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puisque l’individu tentait de renoncer à la possession de sa propre personne mais sans y
parvenir. Le second facteur est aussi alarmant : l’objet lui-même est mort. Lorsque c’est la
propriété qui confère à l’individu sa valeur, les objets du monde sont morts et la personne
est prise dans sa propre haine d’elle-même. Hegel semble vouloir faire contrepoids à de
telles conclusions en cherchant la possibilité d’une union vivante entre les individus et les
objets : s’agit-il d’une alternative à la religion et est-ce une solution qui en appelle à l’amour
ou qui inclut l’amour de quelque façon ? Lorsqu’il écrit « l’objet est mort », nous sommes
nécessairement amenés à poser la question : comment l’objet est-il mort ? Est-ce là la forme
générale de l’objet et en ce sens, de tous les objets ? L’objet est-il mort pour toujours ?
Les objets peuvent mourir de deux manières : par le sacrifice et par la propriété. Il semble
d’abord que Hegel veuille faire en sorte que nous nous gardions de renoncer à la propriété
si cela veut dire renoncer à toutes choses matérielles, à toute matérialité. Mais ensuite, il
paraît chercher une voie qui donne un rôle positif à la matière ainsi qu’aux objets du monde
sans que ceux-ci se réduisent à la propriété. Le texte nous demande d’imaginer d’entrer
dans une configuration du monde où un individu, qui n’aurait pas complètement renoncé à
son individualité, est mis face à un monde d’objets, entouré par ce monde créé par les actes
qui ont sacrifié toute propriété personnelle au profit de la communauté. Lorsque les
individus sont privés de toute propriété, ils sont aussi privés d’une relation vivante aux
objets – les objets sont morts. Quelle possibilité de vie affective reste-t-il alors pour des
individus soumis à de telles conditions ? Ils se mettent à aimer ce qui est mort. Il ne leur
reste qu’à vivre et aimer dans une relation à un objet, à un ensemble d’objets, à un monde
d’objets qui sont morts. Et en ce sens ils demeurent dans une relation vitale à ce qui est
mort. Les objets morts constituent, en effet, le second terme de la relation d’amour. Dans
ces conditions donc, l’amour aime un matériau qui est indifférent à celui qui aime. Cette
relation n’est justement pas une relation vivante. Et lorsque Hegel entame sa réflexion sur
« l’essence de l’amour à ce niveau » (« in seiner inneren Natur »), il ne nous parle pas de
l’essence de l’amour en tout temps, il nous dit seulement comment est constituée l’essence
de l’amour dans les conditions où est requis le sacrifice, c’est-à-dire là où la religion exige
que les individus se séparent de leurs objets comme clause de participation à une
communauté.
Hegel adopte à présent le point de vue de celui qui a composé avec l’obligation de perdre ce
monde d’objets, de vivre dans un monde d’objets morts, et de vivre jusqu’au bout les
conséquences de ce mode d’amour particulier dans lequel on n’a de rapports d’amour
qu’avec des objets morts. Il est intéressant, bien sûr, que l’amour lui-même ne soit pas
annihilé par ces conditions. L’amour y prend plutôt une forme nouvelle. On pourrait même
dire que l’amour y acquiert une forme spécifiquement historique. Celui qui vit dans une telle
configuration n’a pas simplement perdu le monde des objets, il continue au contraire
d’aimer ce qui est entré pour lui dans la mort ; et, dans le même temps, il garde espoir que
cette perte sera compensée, qu’il y gagnera une certaine éternité ou infinité, et qu’ainsi il se