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un peu l’hôpital qui se moque de la charité: tenter de survivre à notre
propre médiocrité en stigmatisant les plus faibles. Et dans mon cas,
ça marche bien les excuses. C’est le bain du soir qui permet souvent
de penser qu’on a le droit de vivre un jour de plus en toute quiétude…
«JE M’EXPOSE EN PREMIER. J’EXPLORE MON MICROCOSME»
Travaillez-vous seule vos spectacles, au moins dans un premier
tempsde création ?
Oui. Parce que je pars toujours de ma propre expérience. Mon théâtre
est un télescope tenu à l’envers. Je m’expose en premier, j’explore
mon microcosme.
Ensuite, quand je me mets à écrire, j’ai rapidement besoin d’un
interlocuteur. Quelqu’un autour de qui je peux tourner, quelqu’un
pour incarner mes réflexions. Parfois, il s’agit de plusieurs personnes,
comme dans Les Pauvres sont tous les mêmes: trois filles que j’avais
repérées pour l’équilibre de leur jeu, entre humour et gravité, et leurs
silhouettes vraiment singulières. Trois comédiennes incroyables. Le
spectacle s’est construit avec elles et autour d’elles.
VIDER ENSEMBLE NOS SACS SUR LA SCÈNE
Lorsque vous proposez un spectacle comme Les pauvres sont
tous les mêmes, quelles sont vos intentions ? Vos ambitions ?
S’agit-il de déranger? De faire prendre conscience? D’adresser
un miroir au spectateur?
Des intentions, on n’est pas obligé d’en avoir en tant qu’artiste. Les
intentions sont souvent didactiques.
Des ambitions par contre, j’en ai. J’ai l’ambition que les spectateurs
osent se confronter à leurs propres tabous, à leurs jugements les
plus violents. Tout cela sans blâmer qui que ce soit. Juste pour vider
ensemble nos sacs sur la scène, fouiller un peu dans le contenu,
affronter les mauvaises excuses. Je ne cherche à accuser personne,
je ne parle au fond que de moi-même. En aucun cas, avec cette
histoire de pauvres, je ne veux dire que les gens ne réagissent pas
suffisamment. C’est peut-être vrai, moi je le ressens, je suis la première
à le reconnaître, mais sur scène je me contente de montrer les
mécanismes de la pensée. La prise de conscience qui en résulte ne
me concerne plus: on réalise que face à la pauvreté on est génial,
cliché, pourri, n’importe quoi d’autre dans le spectre humain qui va
de l’anthropophilie la plus aboutie à la méchanceté gratuite et conne.
Pour faire encore une phrase «à la suisse», mon ambition n’est pas de
déranger, mais tant mieux si ça dérange un peu.
Qu’en est-il pour le second spectacle présenté au Tarmac, La loi
du plus fort? La démarche d’écriture a t-elle été la même?
Oui, sauf que l’interlocuteur dans La loi du plus fort, à la base, c’était
moi. C’est un monologue que j’ai écrit et joué en 2008 pour la première
fois. Mon moteur d’écriture était les actions machinales qui nous
conditionnent: si on ne réfléchit pas du tout à l’endroit où on va, c’est
presque sûr… on va se rendre au supermarché.
Ce texte est aussi une écriture sur une ville, c’est un peu une balade,
ce qui fait que ce texte se réécrit systématiquement en fonction de
l’endroit où il se joue.
Je dois aussi préciser que je ne le joue plus moi-même, j’ai trop le trac!
LE SECOND DEGRÉ PERMET DE DÉDRAMATISER SANS POUR AUTANT
DIRE «JE M’EN FOUS»
L’ironie ou le second degré engendrent parfois des malentendus…
Vous êtes-vous heurtée à ce type de problème?
Tous mes projets tendent vers le même but: nous montrer, nous les
humains, tels que nous sommes. A moins que tu te connaisses mal
toi-même, il ne peut pas y avoir de malentendu.
Je remarque par contre que l’utilisation du second degré, selon
qu’on s’adresse à un public français ou suisse, n’a pas du tout le
même effet. Les Français me semblent pratiquer un second degré
particulièrement… premier degré ! Si on rigole, il faut tout de suite
ajouter «je rigole»… Prenez toutes les émissions télé «culturelles»
en France en ce moment, Hanouna, Ruquier et compagnie, l’ironie
y est systématiquement utilisée de façon frontale, par défaut, sans
finesse, par des gens se prenant paradoxalement très au sérieux. On a
l’impression que le but est juste de se foutre de la gueule des autres,
particulièrement de celles et ceux qui ont du succès. On dirait qu’il
faut dégommer les gens qui ont du talent. Peut-être que ça s’explique
par la culture catholique, par le fait que les gens semblent croire qu’ils
ont un rôle défini et qu’ils doivent s’y tenir. L’ironie française, si on la
compare à l’anglaise par exemple, est vraiment plate. Je caricature
à peine en disant que derrière l’ironie «à la française», il n’y a rien à
comprendre. C’est du noir-blanc, plutôt méchant et absolument gratuit.