Ecla Théâtre
Fabrique de théâtre depuis 1987
INTERVIEW
DU METTEUR EN SCÈNE
Daniel Leduc
Comment avez-vous mise en scène ce Malade imaginaire ?
Ma mise en scène est classique dans son aspect général. Les costumes sont d’inspiration XVIIe
voire début XVIIIe siècle. Ceux des médecins, par exemple, sont des reproductions de ceux
de l’époque. Il y a cependant une différence marquée dans les costumes des Diafoirus père
et fils. Ils incarnent la médecine d’un autre âge. J’ai voulu en faire des personnages vampiriques,
qui surgissent pour prendre le sang, l’argent, et la fille du malade. Leur aspect physique traduit
donc un style underground. Les décors, eux, sont un peu abstraits. Par exemple, la chambre
d’Argan ressemblerait plutôt à un radeau parce que j’ai voulu donner l’impression qu’il était
en perdition, en errance dans son propre univers.
Qui est justement Argan ?
Molière nous décrit quelqu’un dont la manie de se soigner dérive vers une hallucination sur sa propre
maladie et sur lui-même, dans le sens où il pense qu’il va mourir. Cette obsession est entretenue
par des gens autour de lui qui l’exploitent… Et c’est cette évolution, à l’intérieur de la pièce, qui en fait
la trame. Argan est un personnage délirant. Il veut faire la synthèse entre la maladie et la médecine.
Tout comme il est à la fois victime de lui-même à cause de sa folie, victime de ceux qui l’exploitent
par le biais de sa maladie ; il est aussi un bourreau pour tout son entourage que sa phobie martyrise.
À travers sa maladie, il cherche une façon d’être. C’est elle qui fait que l’on va s’occuper de lui, que
l’on va le soigner. En même temps il y a chez lui une véritable peur de la mort, mais paradoxalement
c’est grâce à elle, lorsqu’il se fera passer pour mort, qu’il découvrira la vérité sur son entourage.
Le Médecin malgré lui, Le Malade imaginaire… Molière avait une sacrée dent contre
la médecine !
Il faut dire que la science était à cette époque-là très embryonnaire et qu’il y avait beaucoup
de charlatans parmi les médecins. Molière avait de la rancœur vis-à-vis de certains d’entre eux
qui avaient soigné sa mère d’une façon absolument lamentable. Il l’avait vue mourir après
des traitements, des saignées… ces traitements étaient difficiles, et d’ailleurs on a réellement
essayé de montrer sur scène les saignées, les clystères, tous ces engins de torture… Et puis,
on venait juste de découvrir que le sang circulait et Molière aimait à intégrer dans ses pièces
l’actualité de son époque.
Ces préoccupations sont-elles encore d’actualité ?
Les problèmes de santé prennent de plus en plus d’importance dans notre société, grâce
à la science - qu’il n’y avait pas à l’époque. N’importe quelle revue nous parle de ceux que l’on
peut avoir, de la façon dont on peut les résoudre… sans parler d’Internet ! La médecine a tellement
évolué que les critiques de Molière sur ce plan-là sont un peu dépassées, un peu désuètes.
Mais on peut aussi transposer cela dans un contexte plus général, comme les sectes ou toutes
les formes de médecines parallèles. Et puis cette espèce de drame intérieur, cette préoccupation
oppressante et complètement angoissante de la santé sont éternels. Même si effectivement
on a maintenant des paramètres qui font que la vie et les traitements sont plus agréables.
Au-delà de cette satire de la médecine, quel est le sous-texte de cette pièce ?
J’ai l’impression que toutes les pièces de Molière sont construites sur le même schéma.
Il s’intéresse principalement à la folie des gens. Chacun de ses personnages cherche à découvrir
une vérité cachée quelque part. Cette vérité peut se nicher dans la noblesse de Monsieur Jourdain,
dans l’argent d’Harpagon, dans la maladie chez Argan. Leurs obsessions sont les révélateurs.
Ses personnages illustrent le constat qu’on est toujours à la recherche de quelque chose
de fantomatique que l’on ne peut jamais obtenir. Ainsi, Molière nous fait comprendre qu’il faut
être heureux ici et maintenant en composant avec les choses réelles de la vie, et ne pas courir après
des illusions. Je me demande même si l’amour, pour lui, n’est pas une illusion… ou peut-être
que voici finalement les seules choses qui seraient sauves dans ses pièces : le désir et l’amour !