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Auschwitz
Auschwitz est devenu l’incarnation des crimes contre l’humanité en général et plus particulièrement
du génocide des Juifs d’Europe perpétré par l’Allemagne nationale-socialiste, que l’on désigne
couramment par les termes d’Holocauste et de Shoah 1. Auschwitz a été le plus grand camp
d’extermination, le plus grand camp de concentration et, qui plus est, le camp qui a causé la mort du
plus grand nombre de Juifs. Sa construction et son fonctionnement ont été motivés à la fois par la
volonté politique nationale-socialiste de persécuter tous les individus identifiés comme des
adversaires du régime, notamment les Juifs, et par le déroulement même de la Seconde Guerre
mondiale.
Lublin-Majdanek et Auschwitz ont été les seuls camps à exercer simultanément les fonctions de
camp de concentration et de camp d’extermination. Ils étaient placés l’un comme l’autre sous
l’autorité du SS-Wirtschafts-Verwaltungshauptamt, (SS-WVHA, ou Office Central d’Administration et
d’Économie de la SS), également responsable de l’ensemble des camps de concentration. Les autres
camps d’extermination (Treblinka, Sobibor, Chelmno, Belzec) étaient administrés par les organes
locaux de la SS. Auschwitz et Chelmno (Kulmhof en allemand) ont été créés pour servir de camps
d’extermination sur le territoire du Reich allemand après le redécoupage des frontières. Le travail
forcé des détenus d’Auschwitz a cependant contribué à l’économie de guerre allemande dans une
bien plus grande mesure que celui des prisonniers de Majdanek. De grandes sociétés industrielles
allemandes, comme IG Farben et Krupp, y administraient en effet des camps annexes. Auschwitz a
également joué un rôle majeur de plaque tournante des prisonniers envoyés dans tout le Reich
allemand à des fins de travail forcé.
Contexte
Oswiecim (Auschwitz en allemand) fut occupé par la Wehrmacht quelques jours seulement après le
début de la Seconde Guerre mondiale et les territoires conquis furent annexés à la région allemande
de Haute-Silésie. Le 1er février 1940, le Reichsführer SS Heinrich Himmler donna instruction à
Richard Glücks, chef de l’Inspection des camps de concentration, de se mettre en quête de sites
propices à l’aménagement de nouveaux camps de concentration, afin notamment d’emprisonner les
membres de la résistance et du renseignement polonais. Trois semaines plus tard, Glücks faisait
savoir à Himmler qu’il existait à Auschwitz un camp susceptible d’être transformé à cette fin. Ce
complexe avait été construit en 1916 par l’Empire allemand pour héberger des travailleurs
saisonniers polonais. Rattaché à la Pologne après 1918, il avait servi d’entrepôt et d’abri à des
réfugiés. La Wehrmacht, qui avait utilisé ce camp après la conquête de ce territoire, le remit à la SS
le 8 avril 1940. On entreprit alors d’évacuer plus de 1 200 habitants pour construire un nouveau
camp, dont Rudolf Höss, ancien Chef de la garde du camp de concentration de Sachsenhausen, fut
nommé commandant le 4 mai 1940. Trente prisonniers allemands qui devaient travailler à Auschwitz
comme employés de l’administration du camp y furent envoyés le 20 mai. Le 14 juin 1940, jour de
l’arrivée du premier convoi de prisonniers polonais comprenant 728 individus originaires de Tarnow,
est considéré comme la date de fondation du camp de concentration d’Auschwitz. La mission
première de celui-ci était de loger à titre provisoire 10 000 prisonniers polonais, dont la plupart
devaient être transférés ultérieurement dans des camps de concentration situés dans le vieux Reich.
On prévoyait également d’y procéder à l’exécution des combattants de la résistance polonaise
(Steinbacher 2000 ; Dlugoborski/Piper 1999).
Vers la fin de l’année 1940, le conseil d’administration d’IG Farben se mit à la recherche d’un site
pour sa quatrième usine de production de caoutchouc synthétique (le Buna). Son choix se porta sur
Auschwitz au plus tard en janvier 1941. Grâce à une intervention en février 1941 de cette société de
produits chimiques, la main-d’œuvre polonaise nécessaire à ses besoins fut exclue des projets
d’expulsion plus radicaux d’Himmler. La société envisagea immédiatement de mobiliser les
prisonniers du camp de concentration comme main-d’œuvre dans le cadre de ses projets de
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développement de l’usine. À la suite d’une visite à Auschwitz en mars 1941, Himmler ordonna des
travaux d’extension du camp destinés à augmenter sa capacité d’accueil à 30 000 détenus. En
contrepartie, IG Farben accepta d’aider la SS à agrandir le camp. En s’appuyant sur ces éléments et
sur les travaux de Peter Hayes, Florian Schmaltz parvient à la conclusion que la décision d’IG Farben
d’installer son usine à Auschwitz fut un élément déterminant du développement considérable de ce
camp (Schmaltz 2006).
Au lendemain de l’invasion de l’Union soviétique en juin 1941, Auschwitz prit une importance accrue
aux yeux de la direction SS. Dans le cadre du Plan Général pour l’Est (Generalplan Ost), la SS avait
l’intention d’installer d’immenses colonies allemandes dans les régions occupées d’Union soviétique.
En violation de la Convention de La Haye concernant les Lois et Coutumes de la Guerre sur Terre et
de la Convention de Genève relative au Traitement des Prisonniers de guerre, il avait été prévu
d’utiliser à cette fin les prisonniers de guerre soviétiques qu’Himmler voulait former comme ouvriers
du bâtiment, dans les camps de concentration. L’ordre de construire un nouveau camp à
Auschwitz-Birkenau fut donné le 26 septembre 1941. Ce camp devait être en mesure d’abriter 50
000 prisonniers de guerre dans un avenir proche, puis 150 000, voire 200 000 dans une étape
ultérieure. Les travaux de construction du complexe d’Auschwitz II, situé à Birkenau, débutèrent en
octobre 1941. Les 10 000 prisonniers de guerre soviétiques qui arrivèrent à Auschwitz I à partir de
juillet 1941 furent le premier groupe de détenus à qui l’on tatoua un matricule sur la poitrine à l’aide
d’une sorte de tampon à aiguilles. À partir de 1942, les prisonniers juifs et, pour finir, tous les
détenus, à l’exception des citoyens non-juifs du Reich allemand, eurent leur numéro de détenu
tatoué sur l’avant-bras gauche. Auschwitz fut le seul camp de concentration où les prisonniers furent
tatoués, une méthode qui permettait à la SS d’identifier plus facilement les nombreux cadavres et de
tenir ainsi ses registres de détenus à jour. Les prisonniers de guerre soviétiques, déjà très affaiblis à
leur arrivée, mouraient rapidement de malnutrition ou en raison des conditions d’hygiène plus que
précaires, lorsqu’ils n’étaient pas purement et simplement tués par les gardiens SS. Cela explique le
faible nombre de prisonniers de guerre que l’on put mettre à la disposition de la SS comme
main-d’œuvre au début de 1942. Les premiers prisonniers logés à Auschwitz-Birkenau le 1er mars
1942 furent les 945 prisonniers de guerre soviétiques survivants, accompagnés de quelques détenus
polonais (Allen 2002 ; Schulte 2001).
Les projets initiaux qui prévoyaient d’héberger jusqu’à 200 000 prisonniers de guerre dans le camp
d’Auschwitz-Birkenau se révélèrent illusoires au bout de quelques mois seulement. La SS fit l’essai
de nouvelles méthodes d’exécution de détenus à Auschwitz I à peu près au moment où débutèrent
les travaux de construction du nouveau camp. Ces expériences furent menées en liaison avec
l’Action 14f13, dont l’objectif était de liquider tous les détenus malades ou affaiblis des camps de
concentration du Reich allemand. On suppose que la SS commença à utiliser le Zyklon B, du cyanure
d’hydrogène, pour exécuter les détenus des camps entre la fin août et le début septembre 1941 ; ce
gaz avait déjà été utilisé comme insecticide pour déparasiter les vêtements.
La première vaste campagne d’extermination recourant à ce gaz toxique eut probablement lieu dans
la cave du Block 11, en septembre 1941. Les victimes étaient 600 prisonniers de guerre soviétiques
et 250 détenus malades. Les difficultés de ventilation de cette cave conduisirent la SS à transférer
ses activités homicides au crématorium d’Auschwitz I, où l’on continua à tuer des prisonniers à l’aide
de Zyklon B entre janvier et mai 1942. Les spécialistes ne s’accordent toujours pas sur la date à
laquelle on décida de procéder à des exécutions systématiques au Zyklon B dans le camp
d’Auschwitz-Birkenau. Alors que pour la majorité des auteurs, le développement des installations
destinées à l’extermination de masse est postérieur à la conférence de Wannsee de janvier 1942,
Michael T. Allen est d’avis que la première proposition d’utilisation d’un crématorium à des fins de
destruction humaine massive a été présentée dès le mois d’octobre 1941 (Allen 2002, 2003 ; Schulte
2002 ; Fröbe 2000).
Deux faits demeurent néanmoins incontestés : le projet d’inclure les Juifs d’Europe de l’Ouest dans
les campagnes d’extermination a été présenté à la Conférence de Wannsee en janvier 1942, et la SS
a également envisagé de remplacer les prisonniers de guerre soviétiques par les Juifs comme
main-d’œuvre servile pour la réalisation de ses programmes de colonisation. Extermination et travail
forcé étaient donc intrinsèquement liés dans les plans de la SS. À partir du printemps 1942, un
nombre croissant de convois transportant des Juifs originaires de l’Europe occupée arriva au camp
de concentration d’Auschwitz. Tous les membres des premiers convois furent immédiatement
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assassinés ou bénéficièrent d’un sursis éphémère en étant employés comme main-d’œuvre forcée.
Auschwitz accueillit le premier convoi familial de Juifs de Slovaquie le 29 avril 1942. La méthode de
sélection, qui s’imposerait systématiquement par la suite, fut appliquée pour la première fois à
l’arrivée de ce transport : les hommes et les femmes jugés aptes se virent attribuer un matricule et
furent obligés de travailler tandis que les malades, les individus trop âgés ou trop jeunes furent
immédiatement mis à mort avant même d’avoir été enregistrés (Fröbe 2000, p. 160).
La capacité du crématorium d’Auschwitz I étant insuffisante et les nouveaux crématoriums de
Birkenau n’étant pas encore prêts, Höss fit transformer en installations d’extermination deux
anciennes fermes (appelées respectivement la « maison rouge » et la « maison blanche ») situées à
la lisière du camp de Birkenau. Entre mai 1942 et mars 1943, on y assassina des Juifs déportés
d’Europe centrale et occidentale à l’aide de Zyklon B. Mais la construction de nouvelles usines de
mort était déjà prévue. Le témoin oculaire Filip Müller affirme ainsi : « Le petit “chantier de la mort”,
la chambre à gaz, qui pouvait contenir plus de 700 personnes, ne servait plus qu’au titre
d’installation annexe aux deux centrales de destruction humaine de Birkenau, les bunkers I et II. […]
Les cadavres des hommes gazés dans les bunkers I et II étaient alors jetés dans de vastes fosses
communes qui avaient été aménagées dans le voisinage. Au cours de l’été 1942, le soleil était
ardent et sous l’influence de la canicule les corps à peine recouverts gonflaient et crevaient la croûte
de terre superficielle. Une matière noirâtre remontait à la surface du sol, répandant une odeur
pestilentielle, et contaminait l’eau des nappes phréatiques. » (Müller 2008, p. 88).
La construction du crématorium II de Birkenau avait commencé au printemps 1942. En août de la
même année, l’administration locale SS compléta les plans en ajoutant les crématoriums III, IV et V ;
ainsi commencèrent les travaux de construction de quatre crématoriums qui constitueraient le cœur
des installations d’extermination de Birkenau à partir du printemps 1943. Cette extension était le
fruit de consultations antérieures entre Hitler et Himmler sur la solution à apporter à la question
juive (Steinbacher 2004).
Au cours de cette période, IG Farben aida la SS à agrandir l’usine de Birkenau en lui fournissant des
matériaux de construction. L’avancement des travaux d’extension était cependant trop lent à son
goût et IG Farben défendit âprement l’idée d’aménager un camp distinct proche de l’usine où serait
logée une main-d’œuvre permanente qui se verrait ainsi épargner le long trajet à pied nécessaire
pour rejoindre l’usine. Les 2 100 premiers détenus entrèrent dans le camp d’Auschwitz-Monowitz
(Auschwitz III) à la fin du mois d’octobre 1942. En 1943, ce camp abritait 6 000 prisonniers, des
effectifs qui étaient passés à 11 500 en août 1944 (Wagner 2000). En tout, le complexe d’Auschwitz
regroupait 47 camps annexes dans lesquels travaillaient les détenus (Ort des Terrors 2006). Parmi
les sociétés qui les employaient, on peut citer Siemens, Krupp, Degussa, les Reichswerke Hermann
Göring, la Rheinmetall Borsig AG et les Oberschlesische Hydrierwerke AG (Ort des Terrors 2006).
Le crématorium IV fut le premier achevé de ceux qui devaient être construits à Birkenau, et il fut
livré à la SS le 22 mars 1943. Suivirent le crématorium II le 31 mars, le V le 4 avril, et le III le 24 juin
1943. Selon les informations fournies par Topf & Söhne, l’entreprise responsable de la fabrication
des fours crématoires, ces installations, crématorium I d’Auschwitz I compris, possédaient une
capacité totale d’incinération de 4 756 corps par jour. Un commando spécial, essentiellement
composé de prisonniers juifs, était chargé de retirer les dents en or et les cheveux des cadavres
avant d’incinérer les corps. Le Reich tirait profit des morts en fondant l’or dentaire en lingots et en
transformant les cheveux humains en feutre destiné à l’industrie de guerre. L’opération massive
d’extermination connut son apogée dans le courant de l’été 1944. Il y avait alors jusqu’à 10 000 Juifs
qui arrivaient quotidiennement de Hongrie et le rythme du génocide s’accéléra au point de dépasser
la capacité des crématoriums. La SS commença donc à brûler les corps des victimes dans des
tranchées ou sur des bûchers à ciel ouvert (Steinbacher 2004).
Auschwitz était à la fois le plus grand camp d’extermination et le plus grand camp de concentration.
En août 1943, ce complexe concentrationnaire abritait 74 000 prisonniers contre 26 500 pour
Sachsenhausen, le deuxième camp de concentration par ordre d’importance. Bien qu’Auschwitz ait
joué un rôle de pionnier dans l’exploitation des prisonniers comme main-d’œuvre servile grâce à la
coopération entre la SS et IG Farben, les détenus d’Auschwitz furent relativement peu nombreux par
rapport à ceux d’autres camps à être employés à des tâches essentielles à l’effort de guerre. Ce qui
explique que le taux de mortalité des détenus enregistrés ait également été nettement plus élevé à
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Auschwitz que dans la plupart des autres camps de concentration (Kárny 1987).
Afin d’éviter toute velléité de résistance et de faciliter le contrôle des prisonniers,
Auschwitz-Birkenau fut progressivement subdivisé en plusieurs secteurs séparés les uns des autres
par des barbelés. Les plans prévoyaient initialement la création de quatre sections (B I- B IV) qui, à
l’exception de B I (20 000 prisonniers), devaient présenter une capacité d’hébergement d’environ 60
000 détenus chacune. La section B III ne fut cependant que partiellement construite et les travaux
de B IV furent abandonnés avant même d’avoir commencé. Parmi les subdivisions majeures du
camp, on peut mentionner le camp des hommes, le camp des femmes, le camp familial de
Theresienstadt (B IIb), le camp tzigane (B IIe), le camp destiné aux Juifs de Hongrie (B II c et B III,
surnommé le Mexique), les infirmeries et l’entrepôt contenant les effets personnels des prisonniers
(baptisé le Canada).
Devant la progression de l’Armée rouge, la SS commença à partir de l’été 1944 à déplacer une partie
des détenus vers des camps situés plus à l’ouest. À Auschwitz, tous les travaux de construction
cessèrent en octobre 1944 et la totalité des chambres à gaz fut mise à l’arrêt au mois de novembre.
Le commando spécial reçut l’ordre de démolir les installations d’extermination. Craignant d’être
assassinés eux aussi, les membres de ce commando se rebellèrent le 7 octobre et les insurgés
réussirent à tuer plusieurs gardiens. Mais la grande majorité d’entre eux fut exécutée par la SS au
cours de la répression de cette révolte. L’évacuation définitive du camp commença le 17 janvier
1945. Cinquante-huit mille prisonniers, dont on estime que quinze mille périrent en chemin, furent
contraints de quitter le camp pour entreprendre une marche de la mort. Restés dans le camp avec
un petit commando, les membres de la SS firent sauter le reste des installations d’extermination
avant le 26 janvier. L’Armée rouge atteignit le camp le lendemain. Elle libéra 5 800 prisonniers à
Birkenau et 1 200 de plus à Monowitz ainsi que dans d’autres camps annexes (Dlugoborski/Piper
1999 ; Strzelecki 1995).
Instigateurs et auteurs des crimes
L’extermination des Juifs d’Europe aussi bien que la persécution des adversaires politiques et
sociaux du régime national-socialiste, les brutalités à leur encontre et, dans certains cas, leur
assassinat pur et simple étaient des mesures autorisées et approuvées par l’ensemble de la
direction allemande. Hitler et Himmler furent les principaux acteurs de ces deux processus. Ils
étaient responsables des décisions essentielles et étaient tenus informés de tous les événements
majeurs. Même si la recherche ne porte pas un jugement unanime sur les forces et les faiblesses
d’Hitler en tant que dictateur, son influence déterminante sur la dynamique du processus
d’extermination des Juifs d’Europe ne fait guère de doute. Un certain nombre de responsables locaux
firent tout pour servir les objectifs du Führer et se livrèrent donc à des crimes en ayant conscience
d’agir conformément à sa volonté (Kershaw). Le personnage principal en l’occurrence, celui qui
exerça le contrôle sur l’ensemble de ces activités pendant la plus longue période de l’existence du
camp, fut son premier commandant, le SS-Obersturmbannführer Rudolf Höss. C’est sur le front, au
cours des derniers mois de la Première Guerre mondiale, que Höss, né en 1900, fit ses expériences
formatrices en matière de socialisation. Au lendemain de la guerre, il adhéra aux Freikorps (les corps
francs, des organisations paramilitaires de l’Allemagne de Weimar) dont il fut un membre actif, et
participa aux assassinats et aux exécutions politiques sommaires (Fememorden) pratiqués par ces
groupes. Il devint membre de la SS en septembre 1933 et commença sa carrière au sein de cette
organisation au camp de concentration de Dachau en 1934. À la différence de Theodore Eicke, le
premier Directeur de l’Inspection des Camps de concentration qui interprétait sa mission
principalement dans le cadre du combat contre les adversaires politiques du régime, Höss
considérait que sa sphère d’activité essentielle était la lutte contre les ennemis biologiques de
l’Allemagne. Les Juifs, les criminels et les asociaux constituaient selon lui la plus grave menace pour
le national-socialisme et il mobilisa donc toute son énergie pour développer le camp d’Auschwitz et
optimiser le processus d’extermination. Höss resta un adepte du national-socialisme même après
1945 (Orth 2000).
Dans les tâches d’administration du camp, Höss était secondé par des officiers et des sous-officiers
membres de la SS qui avaient, comme lui, acquis une vaste expérience des camps de concentration
à travers tout le territoire du Reich. En revanche, le vécu des hommes de troupe, c’est-à-dire de la
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grande masse des auteurs de crimes, était très différent, et leur composition beaucoup plus
hétérogène. Les effectifs employés à Auschwitz culminèrent en janvier 1945 avec 4 480 gardiens SS
hommes et 71 femmes. Alors que le transfert à Auschwitz de membres de la SS engagés dans des
opérations de combat ne fut pas rare jusqu’en 1942, ces réaffectations furent réduites au minimum
en 1943 et cessèrent totalement en 1944. Sur les 282 hommes mutés à Auschwitz en 1944, 128
étaient issus des rangs de la Wehrmacht et 119 venaient d’autres camps de concentration. Le reste
avait été employé dans d’autres camps de travail ou n’avait rejoint la SS qu’à une date récente. À
partir de 1942, la proportion d’Allemands du Reich et d’Autrichiens parmi les gardiens SS variait
entre 50 et 60 %.
De nombreux Volksdeutsche (des étrangers de souche germanique) travaillaient à leurs côtés. C’est
ainsi qu’une compagnie distincte de gardiens ukrainiens fut créée en mars 1943. À partir de juin
1944, Auschwitz se dota d’un bureau de coordination de la Wehrmacht chargé d’intégrer dans les
rangs des gardiens les soldats inaptes à être envoyés sur le front. Cinq cents anciens soldats au
moins furent incorporés dans la SS à Auschwitz. Interrogés sur leurs affiliations religieuses, les
gardiens répondirent pour la plupart qu’ils étaient catholiques, (42,6 %), protestants (36,5 %) ou
gottgläubig (croyant sans confession — 20,1 %). Le niveau d’instruction des gardiens de base
d’Auschwitz était relativement faible. Les gardiennes SS travaillaient dans les sections du camp
réservées aux femmes (Dlugoborski/Piper 1999, vol. 1, p. 321-384).
Un grand nombre de ces gardiens étaient habitués à travailler dans un environnement quotidien
d’une extrême violence. Voici un exemple des tueries perpétrées dans les chambres à gaz : « Seule
la femme qui avait prévenu ses compagnons bénéficia d’un sursis. On la relégua dans une petite
salle voisine où elle fut soumise à un pénible interrogatoire. Pour des S.S. familiarisés avec cette
pratique, il ne fut pas difficile de la faire parler. Tous les détenus du secteur du crématoire furent
confrontés à elle, et il ne fallut pas longtemps pour l’amener à reconnaître que c’était Jizhak
Derensky qui lui avait révélé le sort qui attendait tous les détenus. La femme fut fusillée et Derensky
ligoté par les SS, traîné dans un four et brûlé vif. Pour l’exemple, nous dûmes assister à cette
abominable exécution. » (Müller 2008, p. 115 sq.).
En plus de cette piétaille de la Solution Finale, différents professionnels dotés de connaissances
spécialisées et de compétences poussées participèrent aux opérations criminelles d’Auschwitz. Les
médecins SS en constituent le groupe principal. Le département V (médecins affectés à la SS)
comptait un tout petit peu moins de vingt membres de la SS. Au total, ce sont trente médecins
qualifiés qui travaillèrent à Auschwitz à différentes périodes. Ces médecins étaient chargés des
tâches suivantes, toutes liées aux crimes perpétrés dans le camp : sélection des convois juifs à leur
arrivée, surveillance de l’introduction du Zyklon B dans les chambres à gaz, sélection des détenus
inaptes au travail, mise en œuvre d’exécutions clandestines par injection létale, surveillance des
exécutions et réalisation de stérilisations forcées et d’avortements. Certains médecins réalisèrent
également des expériences sur les prisonniers (Dirks 2006). Le médecin chef SS responsable était le
SS-Sturmbannführer Eduard Wirth. Ce ne fut pas lui pourtant mais son collègue Josef Mengele,
SS-Hauptsturmbannführer, qui en vint plus tard à symboliser la participation des médecins au
génocide commis à Auschwitz. Mengele était le médecin le plus redouté des détenus en raison des
expériences généralement fatales qu’il leur faisait subir.
Un autre important groupe d’experts mêlés de près au génocide était la Zentralbauleitung (Direction
centrale de la construction) de la Waffen-SS et de la police. Ce service fut administré dans un
premier temps par le SS-Hauptsturmführer Karl Bischoff puis, à partir de la fin de l’année 1943, par
le SS-Obersturmführer Werner Jothann. La Zentralbauleitung était notamment chargée du
développement des chambres à gaz et des crématoriums. Elle chercha à définir l’architecture la plus
efficace pour la Solution Finale et collabora étroitement avec d’autres spécialistes à ce sujet. On
peut mentionner le rôle majeur que joua ici Kurt Prüfer, un ingénieur de la société Topf & Söhne qui
ne ménagea pas sa peine pour trouver des méthodes permettant d’augmenter le rendement des
crématoriums (Fröbe 2000). Les patrons d’IG Farben furent eux aussi mêlés aux crimes commis à
Auschwitz. En tout état de cause, un grand nombre de membres du conseil d’administration de cette
société visitèrent le site de construction de l’usine et le camp annexe. Ils étaient également tenus
informés de ce qui se passait dans le camp par leurs cadres locaux qui collaboraient avec la SS. Le
responsable officiel des opérations d’IG Farben à Auschwitz était Otto Ambros, membre du conseil
d’administration. Cependant, comme Ambros se rendait rarement à Auschwitz, ses fonctions furent
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