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UNIVERSITE LYON 2
Institut d' Études Politiques de Lyon
« Hors des lieux, hors du temps... »Du
traitement local des demandeurs d'asile et
sociabilités des territoires
Le cas de deux CADA de la région lyonnaise.
Sous la direction de Renaud Payre, maître de conférences
Soutenu le 10 juillet 2008
Anouk Flamant
Séminaire : Villes et pouvoir urbain
Master 1 : Carrières Publiques – Action et Gestion Publique
Membre du jury : Gwenola Le Naour, maître de conférences
Table des matières
Remerciements . .
Introduction . .
Glossaire . .
1. Inscription scientifique de notre sujet . .
2. Terrains d'enquête et questionnements . .
3. Présentation sociologique des terrains d'enquête et du dispositif national d'accueil . .
4. Retour sur la pratique d'apprenti – chercheur et les conditions d'enquête. . .
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité . .
Chapitre 1: Des dimensions multiples à l'exclusion des CADA . .
Section 1. L'exclusion spatiale des CADA et de leurs résidents . .
Section 2. L'exclusion administrative et politique des CADA . .
Chapitre 2: L'asile : incompréhensions et discriminations d'une population peu visible . .
5
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6
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14
16
16
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23
26
Section 1. Les complexités administratives et les stratégies politiques : facteurs de
marginalité sociale . .
27
Section 2. Une certaine représentation sociale des demandeurs d'asile : entre
stigmates et rejet de l'étranger . .
31
Section 3. Le foyer et la communauté pour les demandeurs d'asile: foyers d'
105
« enclave protectrice »
? ..
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et
échangent avec leur territoire . .
Chapitre 3: Un réseau d'acteurs importants : entre prise en considération active et timidité
politique . .
36
40
40
Section 1. Des acteurs institutionnels clés pour le CADA : les municipalités et les
écoles . .
41
Section 2. Les associations locales et les relais habitants : moteur des relations
avec les demandeurs d'asile . .
45
Chapitre 4 : Mobilisations ou conflits : des relations exacerbées avec le CADA et ses
résidents. . .
Section 1. Les mobilisations en faveur des déboutés: pérennité ou épiphénomène
des relations avec le CADA ? . .
Section 2. Les conflits avec le CADA : une autre relation avec les habitants ! . .
Partie trois: Face aux demandeurs d'asile, les acteurs territoriaux façonnent de nouvelles
politiques . .
Chapitre 5: Entre intégration et exclusion : l'oscillation constante des gestionnaires et de la
procédure d'asile . .
Section 1. Les structures d'accueil : aide sociale ou premiers pas d'intégration ? . .
Section 2. Les demandeurs d'asile : une intégration à mi – mot ? . .
Chapitre 6 : Les élus locaux : une constante adaptation requise face au droit d'asile et ses
bénéficiaires . .
Section 1. Le temps de l'asile et le temps du politique: une impossible entente ? . .
Section 2. L'hospitalité des territoires : collaboration des acteurs locaux tributaire
des évolutions nationales de l'asile . .
Conclusion . .
Sources et Bibliographie . .
50
50
57
62
62
63
66
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73
78
80
Méthodologie: . .
Sur la demande d'asile et l'immigration, traitement étatique . .
Ouvrages: . .
Périodiques et rapports : . .
Travaux de recherche : . .
Éléments de sociologie urbaine et du traitement politique des territoires : . .
Ouvrages: . .
Périodiques: . .
Sur l'accueil et l'hospitalité offerte aux étrangers en france et en europe: . .
Ouvrages: . .
Revues : . .
Ressources audiovisuelles : . .
Conférences : . .
Webographie : . .
Résumé . .
Annexes . .
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Remerciements
Remerciements
Je voudrais remercier toutes les personnes qui m'ont aidée dans cette entreprise de recherches et
de rédaction :
En premier lieu, mes remerciements vont à Monsieur Renaud Payre, qui a su m'orienter et me
soutenir pour mes mes enquêtes et ma rédaction ;
Madame Gwenola Le Naour avec qui j'ai fait mes premiers pas dans l'enquête en sciences
sociales et dans ce sujet;
Madame Magali Santamaria qui m'a suggéré mes terrains d'enquête et a répondu avec patience
à mes questions;
Madame Sylvie Oregeret pour m'avoir aidée à connaître Fontaines St Martin et à « frapper
aux bonnes portes » ;
L' association Action de Solidarité en Val de Saône et en particulier Mesdames Colliot Claude
et Sabine qui ont accepté que je participe à leur action et m'ont fait rencontrer des demandeurs
d'asile,
Les équipes des CADA d'Adoma et de Forum Réfugiés, et en particulier leurs deux directrices
Madame Laurence David et Madame Sandrine Desroches ;
Madame Vernay du centre social Georges Lévy qui a accepté de répondre à mes questions et
à ce que je participe à un atelier « vie sociale »
Les demandeurs d'asile, en procédure, déboutés, ou statutaires qui m'ont raconté leur vie au
CADA en surmontant la barrière de la langue et en m'assurant leur confiance ;
Toutes les personnes, et elles sont nombreuses, qui ont accepté de m'accorder un peu de leur
temps et de leurs paroles pour que ce mémoire existe ;
Merci enfin à mes proches qui m'ont soutenu pendant mes recherches, ont alimenté mes
réflexions et ont participé de près ou de loin à la rédaction.
FLAMANT Anouk _2008
5
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Introduction
Glossaire
ALPIL : Action pour l'Insertion Sociale par le Logement
ASLIM : Association de Soutien au Logement d' Insertion Meublé
AUDA : Accueil d' Urgence des Demandeurs d' Asile
AFFD : Association en Faveur des Familles en Difficulté
ANAEM : Agence Nationale d' Accueil des Étrangers et Migrants
ASVS : Action Solidarité en Val de Saône
CADA : Centre Accueil de Demandeurs d' Asile
CLIN : Classe d'Initiation
CNDA : Cour Nationale du Droit d' Asile
DNA : Dispositif National d' Accueil pour l'asile
DDASS : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales
OFPRA : Office Français de Protection des Réfugiés et Asile
OQTF : Obligation à Quitter le Territoire Français.
SADA : Soutien Aux Demandeurs d' Asile
SSAE : Service Social d' Accueil des Étrangers
1
2
« Le Président, les Sans – Papiers et les Valeurs » , « Il faut protéger les réfugiés » ,
3
« Le droit d'asile (mal)traité par les préfets » . Quotidiennement, des articles de journaux,
des rapports d'associations évoquent le droit d'asile et les menaces qui pèsent sur lui.
Cet intérêt médiatique pour les conditions de vie des demandeurs d'asile -et surtout
déboutés de ce droit- surgit alors que la législation en France et dans l' Union Européenne
évolue rapidement. Ces évolutions visent à restreindre l'accès à nos territoires européens
et français, en durcissant les procédures d'entrée via un contrôle renforcé aux frontières,
la création de pays-tiers d'origine sûre etc. En 2002, 425 540 demandes d'asile ont été
4
déposées au sein des 27, contre 241 180 en 2005 et 199 350 en 2006 . Cette baisse
continue est le reflet non pas d'une diminution des conflits dans le monde, mais d'une
politique de fermeture des 27 aux personnes menacées.
1
2
3
4
MARTIN Louis, « Le président, les sans-papiers et les valeurs », Le Monde, mardi 1er avril 2008, p 19.
Slogan de la Marche des Parapluies organisée par Forum Réfugiés tous les 20 juin, journée mondiale pour les réfugiés.
Rapport d'observation de la Cimade, « Main basse sur l'asile. Le droit d'asile(mal)traité par les préfets », Juin 2007
Forum Réfugiés, « L'asile en Franec et en Europe. Il faut renouer avec l'impératif de protection », VIIème Rapport Annuel
de Forum Réfugiés, 2007, p 145
6
FLAMANT Anouk _2008
Introduction
Sensibilisée personnellement à cette question, une première enquête avec trois
étudiants à propos des conditions de vie dans les CADA a été l'occasion de connaître les
rouages juridiques de l'asile.
Au même moment de l'année, nous avons du choisir un sujet de mémoire. Un des sujets
proposés par notre directeur de mémoire s'intéressait à la « mise en administration » des
minorités arméniennes de Villeurbanne. Intéressée par la dimension territoriale et politique
de ce sujet, nous avons essayé de traiter ce thème pour la demande d'asile.
Les mobilisations qui se sont déroulées et se déroulent en France depuis 2005 à
l'initiative principale de RESF nous ont permis d'affiner notre questionnement. Si ces
soutiens se sont organisés pour des personnes sans–papiers, certaines d'entre elles sont
des demandeurs d'asile déboutés. Or, cette population clandestine importante (81,6% des
5
demandeurs d'asile ont été déboutés en 2006 ) essaie souvent de se maintenir dans les
CADA ou de vivre à proximité. Cela nous a permis de supposer que les territoires des CADA
interagissent avec cette population, que ce soit durant la procédure d'asile ou après celle
– ci.
Quels sont les « impacts » d'un CADA sur son territoire ? Les habitants et les
institutions échangent–ils avec les CADA et leurs résidents ? Comment les demandeurs
d'asile s'intègrent dans cet espace alors qu'ils ne sont là que temporairement ?
Ces questions ont guidé nos premiers pas d'enquête. Comprendre et questionner les
interactions entre le CADA et une population a nécessité dans un premier temps un arrêt
sur les ouvrages traitant de l'asile, de la sociabilité et de l'accueil sous plusieurs dimensions.
1. Inscription scientifique de notre sujet
Nos premières lectures se sont attachées à une littérature très juridique, concernant le
droit d'asile en France et le dispositif national d'accueil. Grâce à elles, nous avons pu être
éclairer sur les notions de : demandeurs d’asile, réfugiés, sans-papiers, et déboutés, et
nous approprier le langage juridico – administratif tel que : OFPRA,Office de Protection
des Réfugiés et des Apatrides ; CNDA, Cour Nationale du Droit d'Asile ; OQTF, Obligation
à Quitter le Territoire Français ; ANAEM : Agence Nationale d' Accueil des Étrangers et
. Les publications du Journal Officiel, des revues spécialisées de droit ont été les
Migrants
sources principales de ce premier temps 6
.
D’autres revues, s’attachant ponctuellement ou thématiquement à la dimension
juridique de l'asile, publient des articles critiques des législations récemment adoptées
7
8
.
Les
comme Problèmes politiques et sociaux
, Regard sur l’actualité
revues thématiques sur les migrations articulent quand à elles les législations, les enjeux
5
Forum réfugiés, « L'asile en France et en Europe. La France ne doit pas laisser filer le droit d'asile », VIème Rapport Annuel
de Forum Réfugiés,2006, p 157.
6
Journal Officiel, Aux sources de la loi, Paris, Les éditions des JO, décembre 2003,.
7
8
LAACHER Smaïn, « Le droit d’asile en question », Problèmes politiques et sociaux,n° 880, 13 septembre 2002.
JULIEN -LAFFERIERE François, « Le droit d’asile », Regards sur l’actualité, n°299, mars 2004, p 29 et 30
FLAMANT Anouk _2008
7
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
migratoires et les orientations politique
des migrations
10
(Revue des Migrations Internationales
9
, Actualité
…).
Les historiens étudient aussi l'asile, et plus particulièrement l'évolution de ce droit au fil
du temps. Si ce droit est reconnu dès l' Antiquité, l'arsenal législatif l'encadrant en France et
en Europe se développe à partir de la Révolution Française. Le droit d'asile contemporain
naît sous la Troisième République et est consacré après la seconde Guerre Mondiale avec
la Convention de Genève en 1951 et l'alinéa 4 du Préambule de 1946.
11 décrit
Gérard Noiriel dans l’un de ses ouvrages
la façon dont l’administration et
le politique, au fil du temps, se sont emparés de cette problématique, et ont mis en
administration cette population. Il montre de quelle manière nous somme passés d'un
système où le demandeur d'asile est une victime innocente à un système le criminalisant
comme un « faux réfugié ». Comme un accusé, le demandeur d'asile doit produire des
preuves formelles des persécutions subies, éléments fondamentaux illustrant sa « vraie »
qualité de demandeur.
Cet auteur s’intéresse aussi à la manière dont cette population devient un groupe, une
communauté à partir des années 70 – 80. Cette identification se produit parce qu'ils sont
perçus comme une menace pour la Nation et l' État. Ce groupe « demandeur d'asile » naît
12
d'une vision de l' État et non d'un regroupement spontanée de leur part .
13
Alexis Spire revient lui aussi sur les politiques migratoires de l' État dans les années
cinquante à soixante–dix et les manières d’administrer les étrangers, en distinguant les
« immigrés à intégrer » et « les étrangers à éloigner ». Les fonctionnaires accordant
le statut de réfugiés adaptent leurs pratiques au contexte économique, en veillant aux
exigences politiques et à un équilibre des forces entre ressortissants nationaux et étrangers.
Ainsi, l'institutionnalisation d'une protection des réfugiés en droit international n'est pas
incompatible avec ces usages administratifs.
La mise en administration de cette population est aussi induite par leur mode
d'hébergement, d'anciens foyers de travailleurs isolés en France de type Sonacotra sont
14
requalifiés en CADA. Comme le souligne Choukri Hmed , ce système d'accueil des
étrangers dans les années 60 est exclusif à la France et s'inscrit dans le sillage de la
guerre d'Algérie. Ces foyers sont relégués « aux marges de l'urbain et ont une inscription
15
périphérique » , afin de lutter contre la « multiplication anarchique des formes d'habitat
16
indigènes » et d'encadrer par l'administration française cette population. Les enjeux en
9
10
11
ème
LEGOUx Luc, « Changements et permanence dans la protection des réfugiés », n° 20, 2004, p 9 – 22
GUIMEZANES Nicole, « Le droit d’asile en France », Actualité des migrations, n° 113, janvier 2004, p 80 – 83
ème
ème
NOIRIEL Gérard, Réfugiés et sans papiers, la République du 19 et 20
siècle face au droit d’asile XIX
XX
, Paris, Hachette éditions , 2001.
12
13
NOIRIEL Gérard, Etat, Nation et immigration, vers une histoire du pouvoir, Paris, Belin, 2001
SPIRE Alexis, Etrangers à la carte, L’administration de l’immigration en France (1945 – 1975), Paris, Ed. Grasset &
Fasquelles, 2005
14
HMED Choukri, Loger les étrangers « isolés » en France. Socio histoire d'une institution d'Etat: la SONACOTRA (1956 –
2006) , Thèse sous la direction de Michel OFFERLE, Université Paris I, 2007.
15
16
8
Ibid, p 12
Ibid, p 81
FLAMANT Anouk _2008
Introduction
terme de spatialité et d'exclusion persistent pour les CADA, même si la croissance urbaine
a pu intégrer ces foyers au tissu urbain.
17
Cette littérature historique enrichit « la réflexion des militants du droit d’asile » dont le
nombre de publications est très importante.
Les associations de défense du droit d'asile, comme Forum Réfugiés, France Terre
d’Asile, la Cimade contribuent à cette littérature militante afin de protéger les demandeurs
d'asile et dénoncer certaines pratiques politiques. Dans ce cadre, Forum Réfugiés élabore
depuis 2000 un état des lieux en France et en Europe du droit d'asile en soulignant les
graves manquements de l' État.
Le réseau TERRA s’inscrit dans ce courant à la frontière entre militantisme et
recherche. De nombreux groupes de recherche s’articulent autour des politiques d'asile et
18
19
les conditions d’accueil de ces populations . Dans ce cadre, Jérôme Valluy s'interroge
sur la façon dont l' État délègue sa mission d'accueil de ces populations à des associations.
Il analyse la façon dont le travail des associations et de l' État en collaboration conduit
les associations à « pré juger » les demandes d'asile, et à limiter leurs critiques face aux
procédures et aux nouvelles législations.
Ces actes militants donnent lieu également à des ouvrages, comme celui de Marie20 . Cette essayiste revient sur les conditions de traitement et de
Claire Caloz–Tschopp
détention des « clandestins »
aux portes de l’Europe. Ces « zones grises, d’apartheid pour
21
les demandeurs d’asile » sont justifiées par les pouvoirs publics afin de préserver notre
cohésion sociale supposée menacée par ces migrants.
Une littérature également volumineuse s'intéresse aux demandeurs d'asile déboutés et
aux sans-papiers. Celle-ci tente de démontrer les incohérences administratives et politiques
qui jalonnent le parcours des sans-papiers en demande de régularisation, les violences
22 .
symboliques auxquelles ils font face et les souffrances liées à la clandestinité
Ce militantisme se retrouve discrètement dans les périodiques destinés aux travailleurs
23
24
sociaux (Échange Santé Social
, Recherche Sociale
…). Ces articles soulignent les
souffrances de ces personnes exilées et leurs propres difficultés pour s'adapter et s'intégrer
à ce nouveau lieu de vie.
17
ème
NOIRIEL Gérard, Réfugiés et sans papiers, la République du 19 et 20
ème
siècle face au droit d’asile XIX
ème
XX
, op.cit p IV
18
19
Axes de travail « ASILES », « L’asile sociétal : avec ou sans l’Etat ? », …
VALLUY Jérôme, « L’accueil étatisé des demandeurs d’asile : de l’enrôlement dans les politiques publiques à l’affaiblissement
des mobilisations de soutien aux exilés », N° 10, TERRA– éditions, 3 avril 2007. Article complet sur : http://ceaf.ehess.fr/document.php?
id=338
20
21
22
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Les étrangers aux frontières de l’Europe et le spectre des camps, Paris, La Dispute, 2004.
Ibid, p 204
Dir. FASSIN Didier, MORICE Alain, QUIMINAL Catherine, Les lois de l’inhospitalité. Les politiques de l’immigration à l’épreuve
des sans – papiers, Paris, La Découverte, 1997.
23
24
HENRY Pierre, « France Terre d’Asile, le dispositif national d’accueil » , Échange santé social, n° 91, septembre 1998.
BENJAMIN Isabelle, « L’accueil des étrangers et demandeurs d’asile, état des lieux dans le mouvement Emmaüs France
et les boutiques de solidarité », Recherche sociale, n° 167, juillet – septembre 2003.
FLAMANT Anouk _2008
9
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Notre terrain d’enquête nous a conduit à étudier ces ouvrages, afin de comprendre au
mieux la demande d'asile, et la façon dont les demandeurs d'asile vivent cette procédure.
Pour autant, nous souhaitons nous inscrire dans une démarche de sociologie urbaine,
dans laquelle la notion de territoire est questionnée et appréhendée comme un élément
fondamental.
La littérature qui articule territoire et demandeurs d’asile/réfugiés/populations précaires
est celle qui a le plus retenu notre attention. Il s’agit de s’interroger sur les liens entre un
territoire et une population spécifique, en complétant la littérature juridique et politique de
25
l'asile et celle qui « recourt de près ou de loin à l’humanitaire » .
Le territoire pertinent pour notre étude est ce lieu de rencontres, d'interactions produites
26 . Il est le « point de contact le
ou induites par les demandeurs d'asile et les habitants
plus aisé entre l’espace géométrique et l’espace social, le point de rencontres » 27 entre
les anciens résidents territoriaux et les nouveaux que sont les demandeurs d'asile. Ce
rapprochement dans l'espace crée des « relations particulières »
28
entre les individus.
Or, la vie sociale et politique territoriale est fonction de ces relations particulières, dans
laquelle le CADA est une institution à considérer. Si l'espace résidentiel n'est pas un
système
d'interactions obligatoires, il « suscite des occasions d'interactions »
ces occasions qui retiennent notre attention.
29
. Ce sont
Ainsi, le territoire est retenu dans sa dimension plurielle comme le définit Marcel
30
Roncayolo. Il est à la fois une superficie, un « artefact » , mais aussi un champ dans
lequel les rapports sociaux, les représentations et les perceptions sociales s'organisent et se
construisent. Le territoire accompagne ces dynamiques dans leur développement et dans
31
s'organise, se compose et se modèle grâce à l'ensemble de ces
leur pérennité . Celui-ci
interactions.
Cette notion de territoire, au coeur de notre recherche, est à relier avec la notion
d'hospitalité, notion fondamentale dans la procédure d'asile. Cette manière d'accueillir
relève du regard des acteurs territoriaux sur les demandeurs d'asile, et influence en
conséquence les échanges.
25
26
ibid
BALIGNAND Pascale, « Les rapports à l’espace des demandeurs d’asile », sous la direction de AUTHIER Jean Yves,
Université Lyon II, master 2 sociologie, 2007
27
AUTHIER Jean Yves, BACQUE Marie-Hélène, GUERIN-PACE France, Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques
et pratiques sociales, Paris, La Découverte, 2006.
28
29
30
31
10
HALBWACHS Maurice, La mémoire collective, Paris, PUF, 1950.
GRAFMEYER Yves, Sociologie urbaine, Paris, collection 128, Nathan Universités, 1994
RONCAYOLO Marcel, La ville et ses territoires, Paris, Folio Essais, Gallimard, 1990, p 182
Ibid.
FLAMANT Anouk _2008
Introduction
32 par les relations qu'une population étrangère
L'hospitalité a une dimension collective
tisse avec les acteurs territoriaux institutionnels et une
33
dimension individuelle . Cette
seconde dimension est essentielle puisqu'elle initie en partie les interactions entre les
demandeurs d'asile et leur nouvel espace de vie.
Ces deux notions le « territoire » et l' « hospitalité » permettent de faire une « sociologie
des territoires St martinois et vaudais ». En s'attachant aux représentations sociales des
34
acteurs territoriaux façonnées par le territoire, de « nouvelles identités locales »
se
construisent et expliquent les jeux d'acteurs en présence. Chacun avec sa propre identité,
sa propre attache au territoire réagit à la présence d'une population précaire. Comme dans
35 relatif à un squat dans un quartier parisien,
l'ouvrage d'Isabelle Coutant
les demandeurs
36
d'asile vivent et interagissent avec leur environnement . Cette sociologie de quartier nous a
permis de mesurer l'importance à accorder aux discours de chacun et aux représentations
sociales. Les positions des habitants du quartier varient entre stigmatisation, acceptation,
compromis et malaise. Or, dans notre étude, un regard particulier est accordé aux positions
des habitants et des institutionnels face aux demandeurs d'asile.
2. Terrains d'enquête et questionnements
Analyser les jeux d'acteurs d'un territoire a nécessité tout d'abord de choisir deux lieux,
différents et comparables. Quelques communes autour de Lyon accueillent des CADA, dont
quatre d'entre eux sont gérés par Forum Réfugiés.
Choisir deux terrains distincts par leur population résidente, leur histoire politique, le
gestionnaire du CADA nous est apparu plus riche pour mener cette comparaison. Ces deux
lieux d'enquêtes sont Fontaines St Martin et Vaulx en Velin. Ils ont retenu notre attention
parce qu'ils ont été des territoires marqués récemment par des mobilisations importantes
(en 2006 et 2007), les gestionnaires des CADA sont distincts : respectivement Adoma et
Forum Réfugiés et leur population a des caractéristiques socio-économiques différentes.
Nos recherches se sont cantonnées à une époque récente, de 2001 à 2008, période
marquée par l'arrivée de l' AUDA à Fontaines St Martin -il devient un CADA en 2004 ; de
l'autonomie à du CADA de Vaulx en Velin par rapport au CADA de Bron ; et d'initiatives
d'habitants ou d'associations en faveur des demandeurs d'asile.
Notre premier territoire d'enquête, Fontaines St Martin, recoupe très largement le
territoire communal. La prise en considération des demandeurs d'asile est majoritairement
l'apanage d'institutions ou d'associations St martinoises. Pour autant, quelques entretiens
ont été conduits dans la commune voisine avec des acteurs en lien avec le CADA et ses
résidents.
32
Dir. GOTMAN Anne, Villes et hospitalités. Les municipalités et leurs étrangers,Paris, Ed. de la Maison des sciences de
l’homme, 2004
33
34
GOTMAN Anne, Le sens de l’hospitalité. Essai sur les fondements sociaux de l’accueil de l’autre, Paris, PUF, 2001.
BONNEMAISON Jean, CAMBREZY Luc, QUINTY-BOURGEOIS Laurence, Les territoires de l’identité. Le territoire lien ou
frontière ?, Paris, L’Harmattan, 1999.
35
36
COUTANT Isabelle, Politiques du squat. Scènes de la vie d’un quartier populaire, Paris, La Dispute, 2000
COUTANT Isabelle, op.cit.
FLAMANT Anouk _2008
11
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Pour Vaulx en Velin, l'inscription communale n'aurait pas eu de sens, la commune est
trop étendue. Le CADA est connu et en lien avec le quartier où il est implanté : le Village.
Là encore, nous avons mené des entretiens et une séance d'observation dans d'autres
quartiers vaudais avec des personnes échangeant avec le CADA.
Ayant opté pour une enquête de terrain, nous avons élaboré une grille d'entretien
commune pour toutes les personnes interviewées. Cette grille d'entretien a évidemment été
adaptée aux cours de nos entretiens, et surtout a évolué au fil des paroles des enquêtés
eux même. En privilégiant des entretiens non dirigés, nous avons pu être plus réactifs aux
discours des personnes.
Exemple de notre grille d'entretien
Comment avez vous connu le CADA ?
Quels sont les acteurs principaux de la commune qui s'impliquent avec le CADA ?
Quelles sont les relations que vous avez avec le CADA et/ou ses résidents?
Comment percevez-vous l'action de la mairie par rapport au CADA et/ ou ses résidents?
De quelle manière percevez-vous le CADA et/ou ses résidents ? La mairie sur cette
question?
Comment percevez -vous les résidents du CADA? l'équipe travaillant au CADA?
Comment envisagez-vous les futures relations de la mairie/de vous même avec le
CADA et/ou ses résidents?
Comment avez-vous vécu les mobilisations sur le territoire ? Comment pensez-vous
qu'elles ont été appréhendées?
Cela a-t-il modifié l'image du CADA et de ses résidents ?
Quelle mobilisation imaginez-vous pour un futur cas comparable?
Ces entretiens sont la matière première de notre mémoire, éléments de réponses à
notre questionnement : De quelle manière le territoire grâce à des initiatives personnelles
ou collectives portées par des associations, ou des institutions, intègre la structure du
CADA et sa population résidente dans ses échanges ? De quelle façon les spécificités
de chaque terrain, fonction de l'institution gérant le CADA, de l'histoire de la commune,
des mobilisations pour certaines familles, et des autres acteurs institutionnels en présence,
influencent l'intégration du CADA et des demandeurs d'asile ? Comment cette population
précaire par son statut administratif peut–elle être raisonnablement s'intégrer à la vie sociale
et politique du territoire ?
3. Présentation sociologique des terrains d'enquête et
du dispositif national d'accueil
Panorama des deux communes
37
12
37
Recensement INSEE, données 1999 et 2005 , disponible sur : http://www.recensement.insee.fr/RP99/rp99/page_accueil.paccueil.
FLAMANT Anouk _2008
Introduction
Population (2008)
Taux migratoire 1982 – 1999
Taux migratoire entre 1999 –
2008 (en %)
% de constructions neuves
entre 1975 - 1999
% de constructions neuves
entre 1990 - 1999
Type d'habitations principales
% Propriétaires / Locataires
% de cadres et de professions
intellectuelles supérieures
(1999)
% de professions intermédiaires
(1999)
% d'employés (199)
% d'ouvriers (1999)
Taux de chômage (1999)
% de la population née à
l'étranger
Fontaines St Martin
2698
+ 2, 39 %
- 0,2
Vaulx en Velin
39 965
- 1,33 %
+ 1,6
45,4
27,3
23,9
3,2
Maisons individuelles 72, 2 %
75,4 / 22,1
28,3
Appartements 77%
33/ 66
4,8
23,3
16,3
24,3
14,5
10,2
6,2
32,3
41,3
23,3
21 (et 11 % a acquis la
nationalité française)
Ces deux territoires se distinguent en de nombreux points. Fontaines St Martin est une
commune aisée, accueillant majoritairement des classes moyennes et supérieures. Vaulx
en Velin est une commune à la population métissée, dans laquelle les classes populaires
sont sur-représentées. Ils accueillent toutefois chacun un CADA, de capacité équivalente
(100 personnes à Fontaines St Martin, 110 personnes à Vaulx en Velin).
Un Centre d' Accueil pour Demandeurs d' Asile est un lieu d'hébergement pour
une partie de la population sollicitant l'asile ( 35% des demandeurs d'asile au niveau
national sont accueillis en CADA en 2006). Il est nécessaire d'être titulaire d'un récépissé
d'autorisation provisoire de séjour pour postuler à une place durant toute la durée de la
procédure. L'acceptation en CADA est prononcée par la Commission Locale d' Admission
dans le Rhône. Dans ces centres, une ou plusieurs chambres sont mises à disposition
des demandeurs d'asile (en fonction du nombre de personnes au sein de la famille), ainsi
qu'une salle d'eau et une cuisine à partager avec les voisins du palier. Au sein de ce CADA,
une équipe d'intervenants sociaux aide les demandeurs d'asile à constituer leurs dossiers
OFPRA et/ou à la CNDA. L'OFPRA est le premier lieu où est examiné la demande des
requérants, par un juge aidé d'un interprète en présence du demandeur d'asile. En cas de
refus du statut de réfugié, le demandeur d'asile peut constituer un recours devant la CNDA
(anciennement Commission de Recours des Réfugiés). Le dossier est examiné par trois
juges (dont un représentant du HCR), en présence du demandeur d'asile et de son avocat,
38
si ses services ont été sollicités .
Le CADA est devenu la pierre angulaire du dispositif national d'accueil qui régit la
procédure d'asile. Conscient de l'intérêt pour les demandeurs d'asile d'être hébergés ainsi,
et non à l'hôtel ou chez de la famille, l' État essaie aujourd'hui d'augmenter le nombre
de places en CADA ou le cas échéant en AUDA. C'est au CADA que les demandeurs
38
Annexes n°32, « Procédure d'asile », p 218
FLAMANT Anouk _2008
13
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
d'asile perçoivent l'allocation temporaire d'attente de 447,91 euros pour une personne seule,
940,62 euros pour une famille avec deux enfants au 1er janvier 2008.
Dans le département du Rhône, Adoma et Forum Réfugiés sont les deux principaux
gestionnaires de CADA.
4. Retour sur la pratique d'apprenti – chercheur et les
conditions d'enquête.
Il convient de nous attacher aussi dans cette introduction aux motivations personnelles de ce
39
choix de mémoire. La neutralité du chercheur et de l'apprenti – chercheur est un « leurre »
sur lequel il faut s'interroger. Quelles sont les motivations personnelles qui nous conduit à
privilégier ce sujet plutôt qu'un autre ?
Nous souhaitions comprendre comment les demandeurs d'asile vivent dans cette
nouvelle société, population que nous défendons dans notre quotidien. Interpellée par les
discours de criminalisation envers les populations pauvres et précaires, nous avons voulu
savoir comment les personnes confrontées à une de ces populations, les demandeurs
d'asile, réagissent et échangent avec eux. Par cette démarche, nous espérions accéder aux
perceptions et représentations sociales des uns et des autres d'un territoire.
La méthode par entretiens nous a permis de disposer de notre propre source, constituée
au fil du temps et des rencontres. Si nous avons essayé de choisir les personnes que nous
souhaitions rencontrer, les premiers entretiens sont moteur dans la suite de l'enquête. A
Fontaines St Martin, nos deux premières rencontres avec deux personnes proches de RESF
nous ont permis de rencontrer d'autres personnes investies auprès des demandeurs d'asile,
de façon souvent individuelle. A l'inverse, à Vaulx en Velin, notre entrée institutionnelle en
rencontrant la directrice du CADA nous a offert les possibilités de rencontrer rapidement
les partenaires institutionnels. Nous avons eu plus de difficultés pour entrer en lien avec les
habitants du territoire. N'importe quel autre chercheur aurait obtenu un corpus différent, ce
qui est l'intérêt même de ce travail.
Grâce aux entretiens, nous avons pu recueillir une multiplicité de points de vue sur le
CADA. Écouter les enquêtés nous expliquer les raisons de leur engagement, de leur non
engagement auprès des demandeurs d'asile nous a permis de connaître les interactions
territoriales.
Nous avons oeuvré pour que notre parti pris en faveur d'un droit d'asile plus conséquent
et de nouvelles politiques d'immigration ne soit pas perçu par nos enquêtés. Néanmoins,
nous avons conscience que cela a pu faciliter certaines rencontres. Nous avons essayé
d'adopter une position de neutralité lors de nos entretiens. Cet exercice difficile a été mieux
réalisé pour certains entretiens. Avec certains enquêtés dont nous avons eu le sentiment de
partager le même type d'engagement, nous avons parfois « conversé» avec eux, oubliant
notre posture de chercheur. Les entretiens avec les demandeurs d'asile sont les plus
marqués par cette difficulté à épouser la figure du chercheur. Très impressionnée par ces
personnes, nous avons opté pour des mini – récits de vie, durant lesquels nous avons été
émues et nous leur avons manifesté notre soutien.
39
14
BEAUD Stéphane, WEBER Florence, Guide de l'enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2001.
FLAMANT Anouk _2008
Introduction
La multiplication des rencontres nous a permis de constituer petit à petit un corpus
relatant partiellement et à un instant donné les relations et représentations sociales des
40
acteurs locaux. « Comprendre » notre implication dans le sujet, c'est aussi être conscient
des interactions particulières qui se créent pendant les rencontres. Si nos interventions sont
parfois maladroites, trop suggestives, les propos des uns et des autres s'enrichissent à
travers ces conversations. Ceci se retrouve notamment dans les entretiens menés avec
plusieurs personnes. Des interactions se créent entre le chercheur et ces enquêtés qui
s'interrogent à voix haute, échangent ensemble en oubliant parfois notre présence.
Pour rendre compte de nos observations, nous nous intéresserons à la marginalité
constatée des demandeurs d'asile dans les deux territoires. Les dimensions aussi bien
spatiales que politico-administratives de cette marginalité alimentent les représentations
sociales discriminantes à l'égard de cette population (Première partie). Cette exclusion
cache toutefois les échanges qui se tissent au sein du territoire entre habitants, associations
ou institutions et les CADA. Ces échanges incluent ou excluent les demandeurs d'asile
de la vie sociale et politique territoriale (Deuxième partie). Cette constante dynamique
d'intégration et d'exclusion domine le discours des gestionnaires des CADA et la procédure
d'asile. Ceci rend le travail du politique face à cette population d'autant plus complexe et
épineuse. Entre considération électoraliste et volonté d'accueil, une « gouvernance locale »
peut être une solution pour que des relations sociales se créent entre demandeurs d'asile
et acteurs locaux (Troisième partie).
NB : Tous les noms des enquêtés et des demandeurs d'asile ont été modifiés.
40
BOURDIEU Pierre, La misère du monde, Paris, Seuil, 1993
FLAMANT Anouk _2008
15
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Partie 1: Regards croisés sur deux
CADA : de la méconnaissance à la
marginalité
Lors des premiers contacts établis avec les enquêtés, nous nous apercevons rapidement
que les CADA sont des entités méconnues voire inconnues. Le terme « CADA » n'est
pas identifié, les personnes parlent plus communément du foyer Sonacotra accueillant
maintenant des réfugiés ou immigrés.
Quelles sont les dynamiques à l'oeuvre pour expliquer cette méconnaissance et
cette marginalité ? Quelles sont les représentations sociales des acteurs locaux sur cette
population ? Comment les demandeurs d'asile vivent-ils eux même dans ce territoire ?
Le lieu d'implantation territoriale des CADA est un élément déterminant de cette
marginalité, héritée d'une politique publique de logement des immigrés en France dans les
années 60. L'exclusion politico – administrative couplée à cette exclusion spatiale rendent
difficile la connaissance et les échanges des habitants avec les demandeurs d'asile (chapitre
1).
Bien que les CADA soient peu connus, les acteurs locaux ont tous une image de leurs
résidents et des modalités d'accompagnement dont ils bénéficient. Ces représentations sont
déterminantes à analyser pour comprendre une fois encore les dynamiques de marginalité
à l'oeuvre.
Pour leur part, les demandeurs d'asile retrouvent provisoirement dans ces CADA un
nouveau lieu de vie. Leurs situations administratives mais aussi leurs propres histoires et
identités conditionnent cette intégration (chapitre 2).
Chapitre 1: Des dimensions multiples à l'exclusion
des CADA
Un rapide coup d'oeil sur les cartes des communes illustre l'exclusion spatiale dont les foyers
sont toujours l'objet. Éloignés du coeur de leur territoire, ils sont invisibles au quotidien par
les autres habitants. Ce choix spatial est hérité d'une politique de la société propriétaire des
deux bâtiments : la Sonacotra (Section 1).
L'attitude de l'ensemble des pouvoirs publics, en premier lieu l' État, amplifie cette
marginalité lui donnant un caractère politique et social. Les habitants contribuent à cette
exclusion puisqu'ils échangent peu avec les demandeurs d'asile (Section 2).
Section 1. L'exclusion spatiale des CADA et de leurs résidents
16
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
L' ensemble des CADA de l'agglomération lyonnaise, tous anciens foyers de type Sonacotra,
sont situés dans les quartiers excentrés de Lyon ou en banlieues (Mermoz, Bron, Vaulx
en Velin, St Genis Laval,...). Ce choix du début des années 60 a reposé sur la volonté
de contrôler et marginaliser ces immigrés. Les demandeurs d'asile subissent encore les
conséquences de cette politique, dont certains traits demeurent aujourd'hui.
1.1 Des implantations aux marges de la ville
Loin des centres névralgiques des deux territoires, nos CADA sont relayés difficilement à
ceux–ci même si les résidents pas à pas acceptent cet éloignement et le présentent comme
un atout.
1.1.1 Éloignement spatial des CADA: loin du centre, loin de Lyon
Le CADA de Fontaines St Martin est à la limite avec les deux communes voisines : Fontaines
sur Saône et Rochetaillée. En empruntant la route du Prado, les ruptures persistantes de
continuité urbaine et la présence du Petit Bois renforce le sentiment d'éloignement du CADA
au centre du village. L'implantation des maisons voisines au foyer est récente (2002) et
41
coïncide quasiment avec l'arrivée de l' AUDA (2001) . La continuité urbaine n'est toujours
pas assurée même avec ces constructions.
Le CADA excentré est inconnu de la majorité des St martinois. Avant la mobilisation
du mois d'octobre 2007 en faveur de la famille Fihra, déboutée du droit d'asile, une parent
42
d'élève assure que « les gens ils savaient pas qu'il y avait un CADA » . Situé à une entrée
du village, peu de gens connaissent son rattachement administratif à Fontaines St Martin.
Les demandeurs d'asile fréquentent très peu les infrastructures St martinoises, puisqu'ils«
43
sont loin de tout et du coup eux ils osent pas aller d'un côté comme de l'autre » . Les
demandeurs d'asile résident dans un bâtiment sans existence territoriale véritable, ce qui
renforce leur invisibilité et leur repli sur ce mince espace.
L'implantation originelle du foyer en 1964 a été justifiée par sa proximité avec les usines
de la vallée de la Saône et pour qu'il affecte le moins possible la vie de ce petit village
(d'environ 800 habitants à l'époque).
Fontaines St Martin : territoire communal
41
Accueil d'Urgence des Demandeurs d'Asile. Cet accueil a précédé le CADA et offrait moins d'accompagnement social aux
demandeurs d'asile. Seuls deux personnes étaient présentes pour les aider à la constitution de leur dossier OFPRA et CNDA sans
compétences juridiques. Les demandeurs d'asile accueillis en AUDA bénéficient d'un encadrement plus limité, et leurs allocations
de revenus sont plus faibles.
42
Entretien avec une parent d'élève et sa fille mobilisées pour une famille rwandaise en 2007, Lieu: Un café à la Croix Rousse,
le 27 février 2008 de 15 h 30 à 16 h 30, début d'entretien : Entretien n°7, p 83
43
Entretien avec une personne proche de RESF, mobilisée pour plusieurs familles, Lieu: son domicile, le 11 février 2008 de
14h30 à 17h00, milieu d'entretien : Entretien N° 1, p 12
FLAMANT Anouk _2008
17
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Fontaines St Martin et ses alentours : inscription territoriale du CADA
Le CADA de Vaulx en Velin est relégué également à l'extrémité d'un quartier déjà isolé,
44
le Village, suite au développement de la ZUP dans les années 70. La ville s'est étendue
44
La Zone Urbaine Prioritaire s'étend de Grolières à Vernay Verchères et a été construite entre 1970 et 1980, soit plus de
8300 logements et des services de proximité. Cette création ex nihilo de quartiers visait à répondre à la crise du logement en France.
18
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
au sud et à l'ouest provoquant une double exclusion du CADA : le Village est un quartier
non prioritaire de la ville, et le foyer est situé à sa plus lointaine extrémité, accolé aux zones
maraîchères et à l'autoroute de Paris. Le cumul de ces deux phénomènes est observé par
la directrice du CADA, « si le Village est déjà loin de Vaulx, nous on est vraiment au bout
45
du bout » .
De récentes constructions pavillonnaires (2000) ont établi une continuité urbaine entre
le Village et le CADA. Là encore, cela n'a pas joué véritablement en faveur du CADA qui
demeure éloigné du reste du Village. Ceci est d'autant plus vrai que si les habitants de
Fontaines St Martin passe devant le CADA pour rejoindre Neuville sur Saône, le CADA de
Vaulx en Velin est situé au bout d'une impasse.
L'intégration des foyers aux territoires est pénalisée par cet éloignement géographique,
d'autant que l'offre de transports en commun est limitée.
A Fontaines St Martin, deux bus relient directement Lyon (Quai de la Pêcherie et Part
Dieu) en une trentaine de minutes. Cependant, l'offre se fait rare dès 19 heures et le weekend (le bus pour la Part Dieu ne circule pas au delà de 19h30). Dans une moindre mesure,
le CADA de Vaulx en Velin est imparfaitement desservi. En journée, des lignes directes
vont très régulièrement jusqu'à Laurent Bonnevay ou la Part Dieu. Néanmoins, le soir dès
19 heures et le week-end, la fréquence des bus s'amenuise. Les demandeurs d'asile sans
enfant peuvent rejoindre à pied le centre de la commune ce qui est nettement plus difficile
pour les familles.
L'isolement du CADA de Fontaines St Martin est renforcé par l'absence de transports
en commun avec le centre du village. Faire le trajet du CADA à l'école est possible mais
difficile en cas d'intempéries, et la faiblesse des effectifs se rendant dans ces écoles explique
l'absence de transports scolaires. L'école de Fontaines St Martin accueille uniquement des
enfants francophones ou de l'âge maternel tandis que la classe CLIN pour les enfants non
francophones est à Fontaines sur Saône. En toute logique, l'intégration devrait s'effectuer
dans cette commune. Les demandeurs d'asile via l'école primaire et l'offre de commerces
et de services sont d'ailleurs « spontanément plus vers Fontaines sur Saône, surtout
46
avec l'école » . Au demeurant, les interactions en faveur de ces habitants proviennent
de Fontaines St Martin, qui est « beaucoup plus soucieux du CADA et des gens qui sont
47
là » . L' ancrage communal prédomine : la municipalité et des associations villageoises ont
développé des initiatives en faveur des demandeurs d'asile, au delà de la sphère scolaire.
A Vaulx en Velin, les demandeurs d'asile fréquentent majoritairement les commerces
et les services offerts au Village. L'école au Village accueille les enfants des demandeurs
d'asile en maternelle ou francophones tandis que la classe CLIN a été regroupée à
l'école d'un quartier voisin, la Grappinière. L'intégration au quartier d'implantation est plus
spontanée même si l'offre d'activités est restreinte au Village ; le centre social le plus proche
est aussi à la Grappinière. La participation de Forum Réfugiés aux réunions pour définir le
projet territorial du Village souligne leur volonté d'ancrage à ce quartier.
Vaulx en Velin : territoire communal du Nord de la ville
45
Entretien avec le directrice du CADA, Lieu: son bureau au CADA, le 6 mars 2008 de 14 h 30 à 16 heures, milieu d'entretien :
Entretien n° 21, p 172.
46
Entretien avec une intervenante sociale au CADA, Lieu: son bureau au CADA, le 12 mars 2008 de 10h20 à 11h 50 , début
d'entretien, : Entretien N°11, p 103
47
Entretien avec une intervenante sociale au CADA, : Entretien N° 11, p 104
FLAMANT Anouk _2008
19
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Vaulx en Velin : inscription territoriale du CADA
1.1.2 Une exclusion spatiale intégrée par les habitants et les résidents
Cette exclusion spatiale est immédiatement constatée par les demandeurs d'asile
fraîchement arrivés du centre de transit en plein coeur de Villeurbanne (90 % d'entre eux
20
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
passent par ce centre). Les demandeurs d'asile ont besoin de retrouver une « cohérence
48
dans l'usage des espaces territoriaux » ce qu'ils ont commencé à entreprendre au centre
de transit et ce qui est à nouveau bousculé en s'installant au CADA. Cet éloignement pose
problème les premiers temps pour les demandeurs d'asile. Une réfugiée ayant habitée au
CADA de Fontaines St Martin dit « j'ai râlé tout le long dans le mini bus, je suis trop loin !
49
C'est trop loin! » . Une seconde demandeuse d'asile nous confie que la distance avec le
centre du village a été un des freins pour fréquenter la MJC. Néanmoins, après une période
de deux à trois mois, la quasi totalité des demandeurs d'asile apprécient ces deux CADA
et notamment les familles. Ils sont situés dans des environnements propices aux enfants :
le CADA de Fontaines St Martin est dans un parc, tandis que celui de Vaulx en Velin a une
2
grande cour et Miribel est proche. A l'intérieur, les chambres sont grandes (de 9 à 12m ), et
les unités de vie sont petites (de 5 à 6 chambres par palier). Cela leur permet de retrouver
une intimité familiale essentielle pour se reconstruire dans ce nouveau lieu de vie.
Quand aux déplacements, les demandeurs d'asile s'approprient aisément le réseau
TCL, « ils se déplacent facilement même si les isolés le font plus facilement que les
50
familles » . Toutefois, leur isolement urbain les conduit à vivre surtout au foyer et à avoir
peu de possibilités, si ils en ont l'envie, de s'en échapper.
Cette implantation aux marges de la ville pénalisent leur intégration territoriale. Être au
CADA c'est être loin du coeur du territoire, loin de la vie sociale communale. Cette faible
lisibilité des foyers est le choix d'une politique d' État pérenne depuis les années 60 en
France.
1.2. L'exclusion spatiale des CADA : l'administration des étrangers en
France
La Sonacotra symbolise la politique du logement menée par les pouvoirs publics français
du début des années 60 au début des années 80. En étant actionnaire majoritaire de cette
société, l' État impose aux travailleurs immigrés des habitations en périphérie sous prétexte
51
d'« être plus proches des lieux de travail » . Cette dimension d'éloignement volontaire
persiste aujourd'hui pour ces foyers dont la population résidente a évolué. De quelle façon
l' État français a–t–il conçu son accueil pour les étrangers dans les années 50 et comment
cela a–t-il modelé l'exclusion sociale des résidents en foyer ?
1.2.1 La place réservée à l'étranger en France: socio – histoire de la
Sonacotra
48
49
Dans sa thèse, Choukri Hmed revient sur le choix du foyer comme logement des travailleurs
52
immigrés, « exclusivité française dans le monde européen » . Les foyers sont excentrés,
53
exigus et « démarqués de l'espace urbain » . Ils sont établis dans cette forme particulière
qu'est la minuscule chambre sans avoir même la possibilité de se faire à manger pour avoir
BALIGAUD Pascale, op.cit. p 153.
Entretien avec une réfugiée statutaire d'origine géorgienne, ayant résidé au CADA, Lieu: son domicile, le 7 avril 2008 de 18 heures
à 18 H 50 : Entretien n° 17, p 145
50
51
52
53
Entretien avec la directrice du CADA : Entretien n ° 21, p 164
LOCHTAK Danièle, « L'appartenance saisie par le droit », in Villes et hospitalités. Les municipalités et leurs étrangers, op.cit., p 319
CHOUKRI Hmed, op. cit, p 12.
Ibid
FLAMANT Anouk _2008
21
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
un espace de vie individuel. Pour Sayad, c'est un « univers totalitaire »
puisque la majorité des besoins primaires est satisfaite au foyer .
54
au sens de Goffman
Le foyer est préconisé pour lutter contre la « multiplication jugée anarchique
55
des formes d'habitat "indigènes" en métropole » . En reléguant aux marges de
l'urbain ces nouveaux résidents, l'administration française veut contrôler cette population
potentiellement dangereuse et subversive suite à la guerre d' Algérie. La filiation avec
le mouvement hygiéniste du début du vingtième siècle et notamment la construction de
logement type HBM est évidente ; le logement est l'instrument pour les « éduquer » à vivre
comme la société le préconise.
Les espaces du foyer sont circonscrits, les liens avec l'extérieur sont réduits et les
valeurs de l'institution dominent dans les discours et les attitudes des directeurs. Ces
derniers assurent la gestion quotidienne du foyer, font le lien avec les instances politiques
56
locales et surtout respectent l'injonction institutionnelle « de ne pas faire parler de soi » .
L'éloignement géographique du foyer et leur gestion centralisée conduit les
municipalités à entretenir des relations administratives avec celui–ci. Si quelques
événements festifs ont pu avoir lieu entre le foyer et les habitants du territoire, les
travailleurs sont largement maintenus à l'écart. Un habitant de Fontaines St Martin depuis
une quarantaine d'années observe qu' « il y a eu quelques tentatives qui doivent remonter
à 25 ou 30 ans, avec des soirées, des méchouis à la salle des fêtes, ou au foyer, mais ça
57
a toujours été très ponctuel » .
Le nouveau contexte migratoire a créé des vacances structurelles dans les foyers qui
ont du adapter leur bâti (décloisonnement des foyers pour avoir des chambres plus grandes)
afin d' accueillir une nouvelle population, et notamment les demandeurs d'asile.
1.2.2 La marginalité des foyers Sonacotra : pérennité d'une politique
publique
La Sonacotra a ainsi mis sur pied des bâtiments à « caractère stable, durable et tangible
58
dans l'espace urbain » avec des effets pour les résidents actuels. La logique administrative
s'est poursuivie, les demandeurs d'asile sont une population à surveiller et à encadrer via le
logement. Les délégations de gestion à des associations pour l'accueil sont plus courantes
mais ces dernières sont toujours locataires et non propriétaires du bâti, chargées de mission
et financées par l' État.
La réserve institutionnelle des directeurs de foyers Sonacotra persiste. Ce sont nos
seuls interlocuteurs qui ont hésité avant de nous recevoir et le retour spontané pendant
l'entretien sur l'historique de la société affirme la filiation avec les politiques des années 60.
Ils offrent un logement et une aide juridictionnelle et peinent (ou refusent) à s'inscrire dans
une démarche d'échange avec le territoire.
54
L' exclusion des CADA est spatiale tout comme elle découle de décisions politiques
et administratives. Ces « outsiders » de la société sont identifiés comme une menace
SAYAD Abdelmayek, Le foyer des sans – familles , Actes de la Recherche en Sciences sociales, 1980, vol. 32, p 89 – 103
55
56
57
CHOUKRI Hmed, op.cit, p 81
CHOUKRI Hmed, op.cit, p 528
Entretien avec un candidat à la municipalité 2008, président de l'association Agir Ensemble. Lieu: son lieu de travail à Lyon,
le 27 mars de 14h30 à 15 h10 : Entretien n ° 15, p 141
58
22
CHOUKRI Hmed, op.cit, p 211
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
potentielle pour la cohésion sociale nationale. Bien que la société change ses règles de
l'hospitalité et de l'inhospitalité, elle conserve ses administrations et ses fonctionnaires,
vecteurs de ces politiques. Les demandeurs d'asile sont une population accueillie pour être
protégés des atteintes à leur dignité dont ils sont victimes dans leur pays. Or, ce qui a été
mis en place pour contrôler les travailleurs isolés demeurent sous d'autres formes pour cette
nouvelle population bénéficiant de l'hospitalité française.
Section 2. L'exclusion administrative et politique des CADA
L'exclusion spatiale et historique des CADA est parachevée par leur exclusion
administrative et politique. L'exclusion orchestrée par la délégation informelle des
compétences de l' État aux collectivités territoriales ou à des gestionnaires est renforcée
par le désintérêt de la majorité des habitants pour cette population.
2.1. Des compétences étatiques déléguées aux communes et au secteur
privé
Au regard du code d'entrée des populations étrangères sur le territoire français, l' État
est compétent pour protéger les demandeurs d'asile via le dispositif national d'asile sous
l'autorité récente du ministère de l'immigration et de l'identité nationale. Seule la CNDA a
vu son indépendance réaffirmer en 2007. Au niveau local, la Préfecture est l'administration
compétente dans les démarches des demandeurs d'asile (autorisation provisoire de
séjour...) et joue un rôle prépondérant dans l'octroi de places en CADA. Cependant, l' État
s'est déchargé au fil des années sur les communes et sur les gestionnaires des structures
pour accueillir cette population .
2.1.1 L'accueil des demandeurs d'asile : une compétence étatique
décentralisée ?
La Préfecture et la Sonacotra ont imposé à Fontaines St Martin la requalification du foyer
en AUDA, la commune a uniquement pu négocier le nombre de personnes accueillies (pas
plus de cent personnes). Ce chiffre a été justifié par la taille de la commune, qui a souligné
les risques d'une implantation massive d'une population précaire.
En terme de moyens financiers, les communes font face à dilemme entre accueillir
au mieux ces nouveaux habitants et ne pas se substituer financièrement à l' État. Cela
a été d'autant plus vrai pour l'AUDA à Fontaines St Martin, même si ce phénomène a
eu lieu en 2000 – 2002 à Vaulx en Velin pour des demandeurs d'asile non accueillis en
CADA. Les budgets des CCAS ont été affectés de façon importante par ces arrivées.
Selon l'élue aux affaires sociales de Fontaines St Martin, le budget a doublé pour aider les
demandeurs d'asile à financer les repas scolaires, la carte de transports etc. Le soutien
59
financier s'accomplit surtout au niveau local, « ce sont les communes qui gèrent » et
peut–être source de conflits. La transformation de l'AUDA en CADA a diminué l'impact
financier sur le budget municipal, l'allocation qu'ils perçoivent est plus élevée, même si les
municipalités ont maintenu certains « coups de pouce » (aides à la restauration scolaire,...).
Les municipalités ont aussi été interpellées par d'autres associations ou habitants sur
cette présence. Un travail en amont avec les gestionnaires a permis de désamorcer certains
conflits de voisinage et de mieux connaître la population accueillie en CADA. Ces rencontres
59
,Entretien avec une membre de l'ASVS et son mari opposés à une action de son association en faveur du CADA . Lieu :
son domicile, le 11 mars 2008, de 17 h à 17 h 45. Entretien n° 10, p 96
FLAMANT Anouk _2008
23
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
se sont estompées avec le temps mais ont été réactivées lors des récentes mobilisations
en faveur de familles déboutées du droit d'asile. Les élus locaux se sont entretenus avec
les intervenants sociaux pour s'informer des solutions possibles pour ces familles.
2.1.2 Des entreprises ou des associations pour la mission d'accueil de l' État
L' État délègue dans un souci d'efficacité l'accueil des demandeurs d'asile à des bailleurs
comme Adoma ou à des associations comme Forum Réfugiés. Les travailleurs sociaux
accompagnent les résidents dans la procédure d'asile, et sont aidés par les collectifs
locaux d'aide à l'intégration pour mettre sur pied des activités socio–culturelles. Un collectif
associatif a vu le jour spontanément à Fontaines St Martin dès 2001 pour offrir du soutien
scolaire aux enfants et des cours d'alphabétisation ou de français langue étrangère aux
adultes. A Vaulx en Velin, Forum Réfugiés a sollicité en 2006 d'autres associations comme
l' Association Française des Étudiants pour la Ville (AFEV) et les centres sociaux pour offrir
des activités aux résidents.
Néanmoins, de véritables problèmes se posent en particulier pour les associations
gestionnaires de CADA. Si l' État ne peut occuper les mêmes terrains de l'accompagnement
que ces structures, les équipes peuvent difficilement prendre en charge la procédure
et proposer des activités aux demandeurs d'asile. L' État en offrant un encadrement
plus décisif auprès des demandeurs d'asile aiderait le « milieu associatif à dépenser
60
ses énergies de manière plus fructueuse et enrichissante. » . Tout aussi problématique,
l'institutionnalisation de l'aide juridique apportée par ces équipes les conduit à diminuer le
61
nombre d'interventions juridiques pour contester les nouvelles dispositions législatives .
En connaissant les rouages administratifs de l'asile, ils intègrent petit à petit les critères de
62
l'OFPRA et de la CNDA .
L' État en déléguant l'accueil des demandeurs d'asile se protège d'une opposition trop
forte des associations gestionnaires et dans une moindre mesure des équipes de bailleurs.
Cela contribue à rendre invisible la situation des demandeurs d'asile aux citoyens, favorisant
alors des atteintes substantielles à ce droit. Les militants se focalisent principalement sur
les personnes déboutées du droit d'asile pour lesquelles les travailleurs sociaux du CADA
ne peuvent plus légalement intervenir. Cette politique d' État agit dans une logique de
non contestabilité des dispositions législatives, même si une association comme Forum
Réfugiés poursuit ce type d'actions auprès des gouvernements.
Peu de personnes sont dans la capacité de connaître les compétences des acteurs
notamment lors d'expulsions. Cette connaissance imprécise des CADA et de leurs résidents
rend difficile des échanges avec les habitants.
2. Invisibilité sociale et absence de relations entre demandeurs d'asile et
habitants
Ces exclusions sont renforcées par le relatif désintérêt de la majorité des habitants pour ces
nouveaux arrivants. Méconnus sur le territoire, les échanges avec la population déjà établie
60
NI CHOSAIN Baibre, « L'accueil des demandeurs d'asile » in Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs étrangers, op.cit,
p 276 – 277.
61
SANTAMARIA Magalie, « La mise en oeuvre d'une politique publique par des entrepreneurs de cause. L'exemple de
la politique d'asile et d'accueil des réfugiés et l'association Forum Réfugiés », Dir. C. Traini, Mémoire de DEA Science politique
comparative, Université Ai x Marseille III, 2002
62
24
VALLUY Jérôme, op.cit..
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
sont restreints. L' intégration d'une population repose plus que sur leur simple présence
territoriale.
2.2.1 Des demandeurs d'asile méconnus par les habitants
Les habitants s'intéressent très peu aux demandeurs d'asile. Si ils croisent certaines familles
à l'école -hormis pendant les mobilisations de soutien-, une enquêtée habituée des sorties
63
d'école déclare que « les gens n'y font pas attention » . Les personnes sans enfants
connaissent encore moins cette population, qu'ils ne rencontrent pas dans leur quotidien.
Les demandeurs d'asile sont en marge de la vie politique et sociale du territoire. Même
en cas d'obtention du statut de réfugié, il est probable qu'ils seront contraints de déménager.
La précarité de leur avenir les conduit à peu s'investir dans des projets à long terme,
vecteur déterminant pour rencontrer d'autres habitants. Ces derniers doivent faire preuve de
volontarisme pour échanger avec les résidents des CADA. Si cette démarche de rencontres
existe à Fontaines St Martin, ce n'est pas le cas à Vaulx en Velin.
Le sort individuel des demandeurs d'asile peut émouvoir voire mobiliser les habitants.
Toutefois, dans leur vie quotidienne, peu se mobilisent en faveur de relations plus soutenues
avec le CADA. Comme l'assure une candidate St martinoise aux précédentes élections
64
municipales, « les gens sont souvent plus intéressés par le trottoir devant chez eux » que
par le CADA. Cette indifférence est même revendiquée par les voisins en conflit avec le
CADA de Vaulx en Velin, une des enquêtés déclare qu'« elle s'en fout de leurs situations,
65
elle est pas allée les chercher! » , elle veut seulement vivre paisiblement dans sa maison.
La découverte et l'intérêt pour le CADA surgissent lorsque les familles (très rarement
les isolés) avec des enfants vivent à la rue, et peuvent être ou sont expulsées de force
du territoire français. Néanmoins, si il y a une forme de sympathie, beaucoup d'acteurs
soulignent que les réactions en faveur ou en défaveur de ces situations sont limitées. Une
centaine de personnes a essayé d'aider ces familles, et seules une quinzaine ou une dizaine
de personnes ont été véritablement actives.
2.2.2 Accueillir chez soi un étranger : les difficultés d'établir du lien social
entre voisins
63
Les personnes mobilisées font un véritable « travail de fourmi » pour sensibiliser les autres
habitants et les acteurs locaux à l'existence du CADA sur leur territoire. Les demandeurs
d'asile bénéficient d'une hospitalité étatique conséquente en CADA, mais cela est insuffisant
pour s'approprier ces nouveaux espaces. Cette intégration parfois de courte durée est
toujours bénéfique dans le parcours de ces personnes d'après certains acteurs locaux :
« les gens qui vont créer des liens ici, qui vont faire partie de choses, qui vont être intégrés,
66
ils pourront s'en resservir » ; la précarité de leur situation ne peut servir de justificatif à la
mise entre parenthèse de leur vie sociale.
Entretien avec la présidente, la trésorière et une membre de l'association ASVS , et un élu à la municipalité. Lieu: une salle
municipale où l'ASVS effectue la distribution alimentaire, le 25 février 2008 de 16 heures à 18h : Entretien n°4, p 60
64
Entretien avec l'élue aux affaires sociales de la municipalité 2000 – 2008, ancienne intervenante sociale au CADA. Lieu :
son domicile, le 26 mars 2008 de 16 h à 16 h 50. Entretien n° 14, p 136
65
Entretien avec la responsable du Lien,association vaudaise de médiation, et la salariée de l'association. Lieu: le bureau de
l'association, le 2 avril de 10 heures à 10 h 40 : Entretien n° 24, p 191
66
Entretien avec la responsable du pôle familles au centre social. Lieu: au téléphone, le 29 mai 2008 de 15 heures à 15 h 40 :
Entretien n° 28, p 212
FLAMANT Anouk _2008
25
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
La continuité urbaine entre le CADA et le centre de chaque territoire est un facteur
pour que des liens s'établissent. Pour Maurice Halbwachs, une des conditions qui favorise
67
l'établissement de liens sociaux est le « fait d'être rapprochés dans l'espace » . Cette
proximité spatiale facilite les liens dans un quartier, même si elle est insuffisante. L'espace
n'est pas le seul obstacle à la communication et « la distance sociale n'est pas toujours
68
mesurable de façon adéquate en terme physique » . Les habitants des maisons séparées
d'un mur seulement des CADA ne sont pas ceux qui ont le plus d'échanges avec les
demandeurs d'asile ; leurs relations ont plutôt été marquées par des conflits. Quand
aux habitants investis dans des collectifs d'intégration, ils viennent de l'ensemble du
territoire voire sont extérieurs. L'aide à apporter aux demandeurs d'asile recueille moins
d'enthousiasme que les programmes d'aide aux orphelinats du Niger ou du Sénégal. Pour
une personne mobilisée en faveur de cette intégration, il est plus facile de donner à « des
69
milliers de kilomètres que donner pour des gens ici » . Les habitants sans connaître les
conditions de vie en CADA participent peu à ces collectifs d'intégration ou de mobilisation,
par méconnaissance ou par positionnement politique.
La marginalité des CADA repose sur trois dimensions majeures : spatiale, politique et
sociale qui se complètent et s'alimentent entre elles. Ces multiples exclusions identifiées
permettent de nous interroger sur les représentations qui naissent de cette marginalité multidimensionnelle et les renforcent.
Chapitre 2: L'asile : incompréhensions et
discriminations d'une population peu visible
Les CADA vaudais et St martinois sont éloignés du coeur de leur territoire, et sont exclus
politiquement et administrativement. Cette marginalité est renforcée par les représentations
sociales des habitants face aux demandeurs d'asile.
Face à la multiplicité des termes du parcours d'asile, les acteurs locaux comprennent
difficilement qui sont les résidents des foyers ; ce qui conduit à une mise à l'écart des
demandeurs d'asile. Quand aux équipes d'intervenants sociaux, leurs missions sont mal
identifiées d'autant qu'elles les révèlent peu aux habitants. Les municipalités hospitalières
ont elles aussi privilégiées la discrétion pour les actions en lien avec les CADA (Section 1).
Les demandeurs d'asile, déjà mis au ban du territoire, font l'objet de représentations
stigmatisantes et discriminantes de la part de certains acteurs locaux. La peur de l'étranger
par ces habitants les conduit à interroger les fondements de l'hospitalité territoriale, et de la
légitimité des demandeurs d'asile (Section 2).
Les foyers sont des entités à part dans le territoire ; d'autant que les complexités de
la procédure d'asile favorisent le repli des demandeurs d'asile au sein du CADA et de leur
famille. Ce comportement est renforcé par la non-maîtrise du français de la quasi-totalité
d'entre eux, et des difficultés à s'adapter à de nouvelles normes sociales (Section 3).
67
68
69
HALBWACHS Maurice, op.cit. p 203.
GRAFMEYER Yves, Sociologie urbaine, Paris, coll. 128, Editions Nathan Université, 1994, p 209.
Entretien avec la directrice de la MJC et une membre du Conseil d'administration, mobilisée en tant que parent d'élève pour
des familles déboutées. Lieu: le bureau de la directrice à la MJC, le 13 mars 2008 de 14h 30 à 15h45 : Entretien n° 12, p 123
26
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
Section 1. Les complexités administratives et les stratégies
politiques : facteurs de marginalité sociale
L'avenir des demandeurs d'asile est conditionné par les réponses de l'OFPRA et de la
CNDA. Incertain, ce temps de l'asile se distingue en français par différentes catégories de
noms. Cette multiplicité des titres administratifs pénalise leur visibilité sociale, et les assimile
souvent à des sans–papiers, ces résidents qui font peur.
1.1.Confusion des statuts administratifs et du rôle des gestionnaires de
CADA
Trois termes dans le vocabulaire administratif français encadrent la demande d'asile:
Les « demandeurs d'asile »: ils ont sollicité l' État pour être reconnus réfugiés selon les
critères de la Convention de Genève. En possession d'une autorisation provisoire de séjour,
certains demandeurs d'asile sont accueillis en CADA pour la durée de la procédure.
Les « réfugiés »: Un demandeur d'asile devient réfugié si les juridictions administratives
reconnaissent la validité de sa requête. Ils obtiennent un permis de travail et de résidence
de dix ans renouvelable, et peuvent se maintenir trois mois au CADA.
Les « déboutés »: Leur demande a échoué à l'OFPRA et à la CNDA. Ils sont invités à
quitter le territoire français à compter d'un mois après le refus. Un maintien illégal en France
fait d'eux des sans–papiers. Ils sont constamment menacés d'une rétention administrative
puis d'une expulsion dans leur pays.
1.1.1 « Demandeurs d'asile », « réfugiés », « sans papiers »: le « jargon »
administratif vecteur de confusions
A plusieurs reprises, les enquêtés confondent ces trois termes et méconnaissent les
rouages de la procédure d'asile. Cette prolifération de termes, dont le caractère français
est rappelé par une intervenante sociale, conduit certaines personnes à imaginer que tout
lien avec le CADA est répréhensible. Les mobilisations en faveur de déboutés toujours au
CADA ont alimenté cette confusion. Pour certains habitants, les résidents des CADA sont
des sans–papiers dont la présence en France est tolérée mais constamment menacée par
des reconduites à la frontière.
Il est aussi difficile pour les habitants de saisir la particularité de ce phénomène
migratoire. Le discours administratif distinguant le « faux » du « vrai » demandeur d'asile
a véhiculé une image d' « usurpateur » auprès des habitants. Les menaces pour leur
intégrité ne sont pas à l'origine de leur exil, mais l'avenir prometteur offert par l'Europe. Les
CADA apparaissent comme le lieu d'hébergement de migrants économiques illégitimes.
Une enquêtée souhaite que le CADA accueille « ceux qui sont obligés de partir, c'est la
70
guerre civile, c'est des massacres, c'est finalement, pratiquement des réfugiés politiques » .
Elle s'oppose formellement à tout autre hébergement sur son territoire, et sans connaître
les résidents du foyer, ces personnes sont convaincues que la majorité d'entre eux sont des
« faux » demandeurs d'asile. Seuls certains enquêtés portent ce discours, toutefois il illustre
bien les réticences et les représentations sociales face à cette population.
Les volontés gouvernementales pour une politique d'immigration choisie et contrôlée,
avec des objectifs numériques de reconduite à la frontière ont contribué à ces confusions.
70
Entretien avec une membre de l'ASVS et son mari opposés à une action de son association en faveur du CADA. Entretien
n° 10, p 101
FLAMANT Anouk _2008
27
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Les amalgames entre « demandeurs d'asile », « réfugiés », « sans - papiers » préexistaient
mais leurs apparitions sur la scène médiatique a conduit les acteurs locaux à s'intéresser à
qui est accueilli dans leurs foyers en confondant les populations.
1.1.2 Le CADA : lieu d'accueil et de soutien à la procédure d'asile
Les équipes de travailleurs sociaux des CADA ont pour mission d'offrir les conditions
optimales pour une procédure d'asile sereine. Être gestionnaire d'un CADA c'est
véritablement « de l'accompagnement au quotidien par rapport à une gestion de l'attente,
71
par rapport à des souffrances endurées, avant, pendant » . Leur mission s'arrête en cas
d'octroi ou du refus du statut de réfugié.
Cet arrêt du travail social auprès des déboutés à créer des tensions avec des personnes
mobilisées pour le réexamen de ces dossiers. Ces dernières reconnaissent avoir souvent
72
eu des « discussions très très épidermiques, limites même au niveau des relations... »
avant de comprendre le rôle légal de ces équipes. Cela ne les empêche pas de regretter le
caractère très légaliste d'Adoma et de Forum Réfugiés ; la posture de l' État est également
incomprise. Si la prise en charge en CADA est reconnue de qualité, le désengagement du
jour au lendemain des gestionnaires et de l' État apparaît particulièrement violent.
Les gestionnaires de CADA ne nient pas leur posture légaliste, même si comme le
73
souligne un enquêté ils conservent « pas mal d'humanité » . Cela passe notamment pour
la directrice du CADA de Forum réfugiés par des rencontres entre les intervenants sociaux
et les comités de soutien, afin de:
« discuter, de voir, d'être compris sur notre positionnement, et assez souvent je
leur dis qu' humainement je pourrais peut-être partager les mêmes engagements, mais
là institutionnellement y a un contrat, qu'il y a des lois, c'est pas moi qui fait la loi et que
effectivement les familles doivent sortir du centre, ce qui permet que d'autres qui viennent
d'arriver sur le territoire viennent. C'est vrai que ça peut paraître simpliste comme discours
74
et souvent c'est souvent ce qu'on me renvoie.... On discute, on travaille ensemble » .
A l'inverse, pour d'autres habitants, le CADA est un lieu d'accueil pour sans-papiers.
Ce discours est prégnant à Fontaines St Martin suite aux mobilisations de 2007 ; certains
habitants sont convaincus qu' 'échanger avec cette population est un acte militant majeur
à la frontière de la légalité.
Il est d'autant plus ardu de clarifier ce qu'est l'asile et le dispositif national d'accueil que
les gestionnaires des CADA et les municipalités communiquent peu leurs actions et leurs
missions, préférant être discrets ou s' atteler à d'autres problématiques.
1.2. Gestionnaires et municipalités face aux demandeurs d'asile : des
attitudes discrètes ?
71
Entretien avec la directrice du CADA de Fontaines St Martin, géré par Adoma. Lieu: le CADA le 21 février 2008 de 14 heures
à 15h 30,: Entretien n° 3, p 38
72
,Entretien avec la directrice de l' école primaire de Fontaines sur Saône. Lieu: son bureau à l'école, le 20 mars 2008 de
14 heures à 14 h 45 : Entretien n° 13, p 130
73
Entretien avec un enseignant mobilisé pour une famille déboutée proche de RESF. Lieu: son domicile à Bron, le 28 mai
2008 de 1O heures à 11 heures : Entretien n°27 p 205.
74
28
Entretien avec le directrice du CADA à Vaulx en Velin, géré par Forum Réfugiés. Entretien n° 21 , p 165
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
La volonté de demeurer discret de la part des foyers Sonacotra dans les territoires s'est
poursuivie avec la transformation du bâtiment en CADA. Quelques réunions d'informations
ont eu lieu ou des entrefilets ont été publiés dans les bulletins municipaux sans poursuivre
dans le temps ces démarches.
1.2.1. Une politique de discrétion des gestionnaires de CADA : solution pour
limiter l'opposition à leur présence ?
Il y a peu d'échanges mis en place par les équipes de direction des CADA pour que les
habitants et les institutions aient une information objective sur ce public. Les rencontres
avec les acteurs locaux sont circonscrites aux épisodes de mobilisations ou de conflits avec
le voisinage. Le postulat suivant fait acte : plus on est discret sur la commune, moins de
conflits existent entre nous et les acteurs locaux.
Les manifestations territoriales en faveur de ces habitants sont à l'initiative principale
de RESF. Or, le discours de RESF se focalise sur les déboutés du droit d'asile et les
immigrés clandestins. Ces informations lors de soirées festives notamment à Fontaines St
Martin renforcent les confusions. Lors d'un entretien, une enquêtée nous demande si « le
75
CADA héberge systématiquement des personnes sans-papiers ? » . Cette communication
incomplète sur la demande d'asile sert les intérêts du réseau, les personnes sensibilisées
défendent en priorité cette population précaire. Ce discours militant n'est pas contrebalancé
par les intervenants sociaux ou les municipalités pour dresser un panorama complet aux
habitants de l'asile en France. L'idée domine selon laquelle si les habitants méconnaissent
la procédure d'asile, ils s'intéressent aussi peu à la vie de ses bénéficiaires. Cela limite
fondamentalement les mobilisations en faveur des déboutés ou pour défendre un droit
d'asile plus conséquent.
Les résultats de cette politique sont ambivalents. Ces confusions entraînent la
marginalité des demandeurs d'asile, et réduisent bien les mobilisations en faveur des
déboutés.
Néanmoins, ces confusions créent des tensions avec les acteurs opposés aux CADA
et leurs résidents.
Quand aux initiatives pour soutenir cette population, les acteurs locaux se mobilisent
en faveur des plus menacés et des plus médiatisés, les demandeurs d'asile déboutés. Ainsi,
lors d'une soirée festive afin de faire connaître le CADA et les demandeurs d'asile aux
St martinois, seules des personnes mobilisées pour des familles déboutées ont accepté
d'organiser la soirée. Les organisateurs n'ont pas réussi à mobiliser d'autres acteurs locaux,
comme les intervenants sociaux du CADA, pour qu'ils présentent plus complètement le
droit d'asile. La diffusion d'un film sur des enfants sans – papiers « ni papiers, ni crayons »
a dressé un portrait pessimiste pour les demandeurs d'asile des conditions d'accueil
en France. Les participants non avertis ont probablement quitté la salle des fêtes plus
conscients des problèmes des déboutés que des demandeurs d'asile pourtant majoritaires
dans la commune. Cette absence d'échanges avec Adoma sensibilise les habitants en
faveur des déboutés et non des demandeurs d'asile.
1.2.2 Les CADA et le politique : agir discrètement pour les demandeurs
d'asile ou activement pour d'autres quartiers et habitants
75
Entretien avec la directrice de la MJC et une membre du Conseil d'administration, mobilisée en tant que parent d'élève pour
des familles déboutées Entretien n° 12, p 118
FLAMANT Anouk _2008
29
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Situés aux marges des territoires, les CADA sont aussi à la marge des agendas politiques
soit par peur des réactions des habitants soit en raison des priorités sociales données.
A Fontaines St Martin, la peur d'un rejet des habitants conduit les politiques à
préférer un soutien discret auprès du CADA. L'ensemble des enquêtés a conscience de
l'implication municipale auprès de cette population sans en connaître les proportions. Ce
soutien n'est aucunement médiatisé. Le précédent maire a d'ailleurs insisté lors de la
mobilisation en octobre 2007 pour favoriser les soutiens discrets aux familles. Les élus
n'ont pas publiquement affirmé défendre et soutenir la famille Fihra. L'électorat de centre
76
– droit majoritaire dans la commune aurait pu contester une position politique militante et
77
rendre par conséquent plus houleuses les élections municipales. Une des enquêtés nous
confie qu'après avoir envoyé des questions sur le devenir des déboutés sur la commune aux
trois listes en lice, une seule liste a répondu. Les deux autres listes se sont abstenues et n'ont
pas traité de cette question dans leurs réunions publiques. Si la municipalité accompagne
les demandeurs d'asile au quotidien, son attitude renforce la faible visibilité actuelle du
CADA.
Le contexte des élections municipales à Fontaines St Martin
Trois listes pour l'élection de mars 2008 :
Celle issue du précédent conseil municipal emmenée par l'ancienne élue aux affaires
sociales, sans étiquette.
La seconde liste de scission est emmenée par un élu de l'équipe sortante avec des
ralliements de personnes étiquetées UMP et quelques anciens du Front National.
La troisième liste est emmenée par un membre du Parti Communiste Français, et
s'affiche de centre – gauche.
La campagne municipale est houleuse, chacun tirant la couverture à soi notamment
pour les deux premières listes issues du même conseil municipal. L'alliance avec des
personnes de l'UMP voire anciennes du Front National a échauffé les esprits, et fait regretter
à certains les temps d'une élection non partisane. Certains accusent des candidats d'agir
non pas pour l'intérêt communal mais pour influencer le conseil du Grand Lyon, le poids des
communes du Val de Saône est assez important.
Le résultat des élections:
Treize conseillers municipaux sont élus, sept de la première liste et six de la seconde.
Élément impromptu, la tête de liste de la première liste est évincée par un autre candidat
au bénéfice de l'âge.
Pour Vaulx en Velin, les prises de position publique des élus en faveur des familles
déboutées, de sans–papiers sont récurrentes. Un conseiller municipal est d'ailleurs affecté
au suivi de ces situations, ce qui représente un nombre conséquent tous les ans.
78
Toutefois, les liens avec le CADA sont limités. Le Village est exclu du périmètre GPV ,
lieu où se concentre toutes les attentions de la municipalité, du Grand Lyon et de l' État.
Ainsi, ce quartier est un peu mis sur la touche dans les programmes récents d'aménagement
76
Élections présidentielles de 2008 : Premier tour : Sarkozy 42,77%, Bayrou : 22,57% , Royal : 21, 07%. Deuxième tour :
Sarkozy : 61,46%, Royal : 38,54% Elections législatives de 2008 : Premier tour : Député UMP élu à 55, 92% des suffrages exprimés.
77
78
E ntretien avec une personne proche de RESF, mobilisée pour plusieurs familles. Entretien n°1, p 12
GPV: Grand Projet de Ville, projet de requalification urbaine et de développement social pour les anciens quartiers de la
ZUP. Son exclusion est due à la qualité de son bâti et aux caractéristiques socio – économiques de la population.
30
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
urbain et de développement social. En outre, la gestion par Forum Réfugiés participe à cette
faible intervention municipale. L'association privilégie son indépendance face aux pouvoirs
politiques et sa spécialisation sur le droit d'asile fait d'elle un acteur performant aux yeux
de la municipalité. Cette dernière oriente en priorité son aide à des populations encore plus
marginales, comme les sans–papiers, les déboutés ou des demandeurs d'asile accueillis
chez des particuliers.
La position de la municipalité revêt plus de caractéristiques propres à l'implantation et
à la gestion du foyer, qu'à une volonté politique de demeurer discret face à cette population.
La discrétion encouragée des élus et des gestionnaires des CADA ne permet pas
d'éliminer tout discours discriminant et stigmatisant sur les demandeurs d'asile. Ces derniers
justifient à eux seuls la marginalité de cette population.
Section 2. Une certaine représentation sociale des demandeurs
d'asile : entre stigmates et rejet de l'étranger
Par leurs représentations sociales, les acteurs locaux s'approprient et réutilisent les critères
79
administratifs qui distinguent le « bon » du « mauvais » demandeur d'asile . Cette posture
justifie alors l'accueil d'une partie seulement de cette population sans s'attarder sur les
raisons premières de leur exil. Ce jugement est aussi une manière de s'armer contre les
risques de déclassement dont une partie de la population peut être menacée.
2.1. La distinction opérée entre « bon » et « mauvais » demandeur d'asile
La diffusion du discours d'extrême droite dans l'ensemble de la sphère politique depuis une
vingtaine d'années a renforcé les représentations sociales stigmatisantes des étrangers.
Celles-ci trouvent une résonance dans les récentes politiques d'immigrations françaises et
européennes, qui ferment leurs frontières aux ressortissants de pays en développement.
Seuls les « bons » étrangers et a fortiori demandeurs d'asile peuvent légitimement aspirer à
vivre dans nos sociétés occidentales. Le critère du « bon » repose sur les origines raciales
et culturelles des migrants ainsi que leurs « comportements » en France.
2.1.1 Discours discriminants et stigmatisants envers les demandeurs d'asile
Les demandeurs d'asile sont l'objet de discours virulents de la part de certains habitants
qui les accusent de tous les maux. Des pratiques illégales seraient monnaie courante au
CADA, menaçant la sécurité et la tranquillité du territoire. Une des enquêtés sur le ton de
la confidence déclare qu' « il y a de la drogue, y a eu tout, y a eu de la prostitution, y a
80
gens qui sont pas au courant, on voit de ces têtes et de ces cas » . Le foyer est alors plus
qu'un lieu d'hébergement pour immigrés clandestins, il devient l'espace dans lequel des
actes « déviants » ont lieu.Les intervenants sociaux reconnaissent que certaines pratiques
existent dans les CADA comme l'usage de drogues, le trafic de cigarettes etc. La part
du mythe et de la peur alimentent aussi ces représentations. Une travailleuse sociale à
Fontaines St Martin affirme « qu'il y a des petits trafics, ça paraît plutôt logique, après que
81
ça soit des trafics affichés, je sais pas c'est pour ça que je pencherai plus pour le mythe » .
La description alarmiste de certains voisins paraît plus fantasmée que réelle. Alimentée
79
80
81
SPIRE Alexis, op.cit., p 224
Entretien avec des voisins du CADA en conflit avec les demandeurs d'asile et la direction. Entretien n° 25 , p 196
Entretien avec une intervenante sociale au CADA. Entretien n°11, p 112
FLAMANT Anouk _2008
31
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
par la peur de l'inconnu, les échanges entre ces habitants et les demandeurs d'asile sont
inexistants.
Ces résidents de CADA sont aussi identifiées comme des personnes « assistées »,
bénéficiant d'une aide (trop) généreuse de la part de l' État et des intervenants sociaux.
En comparaison avec d'autres petites gens, les demandeurs d'asile sont une catégorie
favorisée. De nombreux habitants leur reprochent notamment de ne pas travailler,
méconnaissant l'encadrement législatif leur interdisant, et de se complaire dans cet
« assistanat ». Une enquêtée insiste sur le fait qu' « on [leur] donne tout ce qu'ils veulent, la
82
Sécu et ils travaillent pas! [...] Ils ont même des gens qui leur font leurs papiers » . Le CADA
devient un lieu où il fait bon vivre, dans lequel un personnel effectue toutes leurs démarches
administratives et les aide à bénéficier de l'ensemble des aides sociales (CMU...). Certaines
personnes voient d'un mauvais oeil ces aides sociales, alors même que d'autres, français ou
étrangers « intégrés », y accèdent difficilement. La comparaison est faite avec les résidents
traditionnels des foyers Sonacotra « le monsieur au foyer, il est pas surveillé. Lui qui est
pas français, qui est pas algérien, il a une retraite .... il a des ulcères aux jambes et tout...
83
il peut pas se payer » . Cet « assistanat » est dénoncé d'autant que les demandeurs sont
supposés se « complaire » de cette situation.
A plusieurs reprises, les enquêtés les comparent avec les immigrés italiens, polonais
des années 30 ou maghrébins des années 60. Ils rappellent que ces derniers ont travaillé
dur toute leur vie « ils les ont mis dans des usines de chiens, ils les ont fait travailler comme
84
des chiens» sans se plaindre et méritant ce qu'ils gagnaient. Le mythe d'une immigration
de personnes fortes et travailleuses à l'opposée d'une immigration contemporaine de
« profiteurs » est tenace « ils avaient un travail, ils étaient pas pris en charge pas la
85
commune [...] c'était très bien » . Pour autant, comme le rappelle Gérard Noiriel, les
vagues successives d'immigrations au vingtième siècle ont suscité des représentations
86
sociales discriminantes et des violences envers les étrangers . Ces discours d'exclusion
apparaissent comme une « nécessité » pour que les établis s'assurent de leur position dans
la société.
Les origines culturelles et raciales justifient également l'assignation des demandeurs
d'asile à cette marginalité. Par exemple, les nuisances sonores provoqués par les
demandeurs d'asile sont fonction de leur incapacité à vivre en immeuble, ils sont imaginés
incapables de s'adapter aux standards de vie occidentaux. A ce propos, une enquêtée
déclare « peut–être qu'ils ont pas cette vie là. Ils sont pas habitués à être dans des espaces
87
réduits » . On tolère leur présence territoriale de ce fait et leurs attitudes « anormales »,
sans échanger avec eux. Assez radicalement, cette même enquêtée ajoute que les
roumains « c'est sa manière d'être, il faut qu'ils quémandent, il faut qu'ils piquent, ils sont
82
83
Entretien avec des voisins du CADA en conflit avec les demandeurs d'asile et la direction. Entretien n° 25 , p 197
Entretien avec la présidente, la trésorière et une membre l' Association Solidarité du Val de Saône, et un élu à la municipalité.
E,ntretien n° 4, p 59
84
85
Entretien avec des voisins du CADA en conflit avec les demandeurs d'asile et la direction. Entretien n° 25 , p 197
Entretien avec une membre de l'ASVS et son mari opposés à une action de son association en faveur du CADA. Entretien
Entretienn° 10, p 98
86
87
NOIRIEL Gérard, Etat,Nation et immigration, vers une histoire du pouvoir, op.cit.
Entretien avec la responsable du Lien, association vaudaise de médiation, et la salariée de l'association. Entretien n° 24,
p 190
32
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
88
comme ça on va pas les changer » . Cette impossibilité de dépasser les préjugés culturels
alimente l'exclusion sociale des demandeurs d'asile.
Cette exclusion est renforcée en fonction du pays dont sont issus les demandeurs
d'asile. Quelques personnes reconnaissent qu'il est plus facile de comprendre et d'échanger
avec des ressortissants des pays de l'Est et du Caucase que des Africains. Des
caractéristiques globales sont accordées à chaque nationalité. Ainsi, une enquêtée assure
que:
« les bosniaques [et d'autres personnes de l'Est], on leur rend service mais ils
rendent aussi à leur manière, ils cherchent pas à être une charge [...] je pourrai
pas vivre avec eux une semaine, ils déménagent trop, [tandis que les africains,
en l'occurrence subsaharien] ils ont plein d'autres qualités mais l'inactivisme...ils
aiment bien vivre en communauté... ils sont pas stressants ...ils sont toujours
89
avenants » .
La proximité du conflit yougoslave avec l'Europe augmente certainement l'empathie des
acteurs locaux avec cette population majoritaire dans les CADA. La faible médiatisation
des conflits africains peut, à l'inverse, expliquer l'incompréhension face à leur situation
et le désintérêt relatif pour ces personnes. Ces représentations sociales, sans être
volontairement excluantes expliquent la proximité qui s'installe avec certains demandeurs
d'asile tandis que d'autres sont laissés pour compte.
Dans une même logique, une travailleuse sociale observe que les habitudes
alimentaires de personnes musulmanes créent des tensions. Lors de l'organisation d'un
repas, une bénévole agacée au refus de certains de manger de la viande déclare « il y
a quelques années c'était le porc, maintenant c'est la viande hallal, mais qu' est-ce que
c'est ces dérives ? ». Petit à petit, les habitants et acteurs locaux acceptent cette diversité
culturelle au prix de quelques tensions. Les familles musulmanes maghrébines souffrent
d'autant plus de ces critiques qu'elles sont présumées plus fondamentalistes que les autres
familles musulmanes.
Ces discours permettent en filigrane et grâce au discours politico – administratif de
distinguer « bon » et « mauvais » requérant étranger.
2.1.2 Accueillir les « bons » demandeurs d'asile: discours politico administratif relayé par les habitants
90
L'hospitalité de l'étranger est un « modèle asymétrique » : la personne accueillie a une
infériorité de droits et de position. Être un « bon » demandeur d'asile consiste à accepter
91
cette règle et s'assurer de la respecter . L' État abonde en ce sens en posant les qualités
propres du « bon » réfugié. Celui-ci varie au fil des périodes, dans les années 1960, le
« vrai » en conséquence le « bon » réfugié pour l'administration française est hongrois
tandis que les yougoslaves sont soupçonnés d'être des « opportunistes » et bénéficient peu
92
de ce statut . Cette logique développée dans les années 70 se perpétue aujourd'hui au
travers des critères de régularisation et d'admission des étrangers en France. Les juges
88
89
90
91
92
Ibid p 189
Entretien avec une personne proche de RESF, mobilisée pour plusieurs familles, Entretien n° 1, p 10
GOTMAN Anne, « Introduction », in Villes et hospitalité. Les municipalités et leurs étrangers., op.cit,p 5
Ibid
SPIRE Alexis, op.cit, p 227 – 228.
FLAMANT Anouk _2008
33
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
de l'OFPRA et de la CNDA s'inscrivent dans cette démarche, en articulant perpétuellement
leurs jugements entre le respect des droits de l'homme et « la défense des intérêts des
93
citoyens de la nation » .
Aujourd'hui un « bon » demandeur d'asile se doit d'avoir une famille, un habitat et un
94
mode de vie comparable à la société hospitalière et être innocent . Même les comités
de soutien s'emparent de cet argumentaire pour souligner que les personnes soutenues
remplissent ces critères. Les efforts d'intégration de la famille pendant la procédure,
l'adoption de comportements culturels proches, comme « le père il était dans l'équipe de
95
foot » , sont autant d'éléments mis en avant par les mobilisés.
Les demandeurs d'asile qui vont à l'encontre de cette règle deviennent personae non
grata. Un élu intervenant bénévole au CADA reprend cette idée :
« si on a des familles qui ont super envie de s'intégrer faisons le. Par contre, je
serais d'avis pour dire que ceux qui veulent pas s'intégrer, vous repartez![...] Moi
96
je dis ceux qui font les rigolos .... » .
Être reconnu réfugié se fonde sur l'attitude en France, niant par là les critères d'obtention
du statut relatifs aux conditions de vie dans son pays.
Cette règle de l'hospitalité permet d'exclure une partie des demandeurs d'asile de la
vie locale du territoire. Toutefois, elle est aussi utilisée comme argument des personnes
mobilisées en faveur des déboutés. Les comités de soutien en viennent à encourager les
demandeurs d'asile dès leur arrivée au CADA à s'investir personnellement sur le territoire.
Comme le souligne un enseignant « franchement sans investissement, c'est moins de
97
soutien, et c'est des situations qui ont moins de chances d'aboutir » . Leur capacité à
s'intégrer facilite les potentiels soutiens si ils sont déboutés, surtout si ils acceptent d'être
considérés comme des « invités ».
2.2. La peur de l'étranger et du déclassement : « méthodes » de l'exclusion
sociale
La dynamique de l'exclusion sociale est encouragée par des habitants socialement proches
98
des personnes marginales. Comme le démontre Isabelle Coutant pour les relations entre
squatters et habitants d'un quartier parisien, les personnes les plus critiques à l'égard du
squat sont celles dont les conditions de vie sont les plus proches de celles des squatters.
Bien que les enquêtés rencontrés ne soient pas d' anciens demandeurs d'asile, les plus
opposés à leur inscription territoriale vivent souvent une forme de précarité. L'hospitalité à
accorder aux demandeurs d'asile est remise en cause d'autant qu'elle s'effectue dans leur
territoire.
2.2.1 La proximité sociale entraîne une exclusion d'autant plus forte.
93
NOIRIEL Gérard, Réfugiés et sans papiers. La République face au droit d'asile. XIX- XXème siècle,op.cit.
94
95
96
34
Entretien avec un enseignant mobilisé pour une famille déboutée, proche de RESF. Entretien n° 27 , p 207
Entretien avec la présidente, la trésorière et une membre l' ASVS, et un élu à la municipalité. Entretien n° 4, p 53
97
98
GOTMAN Anne, Le sens de l'hospitalité, op.cit, p 311
Entretien avec un enseignant mobilisé pour une famille déboutée, proche de RESF. Entretien n° 27 p 207
COUTANT Isabelle, op.cit.
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
A Fontaines St Martin et à Vaulx en Velin, les dominants en terme de capital social félicitent le
métissage de la population, richesse pour le territoire, et insistent sur la volonté d'intégration
des demandeurs d'asile. Ce discours est plus présent chez les St martinois, dont la mixité
sociale peut être renforcée grâce à cette population. Le territoire vaudais, très métissé,
identifie moins cette catégorie de la population comme une ressource particulière pour la
commune.
Les enquêtés au capital socio–économique plus faible ont un discours moins
enthousiaste. Leur réussite sociale via notamment l'accession à la propriété leur apparaît
constamment inquiétée par les risques de déclassement qu'ils peuvent subir.
Certaines de ces personnes à la retraite déclarent peiner pour s'offrir des soins
médicaux, s'acheter une nouvelle voiture etc tandis que les demandeurs d'asile ont
des signes extérieurs de « richesse » (téléphone portable, voitures...) et bénéficient de
prestations sociales. Ces critiques sont plus importantes à Fontaines St Martin où les
habitants comparent facilement l'accès des uns et des autres à ces prestations. Ainsi,
l'opération d'un strabbisme d'une jeune demandeuse d'asile a été félicitée, même si une
enquêtée n'oublie pas de souligner que « c'est compliqué aussi dans un petit village, y a des
99
gens qui ont pas le droit à ça et du coup ça crée des tensions » . La comparaison favorise
le rejet d'une population « assistée ».
L'histoire des enquêtés surgit dans les entretiens pour expliquer leur discours sur les
demandeurs d'asile. Ces personnes rappellent que leurs propres parents ont immigré en
100
France , qu'ils ont été « exploités » sans bénéficier d'un accompagnement social. Les
souffrances endurées par les uns devraient l'être par les autres. La logique qui a prévalu
pour leurs parents doit se poursuivre à savoir « on tolère un groupe marginal, méprisé,
stigmatisé, et relativement impuissant tant que ses membres se contentent, conformément
101
à leur statut inférieur, en êtres subordonnés et soumis » . De façon plus radicale encore,
la France, « terre d'accueil » dans les années 60, ne doit plus offrir ce type d'hospitalité à
des immigrés qui contestent cette règle.
Ces critiques sont plus importantes dans les discours des voisins du CADA. Certains
ont enfin pu accéder à la propriété. Ce choix, signe d'une ascension sociale, aurait du leur
permettre de ne plus rencontrer les problématiques de leurs anciens logements HLM. Or,
ils se retrouvent confronter quotidiennement à des problèmes de voisinage équivalents. Ou
tout simplement, ces habitants ont souhaité s'installer dans une commune paisible et loin
des marginaux. Le CADA devient le symbole constant du risque de déclassement dont ils
peuvent souffrir.
102
2.2.2. De l'argumentaire « NIMBY »
: accueillir ailleurs !
La peur de ce déclassement social est souvent reliée à un discours condamnant , au
delà des demandeurs d'asile, les institutions ayant opté pour cette localisation du CADA.
Les enquêtés s'interrogent sur les raisons de cette implantation : pourquoi les pouvoirs
publics préfèrent-ils leur concentration en un même lieu et non leur dispersion sur plusieurs
territoires ?
99
100
101
102
Entretien avec la présidente, la trésorière et une membre l' ASVS, et un élu à la municipalité. Entretien n° 4, p 59
Entretien avec des voisins du CADA en conflit avec les demandeurs d'asile et la direction. Entretien n°25.
Norbert Elias, « Notes sur les Juifs », Norbert Elias par lui-même, Paris, Fayard, 1991, p. 15 in COUTANT Isabelle, op.cit.
NIMBY: Not In My Back Yard .
FLAMANT Anouk _2008
35
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
L'imposition de cette population sur le territoire n'est pas perçue comme une filiation
103
avec les foyers Sonacotra, et elle est une « source de troubles à l'ordre public » affectant
la valeur de leur bien immobilier. Leur confort de vie est mis en péril, sans aucune action de
104
la municipalité à qui : « tu paies tes impôts et tout, et en plus tu n'es pas tranquille » . Selon
eux, leurs communes sont d'ores et déjà pénalisées par la faiblesse des revenus fonciers
ou la présence importante d'immigrés. D'autres communes « sans handicap » refusent de
se saisir de cette problématique alors même que cette hospitalité devrait être partagée.
Les habitants ont aussi peur de l'attractivité du foyer pour une nouvelle population
marginale. Ainsi, certains St martinois craignent la mise en place d'une association relais
pour les déboutés pouvant attirer d'autres personnes à la recherche d'un accompagnement
et d'une aide sociale. Cette même crainte justifie la distribution alimentaire d'une association
St martinoise, Action de Solidarité en Val de Saône, ASVS, uniquement aux demandeurs
d'asile envoyés par les travailleurs sociaux ou aux déboutés connus des bénévoles. A Vaux
en Velin, les voisins du CADA soulignent cette attractivité dans leur quartier.
L' accueil doit s'effectuer ailleurs et dans des conditions particulières notamment en
insistant sur la nécessité de « contrôler » cette population perçue comme «déviante ».
Ces peurs de l'étranger conduisent certains habitants à entretenir des relations
uniquement conflictuelles avec le CADA et ses résidents. Cette absence de relations est
alimentée par les demandeurs d'asile qui sollicitent et fréquentent peu les ressources
territoriales de type associatif.
Section 3. Le foyer et la communauté pour les demandeurs d'asile:
105
foyers d' « enclave protectrice » ?
La procédure administrative d'asile occulte les souffrances des demandeurs d'asile, exilés
pour survivre. En habitant dans un nouveau territoire, il leur est nécessaire de s'approprier
ces espaces inconnus. Ils réapprennent à vivre, à faire le deuil de leur vie passée en
106
surmontant à la fois leurs inquiétudes et leur culpabilité d'avoir fui en laissant des proches .
Leur avenir incertain et cette société hospitalière, peut-être que pour un temps, les conduit
à échanger principalement avec ceux qui partagent les mêmes conditions de vie.
3.1 Souffrances de l'asile : les raisons du repli sur soi et des premiers pas
vers l'intégration
De manière récurrente, les demandeurs d'asile interviewés font état de l'absence de choix
qui les ont conduit à s'exiler. Si les menaces proférées à leur encontre ne franchissent pas
souvent les frontières, d'autres angoisses naissent de l'attente et des traumatismes vécus.
Ceci les pousse à un repli familial et à investir timidement les structures autres que le CADA.
3.1.1 Des périodes d'attente angoissées : dynamique de repli familial
103
104
105
GOTMAN Anne, Le sens de l'hospitalité, op.cit., p 493
Entretien avec des voisins du CADA en conflit avec les demandeurs d'asile et la direction. Entretien n° 25, p195
BERNARDOT Marc, « Les foyers de travailleurs migrants à Paris.Voyage dans la chambre noire.», Hommes et
migrations, n°1264, 2006, p 57 – 67
106
HENRY Pierre, « France Terre d'Asile, le dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile et des réfugiés », Échange santé
social, n° 91, septembre 1998, p
36
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
Les structures familiales des demandeurs d'asile ont très souvent été perturbées : des
parents isolés débarquent avec leurs enfants, d'autres ont perdu des enfants ou des proches
dans des conflits armés, ils ont été torturés, abusés etc.
Ces traumatismes psychologiques lourds fragilisent leur capacité à se reconstruire
d'autant que leur situation est incertaine. Les demandeurs d'asile retrouvent un équilibre
en se recentrant sur leur environnement familial, sans avoir ni besoin ni l'envie d'investir
de nouveaux espaces sociaux et territoriaux. Une travailleuse sociale raconte la façon dont
une dame résidente au CADA s'est investie pour soutenir les autres résidents et initier des
rencontres entre eux. Lors de l'arrestation de la famille Fihra, cette dame a « perdu pied,
107
et qui s'est dit qu'il fallait qu'elle se recentre sur elle même » . Cet investissement pour
d'autres lui a fait oublier peu à peu les risques en cas de refus du statut. Se préoccuper en
premier lieu de sa procédure et de sa famille lui est réapparu comme une évidence.
Cette dynamique de repli familial justifiée par leur parcours d'exil est aussi renforcée par
l'interdiction de travail et du peu d'activités proposées. Être actif peut permettre de reprendre
pied dans la vie de tous les jours, et c'est à quoi l'école s'applique.
3.1.2 Les premiers pas sur le territoire : l'école et les structures associatives
Les enfants sont les premiers découvrir activement la société française en étant scolarisés
dès leur arrivée en CADA. Cette institution permet à des enfants marqués par « une grande
108
vulnérabilité » à se reconstruire dans l'exil, capacité dont ils sont incroyablement porteurs .
Ils apprennent le français à l'école, élément fondamental à leur intégration. Celle–ci
au sein de la classe se fait dans la quasi totalité des cas sans difficultés, et ces enfants
sont souvent très demandeurs de savoir au même titre que leurs parents. La circulaire de
juin 2006 a renforcé ce phénomène puisqu'elle pose comme critères de régularisation des
sans – papiers la réussite et l'intégration scolaire des enfants. L'amitié entre enfants du
CADA et enfants du territoire permet aux familles de tisser des liens avec d'autres habitants.
C'est grâce à cette amitié qu'une famille rwandaise a été soutenue par deux familles St
109
martinoises .
Les demandeurs d'asile isolés ou adultes ont un accès plus tortueux à la
société française. La pratique spontanée d'activités associatives ou sportives est une
des possibilités pour s'enquérir des normes sociales françaises. Cependant, peu de
demandeurs d'asile parviennent à fréquenter individuellement ces activités, seules celles
ayant trait à l'apprentissage du français le sont. Leur inscription à d'autres activités est
souvent temporaire ou fait l'objet d'une pratique collective dans laquelle ensemble « ils se
110
sentent sécuriser » .
Les demandeurs d'asile échangent peu avec les habitants et acteurs du territoire, les
relations sociales se développent plus aisément entre membres d'une même communauté
ou résidents d'un même palier.
107
108
Entretien avec une intervenante sociale au CADA. Entretien n° 11, p 107
MORO Marie Rose, BAROU Jacques (dir.) , Etude auprès des familles en demande d’asile dans les centres d’accueil, UNICEF /
SONACOTRA, synthèse, octobre 2003
109
Entretien avec une parent d'élève et sa fille mobilisées pour une famille rwandaise en 2007. Lieu : un café à la Croix Rousse,
le 27 février 2008 de 15h30 à 16h30. Entretien n° 7, p 83
110
Entretien avec le responsable jeunes / NTIC du Centre Social. Lieu: son bureau au centre social, le 11 avril 2008 de 15
h 30 à 16 h : Entretien n°26, p 199
FLAMANT Anouk _2008
37
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
3.2. Établir de nouveaux liens sociaux : la prégnance des échanges intra
communautaires et entre demandeurs d'asile
Vivre au foyer, c'est vivre dans un microcosme bâti pour être autonome et pour avoir un
minimum de contact avec l'extérieur. Le foyer fonctionne comme une enclave protectrice,
111
il est « un espace de protection des demandeurs d'asile pour se reposer » malgré la
précarité de leur statut.
Fraîchement débarqués de leur voyage d'exil, la rencontre avec une nouvelle société
est marquée par leurs difficultés à communiquer et à comprendre cette nouvelle culture.
Cela participe activement au repli sur le CADA et leur communauté.
3.2.1 La problématique de la langue : le déficit de communication
La plupart des demandeurs d'asile ne sont pas francophones, et apprendre une langue à
trente ou quarante ans est un travail de longue haleine. Cette première barrière d'intégration
à laquelle ils sont confrontés les conduit à échanger principalement avec leur communauté
112
présente au CADA, ou d'autres résidents avec qui ils ont une langue commune .
Les demandeurs d'asile peinent à avoir ne serait ce que de simples relations de
voisinage. La communication avec les enseignants est par exemple laborieuse. Si ces
échanges sont appréciés par les enseignants, « il y a des barrières de langue qui sont
113
terribles » limitant une implication des parents plus conséquente dans la scolarité de leurs
enfants.
De la même manière, les demandeurs d'asile à la distribution alimentaire de Fontaines
St Martin échangent peu avec les membres de l'ASVS. Ceci est d'autant plus vrai qu'une
seule pièce accueille les colis, et aucun coin café n'est aménagé pour des échanges plus
individuels et prolongés. Les demandeurs d'asile ne peuvent alors se saisir de ce moment
pour discuter en français et rencontrer d'autres habitants du territoire. Cette absence de
lieu convivial se justifie à la fois par la disposition de la pièce et la volonté de contrôle des
114
bénévoles du nombre de personnes présentes en même temps.
Cette difficulté de l'échange avec les acteurs locaux les amène à échanger
principalement au sein de leur communauté ou avec les autres résidents du foyer.
3.2.2 Échanger avec ceux qui nous comprennent
Les relations communautaires s'expliquent par la maîtrise d'une langue commune, par le
partage de mêmes normes sociales mais aussi par les représentations sociales partagées
sur d'autres cultures.
Certains demandeurs d'asile ont des propos discriminants vis à vis d'autres résidents du
foyer tandis qu'ils ont subit ce même type de discours dans leur pays d'origine. La directrice
du CADA avoue avoir été quelque peu secouée par ces attitudes :
111
BERNARDOT Marc, « Les foyers de travailleurs migrants à Paris.Voyage dans la chambre noire.», Hommes et migrations, n
°1264, 2006, p 57 – 67
112
Quelques communautés comme la communauté kurde géorgienne est en très petite sur l'agglomération lyonnaise. Souvent dans
ce cas, elles échangent au travers d'une langue commune, souvent le russe avec d'autres peuples comme les tchétchènes ...
113
114
Entretien avec la directrice de l' école primaire de Fontaines sur Saône. Entretien n° 13, p 126
Participation à une distribution alimentaire de l'ASVS, rencontres avec les bénévoles et les demandeurs d'asile, Séance
d'observation n° 29, p 223.
38
FLAMANT Anouk _2008
Partie 1: Regards croisés sur deux CADA : de la méconnaissance à la marginalité
« ce qui est surprenant au début, moi au début j'avais du mal, parce que
justement ils viennent parce qu'ils souffrent pour des raisons religieuses, ils ont
115
été rejetés et ils reproduisent les mêmes choses » .
Les gens du voyage sont ceux qui souffrent le plus de ces discours stigmatisants diffus
dans l'ensemble des pays européens. Les demandeurs d'asile du Caucase ont aussi
parfois des difficultés avec les résidents africains. Ce phénomène d'exclusion renforce le
communautarisme, et les demandeurs d'asile adoptent aussi des représentations sociales
présentes en France à propos des immigrés ou enfants d'immigrés maghrébins.
Ce repli intra – communautaire démontre aue l'échange est plus facile avec ceux qui
ont vécu et vivent les mêmes événements que soi. Une réfugiée déclare toujours visiter ses
voisins de palier, amis du foyer qui connaissent les mêmes difficultés et conditions de vie:
l'attente, la collectivité etc.
Des tensions surgissent aussi au CADA entre familles notamment pour l'éducation des
enfants. Cela participe à recréer au foyer un microcosme social dans lequel les relations
sociales se font et se défont. Une enquêtée souligne que le caractère villageois de Fontaines
Saint Martin « se recrée dans le foyer, dans le sens où les gens savent qui habitent ici
116
ou dans la résidence à côté » . Les demandeurs d'asile se connaissent, échangent entre
eux et constituent une entité à part. Cette cohésion est moins nette à Vaulx en Velin, une
intervenante du centre social note que lors de ses ateliers au CADA elle « n'[a] jamais eu
117
l'impression d'avoir un groupe constitué, mais une somme d'individus » .
Si les demandeurs d'asile vivent en marge de ce territoire, ils l'apprécient. De nombreux
réfugiés souhaitent trouver un logement à proximité, pour maintenir la scolarité des
enfants et conserver leur réseau de connaissances intra ou extra communautaires. Les
familles déboutées qui se maintiennent clandestinement font le même choix pour ne pas
descolariser leurs enfants et s'appuyer sur les réseaux connus d'aide sociale et de soutien.
La marginalité multi-dimensionnelle dont souffrent les demandeurs d'asile a été
analysée dans cette première partie. Toutefois, cette marginalité permet de nous renseigner
sur les façons dont les CADA échangent avec leur territoire. Ces échanges au premier
regard sont discrets et concernent peu d'acteurs. Pour autant, de véritables liens se tissent
entre les demandeurs d'asile et les acteurs locaux, que ce soit pour soutenir ou s'opposer
à leur présence.
De quelle manière le CADA et sa population parviennent – ils à façonner, à leur manière,
le territoire et échanger avec celui – ci ?
115
Entretien avec la directrice du CADA géré par Forum Réfugiés. Entretien n° 21, p 174
116
117
Entretien avec une intervenante sociale au CADA. Entretien n° 11, p 112
,Entretien avec la responsable du pôle familles au centre social. Entretien n° 28, p 211
FLAMANT Anouk _2008
39
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Partie deux: Au delà du premier regard,
les CADA et leurs populations marquent
et échangent avec leur territoire
Les rencontres successives avec les habitants et les représentants institutionnels nous
montrent que le CADA est une entité ayant un impact territorial. Sa marginalité est amoindrie
par des interactions entre les CADA et les acteurs locaux, ce qui permet aux demandeurs
d'asile de s'inscrire à petites touches dans la vie locale.
Comment les CADA parviennent – ils à interagir avec les autres acteurs du territoire?
Quels sont les acteurs actifs dans ces interactions ? Comment les demandeurs d'asile
marquent le territoire et quelles en sont les conséquences ?
Les acteurs institutionnels et en particulier la municipalité et l'école sont les premiers
confrontés à cette nouvelle population. Néanmoins, des acteurs associatifs et les habitants
ont eu aussi envie de proposer des activités les aidant à gérer cette attente. Ces initiatives
nécessitent un appui politique pour les coordonner (Chapitre 3).
Ces échanges sont accentués et renforcés lors de mobilisations en faveur de certains
déboutés du droit d'asile. Ce temps des mobilisations donne une visibilité sur la place
publique aux CADA et à ses résidents. Cependant, les mobilisations sont aussi source
de tensions entre les acteurs locaux. Le soutien aux demandeurs d'asile revêt de
multiples formes dont certaines rencontrent la désapprobation d'autres acteurs locaux. Ces
divergences d'opinion interrogent une fois de plus la place du CADA et des demandeurs
d'asile dans le territoire.
Si les demandeurs d'asile échangent avec le territoire, ces échanges sont parfois
conflictuels. Ces tensions participent à l'inverse des mobilisations à un mouvement
d'exclusion sociale et politique. Ces rejets sont de prime abord motivés par les « nuisances »
du CADA, puis des paroles discriminantes envahissent le discours des enquêtés (chapitre
4).
Chapitre 3: Un réseau d'acteurs importants : entre
prise en considération active et timidité politique
L'hospitalité contrainte des communes engendre l'établissement ne serait ce qu'
administratifs d'échanges avec le CADA pour la scolarisation des enfants etc.
De quelle manière cette hospitalité s'incarne dans les relations entre les acteurs locaux
et le CADA ? Quelles réponses ces acteurs peuvent apporter pour inclure cette population à
la vie sociale territoriale ? A quels freins font – ils face pour s'engager véritablement auprès
des demandeurs d'asile ?
40
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
Deux acteurs entretiennent des relations suivies avec le CADA et leurs résidents: les
municipalités et les écoles. Ils soutiennent logistiquement et politiquement cette population
en étant parfois même relais ou initiateurs de mobilisation (section 1).
D'autres acteurs socio – culturels désirent aussi s'investir auprès de cette nouvelle
population. Certains se sont saisis depuis plusieurs années de cette problématique, tandis
que les récentes mobilisations ont donné envie à de nouveaux acteurs de s'impliquer.
En leur fournissant les clés d'une nouvelle intégration sociale, les acteurs locaux ont pris
conscience des limites de leur action et appellent à un partage et à une coordination
territoriale (section 2).
Section 1. Des acteurs institutionnels clés pour le CADA : les
municipalités et les écoles
Les municipalités et les écoles, premiers acteurs en lien avec le CADA, ont mis en place des
dynamiques de soutien afin d' assurer une intégration a minima nécessaire à la cohésion
territoriale. Comme le décrit Grafmeyer, l'appartenance à un même « espace résidentiel
n'est pas un système d'interaction évident mais il suscite des occasions d'interaction ou au
118
moins des situations de co-présence » . Ces situations de co – présence et d'interaction
sont au coeur des politiques municipales impulsées sur les deux territoires, ainsi que celles
des écoles. Ces politiques sont fonction de leurs regards sur l'asile.
1.1. Loin de leurs compétences légales, l'hospitalité des communes
Dès les premiers mois des CADA ou des AUDA, l'hospitalité des municipalités s'est incarnée
dans leur politique sociale. Celle–ci a permis d'intégrer provisoirement les résidents aux
territoires, et d'assurer un contrôle de population notamment en cas de refus de l' OFPRA
et de la CNDA.
1.1.1 Favoriser la vie quotidienne des demandeurs d'asile via l'action sociale
municipale
Si la présence des CADA a été imposée aux municipalités, elles ont volontairement adopté
une politique sociale en leur faveur.
Les demandeurs d'asile bénéficient d'un soutien financier des mairies via des aides
pour la restauration et les voyages scolaires, ou le transport. A Vaulx en Velin, le calcul du
quotient municipal par famille est un atout pour accéder aux équipements municipaux à un
tarif réduit.
Néanmoins, les demandeurs d'asile de Forum Réfugiés et d'Adoma fréquentent très
peu les CCAS puisque la quasi totalité de la prise en charge sociale est assurée par les
intervenants sociaux du CADA.
Les municipalités apportent également un soutien logistique et financier aux CADA
et aux associations locales en lien avec la problématique d'asile comme Forum Réfugiés
ou l' ASVS. Leur engagement peut se traduire par la mise à disposition de locaux pour
les associations ou par l' accueils à prix réduits de leurs résidents dans des équipements
culturels. Dans une optique de solidarité, la municipalité St martinoise et la MJC coorganisent un goûter de Noël auquel les enfants du CADA sont conviés.
118
GRAFMEYER Yves, op.cit. , p 44
FLAMANT Anouk _2008
41
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Ce soutien est limité en théorie à la procédure de demande d'asile. Toutefois,
des initiatives politiques en faveur de personnes déboutées ont eu lieu dans les deux
municipalités. La ville de Vaulx en Velin s'est plus fortement impliquée dans ce combat
politique par l'intermédiaire de parrainages républicains et d' aides exceptionnelles du
CCAS. La municipalité St martinoise a refusé cette démarche, même si un soutien politique
discret a eu lieu pour l'ensemble des familles déboutées en 2006 et 2007. Sans toujours
être couronné de succès, ce soutien a surtout permis aux acteurs locaux mobilisés ou non
de se rencontrer. Dans les communes environnantes, des parrainages républicains ont été
organisés notamment en juin 2007 dans le parc de la mairie de Fontaines sur Saône pour
trois familles déboutées.
L'ensemble de ces initiatives participe à un accueil de qualité pendant la durée
des séjours des demandeurs d'asile. Elles sont rendues possible grâce aux relations de
partenariat et de confiance entre les équipes du CADA et les élus.
1.1.2 Les municipalités et les gestionnaires des CADA: des relations de
confiance et des interférences
Les élus et les équipes gestionnaires de CADA ont mis sur pied des relations d'échanges
et de confiance via l'interpénétration forte entre les institutions.
A Vaulx en Velin, la participation du maire au Conseil d' Administration de Forum
Réfugiés pendant plusieurs années a joué un rôle capital. Les rencontres avec la direction
du CADA vaudais sont régulières, en particulier pour s'entretenir de l'avenir des familles
déboutées, l'action des comités de soutien etc. Si certains élus ont des positions politiques
très militantes pour la régularisation des sans-papiers, le maire a adopté une position
pragmatique pour aider ces familles. Celui-ci a maintenu ses engagements pour une
politique d'immigration respectueuse des droits des étrangers en considérant Forum
Réfugiés non pas comme une association « trop légaliste » mais comme une association
relais et incontournable du droit d'asile. Ceci leur a permis de ne pas s'opposer à la direction
du CADA en cas de sorties de déboutés mais de faire pression auprès des institutions
compétentes comme la Préfecture.
Cette posture politique est appréciée des travailleurs sociaux du CADA, qui ont pu
informer et échanger sur le cas de chaque famille avec le maire. Ils ont envisagé ensemble
les recours à l'urgence sociale et les recours administratifs. Comme le souligne la directrice
du CADA, « à chaque moment ils sont venus vérifier les informations [...] pour travailler avec
119
les familles. Là dessus on est d'accord pour que ça remonte à la DDASS » . Les positions
de chacun sont connues afin de travailleur au mieux pour les demandeurs d'asile.
L'installation en 2000 de l' AUDA à Fontaines St Martin a suscité la mobilisation
spontanée d'habitants pour donner des cours de français et du soutien scolaire aux
demandeurs d'asile. Interpellée par la prolifération des acteurs intervenants, l'adjointe
aux affaires sociale a essayé de coordonner ces interventions. La commission générale,
baptisée le Soutien Aux Demandeurs d'Asile (SADA), a réunit tous les partenaires du Val
de Saône actifs à l'AUDA, et créé des sous – groupes de travail autour de : soutien scolaire,
cours d'alphabétisation, cours de français langue étrangère, et un projet jardin. D'autres
élus se sont investis personnellement dans ces activités bénévoles ce qui a rendu visible
le CADA à la mairie. Ces liens se sont encore renforcés en 2005 lors de la transformation
de l 'AUDA en CADA et la prise de poste comme travailleuse sociale de l'élue aux affaires
sociales. Un tournant décisif s'amorce comme le reconnaît d'ailleurs l'intéressée « ça m' a
119
42
Entretien avec la directrice du CADA de Vaulx en Velin, géré par Forum Réfugiés. Entretien n° 21, p 166
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
120
permis d'aller plus vite, je connaissais les personnes, les bénévoles » . Les besoins des
demandeurs d'asile sont connus et relayés au sein de la municipalité. Les relations avec le
CADA se renforcent, les bénévoles gagnent en reconnaissance même si leur action est plus
institutionnalisée et contrôlée. Ces échanges privilégiés avec le CADA persistent après le
départ de l'adjointe du foyer puis du Conseil Municipal. Toutefois il est plus difficile pour les
nouveaux travailleurs sociaux de se saisir à plein de ce réseau, les interconnaissances sont
moindres d'autant plus que ces derniers ne sont pas St martinois. La direction du CADA
félicite cette relation privilégiée qui leur assure un soutien politique sans s'opposer à eux
gestionnaires en cas de sortie du CADA:
« l'avantage de quelqu'un qui est infiltré au CADA et à la mairie, [c'est qu'] il
pouvait porter un discours un peu cohérent, donc la mairie appréhendait bien la
question, et [la mairie ] est restée très en retrait par rapport aux opérations un
peu médiatique de parrainage républicain [...] ils ont pas forcément versé dans la
121
sensiblerie »
L'intégration institutionnelle du CADA permet une qualité de travail pour les intervenants
sociaux et les municipalités. Ces dernières s'emparent plus aisément des enjeux de l'asile
et peuvent être relais auprès de leurs citoyens pour les leur expliquer.
Une certaine adéquation entre les discours des municipalités et les gestionnaires
permet ce travail d'échange et de confiance. Les réserves de Adoma et de la municipalité St
martinoise pour un combat politique en faveur de l'asile contraste avec les prises de position
politique du maire de Vaulx en Velin et de l'association, « lobby » au niveau national sur
l'asile (malgré ses positions parfois légalistes reprochées par certains militants).
Ce lien est complété par l'école, première institution confrontée quotidiennement au
familles demandeurs d'asile.
1.2. L'école : un lieu d'engagement et de considération
L'école est un des premiers lieux d'accueil pour les demandeurs d'asile, même si les
récentes augmentations arrivées d'isolés atténue cette primauté. L'école joue un rôle à la
fois dans la procédure d'asile en offrant une réponse à l'attente et est le lieu premier des
cristallisations en faveur des mobilisations.
1.2.1 Un partenariat efficace au service des enfants
La relation entre les demandeurs d'asile et l'école s'établit au travers d'une première
rencontre, lors de l'inscription des enfants, dans laquelle la famille est accompagnée d'un
intervenant social du CADA et souvent d'un traducteur. Cette rencontre permet d'expliquer
aux parents le fonctionnement de l'école en France. Ce moment est fondamental puisqu'il
est souvent l'unique temps d'échange entre les familles, l'école et le CADA grâce à la
présence d'un traducteur. Les relations école – CADA sont assez épisodiques, sauf en cas
de graves difficultés sociales ou psychologiques des enfants ou des familles, et lors des
sorties des familles du CADA.
L'école est une parenthèse pour ces enfants, ils vivent quelques heures loin des
angoisses et de l'attente. Conscientes de ce rôle, les écoles tentent de s'adapter au mieux
120
Entretien avec l'élue aux affaires sociales de la municipalité 2000 – 2008, ancienne intervenante sociale au CADA. Lieu:
Son domicile, le 26 mars 2008 de 16 heures à 16 h50 : Entretien n°14, p 132
121
Entretien avec la directrice du CADA de Fontaines St Martin, géré par Adoma. Entretien n° 3, p 37
FLAMANT Anouk _2008
43
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
à ces enfants. Si les premiers temps les enseignants ont travaillé à intégrer ces enfants,
les récentes expulsions ou départs du CADA ont modifié leur attitude. La scolarité s'oriente
en priorité sur l'apprentissage du français et non sur la valorisation de leur présence dans
les classes. Les enseignants se résignent à cette présence souvent de courte durée dans
le système scolaire français.
Les demandeurs d'asile investissent de façon considérable l'école, passerelle évidente
à l'intégration et la réussite sociale de leurs enfants. Les enseignants soulignent tous
l'investissement de la quasi – totalité des enfants dans leur scolarité et de leurs rapides
progrès dans la maîtrise du français. Toutefois, certains soulignent que la présence d'un
enfant du CADA dans une classe demande une plus grande énergie et disponibilité. Ceci
se retrouve d'autant plus dans les paroles des enseignants vaudais, confrontés à d'autres
élèves en difficulté.
L' école est aussi le lieu qui offre aux parents la possibilité de retrouver un cadre, les
aidant à reprendre pied dans la vie de tous les jours. Une directrice d'école insiste tout
particulièrement sur le rôle de cette institution, « leur seul moyen pour se recadrer [...]sinon
122
on y arrive jamais » .
Les enfants de demandeurs d'asile sont pris en charge par l'école ce qui leur permet
de connaître les autres habitants du territoire et d' être connus. Ce lien créé est le premier
élément déclencheur des mobilisations en faveur de familles déboutées. Les comités de
soutien sont principalement à l'initiative des parents d'élèves ou d'enseignants opposés au
départ de ces familles, ce qui interroge la position de l'école dans ces mobilisations.
1.2.2 Tensions entre comité de soutien et associations
RESF a vu le jour en 2005 suite aux expulsions de plus en plus importantes d'enfants
sans titre administratif, qu'ils soient enfants de déboutés du droit d'asile ou d' immigrés
« clandestins ». A l'initiative d'enseignants et/ou de parents d'élèves, les comités de soutien
se sont multipliés dans la France entière. Ces comités de soutien ont interrogé le rôle des
intervenants sociaux des CADA, créant des incompréhensions et des rancoeurs. Ceci a été
renforcé par des critiques des gestionnaires de CADA envers les enseignants, « accusés »
de découvrir au dernier moment la situation des familles sans s'empêcher de critiquer
l'accompagnement social offert.
Au delà de ces frictions, lors de ces soutiens, le rôle de l'école est interrogé par les
équipes enseignantes et les professionnels de l'asile. Nos trois groupes scolaires ont choisi
non pas de se mobiliser comme école mais à titre individuel, qu'ils soient parents d'élèves ou
enseignants. Ce choix respecte les injonctions de l'inspection académique sur le devoir de
réserve des enseignants et a permis de limiter les conflits au sein de l'équipe pédagogique
et avec certains parents d'élèves. Le rôle premier de l'institution, l'éducation, est maintenu
sans s'engager dans des démarches plus politiques.
La persistance de situations administratives complexes ou d'expulsions en dépit de
soutiens forts ont alimenté un défaitisme dans le discours de certains enseignants. Les
petites victoires obtenues par les avocats ont renforcé l'impression d'inutilité de leur action
aux enseignants. Une directrice d'école nous confie qu'aujourd'hui son équipe, déçue,
123
« n'arrive pas à adhérer à ce combat, perdu d'avance » , d'où une mobilisation plus
limitée pour de nouvelles situations. Ce sentiment de lassitude s'est propagé au sein des
122
123
44
Entretien avec la directrice de l'école maternelle. Lieu: le 1 avril 2008 de 10 heures à 10 h 45 : Entretien n° 23, p 186
Entretien avec la directrice de l' école primaire de Fontaines sur Saône. Entretien n°13, p 128
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
équipes enseignantes qui reconnaissent manquer d'énergie. Cette énergie à consacrer
est un frein de plus à des mobilisations d'envergure. Les personnes toujours prêtes à se
mobiliser reconnaissent que l'énergie nécessaire est de taille. Cette dernière est d'autant
plus conséquente que souvent les familles épuisées et angoissées se reposent entièrement
sur les épaules des mobilisés. Ainsi, certaines personnes ne s'investissent plus auprès de
personnes mais favorisent le combat politique pour le droit d'asile.
La probable répétition de ces situations avec de nouvelles familles interroge le devenir
de la position des écoles. Les enseignants insistent sur le devoir d'égalité et de justice entre
tous les enfants, qui impliquent une mobilisation pour tous les nouveaux cas. Or, ceci est une
difficulté, si certaines familles intégrées et volontaires à l'école captent facilement l'attention
des enseignants et des parents d'élèves, d'autres moins intégrées ont été expulsées sans
aucun soutien. Cette inégalité de traitement des familles est reprochée par les intervenants
sociaux qui affirment aider pendant la procédure tous les demandeurs d'asile de la même
manière. La logique du « bon » demandeur d'asile est reprise par ces comités de soutien,
ce qui entre fondamentalement en contradiction avec le discours égalitaire et fraternel de
l'école.
Les écoles sont le lieu où s'expriment les questionnements sur l'opportunité des
mobilisations en faveur des déboutés du droit d'asile. Le défaitisme domine chez certains
enseignants, tandis que d'autres avec le soutien de citoyens mobilisés soutiennent toujours
les familles en s'aventurant parfois au delà de la légalité.
D'autres acteurs associatifs participent à l'intégration des demandeurs d'asile sur les
territoires de façon plus timide et plus réservée.
Section 2. Les associations locales et les relais habitants : moteur
des relations avec les demandeurs d'asile
La volonté d'associations territoriales de s'emparer de la question des demandeurs d'asile
s'est renforcée ces dernières années suite aux mobilisations. Ces acteurs ont appréhendé
chacun à leur manière ce travail avec les CADA. Ainsi, l' ASVS, Action Solidarité en Val
de Saône, est exemplaire puisque si elle a relayé les initiatives de la municipalité, elle est
devenue le partenaire associatif principal du CADA. D'autres acteurs associatifs ou collectifs
habitants ont souhaité s'investir auprès de cette population sans relais institutionnel ni
politique.
2.1. L'ASVS : une association motrice à Fontaines St Martin pour
l'intégration ?
Les premiers habitants investis auprès des demandeurs d'asile ont agit indépendamment
sans aucune coordination de leurs actions. Le SADA naît pour organiser ces initiatives
et sollicite l' ASVS pour la distribution alimentaire. Quelques bénévoles de l'association
acceptent cette demande, refusant de laisser pour compte cette nouvelle population. Cette
nouvelle politique est porteuse de conflits au sein de l' ASVS, alors même que certains
acteurs locaux interrogent les modalités et la philosophie de cette aide.
2.1.1 L'AUDA : origine du mouvement habitants et associatif
L'ASVS naît en 1992 pour soutenir des projets d'école et d'orphelinat au Sénégal et au
Niger. L'association regroupe des habitants de Fontaines St Martin et d'autres communes
voisines. Trois actions sont mises en place pour récolter des fonds : un marché africain
FLAMANT Anouk _2008
45
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
annuel le deuxième samedi de juin, une brocante à l'école, et la vente de planches de dix
tickets repas à 4 euros l'un.
L'arrivée de l' AUDA sur le territoire conduit certains habitants à se mobiliser pour les
demandeurs d'asile. L' ASVS s'interroge alors sur les modalités d'une aide en leur faveur.
La municipalité les sollicite pour prendre en charge la distribution alimentaire (2002), qui
s'étoffe au fil des années à une distribution ponctuelle de vêtements, de mobiliers etc. Une
partie des bénévoles acceptent d'oeuvrer dans ce cadre, en se rendant une fois tous les
124
quinze jours les mardis à la Banque Alimentaire et distribuer les colis les jeudis matins .
L'association accepte également que les bénévoles du soutien scolaire et des cours de
français deviennent membres de l' ASVS, afin qu'ils bénéficient d'une responsabilité civile
(la prise en charge de la cotisation est faite par le CADA).
Cet engagement de l'association repose sur une poignée de membres, dont la
présidente et la trésorière de l'association. Convaincues que les demandeurs d'asile sont
une population à aider, ces dernières ont investi le partenariat informel mis sur pied avec
le CADA et la municipalité. Ceci a été d'autant plus facile que des bénévoles sont par
ailleurs élus au Conseil Municipal, dont la présidente de l'association depuis mars 2008.
Ce partenariat a permis à l' ASVS de fonctionner puisque la municipalité met à disposition
une camionnette pour se rendre à la Banque Alimentaire et une salle municipale pour la
distribution.
Les critères d'accessibilité à la distribution alimentaire ont été définis entre le CADA,
la municipalité et l' ASVS. Les personnes dont la demande a été refusée à l'OFPRA
peuvent solliciter cette aide. La distribution alimentaire est considérée comme un « coup
de pouce » pour aider les demandeurs d'asile à payer les frais d'avocat (très souvent
engagés pour former un recours devant la CNDA). Seuls les demandeurs d'asile dont le
nom a été communiqué par les travailleurs sociaux du CADA sont acceptés à la distribution
alimentaire. L'association a voulu prévenir toute mendicité et de débordement en imposant
ce système. Cette aide alimentaire se poursuit suite à une décision de l' ASVS aux
personnes déboutées qui vivent sans aucune ressource financière légale - hormis un petit
pécule alloué par le conseil général pour les enfants de l'ordre de 90 euros par mois - .
Notre participation à un distribution alimentaire en mars nous a montré que les
bénévoles adaptent leur colis en fonction des demandeurs d'asile. Des attentions
particulières sont destinées aux familles avec des enfants en bas âge (distribution de lait en
poudre, couches...), ou aux personnes déboutées pour lesquelles les bénévoles préparent
volontairement des colis plus conséquents. Les demandeurs d'asile ayant parvenu à
échanger avec les bénévoles bénéficient aussi d'attentions particulières.
Ce soutien de l'ASVS est considéré comme apportant une véritable aide aux
demandeurs d'asile en recours ou débouté. Toutefois, cet engagement est critiqué par
d'autres membres ou anciens membres de l'association, et leurs modalités d'aide le sont
aussi.
2.1.2 L'ASVS: un interlocuteur pour relayer d'autres initiatives
L'ASVS a connu de fortes tensions au sein même de son bureau et de son assemblée
générale en choisissant d'aider les demandeurs d'asile. Les opposants à cette action
ont argué que celle-ci va à l'encontre des statuts de l'association et qu'ils suppléent à
un manquement d' État. Face à ces divergences, l'association a décidé d'engager un
124
Annexes n°29, Participation à une distribution alimentaire de l'ASVS, rencontres avec les bénévoles et les demandeurs
d'asile, p 214.
46
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
budget restreint pour cette action, soit environ 500 euros pour un budget annuel de 7500
à 8000 euros. Son intervention est aussi circonscrite à cette aide alimentaire, même si
elle a récemment accepté de co-organiser des soirées de soutien aux demandeurs d'asile
avec d'autres associations. L'association a refusé l'octroi d'aides financières directes à
des demandeurs d'asile même si certains membres reconnaissent les premiers temps
avoir cherché des activités rémunérées pour quelques déboutés. Ainsi, l' ASVS a refusé
d'intervenir financièrement pour aider une femme rwandaise à payer les billets d'avion
pour que ses deux filles la rejoignent. En revanche, elle a conseillé aux deux habitantes
mobilisées de se constituer en association pour soutenir légalement et efficacement cette
femme. De la même manière, l'ASVS a encouragé un collectif habitant à se monter en
125
association qui oeuvrent pour les familles déboutées. C'est dans ce cadre que l'AFFD est
née en janvier 2008.
Ces membres de l' ASVS se sont fortement impliqués les premiers temps auprès de
ces familles. Sans mesurer les difficultés sociales et psychologiques de ces personnes, les
bénévoles ont parfois eu le sentiment d'être « utilisés ». De véritables déchirements se sont
aussi produits lors du départ de certains demandeurs d'asile, dont les conditions de vie ont
été très précaires avant leur départ. C'est notamment le cas avec un ingénieur arménien
qui après être sorti du CADA a vécu sous une tente et dans sa voiture. Les bénévoles
épuisés et affectés moralement ont repensé leur intervention auprès des demandeurs
d'asile. Aujourd'hui, les membres de l'association, en grande majorité des femmes de plus
de quarante ans, limitent leurs relations avec les demandeurs d'asile pour supporter les
départs du CADA.
Les bénévoles ont des difficultés à comprendre l'attitude de la majorité des demandeurs
d'asile face à leur action. L'absence de remerciements de leur part est une questionné
récurrente et discutée au sein de l'association. L'organisation de la distribution alimentaire
explique en partie cette absence. Les demandeurs d'asile passent rapidement le jeudi
matin récupérer leur colis sans pouvoir échanger avec les bénévoles. Après quelques
épisodes où les bénévoles se sont sentis non maître de la situation, ils préfèrent donner
sans échanger avec les demandeurs d'asile. Cette charité met mal à l'aise la majorité des
demandeurs d'asile, comme elle met mal à l'aise les travailleurs sociaux. Dans une position
d' « assistanat » où ils se sentent éternellement redevables, dès l'obtention du statut, les
réfugiés veulent sortir de cette position. Remercier peut être une ultime manière de ressentir
cette position inconfortable.
Les bénévoles ont aussi réalisé petit à petit, que si la distribution alimentaire est un
plus, les demandeurs d'asile n'ont pas faim. Comme le rappelle une travailleuse sociale,
« ce qui est difficile pour l'ASVS c'est que les gens ici ce ne sont pas les plus à
plaindre, enfin je modère mais mes familles à l'hôtel, ils ont aucune ressource, ....
alors que ici elles ont des revenus faibles mais qui permettent de faire des
choses, et du coup il y a des relations, des partenariats. [...] Du coup par rapport
à Lyon où les assocs caritatives ont réduit ce qu'elles donnent car elles ont trop
126
de public, on n'est pas sur le même niveau de besoin »
125
Aujourd'hui, les bénévoles acceptent plus facilement que les demandeurs d'asile choisissent
ce qu'ils veulent manger. Cela a été possible lorsque ceux-ci ont découvert une partie de
la nourriture distribuée dans des poubelles de la commune. Néanmoins, leur sympathie se
AFFD : Association en Faveur des Familles Défavorisées. Association dont la mission est de venir en aide aux demandeurs
d'asile déboutés du CADA, aides financières pour payer par exemple la cantine des enfants, un logement, aides à un emploi,etc.
126
Entretien avec une intervenante sociale au CADA. Entretien n° 11, p 113
FLAMANT Anouk _2008
47
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
tourne plus vers ceux qui acceptent sans un mot cette charité que ceux qui choisissent
pour des raisons culturelles ou de goût les paquets. Les bénévoles accordent alors plus
de temps et d'énergie à ces « bons » demandeurs d'asile. Ces échanges sont aussi
conditionnés par l'origine des demandeurs d'asile, les familles de l'Est ou du Caucase,
supposées culturellement plus proche de notre société, ont établi plus de liens avec l' ASVS
que les Africains.
La démarche caritative dans laquelle s'inscrit l' ASVS nous interpelle comme elle
interpelle les travailleurs sociaux. Pour ces derniers, il s'agit d'oeuvrer dans le sens d'une
autonomie des demandeurs d'asile et d'élaborer des projets communs d'échanges de
compétences que de les positionner dans une situation d' « assistés redevables ».
La distribution alimentaire souligne qu'il est difficile d'échanger entre demandeurs
d'asile et bénévoles, sans que ces derniers sur-investissent cette relation sur le plan affectif,
127
et que les premiers ne vivent pas ici encore leur « infériorité de droit et de position » .
L'ASVS peine à sortir de cette démarche, à la fois parce que cette action est portée
par un nombre restreint de bénévoles (de l'ordre de dix personnes), mais aussi en raison
de leur représentation de l'aide. Alors que les jeunes travailleurs sociaux ont été formés
à cette dynamique de projets et d'échanges entre personnes précaires et institutions,
les bénévoles de l' ASVS ont maintenu une aide sociale très caritative. L'association a
expérimenté quelque temps des cours de cuisine entre demandeurs d'asile et bénévoles.
Néanmoins, les bénévoles se sont confrontées rapidement à des problématiques affectant
d'autres associations : non assiduité des demandeurs d'asile, difficultés pour se déplacer
jusqu'au centre du village, problèmes de communication... Cette initiative de courte durée a
été l'occasion d'échanger et de créer une autre relation avec cette population. Ces projets
tentent de s'échapper de la vision d' « assisté » des demandeurs d'asile et peut contribuer
à apaiser les membres de l'ASVS opposés à la distribution.
L'ASVS est un acteur remarquable à Fontaines St Martin échangeant avec le CADA
et la municipalité sans commune comparaison. Cependant, les limites de leur action et la
volonté d'autres acteurs locaux enrichissent le paysage associatif autour des demandeurs
d'asile. Ces initiatives font face à des difficultés particulières et nécessitent un relais plus
politique.
2.2. Des associations timides et des CADA sur la touche
Les CADA sont réticents pour initier des coopérations avec les acteurs locaux, même si ils
admettent petit à petit qu'il est impossible pour les demandeurs d'asile de vivre si éloignés de
la vie territoriale. Récemment, des relations avec des associations ou des collectifs habitants
se sont mises en place sans toutefois bousculer le paysage territorial.
2.1.2 Des volontés associatives présentes non actualisées
La majorité des enquêtés, qu'ils représentent la MJC, le centre social, ou la Paroisse,
désirent approfondir leurs relations avec les demandeurs d'asile, au delà de rencontres
épisodiques. Les mobilisations sur les territoires leur ont fait prendre conscience des
richesses de cette population, et de l'ennui quotidien dont ils souffrent.
Ces initiatives sont souvent lancées sans que de véritables partenariats soient établis.
En l'occurrence, le centre social et Forum Réfugiés se sont entendus en septembre 2007
pour que les demandeurs d'asile accèdent aux activités du centre social. Dans cette
127
48
GOTMAN Anne, « Le sens de l'hospitalité », op.cit, p 5
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
dynamique, une activité broderie a été menée au CADA pour faciliter la rencontre des
demandeurs d'asile avec la responsable du pôle adulte et les informer des activités offertes.
Toutefois, peu de demandeurs d'asile ont fréquenté ou fréquentent le centre social (six ou
sept) et les deux acteurs sont loin d'avoir mis en place un partenariat malgré les volontés
des uns et des autres. Des freins à celui – ci pèsent fortement :
La question du financement est le premier évoqué; si les demandeurs d'asile ne peuvent
pas payer, la prise en charge doit être faite par le CADA. Un accord sur les tarifs est à
trouver et les délais de paiement sont longs. Or, les activités du centre social et de la
MJC à Fontaines St Martin sont très fréquentées, et payées rapidement par les adhérents.
S'engager auprès des demandeurs d'asile demandent plus d'énergie de leur part et du
CADA, alors même que le taux d'occupation des activités est quasiment optimal.
Les demandeurs d'asile sont une population complexe à accueillir. Ces derniers, par
leur statut administratif et leurs souffrances, ont des difficultés à s'inscrire dans des projets
durables.
En outre, ils ont du mal à fréquenter par eux même ces activités proposées, et si c'est
le cas ils apprécient être avec d'autres résidents du CADA. Sollicitées pour le repas de fin
d'année de la MJC à Fontaines St Martin, ce sont les femmes arméniennes collectivement
qui ont accepté la commande. Elles ont préféré cuisiner au CADA puis apporter les plats à la
MJC. Ce repli sur le foyer ou sa communauté les rassure pour affronter ce monde nouveau.
Cependant, cette présence collective n'est pas synonyme de groupe cohérent comme le
remarque les intervenants extérieurs.
Les projets associatifs divergent de ceux des gestionnaires des CADA. Ces derniers
s'inscrivent dans une démarche massive d'accompagnement juridique et sociale auprès
des demandeurs d'asile. Les associations, dont le centre social, veillent à développer dans
le territoires des liens sociaux plus étroits entre habitants. Une enquêtée du centre social
insiste sur ce décalage:
« Nous on croit que les gens qui vont crée des liens ici, qui vont faire partie de
choses, qui vont être intégrés, ils pourront s'en resservir. Pendant dix huit mois,
les liens construits ici, ça sert pas à rien, c'est ça qu'on peut ramener avec soi
dans son pays. Enfin c'est terrible de rien faire, je crois qu'il vaut passer dix
huit mois à faire des choses que d'attendre, entre les deux même si on repart,
c'est moins destructeur que de s'être intégré à son quartier. C'est une vision de
128
l'humanité ... »
Ainsi, le centre social souligne la richesse d'une intégration même provisoire des
demandeurs d'asile, pour eux et pour les autres habitants.
Repenser l'offre d'activités et une volonté politique de l'ensemble des acteurs en faveur
des demandeurs d'asile doit émerger.
2.2.2. Les nécessités d'une volonté politique concordante des acteurs
Les acteurs associatifs réclament une politique territoriale cohérente entre acteurs
associatifs et gestionnaires du CADA. Mener seuls des projets incluant des demandeurs
d'asile apparaît trop ardu et périlleux face à une population méconnue. La directrice de la
MJC à Fontaines St Martin insiste tout particulièrement sur ce point :
128
Entretien avec la responsable du pôle familles au centre social Entretien n° 28, p 212
FLAMANT Anouk _2008
49
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
« ça pourrait être intéressant d'avoir une véritable volonté politique du CADA, de
toutes les collectivités réunies, ça peut pas être la démarche d'une seule, et que
tout le monde trouve un accord. [...] C'est une orientation qui n'est pas du tout
129
exclue, qu'il faut travailler »
Cette volonté politique appelée de ces voeux par la MJC implique un vote des membres
du CA. Or, pour cela, ces derniers doivent mesurer l'intérêt d'une telle démarche pour les
demandeurs d'asile, en comprenant qui sont les résidents du CADA et en recevant un
appui pour cette nouvelle politique de la part de la direction du CADA. Le centre social de
Vaulx en Velin est plus autonome pour redéfinir son offre d'activités et établir un partenariat
effectif avec Forum Réfugiés. Toutefois, les responsables du centre social veulent agir
comme acteur dans ce projet d'intégration territoriale et ne pas être qu'un simple lieu de
consommation.
La présence d'un nouvel acteur, l'AFFD, à Fontaines St Martin est aussi une nouvelle
source de questionnements. Leur volonté d'intégration du CADA et de prise en charge
des familles déboutés s'oppose à la discrétion plaidée par la municipalité. Pour l'instant,
l'activité de l'association est méconnue mais celle-ci veut devenir un acteur incontournable
du territoire. Comment cette association va-t-elle pouvoir travailler avec les autres acteurs
locaux respectueux de la légalité? Cela va-t-il participer à intégrer les demandeurs d'asile
au territoire ou les rejets vont ils être plus conséquents ?
Les acteurs institutionnels ou associatifs s'investissent auprès des demandeurs d'asile
par petites touches, et participent à des interactions entre ces derniers et les habitants du
territoire. Ces échanges sont plus soutenus n'ont pas via cette implication, mais par les
mobilisations en faveur de déboutés ou de conflits entre les habitants et le CADA.
Chapitre 4 : Mobilisations ou conflits : des relations
exacerbées avec le CADA et ses résidents.
Les institutions et les associations se sont emparées de la problématique de l'asile en
répondant partiellement aux besoins des résidents du CADA. Ceci facilite leur procédure
d'asile et leur intégration pas à pas à ce nouveau territoire de vie.
Ces liens tissés entre habitants, acteurs locaux, CADA et demandeurs d'asile sont plus
fréquemment noués ou dénoués lors de mobilisations en faveur de déboutés de ce droit
(Section 1) ou lors de conflits et d'opposition avec le voisinage (Section 2 ) .
De quelle façon les habitants s'impliquent avec les résidents du CADA dans le cadre
de mobilisations ou de conflits ? Comment chaque acteur justifie son engagement auprès
des demandeurs d'asile ou contre leur présence ?
Section 1. Les mobilisations en faveur des déboutés: pérennité ou
épiphénomène des relations avec le CADA ?
129
Entretien avec la directrice de la MJC et une membre du Conseil d'administration, mobilisée en tant que parent d'élève
pour des familles déboutées. Entretien n° 12, p120
50
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
Chaque citoyen mobilisé et actif au sein d'un comité de soutien s'est investi selon ses
propres convictions et son propre parcours de vie. Si certains soutiennent une action en
faveur de tous les demandeurs d'asile, pendant et après les procédures, d'autres ont préféré
s'engager auprès d'une seule famille déboutée.
Le caractère villageois de Fontaines St Martin joue un rôle déterminant dans
ces mobilisations. Les interférences entre militants, travailleurs sociaux et élus sont
essentielles pour comprendre les modes de mobilisation. Ceux-ci reposent sur des initiatives
personnelles d'habitants, influencés par leurs convictions et leur propre parcours de
rencontre avec une ou des familles du CADA. Des tensions sont nées entre citoyens
mobilisés et non mobilisés, ainsi que sur les modes de mobilisation et le sens à leur donner.
Des divergences sont aussi présentes entre les mobilisés sur les modes de mobilisation,
tandis que la pérennité des soutiens est questionnée.
Récits des mobilisations
A Fontaines St Martin, quatre familles ont bénéficié d'un soutien important: les Morenic,
les Sokovich, les Fihra, les Séba.
Ces familles se sont maintenues après les délais au CADA et ont bénéficié d'un soutien
via l'école de la part d'une élue, de personnes sympathisants de RESF et d'autres habitants
souvent parents d'élèves.
Un parrainage a eu lieu en juin 2007 à Fontaines sur Saône pour les trois premières
familles.
En octobre 2007, les Fihra ont été arrêtés au CADA, maintenus en centre de rétention
32 jours (délai légal maximum autorisé) avec leurs deux enfants de trois ans et dix huit mois
puis expulsés en Albanie.
Le comité de soutien s'est fortement mobilisé pendant ces 32 jours dans les écoles de
Fontaines St Martin. Les médias locaux et nationaux ont relayé le parcours de la famille
et son expulsion.
Les trois autres familles ont quitté paniquées le foyer, pour être logés chez des
particuliers ou dans des chambres d'urgence du 115. Ces trois autres familles ont également
des enfants dont un bébé pour la famille Séba.
Le soutien à ces familles est aujourd'hui plus discret pour ces trois familles et d'autres
cas préoccupent les militants. L'AFFD les accompagne dans la recherche d'un logement
130
stable via d'autres associations comme l'ALPIL et leur offre un soutien financier.
A Vaulx en Velin, plusieurs familles ont bénéficié d'un comité de soutien de la part des
enseignants et parents d'élèves en 2005 puis en 2006.
En 2006, à l'école, deux familles albanaises ont bénéficié d'un comité de soutien, la
famille Nasahovic et la famille Pastic.
La famille Nasahovic après sa sortie du CADA a rencontré de sérieuses difficultés de
logement. Les deux enfants et leur mère ont logé pendant plus d'un mois dans une voiture
pour trouver finalement une minuscule chambre dans la commune. Ils ont obtenu une carte
de résident provisoire de six mois puis d'un an.
La seconde famille plus stable a réussi à se loger plus rapidement et la régularisation
a été prononcée grâce à une promesse d'embauche pour le père. Ils ont réussi à obtenir
une carte de résidence de dix ans.
130
AFFD : Association en Faveur des Familles Défavorisées, ALPIL: Action pour l'Insertion Sociale par le Logement
FLAMANT Anouk _2008
51
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
La mobilisation se poursuit pour d'autres familles de la commune, et à l'école les
membres des comités de soutien silencieux pour l'heure veillent à l'arrivée de nouveau
enfants qui pourraient être concernés par ces refus de la CNDA.
1. 1.L'implication des personnes : entre découverte de la demande d'asile et
militantisme politique
Les mobilisations à Fontaines St Martin et à Vaulx en Velin ont été différentes dans leur
résonance et leur mode d' action : actions récentes à Fontaines St Martin, tandis que Vaulx
en Velin est relais depuis plusieurs années auprès des personnes déboutées du droit d'asile.
1.1.1. A Fontaines St Martin: les particularités villageoises de RESF
Selon Grafmeyer, quelques traits sont associés aux structures villageoises : « homogénéité
du peuplement et des modes de vie, forte identification à un petit territoire, densité des
interconnaissances dans un espace local où se déploient d'efficaces réseaux d'entraide qui
131
sont aussi des instruments de contrôle social du voisinage » . Ces traits se retrouvent
partiellement à Fontaines St Martin. Assez homogène en terme de catégories socioprofessionnelles, la plupart des habitants apprécient le cadre de vie de leur village. Si
les réseaux d'entraide ne sont pas facilement identifiables, les interconnaissances sont
nombreuses. Comme le relève une enquêtée, il est difficile de « dissocier l'associatif, du
132
bénévolat, du politique, tout est imbriqué » .
Dans ce contexte, si le CADA est une structure marginale du territoire, les mobilisations
en faveur des déboutés sont connues d'une majorité d'habitants, et notamment des parents
d'élèves. Lors de l'arrestation de la famille Fihra par la Police aux Frontières, ces derniers se
sont émus des conditions de détention des enfants sans pour autant participer activement
au comité de soutien.
Sûr de sa particularité villageoise, les habitants connaissent souvent les prises de
position des uns et des autres. Ainsi, les personnes les plus mobilisées souvent proches de
RESF sont identifiées sur le territoire, ce qui contraste avec l'anonymat du réseau en ville.
Une travailleuse sociale reconnaît que sa perception de RESF a évolué en travaillant au
CADA de Fontaines St Martin. Elle a rencontré régulièrement ces habitants pour s'entretenir
de l'avenir de la famille et elle voit les liens qui se font entre les demandeurs d'asile et ces
habitants. Cette proximité alimente les interférences entre les acteurs et peut faciliter la
sortie du CADA de ces familles.
Ces imbrications entre personnes mobilisées et le reste du territoire a été vecteur de
d'échanges avec le CADA, la municipalité ou l' ASVS et la MJC. De nombreux bénévoles ont
plusieurs engagements territoriaux. Ces interférences ont permis au CADA d'expliquer les
limites de son action aux comités de soutien, à la municipalité d' assurer un soutien politique
discret aux familles, à l' ASVS de définir son soutien et les limites de son engagement et à
RESF d'exposer les raisons de sa mobilisation. Des tensions ont tout de même émergé entre
les acteurs, les institutions se limitant à leur rôle ont peu rencontrés les comités de soutien.
Toutefois, des rencontres plus informelles dans le quotidien des villageois permettent à
chacun d'échanger sur le sort des familles, leurs conditions de vie etc. Cet échange est plus
limité avec les travailleurs sociaux du CADA, tenus au secret professionnel et dont seule la
vie professionnelle se déroule à Fontaines St Martin.
131
132
52
GRAFMEYER Yves, op.cit., p 80
Entretien avec la présidente, la trésorière et une membre l' ASVS , et un élu à la municipalité . Entretien n° 4, p 64
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
Néanmoins cette proximité des relations et ces interconnaissances nous ont posé
question. Les personnes mobilisées ont offert pour certains un soutien illégal aux familles.
En acceptant de loger certaines familles, en cherchant à leur trouver des petits travaux non
déclarés comme du jardinage, des chantiers, etc. Ces militants peuvent être condamnés
pour aides au séjour irrégulier d'étrangers en France. Ces mêmes familles cachées sont
facilement repérées par les autres habitants, ce qui peut menacer leur vie clandestine, ce
dont ils ont conscience. Dans un territoire si petit, l'anonymat est impossible à conserver. La
ville préserve de ces interférences, mais les déboutés apprécient ce réseau d'aide social,
cette relation privilégiée avec quelques habitants. Les contrôles de police sont plus rares
que dans les transports en commun du centre ville, et cette interconnaissance aide à vivre
la clandestinité.
Les interconnaissances entre le politique, le gestionnaire du CADA, les militants
existent à Vaulx en Velin même si les rencontres fortuites des uns et des autres sont plus
rares. En outre, l'anonymat de chacun est préservé, et les familles déboutées ont caché
longtemps leur lieu de résidence même auprès des comités de soutien.
Les relations interpersonnelles existent entre déboutés et habitants, mais elles se sont
dissoutes aussitôt après les victoires du comité de soutien. A Fontaines St Martin, les
liens sont encore tenaces car les familles sont toujours dans des situations précaires un
an après les premiers mouvements de mobilisation. Néanmoins, ces relations paraissent
plus fortes qu'entre les comités de soutien vaudais et les familles. Ceux-ci moins investis
personnellement auprès des familles, ont établi des relations d'aides plus formelles et moins
suivies.
Les personnes mobilisées ont toutes un parcours particulier, une mobilisation différente
auprès des familles, ce qui participe à un diversité au sein des comités de soutien.
1.1.2. Parcours de mobilisés, parcours de vie.
L'implication des uns et des autres auprès des déboutés est plurielle et permet de distinguer
plusieurs types de militants.
Les personnes les plus éloignées d'une mobilisation médiatique et politique sont celles
touchées par une famille rencontrée souvent à l'école. Ces personnes n'étendent pas leur
lutte à un soutien massif pour tous les déboutés, mais à cette famille et à cet enfant
camarade des leurs qui les ont émus. Comme le souligne une enseignante syndiquée à
la FSU, ces personnes défendent les nouvelles orientations politiques migratoires en étant
toutefois interpellées par les conditions d'arrestation et de rétention d'une famille, comme les
Fihra. Ils ne s'engagent pas avec RESF, réseau trop militant. Les tensions dans leur sphère
familiale sur la validité d'une telle action, l'énergie nécessaire à cette lutte, la sensibilité à la
situation d'une famille et pas à une cause plus générale, les conduisent à avoir une action
assez limitée dans le temps. Néanmoins, nombre de ces personnes mobilisées une fois
restent attentives à de nouveaux cas.
Des personnes encore plus discrètes oeuvrent également pour soutenir ces familles,
notamment certains membres de la Paroisse de Fontaines St Martin. En faisant appel
à leur croyance, ils privilégient une aide et un soutien discret aux déboutés. Ils sont un
relais considérable pour les déboutés, et ces personnes déjà investies sur ce même type
d'hospitalité ont apporté un soutien précieux aux autres militants. La mise à disposition des
salles de l' Église a désengagé l'école et la municipalité de ces comités de soutien, même
si des militants laïques ont contesté cette implication.
FLAMANT Anouk _2008
53
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Cette action discrète et mesurée contraste avec les mobilisations de sympathisants
ou proches de RESF. Dès les premiers temps du réseau, la médiatisation des familles
a été le mode d'action. Ces personnes, enseignants pour la plupart ou parents d'élèves,
se focalisent sur une famille et multiplient les interventions médiatiques en sa faveur.
La signature de pétitions devant l'école tous les soirs, l'installation de la chaise et des
133
chaussons de la petite Fihra, les contacts réguliers avec la presse locale et nationale
ont essayé d'agréger le plus de personnes autour des familles et d'interpeller les pouvoirs
publics locaux.
Ces habitants, très mobilisés, soulignent l'énergie dépensée, et leur épuisement
pendant ou après la mobilisation. Ils souhaitent que d'autres prennent le relais et qu'ils soient
plus nombreux, afin qu'une véritable vigilance se mette en place pour les familles du CADA.
Les militants appartenant à des partis politiques de gauche, et plus spécifiquement au
Parti Communiste Français s'inscrivent à la fois dans cette démarche de RESF et sont des
relais auprès des pouvoirs publics. Ces politiques considèrent le combat pour ces familles
déboutées comme un pan d'un spectre politique en faveur des immigrés en France. Au
niveau territorial, leur action se situe principalement auprès des CCAS pour l'octroi d'un
soutien financier ou des municipalités pour organiser des parrainages républicains. En
outre, ils font pression auprès de la Préfecture et de la DDASS pour trouver des solutions
d'urgence sociale et mener à bien les recours administratifs. Ces militants sont de véritables
leviers d'actions pour les familles, et comme le reconnaît un enseignant mobilisé « la lettre
d'un député, même si [la Préfecture] dit qu'elle en tenait pas compte, ça jouait un rôle
134
important» . C'est d'ailleurs ce qui a pu pénaliser certaines mobilisations à Fontaines St
Martin, pour qui les relais politiques sont plus minces qu' à Vaulx en Velin.
Ces prises de position hétérogènes entre militants pour des mêmes familles ont créé
des tensions et ont questionné les modes d'intervention des uns et des autres. Des
reproches ont aussi émané d'acteurs locaux non mobilisés pour ces familles.
1.2. Retour sur les mobilisations: critiques de « l'art et la manière »
Les expulsions ou la persistance de situations irrégulières pour des déboutés font osciller les
personnes mobilisées entre défaitisme et colère. Les quelques mobilisations récompensées
par l'obtention d'un titre de séjour non pas fait oublier les échecs pour d'autres familles. Ces
échecs ont aussi été l'occasion pour les autres acteurs locaux de critiquer ou de dénoncer
ces formes de mobilisation.
1.2.1. Défaitisme et colère des mobilisés
Les premières déceptions et colères des militants sont intervenues avec la non
régularisation de la famille Molavic, et l'expulsion de la famille Fihra. Ces personnes se
sont interrogées sur l'efficacité de leur mouvement et des réponses à apporter pour ces
situations.
Les enquêtés confient que ces défaites affectent leur volonté de s'engager à nouveau
auprès de nouvelles familles. Seuls les plus impliqués politiquement persistent dans cette
lutte, tandis que les personnes touchées par des situations familiales sont moins actifs dans
133
Deux émissions « Là bas si j' y suis ... » de Pascale Pascarellino ont été consacrées aux centres de rétention administratives
avec pour histoire celle de la famille Fihra,. Dans cette émission, la famille est régulièrement appelée au téléphone pour qu'elle fasse
le récit de sa détention.
134
54
Entretien avec un enseignant mobilisé pour une famille déboutée, proche de RESF. Entretien n° 27, p 207
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
de nouveaux comités de soutien. Si ce sentiment est assez prégnant à Fontaines St Martin,
les victoires obtenues à Vaulx en Velin rendent les personnes mobilisées plus confiantes
dans leur action. La place du politique dans les territoires et les résultats des mobilisations
conditionnent véritablement la pérennité des actions. Le relais politique pèse auprès des
instances de régularisation mais ne suffit pas comme le démontre l'expulsion de la famille
Fihra. Cet arbitraire des décisions a pour but de décourager les mobilisations, dont les
issues positives ne sont jamais assurées. Par cette politique, l' État s'assure de contrôler
complètement l'hospitalité qu'il offre aux étrangers sans laisser ses citoyens s'en emparer.
Pour autant, ce défaitisme laisse parfois place à la colère chez certains enquêtés
face aux récentes politiques d'immigration. Les élus communistes portent ce discours,
tout comme des personnes militantes de gauche qui invoquent leur volonté de résister,
de s'opposer à ces nouvelles tendances. Une enquêtée déclare que certaines personnes
135
mobilisées sont « en colère contre l' État français » , et elle invoque leur résistance face
au traitement des demandeurs d'asile et des déboutés. Ceci participe à la pérennité et à
la montée en puissance des comités de soutien. Souvent après l'entretien, ces personnes
nous donnent leur regard sur la politique d'immigration en France. Leur mobilisation dépasse
le cadre de ces familles déboutées du droit d'asile, ce qui peut alimenter les confusions
entre demandeurs d'asile et sans-papiers pour des habitants moins impliqués.
Cet élargissement des messages parfois véhiculés lors des mobilisations est l'objet de
reproches de certains acteurs locaux, comme le sont aussi leurs méthodes de mobilisations
et les fondements de celles – ci.
1.2.2. Soutien anonyme et peu médiatisé versus médiatisation : que faut – il
privilégier pour les familles ?
RESF s'attache à défendre les personnes déboutées du droit d'asile mais aussi les enfants
scolarisés sans–papiers dont les familles se sont installées illégalement en France. Or, leur
omniprésence dans les mobilisations entraîne une certaine confusion de la part des autres
habitants et des acteurs associatifs. Le réseau en élargissant son champ d'action espère
agréger autour de lui un nombre plus conséquent de personnes. Cette méthode est critiquée
par d'autres habitants mobilisés qui militent pour une famille, sans revendication politique
plus globale.
Le recours à une présentation misérabiliste des familles par des comités de soutien
proches de RESF a été vivement critiqué par d'autres personnes mobilisées. Pour une
parent d'élève investie pour la famille Fihra, la disposition de la chaise et les chaussons de
l'enfant devant l'école « ça rabaisse les familles [...] et pleurer sur leur sort, j'accepte pas
136
trop ces manières » .
La prise en charge quasi – complète des déboutés a aussi eu des conséquences
problématiques. Les personnes sont confortées dans une posture d' « assisté », ce qui limite
leur autonomie et fait craindre à un moment donné un rejet des militants trop épuisés du
soutien qu'ils ont accordé. C'est pour cela que certaines personnes se sont abstenus pour
un soutien personnel et favorisent le combat politique.
Les personnes mobilisées sont surtout entrées en conflit avec les travailleurs sociaux
des CADA. Ces derniers dénoncent ces soutiens au cas par cas qui laissent des familles sur
135
Entretien avec une enseignante mobilisée pour les familles du CADA, syndiquée FSU et proche de RESF. Lieu : son
domicile, le 26 février 2008 de 17h à 18 h. Entretien n°6, p 77
136
Entretien avec une parent d'élève et sa fille mobilisées pour une famille rwandaise en 2007. Entretien n°7, p 84
FLAMANT Anouk _2008
55
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
la touche et encore plus des isolés ou des couples d'adultes. Une enquêtée de Fontaines St
Martin justifie cette attitude pour des raisons d'efficacité, « plutôt que d'aider tout le monde,
et de pas arriver à quelque chose, et peut être en aidant deux ou trois familles à s'en sortir,
137
à être autonomes ou expulsées... » .
De surcroît, les mobilisations comme nous l'avons évoqué précédemment dépendent
aussi des comportements en France des familles. Une enquêtée nous interpelle en nous
demandant pourquoi cette famille Fihra a bénéficié d'un tel soutien alors même que la
situation n'est pas première au CADA:
« c'est pas les premiers qui sortent du CADA, on en a qui sont partis avec la PAF,
personne n'était là, je sais pas mais c'était des familles roms, et qui étaient pas
très gentils à l'école ... Ce sont des choses qui m'ont beaucoup posé question si
138
on reparle de la mobilisation »
Ces interrogations justifient le retrait des travailleurs sociaux au delà des procédures légales
d'asile. En essayant d'offrir le même accueil à chaque demandeur d'asile, une mobilisation
de leur part nécessiterait une mobilisation pour l'ensemble des personnes déboutées du
droit d'asile. Si ils ne préjugent pas la demande d'asile, ils ne veulent pas avoir à s'inscrire
dans une démarche de choix auprès des déboutés. Ceci est d'autant plus intenable pour
ces acteurs que le maintien de déboutés au CADA pénalise l'arrivée de nouvelles familles
en début de procédures.
Les comités de soutien mettent également en porte à faux le discours des travailleurs
sociaux quand aux menaces encourues par les déboutés qui se maintiennent au CADA.
Les familles ne savent plus à quel saint se vouer, et le discours de certains mobilisés sur
l'impossibilité de l'expulsion du CADA est plus rassurant à écouter. Ce discours est irréaliste
comme le démontre l'arrestation des Fihra, et une enquêtée assure que cela « met les
familles dans des situations extrêmement délicates après, c'est pas eux qui sont reconduits
139
après » .
Les gains réels pour les familles sont aussi questionnés par les intervenants sociaux
et certains élus locaux. Certaines familles refusent le retour volontaire convaincues par les
comités de soutien de leur capacité à les aider à vivre en France. Les gestionnaires de CADA
s'interrogent alors sur les motivations des personnes mobilisées, la part de « valorisation
personnelle » au dépens d'une écoute attentive des familles.
Au final, les travailleurs sociaux trouvent souvent plus positif pour les familles les
soutiens très personnels de la part d'une ou deux familles du territoire, que des soutiens
relayés par des comités de soutien politisés. Une travailleuse sociale espère d'ailleurs que
140
l'expulsion de la famille Fihra « serve de leçon pour les autres familles » , afin que les
militants ré-interrogent leurs pratiques et envisagent de nouveaux soutiens auprès des
familles. Dès à présent, ces critiques ont conduit de nombreux militants à se demander,
141
pour la famille Fihra, « est ce qu'on a bien fait de faire autant de bruits? » . A tort ou à
raison, cette interrogation modifie forcément les futures mobilisations du territoire. Tout en
137
138
Entretien avec une personne mobilisée proche de RESF. Entretien n°1, p 6
Entretien avec l'élue aux affaires sociales de la municipalité 2000 – 2008, ancienne intervenante sociale au CADA.
Entretien n° 14, p 133
139
140
141
56
Entretien avec la directrice du CADA Adoma, p 41
Entretien avec une intervenante sociale au CADA Entretien n°11, p 111
Entretien avec une personne proche de RESF, mobilisée pour plusieurs familles. Entretien n°1, p 7
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
considérant les intérêts des déboutés dans ces mobilisations, les modalités d'intervention
sont à repenser.
Section 2. Les conflits avec le CADA : une autre relation avec les
habitants !
Les CADA marquent aussi leur territoire par les tensions entre les résidents et les voisins,
souvent les plus proches du foyer. Se plaignant des nuisances sonores liées au CADA, ils
esquissent en filigrane ou ouvertement un rejet de cette population. Cette autre manière
d'interagir avec les demandeurs d'asile contribuent non pas à tisser de nouveaux liens avec
eux mais participe à la dynamique d'exclusion sociale et politique dont ils sont l'objet.
A Fontaines St Martin, les tensions avec le CADA sont contrôlées et concernent un
nombre restreint d'habitants. A Vaulx en Velin, si le nombre d'habitants est également
restreint, le conflit avec le CADA est plus conséquent et les discours plus virulents.
2.1 A Fontaines St Martin, un conflit latent maîtrisé
La mobilisation à Fontaines St Martin a rendu visible le CADA sur le territoire, même si des
frictions minimes existent avec le foyer et les maisons voisines. Les reproches touchent à
leur supposé mode de vie et aux raisons de leur présence territoriale.
2.1.1. Les frictions quotidiennes au coeur des oppositions
Les frictions sont concentrées sur la question des poubelles à l'entrée du CADA, dont l'odeur
nauséabonde se répand jusqu' aux maisons voisines. Les voisins soulignent également l'
image négative de leur quartier offerte par ces ordures débordantes. Ces remarques ont été
relayées auprès de la municipalité qui a essayé de mettre en place avec Adoma un nouveau
système de dépôt et de ramassage des ordures.
Plus récemment, les riverains se sont entretenus avec la direction du CADA suite
à des comportement dangereux de certains enfants. La population enfantine du CADA
est importante (de l'ordre d'une trentaine) et s'ennuie pendant les vacances scolaires et
notamment l'été. Pour passer le temps, certains enfants ont jeté des cailloux du viaduc
surplombant le CADA sur des automobilistes, ou ont lancé des pierres dans les jardins des
maisons voisines. Ces jeux périlleux ont entraîné une réaction rapide de la part d'Adoma.
Une barrière a été érigée pour que l'accès au viaduc soit difficile, tandis que les parents se
sont vus rappeler la nécessité de ne pas laisser leurs enfants sans surveillance dans la cour.
Ceci a permis de gérer pacifiquement une crise naissante avec les voisins. Néanmoins,
l'exiguïté du CADA explique l'envie des enfants et des parents de profiter au maximum des
espaces extérieurs. Ce mode de vie augmente nécessairement les conflits de voisinage
pendant l'été.
Le conflit le plus persistant est entre les demandeurs d'asile et les résidents traditionnels
d'Adoma. Ces derniers, lors de la transformation de deux allées en AUDA, ont parfois été
contraints de déménager. L'élue aux affaires sociales regrette qu'aucune coordination n'ait
eu lieu entre la Sonacotra et le CCAS sur cette problématique. Leur départ, contraint par la
requalification du foyer, a alimenté les tensions avec la population déjà établie. Ils contestent
les aides accordées à cette nouvelle population immigrée, comparées à leur propre retraite,
fruit de plusieurs décennies de labeur. L'isolement de ces travailleurs âgés, délaissés par
les pouvoirs publics, est criant surtout lorsqu'ils comparent leur vie à celle des demandeurs
FLAMANT Anouk _2008
57
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
d'asile pris en charge sur place par des intervenants sociaux. Peu d'associations, hormis l'
ASVS, se sont préoccupées du sort de ces personnes, dont la marginalité dans la commune
a toujours été très forte. C'est aussi en ce sens que le CADA pourrait créer des liens, pour
que l'intégration se fasse tout d'abord entre les trois allées de la résidence.
2.1.2. Rejet de la mobilisation et de l'accueil ?
Ces tensions avec le CADA sont demeurées circonscrites au territoire. La gendarmerie
déclare n' être intervenue que très rarement au foyer, et jamais pour des faits de voisinage
avec les voisins. Une pétition a circulé entre les habitants du quartier Petit Bois contre les
nuisances sonores et les poubelles du CADA sans donner de suites.
Néanmoins, certains enquêtés ont un discours discriminant sur les demandeurs d'asile,
ce qui alimente le conflit latent avec le CADA. L'installation pérenne sur le territoire d'un
mouvement pour l'intégration de cette population peut contribuer à une opposition plus
conséquente. Les critiques sont aujourd'hui contenues grâce à l'impact limité du CADA sur
la commune. Une opposition marquée contre les demandeurs d'asile est faiblement reprise
puisque les usages sociaux des demandeurs d'asile sur le territoire sont restreints. Seuls
les maisons voisines subissent parfois les nuisances imposées par la collectivité.
Les interventions simultanées d'Adoma et de la municipalité ont rapidement désamorcé
ces conflits. Cette politique de prévention et de coordination des acteurs institutionnels est
une réponse pertinente à cette opposition naissante. C'est dans cette même optique que
l'équipe municipale a négocié avec la Préfecture pour que le nombre de demandeurs d'asile
soit inférieur ou égal à 100. Ce chiffre est perçu comme la « limite d'absorption » par le
territoire, au delà les élus craignent un conflit plus important entre les habitants et cette
population. Cette politique a renforcé l'exclusion et la marginalité de demandeurs d'asile
mais a probablement prévenu une part des conflits.
2.2. A Vaulx en Velin, conflit ouvert et tentatives de médiation
La situation du territoire vaudais contraste avec les menus conflits St martinois. Des relations
très conflictuelles opposent non pas le territoire avec le CADA mais les résidents des
pavillons voisins avec ce dernier. Une médiation par une association vaudaise, le Lien,
a été entreprise entre voisins, Forum Réfugiés, et la municipalité. Néanmoins l'absence
d'échanges autres que conflictuels rend cette tentative pour l'instant infructueuse. Ce conflit
a été exacerbé par la présence d'un groupe de personnes ayant des comportements
délinquants dans le quartier. Sans communiquer entre eux, Forum Réfugiés et les habitants
ont mis du temps à comprendre qu'ils voyaient leur sécurité et leur tranquillité menacées
par les mêmes personnes.
2.2.1. Des relations conflictuelles avec quelques voisins
Une petite dizaine d'habitants voisins du CADA est exaspérée par les modes de vie des
demandeurs d'asile. Ces habitants répètent inlassablement que la municipalité a assuré en
2000, lors de la construction de leur maison, que le foyer serait détruit à l'horizon 2010.
La destruction du foyer n'est pas (ou plus d'après ces habitants) à l'ordre du jour ce qui
alimente les crispations. Ce sentiment de condamnation renforce leur intransigeance dans
le processus de médiation (certains habitants ont récrit l'histoire puisque le foyer est devenu
un CADA dès 1995, et non un foyer pour étudiants comme l'affirment quelques uns).
Dans un premier temps, les reproches formulés à l'encontre des demandeurs d'asile
reposent uniquement sur le tapage nocturne et le dépôt de poubelles le long de leur mur
58
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
mitoyen ce qui attire les rats. Cependant, dès que la conversation se prolonge quelque
peu, la légitimé de leur présence en France est mise à mal, et ils recourent à des termes
très virulents. Lors de notre rencontre, les esprits s'échauffent vite, chacun critiquent les
demandeurs d'asile. Bien qu'ils répètent plusieurs fois, « le problème c'est le tapage, il
142
faut respecter la loi », « le tapage c'est pas possible » , la discussion se radicalise
s'attardant aussi bien sur les motivations d'immigration que les aides sociales perçues par
les demandeurs d'asile. Les amalgames entre migrants économiques et demandeurs d'asile
sont omniprésents, et des termes particulièrement virulents sont utilisés à l'encontre de
cette population. Certains demandeurs d'asile assimilés à des migrants économiques ne
parviennent pas, selon les termes de ces voisins, à respecter le calme et leur voisinage.
143
Ceci conduit une enquêtée à assurer qu'il y « y a des gens qui sont bon à exterminer »
(sic), puisque incapables de se « plier aux normes sociales » de la société d'accueil. Ils
remettent en cause alors la politique d'immigration de ces vingt dernières années et félicitent
les récentes orientations politiques. Sur ce thème, une enquêtée assure que la France ne
144
fait qu' « accueillir des déchets ... La France c'est vraiment plus ce que c'était! » .
Ce conflit déclenché par les nuisances sonores montre bien que la présence en soi
des demandeurs d'asile est problématique. Leur présence menace la valeur du quartier
et en conséquence la valeur de leurs maisons. Ils sont devenus propriétaires pour fuir les
désagréments des HLM et ils les retrouvent. Cette désillusion renforcée par les tracas de
l'accès à la propriété (lors de notre rencontre, ils abordent à plusieurs reprises le prix des
maisons, et le prix des travaux pour effectuer des barrières entre les maisons, refaire une
terrasse...) se retourne contre les demandeurs d'asile. Comme l'assure Yves Grafmeyer,
« la gêne sonore est fonction des perceptions et des jugements que chaque habitant associe
145
aux personnes sources du bruit et à la nature des bruits entendus » . Si le bruit est bien
la raison première de leur conflit, celui–ci s'amplifie car ceux qui en sont responsables sont
eux mêmes objet de critiques. Dans un conflit, il n'y a « rien de pire que le bruit et l'odeur
146
d'un autre qui déplaît » , la subjectivité devient alors maître du conflit. C'est cette présence
considérée comme illégitime qui exacerbe les relations conflictuelles entre le CADA et le
voisinage. Cette vision subjective explique pourquoi ces voisins insistent sur les nuisances
non pas du foyer dans sa totalité, mais des deux allées occupées par des résidents de Forum
Réfugiées. La première allée, occupée par des résidents traditionnels d'Adoma, ne nuit pas
au voisinage. Ces derniers, travailleurs ou retraités, recueillent un jugement favorable de
la part de ces habitants, puisqu'ils ont un mode de vie équivalent aux leurs et ont accepté
d'être « discrets » dans cette société d'accueil.
Ce conflit de voisinage découle bien de la faiblesse des relations sociales entretenues
les uns avec les autres. Aucun des voisins ne s'est jamais rendu au foyer, pour visiter les
chambres, comprendre pourquoi les résidents occupent tant l'espace extérieur du CADA.
Pour la fête de quartier, un enquêté assure qu'ils ont invité les demandeurs d'asile mais
qu' ils ne sont pas venus. Pour une autre enquêtée, cette invitation formelle ne peut être
142
143
144
145
146
Entretien avec des voisins du CADA en conflit avec les demandeurs d'asile et la direction. Entretien n° 25 p 193.
Ibid, p 198
Ibid, p 197
GRAFMEYER Yves, op.cit, p
LEVY VROELANT Claire, « Le voisin et le politique: forces et faiblesse des espaces d'intersubjectivité », Rhizomes, n°
29, décembre 2007, p 4 – 7.
FLAMANT Anouk _2008
59
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
considérer comme une volonté de les rencontrer. Cette absence de liens, de rencontres
entre les individus rend les relations impossibles sauf en terme de conflit.
2.2.2. L'impossible médiation sans lien social
Le Lien a été sollicité pour tenter une médiation entre Forum Réfugiés, les voisins en conflit
et les services de sécurité municipaux.
Quelques rencontres ont eu lieu, pendant lesquelles chacun a accepté petit à petit
d'écouter et de comprendre l'autre. Des solutions ont été trouvées à certains problèmes :
les poubelles ont été déplacées à l'entrée du foyer et les travailleurs sociaux ont rappelé
aux demandeurs d'asile les nécessités de respecter une certaine tranquillité en soirée.
Néanmoins, les voisins estiment que la municipalité intervient trop peu pour lutter contre
ces tapages, et l'action de Forum Réfugiés est jugée minime. Ces habitants réclament des
mesures de contrôle plus importantes pour ces résidents, souhaitant même une expulsion
des résidents les plus bruyants. L'équipe de Forum Réfugiés admet que lors de leur absence
des problèmes peuvent se poser. Ils excluent toutefois le recours à un poste de gardien
permanent, pour des raisons financières mais aussi pour réaffirmer qu'ils protègent et
accompagnent les demandeurs d'asile dans leur procédure et contrôlent une population
supposée « déviante » par ces voisins.
Pour la responsable du Lien, la médiation n' est possible que si des liens plus
étroits s'établissent entre les deux acteurs en conflit. Les rencontres dans cette instance
de médiation ont été l'occasion pour Forum Réfugiés de communiquer sur son rôle et
son action, et de rappeler quel public est accueilli dans un CADA. Quelques habitants
sensibilisés ont rencontré des familles de demandeurs d'asile à l'école et ont des relations
plus apaisées avec le CADA.
Cependant, ces échanges occasionnels n'ont pas été en mesure de désamorcer
le conflit avec tous les habitants. Les plus virulents à l'encontre du CADA parviennent
difficilement à envisager une autre relation. Leur focalisation systématique sur ces
nuisances rend très compliquée la mise en place de rencontres festives. Si une fête de
quartier peut être un bon départ pour bâtir une nouvelle relation, il faut que chacun avance.
Le relatif désintérêt de la municipalité face à ce conflit pénalise un règlement plus
pacifique, et amène ces habitants à fortement la critiquer. Ils s'indignent avec force aux
impôts locaux auxquels ils sont assujettis alors que leur tranquillité ne leur paraît pas
assurée. Ils invoquent avec admiration des copropriétaires d'autres quartiers vaudais qui
ont suspendu le paiement de leurs impôts locaux pour affirmer leur mécontentement.
Cependant, ces habitants sont trop peu nombreux pour se mobiliser et ils regrettent cette
faible cohésion du voisinage sur cette question. Ils peinent à se faire entendre à la fois
dans leur rue et à représenter légitimement leurs voisins. Le président du syndicat de
copropriétaires préfère ne pas prendre part à ce conflit, ce qui pénalise d'autant plus leur
mobilisation.
Ces habitants ne parviennent pas à mobiliser les ressources nécessaires pour être
écoutés par la municipalité et Forum Réfugiés. Le dépôt d'une pétition à la municipalité n'a
pas eu les effets escomptés puisque envoyée en août 2007, ces derniers n' ont eu une
réponse du maire qu'en mars 2008. Leur faible maîtrise des modalités de mobilisation et
des interlocuteurs vers qui se tourner a augmenté les crispations et rend plus difficile le
règlement du conflit.
60
FLAMANT Anouk _2008
Partie deux: Au delà du premier regard, les CADA et leurs populations marquent et échangent
avec leur territoire
Les demandeurs d'asile entretiennent des liens avec leur territoire, que ce soit
par l'intermédiaire des institutions comme l'école, les associations, mais surtout les
mobilisations et les conflits qui participent à leur intégration ou leur exclusion territoriale. Les
demandeurs d'asile sont aussi moteurs de nouvelles relations sociales entre les habitants du
territoire : chacun mobilisé ou opposé a échangé avec ses alter ego face à cette présence.
Les mobilisations en faveur des familles sont d'ailleurs un moment clé. L'expulsion de la
famille Fihra à Fontaines St Martin a impulsé de nouveaux échanges, et a permis au territoire
d'acquérir une nouvelle dimension.
Cette marginalité conséquente mais nuancée dans la réalité repose sur une
problématique plus fondamentale : le statut précaire et instable des demandeurs d'asile
s'oppose à une intégration nécessaire pour vivre mieux la procédure. C'est au croisement
de ce questionnement que se trouvent les acteurs territoriaux. La gestion du temps,
problématique cruciale pour les politiques se pose avec acuité pour les demandeurs d'asile.
Comment un territoire peut–il se saisir véritablement de cette problématique marquée
par les changements constants de population ? De quelle manière le temps de l'asile est à
envisager pour les gestionnaires, les mobilisés et les politiques ?
FLAMANT Anouk _2008
61
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Partie trois: Face aux demandeurs
d'asile, les acteurs territoriaux façonnent
de nouvelles politiques
Les CADA et leurs résidents occupent le territoire de façon singulière; ils sont constamment
dans une dynamique d'intégration/d'exclusion qui modèlent des relations particulières.
Comment les acteurs institutionnels, du monde associatif et les habitants parviennentils à gérer cette ambivalence de statut ? De quelle manière le politique peut-il considérer
cette population et travailler avec elle en s'adaptant à ce temps incertain et précaire ?
Les discours des intervenants sociaux soulignent leur attachement à leurs missions
d'accompagnement dans la procédure d'asile. De fait, cet accompagnement est élargi
à une prise en charge plus globale des demandeurs d'asile pour les aider à surmonter
l'exil et l'attente. Ces discours participent à l'établissement de relations sociales limitées et
provisoires entre les résidents du CADA et les acteurs territoriaux. Ce statut marginal est
renforcé par la procédure d'asile, qui assure une intégration partielle au territoire (chapitre 5).
Les politiques sont confrontés à une population singulière, ils doivent alors reconsidérer
sa prise en charge. Ces habitants temporaires, marginaux au premier regard façonne
néanmoins la vie sociale et politique du territoire. Si la précarité de cette population et son
« étrangeté » peuvent favoriser son exclusion, un accueil du territoire est nécessaire ne
serait-ce que pour limiter les conflits avec certains habitants. Les élus locaux ont à repenser
leur investissement auprès de cette population, ainsi que les autres acteurs locaux mobilisés
en leur faveur. L'établissement d'une « gouvernance locale » est essentielle, d'autant que
les caractéristiques de la population accueillie en CADA évolue au même titre que le droit
d'asile (chapitre 6).
Chapitre 5: Entre intégration et exclusion : l'oscillation
constante des gestionnaires et de la procédure d'asile
Les gestionnaires de nos deux CADA sont de nature différente : Adoma est une société de
logement avec un accompagnement social en devenir ; Forum Réfugiés est une association
militante privilégiant l'accompagnement social. Toutefois leur mission, conférée par les
pouvoirs publics, les oblige à respecter les injonctions légales de la procédure d'asile. En
conséquence, ils se concentrent sur l'aide juridique et sociale, et dans un second temps
accompagnent l'attente de la procédure (Section 1).
Les demandeurs d'asile sont en grande majorité désireux de s'intégrer à ce nouveau
territoire. Grâce à certains dispositifs de la procédure d'asile, les demandeurs d'asile
peuvent être inclus à ce nouveau territoire, tandis que d'autres mouvements freinent cette
dynamique (Section 2).
62
FLAMANT Anouk _2008
Partie trois: Face aux demandeurs d'asile, les acteurs territoriaux façonnent de nouvelles
politiques
Section 1. Les structures d'accueil : aide sociale ou premiers pas
d'intégration ?
Les travailleurs sociaux justifient leur position, jugée « légaliste », par leur impuissance
face aux décisions de l'OFPRA et de la CNDA. Conscients que résider en CADA est un
facteur favorisant l'obtention du statut de réfugié, les intervenants sociaux privilégient un
accompagnement « juridique » dans la procédure. Néanmoins, en regardant de plus près
leurs actions auprès des résidents, on voit qu'ils mettent en place d'autres activités et
accompagnements pour vivre plus pacifiquement ce temps de l'asile.
1.1 De la gestion de la demande d'asile : le coeur de la mission interrogée
Chaque pan de la vie des demandeurs d'asile est pris en charge par un intervenant social au
CADA de Fontaines St Martin et de Vaulx en Velin : scolarité, soutien juridique à la procédure
et aide au récit, aide sociale et psychologique. La constitution d'un dossier pour justifier leur
demande d'asile est prioritaire. Ce travail complexe laisse entrevoir les contradictions de la
procédure qui participe elle-même à un mouvement d'intégration.
1.1.1. Adoma et Forum Réfugiés : des discours distincts ?
L'histoire d' Adoma est présente dans le discours des salariés de l'entreprise. Entreprise non
militante, le CADA est prioritairement un lieu d'accueil, secondairement d'accompagnement
social. L'implantation territoriale du CADA revêt une dimension principalement spatiale et
non sociale. L'action discrète de la municipalité est félicitée, le territoire n 'étant qu'un
élément secondaire de la procédure d'asile. Les relations sociales entre habitants et
demandeurs d'asile ne sont pas l'apanage des intervenants sociaux, puisque selon la
directrice « ça sert à rien de les projeter dans une société d'accueil pour leur dire après :
147
désolé vous n'avez pas le statut » .
Toute démarche d'intégration locale portée par les intervenants sociaux n'est pas
soutenue par la direction, qui rappelle que cette mission n'est reconnue ni pendant la
procédure ni lorsqu'ils ont obtenu le statut de réfugié. L'accompagnement de l'équipe se
circonscrit à un accompagnement procédurier et ne devrait pas aller au delà de cette
mission. Ainsi, la directrice du CADA nous a suggéré de rencontrer les demandeurs d'asile
dans un autre lieu : «vous pouvez aussi les rencontrer dans un cadre autre que le CADA
[...] Nous on a un devoir de protection, et de confidentialité, de respect, j’ai pas envie d’aller
148
au-delà. » . En invoquant la protection des demandeurs d'asile, elle essaie de limiter les
relations établies entre les résidents du foyer et d'autres habitants.
Les intervenants sociaux s'inscrivent dans une démarche quelque peu différente face
à cette posture institutionnelle. En accompagnant au quotidien les demandeurs d'asile, ils
perçoivent l'intérêt d'une rencontre entre les habitants et les résidents du CADA afin d'alléger
les souffrances liées à l'attente dans la procédure.
Forum Réfugiés a eu des difficultés pour adopter un discours cohérent et intelligible
pour ses partenaires quand à leur politique face à cette attente. Comme le reconnaît la
149
directrice : « on a eu du mal à se positionner, on faisait mais pas trop » . Aujourd'hui,
l'équipe s'implique petit à petit pour que les demandeurs d'asile vivent vraiment dans le
147
Entretien avec la directrice du CADA de Fontaines St Martin, géré par Adoma. Entretien n° 3, p 38
148
149
Ibid, p 45
Entretien avec la directrice du CADA de Vaulx en Velin, géré par Forum Réfugiés. Entretien n°21, p 172
FLAMANT Anouk _2008
63
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
territoire, même peu de temps, ce qui permet aux demandeurs d'asile de surmonter les
souffrances de l'exil.
1.1.2. Les contradictions de la vie de demandeurs d'asile : les gestionnaires
face à cette réalité
Le discours circonscrit à l'accompagnement pendant la procédure est contredit par les
nouvelles dispositions du dispositif national d'accueil (DNA).
Celui-ci s'articule en premier lieu autour de l'hébergement en CADA pour les
demandeurs d'asile. Cette volonté d'accroître le nombre de places en CADA revêt une
double-dimension:
Elle permet de mieux accueillir les demandeurs d'asile et de les accompagner au
quotidien dans un lieu où l'intimité et l'autonomie sont possibles.
Elle facilite le contrôle des autorités publiques. Pour chaque demandeur d'asile, les
services préfectoraux sont en mesure de connaître le stade de la procédure. En cas de
maintien au CADA de personnes déboutées, une éventuelle arrestation serait plus facile
que pour les personnes logées à l'hôtel.
L'accueil en CADA d'une population plus importante a aussi permis aux intervenants
sociaux de comprendre les souffrances liées à l'attente et à cette vie entre « parenthèse ».
Le DNA a aussi rendu obligatoire le suivi par les demandeurs d'asile de cours de
français, proposés au CADA ou dans d'autres structures. Or, maîtriser une langue même
imparfaitement facilite l'établissement de relations sociales avec le territoire d'accueil.
La réalité des souffrances liées à l'attente ainsi que les nouveaux dispositifs politiques
d'accueil obligent les travailleurs sociaux à repenser leur accompagnement. Une idée
nouvelle émerge dans nos deux territoires : en dépit de la précarité de leur situation,
participer à des activités est bénéfique pour les demandeurs d'asile.
1.2. De l'intérêt d'accompagner l'attente dans la procédure : un facteur
d'intégration
Les demandeurs d'asile ont fait preuve de courage et détermination pour fuir leur pays,
150
ils ont préféré la « mort à leur vie au pays » . En arrivant en France forts de leur
volonté, mais aussi épuisés et traumatisés, les demandeurs d'asile se retrouvent dans
une situation de dépendance. Leur intégration territoriale est limitée à la fréquentation de
l'école pour ceux ayant des enfants, puisqu'ils sont dans l'interdiction de travailler suite
à la circulaire du 26 septembre 1991. Cette période d'ennui contraint est insupportable à
vivre, comme le souligne une proche d'une famille ayant vécu au CADA: « pour eux c'était
151
insupportable parce qu'ils servaient à rien » . Cet ennui est un élément important sur lequel
les gestionnaires essaient de travailler, souvent en collaboration avec d'autres acteurs du
territoire.
1.2.1. L'interdiction de travailler: les souffrances de l'ennui
150
VORAVONG Chansom, Président du FORIM (Forum des Immigrés regroupant des associations d'immigrés en Europe), réfugié
en France, Deuxième États généraux de l'Europe , Atelier débat « Euorpe et migration : l'Europe au défi » , intervention le 21
juin 2007 de 16 h 45 à 17 h,
151
64
Entretien avec une parent d'élève et sa fille mobilisées pour une famille rwandaise en 2007. Entretien n°7, p 86
FLAMANT Anouk _2008
Partie trois: Face aux demandeurs d'asile, les acteurs territoriaux façonnent de nouvelles
politiques
L'interdiction de travailler pèse sur les demandeurs d'asile et notamment pour les hommes.
En ne faisant plus vivre leur famille mais en bénéficiant d'une aide étatique, ils ont du mal à
légitimer leur place de chef de famille. Certaines femmes sont concernées par cette perte de
statut social lorsqu'elles occupaient un emploi dans leur pays. Néanmoins, elles conservent
leurs positions de mère et de maîtresse de maison, ce qui les aident à gérer cette attente
et l'ennui. Elles ont aussi plus de facilités à rencontrer les habitants du territoire, en allant
simplement chercher leurs enfants à l'école. Certains hommes travaillent illégalement, ce
qui est reconnu à mi-mot par les intervenants sociaux comme une aide précieuse pour
certaines familles.
Les rencontres avec les autres habitants via des structures associatives ou des
initiatives plus personnelles aident à contrer cet ennui. Elles sont aussi l'occasion d'inclure
le CADA au territoire, de le rendre visible auprès des habitants. Ces rencontres sont pour
la plupart circonscrites à un temps court. Les projets pérennes sont plus rares, comme le
projet jardins au CADA de Vaulx en Velin.
152
Ce projet repose sur la mise à disposition pour les demandeurs d'asile d'une parcelle de
jardin collectif à cultiver. Cette parcelle est l'occasion pour les hommes d'occuper certaines
de leurs longues journées et de s'impliquer à nouveau dans un projet. La terre, symbole
d'appartenance et d'origine, permet aux demandeurs d'asile d'investir ce nouveau territoire.
Les parcelles sont situées dans un autre quartier de la commune, les demandeurs d'asile
rencontrent d'autres habitants de ce quartier dans le jardin et échangent avec eux. Ce projet
leur permet de retrouver une autonomie qui les aide à vivre hors du CADA.
Un même projet a échoué à Fontaines St Martin, projet porté par des habitants
souhaitant faciliter la gestion de l'attente des demandeurs d'asile. L'absence d'un terrain
municipal aux normes a justifié l'abandon du projet, ainsi que la difficulté de trouver un
152
Source : Raport d'activités 2006 de Forum Réfugiés, p 33, disponible sur: http://www.forumrefugies.org/pdf/association/
rapport_activite_2006_fr.pdf
FLAMANT Anouk _2008
65
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
responsable du jardin parmi les habitants. Comme le reconnaît un élu, ce projet a surtout
échoué suite aux questions qu'il a soulevé : Comment les habitants du village auraient
accepté cette mise à disposition d'un terrain municipal pour cette population marginale ? Ce
projet n'aurait-il pas été un leurre à l'intégration des demandeurs d'asile dont la présence
territoriale est temporaire ? Les difficultés de sortie du CADA n'auraient-elles pas été
renforcées par l'investissement de ces personnes ?
Ces projets sont aujourd'hui pensé et imaginé par des acteurs locaux qui souhaitent
collaborer avec le CADA.
1.2.2. Forum Réfugiés et Adoma: de récentes politiques d'ouverture aux
acteurs du territoire.
Si les intervenants sociaux admettent l'intérêt de travailler avec les autres acteurs du
territoire, les changements se font à petit pas. Adoma persiste à attendre que les acteurs
locaux les sollicitent, comme le regrette la directrice de la MJC insistant sur l'énergie
nécessaire à déployer. Quand au CADA de Vaulx en Velin, l'équipe s'inscrit dans une
démarche dans laquelle les acteurs doivent en théorie trouver toute leur place. La directrice
se dit préoccuper de gérer cette attente et de leur offrir des activités puisque :
« en attendant ils vivent ici, à Vaulx en Velin, leur vie elle est ici et ils vont pas
s'arrêter de vivre. [...] On part du principe et même eux, je pense que c'est comme
ça qu'ils le vivent, ça sera toujours un plus, ils capitaliseront, ils se nourrissent
153
aussi de ces liens »
Cette nouvelle politique de collaboration met du temps pour se mettre en place.
Historiquement, la prise en charge des demandeurs d'asile est pensée de manière globale
et pour un grand groupe. Or, cela s'adapte difficilement avec le choix, par exemple du
centre social qui se concentre sur l'individu pour influer une dynamique de rencontres sur
le territoire :
« Nous c'est le lien social avec des individus, l'individu accompagné avec
un autre individu qui va créer du lien et faire que le quartier est autre chose
qu'une somme d'individus. Eux c'est pas ça, ils sont dans le travail de masse, le
partenariat il s'établit moins ... Ils laissent les gens venir, ce qui fonctionne pas
154
toujours »
Les gestionnaires sont dans une démarche timide dans laquelle le CADA et ses résidents
pourraient échanger avec le territoire. Ces hésitations entre intégration -via des activités
pour gérer l'attente- et marginalité sont au coeur de la procédure d'asile. Ni d'ici ni d'ailleurs,
les demandeurs d'asile subissent constamment ce phénomène.
Section 2. Les demandeurs d'asile : une intégration à mi – mot ?
Les demandeurs d'asile ont des liens restreints avec leur territoire d'accueil ; la procédure
d'asile est un temps entre parenthèse dans lequel les demandeurs d'asile ne peuvent pas
se projeter.
Néanmoins, la scolarisation des enfants et la participation spontanée de certains sont
moteurs d'échanges avec le territoire. Cette intégration partielle au territoire s'exprime aussi
153
Entretien avec la directrice du CADA de Vaulx en Velin, géré par Forum Réfugiés. Entretien n°21, p 172
154
Entretien avec la responsable du pôle familles au centre social. Entretien n° 28, p 211
66
FLAMANT Anouk _2008
Partie trois: Face aux demandeurs d'asile, les acteurs territoriaux façonnent de nouvelles
politiques
par les mobilisations en faveur de familles déboutées. Si ces dernières n'existent plus aux
yeux de l'administration française, les réseaux d'entraide montrent que le territoire interagit
avec ces personnes, ce qui est facteur d'intégration.
2.1. Parcours d'asile : des processus d'intégration à l'oeuvre.
L'exil est traumatisant pour les personnes, et l'arrivée dans un nouveau territoire est le temps
de la reconstruction. Cette reconstruction est possible au CADA, lieu d'apaisement et de
stabilité, et est favorisée par l'investissement au quotidien dans des lieux comme l'école ou
des associations.
2.1.1. Les enfants : l' ennui dépassé par la scolarité
Les enfants parviennent en partie à surmonter le traumatisme de cette nouvelle vie grâce
à l'école. Comme le souligne une étude, si les enfants sont perméables aux angoisses de
155
leurs parents, ils parviennent à « se projeter dans l'avenir » .
L'école leur permet de se projeter un tant soit peu et est appréhendée comme le lieu
par excellence de réussite de l'intégration. Il devient facile pour les enfants d'« oublier » la
précarité de leur situation et d' être un écolier comme les autres. Les départs des autres
familles du CADA, voire les expulsions leur rappellent épisodiquement la particularité de
leur situation. Les travailleurs sociaux insistent sur ce besoin d'échanger avec les enfants
sur leurs propres conditions, et de leur rappeler que leur présence sur le territoire est
temporaire. L'école engendre aussi des frustrations et des déceptions pour ces enfants,
dont l'accès à de nombreux loisirs et biens est limité. Cette problématique est très présente
à Fontaines St Martin où les enfants du CADA fréquentent des enfants dont les parents
ont des revenus bien supérieurs aux leurs. Une demandeuse d'asile trouve très difficile de
refuser constamment à ces enfants certains achats, alors que tous les autres enfants y ont
156
facilement accès .
Les enseignants se félicitent de cette obligation de scolarité, perçue comme essentiel
pour l'épanouissement de l'enfant et de la famille. Néanmoins, ils souffrent de voir ces
enfants s'investir énormément dans leur scolarité alors que celle-ci ne sera que de courte
durée sur le territoire.
Ce processus d'intégration véhiculé par l'école est indépendant de la volonté des
familles. En revanche, certains adultes s'investissent personnellement dans certains projets
associatifs pour lutter contre cette vie d'ennui et de stress.
2.1.2. Les demandeurs d'asile : acteurs d'une vie sociale.
Les premiers demandeurs d'asile à investir ou tout du moins à échanger avec leur territoire
sont ceux ayant un travail illégal. Ils échangent avec leurs collègues de travail, ce qui
facilitent leur intégration. Cette tendance à la pratique d'une activité illégale semble s'être
accentuée ces dernières années. De plus en plus d'intervenants sociaux sont confrontés
à des demandeurs d'asile ayant signé des contrats de travail avec des entreprises.
Les demandeurs d'asile espèrent qu'en travaillant tout au long de la procédure, leur
régularisation sera plus rapidement obtenue si par la suite ils sont déboutés.
155
MORO Marie Rose, BAROU Jacques (dir.), op.cit, p 4
156
Entretien avec une demandeuse d'asile d'origine algérienne, en attente de la réponse de la CNDA. Lieu: sa chambre au
CADA de Fontaines St Martin, le 10 mars 2008 de 13 heures à 13h45 : Entretien n° 8.
FLAMANT Anouk _2008
67
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
D'autres demandeurs d'asile s'inscrivent dans des activités associatives au sein de
leur communauté ou de leur territoire. Ce phénomène est d'autant plus important quand
la procédure d'asile se prolonge. Ces activités leur font rencontrer d'autres habitants et
leur permet de s'intégrer donnant une visibilité territoriale au CADA. Ainsi, la présence
à une activité de gymnastique ou de danse d'un(e) résident(e) du CADA permet aux
autres participants de se façonner une nouvelle représentation sociale de cette population
en échangeant avec eux. Cette intégration partielle est aussi un élément favorisant les
mobilisations en leur faveur en cas de réponse négative de la CNDA.
Malgré cet investissement qui permet de supporter cette attente, aucun demandeur
d'asile ne peut être assuré de l'obtention du statut. L' État hospitalier devient inhospitaliter
du jour au lendemain et il faut alors quitter le territoire ou vivre clandestinement.
2.2. Les demandeurs d'asile déboutés : ambiguïté entre intégration et
exclusion
Les demandeurs d'asile déboutés peuvent solliciter une aide pour retourner volontairement
dans leur pays. Si quelques rares personnes l'acceptent, la majorité d'entre eux se
maintient en France ou dans l'Union Européenne. Cette nouvelle vie est difficile : leur
exclusion administrative est complète, ils n'existent plus pour l' État et ils sont constamment
menacés d'une expulsion. Cependant cette nouvelle marginalité est atténuée lorsqu'ils se
maintiennent sur le territoire et qu'ils réussissent à mobiliser des habitants en leur faveur.
2.2.1. Des déboutés se saisissant des réseaux de mobilisation : signes
d'intégration territoriale.
L'expulsion de la famille Fihra du CADA St martinois a fait prendre conscience aux autres
familles déboutées du danger existant. Elles ont souhaité se maintenir sur le territoire, grâce
à l'aide de personnes mobilisées qui les ont hébergées ou aidées à trouver un logement. Une
famille, aujourd'hui encore « clandestine », insiste sur la volonté de rester sur ce territoire.
Elle souligne la qualité de vie offerte par le Val de Saône, et le soutien dont elle bénéficie de
la part d'habitants. Ce maintien est fondamental pour les enfants, qui ont souffert du départ
157
du foyer, seule « maison » dont les plus jeunes se souviennent. . Ainsi, l'attachement au
territoire est pré-existant à la sortie du CADA, mais s'est confirmé dans la clandestinité.
De la même manière, les comités de soutien vaudais ont cherché à loger les familles
sorties du CADA dans le quartier ou la commune, afin de maintenir les enfants dans la
même école et de les soutenir plus facilement au quotidien.
Un lien se crée entre le territoire et les familles, et celles-ci ont conscience qu'elles
peuvent se saisir du réseau social qu'elles ont tissé pour parvenir à vivre en France en
attendant que leur situation administrative soit réexaminée. Cette capacité à mobiliser est
l'apanage des familles, les adultes en couple ou isolés émeuvent moins les habitants. Ces
derniers quittent souvent ce premier territoire pour rejoindre le centre-ville.
2.2.2. La persistance d'une intégration en filigrane : le paradoxe de la
clandestinité
L'hospitalité institutionnelle disparaît à la fin de la procédure d'asile, et seuls des organismes
caritatifs sont présents pour aider les déboutés. Ces aides leur permettent de vivre, tandis
157
Entretien avec une dame déboutée, sans papiers depuis plus d'un an et demi ayant résidé au CADA. Lieu: son domicile le 3
avril de 15 heures à 16 h 30 : Entretien n° 16.
68
FLAMANT Anouk _2008
Partie trois: Face aux demandeurs d'asile, les acteurs territoriaux façonnent de nouvelles
politiques
que l'intégration à la société française se poursuit avec la scolarisation des enfants et la
possibilité de pratiquer des activités à la MJC ou au centre social. Quelques associations
comme l' ALPIL sont aussi relais pour offrir un logement. L'hospitalité n'est plus l'affaire
des pouvoirs publics mais d'associations ou d'habitants, elle repose sur des relations
interpersonnelles.
Les demandeurs d'asile sont exclus administrativement de la société française mais
paradoxalement s'intègrent plus à ce territoire. Alors que leur vie au CADA a été marquée
par un certain repli sur le foyer, ils sont obligés de saisir de toutes les ressources du territoire
pour être soutenus et vivre. Les familles tissent des liens plus forts avec les habitants
mobilisés, et elles sont connues des autres habitants via les comités de soutien. De la même
manière, dans l'obligation de travailler illégalement pour survivre, les familles échangent
avec de nouvelles personnes.
Néanmoins, cette « intégration » ne doit pas cacher les difficultés et les souffrances
liées à la clandestinité. Ce sont ces souffrances qui conduisent certains intervenants sociaux
à regretter le soutien pour certains déboutés, les difficultés du maintien ici leur semblent
plus grandes que celles liées à un retour dans leur pays.
Les demandeurs d'asile sont une population singulière, des « outsiders » du territoire,
situation à laquelle les habitants et institutionnels ont du mal à répondre.
Le politique a lui aussi des difficultés à accompagner cette population. Même si elle
habite dans ce territoire, la durée de sa présence due à sa situation administrative rend
difficile sa prise en considération. Les représentations sociales des autres habitants sont à
concilier avec une politique locale d'intégration.
Chapitre 6 : Les élus locaux : une constante
adaptation requise face au droit d'asile et ses
bénéficiaires
Les territoires vaudais et St martinois sont confrontés à une population marginale ayant
des impacts pour la vie politique locale. Le temps de l'asile est un temps incertain et sans
possibilité d'emprise de la part des élus locaux, tandis que l'action publique est elle-même
158
contrainte par le temps notamment dans les périodes post ou pré-électorales . Dans ces
moments forts du mandat politique, les élus essaient de capter un large électorat et sont
159
tentés de « maintenir à l'extérieur » de leur agenda les problématiques les plus épineuses.
Ainsi, la présence d'un CADA sur leur territoire fait partie de ces thèmes peu porteurs voire
conflictuels comme le souligne plusieurs enquêtés. Cet mise à l'écart de cette population
est facilitée par leur non-participation aux élections municipales. Toutefois, les élus locaux
se sont investis auprès de cette population, dont les caractéristiques évoluent rapidement
(Section 1).
158
MARREL Guillaume, PAYRE Renaud, « Introduction. Les temporalités du politique », Pôle Sud. Revue de Science Politique de
l'Europe méridionale, n° 25,2ème semestre 2006,, p 6.
159
MAILLARD de Jacques, « Politiques Publiques et le défi du temps de l'électorat : quelques hypothèses exploratoires » , Pôle
Sud. Revue de Science Politique de l'Europe méridionale, op.cit.,p 47.
FLAMANT Anouk _2008
69
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
La coordination à l'échelon locale des initiatives auprès du CADA et de ses résidents
paraît être une réponse intéressante pour que le territoire développe des relations avec ces
derniers. Cette esquisse de « gouvernance locale » permet de cordonner le temps de l'asile
avec le territoire. Mais cette gouvernance esquissée est aussi tributaire des changements
nationaux du droit d'asile, obligeant les acteurs locaux à repenser leurs relations et leur
hospitalité (Section 2).
Section 1. Le temps de l'asile et le temps du politique: une impossible
entente ?
L'action publique est conduite pour satisfaire un électorat potentiel assurant la réélection de
l'équipe en place ou de ses « alliés ». Dans ce processus de reproduction et de sécurisation
des élus locaux, les demandeurs d'asile sont peu considérés. Le politique préfère adopter
un engagement limité auprès de cette population marginale, afin de ne pas effrayer son
électorat. Cela ne l'empêche pas de se saisir de cette problématique de manière discrète.
1.1. Les peurs d'un électorat opposé aux demandeurs d'asile : les raisons
d'une attitude réservée du politique
Certains habitants sont opposés à la présence des demandeurs d'asile tandis que d'autres
ont peur qu'une prise en charge municipale « attire » une nouvelle population marginale
sur le territoire. Ces électeurs potentiels sont pris en considération par les élus locaux.
Un soutien politique trop conséquent des demandeurs d'asile a des gains limités en terme
d'électorat, voire fait craindre un rejet d'une partie des votants.
1.1.1. L'électorat : une préoccupation constante des élus locaux.
Une attitude discrète en faveur des demandeurs d'asile domine à la municipalité de
Fontaines St Martin. Ces initiatives sont « très discrètes, se font par le biais d'association,
160
sont pas très connues » . C'est notamment le cas de la distribution alimentaire de l' ASVS
et du soutien du maire en faveur de la famille Fihra auprès des autorités compétentes.
L'objectif est de laisser la commune loin du tourbillon médiatique, supposé peu apprécié
des habitants. Ainsi, les deux principales listes aux élections municipales 2008 n'ont pas
évoquer le CADA ni dans leur bulletin de campagne ni dans leurs réunions publiques. Pour
l'ancienne élue aux affaires sociales, cette discrétion de l'aide municipale en faveur des
résidents du CADA est garante du respect de leur vie privée. Elle apparaît être surtout la
solution municipale préconisée pour limiter les conflits avec les autres habitants. Les élus se
veulent attentifs aux résidents du CADA et conscients de leurs difficultés, sans pour autant
faire peur à leur électorat.
A Vaulx en Velin, la municipalité cultive son image de ville accueillante et métissée.
Depuis quelques années, elle essaie aussi d'être un territoire communal attractif pour une
nouvelle population plus aisée. Cela passe par des aménagements urbains de grande
ampleur et la construction de logements neufs, notamment au Village. La « médiatisation »
de la présence d'un CADA paraît mal venue, pouvant porter préjudice à l'installation de
cette nouvelle population. Une enquêtée assure, qu'avant les municipales, lorsqu'elle a
rencontré le maire lors une visite de quartier, celui-ci ne savait pas « que c'était des réfugiés
160
Entretien avec la directrice de la MJC et une membre du Conseil d'administration, mobilisée en tant que parent d'élève pour des
familles déboutées. Entretien n° 12, p 121
70
FLAMANT Anouk _2008
Partie trois: Face aux demandeurs d'asile, les acteurs territoriaux façonnent de nouvelles
politiques
161
ici » . Si cela est improbable comme le souligne d'ailleurs une autre enquêtée lors de
cette entretien, il est fort possible qu'en période pré – électorale l'équipe municipale soit
très discrète face à cette question. Dans cette optique de « peuplement » du territoire
communal, la municipalité plaide pour le relogement des réfugiés dans d'autres communes
de l'agglomération. Cette politique induit logiquement une volonté d'intégration a minima
pour limiter l'envie des réfugiés de se maintenir à Vaulx en Velin.
Les municipalités essaient d'opérer discrètement en faveur des demandeurs d'asile,
conscients d'un rejet potentiel de l'électorat. Même si tous les citoyens ne rejettent pas cet
investissement, les bénéfices d'un engagement politique à leurs côtés sont minces.
1.1.2. Un engagement politique aux faibles bénéfices électoraux.
L'engagement politique des élus auprès des demandeurs d'asile requière tout d'abord une
adaptation en continue de l'action publique. La politique d'hospitalité du territoire ne peut
être figée, elle demande au contraire une constante évolution. La population accueillie au
CADA varie en fonction des conflits mondiaux et des possibilités d'entrée sur le territoire
français. Si cette adaptabilité peut être penser par les politiques, c'est un atout bien mince en
terme de bilans politiques. Les préoccupations des habitants lors des élections municipales
sont plus souvent centrées sur l'aménagement du territoire, voir de leur rue. Ceci est relevé
avec humour par l'ancienne élue aux affaires sociales « honnêtement la plupart des gens
de la commune, sont plus intéressés [lors des municipales] par le trottoir devant chez eux
162
et l'arbre qui perd ces feuilles dans la piscine » .
L'énergie dépensée pour intégrer le CADA au territoire de manière active est alors
perçue comme du temps perdu face aux attentes et aux préoccupations principales de
l'électorat. Seule une centaine de personnes se sont émues et ont apporté un peu de
leur temps, de leur argent pour soutenir les familles déboutées. La grande majorité de la
population a rapidement cessé d'y penser et s'est attachée à choisir un maire répondant
à ses revendications.
Un bilan politique très explicitement en faveur de cette population peut même être perçu
comme une attitude irresponsable et menaçante pour le territoire. Une nouvelle composition
territoriale, suite à une intégration renforcée des demandeurs d'asile, devient une menace
pour la vie sociale et politique de leur commune. L' association AFFD subit ce type de
reproches aujourd'hui, qui pourraient se transformer en vote sanction pour une équipe
municipale trop impliquée à leurs côtés.
Les élus locaux ont tout intérêt à limiter leurs relations avec les CADA et leurs résidents
ou tout du moins à agir avec discrétion pour rassurer leur électorat. Cette attitude est
adoptée même si les récentes mobilisations ont nécessité des réponses des politiques.
1.2. Les demandeurs d'asile : une population précaire et changeante.
Les élus locaux ont pris le parti d'agir pour que cette population précaire vive sereinement la
procédure d'asile. Il s'agit de développer une collaboration plus étroite avec les gestionnaires
des CADA et leurs résidents, pour adapter le traitement politique d'une population précaire.
1.2.1. Considérer ces habitants non électeurs : le pari du politique.
161
162
Entretien avec des voisins du CADA en conflit avec les demandeurs d'asile et la direction. Entretien n°25, p 194
Entretien avec l'élue aux affaires sociales de la municipalité 2000 – 2008, ancienne intervenante sociale au CADA. Entretien
n°14, p 136.
FLAMANT Anouk _2008
71
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Les mobilisations pour les familles Nasahovic, Fihra etc ont donné une visibilité territoriale
aux CADA. Les élus locaux n'ont pas été en reste face à ces mobilisations. Certains se sont
investis auprès des familles en devenant leurs parrains républicains. L'action municipale
a trouvé un sens, en accompagnant ouvertement ou discrètement ces mouvements. Les
élus ont conscience qu'il est difficile de laisser cette population précaire en dehors de la
vie sociale et politique. Leur implication discrète donne son sens à une hospitalité, certes
limitée, afin de se prémunir de « rejets » de leur électorat. Cette hospitalité institutionnelle
permet de prendre sous son aile ces protégés tout en les « séparant de la société
163
environnante » . Les demandeurs d'asile sont des habitants inégaux ; le respect d'une
164
« infériorité de droit et de position » conduit les élus locaux à accepter leur prise en charge.
Cette préoccupation pour les demandeurs d'asile est conditionnée également par les
caractéristiques socio–culturelles de ceux-ci. Il est plus facile de tisser des liens avec des
familles, de part leurs fréquentations aux écoles etc et grâce aux représentations sociales
favorables dont elles sont souvent l'objet. L'évolution récente de la population demandeuse
d'asile requière un renouvellement de leur prise en considération politique ; le regard des
acteurs locaux sur des demandeurs d'asile sans enfants ou isolés est différent au même
titre que leurs attentes.
1.2.2. La population demandeuse d'asile : fonction des conflits et des
politiques migratoires européennes
En six ans, soit le temps d'un mandat municipal, la population accueillie en CADA change
immanquablement. On peut estimer à plus de 700 le nombre de personnes qui se sont
succédées dans chaque CADA.
La nationalité de la majorité des résidents des CADA est encore issue des Balkans et du
Caucase. Un lent mouvement de décroissance s'est engagé depuis 2004, suite à l'inscription
165
à la catégorie « pays d'origine sûre » de la Bosnie Herzégovine et de l'Albanie (par
décision du Conseil d' État du 13 février 2008, l'inscription de l'Albanie a été annulée). Les
ressortissants de ces pays depuis 2006 ne bénéficient plus d'un hébergement en CADA et
font l'objet d'une procédure prioritaire. Parmi, les demandeurs d'asile africains, les angolais,
les rwandais et les congolais de Kinsasha sont les plus représentés aux CADA.
Ces évolutions de la population demandeuse d'asile entraînent de nouvelles
problématiques pour les gestionnaires des CADA, comme pour les élus locaux. Les
souffrances liées à l'exil sont comparables, mais les traumatismes vécus dans les pays sont
différents dans leur nature et dans leur ressenti. Surtout de nouvelles questions se posent
en terme d'intégration, les représentations des Africains diffèrent de celles des Kosovars,
des Caucasiens etc. La présence d'une communauté de même origine à proximité du
territoire est aussi un facteur à prendre en compte dans l'établissement d'activités pour
cette population. L'ennui de certains demandeurs d'asile est renforcé par l'absence de
compatriotes en France.
La fermeture des frontières de l' Union Européenne permet peu le passage de familles,
et de plus en plus d'adultes en famille (parents, grand-parents, enfants majeurs) ou seuls
arrivent. Si la structure favorisant l'entrée de familles limite ce phénomène à Fontaines
163
164
GOTMAN Anne, Les municipalités et leurs étrangers, op.cit, p 7
Ibid, p 5
165
Sont déclarés comme tels ceux qui veillent au respect de la liberté, de la démocratie et de l' État de droit, 17 pays sont
inscrits en France.
72
FLAMANT Anouk _2008
Partie trois: Face aux demandeurs d'asile, les acteurs territoriaux façonnent de nouvelles
politiques
St Martin et à Vaulx en Velin, l'augmentation de cette population nécessite de nouvelles
réponses politiques. Ces demandeurs d'asile ne fréquentent pas l'école, lieu d'intégration,
en conséquence les interactions avec le territoire diminuent. Le CADA, à terme, va devenir
un lieu encore plus en marge du territoire, avec des mobilisations des habitants sûrement
plus restreintes. Les activités à offrir aux isolés sont à repenser notamment pour limiter le
nombre de personnes occupant un travail illégal.
Entrées dans les CADA de Forum Réfugiés
Pays d'origine (en %)
Albanie
Arménie
Angola
Bosnie - Herzégovine
Congo RDC
Rwanda
Serbie Monténégro
Répartition adultes/enfants
2003
9,8
16,2
4,1
6,4
9,0
1,5
7,9
51,6 / 48,5
166
2004
4,6
8,8
18,3
12,2
9,9
4,2
14,5
52,1 / 48,4
2005
3,0
2,0
5,2
29,8
4,7
7,1
28,8
47,8 / 52,2
2006
0
3,7
14
16,1
7,1
3,1
27,0
57,3 / 42,7
Les élus locaux sont confrontés à une population bien particulière dont le temps diffère
de celui de leurs citoyens et de leur propre temps. Population précaire et temporaire, le
politique peine à formuler un projet politique à long terme pour intégrer les demandeurs
d'asile. Ces derniers peuvent peser comme une contrainte supplémentaire sur l'agenda
politique, ce qui favorise leur mise à l'écart dans les périodes électorales.
La dynamique de la discrétion l'a emporté sur nos deux territoires, néanmoins il est
intéressant de souligner que les prémices d'une « gouvernance locale » se dessine. Celleci est capitale pour définir le sens de l'hospitalité pour les territoires et faire face aux
changements du droit d'asile en France.
Section 2. L'hospitalité des territoires : collaboration des acteurs
locaux tributaire des évolutions nationales de l'asile
La mobilisation collective des demandeurs d'asile dans un territoire est improbable, au
vue de leur situation administrative et du risque qu'ils courent pour leur statut. Néanmoins,
l'augmentation des mobilisations des habitants pour des familles et la volonté de certains
d'entre eux de s'organiser de manière pérenne, montrent que des interactions existent entre
le CADA et le reste du territoire.
La réponse à cette intégration/exclusion tient dans l'organisation à l'échelon local d'une
collaboration ou d'échanges sur les rôles de chacun et leurs limites dans l'engagement
auprès de cette population. Cette logique, peu développée ces dernières années, s'amorce
petit à petit. Cette «gouvernance locale » est à penser avec les nouvelles législations en
vigueur, et permet de définir le sens de l'hospitalité et de l'accueil de ces deux territoires.
2.1. Gouverner ensemble pour l'hospitalité : établir des liens entre acteurs
locaux
166
Rapport d'activité 2006 de l'association Forum Réfugiés, Tableaux 2..3.1 « Les entrées » et 2.3.2. « les profils des
bénéficiaires », p 22 – 23
FLAMANT Anouk _2008
73
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Les politiques publiques sont marquées depuis une vingtaine d'années par une logique de
« reterritorialisation » ; les acteurs locaux sont désignés comme les plus compétents et les
plus aptes à conduire l'action publique à l'échelle locale. Les attentes des habitants sont
supposées être mieux comprises à cet échelon. Dans ce cadre, une articulation entre les
acteurs investis auprès du CADA est une réponse aux besoins des demandeurs d'asile et
aux attentes des autres habitants.
2.1.1. Les acteurs locaux : une logique de collaboration peu développée
Nos deux municipalités oeuvrent chacune à leur manière pour les demandeurs d'asile,
ce travail est indissociable d'une collaboration avec les équipes d' Adoma ou de Forum
Réfugiés. Cette collaboration a reposé sur des échanges réguliers lors des mobilisations
pour des familles déboutées. Ceci a permis aux élus locaux de mesurer tous les enjeux
167
pour ces familles, de ne pas « tomber dans la sensiblerie » et de s'attarder sur les seules
solutions possibles. Cette écoute n'a pas été relayée par une autre série d'échanges à
propos de l'intégration de cette population. Cette opportunité d'interactions peut être saisie
par Forum Réfugiés et Adoma pour collaborer sur une offre nouvelle d'activités et un projet
politique pour cette population précaire.
Ceci est souhaité par de nombreux acteurs locaux et habitants voulant intégrer le CADA
au territoire. La visibilité du CADA peut être évidemment renforcée par une telle démarche,
mais cette dernière participe aussi à des changements dans les représentations sociales
des habitants opposés de prime abord à ces projets. En connaissant les demandeurs d'asile
au travers d'activités partagées, les habitants peuvent évoluer vers des discours moins
stigmatisants.
Cette collaboration est aussi l'occasion pour que chacun clarifie son rôle auprès des
demandeurs d'asile, et comprenne les limites d'engagement des autres acteurs.
2.1.2. La collaboration : un élément de plus pour bien vivre la procédure
d'asile
Développer une logique de collaboration, autour d'un projet de « gouvernance locale »
participe à un accueil de qualité pour les demandeurs d'asile. Ces derniers ont accès aux
ressources du territoire en étant informés des rôles et des missions de chacun. Il ne s'agit
pas de les projeter dans leur société d'accueil de façon définitive, mais d'insister sur les
possibilités temporaires du territoire pendant la procédure.
Parallèlement à ce mouvement d'intégration au territoire, la collaboration des acteurs
locaux facilite un discours cohérent face aux demandeurs d'asile. Il s'agit d'avoir un discours
en accord avec la réalité du statut administratif des demandeurs d'asile et de reconnaître
leur temps si différent de celui-ci des autres acteurs locaux. C'est d'ailleurs ce sur quoi
insiste la directrice de la MJC à Fontaines St Martin « ça ne nous empêche pas de tenter des
168
formules de rencontres, ça peut ne pas marcher effectivement mais les tenter au moins » .
Cette « gouvernance locale » est une solution pour limiter les accrochages entre les
partisans de mobilisations pour les familles déboutées et les acteurs « légalistes ». En ayant
connaissance des rôles de chacun, les acteurs mobilisés sauront vers qui se tourner, limitant
167
Entretien avec la directrice du CADA, géré par Adoma. Entretien n° 3, p 37
168
Entretien avec la directrice de la MJC et une membre du Conseil d'administration, mobilisée en tant que parent d'élève
pour des familles déboutées. Entretien n° 12, p 122
74
FLAMANT Anouk _2008
Partie trois: Face aux demandeurs d'asile, les acteurs territoriaux façonnent de nouvelles
politiques
les rancoeurs contre d'autres acteurs, comme c'est encore aujourd'hui le cas entre certains
mobilisés auprès de la famille Fihra et la direction du CADA.
Établir une « gouvernance locale » souligne que les interactions spontanées entre le
CADA et le reste du territoire sont rares. Les représentations sociales des uns et des autres
rendent ces rencontres difficiles. Il est aussi déterminant d'adapter le projet politique aux
évolutions du droit d'asile.
2.2. Repenser l'hospitalité sous de nouvelles législations
La nouvelle législation a pour but d'accélérer les procédures diminuant le temps de l'asile, et
en conséquence la gestion de l'attente par les gestionnaires de CADA et les autres acteurs
locaux. Cela devrait limiter leur intégration et rendre moins difficile le possible retour au
pays. Une procédure plus rapide est aussi une façon de lutter pas à pas contre les comités
de soutien, puisque ces derniers ont tendance à soutenir des familles bien établies sur le
territoire, et donc en capacité de mobiliser un réseau social.
Ces nouvelles orientations politiques affectent les dispositions politiques des acteurs
vaudais et St martinois. Elles questionnent également le sens de l'hospitalité territoriale
aujourd'hui.
2.2.1. Accélération de la procédure d'asile: moins d'ennui, plus d'exclusion
Les récentes orientations politiques des gouvernements ont été dénoncées par des
associations des défenseurs du droit d'asile, comme inscrites dans une « perspective de
169
contrôle davantage que de protection » .
Le temps de la procédure raccourci (aujourd'hui de l'ordre de dix-huit mois, en théorie
elle peut être de neuf mois) oblige les demandeurs d'asile à se concentrer en priorité
sur les démarches administratives. Ils sont alors plus occupés, s'ennuient moins et ont
peu de temps pour d'autres activités. Ces dispositions sont critiquées par les associations
dont Forum Réfugiés qui ont peur d'une perte de qualité des dossiers en réduisant le
temps d'élaboration. En outre, cette attente écourtée pénalise un accompagnement social
et psychologique de qualité face aux souffrances héritées du pays d'origine et de l'exil.
Face à ce temps raccourci, les acteurs locaux désirant s'impliquer au plus près de
cette population doivent prendre la mesure de ce changement. L'offre d'activités doit être
repensée ainsi que les liens avec Forum Réfugiés, Adoma et les municipalités.
Les premiers a avoir perçu ce changement du temps de l'asile sont les écoles. Comme
une directrice d'école l'affirme « on a bien moins d'enfants du CADA, on en avait 20
170
avant on est à 8 enfants » , ceci modifie les liens de l'école entretenus avec les CADA.
Les rencontres sont plus restreintes et les problématiques en terme d'intégration dans
les classes se posent dans des termes différents. Cela influence aussi la façon dont les
enseignants travaillent avec les enfants et les familles de demandeurs d'asile. Sûrs d'offrir
une scolarité de qualité, les enseignants affirment être assez désemparés face à des enfants
très investis dont la présence peut être que de quelques mois. S'adapter à cette nouvelle
population est difficile pour ces enseignants qui soulignent la violence d'une descolarisation
pour les enfants en cas de refus du statut de réfugié.
169
Cimade,« Main basse sur l'asile. L'asile (mal)traité par les Préfets »,op.cit.
170
Entretien avec une directrice d'école maternelle. Entretien n°23, p 183 .
FLAMANT Anouk _2008
75
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Les associations souhaitant s'investir auprès des demandeurs d'asile pour les intégrer
au territoire doivent mesurer ce changement de temps. Les activités ne peuvent pas
requérir une implication à long terme et en continu des demandeurs d'asile. Une autre
forme d'investissement auprès de cette population précaire est à repenser, en travaillant
par exemple des activités ponctuelles autour d'un échange. Cela est fait par exemple au
centre social vaudais autour de la préparation d'un repas dans lequel demandeurs d'asile
et adhérents se rencontrent. Leur présence territoriale est à penser comme une opportunité
pour modeler le territoire à travers de nouveaux liens sociaux, qui peuvent se défaire d'un
jour à l'autre. L'hospitalité offerte par les habitants est alors à repenser.
2.2.2. Quel est le sens de l'hospitalité aujourd'hui ?
L'hospitalité est un devoir de l' État français dans lequel il s'engage selon les périodes et les
conjonctures économiques de façon particulière. Ainsi, l'hospitalité territoriale même si elle
repose sur des initiatives locales est étroitement liée à celle accordée par l' État central.
Les territoires de Fontaines St Martin et de Vaulx en Velin accueillent les demandeurs
d'asile en fonction de leur histoire, du lieu du foyer, en étant tributaire des politiques
publiques nationales à ce sujet.
Les élus vaudais tentent de se soustraire à ces orientations politiques contemporaines.
Toutefois, face à leur impuissance dans la procédure d'asile, ces derniers se concentrent
surtout pour protéger et travailler avec d'autres populations encore plus marginales et
exclues du territoire comme les sans-papiers. L'intégration au territoire du CADA et de ses
résidents est une préoccupation secondaire. A Fontaines St Martin, les élus de centre-droit
s'inscrivent dans une démarche d'accueil légaliste. L'implication pour les déboutés est très
limitée, le respect de la légalité domine dans les discours et la peur d'attirer une population
« déviante » est présente. Comme l'affirme un élu : « je suis pour aller au maximum de, mais
après à un moment donné, faisons que cela passe bien ici. Après ça va être le phénomène
171
inverse tout le monde va se battre pour venir ici» . La mobilisation en faveur des familles
est acceptée, en revanche l'hospitalité doit se circonscrire aux personnes accueillies au
CADA. Le territoire ne doit pas devenir un lieu d'accueil pour tous.
Source: Rapport d'observation de la Cimade, « Main basse sur l'asile. Le droit
d'asile(mal)traité par les préfets », Juin 2007, page de garde.
171
76
Entretien avec la présidente, la trésorière et une membre l' ASVS, et un élu à la municipalité. Entretien n°4, p 53
FLAMANT Anouk _2008
Partie trois: Face aux demandeurs d'asile, les acteurs territoriaux façonnent de nouvelles
politiques
Les territoires vaudais et St martinois acceptent que les demandeurs d'asile soient hors
des lieux et hors du temps de la vie sociale. Sans pouvoir investir même temporairement
des espaces de vie sociale, les demandeurs d'asile sont confrontés à « un quotidien
172
violent et déstabilisant » qui fait de leur inscription territoriale, une inscription originale
et particulière. La responsabilité des élus locaux est d'autant plus importantes sur ces
questionnements, que sans être compétents dans la procédure d'asile, ce sont eux les plus
aptes à entretenir des relations constructives et de qualité avec les résidents des CADA,
leurs gestionnaires et les autres acteurs locaux.
Chaque territoire, vaudais ou St martinois, doit trouver des réponses issues d'un choix
politique pour être des territoires hospitaliers. Un élément pour aller au delà de l'opposition
entre demandeurs d'asile, population précaire et marginale, et les habitants.
172
BALIGNAND Pascale, op.cit, p 194
FLAMANT Anouk _2008
77
« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Conclusion
Notre étude a permis de nous concentrer sur les interactions entre les demandeurs d'asile
hébergés en CADA et leurs territoires. Nos hypothèses de départ se sont confirmées en
partie : le territoire est facteur de rencontres entre demandeurs d'asile et acteurs locaux
même si elles sont limitées. La marginalité sociale et politique des demandeurs d'asile
est contrebalancée constamment par cette intégration à mi-mot. Les particularismes de la
demande d'asile posent avec acuité la question de la prise en considération du politique,
au sens large, d'une population précaire et marginale.
Tributaire de ses partenaires et des textes législatifs, les élus locaux s'interrogent
perpétuellement sur la stratégie à conduire face au CADA et ses résidents. Exclure
complètement cette population est peu réaliste mais leur intégration irréfléchie peut
alimenter des départs plus houleux. A l'inverse, d'autres habitants refusent cette intégration
et cette présence territoriale et sont aussi capables de se mobiliser.
Les territoires vaudais et St martinois ont répondu chacun à leur manière à cette
problématique. La présence d'un AUDA à Fontaines St Martin a encouragé une prise
en charge des habitants et de la municipalité importante dès son implantation. La
transformation en CADA n'a pas affecté la collaboration entre la municipalité et Adoma,
la politique discrète en faveur des demandeurs d'asile domine toujours. A Vaulx en Velin,
l'indépendance du CADA face au politique est plus marquée, Forum Réfugiés peut seul
fournir certaines clés pour gérer l'attente et accompagner les demandeurs d'asile. Cette
intégration limitée des demandeurs d'asile est issue de la « gouvernance locale » à leur
égard et à leur mode d'administration étatique.
L' État a pris la décision d'augmenter les places en CADA, afin de proposer un accueil
plus égalitaire. Cet accueil rencontre ses propres limites et notamment participe à cette
oscillation constante entre intégration et exclusion. Le logement en CADA souligne aussi
la continuité des politiques publiques de logement pour les étrangers. Le contrôle des
étrangers est toujours au coeur de l'accueil, et il s'est même renforcé ces dernières années.
La quasi-totalité des pays européens s'inscrivent dans cette perspective de contrôle et
de repli sur sa société. La peur des conséquences d'une immigration massive pour notre
niveau de vie conduit l' Union Européenne à se barricader derrière un « nouveau mur »,
sans distinguer toujours migrations économiques et asile. Dès le Traité d' Amsterdam,
l'immigration et le droit d'asile sont regroupés dans une même partie du traité rendant moins
remarquables les spécificités de l'asile. Les événements du 11 septembre ont renforcé les
politiques sécuritaires de l' Union Européenne, présentant trop souvent les immigrés comme
des potentiels « terroristes ». Cette politique de fermeture se reflètent dans les objectifs
affichés de reconduite à la frontière en France, la création d'un délit d'immigration illégale
en Italie, ou l'adoption le 19 juin 2008 de la directive « retour » (dite « de la Honte » par des
associations défenseurs du droit des immigrés et de l'asile).
Cette attitude de repli, de peur et de criminalisation de l'étranger envahit les
discours des citoyens. Dans nos deux territoires, ces représentations discriminantes des
demandeurs d'asile sont courantes et montrent que l'asile est parfois assimilée à une
porte « facile » pour immigrer en Europe. L'hospitalité des territoires est fonction de
ces représentations et de ces discours politiques nationaux. Futurs ou d'ores et déjà
78
FLAMANT Anouk _2008
Conclusion
« clandestins », l'intégration des demandeurs d'asile à leur territoire repose sur la vision qu'
ont les acteurs locaux de leurs présences.
Sans connaître les raisons de leurs fuites, et sans s'interroger sur leur détermination
et leur courage pour quitter leurs proches, leur pays, certains habitants se refusent à
échanger avec les demandeurs d'asile. Cette stigmatisation durant la procédure se poursuit
immanquablement même lorsque que ces derniers sont reconnus réfugiés. Les dynamiques
de l'intégration territoriale se posent aussi pour les immigrés dans ces territoires ou d'autres
lieux en France. Si être réfugié permet administrativement de rentrer dans le droit commun,
les représentations sociales des autres habitants discriminantes se poursuivent. Apporter
les clés d'une intégration temporaire pendant la procédure d'asile permet de travailler en
amont l'intégration des réfugiés dans leur futur pays et leurs futurs quartiers. Habitants et
demandeurs d'asile peuvent alors faire évoluer leurs représentations sociales.
Ajoutons que la présence d'un CADA dans un territoire crée du lien social entre les
habitants eux-même. Les comités de soutien pour les demandeurs d'asile, ou les conflits
pour contester leur présence enrichissent les interactions entre les habitants du territoire.
Ces rencontres permettent d'échanger sur leur vision de l'hospitalité, de l'étranger et surtout
de la démocratie.
FLAMANT Anouk _2008
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« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
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téléchargeable sur : http://www.la-bas.org/mot.php3?id_mot=185
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ème
er
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www.forumrefugies.org/pages/evenements/expo_photos_2007.htm
Conférences :
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CNDA, www.commission-refugies.fr. Site de la Cour Nationale du Droit d'Asile.
FORUM REFUGIES, www.forumrefugies.org . Site de l'association avec de nombreux
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Google Earth, www.googleearth.com . Cartographie des territoires. Consulté le 17 juin
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« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
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Résumé
Résumé
Les mobilisations récentes de RESF en France soulignent la préoccupation de certains
citoyens sur l'avenir des sans-papiers, dont certains déboutés du droit d'asile. Mais comment
les demandeurs d'asile résidant en CADA sont considérés par les habitants et les acteurs
institutionnels du territoire ? De quelle manière le CADA est -il intégré et échange avec cet
territoire ? Quelles sont les interactions sociales entre demandeurs d'asile et les habitants ?
Ne sont-ils pas seulement exclus de la vie sociale et politique ?
Fontaines St Martin et Vaulx en Velin sont deux communes de la région lyonnaise
qui accueillent un CADA. Fortes de leur histoire, du lieu d'implantation du CADA et de
leur gestion par Adoma ou Forum Réfugiés, les demandeurs d'asile sont une population
singulière interrogeant les habitants, les acteurs institutionnels et le politique. Exclus au
premier regard, les demandeurs d'asile échangent avec leur territoire. Ces échanges sont
circonscrits et conditionnés par le temps de l'asile, un temps incertain et précaire. Les élus
locaux considèrent cette population, stigmatisée et discriminée par certains habitants. Cet
intérêt est partagé par d'autres acteurs territoriaux ce qui permet de lancer les prémices
d'une collaboration, d'une «gouvernance locale». Cette dernière est tributaire des évolutions
législatives nationales et européennes du droit d'asile.
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« Hors des lieux, hors du temps... »Du traitement local des demandeurs d'asile et sociabilités des
territoires
Damir, Rom du Kosovo “je voudrais une maison et un jardin pour regarder pousser les
fleurs”. Exposition Forum Réfugiés, “Dans l'attente...”
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Annexes
Annexes
A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut
d'Etudes Politiques de Lyon
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