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INTENTIONS.
Notre foyer
est une fresque de la
projection, qui interroge le conflit
entre le désir de se renouveler, de se
sentir sans cesse différent et celui de
s’ancrer, de s’apprivoiser, de s’établir
dans la durée.
AMBITION. Une maison, un voyage. Ces projets nous sont familiers. On les rêve soi-même, ou on
les voit s’entreprendre autour de soi. La semaine on travaille, et le temps qu’on a de libre, on le
consacre à les organiser. Parfois, ces projets viennent fédérer un couple désuni, redonner un sens à
une histoire d’amour. Ici, les projets ne ressemblent à rien de connu. Ils sont impitoyablement
singuliers, protéiformes, et vecteurs d’expériences fortes, sensuelles ou dangereuses. De plus, ils
sont colossaux, couteux, ils frôlent l’impossible, et n’ont pas de fin. Ils donnent un sens et une
direction : ils sont existentiels.
L'AUTRE. Elsa et Stéphanie ont besoin de l’autre pour croire avec elle en leur projet, ou au contraire
pour le menacer ou le nier. Elles sont dépendantes de l’autre pour que leur projet, pour l’heure
totalement virtuel, existe. Au cours de la pièce, ambition et désir amoureux finissent par se
confondre. On en arrive à se demander si l’expérience humaine intense que les séances de travail
produisent, souvent au moyen de l’imaginaire, ne deviennent finalement pas le but visé par les
deux femmes, plutôt que le réel accomplissement du projet.
REEL. Elsa et Stéphanie tentent incessamment de rendre leurs projets réels. Par le dessin, par la
parole, par un rapport à l’autre apparemment professionnel, par le corps dans l’espace, par la
matière des objets qui se trouvent sur la table et qui servent, de manière détournée, à évoquer une
pièce de la maison ou un endroit du monde.
En parallèle, leurs projections utopistes sont sans cesse confrontées à un réel cassant : le regard
spécialisé de l’ouvrier, le point de vue mature de la mère, l’esprit terre à terre d’Eugène.
Le réel que souhaitent atteindre les deux femmes est en fait un réel flou, se situant dans un avenir
proche et indéterminé. Quand Eugène demande à Stéphanie « Quand est-ce qu’on part ? Il faut
fixer une date. », Stéphanie répond « Bientôt ».
Notre foyer est en perpétuel glissement entre le réel et le fictif, qui survient sans prévenir. Le
spectacle tout entier vrille à l’intervention d’une chanteuse qui tire la pièce vers le concert, et fait
exister le spectateur en le considérant et en s’adressant vraiment à lui.
AMBIGUÏTÉ. Je cherche un endroit de jeu très précis chez l’acteur, à la fois inconfortable et créatif,
brutal et ludique, vecteur d’une jouissive ambigüité. Le spectateur peut y percevoir de l’humour, de
la cruauté, des failles abyssales... Le texte sert de base à cette recherche, qui ne trouve sa
réalisation qu’au plateau, dans une exploration commune avec l’acteur, sa présence, sa singularité,
son imaginaire. A travers ce travail au cours des répétitions, les séquences sont vouées à évoluer, se
complexifier, se détailler.
Florian Pautasso