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LA MARQUISE DU CHÂTELET (1706-1749)
Par Naty GARCIA GUADILLA
En 2006, la Bibliothèque Nationale de France, site Richelieu, à Paris, présente, du 7 mars au
3 juin, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de la Marquise du Châtelet une exposition
intitulée : « Madame du Châtelet. La femme des Lumières ». Son intelligence, son caractère
passionné, son absence de préjugés, son intérêt pour les sciences et la philosophie, en font l'une des
premières femmes savantes de son époque.
Qui est Madame du Châtelet ?
Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, future Marquise du Châtelet, est née le 17
décembre 1706.
Son père, Louis Nicolas de Breteuil (1648-1728), appartient à une famille très riche. Les
Breteuil ont été, depuis le 15e siècle, des gens de robe. C'est Charles IX qui remet en 1579 ses
lettres de noblesse à Charles Le Tonnelier de Breteuil, originaire du Beauvaisis, en le faisant
secrétaire de la Chambre du Cabinet du roi. Sa famille s'illustre ensuite dans les plus hautes charges
de justice. Louis Nicolas de Breteuil est un grand séducteur. Les portraits du château de Breteuil
nous montrent un bel homme, d'une stature imposante, le regard altier. Il aura plusieurs maîtresses
et une épouse avant de se marier avec la mère d'Emilie. Il aura aussi une fille, Michèle, qu'il n'a
jamais vue et qu'il ne reconnaît pas. Un notaire découvre son origine et la lui révèle. Et en 1736,
cette fille, qui est devenue nonne, intente contre son père un retentissant procès en reconnaissance et
en droits d'héritage. Elle est soutenue par sa demisoeur, Gabrielle Emilie, Marquise du Châtelet.
Sa mère, Anne de Froulay, descend d'une famille de militaires. L'un de ses ancêtres, le
maréchal de Tessé de l'Ordre de Malte sera connu par ses talents et fera briller le bailli de Froulay.
On peut comprendre ainsi l'éducation et le caractère rigide et imposant de la mère d'Emilie, qui,
plus proche de son père, aura avec cette femme austère des relations très conflictuelles.
Mariage des parents d'Emilie et vie de famille
C'est en 1697, à l'âge de 49 ans, que Louis Nicolas épouse Gabrielle Anne de Froulay. Il a 58
ans à la naissance d'Emilie, et, assagi, il se consacre maintenant entièrement à sa famille.
A partir de 1699, Louis Nicolas obtient une charge à Versailles en tant qu'introducteur des
ambassadeurs auprès du roi, chef de protocole : il a ainsi l'honneur de travailler directement avec le
roi.
Les Breteuil vont avoir six enfants, mais seuls trois survivront. C'est une époque où, dans les
classes supérieures, la mère ne nourrit pas ses enfants nouveau-nés : ceux-ci sont envoyés en
nourrice, avec un taux très fort de mortalité : « il fallait deux enfants pour faire un homme ».
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Louis Nicolas de Breteuil, achète, le 25 octobre 1706, trois semaines avant la naissance
d'Emilie, l'hôtel Dangeau, Place Royale, à Paris, où il s'installe avec sa femme et ses enfants. L'hôtel
de Breteuil est une belle maison donnant sur le jardin des Tuileries et adossée à la rue Saint-Honoré,
quartier privilégié, voisin du Louvre et du Palais Royal. La cousine d'Emilie, future marquise de
Créqui, qui habitera près de trois mois dans cette maison, écrit qu'elle a quatre étages comprenant
chacun huit ou neuf pièces « décorées et dorées avec un luxe miraculeux ». La bibliothèque à elle
seule occupe trois pièces. C'est dans cette maison que les parents d'Emilie tiennent un salon ils
reçoivent régulièrement Voltaire, Fontenelle, le Duc de Saint-Simon et Rousseau.
Vers 1712, l'hôtel de Breteuil abrite toute la famille et de nombreux domestiques. Le père
d'Emilie occupe avec sa femme tout le leL étage. Les 2e et 3e étage sont habités par d'autres
membres de la famille Breteuil. Les enfants sont au 4e étage, avec leurs nourrices et gouvernantes.
Ils descendent rarement dans l'appartement de leurs parents : ce sont les parents qui leur rendent
visite. Emilie est heureuse dans cette belle maison entourée de parents attentifs au bien-être et à
l'éducation de leurs enfants.
Education de Gabrielle Emilie
Les filles de bonne famille au XVIIIe siècle étaient souvent envoyées au couvent très jeunes
jusqu'à leur mariage. Le père d'Emilie qui s'aperçoit très tôt de l'intelligence de sa fille, décide, lui,
de l'élever à la maison et, sauf un court séjour dans un couvent en Lorraine, elle va recevoir la
même éducation que ses frères.
Dans un siècle l'éducation des filles de l'aristocratie se limite à l'écriture, la lecture, un
peu de musique et l'art de briller dans les salons, le père d'Emilie veut qu'elle ait les précepteurs de
ses frères, et qu'elle apprenne aussi le latin, les mathématiques, les langues étrangères, la
gymnastique, l'équitation, le théâtre, la danse, le chant. A 12 ans, elle parle et lit couramment six
langues dont l'allemand, l'anglais, le grec, le latin. Elle est autorisée à rester dans les salons au
milieu des invités et elle a le droit d'intervenir dans les conversations. Voltaire, qui a connu Emilie
enfant, dans le salon des Breteuil, rappelle, dans son Eloge historique de Madame la Marquise du
Châtelet, l'intérêt d'Emilie pour les langues: « Dès sa plus tendre jeunesse, elle avait nourri son
esprit de la lecture des bons auteurs en plus d'une langue. Elle avait commencé une traduction de
l'Eneide, dont j'ai vu plusieurs morceaux remplis de son auteur ; elle apprit depuis l'italien et
l'anglais. Le Tasse et Milton lui étaient familiers comme Virgile ».
A 17 ans, Emilie s'initie à la métaphysique cartésienne qui domine alors en France et grâce à
Descartes elle comprend les relations entre science et métaphysique. Elle aime aussi les
mathématiques et la physique, peut déjà lire Locke dans le texte et se passionne pour la philosophie
anglaise.
A la fin de son adolescence, elle prend des leçons de mathématiques, d'astronomie, de
géographie avec Maupertuis (1698-1759) qui va diriger l'expédition chargée de déterminer la forme
de la terre. Trois ans plus tard Emilie connaît bien l'oeuvre de Locke, de Descartes et de Leibniz.
Elle essaie de comprendre l'univers avec Fontenelle, qui lui explique certains points de son oeuvre
Entretiens sur la pluralité des mondes et lui donne à lire des communications de l'Académie des
Sciences, comme celles du célèbre Cassini (astronome qui découvrit deux satellites de Saturne).
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Son physique
Gabrielle Emilie n'était pas une beauté mais elle n'était pas laide. Elle avait un visage et un
corps bien faits. Il existe plusieurs portraits d'elle. L'un, de Marianne Loir, une élève de Nattier vers
1745, nous la montre assise dans un fauteuil avec une robe de velours bleu, décolletée, et avec une
fleur dans sa main gauche. L'expression de son visage qui esquisse un sourire, est réservée, presque
timide. Un autre portrait de l'Ecole Française du 18e siècle nous la montre à la mode de l'époque,
également avec la poitrine dénudée, les cheveux tirés en arrière, avec un noeud vert autour du cou et
un autre de la même couleur sur la poitrine, un compas à la main droite, les deux bras appuyés sur
une table de travail. Son regard est rêveur et le sourire est aussi réservé.
Les descriptions du physique de Madame du Châtelet sont très différentes selon qu'il s'agisse
de ses ennemies, de ses connaissances, de ses amis ou de Voltaire.
Ainsi, Madame de Créqui, sa cousine, qui ne l'aime pas affirme c'était un colosse en
toutes proportions [...]elle avait des pieds terribles et des mains formidables ; elle avait la peau
comme une râpe à muscade ; enfin, la belle Emilie n'était qu'un vilain cent suisse ». Et Madame de
Deffand, une autre cousine, affirme Représentez-vous une femme grande et sèche, sans cul, sans
hanches, la poitrine étroite, deux petits tétons arrivant de fort loin, de gros bras, de grosses jambes,
des pieds énormes, une très petite tête, le visage aigu, le nez pointu, deux petits yeux vert-de-mer, le
teint noir, rouge échauffé, la bouche plate, les dents clairsemées et extrêmement gâtées. Voilà la
figure de la belle Emilie, figure dont elle est si contente qu'elle n'épargne rien pour la faire valoir :
frisures, pompons, pierreries, verreries, tout est à profusion ». Cependant Madame Denis, nièce de
Voltaire, affirme en 1738: « C'est une femme de beaucoup d'esprit et fort jolie qui emploie tout l'art
imaginable pour le (Voltaire) séduire » et Madame de Graffigny affirme dans sa Correspondance
(lettre du 4 Déc. 1738) : Madame du Châtelet « a une robe d'indienne et un grand tablier de taffetas
noir : ses cheveux noirs sont très longs, ils sont relevés par derrière jusqu'au haut de sa tête et
bouclés comme ceux des petits enfants ; cela lui sied fort bien » (1).
Pour Cideville, un très bon ami de Voltaire et d'Emilie, elle est à la fois un grand homme et
la plus aimable des femmes et lorsqu'elle lui envoie un exemplaire de son livre les Institutions de la
Physique, il affirme: «Quoi, l'auteur sublime de ce livre grave et dogmatique est la femme adorable
que je vis dans son lit, il y a trois mois, avec de grands yeux si beaux et si doux ; cette philosophe
noble, ingénieuse et piquante (...) nous donnait en vérité à tous à penser à autre chose que la
philosophie » (2).
Madame du Châtelet aime les sciences, la philosophie, il est vrai, mais elle a aussi la passion
des vêtements, des diamants, des pompons, des chaussures, du maquillage, passion qu'elle acquit
lors de sa première visite à la cour de Versailles en 1722 (3).
Cependant à Cirey, lorsqu'elle étudie avec Voltaire, elle n'est pas coquette. Selon Madame de
Graffigny elle se présente devant son amant sans être coiffée et fort mal habillée. Elle n'est, alors,
que la camarade de travail de Voltaire, occupés tous deux de physique, de métaphysique, de
mathématiques et les « fanfreluches » étaient plutôt des obstacles (4). Par contre en public, elle
s'habille de tous ses pompons, noeuds, rubans, diamants et pierreries et cela amuse Voltaire qui
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l'appelle « la divine Emilie ». Il l'appelle aussi, gentiment, «Madame Pompon-Newton » : elle est
femme par son amour des fanfreluches et homme par son goût de la physique et de la géométrie.
Fort occupée par ses études et publications (et c'est cela qui compte le plus pour Emilie) elle n'aura
jamais de problèmes avec sa beauté et négligera toujours les médisances à cet égard.
Le mariage
Gabrielle Emilie fait un mariage de convenance, un mariage arrangé caractéristique de son
époque et de son milieu. Elle épouse, à 19 ans, le Marquis du Châtelet, lieutenant-général des
armées du roi, de onze ans son aîné et qui appartient à l'une des plus anciennes maisons de Lorraine.
Le couple s'installe à Semur son mari est gouverneur. Ils auront trois enfants, dont deux
survivront : une fille et un garçon. Mais Emilie a besoin de liberté, de vivre à Paris, loin de ce
milieu trop sévère et peu intellectuel et son mari, qui par son travail est souvent absent, va lui
permettre de s'installer à Paris, puis à Cirey avec Voltaire. Il la respectera toujours. Elle a
éprouver pour lui de l'amour au début de leur mariage et elle va avoir toujours pour lui beaucoup
d'estime et d'amitié Il restera son époux et son ami fidèle jusqu'à la mort d'Emilie en 1749.
Le Marquis du Châtelet poursuit sa carrière aux armées, et entre deux guerres, il visite sa
femme et Voltaire à Cirey et vit avec eux à plusieurs reprises. Même au moment le plus fort de
l'amour entre Voltaire et Emilie, Monsieur du Châtelet passera avec eux des journées en harmonie.
Ce comportement du marquis du Châtelet, cette absence de jalousie, cette acceptation des
amants successifs de Madame du Châtelet, peuvent nous étonner. Au chevet du lit de mort de
Madame du Châtelet on trouve, côte à côte, Monsieur du Châtelet et Voltaire qui souffrent tous les
deux. Et Voltaire de dire à Madame Denis, sa nièce et maîtresse : « Je n'abandonne pas Monsieur du
Châtelet dans la douleur où nous sommes l'un et l'autre... »
Les Frères Goncourt ont bien signalé cet extrême libéralité de moeurs au 18e siècle, d'après
les mémoires et correspondances de l'époque: « Aux précieuses, encore soumises à l'autorité
masculine, succèdent des femmes libres d'aimer comme elles l'entendaient (...) Non seulement
l'époux, légalement tout puissant, ne proteste plus contre les incartades de sa femme, mais il en est,
pour ainsi dire, l'initiateur. Il la veut libre de toute passion à son égard pour vivre lui-même au gré
de ses envies. Pudeur et attachement s'évanouissent au point qu'on rougirait plutôt de ses sentiments
comme d'un signe d'aliénation. (...) Il est certain que les aristocrates du 18e siècle ont joui de
libertés auxquelles ni celles du 17e ni celles du 19e n'eurent accès. La société faisait plus que
tolérer. Elle les encourageait.(...) La femme n'était plus une enfant à protéger ; elle n'était pas encore
enfermée dans son rôle de mère, seul statut qui lui valait le respect du dix-neuvième siècle » (5).
Et Taine, dans son livre, Les origines de la France contemporaine, nous fait comprendre ces
moeurs du 18e siècle entre mari et femme: « Dans un salon, la femme dont un homme s'occupe le
moins, c'est la sienne, et à charge de retour ... Quand les époux sont haut placés, l'usage et les
bienséances les séparent. Chacun a sa maison ou tout au moins son appartement, ses gens, son
équipage, ses réceptions, sa société distincte ... Ils sont entre eux, par respect pour leur rang, sur le
pied d'étrangers polis ; ils se font annoncer l'un chez l'autre.. . Un sentiment profond -de l'un pour
d'autre- eût paru bizarre et même ridicule ».
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Mais si les mères de l'aristocratie n'élèvent pas elles-mêmes leurs enfants, si les filles sont
envoyées au couvent et les garçons en apprentissage ; plus tard, les mères, les familles, s'occupent
beaucoup de leur installation dans la société. Et en cela Madame du Châtelet n'a pas oublié ses
obligations. Elle a beaucoup travaillé auprès de ses relations pour obtenir un beau mariage, puis une
bonne place, pour ses enfants.
Madame du Châtelet et l'amour
Emilie a hérité de son père un caractère passionné, ardent et, pour elle, l'amour est très
important : l'amour physique, bien sûr, mais également l'amour de l'admiration de l'autre, de la
complicité et de la communion d'idées. Ainsi Emilie a aimé plusieurs hommes de qualité (elle a eu
des relations amoureuses avec Maupertuis, Richelieu), mais l'homme de sa vie, celui qui a occupé
une grande partie de sa vie amoureuse, a été Voltaire.
En avril 1733, lorsque Voltaire rencontre, à l'Opéra, Emilie du Châtelet, il a 38 ans et elle 26.
Il est immédiatement séduit par le charme, la personnalité et l'intelligence de cette femme qu'il a
connue petite fille. C'est lui qui a eu le « coup de foudre » : « Je l'adore comme les Dieux... » dit-il à
son ami Cideville peu de temps après cette rencontre. Emilie est heureuse de connaître ce grand
homme qui fréquentait les salons de son père. Elle est enchantée des sentiments qu'elle provoque
chez Voltaire et elle devient sa maîtresse, mais elle ne tombe pas amoureuse immédiatement. Elle
l'aime avec tendresse, mais Voltaire ne la satisfait pas totalement du point de vue sexuel J'ai bien
peu de tempérament -dit-il à son ami Cideville en octobre 1733- mais ma maîtresse me pardonne et
je l'aime plus tendrement» (6).
Il confesse, pourtant, dans ses Epîtres à Emilie, qu'elle éveillé ses sens ». Il lui pardonne
ses passades avec Maupertuis, car Voltaire l'aime à la folie. Emilie est pour lui son amie, son
amante, elle est tout pour lui :
Je vous adore, ô ma chère Uranie !
Pourquoi si tard m'avez-vous enflammé ?
Qu'ai-je donc fait des beaux jours de ma vie
Ils sont perdus ; je n'avais point aimé.
J'avais cherché dans l'erreur du bel âge
Ce dieu d'amour, le dieu de mes désirs...
Je n'embrassais que l'ombre des plaisirs.
Non, les baisers des plus tendres maîtresses ;
Non, ces moments comptés par cent caresses...
Ne valent pas un regard de tes yeux.
Je n'ai vécu que du jour où ton âme
M'a pénétré dans sa divine flamme ;
Que de ce jour où, livré tout à toi,
Le monde entier a disparu pour moi.
Ah ! Quel bonheur de te voir, de t'entendre !...
Et quels plaisirs je goûte dans tes bras !...
Vous, Uranie, idole de mon coeur,
Vous que les dieux pour la gloire ont fait naître,
Vous qui vivez pour faire mon bonheur ».
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