L`écologie politique, de la critique de la technologie à la constitution

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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
L’écologie politique, de la critique de la technologie à
la constitution d’un véritable projet politique
Sébastien BARON, Arnaud DIEMER, Maryvonne GIRARDIN
Observatoire des représentations du développement durable (OR2D)
Université Blaise Pascal, ESPE Clermont-Auvergne
La prise en compte des enjeux écologiques a suscité à la fin du XXème siècle deux
orientations majeures. La première orientation considère que l’homme fait partie de
la nature, laquelle, loin d’être donnée, est un construit. Par son activité (notamment
industrielle), l’homme fût cependant amener à transformer et à détruire son
environnement. C’est pourquoi l’écologie industrielle d’Erkman Suren (1994, 1998,
2001, 2004) prône une remise en cause du modèle de développement des économies
industrielles en s’appuyant sur la notion d’écosystème industriel. Dans un article
intitulé « Des stratégies industrielles viables », Robert Frosch et Nicolas Gallopoulos
(1989), tous deux responsables de la Recherche chez General Motors, rappellent que
« dans un système industriel traditionnel, chaque opération de transformation,
indépendamment des autres, consomme des matières premières, fournit des produits que l’on
vend et des déchets que l’on stocke. On doit remplacer cette méthode simpliste par un modèle
plus intégré : un écosystème industriel » (1989, p. 106). Cet écosystème industriel doit
fonctionner comme un écosystème biologique, c'est-à-dire en circuit fermé. La
seconde orientation condamne les méfaits de l’action humaine sur la nature et vise à
réagir à la surcroissance en prônant une croissance zéro, voire une décroissance.
Réunis sous la bannière de la dissidence ou d'une approche hétérodoxe du
développement (soutenable), ces tenants de l'écologie politique ont forgé un véritable
programme « politique » soucieux de réconcilier l'écologie et l'économie.
Notre article cherchera à présenter les thèses et à préciser la portée des messages
véhiculés par ce que l'on a coutume d'appeler l’écologie politique (Dannequin,
Diemer, Vivien, 1999). Cette expression associant une discipline, l’écologie, à un
qualificatif, « politique », avait amené Catherine et Raphaël Larrère (1997, p. 298) à
émettre un doute sur son avenir: « La prétention d’élaborer une écologie politique est, de
surcroît excessive… Elle est loin de parvenir à l’élaboration d’une nouvelle synthèse… ». Il
faut dire que cette association symbiotique n’est pas sans rappeler ce que l’on avait
coutume d’appeler l’économie politique au 19e siècle. L’économie avait alors noué un
dialogue avec la philosophie morale et politique au point de constituer aux yeux de
certains, une science morale (Sen, 1999). Peut on considérer qu’au même titre que
l’économie politique, l’écologie politique nous invite à renouer le dialogue avec la
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philosophie morale et politique ou faut-il y voir plutôt la présence d’un véritable
projet politique pour l’écologie ?
Pour répondre à ces questions, nous procéderons en quatre temps, lesquels
correspondent à quatre étapes successives qui marquent le passage de l’écologie
politique d’une simple démarche à un véritable courant de pensée. La première étape
vise à resituer l’écologie politique parmi les écologies. L’écologie politique prend les
traits d’une défiance vis à vis de la technique et de la croissance illimitée formulée
par nombre d’économistes mais également de politologues, de sociologues et
d’écologues. Cette défiance est clairement introduite par Barbara Ward et René
Dubos dans le rapport du groupe d’experts de la Conférence des Nations Unies sur
l’environnement Humain (1971). Elle sera également régulièrement évoquée par des
auteurs tels que Bertrand de Jouvenel (1957), Jacques Ellul (1951, 1971) Rachel
Carlson (1965), Barry Commoner (1971), Ivan Illich (1973), André Gorz (1975),
Nicholas Georgescu-Roegen (1976), René Passet (1977, 1979)... Tous ces auteurs
prônent le ré-encastrement de l’économie dans l’écologie. La deuxième étape amène
les dissidents de la première heure à proposer une nouvelle conception de la science.
La théorie sous-jacente se situe au carrefour de la vision thermodynamique et
biologique du monde (Dannequin, Diemer 1998, 1999). La thermodynamique parce
qu’elle nous démontre que les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement
(Georgescu-Roegen, 1971), la biologie parce qu’elle nous révèle la vraie nature du
processus économique (Georgescu-Roegen, 1977). Finalement la bioéconomie (NGR,
1975, Passet, 1971, 2011) propose une refondation de la science économique. La
troisième étape développe une dimension à la fois normative et positive qui fait
définitivement basculer l’écologie politique dans le giron des courants de pensée.
L’écologie politique est incarnée par de véritables programmes politiques souhaitant
rompre avec la logique productiviste du capitalisme moderne. La convivialité d'Ivan
Illich (1973), la décroissance de Nicholas Georgescu-Roegen (1975), le programme de
restructuration écologique d'André Gorz (1991), la sobriété heureuse de Pierre Rabhi
(1991), le programme des 8 R (réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer,
relocaliser, réduire, réutiliser, recycler) de Serge Latouche (2006) se proposent tous de
réagir à la "surcroissance économique", incompatible avec les ressources finies de la
planète. La quatrième et dernière partie, associe l’écologie politique à une science
sociale, incarnée par des actions collectives et politiques. Les travaux de Deléage
(2010), Jin (1993, 2010) ou Lipietz (2012) ont associé l’écologie politique à une
véritable programme d’actions politiques et un nouveau paradigme cognitif (et non
moral) susceptible de reprendre le contrôle de l’économie. Par ce dernier point, nous
chercherons à mettre en lumière les traits principaux de l’écologie politique
« moderne » et à préciser en quoi ce programme est dans la continuité ou en rupture
avec celui initié dans les années 70. La maîtrise de notre destinée passe peut être par
l’émergence d’une technologie plus éco-citoyenne.
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L’écologie politique, une contestation du système capitaliste via
sa croissance illimitée et sa technologie aliénante
Dans son ouvrage intitulé Ainsi va le monde, Maurice Strong, Secrétaire général de la
conférence de Stockholm (1972), rappelle que « c’est à la fin des années 1960 que le terme
environnement a pris son sens moderne, c’est à dire qu’il est apparu comme un sujet de
préoccupation et un véritable enjeu pour les pays industrialisés. La question
environnementale provenait en majeure partie des mouvements de conservation de la
nature ». (2001, p. 89). Ces mouvements lançaient régulièrement des appels publics
sur la nécessité de préserver les ressources naturelles et de protéger les parcs et les
réserves. C’est durant cette période que les Nature Writers, notamment Rachel
Carlson et Barry Commoner, lancèrent de véritables cris d’alarme (DDT pour l’une,
Strontium 90 dans les dents de lait des enfants pour l’autre) sur la santé de la planète.
` Le livre de Rachel Carson, Silent Spring, paraît en 1962. Aux dires d’Al Gore, cet
ouvrage a semé « les graines d’un nouveau militantisme, qui est devenu l’une des plus
grandes forces populaires de tous les temps 1 » (2012, p. 12). En osant s’attaquer aux
puissantes industries chimiques et aux conséquences néfastes de leur produit, le
DDT, Rachel Carson a mis la science au service d’une cause : celle d’étudier le plus
objectivement possible l’impact des pesticides sur le monde vivant et de proposer
ainsi une vision plus écologique de notre planète : « L’une des caractéristiques les plus
fâcheuses du DDT et des produits similaires est leur façon de passer d’un organisme à l’autre,
en suivant la chaîne de l’alimentation. En voici, un exemple : un champ de luzerne est traité
au DDT ; cette luzerne est donnée à des poules ; les œufs pondus par ces poules contiennent
du DDT. Autre exemple : du foin contenant un résidu de 7 à 8 parts de DDT par million est
donné à des vaches ; le lait de ces bêtes contiendra environ 3 parts de DDT ; le beurre fait avec
ce lait en retiendra jusqu’à 65 ! Ainsi, par l’effet de ces transferts, une concentration
initialement faible peut devenir considérable » (1962, [2012, p. 43]).
Le livre de Barry Commoner, The Closing Circle, paraît quant à lu en 1971. Cet
ouvrage eut également un retentissement considérable aux Etats Unis. Les lois de
l’écologie ont eu une influence considérable sur plusieurs générations
d’écologues. La première loi stipule que « Toutes les parties du complexe vital sont
interdépendantes » (1971, [1972, p. 35]). Il importe donc de développer une approche
en termes de systèmes, qui s’appuie sur des principes cybernétiques, c’est-à-dire des
boucles de rétroaction, positives ou négatives. La 2ème loi de l’écologie précise que
« la matière circule et se retrouve toujours en quelque lieu » (1971, [1972, p. 41]). Il est ici
question des cycles biogéochimiques et des éléments (carbone, azote, phosphore,
soufre, etc.) qui traversent les systèmes écologiques, passant de l’environnement aux
Dans la troisième rive, Ignacy Sachs (2007, p. 247) précise que pour quelqu’un dont la problématique
de l’environnement était plutôt étrangère, il avait lu « comme tout le monde, Les Racines du Ciel de
Romain Gary et Le Printemps Silencieux de Rachel Carlson ».
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organismes vivants et des organismes à l’environnement. La troisième loi rappelle
que « la nature en sait plus long » (1971, [1972, p. 42]). Les hommes doivent ainsi user
de beaucoup de précaution et de prudence avec ce qu’ils rejettent dans la nature.
Enfin la quatrième loi indique qu’« il n’y a pas, dans la nature, de don gratuit » (1971,
[1972, p. 46]). Cette loi a valeur d’avertissement, elle souligne le fait que tout profit
doit avoir une contrepartie et qu la crise de l’environnement est un prix à payer pour
celui qui ne chercherait pas à préserver la nature.
C’est dans ce cadre de réflexion qu’il convient de positionner l’écologie politique.
Cette dernière s’inscrit dans le prolongement des thèses de Carlson et Commoner, à
un détail prés, elle se présente surtout comme un vaste mouvement contestataire2 vis
à vis des méfaits du système capitaliste (à savoir la croissance illimitée et le mythe de
la technologie) et de l’évolution de la société en général (Diemer, 2011). L’écologie
politique est née au début des années 70, à la suite des travaux de véritables
pionniers3 (De Jouvenel, Ellul, Illich, Gorz)…) mais également de rapports (CNUED,
Meadows, A Blueprint of Survival) qui ont dès 1972 posé la question
environnementale.
Fig 1 : La longue ascension de l’écologie politique
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Dans un dossier paru dans l’Observateur (1972) et intitulé « Ecologie et révolution », André Gorz
note que « l’écologie est une discipline foncièrement anticapitaliste et subversive ».
3 Les auteurs renvoient leurs lecteurs à l’excellent numéro d’Ecologie & Politique « Penser l’écologie
politique en France au XXe siècle » (vol 44, 2012).
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Arne Naess (1955, 1957, 1958,
1960, 1964)
Jacques Ellul (1954, 1977,
1988, la technologie)
Ecologie profonde Deep
Ecology (1950 – 1965)
Bertrand de Jouvenel
(1957, 1970, 1976)
Ecologie Politique
Rachel Carlson
(Silent Spring, 1962)
RAPPORT PALEY (1952)
Barry Commoner
( Science and Survival,1963
Closing Circle, 1971)
Illich (1971, 1973), Libérer
l’avenir, la convivialité)
CONFERENCE DE
STOCKHOLM (1972)
RAPPORT DUBOS
WARD (1972)
Georgescu-Roegen
(1971, 1974), Entropy Law
Nature Writers
RAPPORT
M EADOWS 1972
ECOD EV ELOPPEM EN T
(Strong, Sachs)
BLUE PRI NT SURVI VAL
Goldsmith-Allen (1972)
Schumacher (1973)
Small is beautiful
Journal of Environmental Economics
and M anagment (1970)
RAPPORT BRUN D TLAN D (1987)
Ecological Economics (1980)
Ecologie industrielle
(Frosch, Gallopoulos, 1989), Erkman (1998)
SOMMET DE RIO
(1992)
Journal of Industrial Ecology (1990)
DEVELOPPEMENT
DURABLE
Ecosystème, Métabolisme, symbiose
industriels, éco-conception, éco-efficience
Ecologie industrielle et territoriale
(Buclet, 2011, Beaurain, Brullot, 2011)
Passet (1971, 1979)
L’économie et le vivant
Bioéconomie
Ecologie politique
Georgescu-Roegen, 1995
Latouche, 2006, 2007, 2011
Caillé, Villeret, 2011
Rabhi, 2010, Passet, 2010
Projet politique
Jin (1993), Gorz (2000)
Deléage ( 2010) :
reprendre le contrôle
de l’économie
Décroissance,
abondance frugale,
sobriété heureuse, bien
vivre, convivialité
RIO + 20 (2012)
Le travail pionnier de Bertrand de Jouvenel (1957, 1970, 1976)
Si de nombreux travaux (Bourg, 1996 ; Rens, 1996 ; Passet, 2012) ont mis en lumière la
genèse de l’écologie politique, ils ont par la même occasion rappeler que Bertrand de
Jouvenel (1957) a été l’un des pionniers de ce nouveau courant de pensée (Dard,
2012). Franck-Dominique Vivien (2007, p. 68) note que ce sont ses réflexions qui ont
permis aux économistes de prendre conscience de la question environnementale.
Nous faisons ici référence à l’article « De l’économie politique à l’écologie politique »,
présenté par Bertrand de Jouvenel à une conférence internationale sur la croissance
économique qui s’est tenue à Tokyo, puis réédité dans son ouvrage La puissance de la
civilisation (1976). Les propos préliminaires de Jouvenel méritent que l’on s’y attarde
quelque peu : « à cette date cet exposé surprit et choqua, et cela alors que je m’adressais à des
économistes de tout premier ordre, pour lesquels j’avais et j’ai grande estime. Simplement
nous ne regardions pas les mêmes aspects des choses » (1957, [1976, p. 50)]. Dans les
premières lignes de sa communication, Bertrand de Jouvenel revient sur l’évolution
de la science économique, celle-ci serait passée d’un discours sur la spécialisation du
travail, le fonctionnement des marchés et le retour à l’équilibre à une analyse de la
croissance économique. Si la discipline semble avoir d’autres préoccupations, ce qui
interpelle Bertrand de Jouvenel, c’est la capacité de la science économique à
comprendre la société moderne.
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Pour l’auteur, le principal grief tient en quelques mots, le concept de croissance
économique, appréhendé par le Produit national (net), réduit la plupart des choses à
un dénominateur commun, la monnaie. Or le raisonnement monétaire laisse de côté
une question cruciale, celle des obstacles naturels à l’obtention des quantités
physiques nécessaires pour atteindre les niveaux de croissance désirés. Bertrand de
Jouvenel s’appuie ici sur le rapport Paley (1952), Resources for Freedom, rapport
adressé en plein guerre froide au président Truman par the President’s Materials
Policy Commission. Si ce rapport recommande au gouvernement américain de recourir
à la production de pays alliés pour conserver un approvisionnement régulier et
durable en matières premières, Jouvenel préfère insister sur le poids physique des
produits primaires dans la consommation par tête aux Etats Unis.
Cet exemple lui permet de souligner une lacune des modèles économiques, la
simplification de la fonction de production à deux facteurs, le travail et le capital. Si
cette présentation a l’avantage de permettre le calcul des productivités4 marginales
respectives des deux facteurs (et de faire apparaître des effets de substitution ou de
complémentarité), elle a « l’inconvénient majeur de faire croire que le flux des biens offerts
pour la satisfaction des hommes ne dépend que de l’effort humain, dans une parfaite
indépendance à l’égard du milieu naturel » (1957, [1976, p. 55-56]). En outre, elle n’offre
qu’une conception limitée des biens (combinaison technique de travail et de capital
permettant de produire un ensemble de produits). C’est pourquoi Bertrand de
Jouvenel propose que l’instruction économique soit toujours précédée d’une
instruction écologique : « Avant de parler de l’organisation des hommes pour l’obtention
des biens, il faudrait montrer que ces biens sont obtenus à partir de l’environnement naturel
et que, dès lors, l’organisation dont il s’agit est essentiellement une organisation pour tirer
parti de l’environnement » (ibid). Même si la nature disparaît derrière le travail et la
capital, le fonctionnement des organismes biologiques nous enseigne, d’une part, que
la dépense d’énergie (le travail) doit toujours être compensée par des apports
d’énergie, (or ceux-ci proviennent toujours du milieu naturel), et d’autre part, que
toute forme de vie est nécessairement exploitation du milieu (c’est le cas d’une
civilisation).
Si les économistes n’arrivent pas à percevoir ces phénomènes (naturels), c’est qu’ils
continuent à être fascinés par le concept de productivité, au point de ne plus savoir
ce que l’on met derrière le terme capital - « La préoccupation aujourd’hui dominante est
celle de la productivité, terme qui désigne le rapport de la production obtenue à l’input de
travail humain. On sait que cette productivité croît avec l’input de capital, mais on évite trop
4 Bertrand de Jouvenel note que les économistes sont fascinés par le concept de productivité, au point
de ne plus savoir ce que l’on met derrière le terme capital : « La préoccupation aujourd’hui dominante est
celle de la productivité, terme qui désigne le rapport de la production obtenue à l’input de travail humain. On
sait que cette productivité croît avec l’input de capital, mais on évite trop souvent de préciser si par capital, on
entend ici tous les facteurs autres que le travail direct ou seulement, comme il est plus convenable dans ce
contexte, les moyens de production reproductibles par le travail » (1957, [1976, p. 64]).
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souvent de préciser si par capital, on entend ici tous les facteurs autres que le travail direct ou
seulement, comme il est plus convenable dans ce contexte, les moyens de production
reproductibles par le travail » (1957, [1976, p. 64]) – ou de ne plus saisir la véritable
finalité d’un modèle économique : « Dans un système économique clos, l’effectif agricole
optimal est celui qui produit la quantité de vivres désirée, et non pas celui qui déploie la plus
forte productivité » (1957, [1976, p. 66]). Cette fascination pour la productivité aurait
même mystifié l’exemple anglais et la révolution industrielle. Bertrand de Jouvenel
note fort justement que la puissance économique et industrielle de l’Angleterre ne
saurait s’expliquée uniquement par l’innovation et la productivité des facteurs de
production. Le développement de l’économie britannique reposait en grande partie
sur son commerce maritime, capable de puiser dans le monde entier, les produits
primaires désirés : « L’Angleterre a été la grande provocatrice d’exportations primaires de
la part des autres pays, finançant le développement des sources et des moyens d’enlèvement,
n’ayant jamais aucune difficulté de paiement à cause que ses produits manufacturés étaient
demandés dans le monde entier » (1957, [1976, p. 68]).
Cela étant, Bertrand de Jouvenel reste lucide, si la hausse de la productivité
(l’économie de travail) constitue le nouvel eldorado du système capitaliste, c’est
l’arbre qui cache la forêt. Le vrai problème, c’est la croissance exponentielle de la
population des machines. Ces machines ont un taux de reproduction élevé
(importance des investissements) et des exigences alimentaires croissantes (elles
exigent toujours plus de matières et d’énergie). Face à ce besoin insatiable, l’auteur
ne voit pas comment stopper une évolution aux conséquences si inéluctables : la
destruction des conditions de la vie humaine : « Continuant à considérer les machines
comme une population, nous dirons de cette population qu’elle présente aujourd’hui une
prodigieuse inégalité de densité dans le monde, que cette inégalité ira se réduisant tandis que
la densité s’accroîtra partout. A l’accroissement de cette densité, on ne voit guère d’obstacles,
vu que la machine se nourrit de matières mortes qui sont en abondance dans la croûte
terrestre (dans les mers aussi qui contiennent tant de sels minéraux) et d’énergie que le soleil
fournit en abondance » (1957, [1976, p. 74]).
Au final, Bertrand de Jouvenel suggérera de s’appuyer sur une histoire écologique
des civilisations afin de mieux appréhender le devenir de nos sociétés. Un système
de pensée, constitué autour de l’économie du travail (course à la productivité), du
désintérêt des ressources naturelles et de la maximisation du produit national, n’est
pas viable. Une longue marche vers l’écologie est nécessaire, cette dernière devra
réexaminer notre rapport à la nature. Dans son ouvrage « la civilisation de la
puissance, Bertrand de Jouvenel (1976) reviendra sur cette question. Il note que la
nature joue deux rôles dans la vie humaine. L’un d’utilité, la nature constitue la
condition matérielle de notre existence, elle est « une servante, et combien exploitable »
(1976, p. 79). L’autre de sentiment, la nature est une compagne et c’est là un autre
rapport avec la nature. Or notre civilisation a toujours été brutale avec la Nature. Le
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rapport Paley (1952) évoqué précédemment, avait mis l’accent sur les incidences en
prélèvements sur la Nature du modèle américain. La panique d’achats de stockage
occasionnée en 1950 par la peur d’une guerre générale avait provoqué un
renchérissement des prix des produits primaires. Cependant, rappelle Bertrand de
Jouvenel, lorsque le rapport parut, « les prix étaient retombés, la cherté monétaire avait
disparu et le thème était passé de mode » (1976, p. 80). Personne ne s’était alors penché
sur les conséquences d’une diffusion du modèle américain à l’ensemble des pays
développés et en développement (diffusion incarnée par l’ouvrage de Rostow, les
étapes de la croissance économique, 1960). Il faudra attendre près de vingt ans pour que
le thème de l’environnement réapparaisse sous les traits du rapport Meadows (1972).
Ce rapport produit par le Club de Rome (dont Bertrand de Jouvenel fût un membre
fondateur) et qui tablait sur un scénario associant une pénurie des principales
matières premières à une croissance démographique galopante et une pollution
généralisée, a profondément marqué l’opinion publique. Le premier choc pétrolier et
l’envolée des prix des matières premières constitueront pour beaucoup une
illustration de ce scénario.
Ellul et la technologie aliénante
Dans un article intitulé « Aux sources de l’écologie politique : le personnalisme gascon
de Bernard Charbonneau et Jacques Ellul » et paru dans les Annales canadiennes d’histoire
(1992), Christian Roy avance que c’est sous la plume de ces deux protagonistes qu’on
retrouve à cette époque « la première conception complète d’une écologie politique conçue
en opposition à l’ensemble des idéologies de la société industrielle, qu’elles soient libérales ou
totalitaires, comme le projet d’une éthique de la liberté5 » (1992, p. 71). Ce sentiment est
partagé par Frédéric Rognon (2012) qui les classent dans le mouvement de l’écologie
radicale. Si les travaux de Charbonneau6 sont peu connu du grand public (voir même
du monde de la recherche), ceux de Jacques Ellul ont franchi les frontières de
l’hexagone et ont été largement commentés Outre-Atlantique. Dans ses Entretiens
avec Jacques Ellul (1994, p. 182), Patrick Chastenet reprenant les paroles de son maître,
a résumé l’essentiel de ses travaux sur la technique : « Je dirais que j’ai essayé de
montrer comment la technique se développe de façon indépendante, en dehors de tout contrôle
humain. Dans son rêve prométhéen, l’homme moderne croyait pouvoir domestiquer la nature,
il n’a fait que se créer un environnement artificiel plus contraignant encore. Il pensait se
servir de la technique alors que c’est lui la sert. Les moyens sont érigé en fins et la nécessité en
vertu. Nous sommes conditionnés de telle façon que nous adoptons immédiatement toutes les
Ellul (1975).
Voir le Jardin de Babylone (1969) dans lequel Charbonneau explique que la Nature est « une invention
des temps modernes » et Le Feu vert (1980) dans lequel il présente les origines socio-historiques et les
enjeux éthiques du mouvement écologique.
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techniques nouvelles sans nous interroger sur leur éventuelle nocivité. L’inquiétant n’est pas
la technique, en soi, mais notre attitude à son égard ».
Profondément influencé par l’analyse du capitalisme de Karl Marx, Jacques Ellul
considérait que le pouvoir et la capacité de reproduction de la valeur n’étaient plus
liés au capital mais à la technique. Dans son ouvrage La technique ou l’enjeu du siècle
(1954), Ellul pose clairement les objectifs qu’il s’est fixés : il s’agit de « transcrire, de
traduire, de transmettre, au moyen d’une analyse globale une prise de conscience, à la fois
concrète et fondamentale, du phénomène technique » (1954, Avertissement). Ellul précise
dès les premières lignes de son ouvrage que la technique ne doit pas être confondue
avec la machine : « Qui voit technique pense spontanément machine. Et l’on considère
toujours notre monde comme celui de la machine… Cela vient de ce que la machine est la
forme primitive, ancienne, historique de cette force » (1954, p. 1). Si la technique a
effectivement pris son point de départ dans l’origine de la machine, elle a fini par
dépasser largement le cadre strict du machinisme pour pénétrer les consciences. De
ce fait, elle a changé de statut et cessé d’être associée à une fonction de production.
Elle s‘est émancipée et a échappé même au contrôle de l’homme : « lorsque la
technique entre dans tous les domaines et dans l’homme lui-même qui devient pour elle-même
un objet, la technique cesse d’être elle-même l’objet pour l’homme, elle devient sa propre
substance, : elle n’est plus posée en face de l’homme, mais s’intègre en lui et progressivement
l’absorbe » (1954, p. 4). La technique forme ainsi un monde dévorant qui obéit à ses
propres lois. Il ne s’agit pas de trouver la meilleure formule parmi tant d’autres, mais
bien le moyen supérieur dans l’absolu. Ainsi le progrès technique commande la
totalité de l’évolution économique, non seulement les opérations de production, mais
également les opérations de répartition, le mécanisme des prix, le commerce
extérieur… Les conséquences en matière de croissance économique sont réelles, nous
serions passés d’une croissance réflexive, inconsciente ou instinctive à une croissance
rationnelle, intelligente ou consciente7 (Guitton, 1951). L’économie politique, en tant
que discipline n’échappe pas à cette emprise tentaculaire : « malgré les efforts récents
des économistes pour distinguer science et technique économique, pour définir et placer des
barrières, nous montrons que c’est la technique économique qui forme aujourd’hui la matière
même de la pensée économique » (1954, p. 7). L’économie politique a quitté le domaine
de la science morale pour embrasser celui de la technique, illustrée par les recherches
(modèles, équations comptables et mathématiques, statistiques) et les applications en
microéconomie et en macroéconomie ; les interventions de l’Etat (planification)…
Selon Ellul, plus la technique économique se développe, plus elle fait rentrer dans la
réalité la notion abstraite de l’homme économique : « La transformation de la loi
Jacques Ellul distingue l’opération technique (tout travail réalisé avec une certaine méthode pour
atteindre un résultat) du phénomène technique ( c’est le produit d’une double intervention, celle de la
conscience et celle de la raison). Selon lui, c’est ce dernier qui constitue l’essence même de la
technique, qui « fait passer dans le domaine des idées claires, volontaires et raisonnées ce qui était du domaine
de l’expérimental, inconscient et spontané » (1954, p. 18).
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naturelle en loi technique s’accompagne du modelage de l’homme, de son adaptation, de sa
cohérence à l’évolution. Au libéralisme économique répond l’individualisme social. Au
planisme répond l’homme économique » (1954, p. 198). Ainsi l’homme se modifie
lentement sous la pression plus pesante du milieu économique « jusqu’à cet homme
d’une minceur extrême que l’économiste libéral fait entrer dans ses constructions » (1954, p.
199). Sa vie entière est devenue fonction de la technique économique.
Ellul en déduit que la technique crée un monde unitaire nouveau. Ce monde qui s’est
construit entre la nature et l’homme, s’est tellement développé et autonomisé que
l’homme a définitivement perdu contact avec le cadre naturel et qu’il n’a plus de
relations qu’avec ce système organisé : « enfermé dans son œuvre artificielle, l’homme n’a
aucune porte de sortie, il ne peut la percer pour retrouver son ancien milieu, auquel il est
adapté depuis tant de milliers de siècles » (1954, p. 389). Nous cessons ainsi d’être
indépendants, nous sommes étroitement impliqués par cet univers technique,
conditionnés par lui : « Nous ne pouvons plus poser d’un côté l’homme, de l’autre
l’outillage. Nous sommes obligés de considérer comme un tout « l’homme dans l’univers
technique » (1965, p. 381). Dans un article intitulé Plaidoyer contre la défense de
l’environnement (1972), Jacques Ellul en conclut que le problème environnemental
devient d’une extrême complexité. Le milieu naturel est remis en question par un
développement non pas anormal, mais normal de la technique, non pas un abus et
un mauvais usage des moyens, mais par leur simple naissance. D’une certaine
manière, l’homme ne vénère plus la nature, mais ce qui la profane, la pollue ou la
souille, la technique : « Toute se passe comme s’il y avait deux ordres de phénomènes
parallèles et sans communication, se développant sans référence l’un à l’autre : d’un côté la
croissance technique avec ses exigences ; de l’autre la protection de l’environnement » (1972,
p. 7). Les conséquences de cette sacralisation ne sont pas uniquement
environnementales, elles sont également psychologiques puisqu’elles se traduisent
par un sentiment d’addiction envers la technique.
Dans le Système technicien (1977) et le bluff technologique (1988), Ellul n’hésitera pas à
présenter la technique comme le facteur déterminant de la société, un facteur plus
important que le politique et l’économie. Depuis 1850, les relations de l’Homme et la
Science ont été marquées par les cinq périodes suivantes. D’abord, le scientisme
domine jusque vers 1900, puis décroit légèrement avec la première guerre mondiale.
Les responsabilités meurtrières n’incombent pas forcément à la Science mais plutôt
aux mondes économique et politique. Jusque vers 1945, l’auteur voit une
réorientation de l’idéologie de la Science vers le Bonheur. « C’est le moment où se
développe la théorie selon laquelle lorsque la consommation est abondante, les régimes de
dictature deviennent impossibles et on tend vers la démocratie » (Ellul, 1988, p. 326). Puis
pendant une trentaine d’année, c’est une sorte de crise qui s’installe partagée par les
scientifiques eux-mêmes. Les mystères à résoudre se complexifient et le lien étroit
entre Science et Technique se construit petit à petit. Cette dernière apparaît comme
10
Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
étant aux services des puissances. C’est l’idéologie de la Toute Puissance de la
Science, où les politiques seraient des garde-fous contre toute dérive négative. A
partir de 1975, la frontière entre Science et Technique devient ténue. La dépendance
de l’homme à la technique nait, portée par l’essor rapide de l’informatique. Le
monde de l’éducation, encouragé par le politique, s’engouffre dans cette voie, ce qui
désole Ellul : « On ne se rend seulement pas compte que c’est précisément en faisant de ces
jeunes des scientifiques avant tout, que l’on transforme un possible ou une tendance en
fatalité inéluctable ! ». (Ellul, 1988, p.339).
La Science devient aussi une réponse salutaire à des dangers et autres craintes
clairement identifiés mais aussi universalisés. Certes l’homme est fasciné par les
possibilités que lui offre la Technique, mais au sein de la communauté scientifique
une forme de résistance apparaît afin de faire une pause dans l’accélération des
découvertes et innovations et de se questionner sur les enjeux et conséquences. Dans
le même temps, la société se métamorphose pour devenir une société du rêve, où la
production d’information devient plus importante que la production de biens
matériels. Ellul appuie très souvent son argumentaire sur le fait que l’homme se situe
aux intersections de réseaux très complexes, et donc justifie une difficulté à pouvoir
se repérer, comprendre, décider. « Ce n’est plus l’homme qui peut décider et vouloir, il
s’en remet à la science bénéfique en laquelle il croit ». (Ellul, 1988, p. 345). Le milieu dans
lequel il vit, voit ses mécanismes naturels se dérégler qu’il faut remplacer par des
mécanismes techniques : « […] jusqu’ici les difficultés rencontrées sont de l’ordre naturel,
mais avec le mécanisme de remplacement elles seront techniques […] » (Ellul, 1977, p.60).
Le Système technicien constitue le cadre de réflexion d’Ellul. Système parce qu’il
est structuré autour d’un réseau d’interrelations entre chaque élément interne
constitutif. Les évolutions d’un ou plusieurs éléments modifient le système dans son
ensemble et inversement d’où une dynamique du système. Les éléments internes
préfèrent se combiner entre eux et engendre de fait une sorte de résistance aux
influences extérieures même si elles jouent un rôle particulier dans l’évolution de ce
système. Enfin le rôle des feed-back est primordial dans les possibilités qu’à le
système pour s’autoréguler, s’auto corriger, mais aussi dans l’influence avec des
systèmes extérieurs. Ce concept de système technicien décrit une part importante du
réel tout en reconnaissant l’incertitude qui en est liée : « […] le système technicien n’est
pas achevé : il n’est pas clos, il n’est pas un système évoluant par sa seule et unique logique
interne : il comporte une grande marge d’aléa » (Ellul, 1977, p. 89).
La notion d’incertitude occupera par la suite une place importante dans les
travaux d’Ellul, elle apparaît même central dans son ouvrage, le Bluff technologique
(1988). Ellul la décline sous la forme de quatre rubriques.
L’ambivalence : il conteste le propos classique que la technique peut-être bonne ou
mauvaise, mais qu’au final tout dépendrait de l’usage que l’on en fait. En fait, la
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situation est bien plus complexe puisque le développement de la technique se
construit autour d’éléments positifs et négatifs, impossible à dissocier. Et dans cet
univers, « tout progrès technique se paie » (Ellul, 1988, p. 97), et « soulève des problèmes
plus difficiles que ceux qu’il résout » (Ellul, 1988, p. 110), où « les effets néfastes sont
inséparables des effets positifs (Ellul, 1988, p. 124). A ce stade Ellul s’interroge sur le
défaut de prise de conscience par la majorité. Compte tenu de cette ambivalence
marquée qui laisse au jour des aspects fortement négatifs, pourquoi « se précipite-ton dans le progrès technique sans réserve ? » (Ellul, 1988, p. 157). A cela il voit
plusieurs explications comme le décalage dans le temps entre la perception par le
public des effets positifs (dés le début de l’application) et du constat des effets
mauvais (bien plus tard alors que la majorité a adopté cette application). D’autre
part, ces effets néfastes sont pour la plupart du temps supportés par une frange
minime de personnes au regard de tous ceux qui en profitent positivement. Deux
autres explications à ce défaut de prise de conscience est que « les avantages sont
visibles et certains […] et concrets. […] Les inconvénients sont diffus et incertain […] et
abstraits. » (Ellul, 1988, p. 159-160). Le trio Technico-Militaro-Etatique, quant à lui, est
un obstacle à l’éveil de cette prise de conscience puisque le développement des
projets s’accompagne très souvent d’investissements trop importants pour pouvoir
être perturbés par des pauses réflexives dés qu’un effet négatif serait soulevé. Que ce
soit pour l’Etat ou les entreprises, le retour sur investissement est conditionné à un
déroulement sans encombre. De fait, il faudrait « accepter d’avance le principe de faire
une balance effective entre les avantages et les inconvénients (tous les inconvénients), ceux-ci
n’étant pas évalués en argent mais sur le plan aussi bien de structure des groupes sociaux que
psychologiques ! Impensable ! » (Ellul, 1988, p.162). Pour lui, cette ambivalence
irrépressible rend vaines et inconséquentes toutes les volontés de démocratisation grâce
aux nouvelles techniques.
L’imprévisibilité : la pensée technicienne n’arrive pas à penser la Technique mais est
plutôt orientée dans le sens des progrès de la technique. C’est une des raisons de
cette imprévisibilité. « La pensée technicienne est toujours incapable de prévoir du nouveau,
du véritablement nouveau : elle ne peut prévoir que le prolongement et le perfectionnement de
ce qui existe8 » (Ellul, 1988, p. 190). Autre facteur explicatif de l’imprévisibilité est le
changement observé dans la société quant au rapport que l’homme entretient avec le
temps : « L’instantanée devient hégémonique […] » (Ellul, 1988, p. 194). Qu’en est-il alors
de la relation homme-objet ? Ellul reprend des travaux de Chesnaux, selon lequel « il
s’est produit une inversion radicale entre le temps de l’usage et le temps de l’élimination »
(Ellul, 1988, p.195). L’obsolescence des biens de consommation et leur potentiel de
renouvellement de plus en plus rapide génèrent des masses de déchets pour certains
longs à éliminer. « Cette inversion me parait tout à fait significative et montre comment les
8
Cela rejoint ce qu’il disait dans Le Système technicien : « La technique ne se développe pas en fonction de
fins à poursuivre mais en fonction des possibilités déjà existantes de croissance. » (Ellul, 1977, p. 263).
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produits de la technique sont incapables de s’insérer dans les rythmes propres à l’homme, au
monde naturel et à sa possibilité d’avenir » (Ellul, 1988, p.195). Cette question du rapport
au temps revêt une importance capitale dans la réflexion Ellulienne, puisqu’il
anticipe « des désordres psychiques » qui s’inscriront dans « la désagrégation des sociétés »
(Ellul, 1988, p.196).
Le double feed-back : dans Le Système technicien, ce point était abordé sous l’angle des
capacités qu’aurait le système à pouvoir réparer une erreur commise. Très souvent,
la dynamique reprend après avoir modifié seulement une donnée du système :
« Ainsi le système technicien ne tend pas à se modifier lui-même lorsqu’il développe des
encombrements des nuisances, […] cela n’entraine rien que des processus compensatoires »
(Ellul, 1977, p. 126). Pour Ellul, cette impossibilité du système technicien à se
contrôler, se corriger rapidement et en profondeur, confirme qu’il évolue selon sa
propre logique. Cela pourrait changer si le système avait des relations sans
discontinuités avec l’environnement, ce dernier lui donnant des instructions sans
arrêt. « Or, le système technicien ne possède pas un tel système parce qu’il a une domination
absolue sur l’environnement […] » (Ellul, 1977, p. 126). Dans Le Bluff Technologique, les
feed-back sont présentés différemment. « […] tout le système technicien est aujourd’hui
soumis à ces feed-back qui à la fois le complètent en tant que système mais aussi tendent à le
dérégler » (Ellul, 1988, p. 212). Ellul évoque deux types de feed back, les positifs visant
à accentuer les effets des causes originelles (influence des choix politiques qui
encouragent le développement des techniques) et les négatifs qui au contraire les
atténuent. Ceux-là concernent surtout la relation entre la technique et le monde de
l’économie et de la finance. Dans une vision systémique, Ellul avance que « la
technique permet la croissance économique. Mais elle exige de l’Economie un effort de
financement tellement énorme, que l’Economie réagit pour freiner l’expansion technique en
obligeant à des choix » (Ellul, 1988, p.2010). Un des choix à prendre en compte pour
l’auteur est la question des externalités de plus en plus nombreuses et donc « il faut
comptabiliser soit les compensations nécessaires, soit les précautions à prendre, soit les
recherches pour les substitutions, si l’on veut obtenir le cout réel du produit. » (Ellul, 1988,
p. 211). L’économie joue un rôle de « frein et de butoir » (Ellul, 1988, p. 212).
- les contradictions internes. Elles visent à accroitre les incertitudes au niveau de la
progression technicienne. Le justificatif temporel, souvent avancé pour de
nombreuses innovations technologiques, pose un paradoxe: « Pourquoi gagner du
temps si ce temps libéré est vide, et sans signification ? » (Ellul, 1988, p. 215). Par ailleurs,
le système technicien est complexe et sa structure en réseau le fragilise et « la
puissance (technicienne), qui engendre la richesse et l’abondance chez nous, est compensée
par la pauvreté du tiers-monde. » (Ellul, 1988, p. 234).
D’une manière plus générale, le Système technicien et le Bluff technologique
soulève plusieurs types de problématiques, symbolisant les enjeux que la société doit
relever. Il s’agit tout d’abord du sens que l’on donne au Progrès Technique. Il ne faut
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pas se prendre pour « argent comptant » le postulat selon lequel tout objet technique
évolue au cours du temps. Pour Ellul, il faut surtout concevoir que « le progrès
technique ce n’est pas de la technique qui évolue […]. La Technique comporte comme donnée
spécifique qu’elle se nécessite pour elle-même sa propre transformation […] elle produit le
phénomène de progression. […] c’est la conjonction entre le phénomène technique et le
progrès technique qui constitue le système technicien. » (Ellul, 1977, p. 91).
Il convient ensuite de se demander si dans un environnement où l’incertitude est
prégnante, il est pertinent de suivre les technologiques dans leur volonté de
construire une culture technicienne. Pour Ellul, ce n’est pas possible. D’une part,
nous assistons à un empilement de savoirs dont l’accès est certes de plus en plus
facilité mais ne permet pas une mise en relation des savoirs entre eux, et donc d’avoir
une vision globale des tenants et aboutissants des sujets abordés. D’autre part, la
logique économique et commerciale autour de la culture empêche cette construction
tout comme les formes de langages qui se spécialisent d’une sphère à l’autre de la
société. Que dire de l’interrelation avec le citoyen ? « Dés lors, il n’y a aucune
communication avec une culture, aucune aptitude à maitriser la technique : le discours
commun est impossible » (1988, p.274). Egalement, comment construire une culture
technicienne alors que le temps technique très court s’oppose au temps culturel
humain. En effet, pour Ellul, une culture se construit à partir de la vie quotidienne et
« suppose une réflexion critique sur cette dernière, sur les mœurs, sur les rapports […],
réflexion qui suppose une mise à distance de cette vie quotidienne pour l’apprécier et lui
donner une forme culturelle. » (1988, p.276). Or durant cette phase de recul et d’analyse,
la technique aura progressé rapidement et ne fournira plus les mêmes repères
technologiques. Il s’agit enfin de s’interroger sur la place de l’Homme dans ce
Système ainsi que sur sa maitrise sur la Technique. Ellul nous rappelle que « nous
sommes obligés de considérer comme un tout « l’homme dans l’univers technique » » (1988,
p. 93). L’Homme est « dans le système technique, il est lui-même modifié par le facteur
technique » (1977, p. 334). La relation entre l’individu et la technique est fusionnelle,
puisque l’homme qui s’en sert devient de fait à son service, et inversement. Les
hommes sont tellement fascinés par la Technique qu’ils sont animés à la faire
progresser. Il faut également concevoir une forme de plasticité de la matière sociale
et humaine « de façon à se mouler selon les nécessités des nouvelles techniques, et suivre
constamment ce progrès » (1977, p. 247). Par ailleurs, la part de la maitrise de l’Homme
sur la Technique est quasi nulle, puisque la plupart des choix sont conditionnés par
des contraintes sociales et économiques et parce que la multiplication des risques
incontrôlables à diverses échelles ne se dément pas. La technique n’est pas neutre,
c’est-à-dire « qu’en tant que système elle évolue en imposant sa logique » (1988, p. 284).
Dans ce contexte, Ellul rappelle les travaux d’Illich sur la convivialité, de Gorz sur
l’inversion des outils. L’Homme doit réinventer la démocratie pour affirmer sa liberté
14
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et il défend la nécessité d’un accès de l’information à tous afin de permettre que
chacun puisse participer et comprendre les choix de sociétés.
La place de l’Homme et ses moyens d’interventions sur le Système technicien sont
donc à revoir, il apparaît nécessaire de changer les choses dès lors que l’on reconnaît
une responsabilité de la Technique. Ce constat est d’autant plus vrai que dans un
context de finitude des ressource naturelles, la technique aura des conséquences sur
le devenir de nos sociétés. Trois scénarii d’évolution du système technicien sont ainsi
présentés : un blocage volontaire commandité par l’homme lui-même ou un blocage
catastrophique, involontaire, ou bien un freinage progressif. Même si cette dernière
proposition satisferait l’auteur, sa vision est différente. Il imagine « l’accroissement des
déséquilibres et des dysfonctionnements à l’intérieur du système qui entrainera non pas un
freinage mais un désordre par absence de feed-back qui peut produire une décélération de
l’ensemble du système. » (Ellul, 1977, p.292). Dans les années 1970, Ellul affirmait que la
situation était bloquée, et que l’enjeu n’était pas de vouloir se rendre maitre de la
technique, ce qui n’a pas de sens. Par contre, il « s’agit d’être apte à réinsérer dans le
système technicien des informations qualitatives externes susceptibles de modifier le processus
à son origine […] » (Ellul, 1977, p.129).
Dans ses deux ouvrages, Jacques Ellul propose plusieurs leviers pour rendre le
citoyen acteur de ces changements. Le salut de la civilisation serait alors de penser en
termes de Prévoyance en prenant en compte dans la réflexion sur une nouvelle
technique, le pire scénario possible et accepter que cette situation critique soit belle et
bien du domaine du réalisable : « A partir de là, la Prévoyance devra entraîner des
comportements, des institutions, une pédagogie fondés sur la présence du toujours possible
accident de grande étendue » (1988, p. 199). La grande mode de vanter les mérites de la
Participation, n’est pas suffisante pour lui. Elle serait contre-productive puisque
l’individu qui y participerait serait « un homme manipulé, éduqué dans le bon sens par les
médias, recevant des simulacres d’informations, incompétent sur presque tout » (1988,
p.300). Ellul accorde beaucoup plus de poids à la responsabilisation des acteurs
(politiques et techniciens) en mettant en jeu leur patrimoine personnel, ou leur
éligibilité. Dans ce sens il reprend les fonctionnements des républiques romaines.
Dans cette logique de responsabilisation, Ellul défend l’idée de l’action populaire : « la
technique progresse par l’effort de tous » (1977, p. 217). Dés lors, chaque individu est un
citoyen qui doit être capable et en mesure de contrôler les décisions de ses
représentants et qui doit pouvoir attaquer en justice n’importe quelle décision ou
choix politique absurde ou injuste : « Le fait d’être citoyen de ce pays doit être suffisant
comme intérêt » (1988, p. 544). Ce serait le fondement nécessaire pour rendre
responsables les dirigeants.
Si Jacques Ellul consacrera la majeure partie de ses travaux à la technologie,
d’autres écologistes ou philosophes reviendront également sur cette question afin de
souligner son action dominante sur l’homme. Dans son ouvrage Les Dieux de
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
l’Ecologie (1973), René Dubos, auteur du rapport Only One Earth (1972) revient sur le
triomphe de la technologie : « Il est également facile de voir qu’en devenant plus puissante,
chaque technologie a exercé une croissante influence sur la vie humaine, et a modifié
progressivement la forme des civilisations. Toutes les technologies ont été créées pour le
service de l’homme, mais voici que dans bien des cas, l’homme y trouve son maître, ou à tout
le moins l’une des forces maîtresses de son destin » (1973, p. 155). La technologie serait
ainsi devenue une structure sociale hautement intégrée, avec des forces scientifiques,
organisationnelles, économiques et politiques en interrelation si complexe que les
hommes ne sont plus capables d’en saisir les rouages ni de la diriger. Dans son
ouvrage La Convivialité (1973), Ivan Illich part du constat suivant : la crise planétaire
trouverait ses origines dans l’échec de l’entreprise moderne, à savoir la substitution
de la machine à l’homme. Ce grand projet se serait métamorphosé « en un implacable
procès d’asservissement du producteur et d’intoxication du consommateur » (1973, p. 26).
Aux yeux d’Illich, le dogme de la croissance accélérée a justifié la sacralisation de la
productivité industrielle. Or l’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non
d’outillage qui travaille à sa place. Il a également besoin d’une technologie qui tire le
meilleur de l’énergie et de l’imagination personnelle, non d’une technologie qui
l’asservisse et le programme. Illich propose ainsi d’inverser radicalement les
institutions industrielles et de reconstruire la société de fond en comble sur le
principe de la convivialité : « J’entends par convivialité, l’inverse de la productivité
industrielle… Le passage de la productivité à la convivialité est le passage de la répétition du
manque à la spontanéité du don. La relation industrielle est réflexe conditionné, réponse
stéréotypée de l’individu aux messages émis par un autre usager, qu’il ne connaîtra jamais,
ou par un milieu artificiel, qu’il ne comprendra jamais. La relation conviviale, toujours neuve,
est le fait de personnes qui participent à la création de la vie sociale. Passer de la productivité
à la convivialité, c’est substituer à une valeur technique une valeur éthique, à une valeur
matérialisée une valeur réalisée. La convivialité est la liberté individuelle réalisée dans la
relation de production au sein d’une société dotée d’outils efficaces. Lorsqu’une société,
n’importe laquelle, refoule la convivialité en deçà d’un certain niveau, elle devient la proie du
manque, car aucune hypertrophie de la productivité ne parviendra jamais à satisfaire les
besoins créés et multipliés à l’envi » (1973, p. 28).
Le rapport Meadows (1972)
Pour bon nombre d’économistes (Gorz, 1992) ou/et d’écologistes (Deléage, 2010)
s’intéressant à l’histoire de l’écologie politique, deux rapports auraient clairement
établi l’impossibilité de poursuivre dans la voie tracée par le modèle de croissance
16
Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
capitaliste : le rapport Meadows 9 (1972) commandité par le Club de Rome et le
programme de politique écologique britannique publié dans la revue The Ecologist et
intitulé A blueprint of Survival.
Le Club de Rome a demandé en août 1970 au Groupe d’étude de dynamique des
systèmes du MIT d’entreprendre l’étude des tendances d’un certain nombre de
facteurs qui déréglaient la société. Ce groupe a cherché à définir les limites
matérielles qui s’opposaient à la multiplication des hommes et les contraintes
résultant de leurs activités sur la planète. La problématique des auteurs du rapport
Meadows (1972), au titre évocateur « Halte à la croissance10 » fût ainsi définie de la
manière suivante : « Dans ce contexte, partout les hommes sont confrontés à des théories de
problèmes étrangement irréductibles et tout aussi insaisissables : détérioration de
l’environnement, crise des institutions, bureaucratie, extension incontrôlable des villes,
insécurité de l’emploi, aliénation de la jeunesse, refus de plus en plus fréquent des systèmes de
valeurs reconnus par nos sociétés, inflation et autres dérèglements monétaires et
économiques…Ces problèmes en apparence différents ont en commun, trois caractéristiques.
Premièrement, ils s’étendent à toute la planète et y apparaissent à partir d’un certain seuil de
développement quels que soient les systèmes sociaux ou politiques dominants. Deuxièmement,
ils sont complexes et varient en fonction d’éléments techniques, sociaux, économiques et
politiques. Finalement, ils agissent fortement les uns sur les autres et cela d'une manière que
nous ne comprenons pas encore » (1972, p 139). Afin d’obtenir une évaluation générale
de la situation du monde, le groupe du MIT a choisi une méthode analytique
spécifique, mise au point par Forrester (1971), la dynamique des systèmes. Cette
dernière permettrait une représentation graphique ou numérique de toutes les
relations planétaires, en termes facilement compréhensibles. L’objectif principal du
MIT était ainsi la reconnaissance dans un contexte mondial des interdépendances et
interactions de 5 facteurs critiques : explosion démographique, production
alimentaire, industrialisation, épuisement des ressources naturelles et pollution
Le caractère exponentiel de la croissance
Pour les auteurs du MIT, dès que l’on aborde les problème relatifs aux activités
humaines, on se trouve en présence de phénomènes de nature exponentielle. Les cinq
paramètres de l’étude : population, production alimentaire, industrialisation,
pollution et utilisation des ressources naturelles non renouvelables, évoluent selon
une progression géométrique11. La quasi totalité des activités humaines, qu’il s’agisse
Ce rapport a été traduit dans trente langues (dont le français, avec un titre, Halte à la croissance !,
plutôt mal approprié), il fut vendu à 12 millions d’exemplaires, succès confirmé dans sa
réactualisation trente ans plus tard, Limits to Growth, The 30-Year Update (Meadows, Meadows et
Randers, 2004).
10
On peut s’étonner du choix de la traduction française : Limits to growth devenant Halte à la Croissance.
11 Un quantité croît exponentiellement si elle augmente d’un % constant au cours d’un intervalle de
temps donné.
9
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du développement des centres urbains ou de la consommation d’engrais, obéissent à
cette loi. La croissance exponentielle est un phénomène dynamique : elle met en jeu
des éléments qui changent en fonction du temps. Mais, quand plusieurs quantités
différentes en nature croissent simultanément au sein d’un même système, quand en
outre, ces quantités ont entre elles des relations complexes, l’analyse des causes de la
croissance et du comportement ultérieur du système deviennent très difficiles. La
méthode de la dynamique des systèmes « met en évidence les nombreuses relations entre
éléments, formant des boucles avec couplage, et pour certaines à effets décalés dans le temps »
(1972, p 153). Ainsi une boucle positive (boucle d’amplification) apparaît à chaque fois
que l’on rencontre une quantité variant exponentiellement. Cette boucle positive est
en quelque sorte un cercle vicieux (exemple bien connu de la boucle prix-salaires).
Dans une boucle positive, toute séquence de relations de cause à effet aboutit
fatalement à son point de départ : tout accroissement donné à l’un des éléments
quelconque de la boucle amorcera une suite logique de modifications dont le résultat
final se traduira par une augmentation encore plus grande de l’élément de départ.
Une boucle négative a un rôle régulateur. Elle vise à maintenir à un niveau constant
une fonction qui tend à croître ou à décroître. Elle agit donc en sens inverse de la
variation de la fonction
Illustration 1: La croissance de la population humaine obéit à une loi exponentielle
(suite géométrique selon Malthus). La structure du système qui traduit la dynamique
de la croissance de la population est schématisée ci-dessous.
Ce système a deux boucles. Celle de gauche est positive. Elle représente ce que l’on
peut déduire de la courbe de croissance exponentielle observée : étant donnée une
population à taux de natalité constant, plus cette population est élevée, plus le
nombre de naissances annuelles sera élevé. Celle de droite est négative. L’évolution
d’une population est fonction du taux moyen de mortalité lequel reflète l’état global
de santé d’une population. La mortalité tend à réduire l’accroissement de population.
A taux de mortalité constant, un accroissement de la population tend à accroître la
mortalité annuelle en valeur absolue. Un nombre accru de décès diminue la
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population ce qui – toujours à taux de mortalité constant – provoquera l’année
suivante, un nombre de décès inférieur à l’année précédente.
Selon les auteurs du rapport Meadows (1972), l’espérance moyenne de vie, à l’échelle
planétaire, était de 53 ans, et devait croître. En termes de moyennes mondiales,
l’allure de la boucle positive (natalité) ne paraît pas devoir subir de modifications
sensibles. En revanche, les effets cumulatifs dus à la boucle négative (mortalité) vont
être considérablement réduits. Il en résulte un bilan nettement positif qui explique la
croissance exponentielle rapide de la population globale.
Illustration 2 : la production industrielle, second facteur essentiel de l’étude, a connu
une évolution encore plus rapide que la population. En prenant pour base l’indice
100 en 1963, on serait passé de 30 au cours de la décennie 1930-1940 (avec une forte
chute en 1932 et une légère pointe en 1937), à 50 en 1950, 70 en 1958 pour aboutir à
140 en 1968. Le taux de croissance moyen s’est élevé à 7% entre 1963 et 1968, et le
temps de doublement n’a été que de 10 ans (1958-1968). La structure du système qui
traduit l’évolution du capital industriel (biens d’équipement, usines, véhicules,
machines, outils…) se décompose de la manière suivante (figure 4).
L’évolution de ce capital industriel est également régie par deux boucles. Avec un
capital industriel donné, il est possible de produire chaque année une certaine
quantité de produits manufacturés. Une bonne partie des biens produits chaque
année sont des biens de consommation (textiles, voitures…) qui sortent du circuit
(consommation finale). En revanche, une autre partie de la production équivaut à un
apport complémentaire de capital puisqu’elle sert à produire à nouveau (machines à
tisser, laminoirs, machines-outils). Cette dernière partie de la production constitue
les investissements. Ces investissements caractérisent une boucle positive : « Plus le
capital initial est élevé, plus il produit ; plus il produit, plus il permet d’investir et plus il
permet d’investir, plus il s’accroît » (1972, p 159).
Dans ce système, le temps de réponse est le délai nécessaire à la formation de
nouveaux investissements, sources de nouveaux produits. Ce temps de réponse peut
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
parfois être long : c’est une des caractéristiques des investissements à moyen et long
terme. La boucle négative souligne que le capital industriel n’est pas éternel. Il se
déprécie et meurt. Dans ce cas, il est perdu en tant qu’outil de production : « Plus le
capital est important, plus la dépréciation moyenne annuelle est grande et plus grande est la
dépréciation, moins il reste de biens d’équipements l’année suivante » (1972, p 159). Comme
le taux de croissance de la production industrielle est de 7% par an, et que la
population ne s’accroît que de 2%, le caractère dominant de la boucle positive paraît
autoriser l’optimisme. Selon les auteurs du rapport, une simple extrapolation de ces
taux de croissance tendrait à démontrer « que le niveau de vie matériel de la population
mondiale doublera d’ici 14 ans à condition toutefois que cette production soit équitablement
répartie entre les citoyens du monde entier, ce qui est loin d’être le cas. La plus large part de la
croissance économique ne concerne, en fait, que les pays déjà industrialisés pour lesquels le
taux de croissance de la population est relativement faible » (1972, p 160).
Les limites de la croissance exponentielle
La liste des moyens permettant de maintenir la croissance économique et la
croissance de la population jusqu’en 2000 et au delà, peut être divisée en deux
grandes catégories :
- Les moyens matériels indispensables à la satisfaction des besoins physiologiques et
au soutien des activités industrielles : produits alimentaires, matières premières,
combustibles naturels, ainsi que les systèmes écologiques de la planète qui absorbent
les déchets et recyclent les substances chimiques importantes.
- Les nécessités sociales : même si les systèmes purement physiques de notre globe
étaient capables de supporter une population beaucoup plus nombreuse et,
économiquement, beaucoup plus développée, la croissance effective de la population
et de l’économie dépendra de facteurs tels que la paix, la stabilité sociale, l’éducation,
l’emploi et l’évolution contrôlée du progrès technique. Selon les auteurs du rapport
Meadows, ces facteurs « sont plus délicats à évaluer que les facteurs matériels. Ni le
rapport, ni même le modèle global en son état actuel ne peuvent traiter explicitement de ces
données sociologiques » (1972, p 165).
Les produits alimentaires
Les estimations de la FAO à cette époque, faisaient ressortir une carence
fondamentale en calories dans la plupart des nations en voie de développement,
carence liée au manque de protéines. Les études démontraient par ailleurs que la
surface totale de terres susceptibles d’être cultivées n’excédait pas 3,2 milliards
d’hectares (environ la moitié des terres étaient alors cultivées). Pour défricher,
irriguer et fertiliser la seconde moitié, le coût moyen avait été estimé à 1150 $ à
l’hectare. Les auteurs notaient que même si la société acceptait de payer le prix de la
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mise en valeur de nouvelles terres ou d’une amélioration des rendements, un nouvel
accroissement de la population amènerait une nouvelle crise. Chaque crise successive
serait plus dure à surmonter. Toute duplication du rendement de la terre coûterait
plus cher que la précédente (loi des coûts croissants) : « La production de denrées
alimentaire que l’on peut espérer dans l’avenir dépend des terres disponibles, des ressources
en eau douce mais aussi des investissements consacrés à l’agriculture. Ces investissements, à
leur tour, sont liés à une autre boucle positive dominante, celle des investissements globaux »
(1972, p 173).
Les ressources non renouvelables
A partir des estimations d’indices statistiques - S représentant le nombre d’années à
l’issue desquelles les réserves actuellement connues seraient épuisées si la
consommation annuelle des ressources se maintenait au taux actuel ; I correspondant
au temps nécessaire à l’épuisement des réserves globales connues en supposant une
augmentation annuelle du taux de consommation égale au % moyen -, le rapport
Meadows insiste sur le fait que même si l’on tenait compte de facteurs économiques
tels que la hausse des cours, corrélat de la raréfaction, on pourrait voir, que les
réserves de platine, or, zinc seront insuffisantes pour faire face à la demande : «Au
taux actuel d’expansion, l’argent, l’étain et l’uranium pourront manquer avant la fin du
siècle nonobstant la hausse inévitable des prix de revient. En 2050, d’autres gisements de
minerais seront épuisés si la consommation annuelle se poursuit au rythme actuel » (1972, p
173). La croissance exponentielle de la consommation de ressources non
renouvelables serait liée à l’effet conjugué de deux boucles positives : croissance de la
population et croissance des investissements. En outre, l’utilisation exponentielle des
ressources naturelles diminuerait les réserves disponibles.
Illustration : Le rapport Meadows s’appuie sur le chrome pour préciser ses
conclusions. Les réserves connues de chrome étaient évaluées à 775 millions de
tonnes. Le taux d’extraction du chrome était de 1,85 millions de tonnes par an. Si ce
taux était maintenu, les réserves seraient épuisées en 420 ans. La consommation de
chrome augmentant de 2,6% en moyenne par an, les réserves pourraient être
épuisées non pas en 420 ans mais en 95 ans. En supposant que les stocks, par suite de
découvertes miraculeuses, soient 5 fois plus élevés que ne l’indiquent les estimations,
ils seraient épuisés en 154 ans au lieu de 95 ans (année 2014). Enfin, si l’on supposait
qu’à partir des années 70, il était possible de recycler intégralement le chrome utilisé,
et de cette manière, reconstituer les réserves initiales : par suite de l’accroissement de
la consommation, l’épuisement des réserves initiales se produirait au bout de 235
ans.
Interprétation : Au début la consommation annuelle croît exponentiellement et l’on
entame largement les réserves. Pendant un certain temps, les prix restent stables par
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ce que les progrès de la technologie permettent de tirer le meilleur parti des minerais
moins riches. Toutefois, la demande continuant à croître, les progrès techniques ne
sont pas assez rapides pour compenser les coûts croissants qu’imposent la
localisation des gisements moins accessibles, l’extraction du minerai, son traitement
et son transport. Les prix montent, doucement d’abord, puis en flèche. Ces prix plus
élevés incitent les consommateurs à utiliser moins de chrome et à lui substituer dans
la mesure du possible d’autres matériaux. Au bout de 125 ans, les réserves
résiduelles, environ 5% des réserves initiales, ne peuvent fournir le métal qu’à un
prix prohibitif et l’exploitation des derniers gisements est pratiquement abandonnée.
L’influence des paramètres économiques permettrait donc, dans le cas du dernier
modèle plus perfectionné de reculer de 30 ans (125 ans au lieu de 95) la durée
effective des stocks de chrome tels qu’ils ont été évalués en 1970.
Les auteurs font les mêmes projections pour les autres matières, ainsi les réserves
d’aluminium ne dureraient pas plus de 31 ans (en d’autres termes, elles ne devraient
plus exister aujourd’hui), et éventuellement 55 ans si l’on multipliait par 5 le chiffre
du stock actuellement connu. Dans le cas du cuivre, on obtiendrait respectivement 36
et 48 ans. A travers ces exemples, le rapport Meadows conclut « qu’étant donné le taux
actuel de la consommation des ressources naturelles et l’augmentation probable de ce taux, la
grande majorité des ressources naturelles non renouvelables les plus importantes auront
atteint des prix prohibitifs avant qu’un siècle ne se soit écoulé » (1972, p 182). Cette
conclusion ne saurait être remise en cause quelles que soient les hypothèses les plus
optimistes quant aux réserves encore inconnues, aux progrès techniques susceptibles
d’être réalisés, à la découverte de produits de substitution et au recyclage des
matériaux tant que la demande continuera à croître exponentiellement.
La pollution
Les métaux et les combustibles utilisés ne sont jamais perdus. Leurs atomes sont
redistribués et éventuellement dispersés sous forme diluée, et non immédiatement
utilisable, dans l’air, le sol et les eaux de notre planète. Les systèmes écologiques
naturels peuvent en absorber une bonne part. Cependant, si ces déchets sont
produits en très grandes quantités, les mécanismes naturels d’absorption peuvent
être saturés. C’est ainsi que l’on retrouve le mercure dans l’organisme des poissons
de mer, les particules de plomb dans l’air des villes, les coulées de pétrole sur les
plages et des immondices dans les montagnes. Une autre grandeur exponentielle du
système global intervient ici : la pollution. Tous les polluants qui ont pu faire l’objet
de mesures, ont vu leur importance croître exponentiellement avec le temps. Les
polluants issus de l’utilisation croissante de l’énergie, peuvent être estimés d’après le
montant de la consommation individuelle moyenne d’énergie. Cette moyenne
individuelle, à l’échelon mondial, augmentait de 1,3% par an. En tenant compte de la
poussée démographique, on obtient un chiffre de 3,4% par an. Les auteurs notent que
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97% de l’énergie utilisée dans les années 70 provenait de combustibles fossiles :
charbon, hydrocarbures, gaz naturels. Brûlés, ces combustibles laissent échapper
dans l’atmosphère, de l’anhydride carbonique (CO²), environ 20 milliards de tonnes
par an. La loi de concentration de CO² dans l’atmosphère est également exponentielle
(le taux d’accroissement moyen étant de 0,2%).
En vertu des lois de la thermodynamique, la majeure partie de l’énergie utilisée par
l’homme est restituée au milieu ambiant sous forme de chaleur. Venant d’une source
d’énergie autre que le rayonnement solaire, cette chaleur réchauffe l’atmosphère soit
directement, soit par l’intermédiaire des fluides de refroidissement (généralement
l’eau12). L’énergie nucléaire engendrerait, quant à elle, un autre type de polluant : les
déchets radioactifs. L’anhydride carbonique, l’énergie thermique et les déchets
radioactifs ne constituent que trois des éléments perturbateurs que l’homme
introduit dans son environnement à un rythme exponentiel.
Les phénomènes de croissance à l’intérieur du système global
Les 5 grandeurs fondamentales (population, investissements, nourriture, ressources
naturelles et non renouvelables, pollution) sont liées les unes aux autres par un
réseau de relations et de boucles. Ainsi la population plafonne si la nourriture
manque, augmenter la production de denrées alimentaires demande des
investissements, la croissance des investissements implique l’utilisation de
ressources naturelles, l’utilisation de ressources naturelles engendre des déchets
polluants et la pollution interfère à la fois avec l’expansion démographique et la
production alimentaire. Les auteurs du rapport se sont intéressés aux modes
généraux de comportement du système population-investissements. Par modes de
comportement, ils entendent « les tendances aux variations des niveaux (population,
pollution…) en fonction du temps. Une fonction peut croître, décroître, demeurer constante,
osciller ou présenter successivement plusieurs de ces divers caractéristiques » (1972, p 201).
L’objectif est alors de déterminer lequel des modes de comportement est le plus
caractéristique du système global lorsque l’on se rapproche des limites ultimes de la
croissance.
Le réseau des boucles
De nombreuses interactions se produisent entre la population et les investissements.
Une partie de la production industrielle est constituée par des matériels, matériaux
ou produits utilisés à des fins agricoles : tracteurs, canaux ou conduites d’irrigation…
Le montant des capitaux investis dans l’agriculture et la superficie des terres
cultivées ont une influence marquante sur la quantité de nourriture produite. Le
Cette eau de refroidissement est généralement rejetée dans les rivières, on parle alors de pollution
thermique.
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quota alimentaire individuel (quotient de la masse globale de nourriture produite
par le chiffre de la population) agit sur le taux de mortalité. Les activités industrielles
et agricoles peuvent toutes deux être cause de pollution (dans l’agriculture, il s’agit
des polluants tels que les résidus de pesticides, DDT, engrais, dépôts salins résultant
d’une irrigation inadéquate). La pollution peut avoir un effet direct sur la mortalité et
aussi un effet indirect en ce sens qu’elle diminue la production agricole. La figure
suivante insiste sur plusieurs boucles importantes.
Selon l’hypothèse Ceteris Paribus, un accroissement de la population entraînerait
une diminution de la ration alimentaire individuelle moyenne, un accroissement du
taux de mortalité et, en valeur absolue, du nombre des décès à l’intérieur de cette
population, et pourrait conduire à une diminution de la population (boucle
négative). Selon les auteurs du rapport, une autre boucle négative tend à
contrebalancer les effets de la première : «Si la ration individuelle tombe en deçà de la
valeur souhaitée par la population, on aura tendance à accroître la fraction des
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investissements consacrés à l’agriculture, de sorte que la production agricole et par la suite la
ration alimentaire individuelle pourront croître » (1972, p 208)
Les hypothèses du modèle
Les auteurs du rapport Meadows ont cherché à évaluer les conséquences des
variations de la population et des capacités de production sur différentes variables,
en l’occurrence la consommation par tête de ressources naturelles. Il est possible de
calculer la quantité de ressources naturelles consommées chaque année en
multipliant le chiffre de la population par la consommation moyenne de chaque
individu. Cette consommation moyenne n’est naturellement pas une constante. Au
fur et à mesure qu’une population s’enrichit, elle a tendance à consommer davantage
par personne et par an.
La relation entre la richesse (production industrielle par tête) et la demande de
matières premières (consommation par individu) serait exprimée par une courbe non
linéaire. L’historique de la consommation de l’acier et du cuivre aux Etats Unis
semblerait confirmer le sens de cette relation. Au fur et à mesure que s’accroissait le
revenu individuel moyen, la courbe de consommation s’élevait dans les deux cas,
d’abord rapidement, puis lentement. Le palier final vers lequel tend la courbe
signifierait que l’américain moyen aurait atteint le seuil de saturation de biens
matériels. Les augmentations ultérieures de revenus seront toutefois de moins en
moins consacrées aux biens de consommation de ce type, mais de plus en plus aux
services lesquels consomment moins de ressources naturelles.
Les conclusions du rapport
Pour les auteurs du rapport, le système global tendrait inéluctablement vers une
surchauffe suivie d’un effondrement. La cause de cet effondrement est la
disparition de matières premières. A partir du moment où les investissements
nécessaires pour maintenir un certain niveau de production ne peuvent plus
compenser la dépréciation du capital, tout le système de la production industrielle
s’effondre et entraîne l’effondrement des activités agricoles et des services dépendant
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
de la production industrielle. Pendant un certain temps, la situation est extrêmement
dramatique, car la population, compte tenu du temps de réponse relativement long,
continue à croître. Un réajustement progressif, mais vraisemblablement à un niveau
plus bas ne pourra se produire qu’après une période de recrudescence de la mortalité
par suite de carence alimentaire et de détérioration des conditions d’hygiène et de
prophylaxie : « Cela nous permet d’affirmer avec une quasi-certitude que, au cas où aucun
changement n’interviendrait dans notre système actuel, l’expansion démographique et
l’expansion économique s’arrêteraient au plus tard au cours du siècle prochain (avant l’an
2100, précisera le rapport) » (1972, p 232). Le système s’effondre par suite d’une
pénurie de matières premières. Qu’adviendrait-il si le stock des matières premières
avait été sous-évalué ? Les auteurs du rapport sont formels : c’est le niveau de la
pollution qui serait la cause essentielle de l’arrêt de la croissance. Le taux de
mortalité monte rapidement sous l’action conjointe des polluants et du manque de
nourriture. A la même époque, les ressources s’épuisent dangereusement, bien que
les réserves initiales aient été doublées, tout simplement parce que quelques années
supplémentaires de consommation suivant une loi exponentielle ont été suffisantes
pour accélérer leur disparition : « L’avenir de notre monde sera-t-il caractérisé par une
croissance exponentielle suivie d’un effondrement ? Si nous nous contentons de l’hypothèse
selon laquelle rien ne sera changé à la politique actuelle, cela deviendra une certitude » (1972,
p 234).
A Blueprint of Survival (1972)
Ce rapport coordonné par Edward Goldsmith, Robert Allen, Michael Allaby, John
Davull et Sam Lawrence (1972) a été traduit en français sous le titre évocateur :
« Changer ou disparaître : plan pour la survie ». Dans la préface de l’édition anglaise, les
auteurs du rapport précisent qu’ils ont été conduits à le rédiger pour quatre raisons :
(i) l’examen objectif des informations disponibles sur la situation de la Terre. Ainsi,
sauf renversement de la tendance en cours, l’effondrement de la société est
inévitable, nous pourrions y assister à la fin du XXe siècle ; (ii) le manque de volonté
politique des gouvernements à cerner la gravité de la situation, la plupart tendant
même à minimiser les résultats scientifiques ; (iii) le souhait de relayer le travail
réalisé par le Club de Rome (rapport Meadows) et d’en tirer des conséquences pour
l’Angleterre ; (iv) la conviction qu’un tel mouvement doit inspirer une nouvelle
philosophie de la vie, susceptible de réconcilier l’homme avec son environnement.
Notons que ce rapport se présente sous la forme d’un véritable programme de
politique écologique et qu’il est signé par de grands scientifiques anglais, on peut
citer le prix Nobel Macfarlane Burnet (Université de Melbourne), le prix Nobel Peter
Medawar (Medical Research Council), le professeur de génétique Douglas Falconer
(Université d’Edimbourg), le professeur d’économie politique, E. Mishan (London
School of Economics), le directeur de l’Institute of Environmental Sciences, J. Rose …
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
Le rapport est divisé en trois parties. La première partie reprend en quelques
pages les grandes conclusions du rapport Meadows. Les auteurs insistent sur la
nécessité d’un changement radical et les causes du mal, à savoir la croissance aussi
bien de la population dans son ensemble que de la consommation par habitant : « the
present increases in human numbers and per capita consumption, by disrupting ecosystems
and depleting resources, are undermining the very foundations of survival » (1972, p. 2). Les
conséquences de la croissance exponentielle doivent être prises en considération, E.
Goldsmith et al. n’hésitent pas à s’appuyer sur les propos de J.J Forrester afin que ses
lecteurs comprennent bien la gravité de la situation : « pure exponential growth
possesses the characterictic of behaving according to a doubling time. Each fixed time interval
shows a doubling of the relevant system variable. Exponential growth is treacherous and
misleading. A system variable can continue though many doubling intervals without seeming
to reach significant size. But then in one or two more doubling periods, still following the
same law of exponential growth, it suddenly seems to become overwhelming » (1972, p. 3). Si
nous ne parvenons pas à renverser la tendance, les auteurs prophétisent la rupture
des écosystèmes (bien que l’écologie soit une science jeune, elle est en mesure de
formuler tout un ensemble de lois, à commencer par celle qui concerne la
prévisibilité de l’environnement) ; une crise alimentaire (« according to the FAO, at
present rates of expansion none of the marginal land that is left will be unfarmed by 1985 »,
1972, p. 4) ; l’épuisement des ressources (les auteurs considèrent même que des
sources illimitées d’énergie seraient plus à craindre qu’à souhaiter, puisque l’énergie
est nécessairement polluante et que finalement nous serions débordés par nos
déchets thermiques) et l’implosion sociale13 (les pays développés ont un niveau de
consommation disproportionné, à moins d’un changement radical, il n’y a aucune
chance pour que les pays en développement ne puissent améliorer de façon sensible
leur niveau de vie).
La deuxième partie cherche à apporter une réponse à l’ensemble de ces maux. Les
auteurs proposent de créer une société viable (sustainable) à long terme, et qui assure
à chacun le plus de satisfaction possible : « Such a society by definition would depend not
on expansion but on stability. This does not mean to say that it would be stagnant – indeed it
could be well afford more variety than does the state of uniformity at the present being
imposend by the pursuit of technological efficiency » (1972, p. 6). Pour parvenir à cette
société stable, Goldsmith et al. notent qu’il convient de respecter quatre conditions:
(1) générer le moins de perturbations possibles dans les processus écologiques ; (2)
conserver des quantités maximales de matières premières et d’énergie ; (3) maintenir
une population à son taux de remplacement ; (4) définir un système social tel que
chacun puisse voir dans les trois premières conditions des sources de satisfaction,
13 A nos yeux, ce scénario est le plus réaliste, il s’appuie sur une exaspération (pression du modèle
capitaliste assujetti au dogme de la productivité et de l’économie du travail) et une frustration (des
écarts de plus en plus importants entre ceux qui peuvent consommer les biens déversés par les
marchés et ceux qui ont du mal à assouvir les besoins essentiels) des citoyens.
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
plutôt que des contraintes. Pour satisfaire ces conditions, cette stratégie de
reconversion doit opérer sur plusieurs axes :
- des opérations de régulation visant à réduire les perturbations de l’environnement
(pesticides, engrais, ordures ménagères, déchets industriels) par des moyens
techniques ;
- des opérations de blocage des tendances actuelles et une conversion à une économie
de stock (gestion des ressources, prise en compte des ressources génétiques,
comptabilité sociale) ;
- des mesures « improvisées » destinées à remplacer les facteurs les plus dangereux
et à se substituer aux technologies dommageables à court terme ;
- un retour systématique aux processus naturels ou autorégulateurs ;
- la mise au point de nouvelles technologies cherchant à conserver l’énergie et les
matières premières au maximum
- une décentralisation économique et politique à tous les niveaux,
- l’éducation en vue de toutes les communautés.
En soumettant ces propositions, leurs auteurs sont bien conscients que le
changement ne se fera en un jour cependant le temps est compté (la croissance
exponentielle continue à faire des ravages) et c’est à ce prix qu’il sera possible de
réduire le chômage et nos dépenses en capital : « We believe it possible to change from an
expansionist society to a stable society without loss of jobs or an increase in real expenditure.
Inevitably, however, there will be considerable changes, both of geography and functions, in
job availability and the requirements for capital inputs » (1972, p. 8).
Les auteurs peuvent insister dans la troisième et dernière partie sur le message
délivré et l’objectif qu’il convient d’avoir en ligne de mire : la société stable doit nous
apporter des satisfactions qui feront plus que compenser celles de l’état industriel
(qui ne vit qu’à travers le jeu de la croissance économique). Selon Goldsmith et al., le
programme d’écologie politique reposerait ainsi sur une demande sociale et
culturelle, il est fondé sur l’extrême urgence de la situation, scientifiquement
démontrable (ce qui explique l’interrelation entre l’écologie scientifique et l’écologie
politique) et doit déboucher sur une rupture à la fois avec la société industrielle et
son dogme de la croissance : « In a stable society, everything would be done to reduce the
discrepancy between economic value and real value, and if we could repair some of the
damage we have done to our physical and social environment, and live a more natural life,
there would be less need for the consumer products tha we spend so much money on. Instead,
we could spend it on things that truly enrich and embellish our lives » (1972, p. 21).
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
Le rapport non officiel de la Conférence des Nations Unies sur
l’environnement humain (1972)
L’ouvrage de Barbara Ward et René Dubos14, Nous n’avons qu’une terre, aurait pu
passer inaperçu - notamment face au Rapport Meadows (1972) - s’il n’avait été
commandité par le secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur
l’Environnement Humain (CNUE), Maurice Strong15 (2001). Il s’agit du rapport de
base (bien que « non officiel ») rédigé par un groupe d’experts pour le premier
sommet de la Terre de Stockholm (1972). Parmi les conseillers qui ont bien voulu
accepter de collaborer à cet ouvrage, on note la présence d’Arthur Lewis (professeur
d’économie politique à l’Université de Princeton), Gunnar Myrrdal (professeur
d’économie internationale à l’Institut d’études économiques internationales de
l’Université de Stockholm), Paul Prebisch (Directeur général de l’institut latinoeuropéen de planification économique et sociale), Jan Tinbergen (Professeur de
planification du développement à l’Ecole d’économie de Rotterdam)…
L’ouvrage est divisé en quatre parties, l’une d’entre elle est entièrement consacrée
aux « problèmes de la technologie ». Barbara Ward et René Dubos y abordent
notamment la question de l’évaluation des coûts de la pollution. Ils notent à juste
titre que certains coûts relativement élevés finissent par incomber à la collectivité,
faute d’imputations individuelles : « les organisme industriels modernes n’englobent pas
toujours dans leurs coûts les faux-frais découlant de la production ou de la distribution, tels
que l’émission d’effluents dans l’atmosphère, ou la surcharge du terrain par des déchets
imposants, ou encore l’absence de toute taxation pour l’éventuelle évacuation des résidus »
(1972, p. 94). Ceci est d’autant plus vrai que les problèmes de pollution impliquent
une vue générale sur la question et de nombreux correctifs.
Si les polluants sont directement liés au secteur industriel (chimique, électrique,
automobile, agricole…), ils sont surtout le résultat d’une avancée de la technique
(substances chimiques de plus en plus toxiques, économies d’échelle dans les stations
génératrices d’énergie) et d’une évolution de la société, celle de la mobilité
individuelle (la place de la voiture) et des loisirs. Au point d’envisager l’homme
moderne comme une espèce nouvelle de centaure mi-homme, mi-automobile : « c’est
l’haleine chargée de sa moitié motorisée qui pollue l’atmosphère, envahit les poumons et
contribue à la présence de brouillard dans les villes » (1972, p. 97). Mais la pollution ne se
René Dubos est également l’auteur d’un ouvrage intitulé « Courtisons la terre » (1980) dans lequel il
défend une approche anthropocentrique : « [le propos de ce livre ] est de désigner l’interaction, simple
d’abord, qui s’exerce entre nous, êtres humains, et l’environnement que nous modifions en fonction de nos
besoins et de nos caprices, mais aussi l’interaction réciproque qui veut ensuite que la terre modifiée retentisse à
son tour profondément sur notre personnalité » (1980, p. 105).
15 Maurice Strong est également l’auteur d’un ouvrage intitulé Ainsi va le monde (2001), dans lequel il
expose – entre autre - la lente progression de la prise en compte de l’environnement dans les
discussions internationales.
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réduit pas à un simple rejet de produits toxiques dans la nature, elle traduit
également notre ignorance vis à vis des usages que l’on fait des produits et nous
incite à une recherche plus poussée. Barbara Ward et René Dubos illustrent leurs
propos en reprenant le cas des pesticides, et notamment l’ouvrage Printemps
Silencieux de Rachel Carson (1962) qui a révélé les conséquences de l’utilisation
abusive de certains hydrocarbures chlorurés, dont le DDT est le plus célèbre. Les
auteurs insistent surtout sur les retombées de cette affaire : « Dans son livre, Rachel
Carson revient encore et toujours à la charge pour une science meilleure, une recherche plus
poussée, une information plus adéquate, concernant l’usage des pesticides et leur
conséquences. Par suite de son plaidoyer et en partie à cause de lui, on a poussé la recherche
beaucoup plus en avant. Ce qui a aboutit à un tableau extrêmement complexe, qui justifie
pleinement le procès fait à l‘ignorance et à l’usage abusif des pesticides » (1972, p. 108). La
pollution de l’eau (à l’image de ce qui s’est passé dans la Baie de Minamata au Japon)
constitue également un enjeu important surtout lorsqu’elle est liée à l’accroissement
constant de notre demande d’énergie. L’eau utilisée comme refroidisseur des centres
de production d’énergie est généralement reversée dans les fleuves, provoquant
l’augmentation de leur température et modifiant l’écosystème aquatique.
Ces pollutions engendrent une certaine responsabilité (la société a une note à payer)
vis à vis de la nature. Un moyen d’y remédier consisterait à fixer des critères
techniques pour les émanations (montant tolérable). Un autre serait d’imposer une
contribution nationale. Pour les auteurs, les citoyens vont devoir apprendre à payer
pour l’aménagement de l’environnement, un service qui était autrefois offert
gratuitement par la nature. Le problème réside cependant dans le respect d’une
certaine équité. La hausse des impôts destinée à compenser les phénomènes de
pollution risque en effet de peser sur le pauvres et d’augmenter certains prix de
consommation (notamment l’énergie).
A côté des pollutions environnementales, la gestion des déchets constitue un autre
enjeu important. Barbara Ward et René Dubos notent que ces déchets sont avant tout
des sous-produits de notre mode de vie. Or la tendance est d’étendre les tâches
industrielles au sein des zones urbaines et les procédés de la technologie industrielle
à des recherches agricoles. Les déchets posent plusieurs questions : leur évacuation
(ordures ménagères), leur élimination (décharges publiques, poids des déchets
solides), leur recyclage (ramassage des boîtes en aluminium)… Les solutions existent.
L’incinération est un procédé d’évacuation que l’on peut intégrer à une approche
symbiotique plus globale. Les auteurs citent l’exemple de la ville de Düsseldorf : « un
nouveau type d’incinérateur… dessert 700 000 personnes et rapporte un revenu de 3.40
dollars par tonne de rebut traitée. On fait payer aux usagers industriels 3 dollars par tonne de
déchets entassés. La vapeur qui provient de la combustion est vendue à d’autres secteurs de la
ville afin d’être utilisée pour le chauffage ; les détritus ferreux récupérés sont également
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
commercialisés, de même que les cendres qui servent au colmatage du sol ou à la formation
d’agrégats à usages industriels ou ménagers tels que les parpaings » (1972, p. 140).
L’équilibre des ressources est un autre sujet qui intéresse Barbara Ward et René
Dubos. Il s’agit notamment d’estimer trois facteurs, le taux de croissance
démographique, l’importance prévisible de la consommation totale et la quantité de
ressources disponible, qui lorsqu’ils sont combinés, ont une incidence sur l’empreinte
écologique. Le problème démographique largement associé aux pays sousdéveloppés peut être ainsi présenté sous un angle nouveau : la régulation des
naissances consiste désormais à réduire la population au nombre d’individus que la
planète est capable de faire vivre. Cette pression exercée par les populations envers
les ressources naturelles et les services écologiques fournis par la nature est
différente d’un pays à l’autre, notamment d’un pays riche par rapport à un pays
pauvre. La conclusion à laquelle parviennent les auteurs est sans appel : « un bébé
américain qui exigera 1 million de calories en nourriture et 13 tonnes de charbon par an
durant une vie moyenne de 65 ans dépensera les biens de consommation de la biosphère au
moins 500 fois plus vite qu’un bébé indien dont l’espérance de vie est de 50 ans et qui ne
consommera pas plus d’un demi million de calories et pour ainsi dire pas d’énergie sauf celle
qu’il produira lui-même à partir de ces calories. La brusque élévation du nombre de bébés
indiens change naturellement le calcul. Mais si notre but est d’éliminer un surpeuplement
insupportable de la planète, la politique des naissances dans les sociétés de consommation
élevée de manière à y stabiliser le chiffre de la population » (1972, p. 189).
Cette pression de la consommation des pays développés sur l’environnement pose
manifestement deux problèmes. Il s’agit d’une part de savoir s’il existe une limite
biologique des désirs humains, en d’autres termes, y a-t-il un seuil au-delà duquel
les désirs sont satisfaits ? Selon Barbara Ward et René Dubos, nous ne l’avons pas
encore atteint - « Le niveau de vie proposé à la société est encore le luxe des très riches, dont
toute le monde est informé par la télévision » (1972, p. 191). Il convient d’autre part d’en
cerner les conséquences en matière d’énergie. Bien que les sources d’énergie sont
interchangeables et qu’elles vérifient généralement l’hypothèse de substitution des
facteurs de production (« Si l’une d’entre elles se raréfie et que son prix commence à
s’élever, une contrainte importante est imposée aux techniques qui l’utilisent alors plus
parcimonieusement et la remplacent par d’autres sources », 1972, p. 197), les auteurs
rappellent qu’elles ne sont pas toutes inoffensives. L’énergie nucléaire issue de
l’arme atomique repose sur une technologie qui risque de causer un préjudice
irréversible aux générations futures. La seule attitude à avoir vis à vis de ce feu de
Prométhée , c’est l’extrême prudence et le respect du principe de responsabilité.
Pour conclure sur la question environnementale, Barbara Ward et René Dubos
n’hésitent pas à confronter plusieurs thèses en présence. D’un côté, ceux qui
considèrent que la seule façon de préserver l’environnement consisterait à ralentir le
progrès technique, à modifier notre consommation et à redéfinir les véritables
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
agréments de la vie : « Si, concluent les critiques, notre poursuite des biens de
consommation était moins passionnée, notre obsession des nouveautés et des gadgets moins
grande, et notre usage de l’énergie plus modéré, nos problèmes seraient peu à peu simplifiés
du simple fait de réfréner régulièrement nos tendances à dépenser de plus en plus et à polluer
encore davantage » (1972, p. 214). De l’autre, ceux qui font de l’innovation et de la
concurrence, les deux stimulants du système économique. Les supprimer
équivaudrait à porter atteinte aux plaisirs de l’individu. Selon nos auteurs, ces deux
positions souffrent l’une et l’autre d’une importante lacune : l’absence d’un véritable
programme visant à résoudre les problèmes environnementaux et ceux de la
croissance économique. Au final, la croissance et l’environnement ne seraient pas
antinomiques16. Barbara Ward et René Dubos entrevoient une lueur d’espoir, encore
faut-il que les nations développées aient le courage de modifier leur modèle : « Si la
population se stabilise, qu’on répare les injustices fondamentales, qu’on impose les pollueurs,
qu’on développe les techniques nouvelles non polluantes, si l’on ralentit la course aux
armements et qu’on persuade les citoyens, par l’éducation et par l’exemple, de recourir
davantage à des plaisirs qui ne font pas appel aux ressources de la production, alors que les
sociétés peuvent encore se développer, et cependant préserver et mettre en valeur leur
environnement » (1972, p. 220).
L’écologie politique, un projet scientifique de refondation de la
science économique
Le concept de sustainable development (en anglais) ou de développement durable (en
français), popularisé par le Rapport Brundtland17 (1987) et le sommet de Rio (1992),
est aujourd’hui présent dans tous les débats et mobilisé lors de nombreuses causes
(réchauffement climatique, préservation de la biodiversité, recyclage des déchets…).
On rappelle qu’il s’agit d’un développement qui « répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont
inhérents à cette notion : le concept de besoins, et plus particulièrement des besoins essentiels
des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations
Barbara Ward et René Dubos reviennent sur la mesure du bien être. Ils proposent notamment de
combiner une conception de la qualité de vie avec la notion de croissance : « D’ici dix ans, nous ferons
entrer en ligne de compte dans notre concept du produit national brut aussi bien les jeunes garçons qui nagent
dans le Delaware ou la Volga que les journées gagnées au profit de l’industrie sur la bronchite et le rhume de
cerveau, les teintures et les vêtements qu’on aura plus besoin de faire nettoyer , le nombre de journées sans
brouillard dans les grandes villes, la bonne forme physique et la sérénité qui découleront de la promenade pour se
rendre à son travail dans un environnement sympathique, la diminution des dépenses de police et de prison,
l’importance grandissante des loisirs ; et les gens recommenceront à prendre plaisir à s’asseoir sur les bancs
publics, à voir s’animer les parcs où l’on jouera de la musique pop ou du Bach, à se promener à la campagne ou
dans les lieux plus sauvages qui feront l’objet de soins et de mesures de protection » (1972, p. 219).
17 Il s’agit plus précisément du Rapport de la Commission mondiale pour l’environnement et le
développement (CMED) intitulé « Notre avenir à tous ».
16
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de
l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir».
Ce que l’on sait moins, c’est que durant la même période, la Conférence de Rome
(1991) avait pris connaissance d’un texte de Nicholas Georgescù-Roegen (NGR), dans
lequel on trouve une critique virulente « de la nouvelle doctrine internationale du
développement durable » (Grinevald, 2005, p. 52), qualifiée de « charmante berceuse ».
Reprenant la distinction entre croissance et développement chère à son Maître Joseph
Schumpeter, NGR insistait sur le fait qu’il ne pouvait y avoir, à l’échelle écologique
globale du monde fini de la biosphère, de croissance mondiale durable. Dès lors, le
développement durable ne devait pas se réduire à un simple champ de
connaissances ou à une philosophie de l’action (analyse des enjeux et préconisation
de remèdes), mais entraîner une véritable refondation de la science économique.
Ce nouveau paradigme, que NGR (1975) qualifie de bioéconomie, se situe au carrefour
de la vision thermodynamique et biologique du monde, « la thermodynamique parce
qu’elle nous démontre que les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement, la Biologie
parce qu’elle nous révèle la vraie nature du processus économique » (NGR, 1978, p. 353).
Depuis ses premiers travaux économiques (1951, 1954) jusqu’à ses plus récents
(1995), Nicholas Georgescù-Roegen n’a cessé de s’interroger sur les représentations
analytiques des économistes. Cette quête se trouve au cœur de la critique développée
dans son premier ouvrage, Analytical Economics : Issues and Problems (1966), puis de
son oeuvre capitale, The Entropy Law and the Economic Process (1971). Ces travaux
marquent un retour de l’évolutionnisme en amorçant la construction d’une
conception du temps à partir de la thermodynamique et en développant une analyse
de la technologie par analogies avec la biologie.
Thermodynamique, loi de l’entropie et temps irréversible
En s’attaquant aux concepts forgés par la théorie néoclassique, NGR a été amené à
porter son attention sur la fonction de production. Cette dernière habituellement
représentée par une relation technique (combinaison des facteurs de production) ne
décrirait aucune réalité physique. Afin de rompre avec cette approche, NGR
introduira la notion de processus, à savoir de transformation contrôlée de la nature
qui se déroule dans un certain contexte organisationnel, lui-même inscrit dans un
contexte socio-historique particulier (Dannequin, Diemer, 1998a). Les machines à
produire que sont l’usine et l’exploitation agricole (NGR, 1969) seront ainsi étudiées
de concert, chacune permettant de mettre en lumière les caractéristiques de l’autre,
tant sur le plan de la transformation de la nature qu’elles induisent que sur le plan
des contextes culturels et sociaux dans lesquels elles s’enracinent (Dannequin,
Diemer, 1998b, 1999). NGR exposera avec une clarté remarquable l’erreur
fondamentale de la pensée économique occidentale, à savoir l’approche mécano-
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
descriptive des modèles standards qui réduisent l’essence de tous les phénomènes à
certains mouvements réversibles. Le processus économique, appréhendé à partir
d’une relation entre la physique et l’économie, doit être conçu sur une base
matérielle, laquelle se trouve assujettie à une série de contraintes : « The economic
process is solidly anchored to a material base which is subject to definite constraints. It is
because of these constraints that the economic process has a unidirectional irrevocable
evolution » (NGR, 1976, p. 56). Un processus matériel ne produit ni ne consomme de
la matière énergie, il se limite à l’absorber pour la rejeter continuellement. Dès lors,
ce qui entre dans le processus économique consiste en des ressources naturelles de
valeur, et ce qui en sort prend la forme de déchets sans valeur.
Cette transformation qualitative, précise NGR, ne peut être appréhendée que par
la thermodynamique, une branche de la physique. La thermodynamique est née d’un
mémoire de Sadi Carnot sur l’efficacité des machines à vapeur (1824). Un des
résultats importants de ce mémoire a été d’obliger la physique à reconnaître pour
scientifique un fait élémentaire reconnu depuis longtemps, à savoir que la chaleur se
déplace toujours d’elle-même des corps chauds aux corps froids. Comme les lois de
la mécanique ne peuvent expliquer un phénomène unidirectionnel et irréversible, il a
fallu créer une nouvelle branche de la physique utilisant des explications non
mécanistes. Ainsi, souligne NGR, « il y aurait deux temps, un temps réversible dans lequel
les phénomènes mécaniques prennent place, et un temps irréversible relié aux phénomènes
irréversibles » (NGR, 1971, p. 71). Toutefois, ce qui interpelle NGR dans le travail de
Carnot, c’est sa dimension économique. En cherchant à déterminer les conditions
dans lesquelles on peut obtenir un rendement de travail mécanique maximum à
partir d’une quantité de chaleur donnée, Carnot aurait introduit les bases d’une
relation entre le processus économique et les principes thermodynamiques. Ainsi
« aussi extravagante que cette thèse puisse apparaître prima facie, la thermodynamique
[serait] en grande partie une physique de la valeur économique » (NGR, 1969, p. 94).
NGR s’appuiera sur la thermodynamique, et plus précisément sur la loi de
l’entropie, afin de pourfendre le dogme mécanique et reconstruire la théorie
économique : « irreductible opposition between mechanics and thermodynamics stems from
the Second Law, the Entropy Law » (NGR, 1976, p. 7). Le premier principe de la
thermodynamique nous enseigne que lors de toute transformation, l’énergie est
conservée 18 (conservation quantitative). Toutefois sa forme et sa disponibilité
(dissipation qualitative) ont changé. L’énergie libre et utilisable par l’homme se
dissipe jusqu’à se transformer en chaleur – la forme la plus dégradée de l’énergie –
cette énergie liée devient si diffuse qu’elle ne peut plus être utilisée par l’homme
(Vivien, 1994). Ce deuxième principe de la thermodynamique, principe dit de
Carnot-Clausius, est encore appelé loi d’entropie. En établissant l’irréversibilité des
18
Alfred Marshall (1924, p. 63) a évoqué le fait que l’homme ne puisse créer ni matière, ni énergie.
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
phénomènes physiques, en particulier lors des échanges thermiques, la loi de
l’entropie décrit une loi à laquelle on ne peut échapper, d’où l’insistance de NGR sur
le caractère irrévocable de cette évolution : « La loi de l’entropie occupe une place unique
dans les sciences de la nature, c’est la seule loi physique qui reconnaisse que l’univers matériel
lui-même est soumis à un changement qualitatif irréversible, à un processus évolutif » (NGR,
1995, p. 83). NGR a fait beaucoup pour la reconnaissance de la loi de l’entropie. Il est
même intervenu directement dans les controverses scientifiques en étendant cette loi
à la matière et en formulant une quatrième19 loi de la thermodynamique : « dans un
système clos, l’entropie de la matière tend continuellement vers un maximum » (NGR, 1978,
p. 361). A la suite de ces phénomènes thermodynamiques, NGR sera amené à tirer
plusieurs conclusions. Tout d’abord, le processus économique est par nature
entropique. La transformation des ressources naturelles en déchets traduirait le
passage d’un état de basse entropie à un état de haute entropie. La lutte économique
de l’homme se concentrerait ainsi sur la basse entropie de son environnement.
Cependant, note NGR, le véritable produit du processus économique n’est pas un
flux matériel de déchets mais bien un flux immatériel qu’il qualifie de joie de
vivre (enjoyment of life): « la valeur économique ne pourrait se réduire à un seul élément
physique… car cette valeur dépend aussi de la valeur de nos besoins impératifs, de nos goûts
acquis, et de l’effort de notre travail - éléments qui ne peuvent être identifiés à de simples
transformations physiques » (NGR, 1978, p. 370). L’accent est ainsi mis sur la vie (tandis
que l'entropie, c'est la mort). Tous les êtres vivants luttent contre l'entropie : « The
first lesson is that man’s economic struggle centers on environnemental low antropy » (NGR,
1971, p 56). Ils sont, pour reprendre l'image d'Erwin Schrödinger (1945), des sortes de
démons de Maxwell qui, au travers de leur métabolisme, capturent de la basse
entropie pour produire de la néguentropie (Brillouin, 1956).
Ensuite, la basse entropie de l’environnement est rare et sa destruction est
irrévocable. La thermodynamique nous explique que les choses sont rares, parce que
d’une part, la quantité d’entropie faible inclue dans notre environnement décroît
continuellement et inévitablement, et parce que d’autre part, nous ne pouvons
utiliser qu’une seule fois la quantité donnée d’entropie faible. Ainsi la loi de
l’entropie est « la racine de la rareté économique. Si cette loi n’existait pas, nous pourrions
réutiliser l’énergie d’un morceau de charbon à volonté, en le transformant en chaleur, cette
chaleur en travail, et ce travail de nouveau en charbon » (NGR, 1979a, p. 51). Pour NGR, le
fait que la vie économique se nourrisse de basse entropie, a des répercussions
importantes en matière de théorie économique. Il existe un lien ancestral entre
entropie basse et valeur économique. La théorie de la valeur ne renvoie plus à un fait
relatif (la valeur d’échange exprimée en monnaie, c'est-à-dire un prix) mais bien à un
fait brut (matériel). L’utilité n’est plus la cause de la valeur économique d’un objet, la
Le troisième principe de la thermodynamique, appelé théorème de Nernst (1906) stipule que
« l’entropie d’un système quelconque peut toujours être prise égale à zéro à la température du zéro absolu ».
19
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faible entropie devient désormais une « condition nécessaire pour qu’une chose soit
utile » (NGR, 1969, p. 96). Dans ces conditions, le processus économique,
généralement associé à la multiplication des utilités rares, oblige les hommes à
inventer les moyens susceptibles de mieux capter la basse entropie. Grâce à sa
maîtrise de l’énergie, l’homme est capable de faire croître sa puissance productive.
Jacques Grinevald (1993, p. 13) parle de « révolution thermo-industrielle ».
Finalement, NGR tirera les conséquences à la fois économiques, sociales et
techniques des caractéristiques de la dot de l’humanité en basse entropie. D’une part,
le fait de puiser constamment dans les ressources naturelles n’est pas sans incidence
sur l’histoire, il constituerait même l’élément le plus important du destin de
l’humanité : « Man’s continuous tapping of natural resources is not an activity that makes
no history. On the contrary, it is the most important long-run element of mankind’s fate »
(NGR, 1976, p. 56). Les guerres, les explorations et les migrations ont souvent été
liées à la richesse de la dotation des différents peuples en ressources naturelles. Il
serait ainsi possible de s’interroger sur la possible substitution de la lutte des classes
par la loi de l’entropie et l’exploitation des matières premières comme moteur de
l’Histoire. D’autre part, le rythme de prélèvement des ressources naturelles dépend
exclusivement du choix des individus, ainsi « we could exhaust all the known stocks of
oil within one year if we wanted to do so and make ours plans accordingly » (NGR, 1969a, p.
524). C’est cette liberté qu’a l’individu d’utiliser à volonté les ressources naturelles,
qui serait responsable du spectaculaire progrès de la technologie. Il existerait ainsi
une relation de cause à effet entre l’exploitation intensive de la basse entropie et
l’essor des innovations technologiques.
Biologie, technologie, division du travail
Si les lois de la thermodynamique constituent chez NGR des « méta lois » auxquelles
les hommes ne peuvent échapper (De Gleria, 1995), celles de la biologie vont s’avérer
déterminantes sans être déterministes. En effet, comme toutes les autres espèces
naturelles, l’homme a toujours utilisé ses organes biologiques afin de puiser de la
basse entropie dans l’environnement : « The truth is that every living organism strive
only to maintain its own entropy constant. To the extent to which it achieves this, it does so
by sucking low entropy from the environment to compensate for the entropy to which, like
every material structure, the organism is continuously subject. But the entropy of the entire
system -consisting of the organism and its environment- must increase. Actually, the entropy
of a system must increase faster if life is present than if it is absent » (NGR, 1976, p. 55). De
tels organes propres à chaque espèce vivante, sont selon la terminologie d’Alfred
Lotka (1945), des organes endosomatiques. Mais progressivement, les êtres humains
se sont distingués de la plupart des animaux en faisant appel à d’autres instruments
qualifiés d’exosomatiques : « The one outstanding exception is the human species. Here
evolution, especially in more recent times, has followed an entirely new path. In place of slow
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
adaptation of anatomical structure and physiological function in successive generations by
selective survival, increased adaptation has been achieved by the incomparably more rapid
development of « artificial » aids to our native receptor-effector apparatus, in a process that
might be termed exosomatic evolution » (Lotka, 1945, p. 188).
Avec ces organes détachables, principalement des outils et des équipements
techniques l’espèce humaine est parvenue à accomplir de nombreuses réalisations.
Les organes exosomatiques sont même devenus aussi vitaux que les organes
endosomatiques ; les hommes en sont largement dépendants voire intoxiqués. Le
processus économique apparaît ainsi comme une extension de l’évolution
endosomatique, en d’autres termes, comme la continuation de l’évolution biologique
: « The institutions of the market, money, credit and enterprises of all sorts emerged in
response of the progressive évolution of the exosomatiques nature of homo sapiens. Mankind’s
mode of existence is dominated neither by biology nor by economics. It is instead a complex
bio economic web, and in this web the crucial factor is production - the mushrooming
production of exosomatic instruments» (NGR, 1986, p. 249). Ce point est fondamental car
il est à l’origine de l’approche bioéconomique du processus économique : «the term is
intented to make us bear in mind continuously the biological origin of the economic process
and thus spotlights the problem of mankind existence with a limited store of accessible
resources, unevenly located and unequally appropriated » (NGR, 1977b, p. 361).
En nous révélant la vraie nature du processus économique (le processus
économique serait une continuation du processus biologique), la biologie permet de
tirer une série de conséquences plus ou moins fâcheuses et irrémédiables pour
l’humanité :
- La première souligne l’état de dépendance du genre humain vis à vis du confort
offert par les organes exosomatiques, mais également vis à vis du plaisir relatif à la
consommation de masse « the pleasure derived from extravagant gadgetry and mammoth
contraptions" (NGR, 1977b, p. 363). Cette évolution exosomatique de l’espèce
humaine, déjà évoquée par Alfred Lotka (1945, p. 190) - « People’s appetite for food is
limited. Their appetite for automobiles, radios, fur coats, jewelry, actually seems to follow the
rule of the French proverb l’appétit vient en mangeant » - se révèle particulièrement
dangereuse étant donné qu’elle s’accompagne d’une production croissante de
technologies à partir de quantités d’énergie et de matières premières puisées dans les
entrailles de la terre. Ainsi, en vertu des principes de la thermodynamique (loi de
l’entropie) et du fait que les quantités d’énergie et de matières accessibles sont
nécessairement finies, on peut avancer que les activités industrielles ont participé à la
raréfaction absolue des dotations terrestres de basse entropie : « Man thus became a
geological agent, an activity which nowadays is most strikingly illustrated by the monstrous
gash of open-pit-mines. And because the Earth is undoubtedly finite, the third predicament of
man’s exosomatic nature is the scarcity of natural resources » (NGR, 1986, p. 252). Un jour
ou l’autre, nous rappelle NGR, la croissance (la grande obsession de l’économie
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
standard) touchera à sa fin. En effet, pour produire les organes exosomatiques, les
hommes doivent employer des ressources en énergie et en minerais, une concurrence
s'établira entre les "choses mortes" et les êtres vivants. "Chaque fois que nous produisons
une voiture, nous détruisons irrévocablement une quantité de basse entropie qui, autrement,
pourrait être utilisée pour fabriquer une charrue ou une bêche. Autrement dit, chaque fois que
nous produisons une voiture, nous le faisons au prix d'une baisse du nombre de vies
humaines à venir » (NGR, 1995, p. 67).
- La deuxième conséquence souligne, que comme toute évolution organique,
l’évolution exosomatique a divisé l’humanité en espèces exosomatiques aussi
différentes que les espèces biologiques. Cependant, contrairement aux espèces
biologiques qui peuvent fusionner sans le moindre obstacle, le cas des espèces
exosomatiques est plus problématique. La distinction entre l’Homo Indicus et
l’Homo Americanus, nous explique NGR est beaucoup plus profonde et plus solide
que celle qui sépare les espèces biologiques. Ainsi si l’Europe et le Japon ont connu
un redressement aussi spectaculaire après la seconde guerre mondiale, c’est qu’ils
appartenaient à la même espèce exosomatique que les Etats Unis, leur principal
fournisseur d’équipements. La plupart des pays en développement appartiennent
quant à eux à des espèces exosomatiques différentes. En d’autres termes, notre
compréhension étroite du processus économique aurait quelque peu biaisé
l’amélioration des instruments exosomatiques déjà en usage dans ces pays : «Un
Homo Indicus criait à l’aide après que son âne soit tombé dans un fossé et se soit cassé une
patte. Suivant, le conseil de ses autorités économiques, l’Homo americanus se précipita avec
un pneu à carcasse radiale pour réparer la panne du véhicule » (NGR, 1978, p. 343). Toutes
les innovations ne sont donc pas une réussite ou n’arrivent pas toujours "à point
nommé", « every economic innovation is successful only if social community culturally
adapts to it » (De Gleria, 1995, p. 26). NGR (1976) note d’ailleurs à ce sujet qu’aucune
innovation ne pourra indéfiniment réussir à garantir l'accessibilité des ressources.
- Cette évolution exosomatique a enfin engendré des conflits sociaux dans les
sociétés humaines. Un oiseau souligne NGR vole de ses propres ailes, attrape des
insectes avec son propre bec.... c’est à dire avec ses organes endosomatiques. Comme
ces derniers sont la propriété privée de chaque individu, ils ne peuvent faire l’objet
d’un véritable conflit. L’espèce humaine échappe cependant à ce principe. L’homme
a en effet utilisé les organes endosomatiques de ses congénères (esclavage, servage..)
ainsi que domestiqué certains animaux (boeufs, chevaux...) afin de se libérer des
contraintes de la nature. Ces actes, rappelle NGR, ont débouché sur des conflits, mais
pas nécessairement des conflits sociaux. Les conflits sociaux apparurent d’une part, à
partir du moment où les moyens de production furent séparés du corps de l’homme
(existence d’organes exosomatiques), d’autre part lorsque leur production et leur
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
utilisation ne furent plus confinées au cercle de la famille ou d’un clan familial20. A ce
moment là note NGR, « les instincts de l’homme, d’habileté professionnelle ou de curiosité
gratuite, ont peu à peu mis au point des instruments exosomatiques capables de produire
davantage que ce dont le clan familial avait besoin. En outre, ces nouveaux instruments, par
exemple un grand bateau de pêche ou un moulin, demandaient aussi bien pour leur
construction que pour leur fonctionnement, plus de bras qu’un seul clan familial ne pouvait
en fournir. C’est à cette époque que la production pris la forme d’une activité sociale plutôt
qu’une activité de clan » (NGR, 1969, p. 101). Dans le même temps, la division du
travail, nécessaire pour organiser la production ne fût réalisée, ni en fonction d’un
quelconque rôle déterminé dès la naissance pour chacun de ses membres, comme
c’est le cas dans la ruche ou la fourmilière, ni en fonction des divers talents de
chacun, mais en accord avec les rôles requis par l’organisation sociale : « Production
thus became a social enterprise, which has to be well planned, set in motion at the opportune
moment, and directed and closely supervised thereafter. These new tasks created a division
not of labour in the sense of Adam Smith21 (which certainly was already at work), but a role
in the production process and the social organization" (NGR, 1986, p. 250). Cette division
sociale reposerait sur la distinction entre deux catégories de membres de la société :
les gouvernés et les gouvernants, encore appelés « élite privilégiée". La première
catégorie fournit des services ayant une mesure objective (les maçons peuvent en
effet compter combien de briques ont été posées). La seconde catégorie regroupe des
services sans mesure objective (on ne peut en effet mesurer le travail physique des
juristes, des avocats...). Dans ce contexte, souligne Nicholas Georgescù-Roegen, il est
toujours possible pour les gouvernants d’exagérer l’importance de leur travail et de
s’en servir pour affirmer leur supériorité et leur domination sur les autres membres
de la société. On voit ainsi, que le conflit social (lui-même issu de la division du
travail) dans les sociétés humaines n’existe que parce que l’espèce humaine en est
arrivée à vivre en société par évolution exosomatique et non endosomatique :
«Nothing in the soma of a newborn human determines his future role. Later, he may become a
ricksha man just as well as a mandarin. And the rub is that, in contrast with the ant
doorkeeper, a ricksha man would like to be a mandarin and, as a part of his ordinary efforts,
would struggle to exchange roles" (NGR, 1977b, p. 366). Un conflit social qui fera
malheureusement partie du lot de l’humanité aussi longtemps que le mode de vie
des sociétés humaines (capitalistes) dépendra de la production à grande échelle
d’instruments exosomatiques. Pour retarder le plus possible l’arrivée de l’inéluctable,
Georgescù-Roegen préconise, pour le Tiers-Monde et pour tous les pays
NGR aborde ce problème dans le cadre de l’économie paysanne et des travaux de Tchayanov.
NGR ne partage pas la conception que Smith a de l’origine de la division du travail. En effet, alors
que pour Adam Smith, la division du travail a pour origine "un certain penchant naturel à tous les
hommes", pour NGR, elle a pour fondement « les instincts de l’homme, d’habileté professionnelle ou de
curiosité gratuite » (NGR, 1969, p. 101),
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industrialisés, une politique conservationniste qualifiée de «programme bio-économique
minimal ».
L’écologie politique, de la bioéconomie à la décroissance
Si la thermodynamique et la biologie jouent un rôle majeur dans la pensée de
Nicholas Georgescù-Roegen, il convient de préciser que NGR a été « le premier
économiste et pratiquement le seul (depuis Malthus) à poser sérieusement le problème de
l’économie de l’espèce humaine dans son contexte écologique global, c'est-à-dire à l’échelle de
la planète toute entière » (Grinevald, 2005, p. 51). Sa bioéconomie et plus précisément
son programme bioéconomique minimal appelle à repenser complètement le
développement de l’ensemble de l’humanité en établissant une étroite corrélation
entre les sciences économiques et sociales, et les sciences de la vie et de la terre. C’est
également ce que suggère René Passet (1971, 1979, 2010) dans sa quête d’une
bioéconomie transdisciplinaire (Vivien, 2011). Par bioéconomie, Passet entend « une
démarche qui ouvre l’économie sur la biosphère dont elle ne constitue qu’un sous-système -, et
non point l’intégration dans une logique strictement économique qui l’engloberait » (2011, p.
896). L’économie doit forger ses outils et son cadre de réflexion dans la logique du
milieu naturel22 : précise que « le discours sur la vie nous apprend à situer l’économique
dans le prolongement d’un double mouvement général : - de lutte contre l’entropie que
mènent les organismes afin de maintenir et reproduire leur structure, - et d’évolution
complexifiante dont la dimension cosmique n’exclut pas que les comportements y puissent
jouer un rôle » (Passet, 1992, p. 87). Ainsi comme le suggère Dominique Bourg 23
(1996), la bioéconomie ne vise pas à naturaliser les comportements économiques
humains, mais à tenir compte de leur insertion dans un contexte naturel aussi bien
que social et éthique. Ce ré-encastrement de l’économie dans l’écologie est
aujourd’hui symbolisé par le concept de la décroissance, dont NGR est le père
fondateur (Clémentin, Cheynet, 2005). Par ce terme, NGR entendait procéder à une
réorientation structurelle du processus de production et du mode de consommation.
Il s’agissait avant tout d’une décroissance physique des activités humaines. Le
message selon lequel il n’y a pas de croissance infinie possible sur une planète finie, a
trouvé un écho parmi certains économistes hétérodoxes, philosophes ou essayistes
que nous classerons dans le courant de l’écologie politique. La convivialité d’Ivan
Illich (1973), la restructuration écologique d’André Gorz (1991), la conquête des biens
René Passet (1992) ne s’est pas contenté de relier la bioéconomie à la thermodynamique et la
biologie, il a également suggéré que l’activité économique introduisait à la fois une dimension
énergétique et une dimension informationnelle : « l’économie est une activité néguentropique ayant pour
effet d’incorporer de l’information structure dans la matière » (1992, p. 127). Voir Diemer (2012).
23 L’auteur (1996, p. 26) précise que la bioéconomie « récuse les trois présupposés fondamentaux de
l’économie néoclassique : tout d’abord l’idée d’un équilibre atemporel du marché ; ensuite, l’indépendance des
cycles économiques vis à vis de la nature ; enfin, l’indépendance de ces mêmes cycles par rapport aux autres
dimensions de la société ».
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
relationnels de Mauro Bonaïuti (2005) ou la décroissance conviviale de Serge
Latouche (2005, 2006, 2008) cherchent à remettre en cause certains aspects de notre
modèle économique de croissance, voire de notre mode de vie.
Le programme bioéconomique de Nicholas Georgescu-Roegen
En esquissant les bases de son programme bioéconomique minimal, Nicholas
Georgescù-Roegen a cherché à substituer une position normative fondée sur
l'irréversibilité et l'entropie, à la position orthodoxe s'appuyant sur la réversibilité et
la mécanique. Contrairement à l’économie politique qui ne précise pas qu’elle
« considère l'administration des ressources rares seulement pendant l'horizon économique
d'une génération » (NGR, 1978, p. 374) et au modèle analytique standard dans lequel
"chaque génération peut utiliser autant de ressources terrestres et produire autant de
pollution que son enchère seule en décide ” (NGR, 1995, p. 126), NGR entend définir un
programme bioéconomique qui concerne l'affectation des ressources dans l'intérêt,
non pas d'une seule génération, mais de toutes les générations. Ainsi dans le cas de
l'incertitude historique, pour laquelle nous ne pouvons établir aucune distribution
quantitative, le principe qui doit nous conduire, rappelle NGR, est celui « de
minimiser les regrets futurs ».
Le programme bioéconomique suggéré par NGR repose sur huit points : (1)
l’interdiction de la guerre et de la production de tous les instruments de guerre ; (2)
l’aide aux nations sous-développées pour qu’elles puissent parvenir aussi vite que
possible à une existence digne d’être vécue mais dénuée de luxe ; (3) la diminution
de la population jusqu’à un niveau où une agriculture organique suffirait à la nourrir
convenablement ; (4) une réglementation destinée à éviter tout gaspillage d’énergie
(excès de chauffage, de climatisation, de vitesse, d’éclairage…) ; (5) une
désintoxication de « notre soif morbide de gadgets extravagants, si bien illustrés par cet
article contradictoire qu’est la voiture de golf, et de splendides mammouths telles les grosses
voitures » (NGR, 1995, p. 133) ; (6) l’abandon des effets de la mode (« C’est… un crime
bioéconomique que d’acheter une nouvelle voiture chaque année et de réaménager sa maison
tous les deux ans », 1995, p. 134) ; (7) la nécessité que les marchandises restent durables
et réparables ; (8) la guérison du cyclondrome du rasoir électrique qui « consiste à se raser
plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore, et
ainsi de suite à l’infini » (ibid).
Cette nouvelle orientation éthique s’avère toutefois difficile. En effet, dans le
domaine écologique seule la pollution, mal le plus visible, retient le plus l’attention.
Or ce programme se fonde sur une véritable modification des valeurs au niveau
universel 24 (intégrant même les progrès technologiques). NGR proposera des
réglementations qualitatives concernant l’énergie. Ainsi, il faudrait développer la
24
Ce n’est pas un retour “à la bougie”, rappelle NGR, mais à l’âge du bois.
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
recherche sur le solaire et diffuser les techniques connues pour “ apprendre par la
pratique ” (NGR, 1995, p 132). Dès lors, l’innovation technologique pourrait aider à
lutter contre l’épuisement des matériaux (NGR ne cède pas aux sirènes d’un certain
scientisme qui peut tout résoudre par avance). La modification du comportement,
essentiellement des citadins, doit aboutir au contrôle de la demande par un contrôle
de l’envie : « Il est grand temps pour nous de ne plus mettre l’accent exclusivement /.../ sur
l’accroissement de l’offre. La demande peut aussi jouer un rôle et même, en dernière analyse,
un rôle plus grand et plus efficace » (NGR, 1995, p 132). En attendant l'hypothétique
survenue de Prométhée III - autrement dit, de la technique susceptible de prendre le
relais de celle utilisant l'énergie fossile - NGR met en avant toute une série de
mesures destinées à réduire les gaspillages, désignant ainsi le recours à l'énergie
pour des besoins considérés comme superflus, pour des gadgets et des armes. Pour
utiliser le langage de Ivan Illich (1973), NGR préconise la réorientation des sociétés
humaines modernes vers "l'austérité joyeuse", entendons par-là, un modèle de société
où les besoins sont réduits, mais où la vie sociale est plus riche : « Le seul moyen de
protéger les générations à venir à tout le moins de la consommation excessive des ressources
pendant l’abondance actuelle, c’est de nous rééduquer de façon à ressentir quelque sympathie
pour les êtres humains futurs de la même façon que nous nous sommes intéressés au bien-être
de nos “voisins” contemporains » (NGR, 1995, p. 129).
Ainsi ce qui intéresse NGR, c’est la qualité de la vie et « la répartition de la dot de
l’humanité entre toutes les générations » (NGR, 1995, p.126). L’humanité est soumise à
une mondialisation de fait puisque la capacité de charge de la terre est limitée. La
hausse de la productivité agricole suit la loi des rendements décroissants et ne fait
qu’accélérer les conséquences de l’entropie. Seule l’agriculture organique trouve
grâce aux yeux de NGR. Cependant il admet la nécessité de “ l’industrialisation des
champs ” afin de faire face à l’explosion démographique. NGR esquisse ainsi une
nouvelle articulation des deux mondes, agricole et urbain. Ces derniers se
caractérisent par la différenciation des lois qui les régissent25. Les villes, bien que
dépendante des campagnes pour la fourniture de biens de subsistance, dominent ces
dernières. La pression pour obtenir de la nourriture à bon marché s’accroît d’autant
que le désir de consommer des nouveaux biens issus de l’industrie accompagne la
hausse du revenu des élites. Cette évolution est toutefois contrainte par la
démographie et les lois de la thermodynamique. Le développement aurait selon
NGR entretenu une croissance démographique ayant pour unique conséquence
d’accentuer la lutte pour la nourriture, d’où un retour sur les thèses malthusiennes.
La croissance démographique est commune aux deux mondes. Mais la campagne
seule ne peut plus répondre aux besoins : « In the contemporary era, however, the
25 NGR s’opposera à Marx. “ Selon toute probabilité, la plus grande erreur de Marx est de n’avoir pas reconnu
que l’agriculture et l’industrie obéissent à des lois différentes. Cette erreur l’a conduit à soutenir que la loi de la
concentration s’applique aussi bien à l’agriculture qu’à l’industrie” (NGR, 1978, p 245).
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
peasant economy has come to a crisis that the village alone can no longer solve. The Entropy
Law makes the crisis inevitable : the population explosion has only speeded its coming. But
leaving aside the population explosion – which is a biological rather than a economic
phenomenon – we can easily see that the crisis stems from the scarcity of land – about which
we can do rather little – and form the qualitative deterioration of agricultural land through
millenary use with manuring only » (NGR, 1971, p. 525). La solution préconisée
consisterait donc à rechercher une mécanisation de l’agriculture, inévitable pour
l’avenir des peuples, mais « anti-économique à long terme », eu égard aux phénomènes
d’entropie. Les “ chicken factories ”, note NGR ont fait leur apparition. L’agriculture
moderne utilise de plus en plus d’engrais artificiels et consomme des quantités
croissantes d’énergie fossile. NGR parle de l’avènement de “la phase industrielle” de
l’humanité (NGR, 1970, p 58). Cette dernière accélérait la production du sol car le
recours à l’énergie solaire, cette énergie éternelle, ne peut nourrir 5 milliards de
personnes. La collaboration se substituerait donc à la domination (une armée de paix
sera l’outil éducatif de cette collaboration). La ville, devra pour le bien de tous, aider
l’économie de la campagne en s’adaptant à ses spécificités et en évitant de faire
pression sur les prix. Les fonds devront s’adapter à la nature des outils
exosomatiques (il ne s’agit pas de fournir aux campagnes des tracteurs géants). Une
modification des valeurs sera nécessaire (réduction de la consommation de biens de
luxe et croissance du temps de travail). L’objectif de la production citadine sera la
création d’un surplus destiné à la campagne. Dans cette vision fataliste de l’évolution
du monde, la campagne devrait progressivement s’aligner sur le processus
industriel, ce qui ne peut qu’accroître la rareté des ressources. Mais cela semble
inévitable du fait des besoins de nourritures. Et ce d’autant que NGR étend cette
analyse aux relations entre les pays en développement et les pays industrialisés.
Au final, NGR reste très pessimiste sur les chances de réussite d’un programme
bioéconomique. Il a en effet conscience que son modèle de « décroissance » sera
difficile à mettre en œuvre. « L’humanité voudra t’elle prêter attention à un quelconque
programme impliquant des entraves à son attachement au confort exosomatique ? Peut être le
destin de l’homme est-il d’avoir une vie brève mais fiévreuse, excitante et extravagante, plutôt
qu’une existence longue, végétative et monotone » (NGR, 1995, p. 135). Tous ses espoirs
sont contenus dans la fusion de l’économie et de l’écologie (c’est toutefois
l’économie qui devra être absorbée par l’écologie) : « l’un des principaux problèmes
écologiques posé à l’humanité est celui des rapports entre la qualité de la vie d’une génération
à l’autre et plus particulièrement celui de la répartition de la dot de l’humanité entre toutes
les générations. La science économique ne peut même pas songer à traiter ce problème. Son
objet, comme cela a souvent été expliqué, est l’administration des ressources rares; mais pour
être plus exact, nous devrions ajouter que cette administration ne concerne qu’une seule
génération » (NGR, 1979, p. 95). Ce vœu pieu ne tombera pas dans l’oubli. En effet,
certaines voix, réunies sous la bannière de l’écologie politique (Dannequin, Diemer,
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Petit, Vivien, 1999), se sont élevées pour porter un regard nouveau sur les activités
économiques et revendiquer l’instauration d’un nouveau paradigme de
développement : la décroissance.
De la restructuration écologique à la décroissance
Si Nicholas Georgescu-Roegen est bien le père fondateur de la décroissance 26
(Entropy Law and the Economic Provcess, 1971), on peut ajouter que la contestation de
la croissance économique est un fondement de l’écologie politique. Des auteurs
d’origines diverses se sont engagés dans une critique radicale du développement et
du progrès. Notre modèle économique, privé de ses dimensions environnementale et
sociale, serait incapable de cerner les limites physiques et sociétales du monde qui
nous entoure.
André Gorz (1991) fera un appel d’urgence en faveur d’une restructuration
écologique de la société. Cette dernière exige que la rationalité économique soit
subordonnée à une rationalité éco-sociale. En effet, la restructuration écologique
serait incompatible avec le paradigme capitaliste de la maximisation du profit et de
l’économie de marché, lequel contraint les entreprises à renouveler et à différencier
continuellement leur offre, à créer de nouveaux désirs et à repousser sans cesse la
satiété des consommateurs. Pour rompre avec cette logique – qui n’est autre que
celle du capital - et pour que s’opère une libération dans la sphère de la
consommation, il faut introduire du choix dans le travail des individus. Il faut que le
niveau des besoins et le niveau des efforts à consentir dans le domaine du travail
soient proportionnés et déterminés conjointement. « La décroissance de la production de
marchandises et de services marchands devra être réalisée grâce à une autolimitation des
besoins comprenant elle-même comme une requête de l’autonomie, c'est-à-dire grâce à une
réorientation démocratique du développement économique, avec réduction simultanée de la
durée du travail et extension, favorisée par des équipements collectifs ou communautaires, des
possibilités d’autoproduction coopératives ou associatives » (1991, p. 39).
De manière générale, il s’agit de redéfinir les frontières de la sphère de la rationalité
économique et des échanges marchands. Les activités économiques doivent décroître
tandis que les activités non régies par le rendement et le gain doivent se développer.
Le sens de la rationalisation écologique peut ainsi se résumer en la devise « moins
mais mieux ». Son but est « une société dans laquelle on vivra mieux en travaillant et en
consommant moins. La modernisation écologique exige que l’investissement ne serve plus à la
croissance mais à la décroissance de l’économie, c'est-à-dire au rétrécissement de la sphère
régie par la rationalité économique au sens moderne. Il ne peut y avoir de modernisation
écologique sans restriction de la dynamique de l’accumulation capitaliste et sans réduction
par autolimitation de la consommation » (1991, p. 93).
26
Précisons que dans et ouvrage, NGR parle de declinig State et non de degrowth.
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
D’un point de vue pratique, cette refonte écologique du système industriel
concernera les industries lourdes (recul des ventes de produits chimiques) ;
l’agriculture (passage à une agriculture plus respectueuse des équilibres naturels,
moins énergivore en engrais et produits phytosanitaires) ; les transports (priorité au
rail, limitation des vitesses, réduction de la production d’automobiles…).
La restructuration écologique d’André Gorz pose ainsi un véritable défi à notre
civilisation, celui de passer d’un modèle économique et social fondé sur l’expansion
régulière et continue (dont le symbole est l’augmentation du PIB) à une civilisation
plus sobre dont le modèle économique intègre les relations sociales et la finitude de
la planète. L’écologie politique – Gorz en attribue les fondements aux travaux
d’Illich, à l’article fondateur « Blueprint of Survival » de Goldsmith et Allen (1972)
paru dans The Ecologist et au fameux rapport Meadows (1972) - peut nous y aider.
Il s’agira entre autre d’amener les pays riches (capitalistes) à modifier (diminuer) leur
niveau de production et de consommation sans engendrer une implosion de leur
système social. Quelques années plus tard, Serge Latouche (2005) proposera d’entrer
dans la décroissance conviviale. La décroissance doit être organisée à la fois pour
préserver l’environnement et restaurer le minimum de justice sociale. Il s’agit plus
précisément de « renoncer à l’imaginaire économique, c'est-à-dire à la croyance que plus
égale mieux », de considérer que « le bien et le bonheur peuvent s’accomplir à moindre
frais », de « redécouvrir la vraie richesse dans l’épanouissement de relations sociales
conviviales dans un monde sain » (2005, p. 26).
Fig 8 : les deux écologies vues par André Gorz
45
Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
ECOLOGIE SCIENTIFIQUE
VS ECOLOGIE POLITIQUE ?
Gorz (1992)
A ppr oche r eposant sur l ’ écol ogi e
scientifique visant à définir des seuils
supportables à la sphère techno
industrielle (normes de limitation
dans le cadre d’un métabolisme
société-nature)
L’écologie industrielle n’est pas
une solution, surtout lorsqu’elle
prône la voie technologie
Approche des mouvements écologiques :
culture du quotidien.
Ivan Illich (1971, 1973) : les machines
technico-administratives qui aliènent
les individus
contrôle total des
individus).
Article de Goldsmith/ Allen paru dans The
Ecologist (1972) : « Blueprint of survival »,
Rapport Meadows (1972) : Limits to Growth
Fondements pour amorcer une transformation en
mouvement politique
Projet de société : sortir de la malédiction du travail,
la perspective de la décroissance peut être féconde,
cependant elle comporte des obstacles politiques
Impossibilité de
continuer dans la voie
du développement initié
par le système capitaliste
Cette décroissance27, voulue et réfléchie, n’implique pas une réduction du niveau de
vie mais plutôt une conception différente du niveau de vie lui-même (Soper, 2001).
Pour Mauro Bonaïuti (2005), il s’agit d’une révision profonde des préférences et de la
façon de concevoir la production de la valeur économique (débat initié par NGR). Il
conviendrait de favoriser le déplacement de la demande de biens traditionnels à
impact écologique élevé vers « des biens relationnels » (Zamagny, 1998). Cette
demande de biens relationnels prendra les traits d’une demande de soins, de
connaissances, de participation, de nouveaux espaces de libertés... La décroissance
matérielle serait ainsi « une croissance relationnelle, conviviale et spirituelle » (Bonaïuti,
2005, p. 33) ; elle serait basée sur l’entraide28 et la réponse aux vrais besoins.
Serge Latouche (2006) note qu’un tel changement nécessite un programme plus
systématique29, plus radical et plus ambitieux. Les 8 R (réévaluer, reconceptualiser,
restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler) constituent huit
27
En 1982, à Montréal, s’est tenue une conférence sous l’intitulé Les enjeux de la décroissance (The
challenges of degrowth), mais le mot est utilisé alors comme synonyme de récession économique
(ACSALF, 1983).
28 Décroissance devient un slogan activiste en France en 2001, en Italie en 2004 ("Decrescita’), en
Catalogne et en Espagne en 2006 (‘Decreixement’ et ‘Decrecimiento’).
En 2004, la Décroissance entre dans un débat public plus large, par le biais du magazine mensuel La
Décroissance, le journal de la joie de vivre, vendu aujourd’hui à près de 30 000 exemplaires.
29
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objectifs interdépendants « susceptibles d’enclencher un cercle vertueux de la décroissance
sereine, conviviale et soutenable » (2006, p. 153). La réévaluation et la
reconceptualisation doivent mettre un terme à l’imaginaire dominant, il s’agit d’une
remise en cause des valeurs actuelles (couple richesse – pauvreté, abondance – rareté,
conception du temps 30 …) suscitées et stimulées par le système économique.
L’éducation, la manipulation médiatique et le mode de vie (consumérisme) sont à
l’origine de la « colonisation des esprits » (2006, p. 160). Pour s’en sortir, il convient de
rompre les chaînes de cette drogue (remettre en cause l’impérialisme de l’économie31,
sortir de l’économie politique en tant que discours dominant ; dénoncer l’agression
publicitaire ; entamer une cure de désintoxication par la baisse du temps de travail,
renoncer collectivement et individuellement à une consommation débridée…). La
restructuration et la redistribution traduisent le passage dans un autre ensemble de
représentations du monde. Restructurer, c’est « adapter l’appareil de production et les
rapports sociaux en fonction du changement de valeurs » (2006, p. 182), redistribuer, c’est
« répartir [autrement] les richesses et l’accès au patrimoine entre le Nord et le Sud, comme à
l’intérieur de chaque société » (2006, p. 191). Ce changement doit être radical
(redistribution de la terre, du travail, des revenus) pour ébranler les valeurs
dominantes du système en place. La relocalisation « constitue logiquement la première
action et la base du processus » (2006, p. 197) de décroissance. Le localisme tend à
combattre les prétendus mythes du globalisme, à savoir la mise en concurrence des
territoires par la fiscalité, la flexibilité du travail et la dérèglementation
environnementale. Il s’agit de mettre un terme à la dislocation du tissu social et
d’encourager toute attitude pouvant renforcer les économies au niveau local
(Norberg-Hodge, 2005). La réduction, la réutilisation et le recyclage impliquent un
bouleversement des attitudes individuelles et collectives. La réduction de la
consommation, la réduction des déchets, la réduction de la durée du travail (Ellul,
1982 ; Harribey, 1997)… ne peuvent qu’avoir un impact positif sur la société. Cette
sobriété citoyenne (Rabhi, 2005) doit être renforcée par la disparition du gaspillage,
une amélioration de la durabilité des objets, un renoncement au dernier cri
technologique et au tout jetable. Le recyclage des déchets de nos activités est « une
forme de rachat de notre dette à l’égard de la nature » (2006, p. 239).
Pour que ce programme frappe les consciences, Serge Latouche (2007) l’a érigé en
véritable « programme électoral ». Des mesures telles que la redécouverte de notre
empreinte écologique, l’intégration de certaines nuisances dans les coûts de
transports, la relocalisation des activités, la restauration de l’agriculture paysanne, la
30 Paul Ariès (2005, p. 131) précise qu’il convient « de rompre avec le fétichisme du temps qui fait que nous
allons de plus en plus vite mais souffrons d’un manque de temps… La décroissance est l’inverse de la
néantification du passé et donc du futur ».
31 Vincent Cheynet (2005, p. 144) note que le concept de décroissance conduit à s’extraire de
l’économisme, « c'est-à-dire à replacer l’économie à sa juste place dans l’échelle des valeurs. Ce n’est pas à
l’économie de dicter sa logique à l’homme. Elle est un moyen non une fin ».
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
transformation des gains de productivité en réduction du temps de travail et en
création d’emplois, l’impulsion d’une production de biens relationnels, la réduction
du gaspillage d‘énergie, la pénalisation des dépenses de publicité, la mise en place
d’un moratoire sur l’innovation technoscientifique … font partie de la « pédagogie des
catastrophes et du réenchantement du monde ».
La décroissance 32 n’est donc pas une fabulation de l’esprit, elle fait du
développement durable, un projet politique pour un renouveau des sociétés, « avec la
responsabilité pour principe essentiel » (Larrère, 1997 ; Heurgon, 2007). Pour mieux
vivre, il s’agit désormais de produire et de consommer autrement. Cette nouvelle
manière de penser les liens entre économie et écologie se heurte toutefois à trois
mythes (Latouche, 2006), véhiculés par la pensée orthodoxe : l’éternelle
substituabilité des facteurs de production ; la dématérialisation et l’arme absolue de
l’éco-efficience.
Technologie et substituabilité des facteurs de production
A la suite des travaux de Beckerman (1972), Solow (1973, 1974), Johnson (1973) et
bien d’autres, le progrès technique associé à l’hypothèse de substituabilité des
facteurs de production (une quantité accrue d’équipements, de connaissances et de
compétences doit pouvoir prendre le relais de quantités moindres de capital naturel
pour assurer le maintien des capacités de production et la satisfaction du bien être
des individus) a été présenté comme une source de croissance économique
inépuisable. Nous serions ainsi toujours capable de trouver un substitut pour
remplacer une ressource rare (le capital artificiel se substitue au capital naturel), mais
également d’augmenter la productivité de n’importe source d’énergie et de matière.
Nicholas Georgescu-Roegen (1995, p. 100) a qualifié cette thèse de « sophisme de la
substitution perpétuelle » et pointé du doigt l’analyse de Solow « Il faut avoir une vue
bien erronée du processus économique dans sa totalité pour ne pas remarquer qu’il n’existe
pas de facteurs matériels autres que les ressources naturelles. Soutenir en outre, que le monde
peut, en effet, subsister sans ressources naturelles, c’est ignorer la différence qui existe entre le
monde réel et le jardin d’Eden » (ibid). De son côté, Serge Latouche n’hésite pas à écrire
qu’il faut avoir « la foi des économistes orthodoxes pour penser que la substituabilité
illimitée de la nature par l’artifice est concevable » (2006, p. 46).
Le mythe de la technique sans limites est à la fois condamné par les faits et la
problématique même de la technologie. Il n’existe pas de facteurs matériels autres
La Décroissance, en tant que mouvement social, a fait seulement ses débuts à Lyon, dans une vague
de protestations visant à encourager les villes sans voitures, les coopératives alimentaires, à lutter
contre l’invasion publicitaire (Journal « Casseurs de pub »), entre autres. Ces actions ont été suivies,
début 2002, par la parution d’un hors-série de la revue Silence magazine, édité par Vincent Cheynet et
Bruno Clémentin.La même année, s’est tenue à Paris, au siège de l’UNESCO, devant 800 participants,
la conférence Défaire le développement, refaire le monde (Unmake development, remake the world).
32
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que les ressources naturelles : « la substitution à l’intérieur d’un stock fini de basse
entropie accessible dont la dégradation irrévocable s’accélère avec son utilisation ne peut
durer indéfiniment » (NGR, 1995, p. 100). Par ailleurs, l’histoire économique (voire les
différentes révolutions industrielles) confirme que tous les grands bonds du progrès
technologique ont été déclenchés par la découverte et la maîtrise d’une nouvelle
source d’énergie et que les innovations ont été suivies d’un accroissement substantiel
de l’extraction minière. Enfin, le phénomène plus connu sous le nom « d’effet
rebond » ou de « paradoxe de Jevons », précise que toutes les innovations
technologiques incitent à une augmentation de la consommation globale. Ainsi, les
gains potentiels dus aux perfectionnements techniques seraient plus que compensés
par l’accroissement des quantités consommées : « Les ampoules fluocompactes dépensent
moins d’électricité, on les laisse allumées. L’Internet dématérialise l’accès à l’information, on
imprime plus de papier. Il y a plus d’autoroutes, le trafic augmente… » (Latouche, 2006, p.
50). Pire, la technologie, par l’obsolescence programmée des produits, deviendrait un
puissant allié du consumérisme et un facteur d’aggravation de la pollution : « C’est
ainsi que des montagnes d’ordinateurs se retrouvent en compagnie de téléviseurs, de
réfrigérateurs, de lave vaisselle, de lecteurs de DVD et de téléphones portables à encombrer
poubelles et décharges avec des risques de pollution divers : 150 millions d’ordinateurs sont
transportés chaque année dans des déchetteries du Tiers Monde (500 bateaux par mois vers le
Nigéria !) alors qu’ils contiennent des métaux lourds et toxiques (mercure, nickel, cadmium,
arsenic, plomb) » (Latouche, 2007, p. 37).
Le capitalisme immatériel
L’économie des services, la nouvelle économie (techniques d’information et de
communication) et la société de la connaissance sont présentées par certains auteurs
comme des solutions viables en matière de développement durable. Dans son
ouvrage intitulé Vers une écologie industrielle, Suren Erkman (1998, p. 88) avance que
« si l’on veut atteindre un niveau de vie élevé pour une population mondiale en
augmentation, tout en minimisant les impacts sur l’environnement, il faudra obtenir plus de
services et de biens à partir d’une quantité de matière identique, voire moindre. Telle est l’idée
de base de la dématérialisation, qui consiste, en d’autres termes, à accroître la productivité des
ressources ». La dématérialisation du capitalisme – en d’autres termes le passage
d’une société de produits à une société de services mais également l’émergence du
capitalisme cognitif – conduirait à une consommation moins énergivore en matières
premières et en énergie. Cet espoir semble aujourd’hui s’être quelque peu assombri.
En effet, plusieurs critiques émanant de l’écologie politique tendent à souligner les
externalités négatives associées aux activités servicielles.
La première critique concerne tout d’abord la réalité de la dématérialisation.
Comme le souligne Serge Latouche (2006), cette nouvelle économie remplace moins
l’ancienne qu’elle ne la complète. Si l’activité industrielle a régressé en termes
49
Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
relatifs, elle continue à progresser en termes absolus : « Dans les vingt dernières années,
elle a crû encore de 17% en Europe et de 35% aux Etats-Unis » (Latouche, 2006, p. 47). En
fait, les pertes d’emplois industriels seraient dues en bonne partie aux stratégies
d’externalisation des entreprises. En se recentrant sur le cœur de leur métier, ces
dernières ont été amenées à externaliser des services (entretien, maintenance,
sécurité, restauration, informatique…) qui étaient autrefois intégrées et
comptabilisées en emplois.
La deuxième critique renvoie au mode de développement du capitalisme
dématérialisé. Il semblerait que l’économie des services ait adopté les mêmes
logiques productivistes (taylorisme sur les plateformes téléphoniques), les mêmes
objectifs de performance et les mêmes priorités de rentabilité des capitaux que
l’économie industrielle. L’économie des services chercherait ainsi à couvrir certains
besoins (solvables) sans toutefois répondre à toutes les attentes qui s’expriment dans
la société (services à la personne). Ce qui fait dire à Josée Landrieu (2007, p. 9) que
« l’économie des services a plutôt tendance à ignorer les attentes humaines, à s’émanciper du
soubassement sociétal…pour s’aligner sur les logiques de marchés et de l’économie
mondialisée ».
La troisième critique s’adresse tout particulièrement au capitalisme cognitif, cette
société de la connaissance mise en valeur lors du Sommet de Lisbonne. André Gorz
(2003) note à ce sujet que le développement des connaissances technoscientifiques n’a
pas engendré une société de l’intelligence, mais bien une société de l’ignorance. La
grande majorité connaît de plus en plus de choses mais en sait et en comprend de
moins en moins. « La technoscience a produit un monde qui dépasse, contrarie, viole le
corps humain par les conduites qu’il en exige, par l’accélération et l’intensification des
réactions qu’il sollicite » (2003, p. 111). Pour reprendre l’expression de George Dyson
(1997, p. 209), les hommes seraient devenus des « goulots d’étranglement » pour la
circulation et le traitement de l’information. En s’alliant à la science, le capitalisme
(cognitif) chercherait à dépasser l’obsolescence humaine sans toutefois provoquer
poser les bases de son émancipation. C’est pourquoi André Gorz en appelle à
l’écologie, « elle seule cherche à développer une science au service de l’épanouissement de la
vie et d’un milieu de vie (environnement) qui permet et stimule cet épanouissement » (2003,
p. 112).
La quatrième critique concerne les effets des technologies de l’information sur
l’environnement. Contrairement à une idée répandue, les NTIC et le capitalisme
cognitif seraient beaucoup plus gourmands en inputs et en intrants matériels qu’il
n’y paraît. Si les logiciels incorporent de la matière grise, une étude intitulée
« Computers and the Environnement » et réalisée par Ruediger Kuehr et Eric Williams
(2003) pour le compte de l’ONU, a révélé que les composants électroniques
assemblés dans les ordinateurs étaient un danger avéré pour l’environnement. Ces
50
Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
chercheurs ont établi que pour produire un ordinateur de bureau avec un écran de
17 pouces, soit 24 kg de matière utilisée, il fallait l’équivalent de près de deux tonnes
de ressources naturelles : soit 240 kg de combustible, 22 kg de produits chimiques et
près de 1.5 tonne d’eau claire. La fabrication d’une puce mémoire de 32MB DRAM en
silicium de 2 grammes, pièce qui permet de transformer l’information au sein de
chaque ordinateur, nécessite 1.2 kg de matières fossiles, 72 grammes de produits
chimiques et 32 litres d’eau pure. La quantité de matière et d’énergie nécessaire pour
produire une puce est ainsi disproportionnée par rapport à la taille du produit
(équivalent de 600 fois son poids). Par comparaison, les combustibles fossiles
nécessaires à la production d’une automobile ne représentent qu’une à deux fois son
poids (Grégoriades, 2007). Cette soif de matière et d’énergie33 génère également des
problèmes de toxicité (plomb dans les tubes cathodiques des écrans, cadmium pour
les revêtements de protection, chrome hexavalent pour lutter contre la corrosion des
composants, polybromodiphényles et polybromodiphényléters utilisés dans les
circuits imprimés pour les rendre inimflammables, mercure et lithium dans les
batteries, aluminium dans les disques durs…) et de recyclage des produits (plus de
150 millions d’ordinateurs sont aujourd’hui vendus dans le monde). Le rythme
auquel les nouvelles technologies se développent, implique que la durée de vie utile
des ordinateurs est courte34, ce qui engendre une accumulation de produits obsolètes
(la loi de Moore – la puissance des puces électroniques doit doubler tous les 18 mois
– pousse au renouvellement permanent !).
La cinquième critique tend à souligner les méfaits de la nouvelle économie sur la
situation environnementale des pays du Sud. Serge Latouche (2006, p. 48) note que
« la prétendue économie de la connaissance postindustrielle de l’OCDE repose sur un
transfert massif de sa base industrielle et énergétique vers les économies émergentes ». Yves
Cochet (2005, p. 117) précise de son côté qu’un « transfert d’activités énergivores des
pays du Nord vers les pays émergents s’additionne à une augmentation du trafic mondial de
marchandises pour accroître finalement la consommation d’énergie ». Les pays asiatiques
(Chine, Pakistan, Inde) font notamment face au recyclage des ordinateurs en fin de
vie venus des pays développés. Les inquiétudes vis-à-vis des risques posés par les
décharges de matériel informatique sur l’environnement contrastent avec les récentes
décisions européennes. Il semblerait que la question environnementale ait un prix
que seuls les pays du Nord peuvent payer.
D’après le rapport « Mobile Toxic Waste » du Basel Action Network (BAN, 2007), les téléphones
portables sont composés (en poids) en moyenne de 45% de plastiques (PVC, ABS enduit de bromure
retardateur de flamme), 40% de circuits imprimés, 4% pour l’affichage à cristaux liquides, 3% de
magnésium, 8% de métaux dispersés (cadmium, mercure, tangstène…).
34 L’EPA, l’agence américaine de protection de l’environnement, estime qu’entre 1999 et 2007, un demi
milliard d’ordinateurs obsolètes sont venus rejoindre les déchets américains (soit près d’un demi
million de plomb). Dans leur rapport, Williams et Kuehr (2003) ont ainsi préconisé d’aller au-delà du
simple recyclage et de s’intéresser au marché de l’occasion, à la réparation…
33
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
La dernière critique nous invite à nous pencher sur le sens de la vie. Le bonheur,
rappelle Robert Reich (ancien ministre du Travail du Président Bill Clinton et
économiste à Harvard), n’est pas une fonction croissante du revenu monétaire et des
biens relationnels. Le mythe de la nouvelle économie ne doit pas nous faire oublier
que ce que nous gagnons, nous le gagnons au prix d’un immense sacrifice : celui des
relations sociales. « Nous tirons tous de grands avantages de la nouvelle économie… Nous
jouissons des extraordinaires opportunités qu’elle nous offre en tant que consommateurs et,
toujours plus, comme investisseurs/spéculateurs. Nous poussons la nouvelle économie en
avant. Et pourtant, il y a un « mais ». Quelque merveille que soit la nouvelle économie, nous
sacrifions sur son autel : des pans entiers de famille, de nos amitiés, de la vie collective, de
nous-mêmes. Ces pertes vont de pair avec les bénéfices que nous en retirons. En un certain
sens, ce sont le deux faces de la même médaille » (Reich, 2000).
L’éco-efficience
Au début des années 2000, les sciences de l’ingénieur ont connu un certain succès
auprès des instances de l’Union européenne et l’écologie industrielle s’est mise à
‘surfer’ sur la vague de l’écotechnologie 35 et de l’éco-efficience. L’écotechnologie
recouvre à la fois « les techniques intégrées qui évitent la formation de polluants durant les
procédés de production, et les techniques en bout de chaîne qui réduisent les rejets dans
l’environnement de toute substance polluante générée. Elle peut également englober les
nouveaux matériaux, les procédés de fabrication économes en énergie et en ressources, ainsi
que le savoir faire écologique et les nouvelles méthodes de travail » (COM, 2002, p. 5). Il
semble extrêmement difficile d’évaluer la contribution de l’éco-technologie au
développement durable. Néanmoins, il est possible de rendre compte de cette
corrélation à partir des éco-industries. Selon l’OCDE et Eurostat (1999), les écoindustries concernent « toutes les activités qui produisent des biens et services visant à
mesurer, prévenir, limiter ou corriger les atteintes à l’environnement touchant l’eau, l’air ou
le sol, et les problèmes en rapport avec les déchets, le bruit et les écosystèmes ». Cette
définition englobe trois catégories d’activités : la gestion de la pollution de nature
préventive (réduction des émissions de gaz à effet de serre) ou curative (réparations
des atteintes à l’environnement) ; les techniques intégrées et les produits peu
polluants (c'est-à-dire les activités qui améliorent, réduisent ou éliminent de façon
continue les incidences des techniques générales de l’environnement) ; la gestion des
ressources (notamment des énergies renouvelables telles que l’éolien, le solaire, la
biomasse).
Dans la mesure où ces nouvelles techniques relevant de l’écotechnologie
réduisent les coûts de la protection de l’environnement, elles permettent également
de renforcer la protection de l’environnement pour un prix moins élevé ou de
35
Aux Etats-Unis, l’écologie industrielle et l’écotechnologie font désormais partie du prestigieux MIT.
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
satisfaire aux normes actuelles à moindre coût. Cela permet de libérer des ressources
qui peuvent être utilisées ailleurs et de dissocier la pollution de l’environnement et
l’utilisation des ressources de la croissance économique. Ce « Green Business »
constitue pour les tenants de l’écologie politique, autant de danger que la
surexploitation des ressources naturelles et la destruction des bases de la vie. Selon
André Gorz (1991), les éco-industries et les éco-business obéiraient aux mêmes
impératifs de rentabilité maximale que les autres industries de consommation. Il ne
s’agirait pas de satisfaire les besoins fondamentaux de la manière la plus rationnelle
possible mais au moyen d’un flux maximal de marchandises aussi profitables que
possible à produire. Dès lors, « la reproduction des bases de la vie peut être organisée dans
le cadre d’un éco-techno-fascisme qui remplace artificiellement les cycles naturels par des
niches synthétiques, économicise en quelque sorte le milieu de la vie, industrialise la
production de la vie elle-même, y compris la vie humaine, commercialise des fœtus et des
organes, maximise les performances des organismes vivants, y compris les performances
humaines, par des moyens d’ingénierie génétique » (1991, p. 109). L’éco-efficience ne
serait que la modernisation écologique du capitalisme et la dernière « potion
magique » des industriels. Economiser 30 à 40% des intrants, est tout à fait possible en
accroissant l’efficience et en luttant contre le gaspillage. Les nouvelles technologies
permettraient même d’aller jusqu’à 90% d’économies. Toutefois, comme le souligne
Serge Latouche (2006, p. 49), « que l’efficience écologique puisse s’accroître est une
excellente chose. Elle pourrait faciliter le passage à une société de décroissance… mais dans le
même temps la perpétuation de la croissance forcenée entraîne une dégradation globale ».
L’écologie politique, un projet politique pour l’éveil des
consciences
Dans ce qui précède, nous avons pris le parti d’associer la décroissance à un projet
politique porté par les pionniers de l’écologie politique. Bien entendu, il ne s’agit pas
de réduire le champ de l’écologie (Deléage, 2006) à la décroissance, mais bien de
penser cette dernière comme une réponse des économistes hétérodoxes aux dérives
du capitalisme. Il nous semble que c’est à partir de cette grille de lecture que l’on
peut comprendre l’extension du champ de l’écologie politique et son ancrage à la fois
dans la science en général (écologie scientifique) et dans les sciences sociales, plus
particulièrement. Dans son ouvrage les Scénarios de l’écologie (1996), Dominique Bourg
s’est appuyé sur la crise de l’idéologie économique pour présenter ce qu’il nomme,
les trois modalités de la pensée écologique. Le rejet le plus radical, celui de la Deep
Ecology (Ecosophie d’Arne Naess, 1955, 1957, 1958…) cherche à en finir avec
l’humanisme moderne en instituant un système de valeurs biocentrique
reconnaissant à chaque espèce, un droit égal à l’existence. Le scénario intermédiaire,
celui du principe de responsabilité de Jonas, entend repenser nos responsabilités vis à vis
des générations futures et de la nature à l’aune des pouvoirs nouveaux conférés par
53
Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
les sciences et les techniques. Enfin, le scénario démocratique doit initier « une critique
sans complaisance des aspects les plus délétères des sociétés industrielles, sans pour autant
rejeter ce dont elles sont foncièrement solidaires, à savoir les droits de l’individu et les
institutions démocratiques » (1996, p. 30). L’auteur place dans ce courant de pensée des
auteurs tels que Ivan Illich, André Gorz et même Philippe Van Parijs.
Si Jean Paul Deléage (1996) reconnaît l’importance du scénario démocratique, il
note, d’une part, que « les difficultés qu’il soulève sont énormes » et d’autre part, que « le
pessimisme de la raison doit être et peut être, contrebalancé par l’optimisme de la volonté »
(1996, p. 128). Ces quelques mots en disent long sur le positionnement de l’écologie
politique. Il constitue à nos yeux une nouvelle étape dans cette longue émergence
d’un véritable courant de pensée, une étape teintée à la fois de postures positive et
normative. L’écologie politique passe du projet politique à l’action collective (au sens
cognitif), une sorte d’éveil des consciences qui sur des valeurs précises, « interroge le
système représentatif dans son organisation et sa finalité » (Villalba, 2012, p. 98)
Cette quête ne cesse d’interroger le champ de l’écologie politique tout en
proposant des réponses claires et précises. André Gorz (1992) note que l’écologie
politique ne peut se réduire à une limitation des consommations mais implique de
sortir du productivisme capitalistique et du laisser faire libéral, tout en préservant
l’autonomie individuelle aussi bien que la solidarité sociale. Zin (2010) insiste sur le
fait que l’écologie politique doit nous amener à déterminer un revenu garanti qui
permettrait de sortir du salariat productiviste et de passer du travail subi
(subordonné) au travail choisi (autonome), comme de la sécurité sociale au
développement humain. Villalba (2012) voit dans l’écologie politique, une façon plus
écologique (post totalitaire) de faire de la politique : une démocratie des minorités,
ancrée dans le local et le face-à-face, à l’opposé de toute dictature majoritaire, et
pouvant constituer à terme une véritable démocratie cognitive en interaction entre
agir local et penser global. Si ces trois illustrations constituent à nos yeux une fronde
anti-capitaliste, il reste cependant à préciser le cœur de ce nouveau paradigme.
Jean Zin (1993) revient sur cette question en présentant ce qu’il appelle les trois
tendances contradictoires de l’écologie. Il y aurait ainsi une écologie fondamentaliste
et réactionnaire dont le mot d’ordre est « respectons les lois de la nature ». La liberté
humaine (individuelle) représente le mal absolu. Une écologie environnementaliste,
libérale et centriste, dont le mot d’ordre est « la qualité de la vie se réduit à préparer les
futures industries de l’environnement, l’intégration de la gestion des déchets de
l’économie… ». Une écologie politique dont le mot d’ordre est « la prise en compte de la
totalité et la maîtrise de notre environnement, des conséquences de nos actions sur nous
mêmes et notre avenir ». Il s’agit ici de reprendre le contrôle de l’économie, de parler
de besoins réels, de globaliser les problèmes, de chiffrer les nuisances indésirables…
Ce monde reste à construire en fondant notre société sur de nouvelles solidarités.
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
Dans son ouvrage Qu’est ce que l’écologie politique, Alain Lipietz (1999, 2012) apporte
quelques éléments de réponse. Tout en précisant que l’écologie politique « est
l’écologie d’une espèce particulière, l’espèce humaine, une espèce sociale et politique » (1999,
p. 11), il ajoute que c’est également « un mouvement social pour transformer l’écologie
réellement existante de notre espèce humaine » (ibid). C’est donc une politique et une
éthique, une aspiration morale à plus d’harmonie, d’autonomie, de solidarité, de
responsabilité. L’écologie politique se place ainsi au rang des sciences sociales et a
son propre slogan : « le bien vivre » ou « le mieux vivre » (Bertrand de Jouvenel,
1968) : « la politique écologiste est d’abord une science sociale ; une politique du mieux vivre
prend en compte les conséquences de nos actes sur notre santé, celle de nos proches, sur cette
nature que nous empruntons aux générations futures » (ibid).
Fig 9 : L’écologie politique, un nouveau paradigme cognitif
GRI LLE D E LECTURE
Ecologie politique :
courant hétérodoxie
Pères fondateurs
B. De Jouvenel
J. Ellul
N. Georgescu-Roegen
H. Daly
R. Passet
I. Illich
A. Gorz
S. Latouche
P. Rabhi
Critique de la société
capitaliste et nouveau
projet de société : la
convivialité, le bien
vivre, la
décroissance…
Ecologie politique : une revendication…..
Revue Ecologie Politique
Typologie de JIN
Les trois écologies(1993)
Ecologie Politique = projet politique
Conscience des problèmes
écologiques et de notre
appartenance aux écosystèmes
- Fondamentaliste (lois de
la nature)
Nouveau paradigme
cognitif (modernité réflexive) et non
moral
- En vi r on n emen t al i st e
(libérale et capitaliste)
A ffi r m at i on des p r i n ci p es d e
responsabilité et de solidarité
- Politique (reprendre le
contrôle de l’économie,
prendre en compte les
besoins réels, globaliser
les problèmes…)
Ecologie politique : réalité locale et
concrète (ce n’est pas une utopie), le
système capitaliste et la
consommation de masse sont des
utopies.
Négation de la séparation des
sphères technologique, économique,
sociale, écologique…
Quelques années plus tard, Jean Paul Deléage (2010, p. 21) éprouvera le besoin de
faire le point sur les dernières avancées en matière d’écologie politique. Cette
dernière se résumerait aux cinq points suivants : (1) le constat de la nouveauté et de
l’ampleur des contradictions qui affectent les rapports de l’espèce humaine à sa
planète (cadre de l’écosystème) ; (2) le constat que l’humanité, envisagée comme une
espèce, soit devenue une force géophysique majeure (Deléage se réfère au concept
d’anthropocène - forgé en 2002 par le Prix Nobel de chimie Paul J. Crutzen – lequel
suggère que nous serions entrés dans une nouvelle période géologique) ; (3) la
nécessité d’exprimer en action politique la triple nécessité suivante : repenser
totalement notre alliance à la nature, repenser le contrat social que les êtres humains
ne sont pas un simple agrégat d’individus mais font société, repenser la question de
la souveraineté politique ; (4) la nécessité d’esquisser ce qui pourrait déterminer les
spécificités, les prérogatives et les choix politiques d’un état de droit ainsi que les
modes d’organisation interétatiques les plus efficaces à l’époque de l’anthropocène
(Deléage précise que l’écologie, qu’elle soit politique ou scientifique, recouvre deux
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
démarches distinctes mais interconnectées36) ; (5) la forme concrète de l’engagement
politique. Aux yeux de Jean Paul Deléage et au vu de la crise écologique que nous
traversons, ce dernier point constitue l’un des chantiers les plus importants: « il me
semble urgent d’être partie prenante des processus de recomposition de l’écologie politique en
cours, notamment dans notre pays » (2010, p. 21). Le mouvement écologique doit être
l’avant garde d’une nouvelle conscience, celle de l’action collective : « La question est
de savoir comment producteurs et consommateurs peuvent se rassembler pour réfléchir et
décider collectivement et souverainement quoi et comment produire et consommer » (2010, p.
28).
Fig 10 : L’écologie politique vue par J.P Deléage
Constat et ampleur des
contradictions entre l’espèce
humaine et la Planète
ECOLOGIE POLITIQUE
Humanité = espèce de force
géophysique majeure
Anthropocène
(Crutzen, 2002)
Action politique doit répondre à un
triple défi
- Repenser notre alliance avec la nature
- Repenser notre contrat social
- Repenser notre souveraineté politique
Ecologie
politique
Participation à la
recomposition de l’écologie
politique
Spécificités, prérogatives et
choix politiques d’un Etat
Ecologie
scientifique
Notons que nous ne sommes pas très éloignés des thèses défendues par les tenants
de la décroissance. Jean Paul Deléage en est conscient puisqu’il ajoute : « A partir de ce
point de vue, la perspective de la décroissance peut s’avérer féconde, mais elle se heurte à
d’importants obstacles politiques dont il est urgent de débattre sérieusement dans la
perspective de leur mise en œuvre » (ibid). La proposition de Vincent Legey et al. (2013)
visant à instituer une dotation inconditionnelle d’autonomie (DIA) susceptible
Deléage (2006, p. 207) note à propos de l’extension du champ de l’écologie qu’il est nécessaire
d’adopter « une approche historique des concept scientifiques », d’articuler « différentes échelles d’espace et de
temps », de créer « des liens entre disciplines pour une meilleure intelligence de la Terre ».
36
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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |
d’assurer à toutes et tous une vie décente, illustre la volonté de proposer un modèle
de transition dont les citoyens seraient les acteurs et d’enclencher une décroissance
choisie : « La DIA est justement un moyen pour nous aider à sortir de manière transitoire de
la société de Croissance, nous désintoxiquer de la religion de l’économie, nous protéger de la
peur du lendemain, de la peur de l’autre » (2013, p. 37).
Conclusion
Dans un monde où les crises sont à la fois protéiformes (financière, économique,
sociale, écologique) et globalisées, l’écologie politique se présente de plus en plus
comme une alternative au système capitaliste tel qu’il se présente aujourd’hui. Face
à la course à la productivité, aux dysfonctionnements de la régulation marchande et
à l’aliénation de la technologie, nombre de penseurs de la société ont suggéré de réencastrer l’économie dans la société. Longtemps rangés sous la barre de
l’hétérodoxie, ces pionniers (Ellul, Illich, Gorz, Georgescu-Roegen…) ont posé les
limites biophysiques de notre expansion tout en proposant des programmes
alternatifs (la décroissance, la sobriété heureuse, la convivialité, la restructuration
écologique). Il faudra cependant attendre l’émergence du concept puis des
représentations du développement durable pour que ces idées et programmes
structurent un véritable courant de pensée. Aujourd’hui, l’écologie politique semble
franchir une nouvelle étape. A côté des critiques sans concessions de nos modes de
production et de consommation, elle tend de plus en en plus à s’inscrire dans une
démarche réflexive, une quête de sens qui passe par l’action collective et la
refondation du politique : « Dans ce cadre, et comme son nom composé l’indique,
l’écologie-politique doit intégrer la contradiction entre nature et culture (campagne et ville),
posant des limites aux possibles, à nos capacités techniques de transformation du monde
comme de nous- mêmes, mais il est bien question d’intelligence collective à construire et non
de conversion des âmes, il est question de projet politique et non de morale » (Zin, 2010, p.
41).
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