pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être
cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une manière
d'autant plus terrible les maux qui jusqu'à présent se dérobent encore à sa vue et qui sont
pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoins encore ses désirs qu'il a déjà
bien assez de peine à satisfaire. Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce ne serait
pas une longue souffrance ? Veut-il du moins la santé ? Que de fois l'indisposition du
corps a détourné d'excès ou aurait fait tomber une santé parfaite, etc. ! Bref, il est
incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le
rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience [...]
Il suit de là que les impératifs de la prudence, à parler exactement, ne peuvent
commander en rien, c'est-à-dire représenter des actions d'une manière objective comme
pratiquement nécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) que pour
des commandements (prœcepta) de la raison ; le problème qui consiste à déterminer
d'une façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d'un être raisonnable
est un problème tout à faæit insoluble ; il n'y a donc pas à cet égard d'impératif qui puisse
commander, au sens strict du mot, de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est
un idéal, non de la raison, mais de l'imagination, fondé uniquement sur des principes
empiriques, dont on attendrait vainement qu'ils puissent déterminer une action par laquelle
serait atteinte la totalité d'une série de conséquences en réalité infinie ...
Emmanuel Kant (1724-1804)
Fondements de la métaphysique des moeurs
* * *
Le bonheur : obtenir ce que lʼon veut ?
Tous les hommes font la même erreur, de s'imaginer que bonheur veut dire que tous les
vœux se réalisent.
Léon Tolstoï (1828-1910)
* * *
Le bonheur est indépendant du regard dʼautrui
En thèse générale, c'est notre nature animale qui est la base de notre être, et par
conséquent aussi de notre bonheur. L'essentiel pour le bien-être, c'est donc la santé et
ensuite les moyens nécessaires à notre entretien, et par conséquent une existence libre
de soucis. L'honneur, l'éclat, la grandeur, la gloire, quelque valeur qu'on leur attribue, ne
peuvent entrer en concurrence avec ces biens essentiels ni les remplacer ; bien au
contraire, le cas échéant, on n'hésiterait pas un instant à les échanger contre les autres. Il
sera donc très utile pour notre bonheur, de connaître à temps ce fait si simple que chacun
vit d'abord et effectivement dans sa propre peau et non dans l'opinion des autres, et
qu'alors naturellement notre condition réelle et personnelle, telle qu'elle est déterminée par
la santé, le tempérament, les facultés intellectuelles, le revenu, la femme, les enfants, la
résidence, etc., est cent fois plus importante pour notre bonheur que ce qu'il plaît aux
autres de faire de nous. L'illusion contraire rend malheureux. S'écrier avec emphase :
«L'honneur passe avant la vie», c'est dire en réalité : « La vie et la santé ne sont rien ; ce
que les autres pensent de nous, voilà l'affaire. » tout au plus cette maxime peut-elle être
considérée comme une hyperbole au fond de laquelle se trouve cette prosaïque vérité
que, pour avancer et se maintenir parmi les hommes, l'honneur, c'est-à-dire leur opinion à
Association Aldéran - 29, rue de la Digue, 31300 Toulouse
www.alderan-philo.org "Page 2