DOSSIER PÉDAGOGIQUE Sainte Fatima de Molem © Maïté Renson Ben Hamidou Gennaro Pitisci Brocoli Théâtre 16 CONTACTS LAURA VAUQUOIS : 02 642 20 64 FREDO LUBANSU : 02 642 20 51 [email protected] 25 fév RESERVATION T : 02 640 35 50 www.varia.be 78 rue du Sceptre 1050 Bruxelles 1 SOMMAIRE SOMMAIRE RÉSUMÉ DU SPECTACLE 3 POURQUOI CE SPECTACLE ? 4 UNE BELGIQUE DE PLUS EN PLUS XÉNOPHOBE ? 4 UN SEUL EN SCÈNE POUR INCARNER DE MULTIPLES IDENTITÉS 7 IDÉES DE DÉBAT 8 RÉFÉRENCES AUTOUR DES THÉMATIQUES DU SPECTACLE 9 INTERVIEW DE BEN HAMIDOU 10 DANS LA PRESSE… 14 BIOGRAPHIES 15 CRÉDITS 16 2 RÉSUMÉ DU SPECTACLE Sainte Fatima de Molem’ est un spectacle autobiographique qui nous emmène du présent, avec un père divorcé qui tente tant bien que mal de coucher ses enfants un soir où il en a la garde, au passé, depuis les quartiers populaires de Molenbeek. Seul en scène, le comédien Ben Hamidou nous raconte son enfance passée à Molenbeek après que sa famille ait débarqué à Bruxelles au milieu des années ’60. Du Sarma-Nopri à l’Académie de théâtre, le parcours qu’il retrace est dominé par une figure imposante, aussi drôle que tyrannique : sa grand-mère ; une femme berbère centenaire à la langue bien pendue, tatouée et surnommée «Geronimo» par les camarades de classes de Ben enfant. Morte, puis ressuscitée, Fatima deviendra Sainte Fatima de Molem’, emblème de tout un quartier. D’un bout à l’autre du spectacle, Ben Hamidou nous présente sa hanna comme une icône incarnant toute une communauté dont il est bien difficile de se détacher. La traversée du canal, l’Académie, la découverte du théâtre et du métier de comédien, toutes ces étapes nous sont racontées avec humour et tendresse et c’est tout le spectacle qui s’articule autour de ce lien entre deux cultures, dans lesquelles Ben Hamidou veut inviter le public à puiser le meilleur. THÈMES CLÉS La question de la double appartenance culturelle, la construction de l’identité et la question des identités multiples, l’héritage familial, la transmission, le métissage, la ghettoïsation et la gentrification urbaine. 3 POURQUOI CE SPECTACLE? Dans le contexte actuel, il est fondamental d’ouvrir le champ de son action au-delà de la désormais tristement célèbre commune de Molenbeek ou de celles où des populations d’origines étrangères sont particulièrement concentrées. Il convient de jeter un pont et faire la jonction entre des mondes qui tendent à se fragmenter alors qu’ils n’en forment qu’un : celui fédérateur et critique qui porte en lui la culture des mélanges, qui ne renie ni ses racines ni son présent, à l’instar de Sainte Fatima de Molem, un spectacle qui depuis sa création en 2009, n’a cessé d’être joué. Le programmer aujourd’hui, à l’heure de la montée des extrémismes et du repli communautaire, prend ainsi tout son sens. UNE BELGIQUE DE PLUS EN PLUS XÉNOPHOBE? Le 9 janvier 2017, Le SOIR, a publié un article dressant le sombre portrait d’une Belgique qui ne croit plus à ses institutions et qui rejette violemment l’étranger. Vous trouverez ci-dessous des extraits de ce dossier spécial, réalisé sur ce sujet, de quoi alimenter le débat et demander à vos élèves ce qu’ils pensent des résultats de cette enquête. NOIR JAUNE BLUES, 20 ANS APRÈS: L’inquiétude des Belges En 1997, la Belgique cherchait à se relever du traumatisme de l’affaire Dutroux. Quelques mois plus tôt, des centaines de milliers de citoyens étaient descendus dans les rues pour réclamer plus de justice, plus de démocratie. Le Soir avait lancé “Noir Jaune Blues”, une enquête de longue haleine menée par 40 journalistes épaulés par les sociologues de l’institut Survey&Action. Cette radioscopie soulignait les doutes et angoisses des Belges francophones. Elle relevait également leurs aspirations pour une société meilleure. Vingt ans plus tard, la Fondation “Ceci n’est pas une crise” a demandé à Survey&Action de mener un “Noir Jaune Blues” bis, étendu cette fois à tout le royaume. Le résultat de cette étude (plus de 4700 entretiens personnalisés avec une marge d’erreur de 2%) est sans appel : les attentes exprimées par les citoyens en 1997 n’ont pas été rencontrées. En 2017, les Belges ont une vision sombre de l’avenir. Ils se sentent abandonnés par des institutions auxquelles ils ne font plus confiance : ils ne sont guère que 32% à penser que “le système démocratique fonctionne plutôt bien” alors que 80% estiment que “les dirigeants politiques ont laissé la finance prendre le pouvoir”. Conséquence de ce sentiment d’abandon, le Belge se replie de plus en plus sur lui-même ou son entourage proche. Avec comme corollaire un regain du sentiment identitaire : 77% des sondés (hors étrangers et Belges issus de l’immigration extraeuropéenne) affirment qu’ “on ne se sent plus chez soi comme avant”. La peur de l’étranger domine, doublée désormais par la crainte de l’islam, comme l’affirment deux sondés sur trois.”1 “ 1 Article extrait du Dossier NOIR JAUNE BLUES 20 ANS APRÈS: L’inquiétude des Belges, Le Soir, Lundi 9 janvier 2017 4 QUELQUES CHIFFRES PARLANTS… Chez soi ? 23% des sondés affirment que « on se sent autant chez soi aujourd’hui qu’avant » 77 % des sondés affirment que « aujourd’hui on ne se sent plus chez soi comme avant » Intégration ? Face à l’affirmation suivante : “Même après plusieurs générations, les descendants d’un immigré ne seront jamais vraiment belges”: 53 % des sondés sont d’accord 16 % des sondés sont mitigés 31 % des sondés ne sont pas d’accord Profiteurs ? Face à l’affirmation suivante: “Les étrangers viennent profiter de notre système social” 64% des sondés disent être d’accord 12 % des sondés sont mitigés 24 % des sondés ne sont pas d’accord Parmi les 64 % des sondés qui sont d’accord avec cette affirmation, nous trouvons : L’âge 16 – 25 ans : 52 % 26 – 35 ans : 53 % 36 – 45 ans : 62 % 46 – 55 ans : 68 % 56 – 65 ans : 70 % + 65 ans : 78 % 5 La classe sociale Populaire : 70% Moyen inférieure : 65% Moyen supérieure : 62 % Supérieur : 54 % Étudiants : 53 % Le niveau d’études Primaires / Secondaires inférieures : 73 % Secondaires supérieures : 61 % Supérieur non universitaire : 58 % Supérieur universitaire : 44 % Islamophobie ? Face à l’affirmation suivante : “L’afflux de réfugiés qui arrivent actuellement en Europe me fait peur car ce sont des musulmans” 63 % des sondés sont d’accord 11% des sondés sont mitigés 26% des sondés ne sont pas d’accord Ériger des murs ? Face à la phrase : “Le Gouvernement hongrois a raison d’avoir construit récemment un mur pour empêcher les migrants réfugiés d’entrer en Hongrie” 45 % des sondés sont d’accord 12% des sondés sont mitigés 43% des sondés ne sont pas d’accord Que pensez-vous de ces chiffres ? À votre avis, comment expliquer cette peur de l’autre ? Vous semble-t-elle plus importante aujourd’hui que quand vous étiez petits ? 6 UN SEUL EN SCÈNE POUR INCARNER DE MULTIPLES IDENTITÉS Le parti pris autobiographique du spectacle a motivé le choix de Ben Hamidou de faire un seul en scène ou one-man-show. Cette forme théâtrale lui permet de porter sur scène son rapport intime à sa grand-mère tout d’abord, mais aussi à différentes personnalités qui peuplent Molenbeek, le quartier où il a grandi. Il prête ainsi son corps et sa voix pour nous faire entendre différents points de vue, en particulier celui de cette figure centrale de sa famille, sur une communauté riche de sa multiplicité. Grâce à la forme du seul en scène et en incarnant plusieurs personnages, il démontre comment chaque individu est constitué et façonné par une appartenance multiple, qu’elle soit culturelle, religieuse ou sociale. Il se livre ainsi aux spectateurs tout en gardant une distance avec son sujet grâce à l’humour – trait typique du one-man-show. Quelques pistes pour approfondir la réflexion sur l’identité Dans une interview du 3 mars 2016 paru dans le Bondy Blog, Ben Hamidou dit : « Mon identité est multiple. Je suis de ce pays mais je n’oublie pas d’où je viens. Je ne rêve pas en berbère, je rêve en français. Je me sens plus bruxellois et belge, sans rejeter mes origines marocaines. On est d’où on vit. Le Molenbeek de mon enfance est multiculturel, c’était un village. Il y a une trentaine d’années, en Belgique, les immigrés marocains, on les appelait les Maroxellois ! J’en ai fait un seul sur scène. Dans la pièce « Sainte-Fatima de Molem », j’essaye aussi de répondre à cette question : c’est quoi finalement être Belge ? Je ne revendique rien à la Belgique, c’est mon pays. Elle n’a jamais cherché à assimiler ses immigrés. Aujourd’hui, on se retrouve avec des jeunes bruxellois d’origine marocaine qui te disent « Moi, je suis Marocain » avec un fort accent belge ! Le théâtre permet de questionner et de se questionner, mais aussi de discuter. La culture prémunit contre beaucoup de maux, elle peut sauver Molenbeek du communautarisme et du repli identitaire. » Comment vous définiriez-vous ? Pour vous, qu’est-ce qu “être Belge” ? Pensez-vous, comme Ben Hamidou, que la culture permet de lutter contre le communautarisme et le repli identitaire ? 7 IDÉES DE DÉBAT Autour de l’identité Qu’est-ce qui définit selon vous l’identité d’une personne ? Les médias affirment souvent que les différentes communautés ont de plus en plus tendance à se replier sur elles-mêmes. Êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec cette affirmation ? Quel rôle joue selon vous l’héritage familial dans la construction de votre identité ? Autour de la double appartenance culturelle Si vous avez une double appartenance culturelle (religieuse et/ou ethnique), avezvous l’impression que l’une d’entre elle prévaut sur l’autre ? (qu’elle serait plus acceptée aux yeux des autres, etc…) et si oui, pourquoi ? Quels sont pour vous les avantages et les freins d’appartenir à une double culture ? Et comment mieux affirmer cette dernière ? Seriez-vous prêt à renoncer à votre nationalité Belge ou à une autre pour devenir uniquement un citoyen Européen ? À propos du quartier de Molenbeek À votre avis, pourquoi le Théâtre Varia a-t’il choisi de présenter à nouveau ce spectacle, 8 ans après sa création ? Que pensez-vous du traitement médiatique de la Commune de Molenbeek depuis les attentats qui ont frappé Bruxelles ? Justifier votre réponse. On dit souvent de Bruxelles qu’elle fonctionne selon une logique de clocher, c’està-dire que chaque communauté reste dans son village et ne se mélange pas vraiment. Êtes-vous d’accord avec cela ? Et si oui, quelles seraient selon vous les démarches à entreprendre pour avoir une plus grande mixité ? 8 RÉFÉRENCES AUTOUR DES THÉMATIQUES DU SPECTACLE LIVRES Les Identités meurtrières. Amin Maalouf, Poche, 2001. Petit pays, Gaël Faye, Grasset, 2016 Noire, la couleur de ma peau blanche, Toi Derricotte, Le Félin, 2000 Le livre de l’intranquilité, Fernando Pessoa, Christian Bourgois, 2004 FILMS & COURT MÉTRAGE La Graine et le mulet, film de Abdellatif Kechiche, 2007. Black, film de Adil El Arbi et Bilall Fallah, 2015 Head-on, film de Fatih Akin, 2004 50/50 Elli Khamsin, Court Métrage de 5 jeunes belges d’origine turque, algérienne et marocaine. Cinq fictions courtes abordent chacune un volet de la double appartenance culturelle Place Belgique, Documentaire de Foued Bellali sur la « belgo-marocainitude », 2006. Reportage INFRAROUGE «Les Français c’est les autres» sur la question du sentiment d’appartenance à une nationalité chez les jeunes issus de l’limmigration en France (disponible sur Youtube) CHANTEURS Oxmo Puccino Abd al Malik Mika EXEMPLE D’HUMORISTES DE ONE-MAN-SHOW OU DE COMEDIENS Jamel Felag Zidani 9 INTERVIEW DE BEN HAMIDOU La quarantaine, Ben Hamidou (l’imam dans Les Barons) arpente inlassablement les scènes de Molenbeek et de Belgique. Il nous est revenu en décembre avec « Sainte-Fatima de Molem ». Interview sans tabous sur son quartier, sur la religion et sur l’immigration. Interview réalisée par Julien Versteegh D’où vient Ben Hamidou, quel est son parcours ? Ben Hamidou. Comme je l’explique dans le spectacle « Sainte-Fatima de Molem », j’ai toujours habité à Molenbeek. Mes parents sont arrivés en 1958, du Rif natal (région montagneuse du nord du Maroc, ndlr). Ils ont d’abord émigré vers l’Algérie. Beaucoup de gens l’ignorent, mais la première émigration marocaine a d’abord eu lieu vers l’Algérie pour des raisons économiques et politiques car il y avait la répression dans le Rif après l’indépendance. Economiques parce qu’en Algérie française il y avait du travail. Mon père savait lire l’espagnol, il traduisait des petites choses, il a été livreur de journaux. Puis il a trouvé un boulot dans une entreprise de peinture. Il a été engagé par la société Philips et c’était directement la Belgique. Il s’est retrouvé à la Gare du Midi. Votre grand-mère a soutenu Abdelkrim Al Khatabi (leader de la lutte d’indépendance du Rif et père de la guérilla moderne, ndlr). Il doit vous évoquer beaucoup de choses? Ben Hamidou. En tant que dignitaire arabe et musulman, à l’époque, au-delà de ce qu’il a fait, c’était complètement révolutionnaire. Abdelkrim s’est rendu compte qu’il fallait mieux séparer la religion du politique. C’était visionnaire. Quand tu vois toutes les dictatures des pays arabes, elles fonctionnent toutes sur base de la fusion de la religion et du politique. C’est la base même du système des pays musulmans. Ma grand-mère a passé des armes pour lui. Elle cachait des grenades dans de la menthe. Elle est morte à 106 ans, donc elle a connu toutes les guerres tribales, la première guerre mondiale, la guerre d’Espagne, la deuxième guerre mondiale et la guerre d’Algérie. Donc pour elle, venir à Molenbeek, c’était du petit lait. Même avec ses tatouages. C’était Byzance. Vous êtes donc un enfant de Molenbeek… Ben Hamidou. Un enfant de Molenbeek qui n’était pas du tout prédestiné à faire ce métier. Vers 13 ans, c’est mon prof de français qui m’a dit : pourquoi tu n’irais pas faire du théâtre à l’académie. J’ai fait du théâtre et à partir de là je l’ai fait pour le plaisir. Ma grand-mère y était opposée, donc j’ai du lui mentir et lui dire que je faisais des études de droit. Une grand-mère qui prenait beaucoup de place dans votre vie… Ben Hamidou. Énorme. Elle m’a éduqué, elle était omnipotente et omniprésente, une force de la nature extraordinaire. 10 Comment jugez-vous l’évolution de votre quartier, qui a eu et a encore mauvaise réputation? Ben Hamidou. Ce que je regrette, c’est la mixité. J’ai toujours connu Molenbeek comme un quartier populaire, mais la différence était moins grande à l’époque entre le haut et le bas. Et le quartier était quand même mixte. D’une part avec les Italiens, les premiers migrants, qui étaient assez nombreux, et d’autres part les Belges qui y résidaient. J’ai été à l’école 10, où il y avait Médecine pour le Peuple. On allait prendre notre douche là-bas parce qu’on n’avait pas de salle de bain. Donc c’était vraiment un quartier où il faisait bon vivre. Il y avait pas mal de Flamands de la classe ouvrière et cela se passait assez bien. Les premiers problèmes que j’ai ressentis ont commencé début des années 80 avec l’extrême droite qui faisait des descentes ici. J’ai connu les ratonnades. Il y avait des quartiers où on n’allait pas. Entre 1978 et 1980 cela a été très difficile à cause des premiers assassinats de Maghrébins par l’extrême droite. Puis il y a eu une mutation sociologique. Le point négatif c’est cette ghettoïsation qui s’est accrue de plus en plus. À l’époque toute une série de communes refusaient l’inscription de nouveaux arrivants, sauf Molenbeek. Donc les gens voyaient débarquer de nouveaux arrivants et ils partaient. Un deuxième phénomène, très important, c’est la discrimination pour trouver un appart hors Molenbeek donc fatalement on revenait ici. Il y avait une difficulté de sortir du quartier. Aujourd’hui les Marocains laissent la place aux nouveaux arrivants plus pauvres. Mais cette mixité n’existe plus. C’est dommage parce que la mixité apporte toute une série de choses. La ghettoïsation amène le repli communautaire. Il est de plus en plus présent. Moi qui vis à l’intérieur je le vois. Vous avez parlé des ratonnades dans les années 80, de la discrimination face au logement, aujourd’hui à quelle forme de racisme faites-vous face ? Ben Hamidou. Il y a un travail à faire auprès des jeunes et ce travail passe par la formation, l’apprentissage, l’école. Cela passe par la mixité. J’ai deux enfants que j’ai mis dans une école du quartier, mais je les ai retirés. Ce qui m’intéresse, c’est que les enfants soient mélangés. Cela commence à évoluer depuis 10 ans, mais cette mixité n’existe pas, donc j’ai mis mes enfants à l’école en-dehors du quartier pour qu’ils soient mélangés. Pour les enfants c’est naturel. Dans un milieu mélangé, cela ne pose aucun problème, ils ne se posent même pas la question. Tandis que le contraire peut devenir grave. Vu que c’est un ghetto, il y a un racisme latent. Il y a une radicalisation. Elle est minime, mais elle peut être dangereuse. Maintenant, c’est clair que les problèmes sont là : le chômage, l’éducation, l’école. Il y a encore une discrimination par rapport à l’embauche mais on a connu une avancée importante, il faut aussi le dire. Ici, il y a une proximité par rapport à la ville. On a beau être dans un ghetto, on est à 10 minutes de De Brouckère. Vous jouez un imam dans le film Les Barons, quel rapport avez-vous avec la religion ? Ben Hamidou. Moi personnellement, je suis croyant. Je ne suis ni athée, ni agnostique. Mais je suis très ouvert de par mon métier. J’ai eu la chance d’avoir des parents très ouverts. Je pouvais parler avec mon père de plein de choses différentes. On ne m’a jamais obligé à faire ni le ramadan, ni quoi que ce soit. C’était mon choix. Mais malheureusement ce choix aujourd’hui n’existe pas. Il y a un contrôle social très fort qui est beaucoup plus important pour les femmes. 11 Que pensez-vous du débat sur le port du voile ? Ben Hamidou. À côté de mon boulot de comédien, j’ai donné des ateliers de théâtre pendant des années dans des écoles, dans des associations, aux ateliers populaires. Dans des écoles pour filles. Cela m’a donné un équilibre et m’a donné une vision plus réaliste de la société. Personnellement je suis pour la séparation de la religion et de l’État. Dans le privé chacun fait ce qu’il veut. Aujourd’hui, il y a une radicalisation minoritaire, mais c’est la minorité majoritaire. Le gros problème chez les musulmans, c’est que la majorité est silencieuse, elle se tait. Il y a plein de filles qui vivent leur foi normalement et c’est très bien, mais depuis le 11 septembre il existe une islamophobie. Je pense qu’il faut séparer les choses. Si on est dans la fonction publique, tout le monde doit être sur le même pied. Ce n’est pas un morceau de tissu qui va déterminer que tu as plus de foi ou moins de foi. Il y a mille et une raisons de porter le voile. J’ai fait un jour un spectacle sur l’égalité homme femme avec des filles voilées. Il y en a qui le porte pour des raisons philosophiques, pour d’autres c’est un visa, pour d’autres c’est pour que l’on ne les traite pas de pute ou pour trouver un mari. Il y a plein de raisons. L’être humain est paradoxal. C’est un débat qui empoisonne la société. Les musulmans sont capables d’entendre les choses. Il y a plein d’écoles où les filles ne portent pas le voile et cela se passe très bien. J’ai des femmes de ma famille qui portent le voile, qui travaillent à l’école du quartier, quand elles sont en classe elles enlèvent leur voile. Tout le côté philosophique et spirituel est complètement oublié. On est en train de stigmatiser, de criminaliser la communauté mais tant que les musulmans ne parleront pas, c’est le prix à payer. Dans votre spectacle, vous rendez hommage à cette première génération d’immigrés. Quel rôle a-t-elle joué dans la construction de notre pays ? Ben Hamidou. Elle a construit la Belgique, c’est clair. Je leur rends hommage parce que la plupart de nos parents étaient analphabètes. La plupart des gens que l’on engageait, c’était des gens qui ne parlaient pas français pour qu’ils évitent de revendiquer. Dans les années 70, il y a eu une seconde vague d’immigration politique, eux c’étaient des lettrés. Mais la première vague était illettrée. Ils sont arrivés avec leurs difficultés et ont essayé tant bien que mal d’éduquer leurs enfants. Le père était absent puisqu’il travaillait toute la journée à l’usine, la mère se démerdait comme elle pouvait, mais cela a créé des problèmes. Manque de communication, personne ne pouvait aider les enfants. J’ai été à l’école des devoirs jusqu’à 18 ans ! Ce qui me sidère c’est que la troisième et la quatrième génération font moins bien que la première. On a l’impression que la jeunesse issue de l’immigration est assise entre deux chaises. Ben Hamidou. Ils ne savent pas d’où ils viennent. Ils ne connaissent pas l’histoire de leur pays d’origine. Est-ce qu’ils connaissent l’histoire de leurs parents ? Non. Alors que l’on vient d’une culture orale. Lorsque tu ne sais pas d’où tu viens, tu peux difficilement aller vers les autres. Ils ne connaissent pas leur culture. Ils se servent un peu des deux côtés mais on ne va pas jusqu’au bout des choses. Mais pour moi le point essentiel, c’est la communication entre les parents et les enfants et ensuite la formation. Tout passe par là. L’école. 12 Pour revenir à votre parcours artistique, votre spectacle Gembloux sur les tirailleurs marocains qui ont combattus les nazis, était sous-titré en néerlandais, tout comme votre prochain spectacle que vous jouerez à Anvers. Pourquoi ? Ben Hamidou. J’ai toujours essayé de partir du particulier en allant vers l’universel. On a eu la chance avec Gembloux de travailler avec le KVS (Théâtre Royal Flamand, ndlr). Les Flamands de Bruxelles ont une dynamique culturelle très intéressante et donc on a sous-titré le spectacle. J’ai vu que ça fonctionnait. On a été joué à Gand, à Turnhout, Malines, Maastricht. À partir du moment où le texte leurs parle, les gens sont scotchés. On peut servir de lien entre les deux communautés. Avec Gembloux on a amené énormément de gens de Flandre qui avaient une idée tout à fait différente de l’immigration. Donc la crise communautaire, c’est secondaire ? Ben Hamidou. Elle existe. Je rêve en français, pas en berbère ou en arabe. Je suis de culture francophone, mais cela ne veut pas dire que je suis fermé à d’autres cultures. Et dans notre métier, on aime les brassages, les mélanges. Chaque année j’ai des projets avec des Flamands de Bruxelles. À partir du moment où on est plus dans la convergence que dans la divergence, cela fonctionne. Vous avez créé l’ASBL Smoners, de quoi s’agit-il ? Ben Hamidou. Il s’agit de créer des projets artistiques avec des moyens professionnels en impliquant les gens du quartier. Cela peut prendre des formes différentes. On a des spectacles que l’on joue dans des salons de thé. On avait fait un spectacle sur le rapport des générations. On voulait toucher les parents. Dans un théâtre c’est impossible, dans les mosquées on ne peut pas faire du théâtre, donc on a choisi les salons de thé. On crée aussi des ateliers dans le milieu associatif. Il y a des choses qui bougent. Amener l’art lyrique à Molenbeek cela n’a pas été facile. En octobre prochain on propose un opéra à la Maison des Cultures. Ce n’est plus un boulot pour moi, c’est une passion. On ne devient pas millionnaire, mais on s’enrichit des rencontres. La différence nous nourrit. J’essaie que tous mes projets partent d’ici, de Molenbeek. Le quartier, malgré toutes ses difficultés, m’a tellement apporté que je trouve que c’est la moindre des choses. C’est une relation passionnée que j’ai avec le quartier. Votre agenda, vos projets ? Ben Hamidou. En décembre, on reprend à la Maison des Cultures de Molenbeek « SainteFatima de Molem ». En mars, un spectacle avec Zidani : « Moudawana forever » à l’Espace Delvaux sur le code de la famille marocaine. Ensuite, un projet avec Sam Touzani et Gennaro Petisci sur un Don Juan des temps modernes. 13 DANS LA PRESSE… « Seul-en-scène drôle et touchant de Ben Hamidou retraçant son enfance à Molenbeek avec une savoureuse autodérision. En une heure et une dizaine de personnages, il dépeint cette grandmère centenaire, ses tatouages de guerrière, son caractère de feu, et nous conte son propre parcours, la première excursion de l’autre côté du canal pour aller étudier l’art dramatique à l’académie. Il pointe aussi le poids des traditions et l’ingérence de la religion. » Catherine Makereel – Le Soir (09/2013) « Aidé de son complice Gennaro Pitisci (co-écriture et mise en scène), il sait tenir en haleine un auditoire par son talent à camper sur un rythme trépidant une multitude de personnages et autant d’accents les plus variés » Suzanne Vanina – Rue du Théâtre (12/2010) SAINTE FATIMA DE MOLEM… De Molem à Etterbeek… « Ben Hamidou en stand-up aussi drôle qu’émouvant : Sainte Fatima de Molem. Un soir de neige, autour de la station Etangs noirs. Il faut arpenter une série de trottoirs mués en patinoire pour rejoindre la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de MolenbeekSaint-Jean. Dans le hall majestueux et accueillant, les couleurs abondent. Dans la salle règne une douce obscurité. Rideau noir, tenue de même: c’est un one-man-show sans ostentation que propose l’acteur (l’imam des Barons, c’était lui). Sainte Fatima de Molem a vu le jour en ce lieu, d’abord comme étape de travail, ensuite comme spectacle abouti, et a séduit le Théâtre Varia qui le présente désormais, dans la grande salle. En attendant, à Molem, ça rigole et ça réagit, il y a de l’écho et de l’émotion. C’est que Ben - dans ce texte coécrit par Gennaro Pitisci, qui le met aussi en scène – raconte son parcours de gamin qui a grandi là, dans ce quartier en mutation, élevé par une grand-mère pas banale. Berbère, tatouée au henné, les cheveux oints à l’huile d’olive, le parler franc et imagé, le français parfois hesitant, l’attention de tous les instants. L’amour inconditionnel et, disons, envahissant. Imagine, tu as dix ans et tu traverses la cour de l’école avec Geronimo. C’est sûr, Ben Hamidou a le sens de la formule, l’instinct métaphorique. Pour autant, son solo ne se résume jamais à une enfilade de bons mots. On y navigue, plutôt, entre l’hommage à cette femme imposante, étonnante, et l’observation assidue, fine et cocasse d’un milieu, d’un contexte qui ont évolués - du Sarma Nopri de jadis au supermarché d’aujourd hui, par exemple. Le stand-up, ce monologue comique dont se régalent les Anglo-Saxons, est rare sur nos scènes.. Tous les ingrédients en sont ici réunis : l’adresse informelle au public, le quotidien considéré avec une bonne rasade de décalage, le détournement des clichés, l’utilisation des stéréotypes pour mieux les dynamiter. Ben Hamidou a la carrure qu’il faut et se frotte à ce genre avec talent et générosité, avec l’humilité aussi du ketje qui, à 19 ans, franchit le canal pour s’inscrire à l’Académie de Bruxelles - et mentir pour la première fois à sa grand-mère. Un acteur en puissance, pas près d’oublier Fatima…» Marie Baudet - La Libre Belgique. Mis en ligne le 08/12/2010 Articles complets sur http://brocolitheatre.wixsite.com/brocoli/presse 14 BIOGRAPHIES BEN HAMIDOU Ben Hamidou est né en 1966 à Oran en Algérie. Il écrit et interprète ses premiers spectacles sur différentes scènes et festivals depuis 1992. Il a notamment travaillé comme maître de cérémonie pour les « dieux de l’opéra » en 2013 à la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek. Il a produit, dirigé des projets et joué dans plusieurs pièces du Brocoli Théâtre, telles que La Civilisation, ma Mère!... adaptée d’un roman de Driss Chraïbi et mise en scène par Gennaro Pitisci, ou encore Gembloux, à la Recherche de l’Armée Oubliée où il partage la scène avec Sam Touzani, qui est une pièce raconte l’histoire des tirailleurs nordafricains recrutés dans leurs pays d’origine avec des promesses d’argent et de gloire et qui ont péris après avoir offert une résistance farouche aux Allemands lors de la tristement célèbre Bataille de Gembloux. Dans ses pièces, la condition de la femme est souvent évoquée. En tant que responsable de l’asbl SMONERS à Molenbeek (Centre de médiation culturelle avec une dimension artistique, sociale et multiculturelle qui tente d’accompagner, former notamment les enfants et jeunes du quartier à différentes pratiques artistiques en développant des réflexes citoyens) Ben Hamidou travaille à la création et à la diffusion d’ateliers et d’animations artistiques à travers des modules dans les écoles et les associations ainsi qu’à la réalisation de projets artistiques (audiovisuels, films, théâtres, spectacles, Opéra de quartier....) aussi bien amateurs que professionnels. Parallèlement à sa carrière théâtrale, Ben Hamidou incarne également divers personnages sur grand écran. Nous avons ainsi pu le voir dans la peau de L’Imam des Barons de Nabil Ben Yadir ou plus récemment dans le rôle de l’inspecteur Ben Mahmoud dans le film des frères Dardenne, La Fille Inconnue. GENNARO PITISCI Formé à l’Institut National des Arts du Spectacle (Théâtre et Animation Culturelle), il collabore dès 1985 avec plusieurs théâtres pour adultes ainsi qu’avec des compagnies spécialisées dans le secteur jeunes publics. Metteur en scène au Théâtre de l’Écume et créateur d’éclairages pour de nombreux spectacles de théâtre et de cirque, il découvre en 1987 les formes interactives que propose le Brocoli Théâtre et y fait deux premières créations de spectacles forum diffusés dans les écoles et auprès du tout public. En 1991, il devient metteur en scène permanent au Brocoli Théâtre et met en place un véritable espace de médiation théâtrale, en créant de nouveaux concepts d’animation au sein des écoles, des spectacles forum très largement diffusés et des spectacles d’ateliers avec des groupes amateurs à Bruxelles et en Wallonie. Au fil des années, et surtout avec la création du spectacle Maison Brûle en 1995, le Brocoli est considéré comme une compagnie pour adolescents, même si ses créations sont systématiquement diffusées en soirée, dans le théâtre, les centres culturels et les 15 associations. Pour Gennaro Pitisci, cette présence au sein de tissus sociaux différents est au centre de sa recherche de nouvelles formes de théâtre populaire. Il rêve d’un théâtre où les productions professionnelles et les spectacles d’ateliers seraient envisagés et assumés avec le même intérêt. Aujourd’hui Gennaro Pitisci intervient régulièrement en tant que formateur dans des structures de diffusion et d’éducation artistique et participe à divers projets européens consacrés à la formation théâtrale des enseignants ou encore au concept de médiation théâtrale. Ne délaissant pas pour autant ses activités de metteur en scène, il créé en décembre 2016 le spectacle Les Enfants de Dom Juan avec ses comparses Sam Touzani et Ben Hamidou à la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek. LE BROCOLI THÉÂTRE L’immigration, son histoire et son lien avec la Belgique, sont au cœur du travail que le Brocoli Théâtre mène depuis de nombreuses années, avec une multitude d’associations de quartier et en partenariat étroit avec la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek. Son répertoire est composé de spectacles tels La Civilisation, ma Mère ! ou Gembloux, à la Recherche de l’Armée Oubliée, qui représentent chacun à leur façon un savoureux petit morceau de notre patrimoine et favorisent la confrontation des points de vue. Le Brocoli a cette capacité de réunir des publics d’origines culturelles et sociales diversifiées, et d’agir simultanément par sa démarche citoyenne et ouverte sur les quartiers. CRÉDITS AVEC Ben Hamidou ECRITURE Ben Hamidou, Gennaro Pitisci MISE EN SCÈNE Gennaro Pitisci RÉGIE ET ÉCLAIRAGES Josse Derbaix COMMUNICATION Maïté Renson Un spectacle du Brocoli Théâtre, de la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale de Molenbeek et de Smoners asbl. Le Brocoli Théâtre est soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, direction des arts de la scène, service du Théâtre. 16