou externe. Quatre cas peuvent être distingués : un double sentiment de sous-équité interne et externe conduit à un départ rapide. Le salarié qui estime que sa contribution n’est pas suffisamment reconnue en interne et qu’il se- rait mieux traité ailleurs, recherche activement un emploi à l’extérieur de l’entreprise. De plus, sa contribution dans son emploi sera en deçà de ses possibili- tés. un sentiment d’équité interne associé à celui d’une sous équité externe présente un risque de départ lorsqu’une opportunité externe se présente. Cependant, le salarié qui considère être convenablement traité par l’entreprise a une contribution élevée et ne cherche pas activement à quitter l’entreprise. Pour réduire le risque de départ, les organisations qui payent en dessous du marché doivent offrir un travail intéressant, permettre un fort développement des compétences et un climat de travail de qualité. La qualité de la grappe de pratiques RH dont bénéficie le salarié devient un atout essentiel pour le fidéliser ; un sentiment de sous-équité interne associé à une sur-équité externe est une situation particulièrement dangereuse pour l’entreprise. Ne pouvant conserver ailleurs les mêmes avantages, le salarié reste ; s’estimant mal traité en interne, il réduit sa contribution ; Lorsque le salarié ressent un sentiment de sur-équité interne et externe, sa fidélité organisationnelle est forte. Le coût de cette suréquité peut être cependant élevé si l’entreprise supporte des coûts salariaux excessifs. RÉUSSIR L’ÉQUITÉ. L’équité résulte d’un ensemble cohérent de politiques et de pratiques appropriées. Garantir au salarié un traitement équitable implique que : sa contribution soit effectivement évaluée et appréciée. La contribution correspond au poste occupé et à la performance dans ce poste. La qualité de la grille des salaires d’une part et du système d’appréciation d’autre part sont essentielles ; la possibilité d’accroître sa contribution lui soit offerte. L’entreprise peut aider le salaQualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 43 STRATÉGIE ET MANAGEMENT rié à accroître sa contribution à travers des politiques d’affectation équitable, de développement des compétences, d’amélioration des conditions de travail et la qualité de la hiérarchie de proximité ; le lien entre contribution et rétribution soit explicite. Les règles des décisions d’augmentation de calcul des bonus, d’octroi d’avantages non monétaires et de toute mesure modifiant la rétribution d’un salarié doivent être précisées et communiquées. En particulier que le lien entre accroissement de la contribution et accroissement de la rétribution soit précisé et respecté ; les règles soient respectées, garantissant au salarié la rétribution qu’il a mérité ; sa rétribution soit connue et évaluée dans toutes ses composantes et que l’information sur toutes les composantes, monétaires et non monétaires, de sa rétribution lui soit communiquée. Le dernier point est devenu plus complexe depuis une vingtaine d’années. Les composantes de la rétribution se sont multipliées et les grands arbitrages ont évolué. Cette complexité croissante rend délicate l’évaluation par le salarié de sa rétribution globale. Il doit prendre en compte simultanément des éléments fixes et d’autres variables, des éléments collectifs et d’autres individualisés, des éléments immédiats et des éléments différés, des composantes monétaires et d’autres non monétaires, des rémunérations et du temps libre. La reconnaissance peut être considérée comme un critère pour évaluer les différentes modalités de rémunération. Ainsi le salaire au mois des « mensuels » étaitil perçu comme un véritable signe de reconnaissance de l’importance de la qualification par rapport aux « horaires ». La loi de 1979 sur la mensualisation a accordé à tous cette reconnaissance. Aujourd’hui, avoir droit à des stock-options est généralement considéré comme un signe fort de reconnaissance et d’appartenance au « noyau dur » des compétences stratégiques de l’entreprise, qu’il faut fidéliser et récompenser pleinement. 44 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com Chez les commerciaux, la part de salaire fixe dans la rémunération totale est souvent perçue comme un élément de reconnaissance. « Si l’entreprise ne me rémunère que lorsque je ramène des commandes, c’est qu’elle me considère comme un vendeur jetable. » Dans la mise en œuvre d’une politique de rémunération globale, l’entreprise doit veiller à prendre en compte la dimension « reconnaissance » de chaque composante. Dans un arbitrage entre deux composantes qui présentent des similitudes pour la plupart des critères, il est opportun de choisir celle qui apporte un plus en matière de reconnaissance. Il faut donc connaître les perceptions des salariés sur ce point. Une phrase est souvent recueillie dans les entretiens d’audit de rémunération : « Si on me juge capable d’avoir une augmentation individualisée, qu’on me considère aussi capable de comprendre comment elle a été déterminée. » Il y a là un réel besoin de reconnaissance. Il apparaît clairement que le choix d’une modalité de rémunération, d’une part, la procédure de mise en application, d’autre part et, en particulier, la communication sur l’ensemble du dispositif, ont un impact fort sur le niveau de reconnaissance. Or la rétribution est la somme de la rémunération et de la reconnaissance dans la détermination par chaque salarié de son ratio d’équité. Un bon choix de rémunération accompagné d’une communication pertinente améliore la perception de l’équité. Inversement, une communication maladroite peut réduire l’impact d’une composante, cependant coûteuse, de la rémunération. L’audit d’une rémunération globale fait souvent ressortir combien certaines dépenses sont mal perçues par les bénéficiaires. Parce qu’ils sont obligatoires du fait de la loi ou parce que l’usage leur a confié un caractère d’avantages acquis, l’entreprise néglige parfois de communiquer sur ces éléments. Ils ne sont alors perçus ni comme un élément de rémunération, ni comme un signe de reconnaissance. STRATÉGIE ET MANAGEMENT AUDITER L’ÉQUITÉ. L’entreprise respecte-t-elle ses engagements en matière d’équité ? Les missions portent sur les engagements conventionnels, discrétionnaires ou contractuels et les obligations légales et règlementaires. L’auditeur évalue les risques de la non-équité interne ou externe et les coûts qu’elle engendre. Il identifie les principales zones de risques éventuellement grâce à une enquête auprès du personnel. L’audit porte essentiellement sur le respect des quatre règles procédurales de la justice : - L’entreprise garantit-elle à chaque salarié une évaluation fiable de sa contribution ? - L’entreprise favorise-t-elle l’accroissement de la contribution mesurable du salarié ? - Les règles reliant contribution et rétribution sont-elles explicitées, connues, transparentes? - Les managers respectent-ils ces règles et chaque salarié reçoit-il la rétribution méritée ? L’audit de chacune de ces règles permet d’évaluer le niveau de justice organisationnelle et d’identifier les points faibles sur lesquels agir et communiquer pour renforcer le sentiment d’équité. Ces dernières années, l’explosion des rémunérations des dirigeants en Europe, les niveaux de bonus de certains financiers et la publication des revenus de certains sportifs, artistes ou acteurs ont provoqué un sentiment de sous-équité. Les conflits actuels sur les salaires et le pouvoir témoignent de l’actualité du thème de l’équité. L’entreprise qui accroît son « capital équité » par un effort constant pour améliorer la qualité de ses pratiques et de ses décisions RH assure la pérennité de son capital humain et l’implication durable de ses collaborateurs. EN CONCLUSION. Phénomène très subjectif, la justice organisationnelle se définit globalement par la conception qu’un employé a de la façon dont le traite son entreprise. La théorie de la justice organisationnelle prend racine dans la théorie de l’équité d’Adams : la perception d’équité et celle d’iniquité se basent sur la rétribution d’un employé ( ce qu’il reçoit de son organisation ) et sur sa contribution ( ce qu’il apporte à l’organisation), qu’il compare à un point de référence. Ce point de référence peut être un collègue de la même entreprise dont le poste est équivalent au sien, ou dans une autre entreprise, ou encore, son expérience professionnelle passée. Les valeurs organisationnelles qui se fondent sur le respect de valeurs éthiques, constituent les ingrédients essentiels pour le maintien et le développement d’une bonne qualité de vie au travail. Elles témoignent ainsi d’une organisation mature et ouverte aux préoccupations des salariés et de l’ensemble de la société. BIBLIOGRAPHIE. Adams J.-S. (1963), « Toward an Undestanding of Inequity », JASP, n° 65. Colle, R. (2006), « L’influence de la GRH à la carte sur fidélité des salariés : le rôle du sentiment d’autodétermination » Thèse de Doctorat en sciences de gestion, IAE d’AixMarseille. Igalens J. & Péretti J.M. (2008), Audit Social, Eyrolles, Paris Péretti J.M. (2004), Les clés de l’équité dans l’entreprise, les Editions d’organisation, Paris. Swalhi A. (2007), « Déterminants de la fidélité organisationnelle », Thèse de doctorat en sciences de gestion, IAE de Corse. D’après : Françoise de Bry, Vice-présidente de l’Académie de l’éthique. Jean-Luc Laffargue, Directeur de la Publication. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 45 STRATÉGIE ET MANAGEMENT Le concept de responsabilité. D e quoi est-on responsable ? Qui est responsable ? Devant qui est-on responsable ? Même si le concept général de responsabilité est aisément perceptible, en réalité il est de plus en plus question de son élargissement au-delà de son acception traditionnelle. LES FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITÉ. Les fondements philosophiques de la responsabilité sont extrêmement nombreux et controversés. Nous ne donnerons pas ici une vue exhaustive de ces fondements, ni même des difficultés et débats qu’ils soulèvent. Nous tenterons plutôt de réunir ceux qui nous paraissent pertinents au regard des problèmes se posant à l’entreprise, dès lors que la responsabilité de cette entité est envisagée. La liberté d’agir constitue la genèse de la responsabilité. Elle seule peut exprimer la responsabilité de l’homme. Sans liberté il n’est point de responsabilité. Liberté et responsabilité sont 46 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com donc étroitement liées. Mais on ne peut pas affirmer que tout acte libre est un acte responsable. Au contraire, la responsabilité implique des règles de conduite qui doivent être gouvernées par la prudence. Dès lors, l’application à l’entreprise devient évidente. Le marché doit laisser à l’entreprise la possibilité d’agir librement, mais de manière prudente. Le comportement prudent définit alors une entreprise responsable. Il ne s’agit pas d’une prudence généralisée, paralysante, mais bien d’une prudence par rapport à autrui, c’est-à-dire par rapport à l’environnement interne et externe de l’entreprise, que celui-ci soit humain, social, économique, environnemental ou écologique. Cependant, la responsabilité envers autrui STRATÉGIE ET MANAGEMENT rer sur l’opportunité de ses actions, que nous pouvons en évaL’entreprise ne peut pas et ne doit luer les conséquences et pouvons pas être tenue responsable de tous en conséquence nous montrer les maux de la société...» prudents. Aristote définit la prupeut vite devenir excessive. L’application à dence comme une « disposition accompagnée l’entreprise devient alors extrêmement diffide règle vraie, capable d’agir dans la sphère cile : l’entreprise ne peut pas et ne doit pas être de ce qui est bon ou mauvais pour un être hutenue responsable de tous les maux de la somain » (Éthique à Nicomaque : 285, 1140b). ciété. Ainsi le prudent se préoccupe des conséquences prévisibles de ses actes. La prudence Pour voir émerger le concept de responsabiest une vertu qui nous permet de prendre la lité, il est nécessaire de rejeter la doctrine sobonne décision, de décider de la bonne action. cratique selon laquelle « Nul n’est méchant Elle semble à ce titre inséparable de la responvolontairement ». Elle a en effet pour consésabilité ; elle reste cependant chez Aristote une quence de permettre aux individus d’échapprudence sur les moyens d’atteindre une fin per à toute forme de responsabilité à l’égard et non sur les fins elles-mêmes. Autrement dit, de leurs actes. Le mal ne pouvant être voulu, la délibération porte sur les moyens et non les il est exclu qu’il soit le choix délibéré de l’infins de l’action. dividu. Ainsi, le drame de l’homme vient de Les stoïciens voient dans la prudence éclairée son impuissance à connaître le bien ; le mal la forme fondamentale de la vertu, « la science n’est alors que l’expression de l’ignorance du des choses à faire et à ne pas faire ». Mais ils bien. ajoutent une pièce maîtresse au puzzle de la Platon ne suit pas son maître quand il affirme construction de la responsabilité : la raison. En que la responsabilité appartient à celui qui effet, la vertu donne un rôle de premier plan choisit. En reconnaissant qu’il existe un choix, à la volonté, définie comme « la tendance où il admet déjà une forme de liberté et pose une le souhait s’accompagne de raison ». Si première pierre à l’édifice sur lequel se l’homme est bien sûr en proie aux passions, le construit la notion de responsabilité. Si cersage stoïcien s’en rend maître puisqu’il taines actions sont inéluctables comme mandomine et maîtrise tous ses jugements. « Tout ger ou boire, rien ne saurait nous persuader vient de toi, tout est en toi, tout rentre en d’y renoncer. toi », écrit le stoïcien Marc Aurèle. En revanche, beaucoup d’autres actions déIl ne reste plus qu’un pas à franchir pour relier pendent de nous et sont de ce fait volontaires. la liberté à la responsabilité par la raison. C’est Mais ce choix et la liberté qui s’exerce à travers saint Thomas d’Aquin qui le saute en définislui ne correspondent pas seulement à un acte sant le « libre arbitre » dans La Somme théoque je décide de faire ou non, c’est aussi un logique : « L’homme possède le libre arbitre, acte que je choisis avec toutes ses conséou alors les conseils, les exhortations, les préquences. Dès lors, une première difficulté se ceptes, les défenses, les récompenses et châtipose : la responsabilité doit-elle se mesurer à ments seraient vains ». Le libre arbitre l’aune des actes ou de leurs conséquences ? s’explique, selon saint Thomas, à partir de la La question est particulièrement importante propriété spécifique de la raison qui se donne pour l’entreprise dans la mesure où les consédes possibles entre lesquels elle doit choisir quences sont parfois difficilement prévisibles. sans que l’issue soit nécessaire. « … L’homme Aristote précise que les mauvaises actions agit par un jugement libre qui le rend capable peuvent être évitées. Il dépend en effet de de diversifier son action (…) ; il est nécessaire l’homme de les commettre ou non. Cela imque l’homme soit doué du libre arbitre, du fait plique que nous sommes capables de délibémême qu’il est doué de raison ». « Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 47 STRATÉGIE ET MANAGEMENT a contrario, que ma liberté pourrait décider (et elle le peut puisqu’elle La liberté semble une condition est liberté) de ne pas bien user essentielle de la responsabilité...» d’elle-même, voire de s’anéantir comme liberté. La liberté semble une condition essentielle de Kant mène l’analyse à son terme, en affirmant la responsabilité. Mais la liberté dont il s’agit que la volonté de l’homme est entièrement n’est pas tant la liberté d’agir ou de ne pas libre. La liberté du vouloir constitue un posagir, elle est plutôt la liberté de la volonté tulat de la loi morale, une évidence. La perd’agir ou non. Autrement dit, aucune force exsonne est donc responsable dans la mesure où terne ne doit contraindre l’action. Ce point de vue sera défendu par Descartes, suivi en cela par Rousseau dans « Du contrat social », qui n’hésite pas à affirmer que la liberté constitue la nature inaliénable de l’homme, et à écrire « c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté ». Descartes développe une conception plus radicale de la liberté dans le sens où elle libère la volonté de toute soumission, aussi bien envers la raison et ses lois qu’envers la sensibilité et sa « force d’attraction ». Il la nomme : liberté d’indifférence, c’est-à-dire le pouvoir de commencer un acte sans aucune raison. La liberté est la nature de la volonté en tant qu’elle maintient son pouvoir d’indifférence à l’égard de tout ce qui n’est pas volonté. Nous n’agissons cependant pas sans motifs elle se définit a priori comme « libre cause » (première définition de la liberté d’indifféde ce qu’elle fait. Sa responsabilité prend deux rence), mais nous avons le pouvoir absolu de formes : sa responsabilité morale, sa responne pas en tenir compte (deuxième définition sabilité juridique. de la liberté d’indifférence). En agissant moralement ou par devoir, elle Cependant, précise Descartes, cette liberté agit en connaissance de cause et en sachant ce d’indifférence reste le plus bas degré de la liqu’elle fait. La responsabilité morale, notion berté, puisque choisir sans raison, c’est s’en resubjective, se réfère au principe du vouloir « mettre au hasard. Par contre choisir en ce qui est bon en soi », la responsabilité juriconnaissance de cause est la plus haute expédique implique que l’acte est juste ou injuste rience de la liberté. Paradoxalement, l’homme selon qu’il est ou non conforme à ce qui doit est d’autant plus libre qu’il est moins indifféêtre, mais ne renvoie pas à la libre intentionrent, qu’il agit avec raison, qu’il maîtrise les nalité de la personne. causes de son choix. Seule cette maîtrise perLe concept de responsabilité chez Kant est inmet d’échapper au hasard et de se soustraire dissociable de celui de personne : « Une peraux contraintes extérieures. sonne est un sujet dont les actions sont Ainsi, la volonté raisonnable apparaît comme susceptibles d’imputation (…). Elle ne peut le plus haut degré de la liberté, ce que Desêtre soumise à d’autres lois que celles qu’elle cartes nomme la générosité, c’est-à-dire la vose donne elle-même ». C’est l’imputation qui lonté de ne jamais manquer de volonté. Si la fait la différence entre la personne et la chose. générosité est bien cette exigence de fermeté à La personne est en même temps l’auteur de l’égard de sa propre liberté, cela signifie donc, l’acte et l’auteur des conséquences de cet acte. « 48 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com STRATÉGIE ET MANAGEMENT Ainsi, l’accent mis sur la liberté de la volonté, l’autonomie, a une implication radicale. Si la liberté ou la volonté est remise en cause, la responsabilité elle-même disparaît. Plusieurs critiques se sont appuyées sur cette relation afin de démontrer l’absence de responsabilité. LES CRITIQUES DE LA RESPONSABILITÉ FONDÉES SUR LA LIBERTÉ. Deux catégories de critiques ont été adressées à cette conception de la responsabilité : les premières remettent en cause l’existence de la liberté des individus, les secondes, tout en admettant la liberté, la délimitent en insistant sur la dépendance vis-à-vis de l’environnement social. Une absence de liberté. Spinoza critique sévèrement le concept de liberté infinie posé par Descartes. Selon lui, affirmer que l’homme est toujours libre de résister au mal, mais qu’en même temps il est responsable de céder à la tentation, est contradictoire. Si l’homme n’a pas pu résister à la tentation, c’est qu’il n’était pas en son pouvoir de le faire. Il a succombé parce qu’il n’était pas libre de vouloir ou de ne pas vouloir le mal ; ses penchants naturels l’entraînaient irrésistiblement à vouloir ce qu’il a voulu. En fait, les actions les plus quotidiennes et les plus concrètes obéissent à des déterminations (sociales, économiques, psychologiques) sur lesquelles nous n’avons que peu de prise. Ainsi, la moralité de nos actes demeure incertaine. La liberté devient alors chez Spinoza une «illusion psychologique de la liberté». Comme il le souligne dans la proposition 35 du livre II de son ouvrage Éthique : « Les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres ; et cette opinion consiste en cela seul qu’ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par où ils sont déterminés ; ce qui constitue donc leur idée de liberté, c’est qu’ils ne connaissent aucune cause à leur action ». Spinoza ruine toute idée de faute, en considérant comme libre une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte une chose qui est déterminée dans son action par une autre chose externe à la première. Mais dès lors qu’il est dans la nature des hommes de faire le mal, « car ils pèchent à cause de leur nature propre et ne peuvent faire autrement », il n’est pas responsable même s’il est puni comme « un chien enragé ». Freud critique également la liberté d’indifférence de Descartes, sans pour autant comme Spinoza rejeter l’existence du libre arbitre. Dans les actes même sans importance où nous croyons être libre de choisir cette indifférence, l’homme peut jouir de motivations inconscientes. « Il résulte que le déterminisme psychologique apparaît sans solution de continuité. » Une liberté limitée. Une autre série de critiques concerne, non pas la liberté elle-même, mais les conditions dans lesquelles elle s’exerce. Marx, dans La Sainte Famille, écrit ainsi que « si l’homme n’est pas libre au sens matérialiste, c’est-à-dire s’il est libre non pas par la force négative d’éviter telle ou telle chose, mais par la force positive de faire valoir sa vraie individualité, il ne faut pas châtier le crime dans l’individu, mais détruire les foyers antisociaux de crime et donner à chacun l’espace nécessaire à la manifestation essentielle de son être. Si l’homme est formé par les circonstances, il faut former les circonstances humainement ». Qualitique n°257- Décembre 2014 - www.qualitique.com 49 STRATÉGIE ET MANAGEMENT Ainsi, au lieu de tenir les individus pour responsables des maux de l’humanité, quoi qu’ils aient pu faire de mal, on portera remède aux causes sociales du malheur humain dont ils sont victimes avant d’en être les agents. « À la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures : il se situe donc, par sa nature même, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. » (Marx, Le Capital). Tant que l’homme est aliéné dans son travail par le système capitaliste, il ne peut être libre, il ne saurait donc être responsable, mais seulement victime d’un système qu’il ne maîtrise pas. Seul le communisme pourra le délivrer de cette aliénation et le rendre libre. Althusser reprenant la problématique de Marx et de Nietzsche, qui voit dans le libre arbitre « le tour de force le plus mal famé qu’il y ait », défend un antihumanisme théorique pour nier l’existence du sujet. « C’est l’idéologie qui interpelle l’individu comme sujet », ce sont donc les autres, la société, les appareils d’État, les prêtres, les juges, qui imposent à l’individu le point de vue du libre arbitre par lequel il devient sujet responsable. L’analyse d’Althusser permet l’introduction d’un nouvel élément central dans la problématique de la responsabilité. Il s’agit des autres, ou d’Autrui, concept qui permettra un renouvellement du débat notamment avec Lévinas et Jonas. Ainsi, comme le note Ricoeur (1994) dans un article sur l’évolution du concept de responsabilité, « on devient responsable du dommage parce que, d’abord, on est responsable d’autrui ». Ainsi, le débat sur la responsabilité va se renouveler autour de la personne, d’Autrui. Cependant, on peut appréhender la prise en compte de l’autre de deux manières. La première consiste à établir les relations que les personnes seraient prêtes à définir lors d’un contrat social, par exemple le degré de justice ou de redistribution. Cette première modalité répond aux critiques du libre arbitre en portant sur les conditions sociales dans lesquelles se trouve l’individu. Mais elle conduit plutôt 50 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com à la notion de solidarité qu’à celle d’une reformulation de la responsabilité. La seconde consiste au contraire à donner à la responsabilité toute sa dimension personnelle en axant l’argumentation sur autrui en tant qu’il impose des contraintes à chacun pris dans son individualité. Responsabilité et autrui. La philosophie contemporaine a largement réactualisé le débat sur la responsabilité en prenant appui sur Autrui et la responsabilité à l’égard d’autrui. Dans ce cadre, la responsabilité devient omniprésente et surtout devient une charge considérable pour chacun. Trois auteurs ont particulièrement contribué à ce renouvellement : Sartre, Lévinas et Jonas. Autrui, angoisse pour soi. Sartre développe une philosophie, un humanisme existentialiste entièrement centré sur la liberté et la responsabilité de l’homme. L’homme est « condamné » à être libre dès lors que le sens de ce qu’il doit faire ne lui est plus indiqué par une nécessité inscrite dans l’Histoire, la Nature, Dieu ou même la Raison. L’expérience de la responsabilité commence lorsque l’on doit prendre une décision sans pouvoir se référer à une norme puisque, « aucune morale générale ne vous indique ce qu’il y a à faire, il n’y a pas de signe dans le monde » (Sartre, 1995 : p. 47). Sartre précise que ce choix ne peut se faire que seul et qu’il est toujours sans excuses. Ainsi la responsabilité qui repose sur l’homme est exorbitante puisqu’il est responsable de son existence, de sa manière d’être et par ce fait STRATÉGIE ET MANAGEMENT des autres, du monde qui l’entoure et qu’il modèle. « Et quand nous disons que l’homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes » (Sartre, 1995 : p. 31). « de la prudence que se développe la philosophie de Lévinas et de Jonas. Mais, dans les deux cas, c’est par un renversement de perspectives que leur analyse s’effectue. Chez l’un comme chez l’autre, l’angoisse pour soi est reléguée à une place secondaire par rapport au souci d’autrui qui prend tout son sens et fonde la responsabilité. Jonas fait de la responsabilité le fondement même de l’éthique...» Le philosophe évoque donc une responsabilité absolue du sujet face à ses actes, mais aussi face à ce qu’il laisse faire, ce qui indique clairement la dimension morale de la responsabilité. Il affirme, par exemple, qu’il est du devoir de l’homme de combattre le gouvernement américain lors de son intervention armée au Viêt-Nam. En laissant faire, il se fait le complice de cette guerre. La responsabilité devient une charge considérable et illimitée puisqu’elle porte à la fois sur ce que chacun doit faire et sur ce qu’il ne doit pas laisser faire. « L’homme, étant condamné à être libre, porte le poids du monde entier sur ses épaules. Il est responsable du monde et de lui-même en tant que manière d’être. » Cette responsabilité écrasante reste cependant source d’angoisse pour soi et non pas une crainte pour Autrui ; nous sommes constamment sous la menace qui naît de la présence d’Autrui dans le monde, selon sa phrase célèbre : « L’enfer, c’est les autres ». Pour échapper à cette angoisse, l’homme se réfugie dans la mauvaise foi, soit celle du « lâche » qui se trouve toujours des excuses, soit celle du « salaud » qui se croit justifié pour toujours. La responsabilité n’existe que lorsqu’il existe des incertitudes ; nos actes doivent y mettre un terme. Sartre reprend à son compte l’expérience grecque de la prudence, au sens aristotélicien du terme, c’est-à-dire la prudence comme vertu qui permet à l’homme de donner, par son action, un sens à un monde incomplet, toujours équivoque. C’est sur cette double thématique d’Autrui et Autrui comme générations futures. Si Descartes est à la fois un défenseur acharné du libre arbitre et le philosophe qui participa de manière radicale au développement de la civilisation scientifique et technique, Jonas s’appuie largement sur le pouvoir de cette civilisation technique pour développer sa conception de la responsabilité. Les sciences et techniques nous ont dotés de pouvoirs directement et indirectement destructeurs, du simple fait de nos consommations quotidiennes. Nous sommes aujourd’hui investis d’une responsabilité inconnue des générations antérieures : laisser aux générations futures une terre habitable, et celle de ne pas altérer nos conditions biologiques et génétiques d’existence. Faute de quoi nos descendants ne pourraient ni progresser, ni exercer leur propre responsabilité. D’où la reformulation suivante de l’impératif catégorique kantien par Jonas : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » et « de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie ». Nous agissons donc, écrit Jonas, au sein d’une biosphère en évolution, régie par la loi d’enQualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 51 STRATÉGIE ET MANAGEMENT tropie, ne fournissant qu’un milieu fragile et périssable à nos existences. La fragilité du monde et notre puissance modifient ainsi radicalement l’ordre de grandeur de nos obligations morales. Nous sommes désormais devenus responsables de l’existence même des générations futures et, dans une certaine mesure, de la perpétuation de la nature, condition de toute vie humaine future. « L’homme est le garant de l’être » (Frogneux, 1996). De cette situation nouvelle découlent des changements majeurs touchant la notion de responsabilité. Jonas fait de la responsabilité le fondement même de l’éthique, mais puisque l’avenir de l’humanité est menacé, l’éthique de la responsabilité devient une éthique de l’avenir qui repose sur la prudence, sur la crainte. « L’heuristique de la peur » est le thème central de l’œuvre de Jonas. Il s’agit de « consulter nos craintes préalablement à nos désirs, afin de déterminer ce qui nous tient réellement à cœur » ou encore « la prescription, pour l’exprimer en termes primitifs, qu’il faut davantage prêter l’oreille à la prophétie de malheur qu’à la prophétie de bonheur » (1995 : p. 49 et 54). De Descartes à Spinoza, la peur apparaît toujours comme inhibante, empêchant de réfléchir, d’agir ou de réagir. Jonas souhaite cependant établir un rapport positif entre la peur et la responsabilité. Il ne s’agit pas d’une peur pathologique, mais d’une peur qui incite à l’action et à la réflexion. Dans le monde actuel, on ne peut dissocier la peur de l’espérance. « La peur qui fait essentiellement partie de la responsabilité n’est pas celle qui déconseille d’agir, mais celle qui invite à agir ; cette peur que nous visons est la peur pour l’objet de la responsabilité » (Jonas, 1995 : p. 300). La peur devient une force au lieu d’une faiblesse. Elle est la condition de la possibilité de la responsabilité. Compte tenu de la gravité et de l’irréversibilité des conséquences éventuelles de nos actions, compte tenu de l’impossibilité où nous sommes de les connaître réellement, il 52 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com convient d’imaginer les suites les plus effroyables susceptibles de résulter de nos décisions. Si elles peuvent mettre en danger l’existence même de notre espèce, il faut alors renoncer à prendre de telles décisions, en dépit des avantages immédiats qui pourraient en résulter. On ne saurait en effet parier sur la survie même de l’humanité (Dupuy, 2002). Le respect de l’environnement (de ce que Jonas appelle les conditions d’une vie « authentiquement humaine ») illustre cette responsabilité sur le long terme. Même si la responsabilité reste celle de chacun de nous, elle est profondément attachée au caractère collectif de nos actions : notre niveau de vie peut compromettre celui des générations futures. L’obligation morale va au-delà du souci d’autrui chez Jonas, puisque c’est l’ensemble du monde vivant qui est à préserver. Ceci explique peut-être l’excès de la charge qui pèse sur la génération contemporaine. Un recentrage sur autrui serait peut-être susceptible de nuancer cette charge et d’alléger la responsabilité. Pourtant, même centrée sur autrui, la responsabilité peut devenir exorbitante, comme c’est le cas chez Lévinas. Autrui et la responsabilité, condition de la liberté. La notion de responsabilité est omniprésente dans toute l’œuvre de Lévinas. Il postule que l’éthique précède la raison et échappe à ses limites. Ainsi, la responsabilité naît lorsque l’autre m’affecte, et cette affectation me rend responsable malgré moi. La responsabilité précède l’action et la décision autonome qui définissent moralement la liberté. Lévinas fait ainsi de la responsabilité, non pas le contraire de la liberté, mais sa condition : « je suis libre si je suis responsable » et il ajoute l’idée que, étant infiniment responsable, chacun est condamné à une infinie liberté. Il dépasse ainsi le dilemme classique de la responsabilité morale en y introduisant l’Autre et dénonce l’excès d’être pour soi à la source du mal ou de l’irresponsabilité. L’homme est le gardien de son frère. Le choix STRATÉGIE ET MANAGEMENT Lévinas, dans son ouvrage Entre nous, développe une critique de la non-responsabilité du système libéral : « Personne ne peut plus trouver la loi de son action au fond de son cœur. L’impasse du libéralisme réside dans cette extériorité de ma conscience à moi-même » (1991 : p. 33). L’apport essentiel de sa pensée sur la responsabilité réside dans son irréductibilité. Seule une approche de la responsabilité comme charge et non comme projet peut nous permettre de dépasser le pluralisme ambiant qui confond liberté et égoïsme. En effet, une responsabilité irréductible est ontologiquement différente d’une responsabilité collective. Ainsi, toute l’œuvre de Lévinas repose sur l’idée que la responsabilité, c’est-à-dire la L’impasse du libéralisme réside dans responsabilité pour Autrui, cette extériorité de ma conscience à est la structure fondatrice du moi-même...» sujet. Sa pensée est une tentative de renouer un lien social qui semble bien s’être dissous. En Cette responsabilité est infinie, elle ne peut considérant que nous sommes responsables être en attente de la réciproque, ce qui la ferait pour Autrui, quoi que fasse Autrui, au point retomber dans le commerce du donnant-donmême que sa responsabilité m’incombe et nant. La responsabilité éthique est irrécusable, qu’il n’est pas besoin d’attendre un retour, la je ne peux donc y échapper, je ne peux me subjectivité apparaît comme l’essence de la sofaire remplacer. En tant que créature, je ne suis lidarité. Être responsable, c’est donner une répas créateur, mais responsable de la création. ponse qui s’appelle « générosité, elle Le sujet doit répondre non seulement de ses ressemble à cette petite bonté, vertu enfantine actes, mais également de ceux d’autrui. Per». sonne ne peut donc répondre à ma place, ma responsabilité est non assimilable par une liUne conception excessive de la responsabiberté finie. Ainsi, l’angoisse s’est installée au lité. cœur de l’être, soulignant l’impossibilité Avec Jonas et Lévinas, la responsabilité ded’échapper à la version totale de la responsavient infinie. bilité. La responsabilité est une responsabilité solidaire où l’on ne serait pas tenté, pour se déresponsabiliser, de dire « ce n’est pas moi », où la culpabilité ne serait pas le contraire de l’innocence, mais le sens aigu du retard que l’on prend sur le futur à faire lorsque l’on se contente de jouir de son présent. La solitude ne serait plus alors qu’un effet du refus de la responsabilité, car il est impossible d’être responsable et seul. Je suis affecté à une place dans le monde, je n’en suis pas propriétaire, mais responsable. de ne pas être affecté par l’altérité est un refus d’être libre (« liberté pour rien »). La responsabilité, avant de se prendre, est mystérieusement donnée comme charge, elle n’est pas issue d’un contrat social. « Ainsi, elle n’est pas une vertu qui s’imposerait au sujet de bonne volonté, mais un événement qui vous saisit et vous obsède jusqu’à l’insomnie, provoquant une scission de l’identité. Il n’est pas question des responsables, mais de répondre ». La responsabilité est donnée a priori à ma conscience « un être libre n’est déjà plus ontologiquement libre, car il est déjà responsable de lui-même». « Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 53 STRATÉGIE ET MANAGEMENT On peut alors se demander avec Ricoeur (1995: p. 45) « jusqu’où s’étend dans l’espace et le temps la responsabilité de nos actes ». Si on peut être tenté de répondre qu’elle dépend de l’étendue de notre pouvoir, il faudrait que les nuisances attachées à l’exercice de ce pouvoir s’étendent aussi loin que notre pouvoir lui-même. Or, la chaîne des effets de nos actes est potentiellement infinie. On peut certes prendre en compte les effets échus, mais que deviennent alors les nuisances qui apparaîtront plus tard, voire des siècles plus tard ? Il est certes possible d’évoquer encore la vertu de prudence, c’est-à-dire le jugement circonstancié au sens aristotélicien, mais l’incertitude radicale sur certains événements futurs risque fort de conduire à un immobilisme, négation d’une autre forme de responsabilité si l’on suit Sartre, celle de ne pas laisser faire. Par ailleurs, l’action, même fondée sur une règle de prudence, ne garantit aucunement le résultat. Dans la mesure où les effets sont totalement méconnus, il est toujours possible que l’action entreprise se montre plus néfaste à long terme que celle que l’on essaye de corriger. Les effets pervers l’emporteraient alors sur les effets positifs. Le débat sur le nucléaire ne ressort-il pas de cette logique ? Dépollution de court terme, mais qu’adviendra-t-il à long terme ? Dans certaines circonstances, il est clair que, une fois l’action mise en œuvre, il devient très difficile, voire impossible, de stopper l’enchaînement de causes à effets. Pour devenir maîtrisable, et éviter de sombrer dans la fatalité, la responsabilité doit pouvoir faire l’objet d’un calcul, ce qui exclurait les effets inconnus. Une autre difficulté provient de l’incompatibilité des formes de responsabilités. En se référant aux conceptions de Jonas et Lévinas, deux formes de responsabilités apparaissent : une responsabilité extrêmement forte à l’égard des générations futures (t+n) ; une responsabilité omniprésente envers la génération contemporaine (t). Les ensembles possibles d’actions relatifs à ces 54 Qualitique n°257- Décembre 2014 - www.qualitique.com deux responsabilités ne sont pas nécessairement totalement compatibles : le point X1 n’est pas compatible avec le point X2. Ceci revient à supposer qu’un sacrifice envers une génération doit être consenti au détriment de l’autre ; une solution telle que X3 satisfait aux deux conceptions, mais avec un relâchement sur les deux formes de responsabilités. Elle n’est alors pas nécessairement préférée par l’une ou l’autre des conceptions (les frontières des ensembles représentent l’ensemble des actions réalisables, le choix d’une action, celle qui est préférée, implique un classement des actions réalisables, autrement dit le choix d’un point de la frontière). Le problème de cohérence entre les deux conceptions excessives de Jonas et Lévinas plaide en faveur d’une responsabilité moins prononcée sur chaque axe, c’est-à-dire qui puisse être justifiée par un calcul raisonnable. Cela n’enlève rien à l’objectif de responsabilité, mais incite à déterminer des configurations acceptables, raisonnables. Une conception raisonnable de la responsabilité est probablement plus proche d’un calcul personnel, qui certes impose un sacrifice, mais n’implique pas l’abnégation en faveur de l’une ou l’autre des générations. Ce dilemme est encore accentué dans le cas de l’entreprise puisqu’elle doit choisir entre la satisfaction des clients d’aujourd’hui sans amputer le potentiel de ceux de demain. Elle se trouve également obligée d’assurer à court terme la rémunération de ses actionnaires et de ses salariés, tout en assurant à long terme sa pérennité. La performance sociale repose sur un management responsable au service des Hommes. D’après : Françoise de Bry, Vice-Présidente de l’Académie de l’éthique, Jérôme Ballet Maître de Conférences Université de Versailles, Jean-Luc Laffargue, Directeur de la Publication. STRATÉGIE ET MANAGEMENT Le manager, face à l’e-co-innovation. L ’éco-activité nous concerne tous, quel que soit notre âge ou notre métier. L’éco-innovation a besoin de connaissances multidisciplinaires et d’une collaboration entre tous les domaines. Eco-innover doit devenir un réflexe et l’éco-attitude une « culture ». Le futur proche s’appuiera sur l’e-co-innovation, avec un e comme écologique, économique, éducative, électronique et éthique ; co comme connaissances et expériences, intégrant également celles du passé ; comme collaborative et facilitant une convergence d’intelligences ; éco comme écosystèmes, une innovation plus inspirée par la nature, plus centrée sur l’humain. COMPRENDRE L’IMPACT DE NOS DÉCISIONS ET DE NOS ACTIVITÉS. Je prendrais simplement l’exemple de mon enfance en Pologne. Il y a 50 ans, la Pologne avait 50 ans d’avance sur la France dans le domaine de l’écologie. Les guerres avec les tartares et les turques, suivies de deux siècles d’occupation par les russes, prussiens et autrichiens ainsi que le changement fréquent des frontières ont favorisé l’apprentissage des langues, des cultures et des façons de penser. La pénurie des moyens a déclenché l’utilisation intense des connaissances pour survivre. Les denrées alimentaires se vendaient en vrac ou dans des emballages minimum et étaient réutilisables, comme les pots en verre ou les boites métalliques. Les sachets en papier étaient réutilisés au maximum. Ils servaient alors à allumer un feu de bois ou de charbon dans une cuisinière ou dans un poêle en céramique qui gardait longtemps la chaleur. Ma mère avait des astuces de cuisine pour préparer le déjeuner avant de partir travailler, comme par exemple faire cuire du riz sous la couette. Ainsi il restait chaud jusqu’à son retour et l’intérieur du lit aussi. Ces trucs et astuces partagés visaient non seulement l’économie d’énergie et de temps, mais réunissaient les aspects gourmand, diététique et équilibré dans le même repas élaboré avec très peu de moyens. La collecte de papier se faisait dans les Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 55 STRATÉGIE ET MANAGEMENT « Les motivations peuvent souvent être plus fortes que la volonté de comprendre les conséquences d’une action...» écoles. Nous lavions des bouteilles en verre, toutes consignées, pour avoir de l’argent de poche que nous dépensions pour acheter des livres, des disquettes pour apprendre des langues étrangères, ou acheter des friandises. Le système éducatif, très exigeant, ciblait entre autre la capacité de résolution des problèmes dans un large contexte. Mes parents et l’école m’ont appris le respect de la nature et de ses richesses, le respect des autres, à céder la place assise dans les transports en commun aux personnes âgées, à les aider à porter leur filet de courses, l’esprit de famille, à apprendre à apprendre. Ils m’ont également appris dès mon plus jeune âge le fonctionnement de mon corps, comment prévenir la transmission des microbes par l’hygiène et comment renforcer l’immunité. Les connaissances et l’amitié avaient une grande valeur. On réparait tout ; les casseroles, les chaussures, les chaussettes, les vêtements. On défaisait des pulls en laine et des vêtements usés pour en fabriquer d’autres. Les métiers de service étaient très appréciés et servaient parfois de travail d’appoint. Dans le bloc soviétique le chômage n’existait pas, mais un seul salaire ne suffisait pas pour les besoins vitaux d’une petite famille. Le commerce extérieur individuel fleurissait et en dehors du fait qu’il apportait des revenus supplémentaires aux personnes qui le pratiquaient, en général pendant les congés, il régulait les flux des besoins et des marchandises. Les années 60 ont été marquées par une forte tendance écologique née avec l’industrialisation. Le professeur Antonina Lenkowa dans son livre « Oskalpowana ziemia » (La terre scalpée) en 1961, retrace l’histoire de l’humanité et raconte comment les terriens ont progressivement contribué à la déforestation, à la pollution du sol, de l’eau et de l’air à travers les sociétés agricole et industrielle, au nom du progrès et du business acharné. Elle cite de nombreux exemples de la destruction inconsciente de notre environnement, due au désir de posséder, de montrer sa richesse et sa supériorité ou tout simplement pour se nourrir. Ainsi les forêts qui jadis nourrissaient nos aïeux ont été décimées, le cèdre du Liban a presque disparu pour se transformer en pa56 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com lais, la multiplication incontrôlée des chèvres a contribué à la destruction de la végétation dans de nombreux pays du bassin méditerranéen, les bisons ont failli disparaître. Par conséquent les déserts se créent ou s’étendent, les vents font plus de dégâts. Les actions de reboisement ne respectent pas, pour la plupart, la diversité d’espèces qui existaient avant, ce qui a des conséquences sur l’équilibre de la faune et de la flore. Le terrien chasse et tue pour se nourrir mais aussi sans raison. Ainsi plusieurs espèces d’animaux terrestres et marins ont disparu ou sont en train de disparaitre. Les oiseaux prédateurs, des insectes « nuisibles » disparaissent avec les forêts. Quand le chimiste allemand Othmar Ziedler a découvert le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) en 1874, il ne soupçonnait pas ses propriétés insecticides. C’est le suisse Paul Müler en 1939 qui les a découvertes, mais sa production de masse a été initialisée aux Etats-Unis, et le produit vendu et utilisé à l’échelle mondiale. Ne cherchant pas à connaître les conséquences du DDT sur d’autres espèces, dont l’homme, on en mettait partout : dans les peintures, les textiles, en agriculture. Après quelques années on a constaté que le produit était moins efficace, alors on a augmenté les doses et on a inventé d’autres produits encore plus puissants, sans penser une seconde que les insectes puissent s’immuniser contre ce poison. Le Professeur Lenkowa s’étonne de l’erreur stratégique de Francisco Pizarro à son arrivé chez les Incas ; les espagnols aveuglés par l’or, n’ont pas su voir une bien plus grande richesse : la façon de cultiver la terre à l’aide de guano, assurant ainsi des récoltes abondantes. Ces exemples et bien d’autres prouvent que les motivations peuvent souvent être plus fortes que la volonté de comprendre les conséquences d’une action avant de l’entreprendre. Les connaissances et la pensée systémique et globale sont indispensables pour comprendre l’impact de nos décisions et de nos activités sur l’ensemble des écosystèmes. Cette compréhension implique la prise en compte d’expériences, la mise en commun des connaissances pluridisciplinaires et une collaboration des différents spécialistes ainsi qu’une capacité à utiliser plusieurs schémas mentaux ; ce n’est pas chose facile, étant donné notre éducation plutôt cartésienne. L’éducation a donc un rôle essentiel à jouer dans la connaissance et la préservation de notre planète. STRATÉGIE ET MANAGEMENT Après plusieurs révolutions et la chute du système soviétique, la Pologne a très vite rattrapé le retard en consommation, à sa façon. Elle a même dépassé la France dans le paraître et les Etats-Unis dans le culte de l’argent, qui joue maintenant un rôle bien plus important que les connaissances. Le progrès, mono-domaine en général, et le développement dirigé par le business rapide a fait passer les deux pays (et bien d’autres) dans la logique du « faster, cheaper, better », dans la course au moins cher et dans le monde du jetable. On jette tout ou presque, les sacs en plastique, les emballages du « fast food », les chaussures et sacs à main en plastique, les appareils ménagers, les ordinateurs, les voitures, … On jette même des compétences (seniors), sans chercher à les recycler. UNE ÉCONOMIE QUI GÉNÈRE DES MONTAGNES DE DÉCHETS. Notre société de surconsommation génère des montagnes de déchets qui n’en finissent pas de grandir. Les déchets de toute nature ont donnés naissance à une vraie industrie avec une gestion de ces déchets qui coûte de plus en plus cher (en gros, 10 milliards d’euros aujourd’hui, contre 3,5 en 1990). Les satellites périmés et hors service tournent autour de la terre, créant une orbite poubelle. Les appareils de toutes sortes sont souvent jetés alors qu’ils fonctionnent encore, car la technologie progresse très vite et ils sont devenus technologiquement périmés. Bien que cela ne soit pas justifié, cette même règle s’applique aux appareils ménagers comme les cuisinières ou les machines à laver dont la durée de vie est passée de vingt ans à cinq ans en moyenne (business oblige…). Le progrès technologique nous offre le confort et contribue au développement économique. Mais géré avec une approche économique seulement il crée des milliers de tonnes de déchets, pas toujours recyclables et en partie toxiques. Pendant que l’on perd une énergie considérable à inciter les consommateurs à déposer leurs appareils et à recycler ce qui est recyclable, les déchets continuent à s’accumuler… et pourtant une partie de cette énergie pourrait être consacrée à réfléchir à la façon d’intégrer dans la partie conception une minimisation de l’impact passant par une minimisation des déchets et par conséquent du recyclage. L’approche HQSE le fait partiellement. Ainsi les méthodes de l’éco-conception proposent une intégration des aspects environnementaux dans le cycle de vie des produits. Les TIC et l’intelligence artificielle peuvent apporter une aide considérable dans cette réflexion par la si- mulation, la programmation par contraintes, la capitalisation des connaissances et des expériences ou par la création de bases des connaissances mondiales, accessibles aux personnes intéressées. L’ordinateur connecté est capable de bien mieux gérer la complexité que l’homme. Les avions et Internet ont contribué à la mondialisation, à la réduction des distances et ont permis la connexion instantanée de personnes autour du globe. Ces deux principaux déclencheurs de mondialisation ont favorisé les changements profonds dans l’industrie et dans l’économie. Le business rapide et l’envie de devenir riche très vite ont été le principal moteur de ce développement. A la course au moins cher, l’Europe est devenue un hypermarché géant avec des fournisseurs comme la Chine, la Corée et l’Inde. Le commerce électronique a ouvert le marché mondial pour tous types d’entreprises. Par conséquent, en plus des avions, des milliers de bateaux transportant des marchandises dont on pourrait fort bien se passer, traversent tous les jours le détroit de Malacca. Le réchauffement climatique pourrait ouvrir une autre route maritime par l'océan Arctique, pour le transport de marchandises de l'Asie de l'Est vers la côte Est de l'Amérique du Nord, et de la côte Ouest de l'Amérique du Nord vers l'Europe de l'Ouest. Un pays réputé écologique comme le Canada ne se pose même pas la question des conséquences d’un tel trafic. Des milliers de camions sillonnent l’Europe en passant par les autoroutes sans s’arrêter, ni pour goûter aux produits locaux, ni pour admirer les paysages. Ils transportent des fruits et légumes boostés par les engrais chimiques et embellis par les insecticides pour permettre aux supermarchés de vendre des produits hors saison toute l’année. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 57 STRATÉGIE ET MANAGEMENT La nourriture traditionnelle et saisonnière a été remplacée, sous prétexte de ne pas être rentable, par des denrées venues d’ailleurs. Le manque de temps, devenu chronique, nous pousse à acheter des plats préparés, bourrés de conservateurs, exhausteurs du goût, parfums artificiels et divers colorants ; le look fait vendre. On les réchauffe dans les fours à micro-ondes sans se demander une seconde comment cela fonctionne. La plupart de ces plats sont suremballés, trop salés et donnent envie de boire des boissons trop sucrées, pour en reboire encore. Et pourtant il est facile et rapide de préparer un plat gourmand en moins d’une demi-heure, il suffit juste d’apprendre à le faire, de s’organiser et d’utiliser plus intensément nos connaissances et expériences collectives. Le formidable progrès technologique a permis de voyager rapidement, de voir la télévision des quatre coins du monde, de communiquer instantanément à travers la planète, d’établir des contacts avec des personnes que nous n’aurions jamais connues sans Internet, de créer son réseau social, de trouver des opportunités. Il a également plongé nos corps dans les champs électromagnétiques omniprésents. Cet environnement contribue probablement à l’accroissement des allergies et des maladies graves comme les cancers, le diabète, Alzheimer, la sclérose en plaques … Cette dernière est présente surtout dans les pays industrialisés. Les progrès en médecine permettent de soigner ces effets mais se préoccupent peu d’en découvrir les causes multiples et inter-influentes. Depuis quelques années, la Pologne a repris conscience de ses problèmes, tout comme la France et bien après les pays scandinaves ; elle essaye de se rappeler comment on faisait avant. Les sacs en plastique commencent à disparaître au profit des filets d’autrefois, on pense à recycler et à transformer (1). Une brique en sciure de bois met une heure à se consumer et permet de garder la chaleur d’un poêle en céramique pendant plusieurs heures. Certaines entreprises ont gardé de bonnes habitudes, comme d’utiliser un emballage minimum pour leurs produits. En France, côté emballage, il y a deux filières : « réparation » et « prévention ». Pendant que la première travaille sur les moyens de tri et sur la sensibilisation des citoyens, la seconde sensibilise et forme les entreprises à alléger les emballages. Trier les ordures c’est bien, en produire moins ou pas du tout, c’est mieux. Dans ce contexte et sous la pression de voyageurs 58 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com planétaires découvrant les dégâts, la mouvance de l’écologie est devenue politique. Elle pourrait aussi soutenir les anciens écologistes qui ont toujours pensé et agi pour protéger leur santé et celle de la planète. La démocratisation des moyens de transport et les conditions de travail nous ont fait prendre l’habitude de nous déplacer régulièrement. Mais les véhicules contribuent au réchauffement planétaire. Face à la montée des prix du pétrole et à l’épuisement irréversible des ressources fossiles, il nous faut trouver d’autres carburants ou d’autres façons de nous déplacer. Les TIC permettent de réduire les déplacements en offrant toute une gamme de possibilités pour travailler à distance. Dans le marasme économique provoqué par la mondialisation et la course effrénée au faster, cheaper, better, les pays développés misent sur l’innovation bio-info-nano (2) et bien sûr éco- : elle doit sauver le monde, créer des emplois, rebooster l’économie et revitaliser les territoires de plus en plus désertés au profit des villes. Ces dernières, de plus en plus étendues, se préoccupent de la bio-construction et de la biodiversité, entre autres. Le processus de l’innovation (3), particulièrement dans les domaines cités, a besoin de connaissances de haut niveau et d’une évolution dans la façon de penser et de travailler. Des exemples au niveau mondial démontrent que la crise économique et le manque de ressources peuvent devenir de vrais déclencheurs de l’imagination à partir de connaissances, et donc d’une inventivité qui peut se transformer en innovation. Mais trop souvent encore nous avons tendance à oublier que l’innovation ne doit pas se limiter à ses aspects technologiques (4) et qu’elle ne doit pas être STRATÉGIE ET MANAGEMENT réservée uniquement aux personnes qui ont fait de grandes études. Elle doit être considérée dans sa globalité, avec ses liens et ses impacts. On espère que l’écologie va créer de nouveaux métiers correspondant aux nouveaux besoins des terriens soucieux de l’avenir de leur planète. Les institutions nationales et européennes offrent des financements pour des projets innovants ayant un impact écologique, les programmes communs ANR / ADEME financent des recherches en éco-technologies et éco-industries. La Commission européenne a également son programme. Les principaux domaines abordés sont le recyclage, les biomatériaux de construction, l’agroalimentaire, la protection de l’eau, l’éco-industrie et les écolabels, l’énergie et le transport. « L’éco-innovation ou plutôt e-co-innovation (5) concerne tous les terriens quel que soit leur âge ou leur métier. Eco-innover, ça s’apprend jusqu’à devenir un reflexe. Le processus de l’éco-innovation a besoin des connaissances, multidisciplinaires pour la plupart, et d’une collaboration entre tous les domaines. Dans la Société de la Connaissance, dont beaucoup parlent sans vraiment la pratiquer encore, les connaissances et les expériences, l’imagination, la capacité à penser autrement, à écouter et à découvrir des complémentarités font partie des valeurs permettant de construire ensemble un futur prospère. L’é-co-attitude fait partie de la « culture » des jardiniers de la connaissance (Qualitique Décembre 2007). D’autres pré-requis pour la Société de la Connaissance prospère sont une prise en compte des expériences du passé, l’innovation dans les modèles économiques, le passage de businessdriven au human-driven et du paraitre à l’être. L’éco-innovation ou e-co-innovation concerne tous les terriens quel que soit leur âge ou leur métier... » peut fonctionner des heures sur la prise allume cigare d’un véhicule. Les nanotechnologies ne feront qu’accélérer cette miniaturisation. Reste à espérer que leurs concepteurs et programmeurs vont adopter les principes de l’e-co-innovation (7). Depuis ses débuts l’ordinateur a fait rêver des inventeurs qui voulaient le construire à l’image de l’homme, capable de penser, de résoudre des problèmes et de jouer aux dames puis aux échecs mieux que les champions. Mais depuis le célèbre ENIAC, construit en 1943 à partir des idées de John Atanassoff et occupant 1500 m2, l’ordinateur a bien changé. L’invention du transistor en 1947, puis du circuit intégré en 1957, ont permis de diminuer considérablement sa taille. Ainsi l’intelligence artificielle est née officiellement en 1956 de la convergence de plusieurs domaines, comme l’informatique, la mathématique, les théories de jeux, la cybernétique, les sciences cognitives, la psychologie, la philosophie. Après une jeunesse pleine de promesses et une adolescence turbulente, riche en succès et en échecs, l’intelligence artificielle a fait ses preuves. Elle est aujourd’hui intégrée dans beaucoup d’applications industrielles comme les systèmes de simulation, d’aide à la décision, à la conception, au diagnostic, dans des robots, des systèmes de réalité virtuelle, ceux d’e-learning et dans les jeux sérieux. Elle est également présente dans des applications « grand public », comme les jeux électroniques, second life, des jouets, le cinéma et la musique, dans des tondeuses à gazon et dans des machines à laver. Les traducteurs automatiques restent encore à perfectionner. Le dernier en date est l’E2 de GreenNet ; il a la taille d’un PDA et ne consomme que 8 Watts alors que la consommation moyenne d’un PC est de 200 W, et il On compte aujourd’hui plusieurs milliards d’ordinateurs dans le monde avec 410 millions de vente par an, soit plus de 13 chaque seconde. Il faut y ajou- ECO-TIC (6). La plupart des activités « éco », même celles qui se considèrent comme étant globales, utilisent les TIC au niveau basique ; pourtant l’ordinateur sous toutes ses formes, doté de l’intelligence artificielle, est capable d’apporter une contribution considérable dans la protection de la planète. Au commencement était une machine à calculer. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 59 STRATÉGIE ET MANAGEMENT blèmes administratifs sans se déplacer. Le e-learning ouvre l’accès à la formation aux personnes éloignées et aux activités professionnelles, 24h sur 24. Un chasseur de têtes peut utiliser un système basé sur la recherche des analogies pour trouver très rapidement la personne qui correspond au mieux au profil à pourvoir. Il peut également faire des entretiens préliminaires en utilisant un système de web conférence. Certaines techniques de l’intelligence artificielle sont intégrées dans le web 2.0 le sont davantage dans le web 3.0. Ainsi le web sémantique facilite et rend plus efficaces les moteurs de recherches sur Internet. Les mêmes techniques permettent l’indexation automatique et la recherche dans des bases documentaires multimédia. ter les milliards de téléphones mobiles (8) qui sont maintenant de vrais ordinateurs personnels. Pour 2016, on comptera près de deux milliards d’ordinateurs connectés.Et comme la technologie évolue rapidement, la durée de vie d’un PC dépasse rarement 3 ans ; elle est bien moindre pour un téléphone. Bien que diabolisés par les écologistes (9) et utilisés seulement à 10% de leur capacité, les ordinateurs sous toutes les formes nous rendent bien des services et apportent une contribution considérable à la protection de la planète. Les approches et les techniques de l’intelligence artificielle permettent de dépasser largement les 10%, grâce à une autre façon de penser et de programmer. Les célèbres TIC ont apporté une innovation de rupture dans la façon de travailler, d’apprendre, de vendre, d’acheter et de se distraire. Elles facilitent la connexion et la communication instantanée et sans frontière. Ainsi les professionnels peuvent échanger des expériences et des connaissances sans se déplacer, faire des réunions sur Skype, Go To Meeting, ou autres systèmes de web conférences, travailler ensemble et à distance sur un document ou un projet sur le wiki, trouver des experts ou des partenaires via les réseaux sociaux professionnels. 60 Les techniques de découverte de connaissances nous aident à trouver des connaissances dissimulées dans les bases de données, dans le texte et dans les images afin de nous aider à les exploiter mieux et beaucoup plus rapidement. Les systèmes d’aide à la décision ouvrent l’accès aux connaissances expertes, collectives pour la plupart et permettent de construire une expérience collective. Par exemple, pour réparer un moteur d’avion, un technicien dispose d’une expérience collective comprenant tous les cas qui se sont produits pendant l’exploitation dans les différents pays et les solutions correspondantes, ainsi que l’accès aux documents et aux schémas. Une clé USB permet de stocker 17 armoires de documents-papiers et de trouver le bon en un « click souris ». Les systèmes de gestion de processus sont capables de prendre en compte un grand nombre de paramètres pour suggérer une action et éviter bien des catastrophes. On les utilise aussi bien pour le processus de fabrication de l’acier, qu’en chimie, ou encore pour les compétitions sportives. Les entreprises peuvent élargir leurs marchés à la planète entière par des systèmes d’e-commerce, les artistes se faire connaitre sur daillymotion ou par leurs blogs personnels. Les systèmes de propagation de contraintes nous aident à résoudre des problèmes complexes, comme par exemple faire un emploi du temps en 2 minutes, optimiser une chaine de fabrication, la logistique, planifier la production ou simuler les propagations d’une action donnée. Par exemple, en conception, on peut simuler l’impact d’un produit sur les écosystèmes tout au long de son cycle de vie pour prendre des décisions sur les types de matériaux à utiliser, sur la façon de le produire ou sur les énergies à utiliser. Les TIC connectent des offreurs et demandeurs d’emploi, ils permettent d’apprendre des langues, d’acheter un billet de train ou de régler des pro- Les techniques de traitement d’image, de simulation 3D, de réalité virtuelle, et les jeux sérieux jouent un rôle, majeur dans la protection de la planète. Elles Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com STRATÉGIE ET MANAGEMENT permettent de simuler des projets industriels, d’effectuer des tests-crashs sans la moindre casse, de tester des solutions architecturales et urbanistiques, ou des hypothèses des chercheurs en archéologie, voir la propagation de nuages chimiques ou même de simuler l’élevage du bétail. Les techniques de réalité virtuelle et serious games rendent la formation en situation « réelle » possible et à moindres frais. Ces techniques permettent de recréer l’environnement global de l’apprenant, le décor, les personnages, les événements auxquels l’apprenant doit réagir. Les TIC peuvent apporter une aide aux personnes âgées ou handicapées et contribuer au développement de nouvelles activités comme l’optimisation des énergies et des transports, et de contribuer ainsi au développement territorial. Elles peuvent intervenir à tous les stades du processus global de l’innovation, comme simuler son impact sur les écosystèmes, simuler les résultats d’un processus, d’une action, d’une décision, planifier et optimiser la fabrication, aider à prendre des décisions en situations complexes, innover collectivement et même à distance, faire de la veille efficace, chercher des compétences complémentaires, concevoir, vérifier les contraintes, vendre, etc. Les ordinateurs sous toutes leurs formes et les TIC ont donc de nombreux avantages et contribuent largement à la protection de la planète. Il reste à innover dans la façon de programmer, afin d’éviter les programmes inutiles et consommateurs d’énergie. D’un côté, l’utilisateur devrait pouvoir composer son environnement en fonction de ses besoins. De l’autre côté, l’ordinateur, doté de l’intelligence, devrait apprendre à devenir un assistant utile à son utilisateur. L’INNOVATION. L’homme a une tendance à perpétuer les mêmes schémas mentaux, à s’accrocher aux repères connus. C’est l’un des principaux freins à l’innovation de rupture. Pendant que l’on perd une énergie considérable à inciter les consommateurs à déposer leurs appareils et à recycler ce qui est recyclable, les déchets continuent à s’accumuler... une partie de cette énergie pourrait être consacrée à réfléchir comment minimiser l’impact écologique du produit dès sa conception, afin de diminuer les déchets et par conséquent le recyclage. Le « penser autrement » s’applique également à l’économie de l’énergie, au déploiement des énergies alternatives et aux usages de transports. Le contexte économique actuel, la mondialisation et le mélange des cultures et des talents qui s’en suit, l’hyper-compétition, la délocalisation à la recherche du moins cher, la crise, le déclin de certaines industries provoqué par une absence d’innovation et les licenciements qui suivent, ont produit un environnement qui impose un changement radical de stratégies, de méthodes et de comportements pour survivre et réussir. Il est également propice à l’innovation. Aujourd’hui, tous les rapports décrivent un contexte préoccupant, imposant la transition vers un autre modèle : « La crise nous a appauvris. Le vieillissement va freiner la population active et la croissance. La compétition internationale s’étend à de nouveaux domaines, comme l’enseignement supérieur et la recherche. Dans l’industrie, de nouveaux acteurs émergent, y compris dans les secteurs où l’Europe détient des positions d’excellence, comme l’aéronautique. Notre modèle de développement va buter sur les tensions d’approvisionnement en ressources fossiles et est menacé par les conséquences du changement climatique. Il faut aujourd’hui engager la transition vers ce nouveau modèle moins dépendant des énergies fossiles et davantage tourné vers la connaissance ». L’innovation qui associait la recherche avec l’industrie a perdu ses repères habituels. La tendance à protéger l’environnement et à réduire l’impact des activités humaines inspire d’autres voies et d’autres activités, mais ce ne sont pas les seules opportunités. La puissance des machines, l’évolution du téléphone mobile et l’impact de l’internet, des réseaux et des ondes omniprésents impose d’autres méthodes de réflexion et de travail. En même temps, la connaissance des possibilités technologiques et l’imagination permettent d’amplifier nos capacités et à nous aider à mieux capter et exploiter les opportunités. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 61 STRATÉGIE ET MANAGEMENT Les effets mode et tendances produisent des vagues qui, non maîtrisées et mal exploitées suite à une incompréhension de l’ensemble des phénomènes y compris l’impact, peuvent parfois s’avérer dévastateurs du point de vue économique, social et environnemental. Dans ce contexte, il n’y a pas d’autre choix qu’innover en connaissance de ces écosystèmes et de leurs inter-influences. Les autorités européennes souhaitent une Europe innovante, forte et prospère. Les mêmes ambitions sont affichées au niveau national. La nouvelle stratégie de la Commission européenne, publiée en mars 2010 repose sur trois priorités interdépendantes: une croissance intelligente en développant une économie fondée sur la connaissance et l’innovation ; une croissance durable, en promouvant une économie sobre en carbone, économe en ressources et compétitive ; une croissance inclusive, en encourageant une économie à fort taux d’emploi favorisant la cohésion sociale et territoriale. Le progrès sera mesuré par rapport aux objectifs suivants : emploi de 75 % de la population âgée de 20 à 64 ans ; investissement de 3 % du PIB dans la R&D ; « 20/20/20 » en matière de climat et d’énergie ; moins de 10 % d’abandon scolaire, un titre ou un diplôme pour 40 % de jeunes, réduction de vingt millions du nombre de personnes menacées par la pauvreté. Il appartient à chaque état membre de traduire cette stratégie en actions. Pour réaliser ces objectifs, la Commission européenne propose une série d’initiatives phares à réaliser à tous les niveaux : une politique industrielle pour une croissance verte : favoriser la compétitivité de l’assise industrielle de l’UE après la crise mondiale, promouvoir l’entrepreneuriat et développer de nouvelles compétences. Des millions de nouveaux emplois pourraient ainsi être créés ; une stratégie pour les nouvelles compétences et les nouveaux emplois : créer les conditions propices à la modernisation des marchés du travail dans le but d’améliorer les taux d’emploi et de garantir la viabilité de nos modèles sociaux, à l’heure où les enfants du baby-boom prennent leur retraite ; une plate-forme européenne contre la pauvreté : garantir une cohésion économique, sociale et territoriale en aidant les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale et en leur permettant de participer activement à la société. Ces orientations visent à sortir l’Europe de la crise. Les initiatives phares sont toutes l’objet de l’innovation. Les éléments comme l’aspect systémique de l’innovation, la nécessité d’organiser l’ensemble de connaissances et d’innover dans les mesures d’efficacité et d’impact de l’innovation sur l’économie et sur le leadership européen font leur apparition. une union de l’innovation : remettre l’accent de la politique en matière de R&D et d’innovation sur les grands défis, tout en réduisant le fossé qui existe entre la science et le marché, afin de transformer en produits les inventions. Le brevet communautaire pourrait ainsi faire économiser 289 millions d’euros à nos entreprises chaque année ; QUELQUES PROPOSITIONS DE CHANGEMENT DE LOGIQUE. jeunesse en mouvement : renforcer la qualité et l’attractivité internationale du système d’enseignement supérieur européen en promouvant la mobilité des étudiants et des jeunes en début de carrière. Exemple d’action concrète : les offres d’emplois de tous les Etats membres devraient être plus accessibles dans toute l’Europe, tandis que les qualifications et l’expérience professionnelles gagneraient à être reconnues à leur juste valeur ; Voici quelques exemples d’alternatives possibles : une stratégie numérique pour l’Europe : garantir des bénéfices économiques et sociaux durables grâce à un marché numérique unique basé sur l’internet à très haut débit. Tous les Européens devraient avoir accès à l’internet à haut débit d’ici 2013 ; 62 nir le passage à une économie sobre en carbone et économe en ressources. L’Europe devrait tenir ses objectifs de 2020 en matière de production et de consommation d’énergie, ainsi que d’efficacité énergétique. La facture de nos importations de pétrole et de gaz devrait ainsi diminuer de soixante milliards d’euros d’ici 2020 ; une Europe économe en ressources : soute- Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com Le développement équilibré grâce à l’innovation demande une autre logique que celle de l’époque industrielle et d’abondance. C’est ainsi, par exemple que le fast food devient le slow food. pacte Oséo à l’envers : ce sont les PME qui invitent les grands groupes et présentent régulièrement les retombées de ces actions ; transport propre - optimisation des déplacements ; cale ; transport de marchandises – production lo- salon de l’agriculture dans son environnement naturel : à la campagne ; tous ; plats préparés – cours de gastronomie pour STRATÉGIE ET MANAGEMENT grande distribution – direct du producteur ; vendre – s’adapter aux clients ; trier les ordures – ne pas en faire ; consommer – consommer intelligent ; délocaliser – relocaliser ; travailler plus – travailler mieux ; changer de géographie – déserter les mégapoles ; éducation, formation efficace aux métiers indispensables dans la nouvelle économie ; développement durable – avenir prospère grâce au développement équilibré ; - innover astucieux et à finalité humaine. EN CONCLUSION. A part des connaissances en management de projet, le management du processus de l’innovation, et particulièrement celui de l’é-co-innovation, demande des connaissances en psychologie, en communication, la connaissance des humains, de leurs talents, de leurs motivations et, de plus en plus, de leur culture. Les connaissances environnementales du point de vue de ce qui est exigé par la démarche QSE restent indispensables, car les entreprises n’ont toujours pas changé de logique. Aux précédentes s’ajoutent des connaissances du « holon » c’est-à-dire du citoyen responsable. La connaissance de méthodes managériales et en particulier celles pour l’économie de la connaissance sont à privilégier. Eckholm Erik P. Losing ground. Environmental Stress and World Food Prospects, W.W. Norton and Company Inc NY, 1976. Eckholm Erik P. La Terre sans arbre - La destruction des sols à l'échelle mondiale, 1979, traduction de l’américain, Robert Lafont, collection Questions d’écologie. Eckholm Erik P. Bilan de santé les Maladies de l'environnement : Sous-alimentation, suralimentation, pollution, tabac, nouveaux horizons 1979. (1) Innowacje ekologiczne w rozwoju spoleczno-gospodarczym L. Wozniak, J.Krupa, J. Grzesik, WSIZ, 2006. (2) Alain Costes : La convergence Bio-Info-Nano – Technologies au cœur de la société du XXIème siècle, Géopolitique n° 87. (3) Qualitique Décembre 2007. (4) Zhouying Jin Global Technological Change, Intellect 2006. (5) e, comme éducation, écologie, économie, éthique ; co, comme collaborative avec une convergence des intelligences, eco, comme écosystèmes. (6) Technologies de l’Information et de la Communication, mais aussi Technologies de l’Imagination et de la Créativité (Eunika Mercier-Laurent) ou Technologies de l'Interaction et de la Compréhension (Georges Dhers). (7) écologique, économique, éducative, éthique, collaborative,… (Eunika Mercier-Laurent). (8) Selon Informa Telecoms & Media. (9) Les éditeurs d’ekwo.org nous informent que « les TIC produisent plusieurs types de pollution : champs électromagnétiques générés, déchets toxiques à la destruction ». Ils nous alertent sur la façon de les recycler - les ordinateurs avec leurs périphériques constituent « le cocktail explosif, un ramassis de composants très nocifs pour l’environnement et pour la santé. Et plus ils sont petits, plus la dangerosité est accrue et concentrée … Un monde virtuel qui vit au travers des échanges informatiques produit un tas monumental de déchets extrêmement polluants, complexes, dangereux, en pleine explosion http://www.ekwo.org/ coktailinfor.php3. Le seul avantage cité: les TIC nous permettent de rester mobile lorsque nous communiquons avec des gens des quatre coins du monde. Eunika Mercier-Laurent, Chercheur en management des connaissances et de l’innovation, IAE Lyon. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 63 SÉLECTION DU MOIS LIVRES Coopétition. L'entreprise de demain ne survivra pas sans s’allier à ses concurrents ! La coopétition est une stratégie innovante qui consiste à collaborer avec certains de ses compétiteurs afin de capter durablement un avantage commun. Elle s’appuie donc à la fois sur la compétition et la coopération. Pourquoi des concurrents que tout oppose a priori décident-ils de collaborer ? Comment parviennent-ils à dépasser les risques liés à leur association et quelles sont les opportunités d’une alliance ? Comment mettre en place une stratégie de coopétition ? Véritable boîte à outils pour les managers, cet ouvrage se fonde sur des cas concrets issus de secteurs divers (immobilier, pharmaceutique, vin, textile, football professionnel…). Il expose les principales étapes de la construction d’une relation de coopétition et identifie les bonnes pratiques et les facteurs clés de succès. En ces temps de crise, dirigeants, managers et consultants trouveront ici des enseignements utiles pour aider les entreprises de toutes tailles et de tous secteurs à se repositionner et accroître leurs performances. Julien Granata, Pierre Marquès - Editions Pearson – www.pearson.fr 224 pages – 26 euros. Microéconomie - Les défaillances de marché. Livre + plateforme interactive eText - Licence 12 mois. Leadership et intelligence des conflits. Adopter des comportements efficaces grâce au Dynamic Conflit Model (DCM) À partir d’un modèle réputé internationalement, le Dynamic Conflict Model, ce manuel offre à chacun – et plus encore aux managers, responsables d’équipe et dirigeants d’organisation – l’expertise nécessaire pour anticiper ou résoudre les situations conflictuelles.�Déclaré ou larvé, un conflit est un catalyseur ; bien géré, il constitue autant un gisement de ressources nouvelles et d’innovation qu’il se révèle coûteux, mal géré. De nombreux exemples et dialogues permettent de bien comprendre les points sensibles des acteurs du conflit et l’impact de chaque type de comportement (passif constructif, destructif actif, etc.) sur la situation rencontrée. L’ouvrage montre aussi comment transmettre ce savoir-être à ses équipes.�Les leaders les plus efficaces – les personnes les plus écoutées – sont ceux et celles qui savent gérer les conflits et en percevoir les opportunités. Avec l’approche DCM, vous aurez les clés pour les transformer en facteurs d’adhésion, de créativité et de dynamisme. Craig E. Runde, Tim A. Flanagan - Editions Dunodwww.dunod.com 272 pages – 27 euros. 64 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com Novateur, ce livre traite un des grands thèmes de la microéconomie, les défaillances de marché, en mettant plus particulièrement l'accent sur les effets externes, les biens collectifs purs, les monopoles et les duopoles.��Il propose plusieurs portes d'entrée afin d'être accessible à tous. Ainsi, les étudiants bons en mathématiques peuvent approfondir le raisonnement économique tandis que les plus littéraires disposent d’outils pour se familiariser avec la formalisation. De plus, les concepts seront plus rapidement assimilés grâce à d’abondantes illustrations. Conçu pour faciliter aussi bien l’apprentissage que la révision, l’ouvrage s’appuie sur : des explications pédagogiques très fournies ; le raisonnement marginaliste, au cœur des développements ; une centaine d’applications économiques ; des exercices de fin de chapitre. Le livre donne également accès à de nombreuses ressources numériques : la version en ligne des chapitres (eText) ; des compléments pour approfondir ; un chapitre inédit sur l’économie industrielle ; les corrigés de toutes les applications ; les corrigés d’une partie des exercices ; des applications et des exercices supplémentaires. Grâce à cet ouvrage, Franck Bien et Sophie Méritet montrent que l’on peut utiliser la microéconomie pour expliquer des faits économiques réels et actuels. Franck Bien, Sophie Meritet – Editions Pearson – www.pearson.fr 288 pages – 29,90 euros. SÉLECTION DU MOIS La révolution de la proximité. Voyage au pays de l'utopie locale. Se fondant sur un diagnostic sans concession quant à l’état de notre société, l’auteur étaye une conviction : l’urgence aujourd’hui, c’est de favoriser l’autonomie des communautés. À ses yeux, une révolution de la proximité est nécessaire pour contrecarrer la déshumanisation de notre monde moderne et faire face aux périls climatiques.�La bonne nouvelle, c’est que cette révolution a déjà commencé ! Des milliers d’initiatives fleurissent sur les territoires, en France et à l’étranger, dans des domaines aussi divers que l’alimentation, la production d’énergie, la gouvernance politique, la création culturelle, etc. Autant de solutions innovantes qui participent d’une véritable alternative structurée.�En décrivant ces solutions avec précision, Bernard Farinelli démontre que le consommateur, le citoyen, l’élu et l’entrepreneur peuvent agir avec efficacité, en s’appuyant sur des valeurs telles que la sobriété, les relations équitables ou l’altruisme. Bernard Farinelli - Editions Rue de l’Echiquier www.ruedelechiquier.net 192 pages – 15 euros. Ensemble. Pour une éthique de la coopération. La biodiversité en crise. Chaque jour, des espèces, animaux et plantes, disparaissent de la surface de la terre. La biodiversité actuelle est en péril. Faut-il s’en inquiéter ? En réalité, l’extinction en cours n’est pas une nouveauté ! C’est la sixième qui frappe notre planète. La plus célèbre, à la fin du secondaire, a provoqué la disparition des dinosaures, dont il ne subsiste aujourd’hui que les oiseaux. Pourtant, celle qui marqua la fin de l’ère primaire, bien plus méconnue, fut largement plus catastrophique puisque par exemple 95% de la faune marine y a disparu. Changements climatiques, volcanisme, catastrophes naturelles, lutte entre espèces… En quatre milliards d’années, la biodiversité terrestre a ainsi alterné crises destructrices et apparition explosive de nouvelles espèces. Mais l’extinction que nous connaissons n’a-t-elle pas l’espèce humaine pour principal élément déclencheur ? Comprendre l’histoire de la biodiversité, c’est comprendre la nécessité qu’il y a, de nos jours, à la protéger ; c’est aussi se prémunir contre les dangers de l’émotion et revenir à une approche scientifique fondamentale. Comme l’écrit dans sa préface Allain Bougrain-Dubourg, « c’est dans ce climat, plus empreint d’inquiétude que de curiosité que les scientifiques doivent sortir de leur laboratoire… Patrick De Wever et Bruno David en font la preuve dans cet ouvrage qui nous invite à explorer la fantastique épopée du vivant... soit quelques 3 500 millions d’années ! » Bruno David, Patrick de Wever- Albin-Michel - www.albin-michel.fr 304 pages – 22 euros. Inscrit dans les gènes de tous les animaux sociaux, le soutien mutuel est reconnaissable aussi bien chez les chimpanzés qui s’épouillent les uns les autres que chez les enfants qui construisent un château de sable ou les hommes et les femmes qui amassent des sacs de terre pour parer à une inondation soudaine : tous coopèrent pour accomplir ce qu’ils ne peuvent faire seuls. Cette tendance naturelle, innée, est pourtant moins un trait génétique qu’un art, une capacité sociale, qui requiert un rituel pour se développer. Dans un monde structuré par la concurrence, où la compétition prime toujours sur l’entente, savons-nous encore ce que c’est qu’être ensemble, par-delà le repli tribal du « nous-contre-eux » ? Dans ce deuxième volet de la trilogie qu’il consacre à l’Homo faber, Richard Sennett, se fait tour à tour historien, sociologue, philosophe ou anthropologue pour étudier cet atout social particulier qu’est la coopération dans le travail pratique. De la coordination des tâches dans l’atelier de l’imprimeur aux répétitions d’un orchestre, il nous fait découvrir de nombreuses expériences de communauté et d’action collective qui permettent de proposer une vision critique des sociétés capitalistes contemporaines. La richesse des références, l’originalité des points de vue, la liberté du style et la volonté de rester toujours au niveau de l’expérience quotidienne font la force de ce livre singulier et engagé. Et si, pour sortir de la crise, il suffisait de réapprendre à coopérer ? Richard Sennett - Albin-Michel - www.albin-michel.fr 384 pages – 24 euros. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 65 TENDANCES Le Bar à vitamines, un nouveau concept. Le développement du m-commerce. Avec plus de 185 millions de smartphones en Europe, le marché naissant du m-commerce ressemble aujourd’hui à celui du e-commerce au début des années 2000. Alors que les smartphones deviennent de plus en plus sophistiqués, les consommateurs s’en servent davantage pour leur shopping. Si les mobiles sont souvent utilisés pour rechercher des informations sur les produits, les prix et des offres promotionnelles, un nombre croissant de transactions est désormais finalisé via le mobile. En 2012 en France, le poids du m-commerce représentait 2% des achats en ligne avec 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Les prévisions pour 2015 sont très positives pour les emarchands : on passerait à 7% des ventes en ligne globales avec 5 milliards d’euros de ventes via les supports mobiles. Nous assistons à l’émergence d’un nouveau créneau : les bars à jus de fruit. Portés par l’attrait pour la diététique et les produits sains les bars à vitamines se développent un peu partout. Ils vous proposent des jus de fruits et de légumes fraîchement pressés ainsi que des cocktails de santé ou encore des smoothies (jus à base d’ingrédients naturels, mélangés à de la glace pilée ou du yaourt frais) à emporter ou servis dans une atmosphère confortable et conviviale. Il ne vous reste plus qu’à adopter la Zen attitude. Le HomeChat. LG introduit le Natural Langage Processing (NLP) dans ses nouvelles gammes de produits. Ceci pour assurer une communication, un parfait contrôle, un monitoring et un échange d’informations entre les matériels électroménagers LG et leurs utilisateurs, et ce, via la messagerie LINE (Messenger) et le service LG HomeChat. Ainsi, les acquéreurs des nouveaux produits électroménagers (réfrigérateurs, aspirateurs robots, machines à laver, fours intelligents,...) pourront piloter à distance les produits compatibles en utilisant simplement LG HomeChat depuis leur smartphone, tablette ou ordinateur. Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com 66 N°257 • Décembre 2014 PRINCIPAUX ORGANISMES CITÉS DANS CE NUMÉRO QUALITIQUE 9 bis, Bd Mendès France Boite A - Immeuble Le Millenium 77600 BUSSY SAINT GEORGES [email protected] www.qualitique.com DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Jean‐Luc Laffargue DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Jean‐Luc Laffargue COMITÉ DE RÉDACTION : Marîne Bertelle Daniel Bouvier Françoise de Bry Alain Chatel Christophe Gourdon Frédéric Laffargue Gérard Lefebvre Bernard Legras Dominique Luzena Gilles Pirio Béatrice Quasnik Frédérique Samson DIRECTION ARTISTIQUE : Groupe Qualitique CRÉDITS PHOTOS: © Fotolia.com TRADUCTION : A. Greenland S. Uplawski ACE ................................10 AFE ................................10 AFOP ............................10 AFP ................................10 Albin Michel ....................65 American management association ....................34 Association américaine du management ............34 ATI fibres optiques..........10 Auchan ............................8 Castorama........................8 CEA ................................10 CED................................26 Centre des jeunes patrons ..........................24 CIE France ....................10 CJD ................................24 CJP ................................24 Cluster Lumière ..............10 CNAM ............................10 CNOP France ................10 CNPF ............................25 CNRS ............................10 Commission européenne ....................62 Committee for Economic Development ..................26 Dunod ............................64 e5t ....................................8 Economie d'Energie ........8 Editeur LGF ....................37 Editions du Fleuve..........31 Editions Pearson ............64 Editions Rue de l'Echiquier ......................65 ABONNEMENTS: Groupe Qualitique ÉDITÉ PAR LE GROUPE QUALITIQUE SAS AU CAPITAL DE 2000 EUROS 9 bis, Bd Mendès France Boite A ‐ Immeuble Le Millénium 77600 BUSSY SAINT GEORGES N°commission paritaire 0311 T 87821 N°ISSN 0767‐9432 Dépôt légal : 4ème trimestre 2014 Photogravure: Groupe Qualitique Gestion des abonnements : Groupe Qualitique Tous droits de reproduction reservés pour tous les pays. La reproduction totale ou partielle des articles, photos et plans, sans accord écrit de la Revue Qualitique est interdite, conformément à la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique. Les articles sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et ne peuvent ap‐ paraître comme une prise de position de la revue sur le sujet traité. La direction se réserve le droit de refuser toute insertion sans avoir à justifier sa décision. QUALITIQUE EST UNE MARQUE DÉPOSÉE 67 Qualitique n°257 - Décembre 2014 - www.qualitique.com EDP Sciences ................10 Elopsys ..........................10 ENSSAT ........................10 ESPCI ............................10 Essilor ............................10 Esso ................................8 Eyrolles ..........................45 GreenNet........................59 Hamamatsu ....................10 Hélène et Fils ................10 IAE Aix-Marseille ............45 IAE Corse ......................45 IAE Lyon ........................63 IFOP ..............................37 Institut d'optique Graduate School ............10 International Society for Diversity Management ..................37 LG ..................................66 Medef ............................10 Ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ......................10 Monsieur Bricolage ..........8 NACT ............................10 Nations Unies ..................8 NDT ................................34 Nord Atlantic Container Terminal..........................10 Observatoire de Paris ....10 ONU ................................9 Optics Valley ..................10 Optitec ............................10 Organisation internationale des Nations Unies ............9 Oséo ..............................62 Photonics Bretagne ........10 Pôle Ora ........................10 Port du Havre ................10 Primagaz ..........................8 Quantel ..........................10 Rexel ................................8 Route des Lasers ..........10 Schneider ........................8 SEDI ..............................10 SFO ................................10 Société chimique de France ............................10 Société française d'astronomie et d'astrophysique ..............10 Société française de physique ....................10 Société francophone des lasers médicaux ......10 SPI ................................10 Supelec ..........................10 Supoptique ....................10 Synchotron Soleil ..........10 Techinnov ......................10 Telecom Paris Tech ........10 Thales ............................10 Total..................................8 Union européenne..........35 Université Franche-Comté ..............10 Université Joseph Fourier ..............10 Université of Pittsburgh ..31