Café philo www.alderan-philo.org Association Aldéran Le bonheur réside-t-il dans lʼillusion ? Supports de réflexion *** Il ne suffit pas de se réclamer du bonheur pour lʼobtenir réellement Cʼest la première désillusion qui nous éveille à la nature réelle du bonheur. Cela revient à comprendre que bien des “bonheurs” proclamés comme tels sont des illusions. Il est des gens qui nʼembrassent que des ombres; ceux-là nʼont que lʼombre du bonheur. William Shakespeare (1564-1616) Le marchand de Venise *** Le bonheur, une illusion ? Parmi les autres illusions à dépasser dans le chemin du bonheur, il y a aussi celle que le bonheur est une illusion, un simple produit de notre imagination et de nos illusions. Sʼil existe bien des illusions sur le bonheur, cʼest aller vite en besogne que dʼen conclure que le bonheur nʼest quʼune illusion. Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c'est-à-dire qu'ils doivent être empruntés à l'expérience ; et que cependant pour l'idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu'un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu'il veut ici véritablement. Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d'envie, que de pièges ne peut-il Association Aldéran - 29, rue de la Digue, 31300 Toulouse Tél. : 05 61 42 14 40 - Email : [email protected] www.alderan-philo.org Page 1 pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une manière d'autant plus terrible les maux qui jusqu'à présent se dérobent encore à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins encore ses désirs qu'il a déjà bien assez de peine à satisfaire. Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce ne serait pas une longue souffrance ? Veut-il du moins la santé ? Que de fois l'indisposition du corps a détourné d'excès ou aurait fait tomber une santé parfaite, etc. ! Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience [...] Il suit de là que les impératifs de la prudence, à parler exactement, ne peuvent commander en rien, c'est-à-dire représenter des actions d'une manière objective comme pratiquement nécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) que pour des commandements (prœcepta) de la raison ; le problème qui consiste à déterminer d'une façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d'un être raisonnable est un problème tout à faæit insoluble ; il n'y a donc pas à cet égard d'impératif qui puisse commander, au sens strict du mot, de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l'imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques, dont on attendrait vainement qu'ils puissent déterminer une action par laquelle serait atteinte la totalité d'une série de conséquences en réalité infinie ... Emmanuel Kant (1724-1804) Fondements de la métaphysique des moeurs *** Le bonheur : obtenir ce que lʼon veut ? Tous les hommes font la même erreur, de s'imaginer que bonheur veut dire que tous les vœux se réalisent. Léon Tolstoï (1828-1910) *** Le bonheur est indépendant du regard dʼautrui En thèse générale, c'est notre nature animale qui est la base de notre être, et par conséquent aussi de notre bonheur. L'essentiel pour le bien-être, c'est donc la santé et ensuite les moyens nécessaires à notre entretien, et par conséquent une existence libre de soucis. L'honneur, l'éclat, la grandeur, la gloire, quelque valeur qu'on leur attribue, ne peuvent entrer en concurrence avec ces biens essentiels ni les remplacer ; bien au contraire, le cas échéant, on n'hésiterait pas un instant à les échanger contre les autres. Il sera donc très utile pour notre bonheur, de connaître à temps ce fait si simple que chacun vit d'abord et effectivement dans sa propre peau et non dans l'opinion des autres, et qu'alors naturellement notre condition réelle et personnelle, telle qu'elle est déterminée par la santé, le tempérament, les facultés intellectuelles, le revenu, la femme, les enfants, la résidence, etc., est cent fois plus importante pour notre bonheur que ce qu'il plaît aux autres de faire de nous. L'illusion contraire rend malheureux. S'écrier avec emphase : «L'honneur passe avant la vie», c'est dire en réalité : « La vie et la santé ne sont rien ; ce que les autres pensent de nous, voilà l'affaire. » tout au plus cette maxime peut-elle être considérée comme une hyperbole au fond de laquelle se trouve cette prosaïque vérité que, pour avancer et se maintenir parmi les hommes, l'honneur, c'est-à-dire leur opinion à Association Aldéran - 29, rue de la Digue, 31300 Toulouse Tél. : 05 61 42 14 40 - Email : [email protected] www.alderan-philo.org Page 2 notre égard, est souvent d'une utilité indispensable : je reviendrai plus loin sur ce sujet. Lorsqu'on voit, au contraire, comment presque tout ce que les hommes poursuivent pendant leur vie entière, au prix d'efforts incessants, de mille dangers et de mille difficultés, a pour dernier objet de les élever dans l'opinion, car non seulement les emplois, les titres et les cordons, mais encore la richesse et même la science et les arts sont, au fond, recherchés principalement dans ce seul but, lorsqu'on voit le résultat définitif auquel on travaille à arriver est d'obtenir plus de respect de la part des autres, tout cela ne prouve, hélas ! que la grandeur de la folie humaine. Attacher beaucoup trop de valeur à l'opinion est une superstition universellement répandue ; qu'elle ait ses racines dans notre nature même, ou qu'elle ait suivi la naissance des sociétés et de la civilisation, il est certain qu'elle exerce en tout cas sur toute notre conduite une influence démesurée et hostile à notre bonheur. Arthur Schopenhauer (1788-1860) Aphorismes sur la sagesse dans la vie *** Apprenons à distinguer bonheur et plaisir ; sʼils ne sont pas contradictoires, ils sont souvent confondus. Je nʼai jamais cherché le bonheur, qui désire le bonheur ? Jʼai cherché le plaisir. Oscar Wilde (1854-1900) *** Le débat classique sur la nature du bonheur : hédonisme versus eudémonisme Depuis lʼantiquité, on distingue parmi les courants philosophiques deux grandes écoles : les courants hédonistes (cyrénaïques, mégariques et les cyniques, par exemple) qui considèrent le plaisir comme finalité de la vie et de la philosophie, et les courants eudémonistes qui font de la quête du bonheur la fin de la philosophie (Platon, Aristote, Épicure, les stoïciens). Association Aldéran - 29, rue de la Digue, 31300 Toulouse Tél. : 05 61 42 14 40 - Email : [email protected] www.alderan-philo.org Page 3 Pour approfondir ce sujet - Propos sur le bonheur, Alain (1928), Folio essais, 1987 - Les Actes de la joie, Robert Misrahi, P.U.F., 1987 - Le Bonheur; anthologie de textes philosophiques et littéraires, Luc Prioref, Maisonneuve et Larose, 2000 - Jacques le fataliste et son maître, Denis Diderot (1796), livre de poche, 1965 - Le meilleur des mondes, Aldous Huxley, 1932 - Candide, Voltaire, 1759 Association Aldéran - 29, rue de la Digue, 31300 Toulouse Tél. : 05 61 42 14 40 - Email : [email protected] www.alderan-philo.org Page 4