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Ce travail a été réalisé par M. Guy VINCENT, professeur certifié de Lettres
Classiques, pour ses élèves de terminale du Lycée Zola à Aix en Provence
Programme Terminales Grec – Interrogations scientifiques -
Cours d'introduction : « L'épistémologie » ?
Faire du grec et s'initier à la philosophie sans tenir compte de cette discipline nouvelle où se
sont illustrés des Bachelard, Kojève, Kuhn, Serres, serait dommage. Que le cours de grec apporte sa
pierre à l'édifice ! Présentons quelques aspects de cette discipline.
L'épistémologie est, par définition, « la science (logie) du savoir (épistémê) » ; cette discipline
philosophique dégage les conditions historiques et intellectuelles qui ont permis l'apparition d'une
science. On ne peut plus penser qu'une invention ou une découverte sont immédiates, il n'y a pas dans
ce domaine non plus de « génération spontanée », car l'on voit des inventions être refusées par une
société (on prendra pour exemple la machine à vapeur de Heron d'Alexandrie, inutilisée jusqu'à sa redécouverte par Denis Papin au XVIIIème s.), comme on s'aperçoit que certains inventeurs font la même
invention quasiment en même temps, comme si les esprits étaient « mûrs » (on cite Newton et Leibniz,
qui s'ignoraient profondément et qui ont inventé tous deux, au même moment, le calcul différentiel).
Or, un des lieux principaux de l'aventure intellectuelle des hommes est la Grèce, au point que
l'on a dit que toutes les sciences ont été inventées en Grèce (sauf une : la chimie). On a pu le dire aussi
de la Chine ! Mais cela nous conduit à réfléchir à ce que l'on entend par « science » et aux causes qui
ont favorisé l'éclosion des sciences dans ce tout petit « coin » du monde. L'épistémologie peut y
répondre : la « science » ce n'est pas une technique, une pratique qui marche, mais un savoir qui dégage
des principes généraux, qui va du local au global. Le philosophe E. Cassirer notait : « en grec, le terme
d'épistémê est étymologiquement dérivé d'une racine signifiant fermeté et stabilité. La méthode
scientifique conduit à un équilibre stable, à la stabilisation et à la consolidation du monde des
perceptions et des pensées » (Essai sur l'homme).
Racine °Stâ (istêmi : cf. anglais stand, allemand stehen, latin stare) : il faut retenir cette notion :
« quelque chose est stable et quelqu'un peut l'observer ». L'épistémologue pense qu'il y a science
lorsque l'on a atteint à une stabilité.
Que s'est-il donc passé en Grèce ? On a parlé de « miracle grec ». Il faut analyser cette
expression dont la portée est, en fait, doublement polémique. Son auteur est un certain Ernest Renan
(1823-1892), érudit de la fin du XIXème siècle, spécialiste des langues sémitiques (hébreu, araméen) et
des études bibliques. Ce chercheur a été prêtre, a perdu la foi et quitté l'Eglise, écrivant une Vie de
Jésus qui fit scandale. Nous sommes alors dans une période où une guerre idéologique oppose croyants
et laïques (lois sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat). Les savants sont pris dans ce conflit qui met
face à face foi et raison. D'un côté les rationalistes, de l'autre les croyants. E. Renan choisit la Raison, et
oppose alors Athènes à Jérusalem, la science à la croyance. Sa « Prière sur l'Acropole », publiée au sein
de Souvenirs d'enfance et de jeunesse (1883) est un véritable manifeste, repris par beaucoup
d'intellectuels qui se reconnaissent dans ce choix : « depuis longtemps je ne croyais plus au miracle...Or
voici qu'à côté du miracle juif venait se placer pour moi le miracle grec, une chose qui n'a existé qu'une
fois, qui ne s'était jamais vue, qui ne se reverra plus... je savais bien, avant mon voyage, que la Grèce
avait créé la science, l'art, la philosophie... ». La prière est un beau morceau de lyrisme dont on peut
donner le texte en annexe (« je suis né, déesse aux yeux bleus, de parents barbares, chez les
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Cimmériens bons et vertueux qui habitent au bord d'une mer sombre, hérissée de rochers, toujours
battue par les vents », etc.). Cette prière a fait l'office sur une génération, mutatis mutandis, de ce qu'a
fait Tristes tropiques de Levi-Strauss sur une autre.
Bien noter le caractère d'oxymore de l'expression « miracle grec » : le miracle est d'ordre
religieux, ici il désigne la raison et la science mettant fin aux miracles comme explications de
l'univers !
A ce conflit, s'ajoute celui de la France et de l'Allemagne. Depuis 1815 jusqu'à 1914, presque
cent ans de paix mais le souvenir de la Révolution française et la guerre de 1870 (siège de Paris par les
Prussiens) ont laissé des traces. Comprenons : la Révolution française a sur-évalué Rome, son idéal
républicain et impérial ; l'Allemagne romantique va se tourner vers la Grèce, son idéal démocratique et
d'harmonie avec le cosmos. L'érudition allemande fait des merveilles dans l'étude du monde grec : la
philologie et l'histoire y sont les disciplines reines. L'Université française va donc vouloir se hausser au
niveau de l'érudition allemande. Il ne faut pas laisser la Grèce entre les mains des seuls Teutons !
L'épistémologie nous éclaire déjà sur ce point : la notion de « miracle grec » est
fondamentalement polémique.
Mais alors y-a-t-il eu un événement exceptionnel au niveau de la pensée en Grèce ? La réponse
est affirmative. On s'est mis à penser de façon nouvelle autour du VIème siècle. L'épistémologue note
un changement radical de questionnement : on se demandait « qu'est-ce qu'il y avait au début du
monde, à son origine » et on y répondait par de somptueuses mythologies (le Ciel épouse la Terre ; le
Ciel s'est divisé en deux, une partie de l'Eau primordiale s'est solidifié, etc.; cf les mythes
mésopotamiens, grecs ou égyptiens) ; on s'est soudain demandé « qu'est-ce qui demeure dans un monde
où tout change ? » Expérience simple : entre deux états de notre vie (entre deux photos de nous mêmes
à deux époques différentes) on pose une unité qui maintient ensemble ces deux états. Comment
nommer cela ? Comment le délimiter ? Ce qui reste, ce qui demeure, ce qui maintient, ce qui forme un
continuum va devenir l'objet de la recherche et faire naître la Science. D'abord ce sera un élément
(l'eau, la terre, l'air ou le feu), ensuite ce sera une relation (haine et discorde, coincidentia
oppositorum), enfin un principe universel (l'Etre, l'Un, le Devenir).
En effet, qu'est-ce qu'une science ? Rien d'autre que la notation d'une régularité. Au lieu de se
demander ce qui était à l'origine, les grecs vont s'orienter vers la découverte de régularités. Ils s'écartent
donc de la pensée mythique, souvent généalogique, ou associant des contraires, mais qui a préparé la
voie à ce nouveau mode d'analyse, comme l'ont montré les travaux de J-P Vernant (Mythe et pensée
chez les grecs, 1965). Rien ne serait plus faux que de faire comme au XIXème siècle européen,
d'opposer science et mythologie : elles s'imprègnent l'une l'autre, mais c'est l'interrogation qui a changé
et qui explique la naissance des sciences en Grèce.
Cette brève présentation doit nous aider maintenant à lire ces textes antiques, à la fois
appartenant à l'histoire des sciences, et indépassables en tant que fondements. On ne peut avoir cette
attitude condescendante et pleine de contentements : « leurs connaissances sont vraiment périmées, ils
ne savaient pas ce que nous savons, il y a beaucoup d'erreurs dans leurs savoirs, et par rapport à nous,
tout cela est léger ! » Attitude positiviste et risible d'un monsieur Prud'homme où « le printemps en
fleurs sur ses pantoufles brille » (Verlaine) ! L'épistémologie ne jauge pas les progrès de façon
quantitative, c'est la qualité de certaines raisonnements qui doit être notre étonnement : Aristote ne
déclarait-il pas qu' « il n'y a pas de philosophie (= connaissance, science) sans étonnement »
(Métaphysique A). Jugeons sur la capacité à s'étonner ! Ce à quoi le grand physicien W. Heisenberg
(ses principes d'incertitudes le rendent égal à Einstein), qui, ayant appris le grec au lycée, répond :
« quand on s'intéresse à la philosophie grecque, on rencontre à chaque pas cette faculté de formuler le
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principe. Le lecteur des auteurs grecs a ainsi la possibilité de s'exercer à manier l'outil intellectuel le
plus puissant que la pensée occidentale ait jamais forgé » (La Nature dans la physique contemporaine,
Paris, 1962)
Les pré-socratiques (aux origines de la science grecque)
Enquête : les questions suivantes serviront à orienter notre regard sur les textes étudiés.
a) Qui furent ces premiers penseurs ? Où ont-ils vécu ?
Qui nomme-t-on les «pré-socratiques ? ». Pourquoi ? Que sait-on d'eux ?
Différentes activités sont possibles :
- localiser Clazomènes, Ephèse, Milet, Syracuse, Agrigente, Elée. Qu'observe-t-on ? Ces lieux
ne sont pas en Grèce mais en Ionie, en Grande Grèce. Qu'en conclure ?
- les fragments des pré-socratiques posent la question de la transmission, des pertes, des
citations. Regards sur des éditions savantes, traductions en présence.
- les notions d'Etre et de Devenir (einai ; gignesthai) sont au coeur de cette nouvelle forme de
pensée : Parménide et Héraclite. Mais à la question « qu'est-ce qui demeure ? » les réponses varient :
l'Air (Thalès, Hippocrate), le Feu (Héraclite), la Discorde et la Philia (Empédocle)...
Bien insister sur le fait que le principe privilégié par tel ou tel penseur est la réponse à la
question nouvellement posée.
b) Qu'est-ce que l'ionisme, l'éolisme ? Il faudra repérer dans les textes les formes « étranges »,
puis se demander si la langue grecque est une aide à la construction d'une langue scientifique (par
exemple, la formation d'abstrait avec la tournure « to + infinitif », la substantivation des adjectifs, le jeu
des préfixes et la composition des mots par agglutination). A quoi reconnaître un texte scientifique ?
Comment note-t-on les nombres en grec ? Système efficace pour le calcul ? L'arénaire
d'Archimède ou comment compter à l'infini ? Poids et mesures ?
c) Quand Athènes devient une capitale intellectuelle ? Pourquoi Sparte ou Thèbes ne le furent
jamais ? A quand date l'importance d'Alexandrie et de Pergame ? Comment s'organise une vie
intellectuelle, la copie des textes, l'enseignement « éxotérique » et « ésotérique », la prise de notes
observable dans certains documents aristotélitiens (comme la Poétique), les collections et les
conférences des sophistes, etc.
d) Comment se décline une « régularité » ? Si la science est l'obtention d'un ordre au sein des
phénomènes (= ce qui se montre »), bien des solutions sont ouvertes : lois, constantes, classifications,
causalités, tendances, séries, enchaînements, finalités... Il faut canaliser le flot anarchique des
phénomènes et lui donner une stabilité, se méfier des illusions de la doxa pour atteindre l'épitémê
(Platon). Le mot « cosmos » signifie « ordre », perfection. Cette vision s'impose aux esprits grecs au
point de gauchir ce qu'ils observent du réel (la Terre ne peut être qu'une sphère, car ce volume est
parfait – voir les cinq volumes platoniciens). La mathématisation de la réalité est moins évidente que le
physicalisme de la pensée grecque. Où situer la médecine ? La Géographie ? La Botanique ?
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e) Quelle place pour les « sciences humaines » ? L'Histoire naît en Grèce avec Thucydide
(« ktêma eis aei » = « un bien pour toujours ») ; dégagement de lois aux conflits humains ; typologie
des régimes politiques (Polybe, Aristote) : là aussi la recherche de régularités s'observe. Mais à
l'Histoire, s'ajoutent d'autres champs du savoir : la Poétique (les genres littéraires suivent des règles),
l'Esthétique (les canons – ou « règles » - de la Beauté).
Extraits : (leurs commentaires se basent sur les questions précédentes)
A) Présocratiques (photocopies)
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Parménide Le poème : « Les cavales qui m'emportent... » (hippoi tai me phérousin) ; observations
diverses sur la langue : « tai », datif pluriel en -si , eon pour ôn, ... (les deux premières strophes)
Autres fragments « auto noein te kai einai » ;
Héraclite : fragm. « on ne se baigne jamais... » ; « le nom de l'arc est vie, son oeuvre est la mort » :
« polemos pater pantôn ». Formulation énigmatique : Apollon parle par énigmes comme la Nature.
Empédocle, « parfois l'Amitié... »
Lire en traduction la suite du poème de Parménide ou celui d'Empédocle ; ajouter le paradoxe de
Zénon sur Achille et la Tortue.
B) Auteurs classiques (prendre les extraits du Hatier - Les Belles Lettres)
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Aristote Des animaux ; Du Ciel
Hippocrate Le Serment (photocopie)
lire en traduction Thucydide La Guerre du Péloponèse (Introduction) ;
C) Auteurs alexandrins
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Arrien L'Inde
Aratos Phénomènes
Héron « Une turbine à vapeur » (photocopie) Pneumatikôn
Se documenter sur la mesure de la terre par Eratosthène, sur la géographie de Ptolémée, la géométrie
d'Euclide.
Traductions et Commentaires
Chaque élève prend en charge un commentaire, une fois deux orientations délimitées.
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