Ouvrage collectif réalisé par Rhône-Alpes et l’environnement 100 questions pour la recherche 144 © Photothèque Région Rhône-Alpes/Jean-Luc Rigaux CHA PITRE E , É T I S R E V I D BIO S E M È T S Y S O ÉC S E G A S Y A ET P 145 53 introduction Biodiversité, écosystèmes et paysages L’année 2010, Année Internationale de la Biodiversité, a mis en exergue l’impact des activités humaines sur la biodiversité. La région Rhône-Alpes abrite une biodiversité aux multiples facettes, grâce à une grande variété de paysages (massifs de montagnes, grands cours d’eau, lacs, plateaux d’altitude, étangs). Ce territoire est cependant soumis à de fortes contraintes naturelles (changements climatiques) et humaines (populations en expansion, changements de pratiques agricoles, etc.). Dans ce contexte, les scientifiques ont constitué des réseaux interdisciplinaires afin d’étudier l’impact des activités humaines sur la biodiversité, le fonctionnement des écosystèmes, et les services qu’ils rendent à la société. L’objectif est d’aboutir à des outils de gestion, de conservation et de restauration qui contribuent à optimiser les différentes fonctions des écosystèmes, et à en préserver la valeur patrimoniale. Androsace helvétique « Primulaceae », plante en forme de coussin poussant sur les rochers de l’étage alpin (ici à 2 800 m). Cette espèce, comme les plantes cantonnées aux très hautes altitudes, risque d’être affectée par le réchauffement climatique qui va faire remonter les zones de répartition des espèces de montagne - © CNRS Photothèque/AUBERT Serge L’évaluation des réponses des systèmes écologiques à la pression des activités humaines et aux changements globaux passe nécessairement par une meilleure connaissance de leur structure, de leur fonctionnement et de leur dynamique, ainsi que de leur potentiel d’adaptation. Le défi est alors de développer les concepts et les outils permettant de comprendre les relations entre diversité biologique et fonctionnement des écosystèmes. Ces questions sont aujourd’hui traitées dans le cadre de programmes de recherche internationaux (International Geosphere and Biosphere Program, Diversitas, Millenium Ecosystem Assessment) qui ont défini des enjeux, des outils et des priorités communes. Facteurs du changement global et spécificités régionales Les activités humaines se traduisent par des processus extrêmement variés, tels que l’eutrophisation des eaux, l’érosion des sols, la régulation des cours d’eau, la déprise rurale, l’augmentation de la pression touristique ou les prélèvements forestiers et cynégétiques. Dans ce contexte, il convient de se poser la question du seuil d’altération au delà duquel l’écosystème ne pourrait revenir à son état initial, et d’établir des bases scientifiques solides pour la restauration des écosystèmes. Effets sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes La diversité biologique s’exprime à divers niveaux hiérarchiques des systèmes écologiques (population, peuplement, écosystème, paysage). À chaque niveau, elle peut être définie en termes de gènes (diversité intra-spécifique), d’espèces (richesse ou diversité spécifique) ou de traits biologiques (diversité fonctionnelle, c.-à-d. des caractères des individus tels que la morphologie, la physiologie ou la démographie). L’écosystème constitue le niveau hiérarchique adéquat pour une approche intégrée à l’échelle du paysage, et pour produire des règles de gestion des 146 « Quercus rubra » chêne rouge d’Amérique, une des espèces remarquables de l’arboretum Robert Ruffier-Lanche. L’arboretum situé au nord du campus universitaire de St Martin d’Hères à Grenoble a été créé il y a une quarantaine d’années. © CNRS Photothèque/AUBERT Serge territoires permettant la conservation de la biodiversité. En effet, la compréhension du rôle des facteurs physiques (climat, hydrologie) et biogéochimiques (azote, carbone, eau) sur le fonctionnement des écosystèmes et leur biodiversité permet de prévoir les conséquences des changements de l’environnement et d’établir des stratégies de gestion adaptées. De la biodiversité aux services fournis à la société Au delà de simples biens matériels, la biodiversité fournit à nos sociétés humaines des bénéfices directs ou indirects que l’on qualifie de « services des écosystèmes ». Il peut s’agir de services à court terme, comme l’épuration de l’eau, la conversion de l’énergie solaire en matière organique utilisable par les humains ou leur cheptel, la préservation des sols et de leur fertilité, la pollinisation des plantes cultivées ou la protection des activités humaines par les forêts en montagne. La biodiversité joue également un rôle à long terme, en maintenant un « patrimoine naturel » dont elle est partie intégrante, avec la fourniture d’eau et d’air propres, le stockage du carbone, la décomposition des déchets, la composition de l’atmosphère et la régulation du climat. Enfin, elle procure du bien-être, par l’intermédiaire du tourisme et de la valeur intrinsèque du vivant et de sa diversité perçue par le grand public. Bien que les mécanismes reliant le niveau de biodiversité et le maintien de ces services face aux changements environnementaux restent à préciser, il semblerait que certaines composantes de la diversité des organismes jouent un rôle essentiel. Les fiches présentées dans ce chapitre illustrent toute la diversité des recherches conduites par les chercheurs qui ont œuvré dans le cadre du Cluster Environnement de la région Rhône-Alpes. Les thèmes abordés concernent des écosystèmes très variés, et les fonctions/services auxquels contribue la biodiversité : les milieux aquatiques (cours d’eau, lacs, zones humides) et les milieux terrestres de plaine et de montagne (prairies, milieux agricoles, forêts). Rocaille des plantes originaires du Caucase. Au fond, massif et glaciers de la Meije (3 987 m). Jardin botanique alpin du Lautaret (2 100 m), conservatoire unique de la diversité de la flore alpine (2 000 espèces de plantes d’altitude) telle qu’on l’observe sur l’ensemble des hautes montagnes de la planète. © CNRS Photothèque/AUBERT Serge 147 54 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Des corridors écologiques pour nos montagnes La diminution de la biodiversité est liée à deux phénomènes majeurs : la dégradation des habitats des espèces, et la fragmentation de ces habitats par des infrastructures. Les espèces animales à grands domaines vitaux (tels les grands carnivores et les ongulés) et les animaux devant se déplacer d’un milieu à l’autre pour effectuer leur cycle de vie (tels les batraciens) sont les plus menacés. C’est pourquoi la mise en réseau des espaces de nature par des corridors écologiques est reconnue comme prioritaire à diverses échelles. Le contexte international : réseaux, corridors, trames, une déclinaison d’actions pour la biodiversité La mise en réseau des espaces de vie dans les Alpes est un thème central des objectifs de protection de la nature au sein de la Convention alpine ; c’est dans ce cadre qu’a été créée la plateforme « Réseau écologique » qui a pour objectif la constitution d’un réseau international alpin regroupant les espaces protégés et les éléments de liaison correspondants. Quelques régions pilotes ont déjà entamé l’implémentation de ce réseau transfrontalier, en particulier le département de l’Isère, avec l’implication du Conseil Général et du Cemagref de Grenoble. Le projet ECONNECT vient dorénavant soutenir ces initiatives, aider au partage des savoirs et savoirfaire et faciliter la mise en œuvre des mesures dans des régions pilotes. En France, le Grenelle de l’Environnement de 2007 a initié la Trame Verte et Bleue dont la déclinaison se fait à l’échelle régionale par des « schémas régionaux de cohérence écologique ». Les démarches se concrétisent dans les documents d’urbanisme et les projets d’aménagement. Collecteur en « L » Collecteur en « U » 148 Passage à petite faune, réserve naturelle Tourbière du Grand Lemps (38) © Grégory Maillet / AVENIR La Région Rhône-Alpes a anticipé ces démarches en cartographiant ses réseaux écologiques dès 2007 et en développant un outil d’appui, les « contrats corridors écologiques », afin de soutenir les collectivités locales dans leurs travaux de mise en œuvre. Passage inférieur sous l’axe de Bièvre (Isère) © Sylvie Vanpeene-Bruhier/Cemagref Rhône-Alpes, une région active pour la protection et la restauration des corridors La région Rhône-Alpes se situe au carrefour de plusieurs domaines biogéographiques et constitue un « maillon territorial essentiel » pour la connexion des Alpes avec les Pyrénées et à l’Est entre les Alpes, les Carpates et les Balkans. Du fait de son important développement économique, la région Rhône-Alpes est fortement impactée par des infrastructures qui fragmentent les espaces naturels des plaines et vallées. Identifier les corridors écologiques existants à protéger et ceux à restaurer pour favoriser le maintien de populations animales d’espèces menacées constitue donc un enjeu majeur pour cette région. En Isère, grâce au Réseau Écologique Départemental de l’Isère (REDI), plusieurs points de conflit ont été supprimés par l’aménagement de passages à petite faune (comme sur le Grand Lemps avec le Conservatoire AVENIR). Dans le cadre du projet européen « Couloir de vie », des actions de plus grande ampleur sont actuellement en cours dans la Cluse de Voreppe pour restaurer la connectivité entre les massifs de la Chartreuse et du Vercors. Le Cemagref est un acteur incontournable de cette thématique : il participe au Comité opérationnel « Trame verte et bleue » issu du Grenelle de l’environnement en rédigeant les guides « trame verte et bleue ». Ses chercheurs modélisent des connexions entre habitats favorables à certaines espèces (grenouille commune et tétras lyre) à partir de données issues de l’Université Joseph Fourier et des réseaux naturalistes. À une échelle plus fine, le Cemagref a montré que les passages à faune aménagés sous une infrastructure clôturée (tel l’axe de Bièvre en Isère) sont fréquentés quotidiennement par de nombreuses espèces : renard, lapin, lièvre, micromammifères, hérisson, fouine, faisan. Le Cemagref communique sur ses travaux à l’occasion d’événements à destination des chercheurs et des gestionnaires, ainsi qu’auprès du grand public lors de la Fête de la Science, ou en intervenant dans les formations telles que les masters de biologie, de géographie, ou encore de génie civil. EN SAVOIR + www.cemagref.fr/les-contacts/les-pagespersonnelles-professionnelles/vanpeene-sylvie/ La Région Rhône-Alpes a produit en 2009 une cartographie de ses réseaux http://biodiversite.rhonealpes.fr/spip.php?rubrique19 écologiques qui a donné naissance à http://avenir.38.free.fr/RN-de-lEtang-du-Gra.html une gamme d’outils et de documents dont les principaux sont : • L’Atlas des réseaux écologiques de Rhône-Alpes : à l’échelle du 1/100 000e, il offre un regard synthétique sur les enjeux rhônalpins en identifiant les principales connexions à préserver ou restaurer à l’échelle de la Région. • Le guide « Pourquoi et comment décliner localement la cartographie régionale ? » : document destiné à accompagner les acteurs locaux de Rhône-Alpes dans le montage de Contrats de territoire « corridors biologiques ». 149 55 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Les plantes alpines ont du répondant Soumise à des influences méditerranéennes, continentales et alpines, la région Rhône-Alpes présente une grande richesse floristique. Ce patrimoine floristique est aussi le résultat de l’hétérogénéité des milieux naturels dans le paysage, ce dernier étant fortement conditionné par les activités humaines. Les variations climatiques sont tout autant susceptibles d’influer sur la biodiversité actuelle que l’utilisation des terres. Nos travaux ont porté sur l’étude des capacités de réponse de quelques espèces dominantes des prairies des Alpes à différentes modifications de leurs conditions environnementales. Capacités d’adaptation des plantes aux changements de l’environnement Les écosystèmes de montagne sont des zones particulièrement exposées aux changements globaux de l’environnement. De grandes différences climatiques peuvent être observées sur des distances très courtes lorsqu’on s’élève en altitude. L’activité humaine n’est pas absente dans ces milieux, en particulier dans les Alpes où elle a fortement structuré l’utilisation du paysage. Par exemple, les pratiques agricoles sont à l’ori- gine du maintien, en un certain nombre d’endroits, de prairies à la place de la forêt. Ces prairies, qui sont conditionnées par la combinaison de conditions climatiques et/ou des pratiques agricoles, présentent une importante biodiversité, avec des espèces patrimoniales parfois rares et emblématiques (orchidées, gentiane jaune, narcisse des poètes…). Les changements globaux de l’environnement vont affecter les conditions dans lesquelles ces plantes se développent actuellement. Afin d’estimer les conséquences de ces changements sur la biodiversité de ces milieux, il est nécessaire de mieux évaluer la capacité des espèces à répondre aux modifications de leur environnement. Ces prairies à la biodiversité très riche sont le résultat de pratiques agricoles et de conditions climatiques favorables. Des changements de ces conditions peuvent menacer leur existence - Serge Aubert/SAJF 150 Deux mécanismes sont susceptibles d’intervenir. D’une part, la variabilité génétique des individus permet à certains d’entre eux de mieux s’adapter aux nouvelles conditions environnementales ; c’est le principe de la sélection naturelle. D’autre part, la plasticité phénotypique (capacité d’un individu à modifier son phénotype dans différents environnements) permet de faire face à de nouvelles conditions environnementales. Dans la mesure où ces deux mécanismes n’agissent pas sur la même échelle de temps, et où l’amplitude de la réponse peut être différente, il est important de connaître leurs rôles respectifs dans la réponse des espèces à un changement environnemental. Premiers résultats Les expérimentations menées sur des graminées dominantes des prairies de montagne ont permis de mettre en évidence les mécanismes de réponse aux modifications de l’environnement : 1) Les espèces étudiées ne sont pas adaptées à des conditions locales particulières à l’environnement, ce qui indique leur capacité à vivre dans d’autres conditions que celles où on les trouve actuellement ; 2) Toutes les espèces observées présentent une grande variabilité génétique. Il existe ainsi un potentiel d’évolution des espèces en réponse à des changements environnementaux ; 3) La source principale de la réponse des espèces est la plasticité phénotypique. Ce mécanisme rapide de réponse peut permettre à celles-ci de s’acclimater à des conditions environnementales variables. Ces premiers résultats mettent en évidence la capacité des espèces à faire face à des modifications de leur environnement. Cependant, compte tenu de la rapidité et de l’amplitude de ces changements, il est nécessaire d’approfondir nos connaissances, en parti- Graminée, végétation des alpages – Cemagref/J.-P. Jouglet culier pour des espèces autres que les graminées, notamment pour des espèces plus rares que celles étudiées. Enfin, compte tenu de la durée de vie de ces espèces (plusieurs dizaines d’années), des expériences à plus long terme devront être menées. EN SAVOIR + http://sajf.ujf-grenoble.fr/IMG/pdf/ZAA.pdf Les résultats obtenus lors de cette étude ont bénéficié des travaux précédemment réalisés sur ces milieux en lien avec les pratiques agricoles (projet européen Vista, LECA Grenoble). Pour la mise en place des expérimentations, sur le terrain comme en conditions contrôlées, nous avons pu bénéficier des contacts avec les usagers des prairies ainsi que de l’expertise scientifique et des infrastructures de la Station alpine Joseph Fourier (http://sajf.ujf-grenoble.fr/). Financés par le Cluster Environnement, ces travaux préliminaires, indispensables à la compréhension du fonctionnement des communautés végétales, seront intégrés dans les expériences mises en place par la suite. En particulier, la création d’une Zone Atelier Alpes (ZAA) correspondant aux partenariats entre divers laboratoires et collectivités de la région permettra la mise en place d’expériences à plus long terme, nécessaires pour mieux comprendre la dynamique de ces écosystèmes. 151 56 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES La grenouille et l’oiseau Une grenouille part à la recherche d’un monde meilleur, mais voici qu’elle aborde une rivière aux flots redoutables. Tenter la traversée, c’est la mort assurée. Un oiseau se présente et passe l’obstacle de trois coups d’aile. Pour notre batracien, gagner l’autre rive est chose impossible. Le monde de la grenouille est balisé d’obstacles que ne connaît pas l’oiseau. La présence des grenouilles et l’organisation de leurs populations dépendent donc plus étroitement de la configuration des paysages que celles de l’oiseau. La rainette verte (Hyla arborea) est un amphibien particulièrement sensible à la fragmentation du paysage © Pierre Joly/LEHNA-UCBL La fragmentation des paysages, facteur de risque pour la biodiversité La grenouille partage ces difficultés de dispersion avec tous les petits animaux qui vivent sur le sol. Aux obstacles naturels viennent aujourd’hui s’ajouter une multitude d’obstacles artificiels, construits par les humains toujours en quête d’un territoire mieux aménagé. L’espace est cloisonné de murs de clôture, de routes de plus en plus larges, d’espaces agricoles de plus en plus arides et toxiques, de zones urbaines sans cesse plus vastes. Aujourd’hui, notre grenouille n’a pas à cheminer longtemps pour rencontrer l’un ou l’autre de ces obstacles anthropiques et l’aventure d’un déménagement devient impossible. Chacun est contraint de ne plus quitter la mare de sa naissance. Privées de sang neuf, les populations cloîtrées voient leur héritage génétique se dégrader irrémédiablement. Quelle que soit la qualité de l’habitat, quelle que soit sa protection, si l’espace est limité et si aucun échange n’est possible avec d’autres populations, l’avenir d’une population est ainsi fortement compromis. Ce cloisonnement que l’on appelle « fragmentation des paysages » est la première des causes d’érosion de la biodiversité. Il résulte à la fois d’une destruction d’habitat et d’un isolement croissant des fragments non dégradés. Dans ces fragments, les risques d’extinction sont d’autant plus grands que la superficie du fragment est réduite. Or, dans nos paysages d’Europe très aménagés, où la densité humaine ne cesse d’augmenter, il est très difficile de reconvertir des milieux occupés par les humains en milieux plus sauvages, permettant la vie et les migrations de la biodiversité. Science et politique en action : vers un aménagement écologique du territoire Alarmées par les constats des scientifiques, les collectivités territoriales s’intéressent au problème, cherchant des compromis dans l’entretien de zones de migration ou à créer des ouvrages qui permettent le passage de la faune. De telles réflexions sont conduites à l’échelle 152 des départements, des régions, des pays, voire de l’Union Européenne. La France a élaboré un projet de « trame » qui se décline en trame verte pour les milieux forestiers et en trame bleue pour les milieux aquatiques. La région Rhône-Alpes dispose d’un programme de « corridors biolo- giques », tandis que le département de l’Isère, pionnier en la matière, a élaboré le « Réseau écologique du département de l’Isère ». Ces programmes reposent sur une coopération étroite entre les collectivités territoriales et les scientifiques. Des outils sont en effet nécessaires pour cartographier les zones de migration que l’on appelle « corridors ». Il peut s’agir de « continuités » c’est-à-dire de structures linéaires et étroites dont la structure ressemble à celle des habitats qu’elles relient. Une haie composée d’arbres et qui relie deux forêts représente bien ce que l’on entend par ce terme. Il peut toutefois s’agir de milieux qui ne ressemblent pas à l’habitat, mais dont la traversée n’est ni trop coûteuse, ni trop risquée. De nombreux animaux forestiers traversent sans stress des prairies mais sont stressés (on peut mesurer les hormones de stress comme la corticostérone) s’ils doivent traverser des espaces de grandes cultures. Pour définir ces cheminements « de moindre coût », des études comportementales et physiologiques sont nécessaires. Un triton palmé dans un passage à faune permettant la traversée sans risque d’une route. Réalisation du Conseil Général de l’Isère dans la Réserve Naturelle de l’Étang du Grand Lemps, Isère © Pierre Joly/LEHNA-UCBL Dans le cas d’obstacles physiques infranchissables, comme une autoroute, il est possible de concevoir des passages pour la faune. Pour les mammifères, il suffit souvent d’aménager des passerelles construites pour le passage d’engins agricoles ou forestiers en ménageant des « trottoirs » végétalisés. En revanche, les amphibiens nécessitent des aménagements plus complexes qui les contraignent à utiliser des passages sous les chaussées. La conception d’un aménagement écologique du territoire respectant les mouvements de la faune (ainsi que la dispersion des graines) représente un défi qui soulève la fascinante question de la perception du paysage par l’animal. En Rhône-Alpes, la connectivité du paysage est étudiée à Lyon 1 au sein du Laboratoire d’Écologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés (travaux de Pierre Joly, doctorats d’Agnès Janin et de Jérôme Prunier) et du Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive (travaux de Sébastien Devillard). 153 57 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Les insectes s’organisent Face à l’érosion de la biodiversité qui s’accélère, les scientifiques se doivent de proposer une approche conceptuelle de l’organisation de la biodiversité. Des théories très contrastées ont été avancées, et un enjeu actuel majeur consiste à déterminer si l’organisation des communautés d’espèces dans les écosystèmes repose essentiellement sur les différences de caractères entre les espèces ou, au contraire, sur des processus aléatoires. L’équipe « Écologie Évolutive et Biologie des Populations d’Insectes » du Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive a proposé et étudié un système « pilote » pour tester sur le terrain et à court terme les théories relatives à la biodiversité. Les théories de la biodiversité à l’épreuve du terrain Deux théories opposées tentent d’expliquer l’organisation de la biodiversité. Selon la théorie des niches, la structure des communautés d’espèces compétitrices résulterait des différences de caractères entre les espèces. Au contraire, selon la théorie neutre de la biodiversité, l’organisation des communautés reposerait essentiellement sur des processus aléatoires, c’est-à-dire que des espèces deviendraient abondantes car leurs individus se seraient mieux reproduits que ceux d’autres espèces compétitrices, par le seul fait du hasard. On observe un manque criant d’investigations empiriques permettant de tester ces théories. Des chercheurs ont étudié les mécanismes de coexistence d’espèces d’insectes en compétition pour une ressource pulsée en observant 4 espèces de charançons en compétition pour l’exploitation des glands de chêne, dont la production interannuelle est massive et intermittente. L’étude de la dynamique de ces communautés permet de tester les théories à relativement court terme : selon la théorie des niches, les différentes espèces ne devraient pas toutes bénéficier de la même manière des fortes glandées et leurs dynamiques devraient être asynchrones. Au contraire, selon la théorie neutre, les espèces devraient subir de la même manière les fortes variations de disponibilité en fruits et leurs dynamiques devraient être synchronisées. 154 Pour tester les théories relatives à la biodiversité, les chercheurs ont suivi sur le terrain 2 communautés d’insectes dans la région Rhône-Alpes pendant 5 ans (2005-2009). Le cycle de développement des insectes a été étudié à la fois sur les sites naturels et sur la plateforme « ÉcoAquatron » (parc d’Écologie, la Doua, Université Lyon 1). Les analyses moléculaires ayant permis l’identification des espèces au stade larvaire ont été menées au sein de la plateforme du laboratoire et de celle du plateau technique Développement de Techniques et Analyse Moléculaire de la Biodiversité (DTAMB, la Doua, Université Lyon 1). Vers une théorie « unifiée » de la biodiversité L’équipe a montré que les 4 espèces d’insectes présentent de fortes différences dans des caractères impliqués dans l’exploitation des fruits et des dynamiques de population nettement asynchrones. Ces résultats vont dans le sens de la théorie des niches. Cependant, ils montrent aussi que 2 des 4 espèces sont indissociables sur ces 2 propriétés, ce qui corrobore la théorie neutre de la biodiversité. Ces résultats fournissent ainsi les premiers arguments empiriques en faveur d’une théorie unifiée de la biodiversité qui explique que des espèces en compétition peuvent coexister si elles sont écologiquement soit très similaires, soit très différentes. Ces travaux, réalisés grâce au soutien financier de la Région Rhône-Alpes, ont permis de recueillir de données capitales et ainsi de mettre en lumière la pertinence du système pilote développé pour étudier les mécanismes qui sous-tendent la biodiversité. Ces résultats encourageants ont permis d’étendre le programme de recherche, de développer des collaborations locales (Université Lyon 1, INSA), nationales (Université de Tours) et internationales (Université de Cardiff, Grande-Bretagne), et d’obtenir un financement de 4 ans par l’Agence Nationale de la Recherche. Balanin en vol © Pierre-François Pélisson/Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive UMR CNRS 5558 155 58 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES La biodiversité du sol, un trésor caché Les forêts en Rhône-Alpes hébergent une grande biodiversité, mais elles sont aussi un réservoir convoité d’énergie renouvelable. Le passage annoncé vers une sylviculture écologiquement intensive repose sur une évaluation pertinente de la qualité des écosystèmes forestiers soumis aux actions de l’homme et au climat. La prise en compte de la biodiversité du sol offre des perspectives intéressantes pour augmenter la palette d’indicateurs qui renseignent sur la sensibilité des forêts, aussi bien aux changements de conditions abiotiques qu’aux changements fonctionnels au sein des systèmes écologiques. La biodiversité en forêt, témoin de la qualité de notre environnement L’évaluation de la biodiversité des sols d’habitats forestiers présente aujourd’hui un intérêt majeur pour la définition de niveaux de qualité du sol. L’utilisation de la faune du sol comme indicateur de qualité connaît un réel essor et des normalisations voient le jour (Normes AFNOR ISO 23611-1/4). Dans le contexte actuel de réinvestissement dans les énergies renouvelables (bois-énergie) et de mise en place d’une sylviculture écologiquement intensive, de tels bio-indicateurs permettent d’évaluer les effets de l’exploitation ou le suivi et le maintien d’habitats forestiers d’intérêts prioritaires. La Chartreuse, un terrain d’étude pour les scientifiques Dans ce contexte, la Région Rhône-Alpes, et plus particulièrement le massif de la Chartreuse, ont financé la mise en place d’études dans des sites forestiers gérés et non gérés (îlots de vieillisse- ments), ainsi que des mises au point d’outils pour le suivi à plus ou moins long terme de ces forêts afin d’évaluer l’impact de divers forçages climatiques et anthropiques sur la qualité des sols forestiers. La forêt de Chartreuse © Jean-Jacques Brun/Cemagref 156 Sur les territoires forestiers du massif de la Chartreuse, les chercheurs ont mis en place un réseau de placettes d’échantillonnage, avec notamment l’appui de l’ONF. Des placettes complémentaires ont également été établies en périphérie du Parc Naturel Régional de Chartreuse, ainsi que sur la Réserve des Hauts de Chartreuse. La qualité biologique des sols des différents habitats forestiers a été évaluée à partir d’un indice synthétique : l’IBQS (Indice Biologique de la Qualité des sols), qui prend en compte l’ensemble des communautés de macro-invertébrés comme bio-indicateurs de l’état physique, chimique et écologique des sols. Une note de qualité comprise entre 0 et 20 est alors attribuée en fonction de l’abondance et de la diversité rencontrées sur chaque placette d’étude. Nécessité des démarches de conservation et de gestion de nos forêts Cette étude a permis une bonne connaissance des différentes communautés de la faune du sol dans les habitats forestiers et a mis en évidence les conséquences de certaines pratiques, sur ces milieux. Elle a également permis de mettre en lumière le patrimoine de biodiversité présent dans certains sols forestiers. C’est le cas notamment des « érablaies de ravins », petites formations forestières très localisées dont les sols renferment une grande biodiversité. La biomasse totale des communautés de macroinvertébrés y est très importante, avec une diversité remarquable de taxons. Ces résultats nous permettent de conforter les démarches de conservation conduites par les gestionnaires du Parc Naturel Régional et de la Réserve Naturelle des Hauts de Chartreuse. D’autres formations, plus largement répandues comme la hêtraie-sapinière ou encore les pessières ont fourni des résultats plus contrastés. Des indices plus faibles ont été obtenus pour les écosystèmes soumis à une exploitation forestière régulière ; on assiste alors à une modification structurale des communautés faunistiques, en lien avec la pression de gestion. La valeur tout à fait remarquable de l’indicateur IBQS observée dans les îlots de vieillissement, riches en bois mort, témoigne de l’importance patrimoniale de ces forêts où toute sylviculture est exclue. Indice biologique de le qualité des sols IBQS 0 5 Hêtraie Sapinière avec ilôts Erablaie Pinède à crochet 10 15 20 Hêtraie Sapinière non gérée Hêtraie Sapinière gérée La biodiversité du sol, une « assurance qualité » Îlot forestier de vieillissement en Chartreuse © Jean-Jacques Brun/Cemagref EN SAVOIR + www.cemagref.fr/les-contacts/les-pagespersonnelles-professionnelles/brun-jean-jacques La biodiversité du sol est méconnue, pourtant elle représente un quart de la biodiversité totale du monde vivant. En forêts de montagne, nos travaux indiquent que les îlots de vieillissement et les érablaies de ravins sont favorables à cette biodiversité. Il est donc indispensable que ces petits écosystèmes forestiers dont les sols sont riches en organismes vivants soient favorisés par la gestion forestière. 157 59 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Des feuilles mortes pour nourrir les rivières Les invertébrés aquatiques ont un rôle écologique essentiel dans le fonctionnement des milieux aquatiques. Les pressions humaines liées à l’occupation des sols (urbanisation, agriculture intensive, aménagement des cours d’eau, déboisement) entraînent certes des pertes d’habitats, mais aussi de ressources nutritives liés aux chutes des feuilles automnales. Les pollutions générées par ces activités humaines peuvent aussi impacter directement les invertébrés et modifier leur diversité, leur abondance spécifique et, au-delà, leur capacité à assurer leurs fonctions écologiques. Les invertébrés, témoins de la qualité des cours d’eau Dans les systèmes aquatiques, outre la photosynthèse, qui correspond à une production endogène de matière organique, l’apport de matière organique particulaire (MOP) par le bassin versant est essentielle, tout particulièrement pour les petits cours d’eau en tête de bassin. En effet, les feuilles d’arbres et débris végétaux arrivés dans le cours d’eau sont consommés par de nombreux invertébrés (organismes déchiqueteurs) qui fragmentent et assimilent cette MOP. Cette biodiversité aquatique peut cependant être réduite en cas de pollution des milieux. De nombreuses études ont Une expérience grandeur nature Des équipes du Cemagref (Unité Milieux Aquatiques, Écologie et Pollutions) et du Laboratoire d’Écologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés ont étudié, durant plusieurs saisons, la dégradation de litière de feuilles d’aulne (arbre banal en bordure de cours d’eau et servant de modèle d’étude) sur le site atelier Ardières-Morcille de la ZABR. La méthode consiste à immerger des sacs grillagés contenant des feuilles pendant 2 à 6 semaines et, par des prélèvements à intervalles réguliers, à calculer la masse de feuilles consommées et à caractériser la biodiversité des invertébrés retrouvés dans les sacs ou dans le cours d’eau. En complément, les équipes ont étudié les communautés microbiennes qui contribuent également à cette dégradation. Un site de référence © Bernard Montuelle/Cemagref 158 ainsi montré que la diversité des invertébrés aquatiques était un bio-indicateur de la qualité ou du niveau de dégradation des milieux aquatiques (indicateur normalisé de type IBGN par exemple). En Rhône-Alpes, les petits cours d’eau sont particulièrement nombreux et, dans un contexte environnemental très varié (de la zone montagnarde à la zone périurbaine), parfois soumis à de nombreuses pressions polluantes. Un indicateur basé sur le potentiel de dégradation des litières de feuilles et associé à un indicateur de biodiversité des invertébrés revêt donc un intérêt particulier. Plaine maraîchère (69). Les activités humaines peuvent avoir un impact sur les cours d’eau à proximité et sur les invertébrés qui les habitent - © Photothèque Région Rhône-Alpes/Jean-Luc Rigaux Vers un outil d’aide à la décision pour évaluer l’impact des activités humaines Les travaux réalisés par les équipes de RhôneAlpes ont montré que la qualité de l’environnement aquatique influence fortement le potentiel de biodégradation (exprimé en perte de masse foliaire). En particulier, la présence de toxiques liés aux zones de viticulture réduit de façon drastique ce potentiel en éliminant certains des organismes déchiqueteurs les plus efficaces, comme par exemple le macrocrustacé Gammarus. On a également observé que la part de biodégradation liée à l’action des invertébrés est très supérieure à celle des microorganismes, autres décomposeurs de MO. Il est également possible de relier des niveaux de biodégradation au type d’occupation des sols et à la situation du site étudié par rapport au bassin versant (plus on va vers l’aval, plus la pollution est importante). Des travaux en cours, réalisés dans le cadre de collaborations (Université de Toulouse) et programmes nationaux (ANR InbioProcess), testent d’autres systèmes d’étude de terrain. Les bases scientifiques actuelles permettent d’espérer la mise au point d’un outil d’aide à la décision, utilisable par des gestionnaires pour évaluer un impact ou suivre les bénéfices environnementaux d’opérations de terrain. EN SAVOIR + http://www.cemagref.fr/le-cemagref/lorganisation/les-centres/lyon/ur-maly http://umr5023.univ-lyon1.fr/index.php?pid=419&lang=fr http://inbioprocess.fr/ Les interactions entre chercheurs du Cemagref et de l’Université Lyon 1, encouragées par l’action structurante de Cluster Environnement, ont permis l’émergence de cette problématique originale, tant du point de vue des méthodes utilisées (approches combinées macro- et microbiologiques) que des perturbations considérées (ici, la viticulture). 159 60 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Comment va le Rhône ? Avant les grands travaux d’aménagement menés au XXe siècle, le Rhône présentait une biodiversité très riche. L’endiguement du fleuve, la construction de 22 barrages entre le Léman et la mer, la modification importante des flux liquides et solides, ainsi que les différentes pressions (pollutions, pompages…) ont entraîné en quelques décennies des modifications profondes du fonctionnement de l’écosystème fluvial et une altération importante de sa biodiversité. Depuis les années 1990, des actions de restauration ont été entreprises et un programme a été consacré à l’apron du Rhône afin de mieux comprendre les raisons de son déclin et d’étudier les possibilités de réhabilitation de cette espèce. Les premiers résultats sont encourageants, mais les caractéristiques initiales et originales du fleuve ne seront sans doute jamais restaurées. Biodiversité du Rhône et disparition d’espèces : il est nécessaire de restaurer le f leuve Le Rhône était autrefois caractérisé par l’existence de flux hydriques et solides importants qui lui conféraient une dynamique fluviale générant une grande diversité d’habitats. L’aménagement a provoqué des altérations importantes de ces processus naturels, fragmentant le système fluvial et réduisant considérablement la diversité des habitats et leur connectivité. Parmi les conséquences majeures figurent la disparition ou la raréfaction de bon nombre d’espèces caractéristiques des habitats très courants, ainsi qu’une homogénéisation des habitats de la plaine alluUne section courante du vieux Rhône de Chautagne après augmentation du débit réservé (septembre 2010) © Jean-Michel Olivier/UCBL 160 viale. Depuis le milieu des années 1990 et la mise en place du Plan Rhône, les gestionnaires s’attachent à améliorer le fonctionnement écologique du fleuve par des actions de restauration écologique dans certains tronçons court-circuités (augmentation des débits réservés, réhabilitation des annexes fluviales). La volonté affichée de restaurer les milieux alluviaux et d’améliorer le fonctionnement du fleuve aménagé a nécessité une recherche méthodologique, afin de proposer des indicateurs permettant d’évaluer les effets de la restauration. Les chercheurs étudient les effets des actions de restauration sur les invertébrés, les poissons et les végétaux Les connaissances récentes accumulées sur la structuration des habitats et des espèces dans le corridor fluvial du Rhône ont montré que : les forêts alluviales le long du cours du Rhône ont été fortement altérées par l’anthropisation et l’abaissement des nappes phréatiques. Seuls quelques lambeaux subsistent (comme par exemple la saulaie blanche, la frênaie-ormaie ou la forêt mixte de la réserve naturelle de la Platière) ; les espèces de végétaux amphibies typiques des grèves favorisées par un régime de hautes eaux printanières ne sont plus présentes qu’à l’état relictuel ; la structuration originale des peuplements de poissons était caractérisée autrefois par la présence sur la quasi-totalité du cours de grands migrateurs et d’espèces évoluant dans les zones de courant. Elle a été fortement modifiée au cours du XXe siècle. On distingue aujourd’hui une zone où subsistent des populations de truites et d’ombres communs à l’amont de la confluence avec la Saône, et une zone d’espèces moins exigeantes sur le plan écologique à l’aval (gardon, chevaine, ablette, brème). La réponse des peuplements aquatiques à la restauration écologique commence à être perceptible (les chercheurs ont ainsi constaté une bonne réponse des poissons et des invertébrés à Pierre-Bénite suite à une action de restauration en 2000) ; la réponse des communautés dans les annexes restaurées (rétablissement de connexions entre les habitats) n’est pas encore perceptible de façon significative ; la présence d’espèces venues d’ailleurs (silure, jussie…) peut interférer avec la réponse des organismes aux actions de restauration ; les indicateurs de la restauration des habitats sont validés, mais la caractérisation précise du changement de fonctionnement écologique engendré par la restauration n’est pas encore effective. Finalement, l’état du Rhône peut être considéré comme très dégradé par rapport à son état au début du XIXe siècle : l’écosystème est aujourd’hui très contraint et la dynamique fluviale fortement réduite. Le programme de restauration hydraulique et écologique du Rhône a permis depuis une quinzaine d’années de définir de nouvelles problématiques visant à mesurer les effets des actions de restauration. Elles permettent d’acquérir un grand nombre de données avec des protocoles standardisés. Plus récemment, des travaux de recherche sur l’impact des EN SAVOIR micropolluants ou l’influence des facteurs thermiques http://restaurationrhone.univ-lyon1.fr/ et hydrologiques sur les organismes aquatiques ont été initiés afin de mieux évaluer les conditions nécessaires à l’amélioration de la biodiversité du Rhône. La mise en œuvre de la Directive Cadre Européenne sur l’eau et son application pour le Rhône devraient également stimuler les actions de réhabilitation. + 161 61 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Les microorganismes travaillent pour nous Les biofilms ont un rôle particulièrement important au sein des petits cours d’eau. Ce sont des assemblages complexes de microorganismes (bactéries, algues, champignons) réunis dans une substance visqueuse, le mucilage, qui leur confèrent une certaine structure. Ils représentent une ressource nutritive importante pour le réseau trophique, et jouent un rôle d’autoépuration en biodégradant certains composés organiques et minéraux et, parfois, certains toxiques. Ils interagissent rapidement avec les substances dissoutes et ils s’adaptent vite aux changements environnementaux. À ce titre, ils sont des indicateurs précoces de ces changements et peuvent se révéler utiles dans des démarches d’évaluation d’impact en milieu aquatique. Les biofilms, révélateurs de la « santé » des cours d’eau Les petits cours d’eau sont une composante essentielle des écosystèmes aquatiques en Rhône-Alpes, que ce soit en zones rurales (montagne en particulier) ou en zones périurbaines. Ils sont soumis à des pressions chimiques variées (nutriments, pesticides, métaux, etc.), en particulier dans certains secteurs comme les zones périurbaines (rejets de station d’épuration) ou les zones de viticulture et d’arboriculture très développées en Rhône-Alpes (résidus de produits phytosanitaires). L’analyse détaillée de la diversité, de la structure et des fonctions des biofilms permet d’évaluer la pollution dans l’espace et dans le temps, grâce à ses effets physiologiques et structuraux sur les communautés microbiennes. Actuellement, on utilise un indicateur basé sur la diversité des algues présentes dans les biofilms (les diatomées). Cependant, cet indicateur est essentiellement adapté aux polluants d’origine organique et minérale. Les recherches en cours ont donc pour objectif de proposer d’autres méthodes permettant non seulement d’évaluer des effets de substances sur les milieux aquatiques, mais aussi de comprendre la dynamique des processus de récupération des milieux suite à des opérations de restauration. Des recherches basées sur des expériences en milieu réel et des travaux en laboratoire Débutées vers 2003, les recherches sur les biofilms se sont particulièrement orientées sur l’évaluation de l’effet de pesticides en zones viticoles. Depuis cette date, des équipes pluridisciplinaires de la région (écologie microbienne, chimie, biologie moléculaire, taxonomie algale) appartenant essentiellement au Cemagref de Lyon et à l’INRA de Thonon rassemblent leurs compétences. 162 Biofilm de rivière – © Cemagref/Dutartre A. Des équipements de terrain, installés sur le site Atelier Ardières-Morcille de la Zone Atelier du Bassin du Rhône, et des plateformes reproduisant des milieux artificiels (à l’INRA et à l’ENTPE) permettent des expérimentations variées. Réaction des biofilms aux pollutions Les recherches ont montré que la diversité et les fonctions environnementales des biofilms réagissent aux contaminations toxiques : on constate un changement de diversité bactérienne et algale, le développement de capacités de biodégradation de pesticides après contact avec ces composés, et l’acquisition d’une tolérance des communautés microbiennes des biofilms à la contamination (sélection des espèces les moins sensibles). Les approches de terrain et en systèmes expérimentaux ont permis de caractériser l’importance des facteurs environnementaux naturels, comme le niveau d’éclairement ou le régime hydraulique, sur la dynamique des biofilms et sur leur réponse aux contaminants. Des coopérations se sont engagées depuis quelques années avec le Département des Sciences de l’Environnement de l’Université de Girona (Espagne). Ces travaux de recherche ont été appuyés par la mise en place d’un doctorat co-dirigé par l’INRA et le Cemagref. Ils ont donné lieu à plusieurs publications scientifiques internationales, ainsi qu’à l’élaboration d’articles et de fiches techniques afin d’en communiquer les résultats aux gestionnaires et collectivités. EN SAVOIR + www.cemagref.fr/le-cemagref/lorganisation/les-centres/lyon/ur-maly Cours d’eau de la Morcille où les chercheurs prélèvent des biofilms – © Cemagref 163 62 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Les karsts ne filtrent pas l’eau Le passage de la matière organique des sols aux eaux souterraines constitue l’une des clés de la protection des ressources en eau. En effet, ces matières organiques sont bien souvent contaminées par des polluants organiques ou métalliques. Le sol joue non seulement un rôle d’épurateur, mais aussi de source de carbone et de contaminants. Ces stocks de matière organique polluée présents dans les sols peuvent, dans certaines conditions, se retrouver rapidement dans les eaux souterraines, lors d’événements climatiques exceptionnels ou à la suite d’activités humaines. Les milieux calcaires, ou karstiques, présentent des spécificités étudiées par les chercheurs rhônalpins. Des paysages naturels vulnérables Le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion de l’Eau du bassin Rhône-Méditerranée fait spécifiquement référence à la vulnérabilité des eaux souterraines en milieu karstique. En effet, ces milieux sont caractérisés par des écoulements rapides liés au creusement de réseaux souterrains (grottes, avens) qui ne présentent qu’un faible pouvoir épurateur naturel. En Rhône-Alpes, les eaux souterraines karstiques sont essentiellement situées en moyenne montagne. Les sols y sont généralement peu développés et ont été parfois contaminés par des activités anciennes ou marqués par le pastoralisme qui a entraîné l’érosion des sols et la disparition de la couverture forestière. À ces stigmates anciens s’ajoutent les retombées de polluants gazeux et particulaires atmosphériques qui font des sols de moyenne montagne des puits à contaminants organiques tels les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). 164 Lors de l’infiltration de l’eau dans les sols, une partie des matières organiques est transférée sous forme dissoute ou particulaire vers les eaux souterraines. Ce flux constitue l’un des points de vulnérabilité des eaux karstiques. L’enjeu des recherches menées est de fournir des clés permettant de mieux gérer les conséquences des pratiques actuelles (sylviculture, aménagements) sur ce flux de matières organiques. Coupe d’un sol charbonné dans le Vercors. On observe la semelle de labour révélant les pratiques anciennes et limitant la contamination par les charbons (et HAP) aux horizons supérieurs © Yves Perrette/EDYTEM Outils de recherche : de l’étude des stalagmites à la surveillance de terrain La stratégie mise en œuvre dans la région RhôneAlpes pour mieux comprendre les flux de matières organiques s’est développée selon trois axes : La caractérisation chimique et physique (taille, forme, etc.) des matières organiques transférées dans l’environnement, par des méthodes permettant leur suivi dans les différents compartiments impliqués : sols, karst, eau, stalagmites, sédiments ; La surveillance en milieu naturel, réalisée à l’échelle des entrées d’eau dans le massif karstique (site expérimental des Élaphes, massif des Bauges - Savoie) et d’un bassin versant complet (Grottes de Choranche - Isère) ; L’approche rétrospective de ce flux par l’étude du piégeage des matières organiques dans les archives naturelles (stalagmites notamment). Site expérimental de la grotte des Élaphes (plateau du Revard Savoie). Ce site a été instrumenté par le soutien de l’Université de Savoie et a permis de préciser le rôle des sols de moyenne montagne dans le flux de matières organiques © Stéphane Jaillet/EDYTEM Aux origines des contaminations Les activités humaines anciennes ont marqué le paysage et les stocks de matières organiques. En effet, des produits moléculaires issus de la combustion associée au charbonnage (les HAP notamment) restent présents dans les sols plus de 100 ans après l’interruption des activités, et constituent une origine potentielle du flux actuel de contaminants vers les eaux naturelles. Les chercheurs parviennent maintenant à déterminer la source des matières organiques présentes dans l’environnement et à identifier leur origine dans les écoulements étudiés (rivière souterraine, infiltration...). Ces résultats ont notamment permis d’élaborer les périmètres de protection lors de la procédure de classement des grottes de Choranche au titre de site naturel. Ces travaux ont donné lieu à une rencontre scientifique régionale, ainsi qu’à de nombreuses interventions dans le cadre des Journées de la science de Choranche. De plus, ces méthodes de caractérisation des flux de matières organiques sont actuellement mises en œuvre afin d’évaluer l’impact des activités forestières sur la qualité des eaux karstiques dans le cadre d’un programme européen impliquant notamment Chambéry Métropole. Paysage de la forêt des Coulmes (Vercors) – Fabien Hobléa/EDYTEM Les équipes qui ont participé à ces recherches sont issues des centres lyonnais, grenoblois et chambériens. Ce travail a été conduit dans une approche interdisciplinaire, par des laboratoires de chimie (Laboratoire de Chimie Moléculaire et Environnement), de science de la vie (INRA, EN SAVOIR Cemagref de Lyon), de géoscience (Environnements, DYnamiques http://edytem.univ-savoie.fr et Territoires de Montagne) et de physique (Laboratoire Structure et Propriétés d’Architectures Moléculaires du CEA). + 165 63 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Pourquoi des arbres au bord de l’eau ? Les espaces en bordure de cours d’eau abritent des formations boisées que l’on nomme « ripisylves » ou « corridors rivulaires ». Ils peuvent être définis comme la zone d’interaction entre la rivière et la végétation qui la borde, et constituent un facteur clé du fonctionnement de « l’écosystème rivière » du fait de leur participation aux processus physiques, biogéochimiques et écologiques. Ces corridors rivulaires constituent en particulier des « zones tampons » capables de piéger les apports provenant du bassin versant. Ce sont également des composantes fortes et incontournables du paysage, ainsi que des zones de repos et de loisir pour le public. Les ripisylves, éléments de la nature Les corridors rivulaires se situent à l’interface entre le milieu aquatique et le milieu terrestre. Ce sont des zones de transition que l’on nomme « écotones ». Caractérisés, à l’état naturel, par une forte productivité biologique et une importante biodiversité, ils fournissent habitats et refuges aux espèces inféodées à ces milieux ainsi qu’à celles des milieux adjacents. La dynamique du cours d’eau y entretient une structure hétérogène, fréquemment remaniée, qui favo- rise une grande diversité d’habitats. Le chevelu racinaire des arbres (saules, aulnes, etc.) stabilise les berges et constitue des zones d’abri pour les espèces aquatiques. Lorsque les arbres tombent dans le cours d’eau, ils participent à la diversification des habitats et peuvent modifier sensiblement la morphologie du lit. Enfin, l’ombre que procure le couvert végétal limite l’élévation de la température et la lumière atteignant le cours d’eau, régulant ainsi la croissance des algues. Ripisylves et dynamique f luviale La dynamique fluviale, dont les crues constituent le moteur, implique que toutes les rivières bougent et débordent un jour ou l’autre. Le corridor rivulaire s’accommode sans difficultés des phénomènes de crues : il s’agit non seulement d’un espace de liberté pour la rivière, mais également d’un espace de sécurité pour les riverains qui sont alors à bonne distance du cours d’eau, ce qui limite la vulnérabilité des biens et des personnes. Ces bénéfices ne concernent pas uniquement les riverains immédiats. En effet, le maintien d’une bande rivulaire dans laquelle les débordements pourront s’exercer sans grand dommage réduit la contrainte hydrologique qui s’exerce sur les zones plus vulnérables situées à l’aval. Une zone rivulaire inondable et boisée joue le rôle de ralentisseur des crues, diminuant 166 sensiblement le risque d’inondation. Un corridor rivulaire boisé limite les vitesses de courant dans les zones inondées, et donc les dégâts occasionnés aux cultures, souvent liés à la vitesse de l’eau plus qu’à la durée de submersion. Bien sûr, cet espace ne suffit pas à protéger le lit majeur contre les grandes inondations, et les protections localisées des zones sensibles restent nécessaires. Les ripisylves, filtres protecteurs Les zones boisées en bord de cours d’eau ont la capacité de piéger sédiments, nutriments et pesticides apportés en excès par un bassin versant anthropisé. Ainsi, la mise en place de zones tampons (bandes enherbées ou ripisylves) permet de réduire les pollutions diffuses d’origine agricole, dans la mesure où ces dispositifs ne sont pas court-circuités par des aménagements de drainage. Leur efficacité varie selon les polluants et tient principalement au ralentissement de l’écoulement, ainsi qu’à une perméabilité favorisée par un couvert végétal permanent. Vue aérienne de l’Orb (Hérault) © Jean-René Malavoi/ONEMA EN SAVOIR + Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité. L’arbre, la rivière et l’homme. Paris : Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, 2008, 64 p. Compte tenu des caractéristiques des ripisylves et des enjeux qui y sont associés, les chercheurs ont développé des outils de caractérisation à large échelle des espaces riverains à partir de données satellitaires ou aériennes. Ils permettent de mieux comprendre la composition des espaces, leur agencement le long des cours d’eau, d’en construire des indicateurs et de les mettre en relation avec les caractéristiques biologiques des cours d’eau. La Semine, massif du Jura Sud (Ain) © Yves Souchon/Cemagref 167 64 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Des poissons emblèmes de nos grands lacs Les communautés piscicoles des grands lacs de la région sont pêchées par des professionnels et des amateurs regroupés en associations qui échangent leurs points de vue avec l’État gestionnaire. Le déclin des communautés observé dans les années 1980 a conduit à la création d’une équipe de recherche qui étudie l’écologie des poissons, l’efficacité de l’alevinage et les conséquences du changement global : eutrophisation, réchauffement, gestion et pêche. Ces changements expliquent la bonne dynamique du corégone dans le Léman et le lac du Bourget, mais la moindre croissance de la perche au Léman ou du corégone au lac d’Annecy. Les poissons d’eau froide (corégone, omble, truite) ne répondent pas au réchauffement comme les espèces d’eau chaude (gardon, carpe, tanche). Les perturbations climatiques récentes posent de nouvelles questions de recherche. Des espèces emblématiques rescapées de l’eutrophisation L’omble chevalier et le corégone (lavaret du Bourget, féra du Léman et d’Annecy) sont des espèces emblématiques des communautés L’omble chevalier est le poisson le plus emblématique des grands lacs alpins © Daniel Gerdeaux /INRA Ces espèces ont été introduites à la fin du XIXe siècle dans le lac d’Annecy. La truite lacustre, la perche, le sandre (au Bourget seulement) et la lotte comptent également parmi les espèces recherchées par les pêcheurs professionnels ou amateurs. L’eutrophisation des lacs a mis en péril l’omble et le corégone, qui pondent en hiver sur le fond des lacs. La survie des œufs, dont le développement dure environ 3 mois, est compromise 168 piscicoles des grands lacs rhônalpins. Elles sont autochtones dans le Léman et le lac du Bourget. Le corégone se reproduit en hiver et dans peu d’eau sur les fonds caillouteux du lac d’Annecy – Daniel Gerdeaux/INRA par la sédimentation accrue qui colmate les fonds et les désoxygène, suite à la prolifération des algues. Dans les années 1980, après le pic d’eutrophisation, la pêche de ces espèces a fortement décliné. Face à cette situation, la solution palliative immédiate pour les gestionnaires est le recours au soutien des populations par alevinage et l’adaptation de la pêche aux changements de biologie des poissons. Les recherches entreprises ont ainsi porté sur l’évaluation de l’efficacité de l’alevinage, la biologie des espèces en relation avec l’eutrophisation, l’analyse et l’amélioration des statistiques de pêche. L’eutrophisation suivie d’un retour à un meilleur niveau trophique ne sera bientôt plus la préoccupation principale. Les questions liées aux perturbations climatiques et aux micropolluants sont aujourd’hui prioritaires, bien que la question des PCB ait préoccupé les scientifiques dès les années 1980. C’est le changement récent dans les normes sanitaires qui relance le questionnement sur les PCB. Un rapprochement des pêcheurs des 3 lacs soutenu par la Région, en collaboration avec les chercheurs Les grands lacs rhônalpins sont pour la majorité de leur surface des lacs domaniaux dont l’État est gestionnaire. La pêche est pratiquée par des pêcheurs professionnels et amateurs regroupés en associations. La réglementation est spécifique à chaque lac et les arrêtés de gestion relèvent de la responsabilité du préfet. L’équipe de chercheurs impliquée dans la gestion piscicole lacustre a été créée en 1982 pour répondre aux questions des gestionnaires réunis dans des commis- sions locales consultatives par les préfets. Les premières questions posées portaient sur l’efficacité de l’alevinage, la compétition alimentaire possible entre le gardon qui proliférait et le corégone, les méthodes de suivi de la pêche et des stocks. Les pêcheurs professionnels et amateurs en bateau ont accepté la mise en place de carnets de statistiques journalières. Une fois la rentabilité écologique et économique de l’alevinage démontrée, les pêcheurs se sont regroupés dans une association inter-lacs pour soutenir un projet de modernisation et d’agrandissement de la pisciculture domaniale de Thonon, soutenu financièrement par la Région. Un pêcheur professionnel relevant ses filets au lever du soleil © Daniel Gerdeaux /INRA Un amateur pêche à la sonde, ligne plombée dont l’hameçon comporte une imitation de nymphe d’insecte © Daniel Gerdeaux/INRA 169 Le Concordat franco-suisse pour la pêche au Léman signé en 1980 a été un élément très favorable à cette dynamique de recherche pour une meilleure gestion piscicole. Il existait alors beaucoup de différences de pratique de pêche et de gestion entre ces deux pays qui exploitaient un même stock. Un groupe « recherche piscicole » a été créé pour recevoir et répondre aux questions posées. L’harmonisation a nécessité plus de 10 ans. Aujourd’hui, la pêche est bien coordonnée entre les deux pays. L’équipe permanente de chercheurs INRA (5 scientifiques) à Thonon a bénéficié de toutes ces dynamiques. Elle s’appuie sur les statistiques fournies par les pêcheurs, des données complémentaires qu’elle collecte elle-même, la pisciculture domaniale de Thonon et sa propre pisciculture expérimentale. Restauration de la qualité des eaux lacustres, climat et alevinages : trois clés de la dynamique piscicole L’analyse sur le long terme des statistiques de capture montre des tendances variables suivant les espèces et le lac. La restauration de la qualité des eaux du Léman et du lac du Bourget, l’effort accru d’alevinage et le réchauffement des années 1990 entrent en synergie pour expliquer la forte augmentation des captures de corégone. Les captures de féra dans le Léman dépassent 300 tonnes aujourd’hui. L’effort d’alevinage explique pour partie ces changements, mais la courbe d’alevinage doit être décalée de 7 ans (deux générations) pour se confondre avec la courbe des captures, car ce sont davantage les descendants des alevins que les alevins euxmêmes qui contribuent à augmenter la pêche, dans la mesure où le lac est plus propre et le climat plus favorable. L’étude comparée des captures dans 11 lacs français et suisses confirme cette tendance : un lac eutrophe est favorable à la perche alors que le corégone devient prépondérant quand la qualité de l’eau est restaurée. 400 1000 900 350 800 300 700 250 600 200 400 150 300 100 200 50 100 0 0 1975 1980 1985 1990 1995 2000 Le corégone au Léman : captures et effort d’alevinage 7 ans avant les captures – © Daniel Gerdeaux/INRA alevinage en milliers d’alevins captures en tonnes 7 ans après l’alevinage 170 capture en tonnes alevinage en milliers 500 Quand l’eutrophisation décroît, les ressources alimentaires accessibles aux poissons diminuent : la perche grandit moins vite au Léman, tout comme le corégone au lac d’Annecy. Il est nécessaire de prendre en compte ces changements et d’ajuster la gestion piscicole. Le réchauffement est un fait enregistré dans les suivis des grands lacs de la région. La température annuelle moyenne du Léman a ainsi augmenté de plus de 1°C en 20 ans. Cette augmentation entraîne des modifications dans l’écologie des différentes espèces : les poissons d’eau froide, comme l’omble et le corégone, retardent leur reproduction car l’eau est plus chaude en automne. Le gardon, poisson d’eau plus chaude, avance sa reproduction de deux semaines alors que le comportement reproducteur de la perche reste inchangé. Auparavant, la reproduction de la perche précédait d’environ un mois celle du gardon. Les jeunes perches avaient à leur disposition des proies de bonne taille alors qu’aujourd’hui, la croissance avancée des alevins de gardon réduit la disponibilité de cette source de nourriture pour les jeunes perches. Les changements dans les stocks piscicoles dépendent de nombreux facteurs difficiles à prendre en compte simultanément à tous les niveaux de l’écosystème. Le suivi à long terme apportera quelques réponses et confortera certaines pistes de recherche. EN SAVOIR + www.thonon.inra.fr Les forces scientifiques en Rhône-Alpes : formée au début des années 1980, l’équipe de recherche de l’INRA à Thonon se compose aujourd’hui de 5 scientifiques et de 3 techniciens ; les recherches halieutiques sont conduites en collaboration avec les services de l’État et les associations de pêcheurs. Une cellule technique régionale de l’ONEMA basée à Thonon (1 ingénieur et 4 agents) est spécialisée dans les lacs et l’échantillonnage piscicole pour répondre à la Directive Cadre sur l’Eau. Le Lac du Bourget (73) © Photothèque Région Rhône-Alpes/ Jean-Luc Rigaux 171 65 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Des grands lacs alpins sous inf luence Depuis des siècles, les grands lacs alpins sont soumis à des pressions anthropiques directes ou indirectes qui modifient l’état et le fonctionnement des écosystèmes les constituant. La tendance récente au réchauffement et à la contamination des eaux par des micropolluants engendre de nouvelles contraintes qui pèsent sur la qualité écologique de ces lacs à peine « remis » d’une phase d’eutrophisation (pollution par excès de phosphore). Sur le terrain, chercheurs et gestionnaires collaborent pour poursuivre la restauration de la qualité des lacs et analyser les effets des évolutions environnementales en cours. Les grands lacs péri-alpins sont des lacs profonds tempérés soumis de longue date à des processus d’anthropisation. L’état de ces lacs est un indicateur synthétique de la qualité de l’environnement et du développement régional. Ici le lac du Bourget © Photothèque Région RhôneAlpes/Jean-Luc Rigaux Des contraintes environnementales qui évoluent Historiquement, l’anthropisation des grands lacs alpins débute par l’artificialisation des berges et par l’introduction de nouvelles espèces de poissons. Dans les années 1960, ces lacs, comme la plupart de ceux situés dans des pays à fort développement, sont menacés par l’eutrophisation. Entre 1970 et 1990, la maîtrise des eaux usées domestiques permet des réductions spectaculaires des concentrations en phosphore. Toutefois pour le Léman et le Bourget, ce succès ne s’accompagne pas d’une restauration complète de la qualité et de la transparence des eaux, ce qui soulève un débat sur la possibilité réelle de restaurer la « bonne qualité écologique » originelle. A ces interrogations s’ajoutent des perspectives inquiétantes : la remise en cause de la qualité de la pêche du fait de teneurs trop élevées (localement) en certains micropolluants organiques persistants, la puissance du développement urbain autour des lacs (accroissement des pollutions diffuses) et enfin le changement climatique attendu. Ces nouvelles contraintes exercées sur des écosystèmes « convalescents » ne pourraient-elles pas, à terme, remettre en cause les acquis obtenus par la lutte contre l’eutrophisation? Malgré ces inquiétudes, les progrès réalisés en matière de qualité des eaux de nos grands lacs restent exemplaires. En effet, presque partout ailleurs dans le monde, l’eutrophisation stagne ou progresse (particulièrement dans les pays émergents) ; elle tend même à devenir une composante majeure du changement global qui affecte les milieux aquatiques continentaux. Ce constat incite les chercheurs à s’organiser pour donner une portée générale, scientifique et opérationnelle, à l’expérience régionale de restauration des lacs. L’ambition est de contribuer à l’émergence de modèles de gestion économisant les ressources en eau et en phosphore. Un observatoire pour structurer les recherches sur les grands lacs Pour identifier et évaluer les modifications écologiques ayant affecté les systèmes lacustres, les chercheurs dépouillent les « archives » naturelles contenues dans les sédiments anciens du fond 172 des lacs. Les suivis de terrain, portant sur la qualité des eaux, la biodiversité planctonique, les peuplements de poissons, les apports des affluents, etc., constituent une source précieuse et complé- mentaire d’information. Cette surveillance est réalisée en partenariat avec les gestionnaires des lacs (CIPEL pour le Léman, CISALB pour le Bourget et SILA à Annecy) dans le cadre de contrats de recherche. Les résultats alimentent une base de donnée « lacs » gérée par l’INRA et ouverte aux demandes extérieures. Les chercheurs se sont organisés en un observatoire des grands lacs péri-alpins qui rassemble une dizaine de laboratoires de recherche (dont 4 de la région) s’intéressant à l’évolution à long terme des systèmes lacustres et des relations entre les lacs et les bassins versants, aux mécanismes et impacts de la pollution et aux processus écologiques. L’observatoire est associé à la Zone Atelier du Bassin du Rhône et labellisé SOERE (« Système d’Observation d’Expérimentation et de Recherche en Environnement ») depuis 2010. Des travaux de référence pour la restauration des milieux lacustres L’eutrophisation se traduit par une accumulation de biomasse végétale (notamment de plancton) ; ses conséquences sont équivalentes à celle d’une pollution organique. Le retour à une eau de qualité (restauration) n’est pas un phénomène linéaire et simplement dépendant de la baisse des teneurs en phosphore des eaux: c’est le produit d’une lente évolution physicochimique et biologique dont la durée (décennie) s’explique en partie par des temps de renouvellement des eaux longs et par le développement d’autres pressions environnementales. Ainsi, les études faites sur le Léman et le Bourget suggèrent que le réchauffement des lacs, en modifiant un ensemble de facteurs clés de leurs dynamiques écologiques et hydriques, contribue au maintien de biomasses phytoplanctoniques anormalement élevées, malgré le niveau de phosphore redevenu très bas. Au delà d’une connaissance toujours plus fine des phénomènes, l’enjeu est de modéliser globalement les trajectoires des changements d’état, pour fournir des références en matière d’écologie de la restauration et pour mieux prévoir les réponses des systèmes lacustres aux nouvelles contraintes. Les laboratoires impliqués dans l’Observatoire des Lacs péri-alpins CARRTEL - INRA -Université de Savoie Centre Alpin Recherche sur les Réseaux Trophiques et les Écosystèmes Limniques Chambéry – Thonon LSE - École Nationale des Travaux Publics de l’Etat-(ENTPE) Laboratoire des Sciences de l’Environnement Lyon LCME - Université de Savoie (UdS) Laboratoire de Chimie Moléculaire et Environnementale Chambéry EDYTEM - Université de Savoie Environnements Dynamiques et Territoires de la Montagne) UMR 5204 - CNRS Chambéry LGE - UMR CNRS 7154 - IPGP & Université Paris 7 Diderot Laboratoire de Géochimie des Eaux Paris UMR 7619 Sisyphe - Université de Paris 6 Laboratoire de Géologie Appliquée Paris LMGE - UMR CNRS 6023 Université Clermont II Laboratoire « Micro-organismes : Génome et Environnement » ClermontFerrand LEESU (ex-CEREVE) École des Ponts ParisTech et Université Paris-Est Laboratoire Eau Environnement et Systèmes Urbains Paris EN SAVOIR + www.dijon.inra.fr/thonon/l_observatoire www.cisalb.com • www.cipel.org/ • www.sila.fr/ 173 66 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Les étangs de la Dombes, une exploitation raisonnée Les étangs de la Dombes ont été créés par l’homme et sont utilisés depuis le Moyen-Âge pour la pisciculture. Ce sont des habitats essentiels pour de nombreuses espèces animales et végétales. Comment les modalités de gestion des paysages agricoles et des étangs structurentelles la biodiversité et le fonctionnement écologique des étangs ? Une équipe pluridisciplinaire composée d’écologues, d’hydrologues, de sociologues et d’économistes, en liaison étroite avec les acteurs du territoire, s’est fixé comme objectifs : • l’identification d’indicateurs pertinents permettant de caractériser l’état écologique de ces écosystèmes, • la proposition de modalités de gestion compatibles avec la conservation de la biodiversité et des services associés, et • la possibilité de valoriser la biodiversité des étangs à l’échelle de la filière piscicole ou du territoire. Les étangs, un patrimoine écologique à préserver Les étangs rendent de multiples services, que ce soit pour la production piscicole, les usages récréatifs ou encore la production d’eau potable. La Dombes est une région caractérisée par un nombre très important d’étangs. Situés dans des bassins versants parfois très complexes, ces étangs s’inscrivent dans des paysages dont l’occupation du sol peut être très variable. Cette diversité de situations engendre une grande diversité écologique et biologique et une valeur patrimoniale incontestable pour cette région. Étang dombiste recouvert de faux nénuphars © Dominique Vallod/ISARA-Lyon 174 Malgré l’enjeu écologique et humain que représente la gestion durable de ce patrimoine écologique, la connaissance des mécanismes impliqués dans le fonctionnement écologique et la biodiversité de ces étangs, en relation avec le mode de gestion des plans d’eau et de leurs bassins versants, est encore très partielle. Or, il est indispensable de répondre aux objectifs de bon état écologique des eaux exigés par la Directive Cadre sur l’Eau. Une bonne connaissance des pressions agricoles et humaines ainsi que des pratiques de gestion des étangs est nécessaire pour élaborer des propositions combinant le respect des pratiques agropiscicoles et la préservation de la biodiversité. Perception Gestionnaires Acteurs filière Pratiques Agriculteur Biodiversité Quelle valorisation économique, qualité, territoire ? Les questions posées © Dominique Vallod, ISARA-Lyon Des recherches au service d’une exploitation raisonnée des étangs Les recherches ont montré que certains paramètres intégrateurs constituent des indicateurs pertinents du fonctionnement écologique des étangs. C’est ainsi que la mesure de la chlorophylle-a (pigment vert présent dans la majorité des algues) intègre bien la richesse de l’eau en nutriments (azote, phosphore). Les chercheurs ont également confirmé la grande variabilité de la biodiversité végétale des étangs de la Dombes, qui peut être expliquée en partie par des pratiques de gestion différentes d’un étang à l’autre. Ces recherches ont également permis de caractériser les étangs en matière de biodiversité animale, et démontré la forte diversité en odonates (libellules) et amphibiens (essentiellement grenouilles et tritons). D’une manière globale, ce programme a permis de définir la notion de fonctionnement équilibré et relativement stabilisé d’un étang, certains sites pris comme modèles hébergeant une grande biodiversité tout en garantissant au gestionnaire une bonne production piscicole. Les travaux sont valorisés sous la forme de fiches techniques à destination des propriétaires exploitants chez lesquels les suivis ont été conduits et, bien sûr, de publications scientifiques et communications orales lors de colloques. EN SAVOIR + Trois années d’études et de mesures pour décrypter le fonctionnement des étangs Le suivi de près de 100 étangs s’inscrivant dans un réseau d’exploitations a permis de collecter des informations sur la qualité de l’eau et des sédiments, les algues, les plantes aquatiques, les invertébrés, les amphibiens, les libellules, l’occupation du sol à l’échelle du bassin versant et les transferts hydrologiques. Certains sites ont été équipés d’enregistreurs de hauteurs d’eau, de capteurs de température et de pluviomètres afin de collecter des informations sur plusieurs années et de constituer une base de données. Prélèvement d’eau pour analyses sur un étang de la Dombes © Dominique Vallod/ISARA-Lyon RÉGLEMENTATION LOISIRS CHASSE CONFLITS D'USAGE URBANISATION VALORISATION DES PRODUITS PRATIQUES AGRICOLES ET PISCICOLES Un système complexe – Équipe-projet OPTIPOND/ ISARA-Lyon ÉTANG RESSOURCES AGRICOLES ET PISCICOLES INVASIONS BIOLOGIQUES BIODIVERSITÉ ÉPURATION www.isara.fr/rubrique.php3?id_rubrique=81 Le projet a rassemblé des scientifiques (équipe Écosystèmes et Ressources Aquatiques de l’ISARALyon, équipe Écologie Végétale et Zones Humides de l’Université Lyon 1, l’équipe Biodiversité des milieux aquatiques de l’école d’ingénieurs HES de Lullier-Genève), des partenaires de la filière régionale piscicole réunis au sein du Pôle d’Expérimentation et de Progrès en Aquaculture, des producteurs, propriétaires/ exploitants d’étangs piscicoles, ainsi qu’un bureau d’études spécialisé sur certains indicateurs biologiques. 175 67 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Les pesticides ont la bougeotte Les zones de viticulture sont de grosses consommatrices de produits phytosanitaires dont on retrouve de nombreux résidus dans les milieux aquatiques. L’effet lié à ces résidus est parfois très marqué sur la qualité chimique et biologique des petits cours d’eau et de nombreuses inconnues limitent la maîtrise de ce problème : voies de transfert et de dégradation, variations des concentrations et présence de mélanges de substances qui caractérisent l’exposition des organismes vivants aux toxiques. Les équipes du Cemagref ont abordé cette question en travaillant sur la diversité et les concentrations des composés retrouvés dans le cours d’eau en fonction des évènements hydrologiques. Les traitements phytosanitaires, un danger pour la qualité des cours d’eau Les cultures intensives liées notamment à l’arboriculture et à la viticulture mettent en œuvre des traitements phytosanitaires fréquents et variés contre les mauvaises herbes, les maladies et les insectes ravageurs. En l’absence de méthodes permettant de réduire la contamination (par exemple en installant des bandes enherbées entre la source de pollution et le milieu à protéger), les résidus de ces traitements rejoignent les cours d’eau par dérive de pulvérisation ou par ruissellement et infiltration lors des pluies. Une fois dans le cours d’eau, ces résidus ont un impact sur les organismes, dont l’intensité est liée aux caractéristiques de l’exposition : nature des composés, concentration, durée, fréquence. Les événements hydrologiques (étiage, crues) conditionnent cette exposition. Bassin versant de la Morcille © Cemagref/Pollutions diffuses 176 La région Rhône Alpes, qui dispose d’un grand patrimoine viticole, est particulièrement concernée par ce problème. Les vignobles, fréquemment installés sur des zones très pentues aux sols superficiels, présentent un risque élevé d’érosion et de transfert de résidus de traitements phytosanitaires. Les orages fréquents entraînent des à-coups hydrologiques avec des pics de contamination de courte durée mais aux concentrations de pesticides élevées, dont les effets sont encore mal connus. Les impacts de ces substances sur les cours d’eau sont avérés et touchent les différents composants des réseaux trophiques (algues, invertébrés, poissons …), entraînant un affaiblissement des populations, des réductions de densité, des pertes de biodiversité et donc une réduction de la qualité écologique des milieux aquatiques. Les pesticides menacent également les ressources en eau en aval. Moyens de recherche mobilisés : utilisation d’un site expérimental et collaborations Les principaux travaux réalisés en région dans ce domaine ont été effectués sur un site du Beaujolais, le bassin versant expérimental de la rivière Ardières et de son affluent la Morcille (un des sites ateliers de la Zone Atelier du Bassin du Rhône). Dans un cadre pluridisciplinaire, les travaux spécifiquement orientés sur les questions de transferts de phytosanitaires ont rassemblé plusieurs organismes régionaux (Cemagref, Université Lyon 1, CNRS...) avec leurs moyens analytiques (chimie, hydrologie…). Un réseau d’une dizaine de chercheurs et techniciens s’est constitué en s’appuyant sur des programmes nationaux et régionaux. Ces équipes travaillent en lien étroit avec les gestionnaires du milieu, partenaires indispensables (Chambre d’Agriculture, Agence de l’Eau, DREAL, collectivités locales…). Scénarios de contamination et pièges à polluants L’expérimentation sur le terrain a permis de travailler sur différents aspects : Tests sur le terrain du potentiel de transfert des pesticides sur une bande enherbée. Test en colonnes de laboratoire du potentiel de lixiviation de sols de parcelles nus ou enherbés. Si les chemins, chenaux et fossés drainant les parcelles accélèrent le transfert direct des toxiques, les bandes enherbées présentant une forte capacité d’infiltration, plus de 50 % des flux de pesticides restant piégés dans la zone racinaire ; Étude des flux de pesticides et de leur dynamique durant les périodes d’étiage ou d’événements pluvieux : on montre ainsi que les crues génèrent des pics de concentration pouvant représenter plus de 70 % des flux totaux sur la saison de transfert. Les chroniques de mesures réalisées ont servi à l’élaboration de scénarios dit « d’exposition » réalistes dont l’impact a pu être testé en microcosmes. Seuil et cabane abritant des systèmes d’échantillonnage © Cemagref/Pollutions diffuses Les travaux réalisés ont donné lieu à de nombreuses avancées dans la connaissance des mécanismes de transfert des pesticides dans les milieux aquatiques, tout en identifiant et testant des pistes pour réduire la contamination. Les chercheurs ont structuré leurs résultats dans les différentes disciplines (chimie, hydrologie, géographie), en élaborant un Système d’Information Géographique et une base de données. EN SAVOIR + www.cemagref.fr/le-cemagref/lorganisation/les-centres/lyon/ur-maly Vignoble dans le Bugey (01) © Région Rhône-Alpes/Marc Chatelain 177 68 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Les armes chimiques des renouées invasives Les invasions biologiques sont une composante du changement global et constituent un facteur de perte de biodiversité. La région Rhône-Alpes est soumise à une invasion végétale de grande ampleur de renouées asiatiques (complexe d’espèces Fallopia). La recherche des mécanismes qui sous-tendent le pouvoir invasif de ces espèces et l’étude des conséquences de l’invasion sur les écosystèmes sont des thématiques importantes pour comprendre le phénomène d’invasion et les risques associés pour les écosystèmes. Fallopia, dans la serre de l’Université Lyon 1 © Eric Le Roux/Communication/UCBL Fallopia, une invasive armée L’allélopathie désigne les interactions négatives entre plantes par l’intermédiaire de composés chimiques. La toxicité de ces derniers entraîne l’élimination de certains végétaux par d’autres. L’allélopathie peut jouer un rôle important dans l’invasion. En effet, certaines espèces invasives produisent des composés chimiques toxiques pour les plantes, qui leur conférent des avantages dans le nouvel environnement colonisé. Ces composés chimiques peuvent ainsi fortement altérer la biodiversité, car la végétation native n’a pas développé de résistance ou de tolérance. Une fois l’espèce invasive arrachée ou fauchée, la restauration des communautés végétales altérées est indispensable, mais elle peut être rendue difficile si l’invasion est récidivante ou si elle a conduit à l’altération de l’habitat (nutriments, communautés microbiennes du sol). De surcroît, les composés chimiques peuvent persister au niveau des systèmes racinaires ou des rhizomes (si l’invasive est fauchée) ou dans le sol (si la plante est arrachée). Il est donc particulièrement important de rechercher des espèces susceptibles de se développer dans l’écosystème altéré et résistantes aux composés chimiques exotiques. Ces espèces résistantes peuvent en outre être capables de détoxifier les sols, permettant ainsi la restauration des communautés végétales. La région Rhône-Alpes subit actuellement une invasion végétale de grande ampleur de renouées asiatiques (complexe d’espèces Fallopia). Actuellement, les seuls moyens de lutte sont la fauche et l’arrachage. Les substances toxiques émises par Fallopia altèrent différentes fonctions de l’écosystème et rendent sa restauration difficile. Si les composés toxiques sont identifiés et des mécanismes naturels de tolérance élucidés, alors la recherche d’espèces compétitrices résistantes et capables de détoxifier les écosystèmes altérés sera facilitée. Dans ce contexte, les objectifs sont : d’étudier les mécanismes chimiques impliqués dans le pouvoir invasif de Fallopia et d’évaluer leurs impacts sur la biodiversité endémique ; de rechercher des espèces compétitrices résistantes aux composés allélopathiques. 178 Invasion par Fallopia d’un petit cours d’eau (Département de la Loire) – © Florence Piola/UCBL Peut-on lutter à armes égales avec Fallopia ? L’étude, débutée en 2008, implique deux équipes de recherche de la région Rhône-Alpes qui travaillent en collaboration avec une équipe de l’Université de Perpignan. Cette étude repose sur deux grandes disciplines que sont l’écologie végétale et la chimie végétale. Les travaux s’appuient sur la plateforme « Serre et chambres climatisées » de l’Université Lyon 1 et sur la plateforme de phytochimie (Centre d’étude des Substances Naturelles, Lyon 1). Le pouvoir de Fallopia décrypté Nous avons montré de manière expérimentale que Fallopia possède un pouvoir allélopathique qui empêche la germination ou limite la croissance de plusieurs espèces de plantes. Les substances chimiques ont été identifiées et démontrent que les différentes espèces et leurs hybrides sont différents, à la fois en ce qui concerne les substances produites et l’abondance de ces substances. Cinq grandes familles de composés chimiques ont été distinguées dans les rhizomes, dont deux déjà identifiées (stilbènes et anthraquinones) et connues pour leur action allélopathique. L’étude s’inscrit dans un plus vaste programme mené par l’équipe Écologie des communautés végétales visant à comprendre l’écologie de l’invasion par les renouées asiatiques. EN SAVOIR + http://umr5023.univ-lyon1.fr La région Rhône-Alpes est impliquée dans le programme de recherche du Laboratoire d’Écologie des Hydrosystèmes Fluviaux, qui vise à comprendre les mécanismes qui sous-tendent le pouvoir invasif des renouées asiatiques afin de proposer des moyens de lutte innovants. Ce programme a permis de tisser un réseau de collaborations, en particulier au sein de la région, mais également avec d’autres universités françaises (Toulouse, Perpignan) et internationales (Belgique, Suisse). Le projet concernant les armes chimiques des espèces de Fallopia s’inscrit dans ce vaste programme et illustre une collaboration régionale autour d’une thématique de recherche innovante et pluridisciplinaire. Fallopia, dans la serre de l’Université Lyon 1 © Eric Le Roux/Communication/UCBL 179 69 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES Roselières en péril La roselière, c’est une végétation de roseaux – et par extension de plantes dépassant de l’eau, qu’elles soient aquatiques ou semi-aquatiques. Dans ses parties « sèches », la roselière est dynamique mais pauvre en espèces ; dans sa partie aquatique, elle est « réservoir de biodiversité », mais régresse souvent… Un équilibre difficile à trouver dans un milieu de plus en plus contraint par les activités humaines. Le diagnostic Tous les grands lacs alpins ont connu une régression de leurs roselières littorales, souvent de plus de 50 %. Parmi les facteurs évoqués figurent les conséquences des déchets flottants (abrasion des tiges et impacts sanitaires induits, asphyxie, etc.), la qualité de l’eau et des sédiments, la rectification et la « verticalisation » de berges, la sénescence et l’appauvrissement génétique, la baisse des apports alluvionnaires, le pâturage par la faune, etc. Tous ces facteurs agissent en synergie, à des degrés divers selon les lacs, et sont aggravés par la régulation des niveaux d’eau, à la fois plus bas et plus stables. Au lac du Bourget, la qualité de l’eau et des sédiments n’est plus un frein au retour de la roselière ; restent donc les aspects physiques : les niveaux d’eau, la houle particulièrement active étant donné la configuration de « fjord » de ce lac, orienté nord-sud comme la bise, le vent dominant, etc. Le traitement par « génie écologique » : premiers retours d’expérience Le Conservatoire du patrimoine naturel de la Savoie a réalisé entre 2000 et 2010 une série d’expérimentations sur cinq roselières : Apports de matériaux : l’« engraissement », en dessous du niveau d’eau et avec des matériaux adaptés, compense le manque à gagner alluvionnaire et l’érosion aggravée par la stabilisation et le rabaissement des niveaux. Stabilisation de ces matériaux : stabilisation par protection contre la houle : dans le lac du Bourget, les ouvrages visibles sont exclus. En revanche, au sud du lac, où la houle est la plus forte, des îlots d’enrochement ont dû être érigés, avec en parallèle une forte plusvalue ornithologique, et donc pédagogique. stabilisation par « résistance passive » : - réfection de berge avec un rapport adapté entre granulométrie/pente/houle : pente de 15 % et mélange gravier (diamètre 1,5 cm) terreux ; cette stabilisation exige de bien connaître la houle. - calfeutrage par un tapis de végétation déjà suffisamment dense et continue : c’est la méthode la plus douce, mais sans doute la plus vulnérable. Le Blongios nain, petit héron migrateur, profite des plantations de roseaux dès les premières années – © M. Reverdiau 180 Végétalisation de ces matériaux : on peut retenir les observations suivantes des divers chantiers : Difficultés des reprises au-delà de 50 cm de profondeur d’eau, ainsi que sur des secteurs aux sédiments trop fluides ; faible succès du scirpe lacustre (ou « jonc des tonneliers ») et du nénuphar (approvisionnement par souches locales difficile pour ce dernier) : le phragmite demeure l’espèce la plus favorable (les massettes ou « Typha » peuvent s’inviter car elles germent sous l’eau, y compris en substrats très organiques) ; L’utilisation d’une souche locale de roseau cultivée in situ, testée en 2010, paraît la plus satisfaisante en termes d’éthique et de chances de succès, à défaut d’être la plus économique. Après l’opération, les bassins creusés à cet effet seront à leur tour colonisés par la roselière aquatique (voir photo). Ce « génie écologique » fait encore l’objet d’efforts de maintenance et de suivi ; on peut d’ores et déjà constater l’atténuation de la houle par les ouvrages et un succès au moins partiel des plantations. L’utilisation par la faune est manifeste : rousserolle turdoïde et blongios nain sont les nicheurs les plus remarquables, auxquels s’ajoutent les libellules et une abondante « nurserie » d’alevins. Un seul « traitement de fond » : la renaturation des niveaux d’eau Comme la plupart des lacs, le Bourget a subi trois impacts, aux effets cumulatifs : Perte des niveaux hauts : 40 cm en saison de végétation avec pour effet immédiat la disparition d’environ 20 ha de roselière aquatique, bien plus que tout ce que le génie écologique tente de restaurer à grands frais ! Ce retour des niveaux hauts n’est pas à l’ordre du jour, pour des raisons socio-psychologiques plus que de véritable péril hydraulique (habituation des usagers vis-à-vis d’un plan d’eau stable et prévisible) ; Perte des niveaux bas : le lac n’est plus descendu au-dessous de sa « cote basse » depuis 1982, de telle sorte que la matière organique des sédiments n’a pu être minéralisée correctement, que les graines de roseaux n’ont pu germer (ce qui exige un sédiment exondé), pas plus que ses rhizomes n’ont pu progresser (ce qui exige une oxygénation du sédiment). Aujourd’hui, on travaille à la restauration d’un étiage retardé à octobre-novembre pour ménager la saison touristique ; Stabilisation des niveaux : en concentrant l’érosion, sans possibilité de cicatrisation de la végétation, et en accentuant l’accumulation des déchets (autrefois largement dispersés). Restauration de roselières au lac du Bourget : vue des bassins de culture et de la zone à décaper – © Benjamin Bardon/ Conservatoire du Patrimoine Naturel de Savoie 181 70 BIODIVERSITÉ, ÉCOSYSTÈMES ET PAYSAGES On peut aussi restaurer les rivières Les rivières et leurs vallées ont subi des dégradations sans précédent durant le dernier siècle en raison de l’augmentation des activités humaines (pollutions, drainage et irrigation agricoles, aménagements des cours d’eau). Ces altérations provoquent la diminution des services associés aux vallées alluviales, comme le maintien de la biodiversité, l‘exploitation des ressources vivantes aquatiques, le stockage et l’épuration des eaux. La restauration écologique des cours d’eau a pour objectif de ramener les écosystèmes dans un état proche de celui dans lequel ils étaient avant dégradation, ou de rétablir les fonctions écologiques qu’ils assuraient. Ces opérations doivent être réalisées en utilisant si possible des processus naturels, afin d’éviter ou de limiter la nécessité de nouvelles interventions pour maintenir l’état restauré. Quels enjeux en Rhône-Alpes ? Dans la région Rhône-Alpes, la restauration écologique revêt une grande importance du fait de la densité, de la diversité et des utilisations multiples des cours d’eau. Ces opérations de restauration abordent le problème de manière globale, à l’échelle de grands tronçons de cours d’eau, en prenant en compte les diffé- rents compartiments de l’espace fluvial. Le plan décennal de restauration écologique du Rhône se fixe ainsi pour objectif de restaurer des zones humides et d’augmenter les débits réservés du fleuve en procédant de manière progressive, de l’amont vers l’aval. Programmes de restauration : une perception globale pour mieux restaurer localement La restauration écologique de la rivière d’Ain et de sa vallée a donné lieu à une démarche intégrée et concertée, impliquant une équipe interdisciplinaire de scientifiques (géomorphologues, écologues, sociologues, etc.) et des gestionnaires (conservatoires, Agence de l’eau, chasseurs, pêcheurs, communes, etc.). Cette mixité permet de combiner les connaissances et les contraintes des acteurs avec les savoirs scientifiques et profanes, afin d’aboutir à un plan de restauration scientifiquement robuste et socialement acceptable. Ce programme a d’abord été financé par un programme européen LIFE, puis s’est poursuivi par un contrat de rivière. Un programme de restauration du Rhône a été élaboré selon les mêmes principes. La zone humide avait disparu du fait de l’enfoncement progressif de la rivière d’Ain et de sa nappe d’accompagnement. La restauration a consisté à surcreuser le lit tout en limitant son drainage, afin de rétablir un milieu aquatique. © Gudrun Bornette/CNRS 182 Les opérations sont menées dans le cadre de la Zone Atelier du Bassin du Rhône, qui regroupe plus de 150 scientifiques. Dans le cadre de ce programme, les travaux ont permis par exemple d’alimenter la rivière en sédiments en réutilisant des graviers issus de la restauration de zones humides. De même, la restauration de pelouses alluviales a contribué à la renaissance d’anciennes pratiques de pâturage extensif, sur de grands linéaires de cours d’eau. Mise en place d’outils : l’apport de la recherche en Rhône-Alpes Pelle araignée en action : l’outil permet de circuler sur la tourbe sans la tasser, ce qui nuirait à l’alimentation phréatique future de la zone humide. Il est guidé de la berge par les scientifiques, qui donnent les consignes de travail. À gauche figurent les dépôts de tourbe qui ont été retirés du chenal et seront étalés sur les berges, sans abîmer les arbres © Gudrun Bornette/CNRS Ces opérations constituent des expérimentations en vraie grandeur, dont le bénéfice est écologique (restauration des fonctions dégradées) et scientifique (possibilité d’étudier le fonctionnement des écosystèmes). Les recherches se poursuivent car ces opérations s’inscrivent dans la durée, compte tenu du temps nécessaire pour que les réponses écologiques se mettent en place. EN SAVOIR + www.cren-rhonealpes.fr/part2/ed_tech.htm www.bassevalleedelain.com/ www.rhone-alpes.ecologie.gouv.fr/ Ces recherches ont permis d’identifier les possibilités de restauration des cours d’eau et les bénéfices qui peuvent être tirés de ces opérations, ainsi que les méthodes à mettre en œuvre. Les partenaires scientifiques impliqués sont le CNRS, l’Université Lyon 1 (laboratoires « Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés » et « environnement-villesociété »), le Cemagref, l’ENTPE et l’ISARA. Outre le réseau dense de collaborations à l’échelon régional, ces opérations permettent de tisser des collaborations internationales et font de la région RhôneAlpes un site pilote sur le sujet. 183