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sens, il nous faut tout d’abord nous poser une question centrale : comment étudier un objet à
dimension éminemment collective comme la monnaie ?
D’aucun pourront s’étonner de voir un mémoire de science économique débuter par la
citation d’un sociologue. Cette mise en exergue en début d’introduction d’une phrase tirée de
l’œuvre phare de Georg Simmel1 est pourtant bel et bien délibérée. Nous voulons justement
insister sur la nécessité d’une plus grande ouverture d’esprit de la part des économistes. On ne
peut guère, en effet, appréhender – et donc comprendre – la monnaie en adoptant un point de
vue purement et simplement économique. Attention, nous ne remettons pas en cause
l’importance ou le bien-fondé de celui-ci, mais l’étude de la monnaie à travers lui seul
reviendrait à observer le monde en ne tenant compte que d’un unique aspect, en gommant la
complexité inhérente à tous les phénomènes sociaux. Notre travail est bien celui d’un
économiste, mais notre vision de l’économie est d’abord celle d’une science sociale. En ce
sens, les travaux d’auteurs comme Gérard Debreu, s’ils représentent une prouesse
remarquable en termes de modèles mathématiques, ne peuvent que difficilement à notre avis
être considérés comme de l’économie, c’est à dire comme des discours visant à éclairer notre
compréhension du monde social dans lequel nous vivons. Nous considérons par ailleurs que
l’apport de disciplines autres telles l’histoire, l’anthropologie, la sociologie, la philosophie ou
encore la psychologie est non seulement souhaitable mais indispensable2. Certes, chacune de
ces disciplines tient sur la monnaie un discours spécifique. Tous ces discours ne sont pas
toujours conciliables aisément, ils peuvent effectivement ne pas parler de la même chose,
utiliser des concepts difficilement transposables dans d’autres domaines, mais le plus
important est que l’ouverture seule peut rendre possible l’enrichissement mutuel, le progrès
dans la compréhension des relations sociales. Or, c’est justement l’enjeu de toute science
sociale et donc de l’économie que de tenter d’expliquer de telles relations.
L’argent, nous dit donc Simmel, exerce de puissants effets simplement « par l’espoir et
la crainte, le désir et le souci qui s’attachent à lui ». Simple expression du bon sens commun
penseront certains. L’argent a toujours été soit sanctifié, soit blâmé ou parfois même les deux
à la fois ; il ne laisse en tout cas personne indifférent. Il est d’ailleurs très souvent assimilé au
capitalisme, vecteur majeur selon certains des inégalités des sociétés modernes. Le supprimer
peut alors sembler un objectif valable, légitime. Emile Zola, dans son roman L’argent, nous
fournit une illustration intéressante de ce phénomène. Un socialiste utopiste, Sigismond,
déclare ainsi : « Il faut le détruire, cet argent qui masque et favorise l’exploitation du
travailleur, qui permet de le voler en réduisant son salaire à la plus petite somme dont il a
1 G. Simmel, Philosophie de l’argent (1900), trad. fr., Paris, PUF, Quadrige, 1999.