Au Soleil de Daudet - Atelier Théâtre Jean Vilar

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DOSSIER PEDAGOGIQUE
Au Soleil de Daudet
De et par Jacques Sereys,
à partir des textes d!Alphonse Daudet
Distribution :
Mise en scène : Jean-Luc Tardieu
Décor : Pierre-Yves Leprince
Son : Michel Winogradoff
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Assistante lumières : Jessica Duclos
Un spectacle du Théâtre Montparnasse présenté par Atelier Théâtre Actuel.
Dates : du 15 au 18 janvier 2008
Lieu : Théâtre Jean Vilar
Durée du spectacle : 1h30 sans entracte
Réservations : 0800/ 25.325
Contact écoles :
Adrienne Gérard
010/47.07.11 – 0473/936.976
[email protected]
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I. Alphonse Daudet, petite biographie
Alphonse Daudet naît à Nîmes le 13 mai 1840.
Après avoir suivi les cours de l'institution Canivet à Nîmes, il entre en sixième au
lycée Ampère. Alphonse doit renoncer à passer son baccalauréat à cause de la faillite du
commerce de son père en 1856. Il devient maître d'étude au collège d'Alès. Cette expérience
pénible lui inspirera son premier roman, Le Petit Chose (1868).
Daudet rejoint ensuite son frère à Paris et y mène une vie de bohème. Il publie en
1858 un recueil de vers, Les Amoureuses. L'année suivante, il rencontre le poète Frédéric
Mistral. Il a ses entrées dans quelques salons littéraires, collabore à plusieurs journaux,
notamment « Paris-Journal », « L'Universel » et « Le Figaro ». En 1860, il entre au service
du duc de Morny (personnage influent du Second Empire), comme secrétaire. Ce dernier lui
laisse beaucoup de temps libre, qu'il occupe à écrire des contes, des chroniques. Morny
meurt subitement en 1865 : cet événement sera le tournant décisif de la carrière de Daudet.
Daudet se consacra désormais à l'écriture, non seulement comme chroniqueur au
journal « Le Figaro » mais aussi comme romancier. Il rencontre Julia Allard, qu!il épousera
en 1867, elle lui donnera trois enfants. Il séjourne plusieurs fois dans le Midi d!où il est
originaire, en particulier à Fontvieille où se situe le fameux moulin auquel il fait référence
dans le titre de son fameux recueil, mais aussi en Corse et en Algérie. C!est d!ailleurs après
un nouveau voyage en Provence qu'il commence à rédiger les premiers textes des Lettres
de mon moulin, avec l!aide de son ami Paul Arène.
Il connaît son premier succès en 1862-1865, avec la Dernière Idole, pièce montée à
l'Odéon.
Il obtient ensuite, par le directeur du journal « L'Événement », l'autorisation de publier
ses Lettres comme feuilleton pendant tout l'été de l'année 1866, sous le titre de
« Chroniques provençales ». Ces textes seront publiés en 1869, après avoir été remaniés,
augmentés, devenant ainsi le recueil des Lettres de mon moulin.
En 1874, Daudet se tourne vers les romans de mœurs : Fromont jeune et Risler aîné,
Jack (1876), Le Nabab (1877), les Rois en exil (1879), Numa Roumestan (1881) ou
L'Immortel (1883). Pendant ces travaux de romancier et de dramaturge - il écrit dix-sept
pièces - il n'oublie pas pour autant son travail de conteur : il écrit en 1872 Tartarin de
Tarascon. Les contes du lundi (1873), un recueil de contes sur la guerre franco-prussienne,
témoignent aussi de son goût pour ce genre et pour les récits merveilleux.
Daudet subit les premières atteintes d'une maladie incurable de la moelle épinière,
mais continue de publier jusqu'en 1895. Il décède le 16 décembre 1897 à Paris, à l'âge de 57
ans.
La Chèvre de Monsieur Seguin est une des nouvelles issues des Lettres de mon
moulin d'Alphonse Daudet. D'après Claude Gagnière, elle est clairement attribuée à son ami
qui collabora activement à la rédaction de plusieurs des lettres du recueil, Paul Arène.
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II. L!équipe du spectacle
Jacques Sereys, le comédien
L!illustre comédien Jacques Sereys a commencé son parcours théâtral au
Conservatoire National d!Art Dramatique en 1951. Il y enseignera lui-même cette discipline
vingt-huit ans plus tard. Après avoir obtenu deux premiers prix de Comédie, l!un classique,
l!autre moderne, il entre à la Comédie-Française en 1955, devient sociétaire en 1959 et
conserve ce statut jusqu!en 1964. Il s!engage à nouveau dans la Société des ComédiensFrançais en 1977, il est nommé Sociétaire Honoraire à son départ en 1997.
Que ce soit sur les planches, à la mise en scène, ou encore devant les caméras,
Jacques Sereys ravit le public. Comme comédien, il a joué sous la direction des plus grands :
Jérôme Savary (L!Avare), Georges Lavaudant (Hamlet), Jacques Lassalle, Antoine Vitez,
Giorgio Strehler, Pierre Dux...
Au cinéma, on le retrouve notamment dans La Chamade d!Alain Cavalier en 1968, Le
Gang de Jacques Deray en 1977, Opération Corned Beef de Jean-Marie Poiré en 1990, Le
Bossu de Philippe de Broca en 1997 ou encore Chouchou de Merzak Allouache en 2003.
Jacques Sereys a également mis en scène plusieurs pièces dont L!Ecole des
Femmes de Molière et Intermezzo de Jean Giraudoux à la Comédie-Française.
En 2006, il s!est vu récompenser du Molière du meilleur comédien pour son
interprétation dans Du côté de chez Proust, mis en scène par Jean-Luc Tardieu.
On oublie souvent de le mentionner, mais Jacques Sereys est originaire de Marseille,
et avant de rêver à la Comédie-Française, il a dû perdre l'accent ! Juste retour des choses, il
le retrouve aujourd!hui, un brin, trois fois rien, une touche joyeuse qui colore son spectacle…
Avec Alphonse Daudet, nous partons à la rencontre d!un auteur cher à Jacques
Sereys : «Le goût de la lecture m'est venu de l'amour avec lequel les institutrices nous
lisaient Alphonse Daudet. Je suis tombé sous le charme de cet auteur dès l'enfance. (…) Je
veux faire entendre une histoire. »
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Jean-Luc Tardieu : metteur en scène
Ancien directeur de la Maison de la Culture de Loire-Atlantique, il a mis en scène de
nombreuses pièces d!auteurs très divers ; Duras, Hugo, Pagnol, Ibsen, Shakespeare,
Giraudoux, Wilde, Aristophane, Rostand, Montherlant, naturellement destinées au théâtre.
Mais il a aussi plusieurs fois mis sur l!estrade des textes à l!origine écrits pour l!intimité de la
lecture.
On se souvient de Cocteau-Marais, accueilli à l!Atelier théâtral de Louvain-la-Neuve
en 1987: l!œuvre de Jean Cocteau éclairée par Jean Marais, témoin privilégié ; de Edwige
Feuillère en scène au Théâtre de la Madeleine : les vraies-fausses confidences d!une actrice
ayant marqué par ses interprétations de Claudel, Giraudoux…
Du côté de chez Proust et Au Soleil de Daudet avec Jacques Sereys sont deux
nouvelles illustrations de cette attirance pour la mise en voix solitaire, la mise en jeu des
grands textes de la littérature.
Le mot du metteur en scène
Alphonse Daudet a porté à son Zénith l'art si exigeant du conte.
Son oeuvre, profondément ancré dans la mémoire collective, comme pour La
Fontaine, comme pour Perrault, reste pourtant mal dégagé de la gangue des souvenirs
scolaires, ce qui le rend chaque fois à redécouvrir pour notre émerveillement.
De Paris en Provence, de Provence à Paris, les textes du spectacle, subtilement liés
les uns aux autres par Jacques Sereys, semblent, à travers les figures familières inventées
par l'auteur, ne mettre en scène qu'un seul personnage.
« Un artiste fait toujours son propre portrait », disait Cocteau.
Ce personnage ne serait-il pas le portrait composite de Daudet lui-même qui, comme
Flaubert « était » Madame Bovary, est à la fois le Petit Chose, le Curé de Cucugnan, le souspréfet aux champs, voire même la chèvre de Monsieur Seguin ... ?
Grâce à l'art du « dire » porté à un haut point de maîtrise par Jacques Sereys, le
spectateur retrouve le plaisir de l'écoute du conteur le soir à la veillée.
Jean-Luc Tardieu
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III. Le spectacle
Les Lettres de mon moulin est la charpente essentielle du montage que Jacques
Sereys entremêle avec des extraits du Petit Chose.
Les Lettres de mon moulin
Ce recueil de nouvelles (ou lettres) d!Alphonse Daudet a été publié chez Hetzel en
1869. Ces lettres ont été rédigées en partie avec Paul Arène entre 1866 et 1869 et publiées
tout d!abord dans la presse (Le Figaro, L!Evènement, Le Bien Public).
L!édition originale ne comportait que 19 lettres. Celle de 1879, chez le même éditeur
en comporte 24.
Le premier charme de ce recueil est de restituer les odeurs de la Provence et d!y
camper des personnages pittoresques : le curé gourmand, l!amoureux, le poète, le berger, le
joueur de fifre, les voyageurs de la diligence… Dans ce recueil Daudet parvient aussi à allier
tendresse et malice. Il se moque avec gentillesse des manies d!un pape avignonnais, des
douaniers paresseux, d!un prêtre épicurien, ou d!une femme légère…
Les Lettres de mon moulin est aujourd!hui l!œuvre de Daudet la plus connue.
Pourtant à la parution, elle passa quasiment inaperçue. Daudet lui-même raconte :
« Le volume parut chez Hetzel en 1869 , se vendit péniblement à deux
mille exemplaires, attendant comme les autres œuvres de mes débuts, que la
vogue des romans leur fit un regain de vente et de publicité. N!importe ! C!est
encore là mon livre préféré, non pas au point de vue littéraire, mais parce qu!il
me rappelle les plus belles heures de ma jeunesse, rires fous, ivresses sans
remords, des visages et des aspects amis que je ne reverrai plus jamais ».
Extrait de Histoire de mes livres
Ces lettres sont écrites à la première personne et sont précédées par un avantpropos qui relate l!acte de vente par lequel le narrateur achète le moulin et l!installation.
En réalité, au cours de ses séjours à Fontvieille , Alphonse Daudet aime à se
ressourcer en écoutant le chant des cigales. Il se décide un jour à acheter un moulin, mais
ceci ne restera qu!un projet, et le recueil des Lettres de mon moulin a été écrit depuis la
banlieue parisienne où réside Daudet à l!époque :
« Mon moulin ne m'appartint jamais. Ce qui ne m'empêchait pas d'y
passer de longues journées de rêves, de souvenirs, jusqu'à l'heure où le soleil
hivernal descendait entre les petites collines rases, dont il remplissait les creux
comme d'un métal en fusion, d'une coulée d'or toute fumante ».
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Les principales Lettres de mon moulin
- Avant Propos
- Installation
- La Diligence de Beaucaire
- Le Secret de Maître Cornille
- La Chèvre de Monsieur Seguin
- Les Etoiles
- L'Arlésienne
- La Mule du Pape
- L'Agonie de la Sémillante
- Les Douaniers
- Le Curé de Cucugnan
- Les Vieux
- Les Trois Messes Basses
- La Mort du Dauphin
- Le Sous-Préfet aux Champs"
- Le Poète Mistral
- Les Oranges
- Le Portefeuille de Bixiou
- Légende de l'Homme à la Cervelle d'Or
- Les Deux Auberges
- A Milianah
- Les Sauterelles
- L'Elixir du Révérend Père Gaucher
- En Camargue
Plus que de trouver un ordre logique à cette suite de lettres, il faut voir dans leur
agencement une alternance de tons et de rythmes : un temps de pause succède à une
action enlevée, un rire vient faire oublier la tristesse d'une histoire. Loi du contrepoint qui sert
aussi le souci de variété.
Plus de mille touristes font chaque année le détour par Fontvieille, pour visiter le
moulin et le musée, modeste mais pittoresque, l!ouvrage est traduit dans plusieurs langues,
adapté en disque, en film. Alors à quoi tient, aujourd'hui encore, le succès d'une œuvre qu'on
ne sait pas très bien comment classer ?
C!est sans doute parce que les Lettres de mon moulin nous font effectuer un voyage
dans l'espace et dans le temps, offrant à nos yeux de lecteur des images d'une province
pittoresque dont les couleurs se rehaussent du charme mythique du bon vieux temps. Tout
un monde surgit, odorant et coloré, souvent ensoleillé et même écrasé de chaleur, lumineux
de rires et de chansons mais aussi menaçant de tempêtes et ombré de malheurs.
Au fil des pages, il nous raconte les anecdotes d'un moment, d'un lieu... Mais il nous
parle aussi de valeurs éternelles : le dangereux goût de la liberté, la difficulté d'aimer, la
dignité de vivre ; comme de plaisirs indestructibles : les délices de la gourmandise, la
fraîcheur du rire...
À cette variété de messages correspondent la disparité des formes. C'est peut-être
justement parce qu'elles sont impossibles à classer, donc à figer, que les Lettres vivent
encore aujourd'hui d'une vie jaillissante et bondissante.
Ci-dessous quelques extraits des lettres que vous pourrez entendre lors de votre
venue au Théâtre Jean Vilar.
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La Chèvre de Monsieur Seguin
La Chèvre de Monsieur Seguin est une des nouvelles issues des Lettres de mon
moulin. D'après Claude Gagnière, elle est clairement attribuée à l!ami d!Alphonse Daudet qui
collabora activement à la rédaction de plusieurs des lettres du recueil, Paul Arène.
Résumé :
Pierre Gringoire, ami de Daudet, ne veut pas se faire chroniqueur dans un journal,
mais rester libre. Le narrateur lui fait des remontrances et lui raconte alors l'histoire de la
chèvre de monsieur Seguin. Celui-ci avait déjà eu six chèvres, toutes mangées par le loup
pour avoir voulu goûter à la liberté de la montagne. Blanquette, magnifique petite chèvre, est
bien traitée par son maître, mais commence comme celles qui l'ont précédée, à s'ennuyer.
Elle confie à monsieur Seguin son souhait de partir dans la montagne, et essuie un refus
effrayé de son maître. Pour prévenir toute escapade, il l'enferme dans une étable, mais
oublie la fenêtre, que la chèvre utilise aussitôt pour quitter les lieux. Elle découvre alors la
montagne majestueuse, et passe une délicieuse journée.
Le soir tombe ; Blanquette entend la trompe de monsieur Seguin, et le loup aussi...
Elle décide alors de rester dans la montagne, et la lutte avec son prédateur commence…
Analyse :
Sous forme de lettre à un ami, Pierre Gringoire, c'est un apologue inspiré d'une
histoire populaire de Provence.
Définition : L'apologue est un discours narratif démonstratif, à visée
argumentative, très souvent allégorique, rédigé en vers ou en prose, qui
renferme des enseignements, dont on tire une morale pratique.
Le genre semble franchement épistolaire. La lettre s!adresse à Pierre Gringoire, ami
du narrateur et poète lyrique à Paris ; le narrateur fait référence à son ami de nombreuses
fois au cours de l'histoire, notamment à la fin, pour appuyer le fait que la morale lui est
destinée. Le narrateur lance, avant de commencer le récit proprement dit, « Tu verras ce que
l'on gagne à vouloir être libre. », ce qui indique clairement la volonté d'enseigner quelque
chose à son lecteur. L'aspect fictionnel un peu naïf, notamment du don de parole à la chèvre,
fait penser à La Fontaine, célèbre pour ses apologues en forme de fables.
La morale est implicite. Il est dit en toutes lettres que « le loup se jeta sur la petite
chèvre et la mangea » ; cependant, le narrateur ne dit pas clairement quel pourra être,
d'après lui, le sort de Gringoire s'il persiste à être poète. Il est évident que le narrateur
réserve à Gringoire, pour ses rêves de poète, un futur opposé à celui décrit s'il accepte la
condition de chroniqueur : il n'aura ni « beaux écus à la rose », ni « le couvert chez Brébant »
(une table réservée et payée dans un grand restaurant de l'époque à Paris)... Le loup sera
peut-être la société impitoyable, ou plus simplement la faim, évoquée dans le début du texte
(« cette face maigre qui crie la faim ») ; quelle que soit l'interprétation, le narrateur voit pour
Gringoire le sombre avenir des sans-le-sou et ses conditions associées.
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Le style est très changeant : le narrateur décrit ainsi très lyriquement et dans un
langage imagé et parfumé « l'amour de petite chèvre » qu'est Blanquette, ou la montagne
somptueuse qui honore sa petite visiteuse.
Mais la dominante est en réalité le tragique sous-jacent. Dès le début, « Tu verras ce
que l'on gagne à vouloir être libre. » est suivi immédiatement de « M. Seguin n'avait jamais
eu de bonheur avec ses chèvres. ». Plusieurs éléments viennent rompre des situations
agréables, présageant une funeste fin : Blanquette, chez son maître, regarde soudain la
montagne ; après l'évasion, le narrateur dit « Nous allons voir si tu riras tout à l'heure... » ;
heureuse dans la montagne, la chèvre voit le soir tomber, et « Tout à coup le vent fraîchit. »
On voit ainsi une accumulation, qui tend à préparer le lecteur à la mort de la chèvre. Enfin, la
succession de « Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea. » et « Adieu,
Gringoire ! », sonne comme une oraison funèbre.
Le narrateur s'appuie alors sur la culture de la Provence pour dire que cette histoire
est véridique, et insiste sur le destin tragique de la petite chèvre, en redisant la phrase de la
mise à mort, cette fois en provençal : « E piei lou matin lou loup la mangé. »
Extrait :
M. Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d'aubépines. C'est là qu'il mit sa
nouvelle pensionnaire. Il l'attacha à un pieu, au plus bel endroit du pré, en ayant soin de
lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps il venait voir si elle était bien. La
chèvre se trouvait très heureuse et broutait l'herbe de si bon coeur que M. Seguin était
ravi. - Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s'ennuie pas chez moi!
M. Seguin se trompait, sa chèvre s'ennuya.
Un jour, elle se dit en regardant la montagne:
- Comme on doit être bien là-haut! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette
maudite longe qui vous écorche le cou!... C'est bon pour l'âne ou pour le boeuf de brouter
dans un clos!... Les chèvres, il leur faut du large.
A partir de ce moment, l'herbe du clos lui parut fade. L'ennui lui vint. Elle maigrit, son lait
se fit rare. C'était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la
montagne, la narine ouverte, en faisant Mè!... tristement.
M. Seguin s'apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce
que c'était... Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans
son patois"- Ecoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la
montagne."- Ah! mon Dieu!... Elle aussi ! cria M. Seguin stupéfait, et du coup il laissa
tomber son écuelle ; puis s'asseyant dans l'herbe à côté de sa chèvre :"-Comment,
Blanquette, tu veux me quitter ! Et Blanquette répondit"- Oui, monsieur Seguin."- Est-ce
que l'herbe te manque ici?"- Oh! non! monsieur Seguin."- Tu es peut-être attachée de trop
court : veux-tu que j'allonge la corde?"- Ce n'est pas la peine, monsieur Seguin."- Alors,
qu'est-ce qu'il te faut ! qu'est-ce que tu veux ?"- Je veux aller dans la montagne, monsieur
Seguin."- Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne... Que
feras-tu quand il viendra?"- Je lui donnerai des coups de cornes, monsieur Seguin."- Le
loup se moque bien de tes cornes, Il m'a mangé des biques autrement encornées que
toi... Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l'an dernier? une maîtresse
chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s'est battue avec le loup toute la nuit...
puis, le matin, le loup l'a mangée."- Pécaïre! Pauvre Renaude!... Ça ne fait rien, monsieur
Seguin, laissez-moi aller dans la montagne."- Bonté divine!.. dit M. Seguin; mais qu'est-ce
qu'on leur fait donc à mes chèvres? Encore une que le loup va me manger... Eh bien,
non... je te sauverai malgré toi, coquine, et de peur que tu ne rompes la corde je vais
t'enfermer dans l'étable, et tu y resteras toujours.
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Le Curé de Cucugnan
Résumé :
Le village de Cucugnan se situe dans l'Aude, assez loin de la Provence. Il y règne un
climat malsain, et la foi n'y est plus présente. Le curé raconte dans son sermon qu'il a rêvé
qu'il allait au Paradis et n'y trouvait pas les habitants de Cucugnan ; il les a trouvés en Enfer.
Il fait alors le projet de confesser tout le village et redonne foi et vie au village entier.
Analyse :
Le Curé de Cucugnan est une exception, car elle n'est pas issue de l'imagination
d'Alphonse Daudet. A l'inverse d'autres nouvelles où l!auteur cache qu'elles étaient plus ou
moins largement dues à son ami Paul Arène, il reconnaît cette fois ce fait dans l'incipit.
Daudet avoue très honnêtement qu'il l'a trouvée dans l'Almanach provençal, écrite par ce
grand gueusard de Roumanille.
Beaucoup de lecteurs ne le croient pas. C'est pourtant rigoureusement exact, et le
texte de Daudet est une simple traduction de la nouvelle, écrite en provençal. Il a seulement
raccourci le texte, omettant un passage où est décrit le stratagème utilisé par le curé pour
que tout le village vienne écouter son sermon.
En fait, le provençal Roumanille s'est lui-même inspiré d'un autre auteur, Blanchot de
Brennas. Cependant, Roumanille apporte beaucoup d'humour et de charme à cette histoire.
Extrait :
L!abbé Martin était curé... de Cucugnan.
Bon comme le pain, franc comme l!or, il aimait paternellement ses Cucugnanais ; pour lui,
son Cucugnan aurait été le paradis sur terre, si les Cucugnanais lui avaient donné un peu
plus de satisfaction. Mais, hélas ! les araignées filaient dans son confessionnal, et, le
beau jour de Pâques, les hosties restaient au fond de son saint-ciboire. Le bon prêtre en
avait le cœur meurtri, et toujours il demandait à Dieu la grâce de ne pas mourir avant
d!avoir ramené au bercail son troupeau dispersé.
Or, vous allez voir que Dieu l!entendit.
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Le sous-préfet aux champs
Texte intégral
M. le sous-préfet est en tournée. Cocher devant, laquais derrière, la calèche de la
sous-préfecture l'emporte majestueusement au concours régional de la Combe-aux-Fées.
Pour cette journée mémorable, M. le sous-préfet a mis son bel habit brodé, son petit
claque, sa culotte collante à bandes d'argent et son épée de gala à poignée de nacre...
Sur ses genoux repose une grande serviette en chagrin gaufré qu'il regarde
tristement.
M. le sous-préfet regarde tristement sa serviette en chagrin gaufré : il songe au
fameux discours qu'il va falloir prononcer tout à l'heure devant les habitants de la Combeaux-Fées :
- Messieurs et chers administrés...
Mais il a beau tortiller la soie blonde de ses favoris et répéter vingt fois de suite :
- Messieurs et chers administrés... la suite du discours ne vient pas.
La suite du discours ne vient pas... Il fait si chaud dans cette calèche !... À perte de
vue, la route de la Combe-aux Fées poudroie sous le soleil du Midi... l'air est embrasé...
et sur les ormeaux du bord du chemin, tout couverts de poussière blanche, des
milliers de cigales se répondent d'un arbre à l'autre... Tout à coup M. le sous-préfet
tressaille. Là-bas, au pied d'un coteau, il vient d'apercevoir un petit bois de chênes verts qui
semble lui faire signe :
Le petit bois de chênes verts semble lui faire signe !
-Venez donc par ici, monsieur le sous-préfet ; pour composer votre discours, vous
serez beaucoup mieux sous mes arbres...
M. le sous-préfet est séduit ; il saute à bas de sa calèche et dit à ses gens de
l'attendre, qu'il va composer son discours dans le petit bois de chênes verts.
Dans le petit bois de chênes verts il y a des oiseaux, des violettes, et des sources
sous l'herbe fine... Quand ils ont aperçu M. le sous-préfet avec sa belle culotte et sa
serviette en chagrin gaufré, les oiseaux ont eu peur et se sont arrêtés de chanter, les
sources n'ont plus osé faire de bruit, et les violettes se sont cachées dans le gazon... Tout
ce petit monde-là n'a jamais vu de sous-préfet, et se demande à voix basse quel est ce
beau seigneur qui se promène en culotte d'argent.
À voix basse, sous la feuillée, on se demande quel est ce beau seigneur en culotte
d'argent... Pendant ce temps-là, M. le sous-préfet, ravi du silence et de la fraîcheur du bois,
relève les pans de son habit, pose son claque sur l'herbe et s'assied dans la mousse au
pied d'un jeune chêne ; puis il ouvre sur ses genoux sa grande serviette de chagrin gaufré
et en tire une large feuille de papier ministre.
- C'est un artiste ! dit la fauvette.
- Non, dit le bouvreuil, ce n'est pas un artiste, puisqu'il a une culotte en argent ; c'est
plutôt un prince.
- C'est plutôt un prince, dit le bouvreuil.
- Ni un artiste ni un prince, interrompt un vieux rossignol, qui a chanté toute une
saison dans les jardins de la sous-préfecture... Je sais ce que c'est : c'est un sous-préfet !
Et tout le petit bois va chuchotant :
- C'est un sous-préfet ! c'est un sous-préfet !
- Comme il est chauve ! remarque une alouette à grande huppe.
Les violettes demandent :
- Est-ce que c'est méchant ?
- Est-ce que c'est méchant ? demandent les violettes.
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Le vieux rossignol répond :
- Pas du tout !
Et sur cette assurance, les oiseaux se remettent à chanter, les sources à courir, les
violettes à embaumer, comme si le monsieur n'était pas là... Impassible au milieu de tout
ce joli tapage, M. le sous-préfet invoque dans son coeur la Muse des comices agricoles, et,
le crayon levé, commence à déclamer de sa voix de cérémonie :
- Messieurs et chers administrés...
- Messieurs et chers administrés, dit le sous-préfet de sa voix de cérémonie...
Un éclat de rire l'interrompt ; il se retourne et ne voit rien qu'un gros pivert qui le
regarde en riant, perché sur son claque. Le sous-préfet hausse les épaules et veut
continuer son discours ; mais le pivert l'interrompt encore et lui crie de loin :
- À quoi bon ?
- Comment ! à quoi bon ? dit le sous-préfet, qui devient tout rouge ; et, chassant d'un
geste cette bête effrontée, il reprend de plus belle :
- Messieurs et chers administrés...
- Messieurs et chers administrés..., a repris le sous-préfet de plus belle.
Mais alors, voilà les petites violettes qui se haussent vers lui sur le bout de leurs tiges
et qui lui disent doucement :
- Monsieur le sous-préfet, sentez-vous comme nous sentons bon ?
Et les sources lui font sous la mousse une musique divine ; et dans les branches, audessus de sa tête, des tas de fauvettes viennent lui chanter leurs plus jolis airs : et tout le
petit bois conspire pour l'empêcher de composer son discours.
Tout le petit bois conspire pour l'empêcher de composer son discours... M. le souspréfet, grisé de parfums, ivre de musique, essaie vainement de résister au nouveau
charme qui l'envahit. Il s'accoude sur l'herbe, dégrafe son bel habit, balbutie encore deux
ou trois fois :
- Messieurs et chers administrés... Messieurs et chers admi... Messieurs et chers...
Puis il envoie les administrés au diable ; et la Muse des comices agricoles n'a plus
qu'à se voiler la face.
Voile-toi la face, à Muse des comices agricoles !.. Lorsque, au bout d'une heure, les
gens de la sous-préfecture, inquiets de leur maître, sont entrés dans le petit bois, ils ont vu
un spectacle qui les a fait reculer d'horreur... M. le sous-préfet était couché sur le ventre,
dans l'herbe, débraillé comme un bohème. Il avait mis son habit bas ;
... et, tout en mâchonnant des violettes, M. le sous-préfet faisait des vers.
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Le Petit Chose
Le premier vrai roman d'Alphonse Daudet fut Le Petit Chose écrit en 1866. D!abord
paru dans Le Moniteur universel du soir, il est ensuite publié chez Hetzel en 1868.
Ce roman est autobiographique, dans la mesure où Daudet évoque son passé de
maître d'étude au collège d'Alès (dans le Gard, au nord de Nîmes). En 1856, Alphonse
Daudet sollicite un poste de maître d'internat à Alès. Il vient d'avoir seize ans et connaît à
son tour la grisaille de l'école. Pour Daudet, c'est l'apprentissage du désespoir :
« Oui c'est moi ce Petit Chose, obligé de gagner sa vie à seize ans dans cet
horrible métier de pion et l'exerçant au fond d'une province »
extrait de Histoire de mes livres
Le Petit Chose a été adapté par Daudet lui-même, pour l'éditeur Hetzel, en 1878,
dans une édition pour enfant. C'est celle-ci, un peu édulcorée, que l'on retrouve souvent en
édition jeunesse.
Résumé :
Ce roman en deux parties, écrit à la première personne, décrit les malheurs du héros,
Daniel Eyssette, surnommé « le petit chose ».
La première partie raconte l'histoire de Daniel Eyssette, fils d'un riche industriel
brusquement ruiné à la suite d!une faillite. Daniel ne peut plus continuer ses études, et
devient, à seize ans, pion dans un collège, à Sarlande. Après des débuts plutôt agréables, il
devient vite la cible des élèves de l'étude du cours moyen, en particulier de Boucoyran. Il
n'est soutenu que par l'abbé Germane qui lui permet de quitter la petite ville pour Paris.
Dans la deuxième partie, le jeune homme, accueilli à Paris par son frère, raconte ses
débuts dans la vie littéraire. Il écrit son premier livre,
vendu à un seul exemplaire. Souhaitant devenir poète, il
lit ses vers aux invitées du salon des Pierrotte,
commerçants dont il aime la fille. Son frère Jacques part
pour l!Italie et à son retour, avant de mourir, règle les
dettes de Daniel.
Hommage au David Copperfield de Charles
Dickens dont il admire le travail, le roman d!Alphonse
Daudet est une parodie poignante de sa propre jeunesse.
Ironique et farceur, il consacre alors son art de la dérision.
Le Petit Chose a été adapté plusieurs fois au
cinéma notamment par Maurice Cloche, avec Robert
Lynen en 1938.
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