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Psychanalyse et addictions
Freud
Abraham, Ferenczi, Tausk
Simmel, Federn, Glover, Bergler, Rado, Fenichel
De Mijolla, Shentoub, Noiville
Winnicott, McDougall, Monjauze
Bergeret, Jeammet, Gutton, Lamas, Le Poulichet, Pedinielli
Lacan
Clavreul, Melman, Israël, Perrier
Lasselin, Descombey
Haddad, Pommier, Assoun
Vachonfrance, Rigaud, Delille
Geberovich
…Szondi, Schotte, Lekeuche, Legrand
Boulze (2011), Chassaing (2010), Douville (2011), Monjauze (2001), Roussaux et al. (1996), Saïet (2011) ; Baldwin et al. (2011)
Heigl-Evers, Heigl
Bilitza, Nitzgen, Rost
Wöller, Subkowski, König
Dally, Wernado, Burian, Lührssen
Wurmser
Bilitza (2008a, 2008b)
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Psychanalyse et addictions
Notion d’addiction (concept fédérateur de l’addictologie contemporaine, voir Goodman, 1990) :
étymologie évocatrice, précisée par de multiples auteurs (ad dictus, ad dicere - être dit à, être
contraint par corps, en rapport avec une dette impayée, voir p.ex. Bergeret, 1981 ; McDougall,
1978, 2001 ; Pedinielli et Bonnet 2008 ; Robin, 2006) ; voir aussi la référence hégélienne de
Lacan en rapport avec « la dialectique du maître et de l’esclave ».
« Émergence de la notion d’addiction dans l’histoire de la psychanalyse » (Jacquet et Rigaud,
2000 ; Jeammet et al., 2006 ; Le Poulichet, 2000 ; Rigaud, 2002) : Freud (Gewohnheit,
Angewöhnung, Abhängigkeit, Sucht) ; Ferenczi (1911 : manifestations pulsionnelles
symptomatiques, capacités endogènes d’euphorie) ; Radó (1926 : orgasme pharmacotoxique
ou pharmacogénique, 1933 : pharmacothymies) ; Glover (1932 : addictions, substances
psychiques, fonction protectrice) ; Fenichel (1945 : addictions, névroses impulsives) ; Winnicott
(1951 : pathologies de la transitionnalité) ; McDougall (1978 : addictions, sexualité addictive,
économie addictive, autoprotection) ; Bergeret (1981 : addictions, dimension pulsionnelle) ;
Gutton (1984 : pratiques de l’incorporation) ; Wurmser (1984 : névrose sévère, surmoi
archaïque) ; Le Poulichet (1987 : narcoses du désir, suppléance) ; etc.
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L’économie addictive : Joyce McDougall
Joyce McDougall s’est intéressée depuis les années 1950 à la question des addictions, en a
précisé l’étymologie (addictus) (le sujet comme esclave d’une solution unique), critiqué la notion
de toxicomanie (le désir ne serait pas fondamentalement celui de s’empoisonner), rappelé le
caractère intrinsèque et destinal de la dépendance par rapport à la condition humaine. À relever
également, dans la lignée d’Anzieu et de McDougall, les travaux de Michèle Monjauze (1993,
2008, 2009, 2011a, 2011b) (l’alcoolisme comme « psychose associative », etc.).
D’après McDougall (1978, 1985 1996, 2001, 2004 ; voir aussi Descombey, 2002 ; Pedinielli et
al., 1997 ; Pedinielli et Bonnet, 2008), l’économie addictive serait sous-tendue par la recherche
d’une réduction rapide de toute tension psychique (angoisse, colère, culpabilité, tristesse),
d’origine interne ou externe (terreurs primitives refoulées en rapport avec des fantasmes
prégénitaux violents, craintes de désintégration sous-tendues par une confusion amour / mort,
etc.). L’addiction serait alors une tentative de défense contre des anxiétés névrotiques (enjeu
narcissique, sexuel), des états aigus d’angoisse (paranoïde) ou de dépression (sentiments de
mort interne) ou encore d’« angoisses psychotiques inconscientes » (angoisse de
morcellement, terreur du vide mettant en péril le sentiment d’identité), avec décharge
pulsionnelle par le biais d’équivalents de passages à l’acte.
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L’économie addictive : Joyce McDougall
McDougall fait appel à ses références winnicottiennes (voir McDougall, 2003) dans l’analyse de
la relation mère-enfant (transmission de la « capacité d’être seul » - en présence de la mère, de
la « représentation d’une mère interne soignante », etc., voir Winnicott, 1951) pour soutenir que
la personne addictée aurait recours, pour « pallier le manque des introjects soignants » (objets
internes), aux « objets addictifs » (objets externes partiels) (la « sécurité intérieure » dépendrait
de la qualité des « introjections de l’objet interne », voir la « crainte de l’effondrement », etc.,
Winnicott, 1974). Les « objets addictifs » se substitueraient aux « objets transitionnels »
(Winnicott, 1951) défaillants en tant qu’« objets transitoires », face aux « néo-besoins » de la
problématique addictive (comportant une dimension compulsive : la substitution serait
continuellement à recommencer du fait de l’échec de l’introjection / des phénomènes
transitionnels). Lesdits objets seraient destinés à la fois à représenter la mère et à favoriser
l’autonomisation - la séparation et l’individuation - par rapport à celle-ci.
McDougall souligne également le rôle du père absent (sinon inconsistant) « là où l’objet addictif
se montre comme une protection inconsciente contre les aspects dangereux de l’imago
maternelle » (McDougall, 2001 : 23). La relation précoce à une « mère insuffisamment bonne »
(Winnicott, 1971) (l’écart aurait été introduit par Winnicott suite à une confrontation théorique
avec Lacan, voir plus loin) contribuerait à la construction d’un « faux self » (Winnicott, 1960).
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L’économie addictive : Joyce McDougall
McDougall voit dans la conduite addictive une tentative d’autoguérison (voir, dans la lignée de
Kohut, les travaux de Khantzian, 1995, 1997), de réparation de l’image narcissique et de
règlement de comptes, sous la forme de 3 défis : défi de l’objet maternel interne défaillant, défi
du père interne défaillant, défi finalement de la mort (position de toute-puissance v/s
soumission devant les pulsions de mort) (McDougall, 1996 : 237, 2001 : 34) (défense visant le
maintien de l’homéostasie psychique en cas d’attaque narcissique ou objectale ; l’« objet
addictif » en tant que seul objet capable de réparer la faille interne par le rétablissement d’un
« état idéal » de plénitude ou d’exaltation) (voir aussi la notion de « bon objet » et l’idée d’une
« fusion avec l’objet maternel » représenté par la drogue, Burian, 2003, 2008 ; voir encore
l’« objet apersonnel », Tress, 1985, l’« objet inanimé » ou « objet mort », Voigtel, 1996, le
« mauvais objet interne » remontant lors de l’« opération toxique », lors de ce « moment de
vérité pour le rapport du sujet à l’objet et à l’autre », Assoun, 2011 ; comparer, enfin, à l’« objet-
collage interne » dans la perversion, Khan, 1979).
Pour McDougall, les conduites addictives sont des « actes-symptômes » (échec de la
fantasmatisation et de l’internalisation de l’objet). L’addiction serait par ailleurs davantage une
« solution psychosomatique » voire une « solution somatique » (« forclusion de l’affect », voir
les notions de pensée opératoire (Marty) et d’alexithymie (Nemiah, Sifnéos, Krystal)) que
psychologique pour soulager une souffrance psychique, souvent enracinée dans l’enfance
(mère interne refusant tout contact corporel - fantasme d’envahissement par l’enfant / mère
surprotectrice et dépendante de l’enfant).
En somme, dans l’addiction il y aurait une défaillance de l’étayage maternel ne permettant pas
à l’enfant d’élaborer les processus de séparation. L’objet maternel interne serait vécu comme
absent ou incapable de consoler l’enfant perturbé. Ce qui marquerait une atteinte narcissique
originaire, une fragilité identitaire. L’addiction tiendrait de l’illusion de retrouver le paradis perdu
de l’enfance.
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Psychanalyse et addictions
Autres pistes : l’addiction comme « passion du besoin » (Pedinielli et al., 1997), « perversion
désexualisée » (Pirlot et Pedinielli, 2005), « pseudo-pulsion », « dépendance addictive » (la
dépendance comme « processus constitutif de la subjectivité », la dépendance précoce laissant
la « trace de l’union à l’objet »), « dé-psychisation », « économie parallèle » (« réification du
désir ») (Pedinielli et Bonnet, 2008), trouble narcissique et identitaire (Brusset, 2004 ; Corcos et
Jeammet, 2006), « conduite ordalique » (Valleur, 2005) ou encore en lien avec un échec de la
« castration symbolique » (Pommier, 2002) ou avec le « capitalisme pulsionnel » (Stiegler,
2007) (voir Pedinielli et Bonnet, 2008 ; voir aussi Fernandez et Sztulman, 1999) ; voir plus loin
pour les travaux dans la lignée d’Abraham et Torok, p.ex. ceux de Gutton, 1984, 2005a, 2005b,
déjà cités ; voir aussi e.a. l’hypothèse narcissico-perverse de Vera Ocampo (1989) (manque
d’un objet dont la perte serait déniée, un signifiant se signifiant lui-même, tentative de libération
de l’objet par le retour d’avant la séparation, etc.) ; le « corps étranger » dans l’« espace
interne », le « creux de mère » (Schneider, 2000, 2001) ; les « identifications addictives
inconscientes » (Le Poulichet, 2000) ; les « figures anthropologiques » des conduites à risque,
l’ordalie, le sacrifice, la blancheur et l’affrontement (Le Breton, 2004, 2007, 2009).
D’aucuns parlent aujourd’hui non seulement des « nouvelles addictions », mais aussi de la
« nouvelle psychologie des addictions » (Hautefeuille, 2011 ; Hautefeuille et al., 2010).