Revue Hématologie 2008 ; 14 (5) : 354-65 Mécanismes d’activation cellulaire par les anticorps antiphospholipides Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Antiphospholipid antibodies: mechanisms of cellular activation Nathalie Satta Egbert K.O. Kruithof Guido Reber Philippe de Moerloose Service d’angiologie et d’hémostase, Hôpitaux Universitaires de Genève, 1211 Genève 14, Suisse <[email protected]> Résumé. Le syndrome antiphospholipide (SAPL) est caractérisé par des manifestations cliniques (thromboses et/ou complications obstétricales) associées à la présence d’anticorps dits antiphospholipides (aPL). Ces aPL sont en fait principalement dirigés contre des complexes phospholipides-protéines, la protéine cible principale étant la b2-glycoprotéine 1. Après quelques rappels sur le SAPL et son diagnostic, nous discuterons de certains mécanismes expliquant les complications vasculaires observées dans ce syndrome. Il peut s’agir de mécanismes interférant avec la coagulation (facteurs de coagulation, inhibiteurs ou fibrinolyse), ou de mécanismes d’activation cellulaire. Les cellules (principalement les cellules endothéliales, les monocytes et les plaquettes) activées par les aPL seront capables d’exprimer entre autres des cytokines, des molécules d’adhésion et du facteur tissulaire. Le but principal de cette revue est de présenter les connaissances actuelles sur les principaux récepteurs cellulaires des aPL (annexine A2, TLR, ApoER2’, GPIba), de discuter des voies d’activation intracellulaire, et finalement d’entrevoir certaines perspectives thérapeutiques découlant de ces nouvelles connaissances. Mots clés : anticorps antiphospholipides, b2-glycoprotéine 1, récepteurs toll like, annexine A2, thromboses Abstract. The antiphospholipid syndrome is characterized by clinical manifestations (thrombosis and/or pregnancy morbidity) associated with the so-called antiphospholipid antibodies (aPL). These antibodies are in fact mainly directed against protein-phospholipid complexes, the main protein being b2-glycoprotein 1. After a brief review on the syndrome and its diagnosis, we will discuss the possible mechanisms responsible for the clinical complications. aPL can interfere directly with the coagulation system (coagulation factors, inhibitors or fibrinolysis). They can induice an activation of endothelial cells, monocytes and platelets. After activation, these cells will express, among others, cytokines, adhesion molecules and tissue factor. Our review aims specifically at presenting the current knowledge on the main aPL receptors (annexin A2, TLR, ApoER2’, GPIba), at describing some intracellular pathways and finally at discussing new therapeutic avenues based on this recent knowledge. Keywords: antiphospholipid antibodies, beta 2-glycoprotein 1, toll-like receptors, annexin A2, thrombosis L ney en 2004 [2]. Aujourd’hui, il est défini par la présence de manifestations cliniques (thromboses et/ou complications obstétricales) associées à la présence d’anticorps antiphospholipides (lupus anticoagulant, anti-b2Hématologie, vol. 14, n° 5, septembre-octobre 2008 doi: 10.1684/hma.2008.0283 354 Tirés à part : P. de Moerloose e syndrome antiphospholipide (SAPL), connu depuis les années 1960, a fait l’objet d’un consensus à Sapporo en 1999 [1] et a été l’objet d’une nouvelle révision à Syd- Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. glycoprotéine 1 [-b2GP1] et anticorps anticardiolipines). Malgré toutes les données accumulées tout au long de ces années, de nombreux points d’interrogation subsistent. Ceux-ci concernent en particulier les mécanismes par lesquels ces anticorps agissent. Après avoir fait quelques rappels sur le syndrome (diagnostic et clinique), nous nous focaliserons dans cette revue sur les mécanismes, en particulier d’activation cellulaire, permettant d’expliquer les complications vasculaires (nous ne discuterons pas des mécanismes à l’origine des complications obstétricales même si une partie de celles-ci est probablement également d’origine vasculaire). Sur la base de ces connaissances récentes, nous discuterons de certaines perspectives thérapeutiques. Le syndrome antiphospholipide : rappels Le diagnostic biologique du SAPL est fondé sur la présence d’anticorps antiphospholipides (aPL) détectés par deux types de tests, des tests de coagulation et des tests immunologiques. Les tests de coagulation permettent de rechercher la présence d’un anticoagulant de type lupique ou LA (lupus anticoagulant). Cette recherche doit suivre une séquence de tests bien précise [3] et est l’apanage de laboratoires spécialisés. Les tests immunologiques sont en général des tests ELISA qui détectent des anticorps de type IgG ou IgM, soit des anticorps dits anticardiolipines (aCL), soit des anti-b2GP1. Bien que d’importants progrès aient été réalisés, ces tests sont encore loin d’être standardisés [4-6]. En effet, de nombreuses discussions sont en cours quant au meilleur choix de l’antigène, des microplaques, des calibrateurs et de la manière de définir le cut-off. Les aPL sont généralement polyclonaux, hétérogènes, et ceci complique le diagnostic. Le lien causal entre la présence d’un aPL de spécificité connue et l’augmentation du risque de thrombose n’est pas encore bien défini. Il apparaît clairement que les aPL ne présentent pas tous un potentiel pathogène, seule une sous-population étant responsable des complications cliniques. Actuellement, la cible principale des aPL semble être la b2GP1. Il s’agit d’une protéine présente dans le plasma à la concentration de 200 lg/mL. Elle est constituée de 4 domaines homologues et d’un cinquième domaine possédant un site de liaison aux phospholipides anioniques composé de 14 acides aminés chargés positivement et d’une courte séquence hydrophobe qui s’insère dans la membrane. C’est sous la forme liée à la membrane par l’intermédiaire des phospholipides anioniques que la b2GP1 est reconnue par les aPL. Cette fixation entraîne un changement de conformation de la protéine et induit l’exposition d’un épitope, normalement encrypté dans la forme native de la protéine, situé entre le résidu G40 et le résidu R43 du domaine I. Cet épitope devient alors accessible et permet l’interaction des aPL avec la b2GP1. Des travaux récents ont montré que les aPL qui reconnaissent avec forte affinité cet épitope ont également une activité anticoagulante de type lupique (lupus-like anticoagulant ou LAC), Hématologie, vol. 14, n° 5, septembre-octobre 2008 correspondant au prolongement du temps de coagulation dans les tests in vitro. Leur présence est en lien dans la plupart des cas de SAPL avec l’existence d’événements thrombotiques. Ces aPL forment donc une sous-population d’anticorps anti-b2GP1 à fort potentiel pathogène [7,8]. La théorie du « cryptic » épitope expliquerait en partie la difficulté de standardisation des tests de dépistage des anticorps antib2GP1. Il est fort probable que l’adsorption de la b2GP1 sur les surfaces hydrophiles ou hydrophobes des plaques ELISA ne permet pas une exposition optimale de cet épitope, réduisant ainsi l’affinité des anticorps anti-b2GP1 pour la b2GP1, et par conséquent la sensibilité du test. En ce qui concerne la clinique, deux grandes complications sont retenues dans la définition de ce syndrome : les événements thrombotiques et les complications obstétricales. Les thromboses peuvent être veineuses et/ou artérielles et toucher n’importe quelle partie de l’arbre vasculaire. Les manifestations iront donc de la maladie thromboembolique veineuse aux atteintes artérielles cérébrales (principalement), coronariennes ou artérielles périphériques. Les complications obstétricales, regroupées sous le terme anglais de « pregnancy morbidity », sont également variées et peuvent survenir à tous les stades de la grossesse ; la complication principale est la survenue d’épisodes répétés d’avortements spontanés et/ou de pertes fœtales. D’autres manifestations (thrombopénie et livedo par exemple) peuvent faire évoquer un SAPL mais ne font pas partie des critères retenus lors du dernier consensus [2]. Mécanismes responsables des complications vasculaires Deux mécanismes seraient à l’origine des complications thrombotiques provoquées par les aPL. L’un concerne l’interférence par les aPL avec certains composants du système de la coagulation (activateurs, inhibiteurs, fibrinolyse). L’autre met en jeu l’activation par les aPL de cellules impliquées dans la coagulation (endothélium, plaquettes, monocytes). Interférence dans le système de la coagulation Les aPL interfèrent principalement avec le système anticoagulant de la protéine C activée (PCa). Le système anticoagulant de la PCa sert de régulateur à la génération de thrombine en inactivant les facteurs Va et VIIIa. Tout dysfonctionnement de ce système peut entraîner des complications thrombotiques, principalement veineuses. Il a été démontré que des anticorps monoclonaux de souris anti-b2GP1 peuvent en présence de b2GP1 inhiber l’activité anticoagulante de la PCa [9] (figure 1). Il a été suggéré que le complexe immun anti-b2GP1/ b2GP1 se comporte comme un inhibiteur compétitif de la fixation du complexe anticoagulant de la PCa aux phospholipides anioniques présents sur la membrane des cellules activées. Le complexe anti-b2GP1/b2GP1 peut aussi provo- 355 A Va IIa PC TM PCa VIIIa Vi VIIIi PCa PS EPCR Va Va PS VIIIa B Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. PCa IIa PC TM VIIIa Va Va VIIIa PCa EPCR PS Figure 1. Effet inhibiteur des aPL sur le système anticoagulant de la protéine C activée (PCa). A) Représentation du fonctionnement physiologique du système anticoagulant de la protéine C activée. La protéine C (PC) liée à son récepteur membranaire EPCR est activée par le complexe thrombine (IIa)/thrombomoduline (TM). Après activation, la PCa interagit avec la protéine S pour inactiver le facteur Va ou le facteur VIIIa. B) Les anticorps anti-b2GP1 complexés à la b2GP1 se lient sur la membrane exposant de la phosphatidyléthanolamine ou des phospholipides oxydés ( ). Ils entrent en compétition avec la PCa empêchant sa fixation sur la membrane et la formation des complexes anticoagulants PCa/PS/FVa ou PCa/PS/FVa/FVIIIa. 356 quer le désassemblage des complexes anticoagulants déjà formés [10]. On s’attendrait à ce que, en limitant l’accès aux phospholipides anioniques, les complexes auto-immuns miment les effets des anticoagulants oraux qui diminuent l’affinité des facteurs vitamine K-dépendants pour la membrane. La résultante devrait être en faveur d’un état anticoagulant plutôt que procoagulant, ce qui n’est pas le cas. Des travaux récents sur les composants membranaires nécessaires au support des complexes procoagulants versus anticoagulants peuvent expliquer pourquoi les aPL perturbent préférentiellement le système anticoagulant. Le complexe anticoagulant de la PCa fonctionne de manière optimale lorsque la membrane expose de la phosphatidyléthanolamine (PE) ou bien lorsque les phospholipides membranaires sont sous forme oxydée, éléments qui n’ont par contre pas d’influence sur les complexes procoagulants [11,12]. Safa et al. [13] ont montré que l’inhibition de l’activité anticoagulante de la PCa par les complexes anti-b2GP1/b2GP1 était favorisée par la présence de phospholipides contenant de la PE oxydée, résultats également retrouvés en utilisant des aPL purifiés de patients présentant un SAPL associé à des thromboses. Le fait que dans le SAPL on retrouve un taux de lipides oxydés plus important que chez des sujets sains corrobore ce concept. Ceci révèle l’existence d’un lien étroit entre l’activité thrombogène des aPL et l’état d’oxydation des membranes cellulaires. Les aPL ont aussi d’autres actions dans le système anticoagulant. Ils interfèrent dans l’inhibition du facteur X activé par le complexe protéine Z/protein Z-dependent-protease inhibitor et par le TFPI (tissue factor pathway inhibitor). Ils peuvent inhiber l’activité de l’antithrombine en se fixant de manière compétitive sur les héparan sulfates par l’intermédiaire de leurs charges négatives, favorisant ainsi la formation de fibrine par la thrombine [14]. D’autres dysfonctionnements du système fibrinolytique sont retrouvés chez les SAPL dont une augmentation de la sécrétion de PAI-1 par les cellules endothéliales (CE) activées ; la présence d’anticorps antiannexine A2 pouvant inhiber la fixation du tPA ou du plasminogène à la surface des CE [15] ; la présence chez certains patients d’anticorps anti-tPA et antiplasmine ; et enfin, un effet inhibiteur de la b2GP1 sous forme clivée sur la fixation du plasminogène à l’annexine A2. Tous ces effets favorisent le maintien du thrombus. Activation cellulaire Les aPL en présence de b2GP1 sont capables d’activer les cellules telles que les CE, les monocytes, les plaquettes et les fibroblastes. Des études in vivo chez la souris ont mis en Hématologie, vol. 14, n° 5, septembre-octobre 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. évidence que l’activation des CE par les aPL joue un rôle important dans le SAPL. En effet, l’injection d’aPL humains chez la souris induit une augmentation de taille du thrombus formé après lésion de l’endothélium [16]. La formation du thrombus est réduite de manière significative dans le cas de souris déficientes en molécules d’adhésion leucocytaires ICAM, V-CAM, E-Selectine ou P-Selectine [17]. De plus, il a été montré que les aPL induisent le relargage par les CE de microparticules porteuses d’une activité procoagulante, et que le taux de microparticules circulantes dérivées de l’endothélium était plus élevé chez les patients avec un SAPL [18]. Ceci implique que l’activation de l’endothélium vasculaire par les aPL constitue un mécanisme thrombogénique important dans cette pathologie. Plusieurs études in vitro ont montré que les anticorps antib2GP1 reconnaissent la b2GP1 présente à la surface des CE, et activent les CE, ce qui entraîne une augmentation de l’expression des molécules d’adhésion leucocytaires, du facteur tissulaire, ainsi que de la sécrétion de chémokines et cytokines inflammatoires (MCP1, IL6, IL1). Ces facteurs sont responsables de l’attraction, l’adhésion et l’activation des cellules du système immunitaire (leucocytes, monocytes). Celles-ci vont contribuer à l’amplification locale des activités procoagulantes et pro-inflammatoires et augmenter le risque d’occlusions thrombotiques [19, 20]. Les monocytes jouent également un rôle important dans le risque thrombotique lié à la présence des aPL. Leur activation par les aPL a pour effet d’augmenter l’expression du facteur tissulaire par les monocytes [21]. De plus, les monocytes produisent de la b2GP1, ce qui favorise leur activation par les anticorps anti-b2GP1 [22]. Les plaquettes sont également la cible des aPL. Il a été montré que les complexes immuns anti-b2GP1/b2GP1 favorisent l’activation des plaquettes et leur dépôt sur le sousendothélium en condition de flux [23]. Ainsi, les CE, les monocytes et les plaquettes participent de façon directe et coopérative dans le développement et/ou le maintien d’un état hypercoagulant chez les patients avec un SAPL. Mécanismes d’activation des cellules par les aPL, récepteurs et voies de signalisation Les mécanismes d’activation des cellules par les aPL sont peu connus et font actuellement l’objet d’une recherche intensive. Le point commun de ces mécanismes, que ce soit pour les CE, pour les monocytes et pour les plaquettes, est la nécessité de la présence de la b2GP1 dans le système. Il a été montré que les anticorps anti-b2GP1 lient la b2GP1 à la surface des cellules endothéliales isolées de cordons ombilicaux (HUVEC), que ces anticorps sont internalisés, qu’ils s’accumulent dans les endosomes tardifs et bloquent le trafic protéique entre l’appareil de Golgi et les endosomes [24, 25]. Cependant, les récepteurs membranaires des aPL à la surface Hématologie, vol. 14, n° 5, septembre-octobre 2008 cellulaire sont encore mal connus. Récemment, un certain nombre de protéines ont été identifiées comme acteurs potentiels dans l’activation cellulaire induite par les aPL soit comme récepteurs, soit comme cofacteurs. Protéines impliquées dans l’activation des cellules endothéliales Rôle de l’annexine A2 Les travaux de Ma et al. [26] ont mis en évidence la présence d’un récepteur pour la b2GP1 à la surface des cellules endothéliales. Il s’agit de l’annexine A2 connue pour son rôle dans le système fibrinolytique comme corécepteur du plasminogène et de l’activateur tissulaire du plasminogène ou t-PA [27]. L’annexine A2 est exprimée sous forme tétramérique comprenant 2 molécules d’annexine A2 en vis-à-vis associées chacune à une molécule cofacteur p11. Environ 4 % de l’annexine A2 synthétisée par les CE est associé à la face externe de la membrane plasmique par l’intermédiaire d’interactions calcium dépendantes avec les aminophospholipides membranaires. Des études de cinétique de liaison utilisant les HUVEC ont déterminé que la b2GP1 se lie à l’annexine A2 avec une forte affinité [26]. Zhang et McCrae [28] ont démontré que les anticorps anti-b2GP1 de patients, en présence de b2GP1, ou bien des anticorps anti-annexine A2 activaient les CE alors que les fragments F(ab) obtenus par digestion de ces mêmes anticorps n’étaient pas capables d’induire la stimulation des cellules. En revanche, l’utilisation des parties F(ab’)2 des anticorps anti-b2GP1 ou antiannexine A2 produisait une stimulation cellulaire. Ils en concluent que l’activation des CE nécessite un cross-linkage de l’annexine A2 aussi bien par les anticorps anti-annexine A2 que par les anticorps anti-b2GP1 mais, pour ces derniers, l’interaction avec l’annexine A2 est dépendante de la b2GP1 (figure 2). Ces expériences confirment également que la stimulation des cellules ne fait pas intervenir les récepteurs FccR2 comme démontré précédemment [29]. Le crosslinkage de l’annexine A2 par les anticorps n’est pas suffisant en soi pour transmettre un signal intracellulaire car l’annexine A2 n’est pas une protéine transmembranaire. Cela implique qu’un récepteur membranaire doit nécessairement faire partie du complexe protéique. Ce récepteur pourrait interagir soit avec l’annexine A2, soit avec la b2GP1, soit avec les deux. On pourrait imaginer un modèle où la b2GP1 liée à l’annexine A2 interagit avec le récepteur en formant une entité protéique trimérique. Le cross-linkage de deux b2GP1 ou de deux annexines A2 par les anticorps entraînerait la dimérisation du récepteur se qui provoquerait un signal intracellulaire (figure 2). Rôle des récepteurs toll-like (TLR) La signalisation intracellulaire induite dans les CE par les aPL implique les facteurs transcriptionnels NF-kB et MAPkinase p38 [30–32], les médiateurs intracellulaires TRAF-6 et Myd88 [33]. Ces deux derniers fonctionnent principalement avec une famille de récepteurs dénommée les récepteurs toll-like (TLR) (figure 3). Il existe dix TLR fonctionnels chez 357 Anti-β2GP1 β2GP1 Annexine A2 Récepteur ? I I II II III III IV Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. P11 IV V V P11 Signal Figure 2. Modèle d’interaction des complexes anticorps anti-b2GP1/b2GP1 avec l’annexine A2 à la surface des cellules activées. L’annexine A2 est fixée à la surface membranaire grâce à des interactions charges-dépendantes avec les phospholipides anioniques ( ). La b2GP1 interagit avec les phospholipides anioniques de la membrane et l’annexine A2 par l’intermédiaire de son domaine 5. Les anticorps anti-b2GP1 induisent un cross-linkage de l’annexine A2 en fixant deux molécules de b2GP1 au niveau de leur domaine I. La transmission d’un signal nécessite la présence d’un récepteur encore inconnu qui interagit soit avec l’annexine A2 soit avec la b2GP1 soit avec les deux. La dimérisation des complexes annexine A2/b2GP1 par les anticorps anti-b2GP1 entraînera la dimérisation du récepteur et le signal d’activation. 358 l’homme. Les TLR interviennent dans l’immunité innée en tant que premiers détecteurs de pathogènes. Ils reconnaissent de façon très spécifique des motifs pathogéniques présentés par un grand nombre de bactéries, virus ou champignons et ils déclenchent la réponse immune spécifique. Ces récepteurs sont pour la plupart sous forme d’homodimère. Seul le TLR2 forme un hétérodimère avec ses corécepteurs TLR1 ou TLR6, ce qui augmente sa capacité de discrimination. En effet, les TLR2/TLR1 reconnaissent les lipopeptides triacylés présents dans la paroi des bactéries Gram-positives alors que les TLR2/TLR6 reconnaissent les lipopeptides diacylés. Le TLR4 reconnaît spécifiquement le lipopolysaccharide (LPS) des bactéries Gram-négatives, le TLR5 des épitopes structurels de la flagelline bactérienne. Le TLR3 et les TLR7 et TLR8 reconnaissent respectivement les RNA double brins et les RNA simple brin des virus. Le TLR9 reconnaît spécifiquement les motifs CpG non méthylés des molécules d’ADN bactériens. Les récepteurs TLR3, TLR7, TLR8 et TLR9 sont intracellulaires, localisés dans les endosomes, alors que les récepteurs TLR4, TLR2, TLR1 et TLR6 sont exprimés à la surface des cellules, essentiellement les cellules épithéliales, les cellules dendritiques, les lymphocytes, les monocytes/macrophages et les plaquettes [34]. Les TLR fonctionnent sous forme de complexes multiprotéiques hétérotypiques avec des protéines accessoires dont le rôle est de reconnaître le ligand et de le diriger vers le TLR correspondant. Le CD14 est une des protéines accessoires clés du système. Il est capable de reconnaître aussi bien le LPS que les lipopeptides di- et tri-acylés et selon la nature du ligand, il va interagir spécifiquement avec le TLR4 ou bien les hétérodimères TLR1/TLR2 ou TLR6/TLR2 [35]. Les autres protéines accessoires connues sont le récepteur scavenger CD36 et le CD11b/CD18 qui fonctionnent avec le TLR2 [36], le MD2 spécifique du TLR4 [37] et le récepteur CD32 (FCgammaR2A) qui lui fonctionne avec le TLR9 [38]. Les grandes étapes des mécanismes de stimulation via les TLR sont similaires que ce soit pour les récepteurs extracellulaires ou intracellulaires. Tout d’abord, il y a reconnaissance et liaison du ligand sur la ou les protéines accessoires qui sont localisées dans les domaines membranaires riches en lipides (domaine raft). Il s’ensuit le recrutement du TLR spécifique au ligand dans le domaine raft et la formation du complexe hétérotypique à partir duquel est généré le signal intracellulaire. Le complexe multiprotéique est ensuite internalisé par la voie endosomale dépendante des clathrines vers l’appareil de Golgi où les différentes protéines seront soit recyclées soit détruites [37, 39]. Dans le cas des TLR intracelluaires, le ligand sera internalisé lié à la protéine accessoire dans les endosomes où il entrera en contact avec le TLR et le signal stimulateur sera généré à partir de l’endosome [38]. Certains TLR ont été impliqués dans les mécanismes inflammatoires développés au cours de maladies auto-immunes. Ils peuvent reconnaître « par défaut » des molécules endogènes modifiées et enclencher une réponse inflammatoire chronique. Par exemple, le TLR9 joue un rôle dans le lupus érythémateux systémique (LES) : en reconnaissant les motifs CpG des molécules d’ADN composant les complexes immuns Hématologie, vol. 14, n° 5, septembre-octobre 2008 Triacylés Lipopetides LPS Diacylés TLR4 TLR2/TLR1 TLR5 CD14 CD36 MD2 TLR6/TLR2 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. TRAM TIR TRIF TIRAP Myd88 TRAF6 TRAF6 IRAK4 IRAK1 P Endosome P ARN TLR9 TRAF6 ADN TBK1 IRAK1 P MAPKs TLR3 P NF-kB TLR7/8 IRF3 Cytokines pro-inflammatoires INF-β Figure 3. Fonctionnement des récepteurs toll-like. Les TLR sont exprimés à la surface membranaire ou dans les endosomes et reconnaissent des motifs pathogéniques spécifiques. L’interaction du pathogène avec le TLR correspondant entraîne une dimérisation du récepteur et un signal stimulateur est transmis. Il comprend le recrutement des médiateurs Myd88 et TIRAP au niveau des domaines TIR des TLR. Il s’ensuit le recrutement de l’enzyme IRAK4 et du complexe TRAF6-IRAK1. IRAK4 induit la phosphorylation de IRAK1 ce qui libère le complexe TRAF6-IRAK1 qui va alors pouvoir activer les MAPkinases et NF-kB. Une voie alterne existe pour le TLR4 employant le médiateur TRIF complexé au TRAM. Cette voie stimule spécialement la synthèse de INFb. TLR3 fonctionne également avec les médiateurs TRIF/TRAM. anticorps antinucléaire/ADN, il induit la stimulation des cellules immunitaires et la production d’IL8 et d’IFNa [38]. Le TLR2 est impliqué dans l’arthrite rhumatoïde en induisant la production de chémokines inflammatoires par les fibroblastes synoviaux [40]. Il n’est donc pas étonnant de retrouver cette famille de récepteurs impliquée dans le SAPL. Actuellement, les travaux de recherche ont pour but d’identifier lequel des TLR est le principal responsable de la stimulation des cellules par les aPL. En utilisant un modèle murin de thrombose induite Hématologie, vol. 14, n° 5, septembre-octobre 2008 par la destruction de l’endothélium suite à une compression de la veine, le groupe de Pierangeli [41] a montré que les souris déficientes en TLR4 ayant eu une injection d’aPL développent un thrombus de plus petite taille que les souris sauvages utilisées dans les mêmes conditions. Ceci impliquerait un rôle du TLR4 dans la réponse aux aPL. Cependant, l’utilisation d’un tel modèle donne une vue générale du processus pathologique et ne démontre pas l’implication directe du TLR4 dans la stimulation des CE par des aPL. 359 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Pour répondre à cela, il est plus approprié d’utiliser des cellules isolées. Sachant que les aPL humains stimulent les cellules murines (cf. modèle animal) et que les fibroblastes sont capables de répondre à une stimulation provoquée par des auto-anticorps (cf. cas de l’arthrite rhumatoïde), nous avons utilisé des fibroblastes embryonnaires de souris déficientes pour le TLR1, TLR2, TLR6 ou TLR4. Ces cellules ont été stimulées en présence de sérum, source de b2GP1, avec des aPL de patients ou des anticorps anti-b2GP1 immunopurifiés. Nous avons ainsi montré que le TLR2 est indispensable pour l’activation des fibroblastes par les aPL, que le TLR1 est probablement le corécepteur impliqué avec le TLR2 car la réponse aux aPL des fibroblastes déficients en TLR1 était plus faible que celle des fibroblastes déficients en TLR6. L’implication du TLR2 et non du TLR4 a été confirmée en utilisant les fibroblastes sauvages et des anticorps bloquant la fonction des TLR2 et TLR4 [42]. Ce résultat n’est pas forcément en désaccord avec celui trouvé dans l’étude in vivo. Il est possible que les deux TLR soient impliqués de manière différente selon le type cellulaire. L’hétérogénéité des aPL peut permettre d’envisager que certains aPL vont interagir plutôt avec un TLR et d’autres plutôt avec l’autre. Il faut aussi prendre en compte que l’expression et le fonctionnement des TLR2 et TLR4 dans une même cellule sont interdépendants entraînant une régulation de l’un par rapport à l’autre. Par exemple, nous avons observé que la réponse des fibroblastes déficients en TLR4 aux agonistes du TLR2 est plus forte que la réponse des fibroblastes normaux. Ceci sous-entend que la présence du TLR4 va influencer la réponse via le TLR2 et vice-versa [42]. De plus, nous avons aussi observé que des stimuli inflammatoires (LPS, TNFa et l’IL1b) induisent une forte augmentation des ARN messagers du TLR2 et une diminution des ARN messagers du TLR4 dans la CE (voir ci-dessous). Il se peut donc que dans les souris déficientes en TLR4, le niveau d’expression du TLR2 dans l’endothélium soit plus bas que celui des souris sauvages ce qui peut expliquer pourquoi le développement du thrombus est moins important dans les souris déficientes en TLR4 que dans les souris sauvages. Le fonctionnement des TLR fait appel à des multicomplexes protéiques dont les intervenants dans la stimulation par les aPL ne sont pas encore tous connus. Des différences au niveau de la représentation des protéines accessoires entre le modèle murin in vivo et le modèle cellulaire peuvent exister privilégiant un TLR en faveur de l’autre. 360 Un modèle cellulaire probablement plus adapté à la pathologie que le fibroblaste est la CE humaine. Celle-ci est cependant plus difficile à exploiter car la CE ne répond que faiblement à la stimulation des aPL. En quantifiant les ARN messagers des TLR dans les HUVEC, nous avons constaté que l’expression du TLR2 est très faible comparée à celle du TLR4, mais cette expression est fortement augmentée suite à une stimulation inflammatoire (TNF, LPS, IL1) alors que l’expression du TLR4 est plutôt diminuée et celle des TLR1 et TLR6 reste inchangée (résultats non publiés). Nous avons également trouvé que l’activation des HUVEC par des aPL est inhibée par un anticorps bloquant anti-TLR2 mais pas par un anticorps bloquant anti-TLR4 et que cette activation est partiellement inhibée par un anticorps anti-CD14. Ceci semble indiquer que le TLR2 et le CD14 ont un rôle dans le mécanisme de stimulation des CE par les aPL. De plus, le blocage du CD14 par un anticorps anti-CD14 ou l’utilisation de la nystatine, une drogue qui désagrège les rafts, abroge l’internalisation des aPL, ce qui indique que la clairance des complexes aPL/récepteurs de la surface cellulaire emploie la voie endosomale [43]. Nos résultats suggèrent donc que dans la CE, les aPL agissent via le TLR2 et le CD14 et que le CD14 soit indispensable à l’internalisation des complexes dans les endosomes via les rafts. Il ne faut pas oublier que la b2GP1, l’annexine A2 et certainement d’autres protéines accessoires jouent également un rôle rendant ce mécanisme encore plus complexe. Les mécanismes d’activation des CE par les aPL ne seront réellement élucidés que lorsque l’on aura établi avec précision la séquence des interactions entre les autoanticorps, les cofacteurs et les récepteurs et le rôle de chacun. Différents travaux ont montré que, in vivo, la formation des complexes anticorps anti-b2GP1/b2GP1 ne pouvait induire le développement de thrombus sans un facteur initiateur d’ordre inflammatoire qui prédisposerait l’endothélium à répondre aux aPL (concept du « two-hit ») [44]. Le fait que l’expression du TLR2 dans les CE est augmentée suite à une stimulation inflammatoire, rendant ainsi ces récepteurs disponibles aux complexes anti-b2GP1/b2GP1, corrobore ce concept. Protéines impliquées dans l’activation des monocytes Le monocyte est la cellule centrale du couplage inflammation/thrombose. En tant que cellule phagocytaire, le monocyte a un rôle prépondérant dans le système immunitaire inné. Il exprime tous les TLR ce qui lui permet de discriminer les pathogènes phagocytés et de coordonner la réponse inflammatoire. De plus, suite à une stimulation infectieuse ou inflammatoire, il va exprimer un phénotype procoagulant (exposition du facteur tissulaire et des phospholipides anioniques) qui sera propagé par émission de microparticules dans la circulation [45]. Le monocyte activé stimule la CE par l’intermédiaire des cytokines sécrétées entraînant l’expression des molécules d’adhésion qui vont lui permettre d’adhérer à l’endothélium. Ainsi le monocyte va contribuer à amplifier localement la réponse thrombotique. Il est largement démontré que les aPL activent les monocytes et induisent la production de facteur tissulaire [21, 22]. D’ailleurs, chez les patients ayant un SAPL, les monocytes circulants expriment plus de facteur tissulaire que ceux des sujets sains [46]. L’induction du facteur tissulaire par les aPL fait intervenir les voies de signalisation dépendantes de la MAPkinase p38, de la phosphorylation des protéines MEK1/ERK, et de la translocation nucléaire du facteur transcriptionnel NF-kB [21]. Cependant, les complexes protéiques responsables de la transmission du signal ne sont pas Hématologie, vol. 14, n° 5, septembre-octobre 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. connus. Comme les TLR ont un rôle central dans le fonctionnement des monocytes, il est fort probable que ces récepteurs aient également un rôle à jouer dans les mécanismes d’activation des aPL. Il en est de même des récepteurs scavengers tel que le CD36 ou des molécules accessoires telles que le CD14 qui ont un rôle important dans la reconnaissance des lipides oxydés, de la phosphatidylsérine, des lipopetides. Les travaux récents de Sorice et al. [47] amènent quelques éléments laissant d’entrevoir les grandes lignes d’un mécanisme. Ils ont montré que l’incubation des monocytes avec les anticorps anti-b2GP1 entraîne le recrutement du TLR4 dans les domaines rafts de la même manière que le LPS et que la signalisation intracellulaire induite par les anticorps antib2GP1 nécessite l’intégrité des rafts. Il reste cependant à démontrer que la stimulation cellulaire est transmise par le TLR4. Comme le monocyte exprime également à sa surface le TLR2 et ses corécepteurs, l’utilisation d’anticorps bloquant la fonction des TLR semble le meilleur moyen indiqué pour déterminer lequel des TLR est impliqué dans la transmission du signal. Protéines impliquées dans l’activation des plaquettes L’activation des plaquettes in vivo peut être mesurée de manière indirecte par quantification des métabolites du thromboxane A2 dans les urines des patients. Dans le cas du SAPL, la quantité des métabolites est supérieure à la normale ce qui est un indicateur de la présence de plaquettes activées chez ce groupe de patients [48]. Plusieurs autres travaux indiquent également que les aPL peuvent activer les plaquettes in vivo [44]. Dans les tests de coagulation, les aPL présentant une activité lupus anticoagulant sont responsables du prolongement des temps de coagulation en interagissant, de façon dépendante de la présence de b2GP1, avec les surfaces chargées négativement. C’est sous forme dimérique, induite par la fixation des anticorps anti-b2GP1, que la b2GP1 a la plus forte affinité pour les phospholipides membranaires et peut entrer en compétition pour la fixation des facteurs de la coagulation. Les complexes antib2GP1/b2GP1 ainsi formés sont capables de stimuler les plaquettes mais cette stimulation nécessite la présence d’un récepteur [49]. Lutters et al. [49] ont montré que la protéine RAP (receptor associated protein), inhibiteur universel de la famille des récepteurs aux LDL, bloquait complètement l’activation et l’adhésion des plaquettes au collagène induite par les complexes anti-b2GP1/b2GP1. Cette observation les a conduits à s’intéresser au récepteur ApoER2’, le seul représentant de la famille des LDL-R exprimé par la plaquette. Le mécanisme d’activation est en partie connu. Les anticorps anti-b2GP1 en interagissant avec la b2GP1, induisent sa dimérisation et augmentent son affinité pour la membrane des plaquettes. En conséquence, les complexes antib2GP1/b2GP1 vont s’accumuler sur la surface membranaire et par un simple processus d’action de masse augmenter les possibilités d’interaction avec le récepteur ApoER2’. L’interHématologie, vol. 14, n° 5, septembre-octobre 2008 action des anticorps anti-b2GP1 avec la b2GP1 provoque également un changement de conformation de la protéine entraînant l’apparition d’un site d’interaction avec l’ApoER2’. Les domaines 1 et 5 de la b2GP1 interagissent avec l’ApoER2’. La b2GP1 peut interagir de la même manière avec les autres membres de la famille de récepteurs LDL dont le VLDL-R [50]. L’interaction des complexes antib2GP1/b2GP1 avec l’ApoER2’ induit la phosphorylation du récepteur ce qui résulte en la synthèse du thromboxane A2 (figure 4). Celui-ci induit une hypersensibilisation de la plaquette. Ainsi les aPL ont pour effet de rendre les plaquettes plus sensibles et prêtes à répondre à des doses plus faibles d’agonistes. D’autres travaux ont montré que la sous-unité GPIba du récepteur GPIba/IX/V présente sur les plaquettes peut lier la b2GP1 via les domaines 2 et 5. Le cross-linkage de deux molécules de b2GP1 par les anticorps anti-b2GP1 est nécessaire pour induire une stimulation via la GPIba ce qui sousentend que ce récepteur doit être sous forme dimérique pour transmettre un signal. La stimulation induite utilise les voies de la MAPkinase p38 et de PI3-kinase/Akt et contribue à la production de thromboxane A2 et à la stimulation de l’intégrine aIIb3b [51]. Pennings et al. [52] ont récemment mis en évidence par des expériences de coprécipitation que la GPIba et le récepteur ApoER2’ forment un complexe à la surface des plaquettes. Ce complexe interagit avec la b2GP1 sous forme de dimère et augmente l’adhésion des plaquettes au collagène dans des conditions de flux veineux ou artériel. Il semble donc que les deux récepteurs ApoER’2 et GPIba fonctionnent en coopération pour fixer les complexes antib2GP1/b2GP1 et pour former le multicomplexe capable de transmettre des signaux activateurs de la plaquette. Synthèse et réflexions autour de l’hypothèse du « two-hit » L’implication de différents récepteurs et cofacteurs dans l’activation des cellules par les aPL, montre combien les mécanismes mis en jeu sont complexes et variables selon le type cellulaire. Cependant un certain nombre d’éléments communs ressortent. Le premier est le rôle central de la b2GP1 sous forme de dimère, qui permet l’opsonisation des aPL à la surface membranaire. Deuxièmement, c’est par la b2GP1 que l’interaction avec les récepteurs se fait, provoquant une dimérisation ou oligomérisation des récepteurs nécessaire à la transmission du signal. Troisièmement, tous les récepteurs pouvant avoir un rôle dans la transmission du signal sont des récepteurs qui reconnaissent des lipides, ou lipoprotéines. Le quatrième élément est une implication évidente des domaines rafts des membranes dans le processus. Tous ces éléments forment actuellement un puzzle. Trouver les pièces manquantes permettra de comprendre le ou les mécanismes cellulaires pathologiques des aPL. Il est à considérer que ces mécanismes quels qu’ils soient doivent pouvoir expliquer pourquoi malgré la présence d’un taux d’auto-anticorps circulants élevés, les patients avec SAPL ne développent pas systémati- 361 β2GP1 GP1bα ApoER2' Augmentation de l'affinité S S S Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Interaction Thromboxane A2 Synthèse et sécrétion αllbβ3 Activation P COOH COOH MAPK P38 P13-kinase/Akt Figure 4. Modèle de sensibilisation des plaquettes par les complexes anti-b2GP1/b2GP1 (d’après [51,52]). Les anticorps anti-b2GP1 induisent la dimérisation de la b2GP1 ce qui augmente son affinité pour la membrane. La fixation du complexe sur la membrane entraîne un changement conformationnel de la b2GP1 faisant apparaître un site de liaison pour le récepteur ApoER2’ et pour la GPIba. La dimérisation des deux récepteurs par la b2GP1 induit un signal intracellulaire aboutissant à la synthèse de thromboxane A2 et à la stimulation de l’intégrine aIIbb3. quement ou de manière permanente des complications thrombotiques. Cette constatation clinique est à l’origine du concept du « two-hit » qui suggère que les aPL interviendraient en second lieu d’un facteur initiateur d’ordre infectieux ou inflammatoire et exacerberaient la réponse. Deux observations tirées des mécanismes de stimulation cellulaire de la plaquette et de la cellule endothéliale soutiennent cette idée. En premier lieu, les anticorps anti-b2GP1 induisent une pré-activation des plaquettes. Celles-ci seront plus aptes à répondre à des faibles doses d’agonistes. La deuxième observation concerne le faible taux d’expression de TLR2 par les cellules endothéliales. Ceci expliquerait pourquoi en condition normale l’endothélium n’est pas sensible aux aPL, alors que lors d’un épisode infectieux, une exposition à des agents inflammatoires ou infectieux entraînerait l’augmentation de l’expression du TLR2 par la cellule endothéliale et la rendrait alors capable de répondre aux aPL. Cette réponse, qui est essentiellement de favoriser l’adhésion des monocytes, leucocytes et plaquettes et de les activer in situ, place l’endothélium au centre des mécanismes pathologiques du SAPL. En tous les cas, ces deux observations pourraient expliquer pourquoi la présence des aPL ne fait qu’augmenter le risque de thrombose. Perspectives thérapeutiques 362 Les traitements appliqués en cas de SAPL peuvent être des traitements préventifs ou curatifs du problème thrombotique, soit par administration d’agents antithrombotiques (antiplaquettaires ou anticoagulants, soit plus rarement par des traitements modulant la réponse immune tels que stéroïdes et immunoglobulines). Ces traitements ont des effets secondaires non négligeables. Une meilleure connaissance des mécanismes d’activation cellulaire par les aPL, que ce soit au niveau des récepteurs membranaires initiateurs du signal ou bien de la signalisation intracellulaire impliquée, permettrait de concevoir des thérapies plus adaptées. Quel que soit le type cellulaire, la signalisation intracellulaire induite par les aPL dépend de la MAPkinase p38 et du facteur transcriptionnel NF-kB. L’utilisation in vitro d’inhibiteurs de la MAPkinase p38 entraîne une réduction de 40 % de l’activité du facteur tissulaire des CE stimulées par des aPL [32] ou bien de la production de thromboxane A2 par les plaquettes. L’utilisation in vivo d’inhibiteurs de la MAPkinase p38 diminue la taille de thrombus induit par l’injection d’aPL, abroge l’expression des molécules d’adhésion VCAM-1 par l’endothélium et l’adhésion des monocytes [53]. Le potentiel thérapeutique des inhibiteurs de la MAPkinase p38 est très attractif à cause du rôle central que cette enzyme tient dans la réponse inflammatoire et spécialement dans le cas des maladies auto-immunes. Depuis plusieurs années, on assiste à une recherche intense dans ce domaine pour découvrir des inhibiteurs de plus en plus spécifiques de la p38 et utilisables en clinique. Actuellement, un certain nombre d’entre eux sont entrés en essais cliniques et déjà plusieurs rapports ont attesté Hématologie, vol. 14, n° 5, septembre-octobre 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. de l’effet bénéfique de l’administration orale des inhibiteurs de p38 dans le cas de l’arthrite rhumatoïde. Dans un futur proche, la gestion thérapeutique des maladies présentant une exacerbation de la synthèse de cytokines proinflammatoires consistera à cibler la kinase p38 [54]. L’hydroxychloroquine gagne de l’intérêt comme agent thérapeutique du SAPL. L’hydroxychloroquine est utilisée de manière efficace dans le traitement du lupus érythémateux systémique (LES). Par son action anticoagulante, elle réduit le risque de thrombose chez les patients présentant un LES avec des aPL. Elle réduit également la taille et le temps de persistance du thrombus dans un modèle de souris injectées avec des aPL, très certainement en inhibant l’expression de la glycoprotéine GPIIb/IIIa induite dans les plaquettes par les aPL [55]. Son effet immuno-modulateur caractérisé entre autres par le blocage de la voie endosomale est déjà utilisé dans l’arthrite rhumatoïde ou le LES et pourrait être bénéfique en cas de SAPL. Cependant, selon notre expérience, la chloroquine n’a pas d’effet inhibiteur sur l’activation des CE par les aPL (données non publiées). Ceci peut s’expliquer par le fait que le signal de stimulation cellulaire est induit par les aPL au niveau de la membrane alors que dans les deux autres maladies auto-immunes, il est généré à partir des endosomes dans lesquels se trouvent internalisés les complexes autoimmuns. L’effet immuno-modulateur de l’hydroxychloroquine s’explique aussi par son action inhibitrice sur l’activation des lymphocytes T et B. Cet effet inhibiteur du système immunitaire pourrait être plus utile dans le cas de patients présentant un SAPL et ne supportant pas un traitement d’anticoagulants oraux ou bien pour ceux, qui malgré une anticoagulation adéquate, présentent toujours des épisodes thrombotiques. Parmi les récepteurs potentiellement impliqués dans le SAPL, les TLR émergent par leur rôle prépondérant dans de multiples pathologies infectieuses et inflammatoires. Ils sont donc devenus des cibles très prisées d’un point de vue pharmacologique. Parmi les agents thérapeutiques potentiels, on trouve des anticorps neutralisant l’interaction ligand-récepteur, des molécules ciblant la signalisation intracellulaire, une des cibles actuelles étant l’enzyme IRAK4 (figure 3), ainsi que des peptides bloquant les interactions protéine/protéine des médiateurs de la signalisation. Les connaissances actuelles de la structure des domaines intracellulaires des TLR2 et TLR4 (domaine TIR) ont mis en évidence les acides aminés impliqués dans l’interaction avec l’adapteur Myd88, ce qui a permis de dessiner des peptides perméables à la cellule bloquant spécifiquement l’un ou l’autre des récepteurs [56]. Ces peptides constituent une nouvelle classe d’agents thérapeutiques qui vont probablement être conceptualisés et développés par l’industrie pharmaceutique dans les prochaines années. Conclusion L’implication des récepteurs TLR et d’un représentant de la famille des récepteurs LDL-R ainsi qu’un certain nombre de Hématologie, vol. 14, n° 5, septembre-octobre 2008 cofacteurs protéiques dans l’activation cellulaire par les aPLconstitue une grande avancée dans la connaissance des mécanismes d’action des aPL. Ces deux familles de récepteurs ont en commun de reconnaître des lipoprotéines, de fonctionner en association avec des récepteurs scavengers et d’être impliquées dans la réponse inflammatoire. Elles interviennent déjà ensemble dans des pathologies inflammatoires comme, par exemple, dans l’athérosclérose. Une meilleure connaissance du fonctionnement de ces récepteurs pourra conduire au développement de traitements thérapeutiques plus ciblés non seulement dans le cas du SAPL mais également pour d’autres maladies auto-immunes. Un grand nombre de questions concernant le SAPL demeurent encore en suspens : quels sont les mécanismes qui contribuent à la production des aPL, pourquoi certains aPL sont-ils plus pathogènes que d’autres, quel est le facteur déclenchant des manifestations cliniques, existe-t-il un facteur ou des facteurs qui prédisposeraient à la thrombose veineuse plutôt qu’artérielle ou bien encore aux complications obstétricales ? De larges études multicentriques menées dans le but de trouver une association entre les manifestations cliniques et la présence d’un groupe particulier d’aPL pourront apporter une réponse quant à la nature pathologique des aPL et permettront de mieux définir leur rôle dans le développement de complications thrombotiques. Il semble aussi important de déterminer quelles sont, parmi les multiples interactions de la b2GP1 décrites actuellement, celles qui ont un rôle physiologique prépondérant. Ces connaissances permettront de définir les mécanismes pathologiques qui conduisent aux manifestations cliniques associées au SAPL. Ces mécanismes devront pouvoir expliquer ce qui fait basculer un SAPL présentant uniquement des anticorps circulant vers un SAPL avec complications thrombotiques. ■ RÉFÉRENCES 1. Wilson WA, Gharavi AE, Koike T, et al. International consensus statement on preliminary classification criteria for definite antiphospholipid syndrome: report of an international workshop. Arthritis Rheum 1999 ; 42 : 1309-11. 2. Miyakis S, Lockshin MD, Atsumi T, et al. International consensus statement on an update of the classification criteria for definite antiphospholipid syndrome (APS). J Thromb Haemost 2006 ; 4 : 295-306. 3. Tripodi A. Laboratory testing for lupus anticoagulants: a review of issues affecting results. Clin Chem 2007 ; 53 : 1629-35. 4. Reber G, Arvieux J, Comby E, Degenne D, de Moerloose P, Sanmarco M, Potron G. 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