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RAPPORT POUR LA DIIESES L’AIDE A DOMICILE FACE AUX SERVICES A LA PERSONNE MUTATIONS, CONFUSIONS, PARADOXES MARS 2008 FRANÇOIS XAVIER DEVETTER, CLERSE LAURENT FRAISSE, CRIDA LAURENT GARDIN, RESEAU21 MARIE‐FRANCE GOUNOUF, CRIDA FLORENCE JANY‐CATRICE, CLERSE, IUF THIERRY RIBAULT, CLERSE CLERSE­CRIDA­RESEAU 21
SOMMAIRE DU RAPPORT INTRODUCTION (FLORENCE JANY‐CATRICE, CLERSE, IUF, UNIVERSITE LILLE1) CHAPITRE 1. OFFRE ET DEMANDE DE SERVICES A LA PERSONNE : CHIFFRES, CATEGORIES ET DISCOURS (FLORENCE J ANY‐CATRICE) CHAPITRE 2. LES SERVICES A LA PERSONNE : NIVEAUX ET EVOLUTIONS (FLORENCE JANY‐CATRICE) CHAPITRE 3. LA QUALITE DES EMPLOIS DANS LES SERVICES A LA PERSONNE (FRANÇOIS‐X AVIER DEVETTER, CLERSE, TELECOM LILLE1) CHAPITRE 4. L’AIDE A DOMICILE FACE AU MARCHE : L’IMPOSSIBLE PP.1‐15
PP.16‐54 PP.55‐95 PP.96‐142 PP.143‐222
PROFESSIONNALISATION (THIERRY RIBAULT, CLERSE, IFRESI) CHAPITRE 5. PRENDRE SOIN DE QUI ? LES LIMITES DE LA MISE EN CONCURRENCE DES SERVICES A LA PERSONNE (LAURENT FRAISSE, MARIE‐FRANCE GOUNOUF , CRIDA) CHAPITRE 6. QUELLE EVOLUTION DES MODES DE REGULATION ? (LAURENT GARDIN, RESEAU 21, UNIVERSITE VALENCIENNES) CONCLUSION PP.223‐262 PP.263‐301 PP. 302‐308
0 RAPPORT POUR LA DIIESES L’AIDE A DOMICILE FACE AUX SERVICES A LA PERSONNE MUTATIONS, CONFUSIONS, PARADOXES FRANÇOIS XAVIER DEVETTER, CLERSE LAURENT FRAISSE, CRIDA LAURENT GARDIN, RESEAU21 MARIE‐FRANCE GOUNOUF, CRIDA FLORENCE JANY‐CATRICE, CLERSE, IUF THIERRY RIBAULT, CLERSE 1 PREAMBULE Cette recherche est le fruit d’une collaboration de trois équipes: le Crida (Centre de recherche et d’information sur la démocratie et l’autonomie) d’une part, composée ici de Laurent Fraisse et Marie‐France Gounouf ; le réseau 21, par le biais de Laurent Gardin ; et des membres de l’équipe Seras (socio‐économie des activités et relations de service) du Clersé (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques: François Xavier Devetter, Florence Jany‐Catrice et Thierry Ribault. Un tel rendez vous de cultures socio‐économiques différentes s’est avéré favorable à l’analyse d’un secteur aux multiples facettes, dont les enjeux et les outils d’analyse mobilisés portent de façon difficilement extricable sur des aspects économiques, sociaux et politiques. Chacun des chercheurs, pensons‐nous, s’est enrichi de ces angles d’approches adoptés, de ces confrontations de points de vue, et plus généralement de cette collaboration pluridisciplinaire. 2 Introduction Florence Jany­Catrice1 florence.jany­catrice@univ­lille1.fr 1. ENJEUX Cent seize mille. Tel est le nombre d’emplois créés dans le secteur des services à la personne sur la seule année 2006 (soit une progression de 9,6% par rapport à 20052) selon la Ministre de l’économie Christine Lagarde, qui s’exprimait en septembre 2007, l’emploi étant, depuis la nomination du dernier gouvernement3, inscrit au portefeuille de ce Ministère. Loin des questions du travail. Sur les dernières décennies, chaque période politique a porté aux nues une activité, généralement dans les services. Depuis les emplois familiaux repérés et favorisés par les lois Aubry, un secteur ‐ ou plus souvent une catégorie statistique hybride de métiers censée former un secteur ‐ est identifé pour incarner l’échappatoire aux maux du marché du travail. Les « services à la personne » n’ont pas échappé à cette double tentation : ils incarnent, plus que jamais, cette stratégie de regroupement d’activités hétéroclites, et ils constituent, aux yeux des deux derniers gouvernements, le socle ‘sectoriel’ des créations d’emploi en France. Le Plan de cohésion sociale de 2005, encore appelé Plan Borloo, a alimenté de très nombreuses spéculations à l’égard de la création d’emplois dans ce secteur. De nombreux ‘experts’ estimaient les gisements d’emplois de l’ordre de un à trois millions, sans d’ailleurs toujours préciser la temporalité (Cahuc and Debonneuil 2004). La mise en avant de tels chiffres résonnant symétriquement à ceux du chômage, le secteur des services à la personne est devenu en quelques années la clef de voute d’une action publique focalisée sur la réduction des déséquilibres du marché du travail, la rhétorique politique gouvernementale retenant, certainement imprudemment (voir infra), le haut de cette vaste fourchette dans ses estimations les plus percutantes. 1 Economiste, membre du CLERSE‐UMR8019 (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques), et membre de l’Institut universitaire de France. 2 Mais, on le verra dans le chapitre 1, moins de 5% en heures travaillées. 3 Juin 2007 3 Il est vrai que ce secteur des « services à la personne » est au carrefour de deux enjeux majeurs. Il renvoie d’abord à l’enjeu de la création d’emplois et, de façon quasi concomitante, à celui de la professionnalisation et de la qualité de ces emplois. En effet, en recourant à des personnels faiblement diplômés, grande est la nécessité, dans ce secteur où les compétences à mobiliser sont nombreuses, et où les leviers d’attractivité faibles, d’accroitre la qualification des personnels. Mais lesquels ? Pourquoi ? Comment ? Peut‐on penser professionnalisation des personnes sans interroger le degré de la qualité des services rendus, ni la nature des conditions de travail et d’emploi dans lesquels ces activités sont opérées ? Second enjeu, celui des régulations. Ce secteur des services à la personne émerge comme un secteur clé pour repérer les inflexions des politiques et régulations publiques. D’une régulation tutélaire caractérisée par une intervention publique dans le champ de l’offre de services (par subventionnement de l’offre, créant ainsi les conditions de l’épanouissement d’une économie sociale structurée), le secteur a du, dès les années quatre‐vingt, affronter des formes hybrides de régulation, où subventionnements de la demande coexistent avec le « libre choix » de l’usager. Ici s’entremêlent donc, pour le meilleur et pour le pire, des politiques de création d’emplois, de dynamisation de la demande, mais aussi les régulations de l’action sociale et du monde associatif et de l’économie sociale, ainsi que des éléments de régulation relevant de la politique de santé. Ces diverses facettes font l’objet de finalités multiples, elles‐mêmes en tension. En particulier, finalité d’action sociale et finalité de production de services de confort sont, par le choix du regroupement des activités au sein d’un même secteur de « service à la personne » inextricablement mêlés, créant des tensions, et des quiproquos forts utiles dans un contexte de tentative de justification de créations d’emplois, tout à la fois dans l’identification des logiques, et dans les positionnements des acteurs. L’enchevêtrement des régulations affecte une offre de service historiquement dominée par les CCAS (centres communaux d’action sociale) et les associations. L’extension de l’emploi direct dans les années quatre‐vingt‐dix, puis l’ouverture, récente, aux entreprises commerciales sont concomitantes de l’affirmation de la thématique des services à la personne sur l’agenda politique. Cette diversification de l’offre, souvent présentée comme une chance, est insuffisamment questionnée. Ce rapport revient donc sur ce secteur des « services à la personne » et articule certainement les différents enjeux identifiés ci‐dessus. Mais l’histoire de notre recherche collective n’a pas suivi avec linéarité les objectifs initiaux que nous avions co‐construits avec notre commanditaire la DIIESES. 2. TOURS ET DETOURS DE LA RECHERCHE Dans le projet initial en effet, nous envisagions évaluer les mutations sectorielles qui s’opèrent sous nos yeux, quasiment en temps réel sous l’impulsion particulière du plan des services à la personne. Ces objectifs4 renvoyaient à la possibilité d’apprécier l'impact des récentes réformes du secteur sur l'accès aux services, les relations à l’usager/client, la professionnalisation des métiers et la qualification des emplois ; de construire un cadre d’évaluation de l’utilité sociale à 4 Voir l’appel d’offre de la DIIESES 4 même de comparer l’offre privée lucrative, l’offre non lucrative et le gré à gré ; de qualifier les changements de régulation sectorielle qui sont à l’œuvre. Ces points n’ont pas échappé à notre vigilance, et ont animé la plupart de nos réflexions collectives. Au fur et à mesure de nos investigations, des inflexions sensibles se sont toutefois opérées, tout à la fois sous la pression des réalités empiriques – les faits sont têtus ‐, et du fait des contingences méthodologiques imposées, ces dernières étant intimement liées aux avancées théoriques que cette recherche a favorisées. Un certain principe de réalité a présidé aux choix de limiter notre champ d’investigation qualitatif sur quelques branches qu’englobe le vaste et éclectique « services à la personne ». Nous nous sommes limités à deux métiers identifiés dans les nomenclatures des professions et catégories sociales (PCS) constituant au demeurant la part principale de l’activité des services à la personne : les aides à domicile et les employés de maison. Conformément aux objectifs initiaux, la recherche a donc poursuivi une analyse critique des catégories statistiques induites par les reconfigurations récurrentes du périmètre sectoriel. Elle conduit à questionner les chiffres avancés à l’occasion de la mise en place du plan Borloo. Selon nos estimations, ces deux activités représentent à elles seules, au milieu des années 2000 environ 800 000 emplois (Chol and Viger 2007), sur un probable secteur des services à la personne en comportant entre 1,3 millions et 1,6 millions en 20075. Mais nous peinons à parler de « créations d’emplois », tant ce qui se joue, au‐delà de la difficulté à capter statistiquement ces créations, est le plus souvent encore, la création de miettes d’emplois (Maruani 2000). Nous reviendrons sur ce point. L’inflexion, conduisant à évoquer de façon en apparence parcellaire la question de l’utilité sociale des activités de services à la personne, s’est progressivement imposée à nous du fait d’autres urgences que nous imposaient ce que nous pourrions appeler une certaine instabilité sectorielle liée à des régulations auxquelles s’adossent de nouvelles institutions (Agence Nationale des Services à la Personne, Agence Nationale de l’Evaluation Medico‐Sociale) qui apparaissent à la fois comme des outils d’évaluation et les garants d’une certaine forme de performance de ces politiques publiques mais aussi à l’arrivée de nouveaux acteurs (entreprises privées, enseignes etc.). Ces « innovations institutionnelles » s’accompagnent d’une difficulté réelle de capter statistiquement ce secteur multiforme et d’un brouillage institutionnel considérable dans le domaine des régimes d’autorisation et de contrôle des activités (au nom de la défense du libre choix notamment) et sont autant d’aspects nouveaux sur lesquels nous avons du accorder une attention plus soutenue que celle que nous avions prévue. Cette instabilité institutionnelle est le fruit d’une sédimentation et d’un enchevêtrement dans le temps de dispositifs selon que le législateur met l’accent sur l’ancrage socio‐sanitaire de l’aide domicile (APA‐allocation personnalisée d’autonomie, loi 2002‐2) ou sur la création d’emplois de services dont la liste ne cesse d’être étendue (plan Borloo). La cohérence de cette coexistence –voire d’une concurrence‐ entre une pluralité de conventions de qualité a donné lieu à des analyses détaillées et une catégorisation des dispositifs de jugements qui sous‐tendent les discours des 5 Les autres emplois dont il est question comprennent la garde d’enfants à domicile, et la myriade de petites activités dont le contenu est difficilement identifiable statistiquement. Il relève le plus souvent du particulier‐employeur (voir chapitre 1). 5 acteurs, tant pour qualifier la professionnalisation des métiers que pour évaluer les besoins et mettre en relation l’offre et de la demande. Le fait qu’une partie de ces services soit source d’utilité sociale, et la manière avec laquelle cette caractéristique est mise en question par les changements à l’œuvre, a néanmoins indirectement traversé les chapitres. D’abord lorsque la question « quels emplois sont créés ? » a été posée (chapitres 1, et 2) et que leur qualité a été finement auscultée (chapitre 3). Ensuite lorsqu’a été mise en lumière la pluralité des registres de performance de l’activité du service de l’aide à domicile : produire un service « qui fait du bien » lorsque l’on examine le besoin, un service « juste » lorsque l’on examine l’action publique, ou un service « performant » lorsque l’on se penche sur l’organisation (chapitre 4). Les chapitres 5 et 6 n’ont pas non plus été en reste sur cette question. En abordant les aspects de régulation sectorielle, ces chapitres montrent que les politiques publiques, en particulier celles qui visent à développer les dispositifs d’intermédiation formels et impersonnels avec des objectifs se déclarant clairement marchands (enseignes, plateformes) doivent, pour gagner en efficacité, être pensés et articulés avec les réseaux sociaux et professionnels qui interviennent dans l’identification et la sélection de l’offre de service. La mise en lumière de l’instabilité institutionnelle entretenue depuis des années a moins conduit à la construction d’un cadre d’évaluation de l’utilité sociale unique et cohérent qu’à mieux situer le discours et les pratiques des acteurs entre différentes logiques d’actions. Pour autant, les chapitres du rapport présentent des éléments partiels de comparaisons entre l’offre privée lucrative, l’offre non lucrative et le gré à gré notamment sur la création et la qualité de l’emploi. Mais la combinaison entre une analyse quantitative et qualitative a permis de se prémunir contre les risques d’homogénéisation a priori des catégories d’employeurs sur l’unique critère du statut (CCAS, associations, entreprises lucratives, particulier‐employeur) pour mettre en évidence la diversité des positionnements et des pratiques. C’est particulièrement vrai pour les associations qui sont tiraillées entre le renforcement d’un ancrage socio‐sanitaire autour de la prise en charge des personnes fragiles, et une mutation vers une démarche plus entrepreneuriale, qui assumerait la concurrence avec les entreprises commerciales, et jouerait la carte de la diversification des services comme des publics. 3. METHODOLOGIE ET TERRITOIRES Résolument inductive, notre méthodologie a eu recours de manière systématique à deux sources de données : une étude quantitative descriptive et une analyse qualitative, sous forme d’enquêtes de terrain. Revenons sur chacune d’entre elles. D’une part, nous nous sommes appuyés de façon systématique sur les statistiques disponibles sur une partie en tout cas du périmètre sectoriel. Deux types de données ont été mobilisées, dans le but de développer une analyse infra nationale. Administratives pour les premières (issues des travaux de la Dares, et des données Ircem), ces statistiques sont caractérisées par leur déclinaison possible selon les régions et les départements. Or, des logiques territoriales fortes structurent tout ou partie du secteur, qu’il s’agisse des niveaux d’emploi, de la qualité de ces emplois ou encore de l’accès aux services et à leur qualité. Une manière d’évoquer ce contraste a constitué à identifier deux régions, théâtre de nos enquêtes empiriques et du portrait statistique. 6 Nous avons choisi, pour ce faire, la région Nord‐Pas de Calais et la région Ile de France6. Dans la première, les deux départements, le Nord et le Pas de Calais ont fait l’objet d’un traitement équitable. En Ile de France, ce sont surtout Paris et la Seine Saint Denis qui ont été le terrain privilégié de l’enquête. Ne cachons pas que les régions ont d’abord été identifiées pour leur facilité d’accès, du fait des réseaux tissés par les chercheurs avec divers acteurs dans des recherches antérieures. Mais il n’était pas non plus inintéressant d’examiner les différences entre l’Ile de France et la « province ». Paris en particulier apparait très atypique par rapport aux autres départements français qu’il s’agisse du poids du régime mandataire par rapport au régime prestataire (voir infra, chapitre 2), ou du fait des contrastes dans les durées moyennes du travail, ou encore du fait du poids des entreprises privées commerciales.. Cet atypisme interroge certaines régulations dont la source d’inspiration est parfois très parisienne et correspond peu aux réalités et contingences territoriales. On pense en particulier à la pénibilité liée aux trajets, qui revient de façon récurrente dans les entretiens auprès des salariés de la province et certainement moins à Paris. On pense aussi aux stratégies déployées par les salariées en matière de recours au système mandataire, davantage plébiscité à Paris, et plus subi en province. Mais le niveau territorial le plus intéressant pour l’analyse de l’aide à domicile est sans conteste le niveau infrarégional. Et il l’est pour au moins deux rasions. D’une part, du fait que la politique de l’APA relève des Conseils généraux. Il apparait que Paris et la Seine Saint Denis, issus d’une même région, n’ont rien en commun en matière de recours aux services à la personne, ni en niveau, ni en contenu, de même que les comparaisons entre Lille‐Nord et le Pas de Calais révèlent des contrastes importants. D’autre part, s’agissant de services de proximité, très dépendants de clientèles spécifiques (personnes âgées, catégories sociales très élevées…), la demande peut sensiblement varier d’un bassin d’emploi à un autre. Nous nous limiterons, dans ce rapport, à l’identification de contrastes entre départements. La seconde source de données a été l’Enquête emploi. Les statistiques que nous avons extraites de cette enquête ont permis d’enrichir nettement l’analyse de la qualité des emplois générés dans ce secteur. Cette seconde source d’informations n’est cependant pas régionalisable, malgré divers appels en ce sens depuis plusieurs années ((Cnis 2007); (Gadrey et al. 2006)). Ce constat d’un système régional d’information relativement lacunaire interroge la visibilité que peuvent avoir les politiques publiques décentralisées, en particulier sur notre champ d’investigations, sur les conséquences régionales, et a fortiori infrarégionales, de la mise en place et du développement de l’APA ou de politiques de formations professionnelles visant au développement des emplois dans l’intervention à domicile. On a montré, dans d’autres travaux, qu’au niveau des territoires, l’état de la statistique territoriale était entachée de zones d’ombre couvrant des pans entiers de l’emploi et du travail, en particulier les conditions d’emploi et les conditions de travail (Jany‐Catrice 2007). Les statistiques faisant référence aux régions, et les comparant le cas échéant entre elles, relèvent donc, dans ce rapport, uniquement de sources administratives. Celles‐ci sont composées de données utiles (niveau d’emploi, durée du temps de travail, activité) mais très 6 Pour des raisons de facilité d’accès au terrain, quelques entretiens ont été réalisés en Haute Normandie, région dans laquelle les contrastes entre la Seine Maritime et l’Eure sont intéressants et montrent l’importance du régulateur pour la production de liens à l’emploi de qualité. Cette spécificité territoriale fera l’objet de recherches ultérieures. Nous ne l’évoquerons que de façon suggestive dans ce rapport. 7 insuffisantes eu égard à la richesse potentielle que constitue l’Enquête emploi (temps partiel contraint ou choisi, relation d’emploi (précarité), conditions de travail selon les caractéristiques sociodémographiques de la population étudiée). Une analyse vraiment approfondie au niveau des départements, où se jouent une partie des régulations sectorielles (voir chapitre 6) ne peut faire l’économie de données qui seraient issues de l’enquête emploi régionalisée, seule capable d’examiner finement la qualité des emplois et les conditions de travail. D’une certaine manière, ce plaidoyer constitue en soi un résultat incident de notre recherche. Ce qui se noue dans ce secteur n’est évidemment pas réductible à une batterie d’indicateurs statistiques. Une enquête qualitative auprès d’interlocuteurs de différents statuts a très nettement enrichi ce premier état des lieux. A ce stade de l’analyse, nous avons limité raisonnablement cette enquête à deux segments des « services à la personne » : les services de confort à domicile et plus encore aux interventions à domicile auprès des personnes âgées. Ce compromis est le fruit de facteurs pratiques : accès aux interlocuteurs, poids de cette activité dans le total de l’activité (au moins la moitié des emplois de services à la personne), mais aussi de facteurs analytiques puisque c’est sur ce métier de l’intervention au domicile, que les tensions identifiées ci‐dessus sont les plus vives : politique d’emploi vs. politique sanitaire et sociale ; services pour publics fragiles (et tout particulièrement les personnes âgées dépendantes) vs. services pour ménages actifs ; qualification des structures vs. qualification des personnes. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces tensions dans différents chapitres de ce rapport. Pour mener cette enquête qualitative, nous avons adopté, dans les deux régions étudiées, une unique grille élaborée par l’ensemble des participants au projet. Chaque catégorie d’acteurs a été interrogée selon une grille dédiée : salariés, employeur‐association, employeur‐entreprise privée. Un canevas de questions, à géométrie variable, pour les acteurs de la régulation a été rédigé et mis en expérimentation dans les deux régions, et les quatre départements. Nous avons au total réalisé 85 entretiens semi‐directifs entre janvier et septembre 2007, systématiquement enregistrés et retranscrits. 30 salariés ont été interrogés au cours d’entretiens en face à face, menés hors du regard de leur hiérarchie. Leur durée a varié de 30 mn (pour certaines salariées en gré à gré) à 1h30 pour de nombreux salariés en régime prestataire. Par ailleurs, 32 employeurs ont également accepté de répondre à nos entretiens semi‐directifs. Parmi eux, on trouve des employeurs associatifs, des directeurs de CCAS et des directeurs d’entreprises de services. 16 entretiens ont également été réalisés auprès des « acteurs de la régulation » du marché de l’aide à domicile auprès des personnes âgées. La prise de rendez‐vous a parfois été rendue compliquée en particulier dans les Conseils généraux qui, nous ont‐ils dit à plusieurs reprises, ne souhaitent pas « parler à la place de leurs élus ». C’est la raison pour laquelle nous avons anonymisé de façon drastique les propos de ces interlocuteurs. On trouve, parmi ces acteurs de la régulation des responsables de DRTEFP (Direction régionale du travail et de la formation professionnelle), des référents ANSP en région, des responsables APA dans les conseils généraux, des responsables formation, un médecin du travail, un médecin référent dans un conseil général, des directeurs de fédérations d’association, des maisons de l’emploi, des formateurs dans l’aide à domicile (voir tableau récapitulatif en annexe). Notre méthode inductive a consisté, dans la plupart des chapitres, à confronter les discours et les jugements des acteurs à trois niveaux : usagers (bien que le nombre d’entretiens (7 personnes aidées ont été interrogées, toutes en Ile de France) soit ici relativement peu 8 significatif de la diversité des publics), salariés, employeurs et acteurs de la régulation. Sans la disponibilité dont ont fait preuve tous ces acteurs, dont certains n’ont ménagé ni leur temps ni leurs efforts pour s’entretenir avec nous des enjeux du secteur, cette recherche n’aurait pu être menée à son terme. Nous identifions, au terme de ce travail articulant ces aspects quantitatifs et qualitatifs, trois angles morts constituant autant de limites à l’entreprise, et des pistes de prolongement de ces analyses. D’une part, la très faible représentation des usagers dans notre échantillon est un aspect fragilisant en partie certaines analyses sur la qualité, mais aussi sur les régulations. D’autre part, la quasi‐absence, dans notre échantillon, de salariés en gré à gré (deux seulement ont accepté un entretien, malgré la grande ténacité des enquêteurs), des salariés travaillant au noir, ou encore la sous représentation des travailleurs immigrés dans notre échantillon, pose des questions. Cette limite est aussi l’un des symptômes d’une activité profondément atomisée, avec peu ou pas de collectifs de travail, sans prise pour le chercheur. Les syndicats ne sont guère actifs sur ces situations de particulier‐employeurs, et nous ne les avons pas non plus contactés, ce qui constitue une troisième limite de ce travail. Présente dans les cas d’organismes prestataires, la médecine du travail n’a pas accès aux salariés relevant de la convention collective du particulier‐
employeur, c'est‐à‐dire, dans les services à la personne, à 84% des emplois7. Cet angle mort de notre recherche, qui en est une limite incontestable, est plus généralement un pan invisibilisé du marché du travail. Ce constat est d’autant plus inquiétant qu’on le rappelle, ce secteur est considéré comme une des clefs de voute des politiques d’activation du marché du travail à la française. Les premières évaluations de reprises d’emploi de salariés bénéficiant du RSA semblent directement conduire une partie importante des salariés sur ce type d’emplois. Mais d’autres recherches seraient nécessaires sur ces mêmes thèmes, en cherchant à accroitre les prises de vue directes sur ces publics fragiles, souvent relégués en dehors des champs d’enquêtes. 4. STRUCTURE DU RAPPORT Nous avons organisé notre rapport autour de six chapitres, chacun sous la responsabilité éditoriale d’un chercheur. Chaque chapitre cependant s’est nourri tout à la fois du terrain de tous les chercheurs, dont les entretiens ont systématiquement été mutualisés, et des séances régulières de confrontations des cadres interprétatifs des résultats qui émergeaient au fur et à mesure, ainsi que de la collecte de données. Les deux premiers chapitres, rédigés par Florence Jany‐Catrice cherchent à éclaircir les contours sectoriels remodelés par la loi de 2005. Le chapitre 1 « les services à la personne : catégories, nomenclatures, discours », rappelle que pour être validées, les catégories classantes relèvent généralement tout à la fois de registres statistiques, cognitifs et politiques. C’est l’articulation équilibrée de ces trois registres de représentation qui permet à une catégorie 7 Même si certains des intervenants peuvent subir un examen médical au titre de la part salariée de leur activité. 9 classante de s’imposer progressivement. Florence Jany‐Catrice montre que, dans le cas des services à la personne (au sens du plan de cohésion sociale de 2005), c’est le registre politique qui domine l’ensemble, faisant fi de, et sans doute s’appuyant sur, la confusion que génère le cas échéant un tel regroupement d’activités disparates voire éclectiques. Conscients des limites de l’exercice, le chapitre 2 tente cet impossible exercice de l’évaluation des niveaux d’emplois dans le secteur, et de la croissance de ces emplois dans le temps. L’auteur identifie trois phases de croissance de l’emploi dans le secteur des OASP, la dernière ayant débuté en 2003. Replacée dans cette perspective historique, la performance de création d’emplois dans le secteur des services à la personne entre 2005 et 2006 apparait médiocre et, dans tous les cas, contrastée selon les régions. Les données administratives permettent, depuis 1997, d’identifier une partie de l’activité privée commerciale qui prend son essor dans le secteur des services à la personne. Florence Jany‐Catrice montre que les emplois qui s’y développent le font sur une base de durée du travail très faible, ce qui conduit, lorsqu’on raisonne en équivalents temps plein, à des niveaux et créations d’emplois encore plus limités. Le chapitre 3 approfondit ce premier bilan, en l’enrichissant par une entrée par la qualité de l’emploi. François‐Xavier Devetter esquisse ainsi une évaluation de cette qualité à partir d’outils de mesure mis au point par le BIT (bureau international du travail) au début des années 2000 (Somavia, 1999), et en s’appuyant cette fois sur l’enquête emploi. Ceci lui offre l’avantage de peaufiner les critères, mais l’inconvénient de ne pouvoir être décliné territorialement. Les travaux du BIT associent la notion d’emplois décents ou d’emplois adéquats à des critères relevant des dimensions suivantes : rémunérations des salariés, sécurité, conditions de travail, reconnaissance. Sur la base de ces travaux, François‐Xavier Devetter souligne que les emplois générés par le secteur des services à la personne ne vérifient aucun des critères de “convenabilité” des emplois au sens du BIT. Ce bilan quantitatif, qui fait état d’une situation particulièrement médiocre, peut être partiellement nuancé selon les catégories d’organismes. L’auteur identifie notamment des contrastes importants entre les emplois du secteur de l’économie sociale, les emplois du secteur privé, et ceux du secteur du particulier‐employeur. Ceci constitue, ici aussi, un résultat majeur de cette recherche. Ces trois premiers chapitres ont permis de dresser un bilan quantitatif peu avenant de l’évolution du secteur, pris dans l’étau de la concurrence. Cette concurrence exerce des forces cumulatives en poussant à la division des tâches, les entreprises privées s’implantant surtout dans le secteur des activités de ménage, et fragilisant de la sorte les stratégies de globalité sur lesquelles les associations étaient massivement engagées : globalité de la prestation, globalité de la prise en charge… peu compatible avec une division accrue des tâches. C’est sur la base de ce constat que le chapitre 4 soulève une question centrale pour la pérennité de ce secteur, et pour la légitimation d’un espace réservé à l’économie sociale: la question de l’articulation entre qualité d’emploi et qualité du service. Thierry Ribault rend compte de la pluralité des représentations – et de leur légitimation – de la professionnalisation, et propose ce faisant d’identifier des « cercles vertueux » qualité de service‐qualité d’emploi. Adoptant une approche résolument constructiviste, l’auteur de ce chapitre repère, après une fine et systématique analyse transversale de l’ensemble des entretiens, une grande diversité de conventions de professionnalité et alerte sur les risques encourus à vouloir réduire la richesse de ces conventions à une seule d’entre elles, en particulier celle qui est incitée à se développer 10 actuellement : la convention de professionnalité marchande. Quand bien même la jugerait‐on nécessaire à l’évolution et à la modernisation des métiers de l’aide à domicile, elle ne peut en aucun cas être considérée comme suffisante à garantir une avancée durable en matière de qualité d’emploi comme de qualité de service. Dans le chapitre 5, Laurent Fraisse et Marie‐France Gounouf identifient les tensions au cœur de la mise relation de l'offre et de la demande, de la détection d’un besoin d’aide à l’identification et à la sélection d’un service. Ils montrent que la multiplication des dispositifs d’intermédiation interroge la cohérence, l’équité et l’efficacité des politiques publiques. Cohérence lorsque l’autonomisation et la formalisation croissante des fonctions d’évaluation des besoins et de la mise en relation de l’offre et la demande ne débouchent pas sur une amélioration de information et de la hiérarchisation de la qualité des différents modes d’intervention (prestataire, mandataire et gré à gré) à même d’orienter des personnes âgées dans la sélection d’un service d’aide à domicile. Equité lorsque le nombre inégal d’intermédiaires participant de l’évaluation des besoins ne repose pas uniquement sur le degré d’autonomie de la personne, mais aussi sur le mode d’intervention et le mode de solvabilisation du service. Efficacité de dispositifs d’intermédiation plus formels (enseignes, plateformes, certification) lorsque ceux‐ci ne sont pas pensés et articulés avec les réseaux personnels qui interviennent dans l’identification et la sélection de l’offre de service. Le chapitre 6 propose une actualisation éclairante des régulations sectorielles en articulant rétrospective historique et enjeux des nouvelles réglementations. Laurent Gardin présente d’abord l’évolution des politiques publiques qui se juxtaposent plus qu’elle ne se substituent les unes aux autres depuis trente ans. Il approfondit les politiques publiques les plus récentes, en particulier celle de 2002 sur la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie et celle de 2005, le Plan Borloo, sur le développement des services à la personne. Ces politiques ont un impact sur les employeurs du secteur qui demande d’être précisé : accroissement de l’emploi direct de gré à gré, entrée des entreprises commerciales, mutations des positionnements associatifs, cantonnement de l’action du service public. Face à ces politiques, les acteurs du secteur développent aussi leurs propres stratégies sur le choix des services développés, sur l’accessibilité des usagers (plus ou moins ciblés), sur le statut des salariés, leur formation, le positionnement par rapport aux autres employeurs. Cette confrontation fait émerger trois types de régulation. Si, avec le développement des services à la personne, la régulation concurrentielle semble devenir dominante dans le discours des acteurs, ses limites sont identifiées, ainsi que la persistance d’une régulation tutélaire héritée de la construction historique du secteur de l’aide à domicile. En outre, face aux régulations tutélaire et concurrentielle, la branche de l’aide à domicile tente spécifiquement de construire une régulation conventionnée, fondée sur la loi 2002‐2 de rénovation de l’action sociale et médico‐sociale, ainsi que sur les revendications des acteurs associatifs, et vise ainsi à faire reconnaître son utilité sociale. 5. VALORISATION DE LA RECHERCHE Ces premiers résultats de recherche devraient être certainement encore confrontés à d’autres terrains, d’autres expériences, aux acteurs, à ceux qui sont porteurs de l’identité de l’économie 11 sociale, mais aussi aux professionnelles, aides à domicile: comment se reconnaissent‐ils/elles dans nos grilles d’analyse et dans les résultats que nous avons proposés ? Pour ce faire, trois prolongements sont envisagés pour certains, planifiés pour d’autres. Le 23 mai 2008 les trois équipes partenaires de ce projet organiseront une journée de restitution des travaux à l’IFRESI (Lille). Au cours de cette journée, différents intervenants viendront croiser les regards portés sur les mutations de ce secteur. Jean Gadrey (Professeur Emérite à Lille1) introduira la journée en présentant des réflexions qu’il mène sur la question de l’utilité sociale adossée à ce secteur. Franck Bailly et Karine Chapelle (économistes, Care, Université de Rouen), présenteront leurs travaux issus de la réponse au même appel d’offre de la DIIESES, sur la formation professionnelle dans l’économie sociale. L’après midi sera consacrée aux questions de qualité d’emploi, qualité de service et professionnalisation. Un temps de la journée de restitution sera consacré aux acteurs régionaux : des syndicats seront sollicités8, ainsi que des employeurs associatifs et directeurs d’entreprises de services à la personne. Ils auront tribune ouverte tout à la fois pour réagir aux résultats de cette recherche mais aussi pour présenter leur propre diagnostic sectoriel. Deux pistes de publication prolongeront ce travail, et ces restitutions. D’une part est envisagée la rédaction d’un ouvrage collectif : « l’aide à domicile face aux services à la personne : mutations, confusions, paradoxes ». Les éditions ERES ont été approchées et se sont montrées intéressées par la publication d’un ouvrage sur la base des enjeux politiques sociaux et économiques dont il serait porteur. Un ouvrage des seuls membres du CLERSE pourrait aussi voir le jour aux éditions La Découverte. Il s’agirait ici de diffuser, sous une forme plus accessible qu’un ouvrage directement issu d’un programme de recherche, les principaux enjeux pour le marché du travail, de l’essor du secteur des « services à la personne ». La publication de ces ouvrages bénéficierait d’un appui financier de l’Institut Universitaire de France. BIBLIOGRAPHIE Cahuc, P., and M. Debonneuil. 2004. Productivité et emploi dans le tertiaire. In n°49, edited by r. d. CAE: Paris. Chol, A., and E. Viger. 2007. Données statistiques relatives au temps partiel dans le secteur des services à la personne. note de la DARES octobre. Cnis. 2007. Niveaux de vie et inégalités sociales edited by J. Freyssinet, 117. Gadrey, J., M. Laffut, and C. Ruyters. 2006. Des indicateurs régionaux de développement humain dans le Nord‐Pas‐de‐Calais et en Wallonie. In Etudes Prospectives Régionales edited by C. R. N. P. d. Calais. Lille. Jany‐Catrice, F. 2007. Inégalités et pauvreté dans la région Nord Pas de Calais. Baromètres: Rapport pour le conseil Régional Nord Pas de Calais 250. Maruani, M. 2000. Travail et emploi des femmes. Vol. repères. Paris: Ed. La Découverte. 8Pour le moment CGT, CFDT, UNSA 12 ANNEXE à l’INTRODUCTION Référencement. Entretiens principalement réalisés entre février et juillet 2007 Tableau des entretiens réalisés dans le Nord (N) et le Pas de Calais (PdC) Salariés S Employeurs Em Association A Public Pu Privée Pr Gré à Gré G Régulateurs R Expert : Exp Ex : Un employé dans une association du département du Nord sera référencé : SA‐N Un employé dans une entreprise privée du Nord sera référencé SP‐N Un employeur gré à gré EmG‐N Un financeur APA du Conseil Général Nord R‐N Tableau de référencement des 46 entretiens réalisés sur la région Nord Pas de Calais Référencement pour les entretiens SA‐N1 SA‐N2 SA‐N3 SA‐N4 SA‐N5 SA‐N6 SA‐N7 SA‐N8 SA‐N9 SA‐N‐FX1 SA‐N‐FX2 SA‐N‐FX3 SA‐N‐FX4 SA‐N‐FX5 SA‐N‐FX6 EmA‐N1 EmP‐N1 R‐SM1 Fonction Salariée association Salariée association Salariée association Salariée association Salariée association Salariée association Salariée association Salariée association Salariée association Salariée association puis gré à gré (employée de maison)
Salariée entreprise (employée de maison)
Salariée entreprise (employée de maison)
Salariée en emploi direct non déclarée
Salariée, auxiliaire de vie, association. Salariée, auxiliaire de vie, association. Directeur association employant prés de 1000 salariés et seule association certifiée dans le département. Directeur CCAS d’une commune de 21 000 habitants
Direction DIPA (direction des personnes âgées et personnes handicapées) N° 1
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13 EmA‐N2 EmA‐N3 EmA‐N3 Exp1 EmPu‐PdC1 A‐EmPrG‐N R‐N1 R‐PdC1 R‐N2 EM‐PR‐N1 EM‐A‐N5 EM‐A‐N6 EM‐PR‐N2 EM‐PR‐N3 EM‐A‐N7 EM‐PR‐N4 EM‐PR‐N5 EM‐PR‐N6 EM‐A‐N8 EM‐A‐N9 EM‐PR‐G‐N7 EM‐PR‐N8 EM‐A‐N10 EM‐PR‐N9 EM‐PR‐N10 EM‐PR‐N11 EM‐PU‐N1 EM‐PR‐N11 responsable APA au sein q »un conseil général
Directeur général d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile. Directrice générale d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile. Présidente d’une association regroupant des associations de l’aide à domicile Brigitte Croff Conseil Directrice CCAS d’une commune d’environ 3000 habitants
Chargée de comm. FEPEM
Directeur d’une antenne départementale ANSP
Chargée de mission Suivi des Politiques et Expertise Conseil Général Pas de Calais. Responsable du Pole Etablissements et Services, Conseil Général Nord Directeur d’une entreprise employant une vingtaine d’intervenantes à domicile Directrice d’une association employant une cinquantaine d’intervenantes à domicile. Directeur d’une association employant une cinquantaine d’intervenantes à domicile Directeur d’une entreprise de services à la personne présente nationalement (plus de 500 salariés) Directrice agence d’intérim dédiée aux services à la personne
Responsable qualité d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile. Directrice d’une entreprise de service à la personne, franchisée d’un réseau national. Directeur d’une entreprise de services à la personne (environ 15 salariés) Directrice d’une association d’insertion employant une cinquantaine d’intervenantes à domicile Directeur d’une association d’insertion employant une cinquantaine d’intervenantes à domicile Directrice d’une entreprise unipersonnelle mettant à disposition des particuliers du personnel de maison en système mandataire. Directeur agence d’une entreprise de service à la personnes (quelques salariés). Directrice d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile Directrice d’une entreprise (SARL) de services à la personne, spécialisée dans les prestations de conforts (environ 20 salariés) Directrice d’une entreprise (franchisée) de services à la personne, spécialisée dans les prestations de conforts (environ 15 salariés) Directrice – salariée d’une entreprise de service à la personne (quelques salariés). CCAS Ville de 50 000 habitants
Chargée de mission FEPEM en charge d’une association mandataire. 20
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14 Tableau de référencement des 36 entretiens réalisés sur la région Ile de France Salariés S Employeurs Em Association A Public Pu Entreprise E Gré à Gré G Régulateurs R Personne aidée PA SA‐P1 Salariée association mandataire
SA‐P2 Salariée association prestataire
SA‐P3 Salariée association prestataire/mandataire
SA‐P4 Salariée association prestataire/mandataire
SA‐P5 Salariée association prestataire/mandataire
SA‐P6 Salariée association mandataire
SA‐P7 Salariée association mandataire
SA‐P8 Salarié association mandataire
SE‐P1 Salariée entreprise SE‐P2 Salariée entreprise SE‐P3 Salariée entreprise SG‐P1 Salariée en emploi direct
SG‐P2 Salariée en emploi direct
SPu‐P1 Salarié CCAS SPu‐P2 Salariée CCAS EmA‐P1 Directeur d’une association de près de 300 intervenantes à domicile EmA‐P2 Directrice d’une fédération régionale d’environ 250 intervenantes à domicile EmPA‐P3 Directrice et nouveau responsable association mandataire de plus de 350 intervenantes à domicile EmPu‐P1 Responsable du service aide à domicile d’un CCAS
EmG‐P1 Particulier‐employeur d’une aide ménagère en gré à gré
EmG‐P2 Particulier‐employeur d’une aide ménagère en gré à gré
EmE‐P1 Responsable d’une agence d’entreprise d'aide à domicile
RA‐P1 Directeur d’une fédération associative RA‐P2 Chargée de mission personne âgée de l’URIOPSS IDF
PAA‐P1 Homme malade vivant en couple, usager d’une association PAA‐P2 Femme de 80 ans vivant seule, usager d’une association
PAA‐P3 Femme de 91 ans, employeur d’une aide à domicile par l’intermédiaire d’une association mandataire PAA‐P4 Le mari d’une femme de 81 ans, employeur d’une aide à domicile par l’intermédiaire d’une association mandataire PAA‐P5 Homme de 74 ans, usager d’une association prestataire pour l’aide ménagère et d’une association mandataire pour l’auxiliaire de vie 47
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15 PPA‐P6 PAPu‐P1 PAPu‐P2 R‐P1 R‐P2 R‐P3 R‐P4 R‐P5 Homme seul, usager d’une association prestataire sur Paris
Femme de 84 ans vivant seule, usager d’un CCAS
Homme de 88 ans vivant seul, usager d’un CCAS
Directeur d’une antenne départementale ANSP
Chargée de mission Conseil général paris
Chargée de mission d’une enseigne
Chargée d’études Maison de l’emploi
Chargée de mission DDTE
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16 CHAPITRE 1. OFFRE ET DEMANDE DE SERVICES A LA PERSONNE: CHIFFRES, CATEGORIES ET DISCOURS Florence Jany­Catrice1 SOMMAIRE Introduction ............................................................................................................................................... 17 1. Intention du chapitre ..................................................................................................................................... 17 2. Plan du chapitre ............................................................................................................................................... 18 1. Les services à la personne : secteur insaisissable ................................................................... 19 1.1. L’histoire du secteur des services à la personne ............................................................................. 21 1.2. La constitution du secteur accompagne la rhétorique des gisements d’emploi ................ 22 1.3. Les services à la personne : une catégorie ordinaire .................................................................... 26 1.4. Une stratégie politique de regroupement d’activités disparates ............................................. 26 1.5. Les nomenclatures sectorielles et de métier : l’enquête emploi de l’Insee .......................... 30 2. La nature de l’organisation des prestations dans les services à la personne et ses conséquences sur l’estimation de l’emploi ..................................................................................... 37 2.1. Des prestations au domicile ..................................................................................................................... 37 2.2. Plusieurs conventions collectives structurent le secteur ............................................................ 38 2.3. Situations de multi employeurs ............................................................................................................. 40 2.4. Multi‐employeurs et multi statuts ........................................................................................................ 42 2.5. La Polyvalence, poly activité .................................................................................................................. 44 2.6. VAE .................................................................................................................................................................... 45 2.7. Chèque emploi service universel ........................................................................................................... 45 3. Les données disponibles : entre données administratives et enquête emploi ............. 47 3.1. Les données à disposition : la source des organismes agréés des services à la personne (OASP) ....................................................................................................................................................................... 47 3.2. Les données à disposition : la source IRCEM .................................................................................... 51 Conclusion................................................................................................................................................... 52 bibliographie ............................................................................................................................................. 53 1 Je remercie vivement Nicole Gadrey et Alexandra Chol qui ont été sollicitées pour différents aspects lors de la rédaction de ces chapitres 1 et 2. Je remercie également l’Ircem pour les données mises à disposition. Je reste seule responsable de toutes les erreurs et maladresses qui subsistent. 17 INTRODUCTION 1. INTENTION DU CHAPITRE Disons le tout de go : estimer l’emploi de ce secteur des services à la personne s’avère mission délicate. Les difficultés sont multiples comme en témoignera la partie 1 de ce chapitre dont l’objectif est tout à la fois de présenter les complications auxquelles le chercheur est confronté, mais aussi d’avancer des éléments d’explication de ces difficultés dans l’entreprise de quantification qui nous anime ici. Le constat auquel nous aboutirons d’une impossible consolidation fiable des données pourrait n’être qu’une question secondaire si elle ne conduisait pas, on y reviendra en fin de chapitre, à de« grands écarts » dans les estimations, selon les sources. Les marges de manœuvre sont telles qu’elles appuient au gré des rhétoriques politiques, des visions tout à fait contrastées de la « société des services » et des estimations parfois fantaisistes des niveaux d’emploi. M. Debonneuil (Debonneuil 2007) évoque ainsi la création de « 1,5 millions d’emplois depuis 1995, soit les deux tiers de l’augmentation totale de l’emploi » dans le secteur des « services aux personnes ». Plus généreux encore, J. Defontaine (Defontaine 2006) affirme que le secteur des « services à la personne » regrouperait 25 à 35% de la population active, ce qui signifierait entre 6 et 7 millions d’actifs dans ce secteur (2007, p.17). Plus intéressant peut être encore réside la contradiction entre cette estimation, et celle de la préface de ce même ouvrage, quelques pages plus tôt (p. 13) : « Les services à la personne, écrit P. Bacqué, connaissent une forte croissance depuis une dizaine d’années : +5,5% par an, soit la création de 70 000 emplois annuels. Aujourd’hui (2006), 1,3 millions de personne travaillent dans ce secteur ». De 1 million à 7 millions de salariés dans le secteur… De 70 000 emplois annuels créés à 150 000… Dans aucun cas, ces propos écrits ne sont assortis de sources. Et derrière ce secteur que tout le monde pense connaitre, se cachent des représentations contrastées du monde… C’est ce constat d’un insaisissable secteur des services à la personne qui a conduit à ce que, dans les chapitres suivants (à partir du chapitre 3), nous centrions nos propos sur des activités mieux ciblées en apparence : l’aide à domicile auprès des personnes âgées. Jusqu’ici, et à notre connaissance, il existe peu d’études qui aient tenté cette quantification exhaustive des emplois du champ des services à la personne (SP). Au niveau national, c’est sans conteste les travaux de la DARES qui sont le plus aboutis, cette institution publique ayant tout à la fois repéré la diversité des sources, identifié les difficultés émanant du flou du secteur, et proposé des estimations des niveaux d’emploi, de la distribution selon les activités, et des modalités de recours à l’emploi. Ces réflexions et résultats sont disponibles dans un seul document officiel établissant ce premier état des lieux pour l’année 2005 (Chol 2007). D’autres séries de travaux prennent pour entrée les salariés des particuliers‐employeurs (voir par exemple (Marbot et al. 2008)). Mais cette entrée par une modalité de relation d’emploi particulière est très réductrice et ne cerne pas l’ensemble de l’activité. 18 Le ministère de l’économie qui a, dans le gouvernement actuel, en charge la question de l’emploi, a réalisé, de son côté, des estimations plus récentes sur la croissance des emplois puisque ces dernières portent sur l’année 2006. Ces estimations n’ont pas été commandées aux services de l’Etat, la DARES, mais ont été sous traitées à un cabinet d’étude extérieur, le BIPE. Quelques conclusions ont été mises à disposition du public et des chercheurs (6 septembre 20072) mais sans que les sources et méthodologies de ces estimations soient rendues disponibles, ce qui rend les comparaisons, avec nos propres travaux, ou avec d’autres sources, mais surtout les comparaisons diachroniques, délicates. Nous reviendrons sur ces résultats infra. Notons toutefois que les régions françaises se sont récemment lancées dans cette évaluation de l’activité sur leur territoire. Souvent pour augmenter les effets de connaissance « sur ce secteur parcellisé » (Chambre de commerce et d’industrie de Paris (Restino 2007)), ou pour « dénombrer et caractériser avec certitude ces emplois » (DRTEFP, Nord Pas de Calais (DRTEFP 2008) ; (Clément‐Ziza and Berkane 2007)), ou encore pour définir« l'évolution possible des emplois liés aux services à la personne en région » (DRTEFP, Champagne Ardenne3), les régions françaises ont, comme au niveau national, fait (ou sont entrain de faire) réaliser ces travaux estimatifs soit en interne (DRTEFP Nord Pas de Calais (DRTEFP 2008), DRTEFP Haute Normandie (Adjerad 2007)), soit en sous‐traitance à des cabinets d’études extérieurs (DRTEFP Champagne Ardenne). Ce secteur questionne, interroge, tout à la fois en termes de quantification des emplois et de leur qualification. 2. PLAN DU CHAPITRE Pour dérouler ces objectifs (que quantifier? Comment cerner ce secteur ? ), nous organisons le chapitre en trois temps. Dans une première partie intitulée « les Services à la personne : secteur insaisissable », nous présenterons les différents facteurs qui conduisent à notre thèse, celle d’un haut degré de flou dans les contours sectoriels du SP20054 et dans la mesure. Ce flou tient tout autant aux contours sectoriels qu’à celui des catégories socioprofessionnelles concernées et des « métiers » des services à la personne. La confusion qui en ressort semble être en quelque sorte la contrepartie d’un élargissement de la notion d’usagers segmentés (services aux personnes âgées, aux enfants, aux ménages etc.) à la notion en apparence neutralisée de « personne » sur laquelle le chapitre 5 reviendra également. Le projet de cette partie n’est pas d’invalider ces choix de classements en faisant référence aux caractéristiques intrinsèques des activités, ou « aux faits », mais plutôt d’articuler des estimations de cohérence et de pertinence (Gadrey 2000) pour interroger cette catégorie politique. Pour tester la cohérence du SP2005, nous cherchons à estimer si ce classement est compatible avec les classifications utilisées habituellement, en particulier l’Enquête Emploi qui demeure la seule enquête permettant de repérer finement les caractéristiques des emplois, et donc leur 2 Christine Lagarde, 2007, Conférence de presse Services à la Personne, http://minef.gouv.fr , 6 septembre (5 p.). 3 Christelle Roux; travail en cours. 4 On appellera SP2005, le regroupement des activités dans le champ des services à la personne tel qu’envisagé par le Plan de Développement des services à la personne (voir encadré). 19 qualité (Roux, 2007). La cohérence implicite des classements antérieurs est‐elle, par ces nouveaux classements, conservée ? Pour en tester la pertinence, nous introduirons quelques situations qui suggèrent un contraste fort, en tout cas, des hétérogénéités fortes, entre catégories de salariés, et entre catégories d’activité. Aucun de nos arguments ne peut invalider les constructions intellectuelles et politiques sous jacentes, parce que « l’invalidation d’une approche théorique n’est jamais dans les sciences sociales, une invalidation logique : c’est un processus social conflictuel de décrédibilisation d’énoncés antérieurement tenus pour acquis (ou robustes), un processus où peuvent intervenir d’autres acteurs que les théoriciens du domaine scientifique » (Gadrey 2000). Néanmoins, de ce premier état des lieux ressort l’idée de tensions fortes entre des réalités de terrain empreintes de logiques d’action tout à fait distinctes, et un regroupement singulier d’activités abritées sous le terme de « services à la personne ». Dans un second temps, nous tentons d’éclaircir les raisons qui, cumulées, rendent si confuse l’appréhension du secteur des services à la personne. Au‐delà des nomenclatures, nous montrons que c’est l’organisation générale de l’activité, souvent représentée comme prolongement d’une activité domestique et peu organisée, qui génère un haut degré de confusion statistique. Les fourchettes d’évaluation de l’emploi sont telles, dans ces services à la personne pourtant assimilées à un secteur fortement créateur d’emplois, que son analyse peut interroger en retour la qualité de l’ensemble de la statistique du marché de l’emploi. Un dernier temps précisera les sources administratives dans lesquelles nous avons abondamment puisé les statistiques qui nourriront le chapitre 2. 1. LES SERVICES A LA PERSONNE : SECTEUR INSAISISSABLE Le premier élément, immédiat et essentiel, pour identifier l’origine du flou dans l’estimation des grandeurs du secteur, tient à la définition du secteur. Résultat compromissoire entre une évolution historique du secteur des services aux ménages et plus encore des services de proximité, et d’une volonté politique, et économique, d’identifier de nouvelles activités, sources de gisements d’emploi, le secteur des services à la personne est constitué d’activités très diverses, comme l’illustre l’encadré 15. Ses contours sont précisément définis dans la Loi du 26 juillet 2005 –traduction législative du Plan de développement des services à la personne. A la lecture de cette nomenclature, on ne peut s’empêcher de penser que ce regroupement d’activités hétérogènes a les caractéristiques d’un instrument d’équivalence politique ((Desrosières and Thévenot 2002 (reed)), p. 49), dans la mesure où 1/ l’intitulé choisi « service à la personne » renvoie au consommateur final ou à l’usager (les personnes), 2/le lobbying des représentants des activités n’est pas étranger à certains choix d’adhésion à ce regroupement (services informatiques ; langue des signes). Les volontés d’adhésion à ce plan services à la personne ont été d’autant plus actives que les organismes agréés « services à la personne » ouvrent droit à réductions fiscales importantes pour la demande. Par cette politique fiscale 5 Nous utiliserons « SP2005 » pour nous référer à cette liste d’activités issues du Plan de développement des services à la personne. 20 avantageuse, la solvabilisation de la demande, un temps réservé aux emplois familiaux, a ainsi atteint des activités ou des secteurs très divers, et souvent marchands. Peut‐on envisager que, par le biais de ces nouvelles politiques, de grandes entreprises pourraient faire bénéficier leurs clients de tels avantages fiscaux dans le cadre de l’aide à l’installation informatique à domicile par exemple ?6. D’une certaine manière, tout porte à croire que les entreprises adhèrent au fait que le développement de ces activités nécessite les marchés et l’intervention publique sur ces marchés. Dans tous les cas, le décret du 26 décembre 2005 précise la liste des activités qui relèvent des SP et qui en conséquence ouvrent droit à agrément. « Cet agrément est indispensable aux organismes qui veulent fournir des services à destination des personnes fragiles et assure aux particuliers qui y recourent des avantages sociaux et fiscaux » (Chol 2007). Mais ce qui est intéressant, et qui montre la géométrie variable de l’ensemble est la précision suivante : «le critère du domicile est assoupli par la possibilité d’inclure certaines prestations partiellement réalisées en dehors du domicile dans une offre de services incluant un ensemble d’activités effectuées à domicile » (Chol, op. cit.). Encadré 1. Nomenclature SP2005 « Les activités de services à la personne sont énumérées à l’article D129‐35 du code du travail. Certaines activités sont effectuées exclusivement à domicile : − Entretien de la maison et travaux ménagers, − Petits travaux de jardinage y compris les travaux de débroussaillage ; − Prestations de petit bricolage dites « hommes toutes mains » ; − Garde d’enfant à domicile ; − Soutien scolaire à domicile ; − Cours à domicile ; − Préparation de repas à domicile, y compris le temps passé aux commissions ; − Assistance aux personnes âgées ou aux autres personnes qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile, à l’exception d’actes de soins relevant d’actes médicaux ; − Assistance aux personnes handicapées y compris les activités d’interprète en langue des signes, de technicien de l’écrit et de codeur en langage parlé complété ; − Garde malade à l’exclusion des soins ; − Assistance informatique et Internet à domicile ; − Soins et promenades d’animaux de compagnie, à l’exception des soins vétérinaires et du toilettage, pour les personnes dépendantes ; − Soins d’esthétique à domicile pour les personnes dépendantes ; − Maintenance, entretien et vigilance temporaires, à domicile, de la résidence principale et secondaire ; − Assistance administrative à domicile ; − Les activités qui concourent directement et exclusivement à coordonner et délivrer les services mentionnés au premier alinéa. D’autres activités sont partiellement réalisées en dehors du domicile, à condition que la prestation fasse partie d’un ensemble d’activités effectuées à domicile : − Livraison de repas à domicile ; − Collecte et livraison à domicile de linge repassé ; − Aide à la mobilité et transports de personnes ayant des difficultés de déplacement ; − Prestation de conduite du véhicule personnel des personnes dépendantes, du domicile au travail, sur le 6 Bien que l’’organisme doive, dans les textes, être agréé et exercer son activité exclusivement dans le domaine des services à la personne pour bénéficier des avantages fiscaux, des stratégies simples de contournement de la règle sont possibles notamment en créant plusieurs structures. 21 lieu de vacances, pour les démarches administratives ; − Accompagnement des enfants dans leurs déplacements, des personnes âgées ou handicapées en dehors de leur domicile (promenades, transports, actes de la vie courante) ; − Livraison de courses à domicile. » Source : ANSP, http://www.servicesalapersonne.gouv.fr/spip.php?rubrique7&id_article=14 La notion de secteur utilisée ici est donc avant tout une catégorie politique. Or, une opération de représentation efficace de la société est un équilibre entre ces catégories politiques, mais aussi les catégories statistiques et les représentations cognitives ordinaires (Desrosières and Thévenot 2002 (reed)), p. 5). L’équilibre entre ces trois catégories est‐il, dans le cas des SP2005, assuré ? A l’aune des travaux réalisés, nous ne le pensons pas. Le manque de représentativité technique et scientifique, c'est‐à‐dire ici statistique est directement lisible dans la difficulté de collecte de données, bien que ce classement ne soit pas la seule raison mise en cause (le recours à l’emploi direct, fréquent dans ce secteur, les situations de multi‐employeurs, et plus encore le travail au noir, sont des facteurs exacerbant ces difficultés –voir infra). Ne ressemblant à aucune nomenclature existante, la SP2005 ne permet ni calcul immédiat à partir de données d’enquêtes sectorielles, ni même à partir d’enquêtes professionnelles, tant la diversité des métiers est grande (conseil et réparation informatique, enseignant, traducteur langue des signes, aide ménagère, auxiliaire de vie sociale ….) et du champ des activités dont il est question également. L’indétermination qui règne autour du périmètre des services à la personne, son caractère insaisissable, pour reprendre une formule de Braibant (Braibant 1982) relative au tertiaire dans les années 80, est au moins aussi grande que celle qui, en son temps, a régné sur les “services d’information et de communication”7. 1.1. L’HISTOIRE DU SECTEUR DES SERVICES A LA PERSONNE Le corolaire de l’hétérogénéité des services identifié dans ce secteur SP2005 est qu’une histoire commune du secteur des SP n’existe pas, en témoigne la diversité des trajectoires historiques. Dans le champ de ces SP, la grande partie concerne trois métiers : aide ménagère, aide à domicile pour les publics fragiles (personnes âgées et enfants). Ces activités sont longtemps restées circonscrites à la sphère non marchande: relevant de l’économie domestique ou de l’activité bénévole, elles étaient, avant guerre, inspirées tout à la fois des valeurs de charité chrétienne ou de solidarité laïque ((Laville 2005), (Gorz 1988); voir aussi et surtout le chapitre 6). La constitution de l’Etat‐providence au sortir de la seconde guerre structure une offre publique orientée sur les services sociaux, assortis de moyens financiers importants. Ces services d’aide sociale sont alors centrés sur l’assistance à la vie quotidienne des populations fragiles et renvoient à des logiques de travail social auprès des familles (Chopard 2000)8. C’est donc 7 Dans les années 80, l’estimation de ce secteur SIC variait ainsi de 5 à 50% des emplois, selon les contours fixés 8 « Ce petit métier du social fait bien partie de la grande famille du travail social. Tout y est : l’implication l’engagement altruiste et ces techniques indicibles que l’on n’apprend jamais vraiment mais qui sont 22 surtout dans une logique sociale, et relayés par une régulation tutélaire de l’Etat que ces services ont été externalisés (voir chapitre 4, conventions de professionnalité). Parallèlement, un secteur dynamique que l’on appellera de façon générique ‘services au domicile’ a poursuivi ses mutations. Renvoyant au modèle des anciens « domestiques », ces services –souvent d’aide ménagère‐ ont poursuivi leur progression, le plus souvent dans la sphère informelle, pour trois raisons conjuguées : la croissance des inégalités économiques et sociales –condition sine qua non de la progression de telles activités, croissance du chômage, et progression de l’activité féminine. Les logiques de développement de ces catégories sont donc différentes même si, dans certains cas, des superpositions apparaissent : ainsi, l’aide auprès d’une personne fragile peut, dans certains cas, consister en une activité purement ménagère. 1.2. LA CONSTITUTION DU SECTEUR ACCOMPAGNE LA RHETORIQUE DES GISEMENTS D’EMPLOI Cette interrogation des contours à fixer aux activités de services, rapidement esquissée ici, n’est pas une question récente. Elle trouve pour origine diverses réflexions souvent divergentes : ‐une première série de réflexions autour de l’activité domestique dont l’ampleur en termes de temps consacré à ces tâches a été finement estimée au début des années 80 (Chadeau and Fouquet 1981). ‐Une seconde série de réflexions et de recherches a été menée sur les emplois familiaux (en tant qu’appoint ou substitut aux tâches domestiques), en parallèle avec la progression du travail des femmes. Cette réflexion scientifique et politique date de la fin des années 80. Mais c’est surtout à partir du début des années 90, et de la première entrée du chèque emploi service et des réductions de charges qui l’ont accompagné, que se sont multipliés les travaux autour de ces emplois caractérisés du qualificatif « familiaux », en particulier suite à la mise en place des dispositifs publics emplois familiaux ‐reprenant donc cette terminologie‐ dispositifs composés de réduction d’impôts complétés d’exonérations de charges patronales de sécurité sociale. Les travaux réalisés dans ce champ par la DARES à l’époque, renvoyaient à des registres essentiellement comptables (estimation de l’emploi du secteur, des niveaux et croissance des emplois, dans une visée d’évaluation des politiques publiques). Il y avait tout à la fois, en toile de fond, la facilitation du travail des femmes, mais aussi le développement concomitant de recherches autour des services de soin aux enfants (crèches, assistante maternelle, garde à domicile). On voit bien déjà que dans les deux premiers cas, les tâches assignées aux professionnelles de crèches, assistantes maternelles, sont assez bien identifiables. En revanche la « garde à domicile » rend plus difficile de circonscrire avec précision la diversité des tâches (‐
même si, sous couvert de cette appellation un peu générique, ce ne sont pas parfois, ou fréquemment, des tâches ménagères qui sont effectuées). pourtant communes et transversales aux multiples secteurs de l’intervention sociale », cité par DREES, groupe expert sur l’aide à domicile, 2007‐2008. 23 Le début des années 90 coïncide avec une montée de travaux autour de la prise en charge de la dépendance –ou du développement de l’autonomie des personnes âgées. Ces travaux font suite aux projections démographiques évaluant les améliorations de l’espérance de vie et, en conséquence, la part des personnes de plus de 80 ans dans la population. Les raisons invoquées pour le développement des emplois d’aide à domicile auprès des PA sont présentées comme la convergence heureuse d’arguments relevant d’un registre de la qualité de vie (les PA seraient mieux à domicile que dans des lieux de résidence collective), et du registre économique et financier (il est moins coûteux pour la collectivité de conserver les PA chez elles). Elles se fondent aussi sur l’hypothèse, en débat (Cambois and Lièvre 2004), que la hausse de l’espérance de vie s’accompagne d’une hausse de la dépendance. Les injonctions publiques régulières du maintien à domicile des personnes âgées, conjugué au développement des emplois familiaux, ont en conséquence contribué à l’explosion statistique des « emplois à domicile ». Cette explosion est statistiquement visible depuis le début des années 90 (voir chapitre suivant). Rendant le projet de cartographie sectorielle plus complexe encore, le milieu des années 80 coïncide également avec les choix publics de créer des emplois, à partir de « gisements » possibles, identifiés par de nouveaux besoins des populations. C’est ainsi qu’apparait la notion de « nouveaux services, nouveaux emplois », et surtout celle de « services de proximité » qui renvoie, selon les travaux, à des activités limitées aux services à la personne dans la sphère domestique (aide aux personnes, sur les personnes, voir également chapitre 5) ou, dans une vision plus large, à des activités s’exerçant « à proximité » de ces personnes. Dans ce second cas, les petits commerces de proximité, les services de proximité (etc.) sont inclus dans le périmètre des activités considérées. D’autres enfin déclinent cette notion de proximité de façon plus large encore, omettant, ce faisant implicitement, l’instabilité de ce regroupement dans les discours et les représentations des acteurs : « développer les activités où la proximité physique des consommateurs représente un avantage décisif, c'est‐à‐dire au premier chef les services d’assistance, de commerce, de transport, de livraison, d’entretien, de réparation etc. que l’on regroupe en France sous le vocable de « services de proximité » ((Debonneuil 2007) p. 35). C’est probablement le cabinet d’étude Mc Kinsey, suivi de près ensuite par Thomas Piketty qui, le premier, a établi un lien (débattu) entre services de proximité (au sens large) et créations d’emplois. A partir d’une comparaison internationale portant sur le modèle américain et le modèle français, il repérait à l’aide d’une arithmétique simple et discutable (Gadrey and Jany‐
Catrice 1998), des gisements d’emplois dans les secteurs de service faiblement rémunérés, comprenant hôtellerie, restauration, commerce de détail, et services au domicile. Nous étions en 1997. La catégorie des SP2005 est d’une certaine manière un coup d’arrêt porté à une vaste réflexion autour de l’utilité sociale des emplois de proximité, entendus ici dans un prolongement du travail social. Initiés par le CRIDA et Jean Louis Laville, les travaux développés interrogeaient tout à la fois la pertinence d’un découpage sectoriel (et d’un soutien politique économique et fiscal) entre activités au domicile, et activités hors domicile : « Faut­il considérer ces services qui interfèrent avec la sphère privée des usagers comme des services s’exerçant par nature au domicile des consommateurs ou envisager plusieurs modes de conception et de fonctionnement, y compris ceux qui intègrent l’usager comme véritable partie prenante du service en tant que citoyen » (Laville 1999). D’autre part, ces travaux plaidaient pour que, à l’occasion des politiques redistributives, une distinction claire soit opérée entre services de confort (services pour les 24 ménages les plus aisés) et services de base (largement accessibles, levier pour diminuer les inégalités et renforcer le lien social…), même si, dans les pratiques professionnelles, la frontière entre ces deux catégories d’activité est difficile à établir. Insaisissables services à la personne : les
appellations des activités et des emplois dans la
littérature française
Gisements d’emplois
Gisements d’emplois
Professionnalisation Nouveaux emplois
Nouveaux emplois Travailleurs sociaux
Emplois productifs Emplois familiaux Emplois de (services de) proximité Emplois dans les activités de proximité
Métiers de l’aide à domicile Année
79
80
90
85
95
20
Services à
domicile
05
00
Services de proximité
Travail/ activité
domestique Services de proximité d’intérêt général
(Services d’)Aide à domicile Services à la personne Services à domicile Travail social
Services à la
personne
Nouveaux
services
Services aux personnes à domicile Aide directe aux ménages
26 1.3. LES SERVICES A LA PERSONNE : UNE CATEGORIE ORDINAIRE Les fondements des regroupements des activités sous l’intitulé des services à la personne ne sont pas uniquement politiques. C’est en puisant dans les grandes catégories de la demande que l’action publique légitime son action. Et dans le cas des services à la personne, les convergences des représentations ordinaires autour de l’activité sont nombreuses. Ces représentations sont de deux natures et renvoient d’une part au caractère pluri sémantique du service et d’autre part, au type d’emplois susceptible de se développer dans ce type d’activité. 1. Les services à la personne, une catégorie de représentation en partie ordinaire. 2. Les emplois en question ressortiraient des petits boulots, plus que de vrais métiers. Ces présupposés sont parfois entretenus par les salariés eux‐mêmes, qui peinent à accepter la structuration et la professionnalisation du métier, voir (Aballéa 2005). Ensuite autour de l’idée que les services à la personne sont intrinsèquement une activité féminine (cette identification est‐elle entrain de voler en éclat du fait des regroupements actuels), renforcée par le fait que l’intervention s’exerce dans le domicile des particuliers, renvoyant tout à la fois à la servitude des emplois et à la domesticité des tâches. Puis, autour du fait que les emplois dont il s’agirait sont des emplois non qualifiés : ne faut‐il pas envisager la non qualification comme une forme de représentation partagée sur les emplois de services en interface : il n’y aurait pas de compétences spécifiques, lorsqu’il s’agit en grande partie de prendre soin, de s’occuper de, d’être en relation avec. Enfin, parce qu’il y a, pour les salariés eux‐mêmes, un flou autour de leur identité professionnelle. Dans le même temps, les salariés généralement s’identifient assez bien à la catégorie des « services à la personne », contrairement aux régulateurs ou experts qui, pour d’autres raisons, ne s’y retrouvent pas nécessairement. « Il est fréquent que ces professionnel(le)s n’aient pas une définition précise de leur activité (entre aide ménagère, aide à domicile, auxiliaire de vie) si ce n’est qu’elles opèrent une mise à distance avec le métier d’aide soignante » (Campéon and Le Bihan 2006). Derrière cette succession de critères, on a l’idée que les représentations ordinaires sont en phase avec l’activité tant qu’il s’agit des services d’aide (à la personne âgée, aux enfants, éventuellement de ménage). Mais pour d’autres qui constituent l’innovation du classement (services d’assistance informatique, cours particuliers à domicile etc.), il n’est pas certain que l’on retrouve une cohérence entre le classement « service à la personne » et les représentations ordinaires. Sans compter l’activité ajoutée récemment (services de conciergerie à l’entreprise). 1.4. UNE STRATEGIE POLITIQUE DE REGROUPEMENT D’ACTIVITES DISPARATES Quel dénominateur commun trouver à l’ensemble des activités regroupées sous l’intitulé de services à la personne (SP2005) dans cette dernière acception proposée ? Ni tout à fait service « sur » la personne pour transformer son état physique ou son état cognitif, (exemples : assistance aux personnes âgées, garde malade, soins esthétiques des PA), ni tout à fait service « pour » la personne (exemple : assistance informatique, petits travaux de jardinage, ou 27 promenade des animaux domestiques), les services dont il est question sont un mix d’activités dont les usages portent tout autant sur l’amélioration d’une certaine forme de bien‐être (services de confort), que sur des services d’aides à des publics fragiles et dépendants (personnes âgées, enfants, voir aussi chapitre 5). Il ne s’agit pas non plus de l’ensemble des services réalisés « au domicile », comme on l’a évoqué supra, puisque la liste énumérée au code du travail spécifie que certaines activités sont partiellement réalisées à l’extérieur du domicile, soutenu plus encore par l’arrivée, dans le décret d’application de 2007, des activités de conciergerie d’entreprises qui ne figurent plus parmi les activités aux ménages, ni a fortiori au domicile. Bien qu’étant justifiée par l’idée de « prestations comprises dans un bouquet de services » (DRTEFP 2008), ces activités complémentaires accentuent le caractère éclectique du secteur ainsi organisé. En outre, des activités effectuées au domicile (plomberie, et plus généralement les services d’artisanat) sont exclues de la liste de ces services. Le lieu de production (ce qui pose d’autres questions comme en témoigne l’absence de référence à un métier commun) comme dénominateur ne convient donc pas tout à fait, même s’il semble bien que ce soit le domicile qui ait, au départ en tout cas, présidé à la dénomination commune du secteur. La question « de quoi parle‐t‐on », traverse une grande partie des entretiens qualitatifs que nous avons menés dans cette recherche, que ce soit au niveau des régulateurs que des employeurs et employés : de quels services parle‐t‐on ? On trouve aussi, en filigrane, une interrogation centrale : pourquoi regrouper en une même catégorie, services qui relèvent d’une action sociale (voir la nomenclature Insee de ce point de vue) et services domestiques, ou de confort, ou encore services ne renvoyant ni à l’un ni à l’autre de ces registres, mais produits au sein des domiciles (services d’assistance informatique personnelle) ? Quel est l’aspect dominant dans l’activité et les regroupements opérés, se fait l’écho de questions récurrentes en économie industrielle : faut‐il mettre en avant le produit ou le process ? Le domicile est‐il un bon dénominateur commun, indistinctement des bénéficiaires du service ? En regroupant l’ensemble de ces activités sans discernement des usages, sans discernement des bénéficiaires du service, la personne étant anonymisée, neutralisée (voir aussi chapitre 5), la voie n’est‐elle pas ouverte à une ouverture à la concurrence de services sociaux, sans pour autant que cette marchandisation du service soit repérée comme telle ? Nos entretiens et la recherche conduite sur l’ensemble de ce travail nous amènent à penser que le critère d’association (Guibert et al. 1971) qui a conduit à rassembler sous le même intitulé l’ensemble de ces activités, est moins le fruit d’un compromis pragmatique que de stratégies politiques orientées autour de politiques de l’emploi, au détriment, c’est ce rapport qui le montrera, du produit rendu, c'est‐à‐dire ici d’un souci de la qualité du service, de ses nécessaires adaptations aux publics dans leurs variétés, bref aux politiques sociales. Bernard Guibert ou Alain Desrosières rappelaient, à l’occasion de l’analyse des nomenclatures industrielles, que l’évaluation de leur cohérence était intimement liée aux usages qui lui sont dédiés. Que faire ici de ce regroupement d’activités de services à la personne, si ce n’est effectuer une arithmétique de l’emploi ? Comment entamer une analyse sérieuse de la question de la professionnalisation, de celle de la qualité des emplois, ou encore de celle de la qualité de services à partir de cet ensemble disparate ? Cette véritable logique de regroupement autour de la nomenclature d’activités SP2005, à l’occasion du plan de développement des services à la personne, a très nettement une orientation de politique de croissance de l’emploi, de gains de productivité, de structuration du 28 marché. Tels sont en substance les objectifs des rapports préparatoires (voir en particulier (Cahuc and Debonneuil 2004)) qui ont sous‐tendu le Plan. La volonté politique, depuis les lois Aubry de 1996, d’ouvrir le secteur aux particuliers‐employeurs, puis, depuis 2005 aux entreprises commerciales privées conduit en retour à une indifférenciation statistique et gomme progressivement les spécificités d’organisation, de prestation, des « personnes » auxquels les services s’adressent9. Dans une telle orientation, le ciment de cohésion du regroupement des activités semble être plutôt le domicile. D’une certaine manière, cette cohérence renvoie donc plutôt à une logique d’offre: ce qui est mis en avant est le lieu de la prestation. Ce n’est pas récent dans les nomenclatures d’activité, surtout d’activité de services. Lorsque le produit est difficilement saisissable et complexe, la tentation est grande d’opérer des regroupements selon des critères « objectivables ». Dans le commerce de détail, à un niveau fin de la NAF c’est ainsi la surface des magasins qui est mise en avant (ex : hypermarchés comme magasins de plus de 1200 m²), parfois articulée au produit vendu (plus qu’au service qui l’accompagne)10. Les SP au domicile semblent s’accommoder d’une logique semblable : lieu de prestation avec un critère vaste et large de produit rendu à des personnes prises indistinctement. Cette interprétation par une domination de la logique d’offre dans le choix des nomenclatures est réductrice. L’émergence d’une partie de ces services regroupés dans la SP2005 repose sur la politique de solvabilisation de la demande de ce type de services au domicile. Ce processus de regroupement statistique s’appuie donc aussi sur les services qui ont accompagné cette solvabilisation et l’émergence de « nouveaux besoins » quelle que soit la validité de cette expression. Cette précision posée, la logique de la demande demeure sous exprimée dans ce SP2005. Les publics, leurs besoins, leurs usages, et leurs diversités, n’apparaissent ni clivants ni classants. Dans une vision de « produit », la nomenclature insisterait davantage sur le type d’usagers (ménage, soin aux enfants, soin aux personnes âgées etc.), en tenant compte, par exemple, de l’importance de la globalité du soin dans le cas de la prise en charge des personnes fragiles. 9 On a ainsi une grande difficulté à identifier, parmi les employés en régime d’emplois directs, ceux qui relèvent véritablement du gré à gré et ceux qui relèvent du mandataire. La fusion des données OASP et Ircem permettent de donner une estimation de cette distribution mais les données ne sont pas immédiatement disponibles ainsi. 10 Les nomenclatures retiennent ainsi les hypermarchés à dominante alimentaire par exemple. 29 Logique de regroupemen
t des activités autour + ou ‐
d’un périmètre « domicile » Registre du service domestique TENSIONS
Logique de regroupement des activités autour d’un périmètre différenciant les publics Registre de l’action sociale D’autres logiques, moins inspirées par ces considérations de politiques d’emploi, auraient pu envisager d’opérer une distinction entre services à domicile auprès des publics fragiles sous un intitulé de « services sociaux », ou « services d’action sociale ». Ce qui se joue ici est la banalisation de l’action des CCAS et de l’activité prestataire dont les spécificités tendent à être gommées. Déjà en proposant un concept transversal de « service de proximité », la porte de la spécificité des services sociaux se refermait progressivement (Laville 2005). Elle semble se refermer davantage avec celui de « services à la personne » qui donne de la clarté à l’hégémonie acquise par la convention marchande (voir chapitre 4). Plus généralement, la volonté de construire un secteur d’activité autour de la notion de domicile, fait écho aux travaux des économistes néo‐industrialistes comme J. Gershuny, selon lesquels l’enjeu des services se réduit à « faire soi‐même » versus « faire‐faire » (Gershuny 1978). La complexité du besoin est rabattue à la formulation d’une demande qui va choisir rationnellement, compte tenu notamment de l’état des technologies, de l’offre, des prix, une solution optimale. Les dimensions de la réciprocité, du symbolique, la spécificité des liens au sein de la sphère domestique, la délicate identification de leurs besoins par des personnes fragiles elles‐mêmes, sont évacuées au profit d’une logique dite du “libre choix”, qui tend à fonctionnaliser les arbitrages (voir les chapitres suivants). Ces choix de définition du périmètre ont des incidences opératoires directes puisqu’il est, en l’état actuel des nomenclatures, impossible de s’accrocher efficacement au découpage sectoriel de l’Insee pour identifier avec précision les emplois (et a fortiori les volumes d’activité) concernés. Cette nomenclature SP2005 vient globalement à l’encontre des logiques de construction des nomenclatures NAF antérieures. Le domicile comme unificateur pose donc problème, crée de la confusion dans les estimations, et ébranle peut‐être de la sorte la construction de la statistique publique. Cette dernière n’a d’autre réponse, pour l’instant, que de quitter la richesse de l’enquête emploi, en s’engouffrant sur les données administratives dont la 30 pauvreté en matière d’identification de la nature des emplois et des conditions de travail, sera rappelée dans le chapitre suivant. 1.5. LES NOMENCLATURES SECTORIELLES ET DE METIER : L’ENQUETE EMPLOI DE L’INSEE C’est tout naturellement vers les données de l’Insee que le chercheur se tourne pour son premier débroussaillage et ses premières investigations lorsqu’il s’agit d’étudier l’emploi sectoriel. L’Enquête Emploi semble a priori la plus adaptée pour évaluer les emplois, leur qualité, ou l’évolution dans le temps de ces métiers ou secteurs. C’est d’ailleurs ce que rappellent Dominique Goux ou Pauline Givord qui énoncent clairement les améliorations de l’EE 2003 en ce qui concerne la qualité des emplois (Givord 2003). Mais quand le secteur ou le métier n’est pas correctement circonscrit, le risque est grand de jugements arbitraires, ou d’une domination d’une catégorie d’acteurs dans les usages des données, comme cela est le cas pour les emplois non qualifiés, voir (Gadrey et al. 2003). Néanmoins, ce détour par les disponibilités de l’enquête emploi, mais aussi les difficultés rencontrées, est nécessaire pour en saisir les enjeux. Au niveau sectoriel Le repérage du secteur des services à la personne est délicat tant ces contours demeurent imprécis lorsqu’on se réfère aux NAF (nomenclatures d’activités). La NAF renouvelée de 1993 identifie au niveau 31 trois secteurs susceptibles d’accueillir une grande partie des activités des SP2005. NN OO PP Santé et action sociale Services collectifs, sociaux et personnels Services domestiques Ce n’est qu’au niveau de détail 220 que l’on commence à percevoir l’architecture des activités dans ces trois catégories. NN santé et action sociale OO Services collectifs sociaux et personnels 85.1 85.2 85.3 Activités pour la santé humaine Activités vétérinaires
Action sociale
90.0 91.1 91.2 91.3 92.1 92.2 92.3 92.4 92.5 92.6 Assainissement, voirie et gestion des déchets Organisations économiques
Syndicats de salariés
Autres organisations associatives
Activités cinématographiques et vidéo
Activités de radio et de télévision
Autres activités de spectacle
Agences de presse
Autres activités culturelles
Activités liées au sport
31 Services domestiques
92.7 93.0 95.0 Activités récréatives
Services personnels
Services domestiques
Dans la NAF 700 qui précise les activités de ces trois grands secteurs on peut repérer lesquelles seraient susceptibles d’être concernées par la nomenclature SP2005. Santé et action sociale Services collectifs, sociaux et personnels 85.1A 85.1C 85.1E 85.1G 85.1H 85.1J 85.1K 85.1L 85.2Z 85.3A 85.3B 85.3C 85.3D 85.3E 85.3G 85.3H 85.3J 85.3K Activités hospitalières Pratique médicale Pratique dentaire Activités des auxiliaires médicaux Soins hors d'un cadre réglementé Ambulances Laboratoires d'analyses médicales Centres de collecte et banques d'organes Activités vétérinaires Accueil des enfants handicapés Accueil des enfants en difficulté Accueil des adultes handicapés Accueil des personnes âgées Autres hébergements sociaux Crèches et garderies d'enfants Aide par le travail, ateliers protégés Aide à domicile Autres formes d'action sociale 90.0A 90.0B 90.0C 91.1A 91.1C 91.2Z 91.3A 91.3C 91.3E 92.1A 92.1B 92.1C 92.1D 92.1F 92.1G 92.1J 92.2A 92.2B 92.2C Epuration des eaux usées Enlèvement et traitement des ordures ménagères Elimination et traitement des autres déchets Organisations patronales et consulaires Organisations professionnelles Syndicats de salariés Organisations religieuses Organisations politiques Organisations associatives n.c.a. Production de films pour la télévision Production de films institutionnels et publicitaires Production de films pour le cinéma Prestations techniques pour le cinéma et la télévision
Distribution de films cinématographiques Edition et distribution vidéo Projection de films cinématographiques Activités de radio Production de programmes de télévision Diffusion de programmes de télévision Concerné par le SP2005 (X = oui)
x 32 92.3A 92.3B 92.3D 92.3F 92.3H 92.3J 92.4Z 92.5A 92.5C 92.5E 92.6A 92.6C 92.7A 92.7C 93.0A 93.0B Activités artistiques Services annexes aux spectacles Gestion de salles de spectacles Manèges forains et parcs d'attractions Bals et discothèques Autres spectacles Agences de presse Gestion des bibliothèques Gestion du patrimoine culturel Gestion du patrimoine naturel Gestion d'installations sportives Autres activités sportives Jeux de hasard et d'argent Autres activités récréatives Blanchisserie ‐ teinturerie de gros Blanchisserie ‐ teinturerie de détail 93.0D Coiffure Services domestiques 93.0E 93.0G 93.0H 93.0K 93.0L 93.0N Soins de beauté Soins aux défunts Pompes funèbres Activités thermales et de thalassothérapie Autres soins corporels Autres services personnels 95.0Z Services domestiques 99.0Z Activités extra‐territoriales X partie à domicile pour personnes dépendantes X partie à domicile pour personnes dépendantes X partie à domicile X partie à domicile De ce point de vue, le CNIS rappelle que les estimations de l’emploi dans les services à la personne s’effectuent à partir de deux rubriques : le secteur des services domestiques (secteur P32, secteur du particulier‐employeur), et le secteur de l’action sociale (secteur Q22, comprenant les aides à domicile). C’est dans ce second secteur, que les contours divergent le plus vis‐à‐vis de la définition de la loi de 2005, en particulier du fait que le secteur Q22 comprend les assistantes maternelles et les personnels de crèches exclus de l’emploi du champ SP2005. Ces premiers bricolages statistiques sont bien connus des spécialistes des questions de l’aide à domicile. Ainsi en 2004, la DREES rappelle que l’enquête emploi réalisée auprès de ménages ordinaires permet de repérer les aides à domicile par le biais de deux variables croisées : activité de l’employeur (code NAF) et profession des personnes (code P). Dans les codes NAF, le recours au système prestataire ou mandataire (voir encadré) est globalement identifiable par les deux catégories repérées dans le tableau ci‐dessus : 853J : activité de l’employeur est de fournir de l’aide à domicile, ce qui est le cas de l’employeur prestataire ; 950Z : particuliers employeurs ; Mais d’autres limites, plus nouvelles, surgissent du fait du regroupement d’activités hétéroclites. Ainsi, la question du lieu de travail (au domicile de l’usager) n’existe‐t‐elle que pour l’aide à 33 domicile. Pas pour les services informatiques ou pour la formation. Retenir les services à domicile et l’action sociale est, de ce point de vue, réducteur. Le CNIS et les données de l’Insee établissent le nombre de salariés ‐dans cette vision large (comprenant la branche Q22 dans son ensemble)‐ à 1,3 millions de salariés en 2004. Encadré 2. Les modalités de recours à un intervenant professionnel Le service prestataire assure une prestation directe à domicile. La structure d’offre de services à domicile est dans ce cas, juridiquement, l’employeur de l’aidant à domicile qui intervient chez un particulier; Le service mandataire ou de « placement des travailleurs » a pour objet de mettre à la disposition de particuliers un aidant à domicile salarié par eux. Le mandat consiste pour l’organisme à proposer un intervenant à domicile et à prendre en charge les démarches administratives. La personne aidée est, juridiquement, l’employeur ; L’emploi direct ou de « gré à gré » : le particulier exerce directement ses fonctions d’employeur sans faire appel à un organisme assurant l’un ou l’autre des services mentionnés précédemment. Source : (Rivard 2006) Au niveau des professions La nomenclature des PCS de 2003 permet de repérer deux catégories de salariés concernés à partir de la PCS des ménages en 42 postes. Il s’agit plutôt des salariés de la catégorie 56 « personnels des services directs aux particuliers ». PCS 2003 niveau 3 (extrait) PCS 2003 Code 10 56 61 66 69 Niveau 2 ‐ Liste des catégories socioprofessionnelles de publication courante Libellé Agriculteurs exploitants Personnels des services directs aux particuliers
Ouvriers qualifiés Ouvriers non qualifiés Ouvriers agricoles Mais ce n’est qu’à la classification de niveau 4 (en 497 postes) que les données seront suffisamment détaillées pour identifier les actifs concernés. PCS 2003 niveau 4 extrait : la catégorie des personnels des services directs aux particuliers (700 postes) Concerné par la SP 2005 561a Serveurs, commis de restaurant, garçons (bar, brasserie, café ou restaurant) 561d Aides de cuisine, apprentis de cuisine et employés polyvalents de la restauration 561e Employés de l'hôtellerie : réception et hall 561f Employés d'étage et employés polyvalents de l'hôtellerie 34 562a Manucures, esthéticiens (salariés) 562b 563a 563b 563c 564a Coiffeurs salariés Assistantes maternelles, gardiennes d'enfants, familles d'accueil Aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales Employés de maison et personnels de ménage chez des particuliers Concierges, gardiens d'immeubles 564b Employés des services divers X pour la partie à domicile X pour la partie à domicile X X X pour la partie à domicile Cette nomenclature détaillée en 700 postes ne cerne pas l’ensemble du secteur SP2005. Il faudrait lui ajouter les assistantes maternelles et gardiennes d’enfants11 mais une partie d’entre elles n’exercent pas leur activité dans le domicile (les assistantes maternelles au sens strict) et sont donc exclues du champ. Dans cette vision réduite du champ de l’activité, ce sont 800 000 personnes (fourchette basse) qui sont concernées. Mais par ces catégories, on rate une partie peut être croissante de l’activité, en particulier parce que les activités dont il s’agit ne sont pas identifiables de façon isolée : il en va ainsi de toutes les activités qui ne sont retenues par le SP2005 que lorsqu’elles sont réalisées dans la sphère domestique, ce que l’enquête emploi ne permet pas d’identifier (voir infra). Des enquêtes qui croisent secteur et profession L’enquête SAPAD réalisée par la DREES (1998) vise à recueillir des informations sur les services et sur l’emploi à partir d’une enquête exhaustive auprès des 7000 structures agréées à l’époque des services d’aide à domicile. Plusieurs constats ressortissent de la mise en place d’une telle enquête dont les principaux résultats concernant l’emploi ont été présentés par Sophie Bressé (Bressé 2004). Notamment, cette enquête a été limitée aux services d’aide à domicile détenteurs de l’agrément qualité (SAPAD), et exclut les emplois en gré à gré, les caractéristiques desquels, « notamment en termes d’âge et de qualifications, sont peu connues » (Bressé, op. cit. p.2). La demande et le particulier employeur Pour dépasser les limites de l’enquête emploi énoncées ci‐dessus, de nouveaux niveaux d’enquêtes ont été testés ; c’est en particulier le cas des enquêtes auprès des usagers, particuliers utilisateurs de services à la personne. On assiste, par le développement de ces initiatives, à un déplacement du côté de la demande du service, initié en 2003 par l’Ircem qui, dans une enquête auprès d’un échantillon de 200 personnes a tenté de mieux cerner les profils des particuliers qui recourent aux services à la personne à leur domicile12. Le CNIS a validé un 11 Comme le font dans leur travail A. Chol et E. Viger (Chol and Viger 2007). 12 voir http://www. employeurEM_AGED_2003‐1.pdf 35 projet de la DARES qui sera pris en charge par le département des politiques de l’emploi, et qui, en quelque sorte, prolongera ce premier état des lieux. Il s’agira pour la DARES, par une enquête auprès de 4000 utilisateurs (d’emplois directs et d’emplois via les organismes agréés) de repérer de façon plus fine les comportements d’embauche des particuliers‐employeurs et les facteurs de transformation de la demande. Il est peu probable cependant que cette nouvelle enquête, qui interroge les usagers, permette de mieux cerner la qualité des emplois dans ce secteur aux contours flous. Par ailleurs, une statistique qui a pour origine les usagers du service est en rupture forte par rapport aux enquêtes statistiques publiques classiques qui partent de l’expression des salariés. Etant donné la composition structurelle du secteur, toute enquête dite « usager » conduit à des postures de juge et partie, ce qui se produit pour deux raisons au moins. D’une part, l’usager est, dans 80% des cas l’employeur lui‐même (voir statistiques infra), et encore dans 60% des cas dans le cas de l’aide à domicile auprès des personnes âgées financées par l’APA. Or, l’expression issue des enquêtes est‐elle, dans le cas de l’emploi et de sa qualité, plutôt identifiée par l’usager ou par l’employeur… De même, si ces enquêtes usagers sont limitées à des questions sur la qualité du service, ce dont il est question, a surtout trait à la qualité du travail. Dans ce cas également, comment discerner dans le discours, le registre de l’employeur de celui de l’usager. Dans ce système où les forces centripètes sont fortes, les risques d’imbrication sont élevés (voir graphiques suivants). Dans un contexte où l’usager devient usager‐employeur donneur d’ordre, et où le salarié est considéré comme un « entrepreneur de lui‐même », la frontière entre qualité de service et qualité du travail et de l’emploi devient poreuse. Si l’on utilisait une analogie avec le secteur industriel, cela reviendrait à interroger les employeurs sur leur point de vue concernant la qualité de leurs produits, ou sur la qualité du travail réalisé par leurs salariés (voir graphiques suivants). 36 Le système industriel traditionnel: des forces centrifuges ? Employeur Relation d’emploi Salarié Processus de production Produit matériel, autonomisé du processus de production Acte d’achat puis de consommation Consommateur final Le système des services relationnels de gré à gré: des forces centripètes ? Employeur Relation d’emploi Salarié Processus de production Acte d’achat puis de consommation Produit difficilement autonomisé du récipiendaire (service à la personne, au domicile) 37 Une première grande différence entre les deux systèmes schématisés réside dans le fait que dans le premier cas il y a fusion entre entrepreneur et employeur, alors que dans le second, il y a dissociation entre les deux : l’usager est employeur, et le salarié est entrepreneur de lui‐même. D’où la seconde grande différence entre les deux systèmes. Celle‐ci réside dans la place de la responsabilité: dans le premier cas, la responsabilité de la qualité du produit et de la qualité de travail repose sur les épaules de l’entreprise‐employeur. Dans le second cas, la responsabilité de la qualité du service repose sur le salarié, qui est lui‐même un entrepreneur, et la responsabilité de la qualité du travail repose sur le client‐employeur. 2. LA NATURE DE L’ORGANISATION DES PRESTATIONS DANS LES SERVICES A LA PERSONNE ET SES CONSEQUENCES SUR L’ESTIMATION DE L’EMPLOI Les stratégies qui consistent à créer des emplois, quels qu’ils soient, indépendamment du volume d’heures par exemple sont un moyen de surfer sur la dichotomie entre emploi, sous emploi, et non emploi ? En un seul secteur, ce sont de nombreux angles morts de la statistique de l’emploi contemporain qui sont identifiés. C’est le cumul des situations identifiées ci‐dessous et sur lequel nous allons revenir (prestations au domicile, diversité de conventions collectives, multi employeurs, multi statuts, multi activités, polyvalence, VAE, CESU…) qui rend également complexes les approches par les catégories statistiques, et intenables les discours qui parfois oublient les pans les plus invisibles de l’activité, et des conditions de travail qui l’accompagnent. Tous les acteurs ne gagneraient‐ils pas, dans un discours construit, à pouvoir faire état, de manière la plus exhaustive possible, de la qualité de l’emploi et du travail dans ce secteur ? Cela est, dans les conditions actuelles d’enquête, inenvisageable puisque la seule base de données qui le permettrait assez bien est l’Enquête emploi. Celle‐ci peine à réaliser cet objectif pour deux raisons essentielles. D’abord, tel n’est pas son objectif. Elle ne circonscrit pas précisément le (nouveau) secteur dont il est question ici, ni en termes de métier, ni en termes de secteur. Ensuite, ^parce que le caractère protéiforme des emplois et du travail, outre cet aspect de délimitation sectorielle, aggrave plus encore les difficultés d’identification, et les difficultés de quantification. Reconnaissons toutefois qu’elles recouvrent des situations très hétérogènes, non seulement par rapport au salariat classique, mais aussi entre elles, y compris du point de vue de la stratification sociale (Castel 2003). 2.1. DES PRESTATIONS AU DOMICILE Facteur d’invisibilité et de manque de reconnaissance des métiers, le domicile comme lieu de prestation a toujours constitué un obstacle à l’enregistrement des données et à la visibilisation des activités. Le fait que les prestations s’exercent au domicile, à l’insu des regards collectifs extérieurs, ne concourt pas à l’amélioration de l’information sur le secteur. « On ne se réunit pas, ce qu’on apprend on l’apprend tout le temps par hasard, on n’a aucune information. On passe au bureau une fois par mois 38 pour rendre ses feuilles et prendre les autres et en coup de vent quoi » (salariée à domicile d’une association). De plus, le développement du travail à domicile amplifie la porosité entre travail formel et informel en particulier du fait que peu de contrôle collectif n’est envisageable. De plus, dans l’enquête emploi, si la variable domicile/hors domicile est bien renseignée pour la catégorie des aides à domicile, elle n’est pas renseignée pour les autres métiers. Ainsi, on ne peut identifier, par exemple, le nombre de salariés occupés « au domicile » dans le cadre d’une intervention de services informatiques. Il semble, comme le soutiennent de nombreux acteurs du secteur, que la substitution progressive ‐et aujourd’hui validée par la SP2005‐ d’une logique de prestation sociale (ou solidaire, voir (Laville 1994)) par une logique de prestation « au domicile », soit la marque déposée d’un choix de société, reposant dorénavant, pour son exploitation quantitative, sur les inégalités économiques et pas –ou moins‐ sur des logiques de prestations de service de qualité. « Le particulier employeur ça ne va pas dans le sens de la professionnalisation. Ce serait la première convention collective qui ne serait pas une logique métier mais sur la notion de domicile. Un médiateur a été nommé rien que pour définir le champ. C'est très compliqué ». (employeur‐particulier) En conclusion, le rapport au domicile crée un secteur majoritairement façonné non par son produit (le service rendu), mais pas la relation d’emploi qui se développe (emploi direct dans 80% des cas). 2.2. PLUSIEURS CONVENTIONS COLLECTIVES STRUCTURENT LE SECTEUR La convention dominante est celle du particulier employeur. Celle‐ci couvre 80% du secteur des SP du fait de la part des contrats de gré à gré et des contrats sous système mandataire dans les OASP (voir infra). Mais sous couvert du regroupement organisé par le SP2005, d’autres conventions collectives sont, potentiellement mises à contribution. Il y en aurait même 45… « On rentre aujourd'hui dans le même champ que 45 autres conventions collectives (coiffure, nettoyage, etc). La crainte du secteur c'est que l'on nous en impose une qui ne serait pas adaptée »(employeur entreprise privée) Ces conventions collectives diffèrent sur de nombreux aspects. En se limitant aux plus importantes d’entre elles, c'est‐à‐dire celle de l’aide à domicile et celle du particulier employeur, les contrastes sont forts et portent tout à la fois sur la formation, les conditions de travail, en particulier les conditions de la mobilité, et les conditions de rémunération (Gadrey et al. 2003). « Parce que c’est vrai que sur le secteur de X, il y a plus d’accompagnements que l’aide à la toilette. C’est vrai que même au départ quand j’ai travaillé je trouvais ça un peu bête quoi parce que je disais : ah en mandataire on en fait plus qu’en prestataire. C’est vrai qu’on faisait plus de toilette, je trouvais que je faisais plus de toilette, d’aide à la personne ou 39 des repas. Je faisais beaucoup moins de ménage. Sur une journée de 24H je pense que je faisais 6H de ménage sur la semaine. Sinon, c’était que de l’accompagnement » (Salariée aide à domicile d’une association). « Alors des petits remplacements comme ça, je ne sais pas combien de temps j’ai fait ça, et bien j’en ai fait quand même pas mal parce qu’après j’ai eu relativement rapidement, je veux dire au bout de quelques mois, peut être 3­4 mois je ne sais plus exactement, mais j’ai eu relativement rapidement des contrats à moi, qui m’étais attitrés, des nouvelles demandes. Et puis à ce moment là comme il paraissait que je faisais l’affaire dans mes remplacements on m’a accordé des contrats pour moi. Toujours en mandataire, toujours en mandataire et puis je faisais des... quand même puisque je ne faisais pas du temps plein, je prenais quand même encore des remplacements quand euh bien...c’était nécessaire. ­Est­ce que maintenant vous êtes en prestataire ? ­Pas depuis longtemps. ­Ah oui ? ­Janvier 2006 parce que j’ai..., alors ça c’est vraiment de mon propre chef, je trouve que tant que l’on est.. je pense que si j’étais rentrée dans l’Association tout de suite en service prestataire on m’aurait poussé plus vite à des formations. Mais en service mandataire on n’a pas le droit aux formations, ils n’ont pas de crédit pour ça, donc on n’a pas le droit aux formations. Et puis alors pendant une période j’ai travaillé énormément parce que mon mari avait perdu son emploi donc je voulais un peu compenser la perte de salaire qu’il y avait et j’ai travaillé mais vraiment beaucoup, vraiment du temps plein, au moins 40 heures » (Salariée à domicile d’une association). De temps en temps on ne se rencontre pas beaucoup mais parfois on travaille à plusieurs dans une même maison, pas forcément en même temps mais on finit par entendre parler de l’une et de l’autre. Il arrive que l’on se croise et certaines étaient en prestataire et j’entendais un tel a tel avantage, un tel a tel avantage et nous en mandataire vraiment rien donc euh j’ai trouvé ça un petit peu dommage. (…) Moi j’ai toujours, à part maintenant parce que je n’ai plus de voiture, mon fils l’a prise parce qu’il a trouvé du travail assez loin donc il avait besoin de la voiture mais sinon je travaillais en voiture et en service prestataire on est indemnisé mais pas en service mandataire. Donc je trouvais que bon, pour un service égal je ne trouvais pas normal qu’il y ait deux poids de mesure, deux poids de mesure. Et puis, alors ça c’est vraiment le reproche que j’ai à faire...(…) Pas de frais kilométriques. (…)En mandataire, on n’a rien du tout. Même si vous avez un client pendant une heure, un quart d’heure de trop et une heure derrière...Les trous ils étaient pour moi... 40 ­Et euh j’avais vraiment, d’ailleurs je l’ai dit quand j’ai signé le contrat de prestataire récemment, j’avais vraiment l’impression à un moment donné quand j’entendais, à force d’entendre ces choses d’être une employée de seconde zone, vraiment de compter pour rien. J’avais vraiment cette impression là, vraiment et encore maintenant pourtant j’ai les deux contrats en prestataire et en interne, pas que je voulais faire que du prestataire euh encore maintenant je trouve que ce n’est pas juste pour celles qui sont en mandataires » (salariée à domicile d’une association). Dans les entreprises privées commerciales, « l’acte fondateur » d’une convention collective a été signé en 2007 : « convention collective nationale des services à la personne ». Les débats qui ont produit cette convention ont défini un champ d’activité couvert par la convention « les services à la personne participant à l’équilibre de vie des français à leur domicile et sur leur lieu de travail », ce qui interroge, ici encore, les frontières retenues par le SP2005. Le contenu de cette convention qui aura pour mérite de regrouper des entreprises disparates dans leur activité, n’est pas encore négocié. 2.3. SITUATIONS DE MULTI EMPLOYEURS La situation de multi‐employeurs est caractéristique des emplois du secteur, et, dans les 80% d’emplois directs et emplois en régime mandataire, c’est même sa caractéristique principale. « Actuellement attendez… je les compte parce qu’avant d’être en arrêt de travail j’ai eu un accident en 2005 donc avant ça j’avais 13 maisons maintenant j’en ai 8 ou 9 » (Salariée à domicile d’une association). « Je vais dire quand même compter parce que je n’ai pas vraiment fait euh 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11 employeurs, 11 employeurs. ­Toujours les mêmes ? ­Toujours bien oui. ­Je veux dire vous ne faites pas de remplacements en plus, de temps en temps pour dépanner ? ­ Je ne sais pas, mon planning ne me permet pas d’en faire. Vraiment en cas d’extrême urgence si j’ai un trou, ils ne savent pas qui appeler bon je vais le faire mais vraiment » (Salariée à domicile d’une association). Mais une certaine confusion règne entre les situations de multi‐employeurs ou de pluriactivité. De notre point de vue, ici encore les glissements de terminologie sont symptomatiques de la difficulté à saisir la relation d’emploi et le contenu des tâches pour une partie importante des salariés des services à la personne. Dans un article récent relatif aux particulier‐employeur (Marbot et al. 2008), les statisticiens définissent ainsi les situations de pluriactivité « « dans cet 41 article, est considéré comme pluriactif un salarié qui, au cours d’une semaine donnée, a travaillé pour plusieurs particuliers‐employeurs ». Pourquoi ne pas considérer cette situation, assez simple somme toute, comme une situation de multi‐employeurs, et conserver la mention de pluriactivité lorsque le salarié exerce effectivement différentes activités, avec le même employeur, ou plusieurs (voir infra) ? Selon les sources Insee, 47% des employés à domicile et de ménage ont plusieurs employeurs. Les sources Acoss précisent que plus les employés ont d’employeurs, moins le volume horaire hebdomadaire cumulé est élevé. Autrement dit, loin de « compléter » les durées travaillées, les situations de multi employeurs tendent à multiplier les emplois partiels (Maruani 2000). Ce résultat statistique ne nous surprend pas à l’aune des entretiens que nous avons menés au cours de cette recherche. La multiplication des interventions courtes dans les domiciles et la nécessité de se rendre d’un domicile à un autre (mobilité à la charge de l’employé, et temps non rémunéré dans les conventions collectives du particulier employeur –en moyenne un quart d’heure), rend souvent matériellement impossible l’exercice du métier en temps complet. Dans une des régions dans laquelle nous avons effectué nos enquêtes, des situations d’intervention de l’ordre du quart d’heure, et plus souvent, de la demi heure, ont été relevées : cette fragmentation des interventions exacerbe les situations de multi‐employeurs tout en multipliant les risques de pénibilité au travail . Cette situation de multi‐employeurs ne se confond pas avec celle de pluriactivité. On identifie à ce propos, dans nos entretiens, pour une même salariée et un même employeur des situations de pluriactivités, situations rendues possibles par la polyvalence des tâches et le flou des missions. Certains salariés sont pluriactifs dans des secteurs différents, les services à la personne étant leur emploi principal ou non. Dans nos entretiens, il n’était pas rare de rencontrer des salariés ayant jusqu’à 12 ou 13 employeurs hebdomadaires. Compliquée pour les salariés qui s’y trouvent, cette situation de multi‐employeurs, au cœur de la relation d’emploi des aides à domicile, l’est aussi lorsqu’on tente de l’appréhender statistiquement à partir de la grille d’enquête de l’enquête emploi. En effet, l’enquête emploi fonde son questionnaire à partir de la notion d’"employeur principal" et d’"activité principale", symptomatiques d’un période fordiste révolue, à partir desquelles les salariés sont invités à se décrire eux‐mêmes. Or, la notion même d’employeur principal n’est pas appropriée pour des situations où les salariées cumulent une multitude d’employeurs, sans qu’aucun d’entre eux ne fasse figure de "principal" ; a fortiori celle d’activité principale quand le salarié exerce une multitude d’activités aux contours mal définis. En outre, dans l’enquête emploi, seuls les emplois chez les trois premiers employeurs sont décrits, ce qui constitue –sous réserve que le salarié ait pu répondre correctement jusque là‐ un angle mort pour les autres activités réalisées auprès d’autres employeurs. Pire peut‐être, « dans le cas où le salarié ne déclare pas d’employeur principal, il n’est pas possible de savoir combien il a d’employeurs et encore moins de décrire précisément chacun de ces emplois » (Chol and Viger 2007). Chol et Viger estiment ainsi que pour plus du tiers des aides à domicile, « la durée du travail ne peut être totalement appréhendée » (Chol and Viger, op. cit. p. 4). On peut également s’interroger sur la pertinence des réponses apportées par des publics salariés parfois eux‐
mêmes fragiles (voir chapitre 3). Comment connaitre, dans ces conditions, la manière dont les 42 salariés font face à ces questions d’enquête ? Nous n’avons pas les moyens de répondre à cette interrogation importante. Mais cela pourrait donner des pistes de travaux ultérieurs. 2.4. MULTI‐EMPLOYEURS ET MULTI STATUTS La fréquente polyvalence des tâches et des missions, associée à celle de multi‐employeurs conduit une partie des salariés à être dans la même semaine, voire dans la même journée sur des statuts d’emploi, et donc de conventions collectives différentes. Cette multitude imbriquée de situations pour un même individu ajoute au flou de la situation réelle à laquelle renvoient les catégories. « Votre intitulé de poste ? « Je suis aide à domicile mais je fais l’équivalent d’une auxiliaire de vie je fais plein de trucs j’ai les mêmes compétences » (Salariée à domicile d’une association). Même en se limitant à l’aide à domicile auprès des publics fragiles, l’offre est multiforme et engendre ainsi une diversité forte de statuts. Ainsi la DREES a montré la diversité des situations possibles à l’intérieur même des CCAS où dans certains cas, tous les salariés « aides à domicile auprès des personnes âgées » sont fonctionnaires, d’autres où une partie seulement accède au statut. D’autres enfin où aucun salarié ne relève de ce cas (Rivard 2006). Plus généralement l’accord de branche des aides à domicile a distingué en 2002 plusieurs catégories d’emplois : A (agent à domicile), B (employé à domicile) et C (auxiliaire de vie sociale) (voir encadré 3). Aucun des entretiens menés auprès des salariés cependant n’a mentionné l’existence de cette catégorie comme hiérarchisant ou clivant les emplois. Encadré 3. La structure des postes des employés dans la branche de l’aide à domicile Accord de la branche aide à domicile relatif aux emplois et aux rémunérations Accord du 29 mars 2002, modifié par l’avenant n° 1 du 4 décembre 2002 A.1. Agent à domicile • Finalité : réalise et aide à l’accomplissement des activités domestiques et administratives simples essentiellement auprès des personnes en capacité d’exercer un contrôle et un suivi de celles‐ci. • Principales activités : réalise les travaux courants d’entretien de la maison. Assiste la personne dans des démarches administratives simples. • Conditions particulières d’exercice de la fonction : ne peut intervenir habituellement et de façon continue chez des personnes dépendantes ni auprès de publics en difficulté. Exerce sous la responsabilité d’un supérieur hiérarchique. • Conditions d’accès/Compétences : test et entretien d’embauche. La maîtrise de l’emploi est accessible immédiatement avec les connaissances acquises au cours de la scolarité obligatoire et/ou une expérience personnelle de la vie quotidienne. B.1. Employé à domicile • Finalité : réalise et aide à l’accomplissement des activités domestiques et administratives essentiellement auprès de personnes ne pouvant plus faire en totale autonomie et/ou rencontrant des difficultés passagères. Assiste et soulage les personnes qui ne peuvent faire seules les actes ordinaires de la vie courante. 43 • Principales activités : aide les personnes dans les actes essentiels de la vie quotidienne. Aide les personnes dans les activités de la vie quotidienne. • Conditions particulières d’exercice de la fonction : exerce sous la responsabilité d’un supérieur hiérarchique. • Conditions d’accès/Compétences : en cours d’accès du diplôme d’auxiliaire de vie sociale soit par la formation soit par la VAE, ou titulaire d’un des diplômes, certificats ou titres suivants : BEP carrière sanitaire et sociale ; BEPA option services, spécialité services aux personnes ; BEPA, option économie familiale et rurale; CAP agricole, option économie familiale et rurale ; CAP agricole et para‐agricole ; employé d’entreprise agricole option employé familial; CAP petite enfance; CAP employé technique de collectivités ; titre assistant de vie du ministère du Travail ; titre employé familial polyvalent sous réserve de l’homologation du ministère ; brevet d’aptitudes professionnelles assistant animateur technique. La classification dans cette catégorie requiert une maîtrise des outils et techniques de base nécessaires à l’emploi et un diplôme de niveau V de l’Éducation nationale. C.1. Auxiliaire de vie sociale • Finalité : effectue un accompagnement social et un soutien auprès des publics fragiles, dans leur vie quotidienne. Aide à faire (stimule, accompagne, soulage, apprend à faire) et/ou fait à la place d’une personne qui est dans l’incapacité de faire seule les actes ordinaires de la vie courante. • Principales activités : accompagne et aide les personnes dans les actes essentiels de la vie quotidienne (aide à la mobilité, aide à la toilette, aide à l’alimentation…). Accompagne et aide les personnes dans les activités ordinaires de la vie quotidienne (aide à la réalisation des courses, aide aux repas, travaux ménagers). Accompagne et aide les personnes dans les activités de la vie sociale et relationnelle (stimule les relations sociales, accompagne dans les activités de loisirs…). Participe à l’évaluation de la situation et adapte son intervention en conséquence. Coordonne son action avec l’ensemble des autres acteurs. • Conditions particulières d’exercice de la fonction : exerce sous la responsabilité d’un supérieur hiérarchique. • Conditions d’accès/Compétences : diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale ou du CAFAD; BEP sanitaire et sociale mention aide à domicile, à condition d’avoir obtenu l’équivalence au diplôme d’auxiliaire de vie sociale (AVS). La classification dans cette catégorie requiert une bonne maîtrise des outils de base nécessaires à l’emploi. Repris de (Rivard 2006) Le référentiel principal dans ce métier demeure la relation d’emploi et le recours au système mandataire ou prestataire (voir encadré). Ce référentiel a totalement supplanté d’autres catégories, structurant le marché du travail pour la majorité des secteurs (CDD, CDI, intérim ou non, etc.) et absentes des discours des acteurs dans les entretiens que nous avons menés. L’arrivée des entreprises commerciales privées sur le secteur pourraient retourner la tendance. Mais nous ne l’avons pas encore identifiée. Les études statistiques ainsi que nos entretiens montrent clairement qu’il est impossible d’établir des cohérences fortes entre le type d’organismes et le régime d’emploi : une partie des organismes gère l’emploi en système 100% prestataire, mais la plupart accueillent, dans leur organisme des employés sous les deux régimes : mandataire et prestataire. Un même salarié peut lui‐même être employé sous les deux statuts. Quand, de plus, ce salarié complète son emploi du temps par des heures d’emploi direct, cela complexifie fortement l’entreprise de mesure des niveaux d’emplois. Dans un système aussi complexe et multiforme, seules les enquêtes auprès des salariés, par exemple une enquête emploi véritablement ajustée aux spécificités du secteur, en particulier à la difficile captation des situations de multi employeurs pourrait prétendre estimer avec une certaine exhaustivité les durées de travail ainsi cumulées par un même salarié. En l’état actuel, les estimations que nous fournirons dans la partie suivante ne constitueront que des estimations des niveaux des durées du travail. Mais ces difficultés ne 44 concernent pas que la durée du travail. Elles sont généralisables aux modalités particulières du rapport salarial dans ce secteur. 2.5. LA POLYVALENCE, POLY ACTIVITE Bien qu’elle puisse, dans certains cas, en particulier pour les métiers de l’aide à domicile auprès des personnes âgées, répondre à des exigences de globalité de la prestation, la poly activité est, à l’aune des mesures, un facteur complémentaire du flou du secteur. Cette polyvalence, montrent nos entretiens, est souvent exacerbée par le fait que la logique domicile a supplanté la logique métier. « et ça c’est uniquement les personnes qui sont diplômées DEAVS qui peuvent le faire ou toutes ? Normalement ça devrait être que les auxiliaires de vie mais on n’est pas encore assez nombreuses donc les aides ménagères le font également. Il faut vous dire que la définition entre aide ménagère et auxiliaire de vie est très tenue(…) Alors si voulez remplir votre planning vous êtes obligée d’accepter des heures de ménage pures et dures… » (SA N4). La polyvalence des tâches dans le métier de l’aide à domicile caractérise le métier. Les salariés effectuent, dans le domicile, les gestes qui sont les plus appropriés pour réaliser la mission qui leur est confiée (mission souvent générique et dont les glissements sont possibles, par exemple en cas d’urgence). Cette polyvalence est importante à souligner car elle n’est pas sans conséquences sur le calcul des niveaux d’emplois dans le secteur. Dans nos entretiens, les salariés interrogés signalent toujours que le ménage est parfois au cœur de leur activité. Mais au‐delà de ce premier tableau brossé à grands traits, les entretiens montrent toujours la diversité et la richesse des tâches réalisées, en particulier –mais pas seulement‐ une veille sanitaire et sociale, fondamentale dans ce choix politique du maintien à domicile des personnes âgées. Du coup, on s’interroge sur le bien fondé des choix de certains travaux qui tentent d’établir une frontière étanche entre les deux activités, soit pour l’analyse, soit pour le comptage des emplois. La En cherchant à compter le nombre d’emplois de l’aide à domicile auprès des personnes âgées ((Bressé 2004) p. 6), la Drees affirme ainsi : « On a choisi d’exclure entièrement le groupe des personnes classées en P=632, qui déclarent " exécuter chez des particuliers des travaux domestiques". En effet, même si les tâches ménagères constituent une partie importante de l’activité des aides à domicile, ce groupe comprend forcément tous les employés de ménages qui interviennent chez des particuliers de tous âges ne constituant en aucun cas un public "fragile", dont l’autonomie serait limitée ». Bien que les auteurs aient raison de considérer que des risques de sous estimation ou de surestimation dans l’emploi existe, cette exclusion des comptes des emplois de ménage est très certainement excessive dans le cas de la mesure du périmètre de l’activité de l’aide à domicile. Ceci plaide au contraire pour une nomenclature d’activité qui puisse distinguer d’avantage les publics auprès desquels les salariés interviennent : parce qu’il ne s’agit pas de la même activité, 45 et donc pas –pour utiliser un élément de sémantique de l’économie industrielle‐ du même « produit » rendu. Dans un secteur comptant pour plus d’un million d’emplois, cette distinction ne serait pas un luxe. Ni les statistiques administratives (OASP, Ircem, voire les CESU –voir infra), ni même celles issues de l’enquête emploi ne permettent d’identifier ainsi les usagers du service. 2.6. VAE Outil de structuration et d’identification des métiers, la validation des acquis de l’expérience peut à l’inverse produire du flou supplémentaire dans l’identification des métiers, des tâches et leur concomitance. La contradiction apparente provient de la formule retenue pour la validation des compétences. Celle‐ci suppose en effet que 3000 heures aient été réalisées avant la validation et surtout que soient validées des compétences réellement acquises sur le terrain : on assiste ainsi à des superpositions des diplômes, une variété de parcours parfois très différents, et des situations de qualification diverses pour des situations de travail parfois proches. « Oui parce que comme je demande à être diplômée pour avoir la validation des acquis si je fais pas de toilettes on ne peut pas me valider quelque chose que je fais pas c’est dans le règlement on peut pas prétendre savoir faire quelque chose si je ne peux pas le faire » SA­N1 « La grosse différence depuis 3 ans c’est qu’auparavant les aides à domicile on a été obligé de les former en cours d’emploi, on n’avait pas d’autres choix ça n’existait pas. Je dirais que la mise en place des DEAVS d’une part, du diplôme d’assistante de vie d’autre part, ce qui est aussi à mon avis regrettable on voit encore la guerre des ministères, le ministère des affaires sociales sort le DEAVS, le ministère du travail sort des assistantes de vie, d’un côté c’est un diplôme, de l’autre côté c’est un titre. Avec un nombre d’heure qui me parait pratiquement identique puisque d’un côté il y a 1000 heures et de l‘autre côté 800 heures. (…) Mais bien sur c’est [le diplôme d’Etat] qui a homologué son titre, je ne sais plus c’est gérontologie, ou employée familiale polyvalente…Enfin bon. Il en existe tellement, donc ça fleurit dans tous les sens. Pour moi tout ça ce sont des aides à domicile avec plus ou moins de qualifications. Donc aujourd’hui quand on embauche eh bien on essaie d’embaucher au maximum des aides des personnes qui ont une formation. Peut être pas celles­ci d’ailleurs, elles peuvent avoir été faire une formation, une pré qualification au métier d’aide à domicile de 3 mois dans un centre de formation payé par les Assedic. Ça nous suffit pour faire des actes simples de ménages mais on ne prend plus des personnes qui n’ont pas eu d’approches avec des aides à domicile ». (Directeur d’une entreprise de services à domicile). 2.7. CHEQUE EMPLOI SERVICE UNIVERSEL 46 Véritable outil de promotion du secteur des SP (véritable « héro » selon les services ANSP, et les politiques de communication du ministère de l’économie), le Cesu est un outil supplémentaire de solvabilisation de la demande sur laquelle nous reviendrons longuement dans le chapitre 6. Outil de simplification des démarches administratives des particuliers employeurs, il réduit les opportunités de visibilisation des activités performées, des catégories statutaires des employés, et des CSP des employeurs. En effet, lors du recours au Cesu, (et avant lui le chèque emploi‐service) et pour un volume horaire hebdomadaire travaillé n’excédant pas 8h, le recours au contrat de travail n’est plus obligatoire. Le flou des missions, sur lesquelles plus aucune obligation de prescription écrite n’existe, s’en trouve aggravé. En outre, ces Cesu contiennent des informations extrêmement rudimentaires sur le lien à l’emploi : pas de mention du type de contrat, ni des tâches effectuées, ni même du planning hebdomadaire. Il collecte simplement, outre le numéro de sécurité sociale du salarié, les heures travaillées déclarées, et le salaire horaire net versé. Celui‐ci est majoré de 10% pour le financement des congés payés du salarié. Pourtant, l’ANSP souligne que 60% des heures de l’emploi direct sont financées par le Cesu bancaire. Le Chèque emploi service universel entretient voire développe également la nature ponctuelle et temporaire du recours aux services à la personne. En institutionnalisant l’occasionalité des emplois, il contribue à fragiliser le lien des salariés à l’emploi. Certes, sa création n’est pas récente. Il est un outil de simplification des démarches administratives dans le cas du recours à l’emploi direct depuis le début des années 90. Mais alors que le Cesu bancaire, dans sa forme de financement traditionnel (chèque financé par le compte bancaire de l’utilisateur du chèque), est limité aux emplois mandataires ou aux emplois directs, l’application du Cesu préfinancé, mis en place lors de la loi de cohésion sociale (2005), a été élargie aux emplois sous régime prestataire, ainsi d’ailleurs qu’aux emplois d’assistante maternelle ou aux services de crèche. Certaines études identifient une fuite de l’emploi prestataire vers le gré à gré, via ce Cesu préfinancé, mais ici encore, des études complémentaires sont nécessaires. Si elle s’avère exacte, cette tendance ne peut que contribuer à réduire l’information relative aux contours des activités, et surtout à la qualité des emplois. Outre les intermittences auxquelles ces recours au Cesu peuvent contribuer –mais qui nécessitent pour cela des investigations complémentaires‐, l’arithmétique des emplois s’en trouve aussi chamboulée. Si l’on compare, par exemple, le nombre de particuliers ayant un employé à leur domicile au cours d’une année et le nombre de particuliers ayant un employé à la fin du deuxième trimestre (ces dernières étant les données mises à disposition de l’Ircem sur leur site Internet), on observe des écarts de 25 à 30% selon les années. Ainsi en 2005, ce sont 270 000 employés d’écart selon le mode d’enregistrement. Précisons, Le nombre de personnes ayant été salariées d’un particulier employeur au cours de l’année 2005 s’élève à 1,170 mille contre seulement 900 000 fin juin : ce sont 270 000 emplois non comptabilisés dans un cas et comptabilisés dans l’autre (Chol 2007). Pour l’année 2006, l’écart semble encore plus large : 949 000 emplois en fin du second trimestre 2006 (données Ircem), contre 1,271 millions annuel, soit 322 000 emplois d’écart, ajoutant au flou des estimations et des interprétations dans la création d’emplois. Le travail au noir comme élément d’incertitude autour des créations d’emploi est un argument souvent avancé. Nous n’avons pas les moyens, dans le cadre de cette étude, d’avancer beaucoup d’arguments sur ce sujet important mais sur lequel nous n’avions pas les moyens de développer 47 des investigations sérieuses. Soulignons simplement que l’argument de la lutte contre le travail au noir a été largement utilisé lors de la mise en place des premiers chèques emploi service. Or, nos entretiens montrent que les effets réels du Cesu sont moins nets que les attentes des pouvoirs publics, car cette modalité de paiement est largement utilisée pour couvrir une part indéterminée mais réelle de travail non déclaré (on y fait référence parfois comme du travail grisé), d’autant que la fragmentation des emplois du temps incite les salariés à multiplier leurs employeurs, et à rechercher des compléments de revenu au moindre coût fiscal. En bref, le Cesu a été conçu comme un outil de « fluidification » du marché, ou d’appariement d’une offre à une demande. Parallèlement, il opacifie les activités qui se déroulent dans la sphère d’intervention. En ce qui concerne la quantification des emplois, l’allègement administratif va en effet de pair avec une réduction des informations sur lesquelles s’appuyer : peu ou pas d’informations sont disponibles sur le type d’activité se déroulant dans les emplois directs financés par le Cesu. 3. LES DONNEES DISPONIBLES : ENTRE DONNEES ADMINISTRATIVES ET ENQUETE EMPLOI 3.1. LES DONNEES A DISPOSITION : LA SOURCE DES ORGANISMES AGREES DES SERVICES A LA PERSONNE (OASP) Les données émanent directement des organismes agréés, ces agréments étant mis en place au niveau national dans ce secteur des services à la personne depuis 1993. Les données des OASP proviennent de deux remontées administratives. -
D’une part des remontées mensuelles : les organismes agréés fournissent tous les 15 du mois leurs statistiques d’emplois et de volume horaire pour nourrir les tableaux de bord (TB) du ministère de l’emploi. Le taux de couverture n’est pas parfait : sur les 11 000 entreprises agréées (chiffre fréquemment cité, mais dont il est difficile de connaitre la source précise), entre 5 et 6000 « fiches » remontent tous les mois par ce canal des tableaux de bord. Certaines grosses associations regroupent leurs données de telle sorte que, en une fiche, les données de plusieurs établissements peuvent être recensées. Mais il ne semble pas y avoir de moyen de vérifier combien d’établissements au total sont concernés (peut être 7 à 7 500, mais sans certitude). -
5 à 6000, c’est à peu près le même chiffre que l’on retrouve dans la seconde remontée annuelle via les TSA (tableau statistique annuel), remplies potentiellement par les mêmes organisations, même si les entreprises qui renseignent les tableaux de bord mensuellement ou annuellement ne sont pas nécessairement les mêmes. A vrai dire, une vraie incertitude pèse sur ces données. Outre la fiabilité des données sur ces deux sources sur lesquelles nous revenons ci‐dessous, les données collectées par les deux sources ne sont pas de même qualité. Dans les TB, ce sont les niveaux d’emploi et d’heures de travail qui sont collectées. 48 Dans le TSA, deux informations sont normalement disponibles : le nombre de salariés à la fin de l’année (« Effectif salarié au 31 décembre »), mais aussi, juste dessous : « nombre total de salariés ayant travaillé en activité prestataire au cours de l’année »). Sont aussi demandés les « nombre d’heures effectuées au cours de l’année ». Lorsqu’elles sont renseignées, ces données de nombre d’heures sont décomposées « selon le type d’activité ». Le questionnaire distingue ainsi : -
ménage -
soutien scolaire -
garde d’enfants -
assistance aux personnes âgées ou dépendantes -
autres tâches (y.c. « homme toutes mains ») Aux dires des statisticiens responsables de cette collecte (DDTEFP et DARES), la source lacunaire principale dans ce système d’observation sont les établissements (fournisseurs des services) qui ne comprennent pas toujours bien ces besoins d’informations statistiques et qui échappent parfois à ces obligations administratives. Mais il existe une autre source de dysfonctionnement dans la collecte : les DDTEFP, qui ont en charge la remontée des données jusqu’à la DARES, ne font pas toujours ce travail tous les mois, soit parce que les données arrivent tardivement, soit parce que ces directions sont débordées par la poly activité à laquelle elles sont contraintes. Jusqu’ici aucune DDTEFP en effet n’a semble‐
t‐il affecté un individu à temps plein sur ce secteur des services à la personne. Une troisième source de difficulté plus circonscrite pour les données à usage régional concerne les grosses organisations publiques ou privées. Celles dotées d’un siège national en particulier (le plus souvent localisé en Ile de France) auront une activité répertoriée dans la région d’enregistrement, alors même que l’activité pourra être opérée ailleurs en France. On peut imaginer que cette difficulté est accentuée par l’arrivée sur le marché des services à la personne de grandes entreprises privées commerciales. D’autres établissements agréés dans un département, mais ayant une activité dans un autre, renseignent deux fois les fiches pour des départements différents. Les organismes de collecte (DDTEFP et DARES) s’emploient ainsi à un nettoyage fastidieux des fichiers mais qui est loin de faire toujours le clair sur l’activité. Les conséquences sur la croissance de l’emploi La croissance des emplois dans le secteur (et des organismes agréés) peut donc résulter de deux forces : -
soit le nombre d’emplois et le nombre d’entreprises croissent (c’est le facteur qui nous viendrait rapidement à l’esprit) ; -
soit le taux de réponse est meilleur. On peut faire le constat que jusqu’ici le taux est de l’ordre de 50%. Selon les responsables de la DARES en charge de cette collecte, le taux de collecte est en hausse depuis 10 ans. Il y aurait donc un facteur de correction dont il faudrait tenir compte dans les estimations de croissance d’emploi du secteur, mais de quelle ampleur ? 49 Il n’est pas facile de repérer lequel des deux facteurs joue « le plus » ni estimer la part de l’un et l’autre. On peut rappeler néanmoins que les ANSP sont en train de réfléchir à des contraintes plus fortes qu’elles feraient peser sur les structures : en cas de non réponse, elles pourraient être amenées à suspendre les agréments… C’est en tout cas un élément d’information qui est revenu de façon récurrente dans les entretiens auprès des acteurs, en particulier ANSP. Jusqu’à présent, les deux sources TB et TSA concordaient assez bien en matière de niveau d’emploi en tout cas. C’est même toujours la source mensuelle qui était retenue par la DARES dans ses estimations officielles de l’emploi du secteur car, selon elle, c’est la moyenne des données mensuelles qui produit les effectifs les plus élevés. Les TSA fournissent des données moins rudimentaires : des informations complémentaires sur la nature de l’activité sont disponibles (voir encadré) alors que les données mensuelles produisent des données sur l’emploi et les heures travaillées. En comparant les résultats produits par les deux sources sur les années 2003, 04, 05, la DARES a noté que la source mensuelle était néanmoins la plus « correcte ». Encadré 4. Les questions du Tableau statistique annuel (extraits) 1. organisme et son personnel A. Type d’organisme B. Agrément sous l’ancien dispositif « emplois familiaux » D. Personnel administratif : nombre de salariés en équivalent temps plein. Nombre de personnels bénévoles 2. activité prestataire A. Nombre d’heures effectuées (facturées) au cours de l’année selon le type d’activité Ménage Soutien scolaire Garde d’enfants Assistance aux personnes âgées ou dépendantes Autres tâches B. Effectifs salarié au 31 décembre (hors personnel administratif) Dont salariés à durée indéterminée Salariés à durée déterminée Dont salariés de moins de 30 ans Salariés de plus de 50 ans. C. Nombre total de salariés ayant travaillé en activité prestataire au cours de l’année 3. activité mandataire A. Nombre d’heures effectuées (facturées) au cours de l’année selon le type d’activité Ménage Soutien scolaire Garde d’enfants Assistance aux personnes âgées ou dépendantes Autres tâches B. nombre d’employeurs dont vous avez assuré la gestion des salariés au cours de l’année C. salariés en activité mandataire C1 effectif au 31 décembre C2. Nombre total ayant travaillé au cours de l’année 4. nombre de salariés ayant travaillé uniquement en prestation au cours de l’année 50 Nombre de salariés ayant travaillé uniquement en activité mandataire au cours de l’année Nombre de salariés ayant travaillé sous les deux statuts. Source : DARES, TSA, organismes agréés de services aux personnes. Quelles conséquences sur les niveaux d’emploi ? Aucune consolidation n’est effectuée. Autrement dit, les données disponibles sont les données issues des déclaratifs : les organismes qui ne déclarent pas ne sont tout simplement pas visibilisés. Se pose la question de savoir si, parmi les 5 000 organismes qui ne font pas remonter d’informations, une activité importante échappe à l’instrument de mesure. C’est toute la difficulté. Une hypothèse, soutenue par la DARES, est qu’une partie des organismes agréés n’ont pas d’activité dans le champ, et/ou ont demandé un agrément sans avoir d’activité. Mais combien ? Personne ne sait. Une chose est certaine : l’activité réelle échappe de moins en moins, du fait de la politique de visibilisation développée par l’ANSP relayée en cela par les DDTEFP. Et il y a fort à parier que les données de croissance d’emploi dans les OASP sont plutôt sur‐
estimées depuis plusieurs années et que cette sur‐estimation ira en s’accélérant. Précisons : que le taux de couverture s’améliore est un élément favorable, indiquant une certaine amélioration du système d’information. Mais il serait intéressant de pouvoir établir des mesures « à périmètre constant » d’une année sur l’autre pour évaluer la création nette des emplois. Cela est impossible en l’état. Pour les données régionales, peu de régions ne semblent avoir dépouillé les TSA des années précédentes et il semble que les régions aient plutôt utilisé, à la demande de la DARES, les données mensuelles issues des TB. Le Nord Pas de Calais fait exception et les résultats produits en 2007 indiquent que la règle nationale ne vaut plus au niveau du territoire. La confrontation des « sources » que nous avons réalisée pour cette région en 2005 et 2006 donne en effet des résultats étonnants et nous présentons ici l’ampleur des écarts. En 2005, le nombre d’OASP pour le Nord Pas de Calais selon les deux « remontées » d’informations est très proche : 421 dans un cas, 437 dans l’autre, signe d’une convergence du taux de couverture. En revanche, les écarts sont nets pour la recension des heures travaillées : +36% de plus selon le TSA par rapport au TB (tableau de bord mensuel), et sont encore plus nets pour les niveaux d’emploi : +50% de plus selon le TSA. En 2006, loin de s’estomper, ces divergences s’accroissent surtout pour le nombre d’emplois. On dénombre ainsi un écart de près de 83% selon la source pour le Nord Pas de Calais… mais aussi un écart plus faible pour le nombre d’heures travaillées… Ces deux éléments réunis ont des conséquences tout aussi contrastées sur les résultats en termes de «création d’emplois » et de « création d’heures travaillées ». Selon l’une des deux sources (TB), l’emploi aurait diminué de près de 6% mais les heures travaillées auraient cru de 11% (de 2005 à 2006). Selon l’autre (TSA), c’est l’emploi qui aurait augmenté de +14% mais à volume d’heures travaillées constant sur l’année (voir tableau ci‐dessous)… 51 Tableau 1. Les emplois, les heures travaillées, et leur évolution selon les « remontées » issues de agréments OASP dans le Nord Pas de Calais Nord Pas de Calais 2005 TB (moyenne mensuelle) TSA annuel écart relatif TSA/MM 2006 moyenne mensuelle TSA annuel écart relatif TSA/MM Variations 2005/2006 MM TSA nombres d'OASP 421 437 3,8% nombres d'OASP 464 517 11,4% 10,2% 18,3% niveau d'emploi 29 648 44 750 50,9% niveau d'emploi 27900 51000 82,8% ‐5,9% 14,0% nombre d'heures travaillées 17 601 582 23 896 000 35,8% nombre d'heures travaillées 19555358 23845814 21,9% 11,1% ‐0,2% Sources : DARES (MM), DRTEFP (TSA), traitements personnels. TB : Pour l’emploi, on a effectué la moyenne simple des données répertoriées sur les 12 mois de l’année. Pour les heures travaillées, on a additionné les heures déclarées sur les 12 mois. TA . Pour l’emploi et les heures de travail, les enregistrements sont directement issus des données collectées. Au niveau français, cet écart donne des résultats nettement plus convergents qu’au niveau de la région. En 2005, ce sont les dernières données disponibles pour le TSA français, les écarts entre emplois sont de l’ordre de 17% (plus élevés dans le TSA que dans le TB). Les écarts en heures travaillées sont en revanche nuls car les pondérations du TSA sont calées sur celles du TB, dans les données mises à notre disposition. Le bilan général est donc mitigé au terme de ce balayage des sources disponibles. Au niveau des régions en tout cas, les résultats sont tellement contrastés que les jugements sur l’efficacité des politiques publiques ne ressortit, en l’état actuel que… du choix des sources. Il est grand temps que la statistique territoriale mette à disposition des chercheurs et de tout usager des données dont la fiabilité ne pourrait être soumise à aussi rude épreuve. 3.2. LES DONNEES A DISPOSITION : LA SOURCE IRCEM La source de données URSSAF est cruciale sur le champ des particuliers employeurs mais les DNS (données sociales renseignés dans les fichiers) ne sont pas saisies et a fortiori pas exploitées par ce service public, l’URSSAF n’exploitant que les données financières. Ces DNS sont transmises à L’IRCEM qui, après nouvelle saisie, peut identifier les évolutions d’emploi et d’heures travaillées dans le « secteur des particuliers‐employeurs ». Des doublons dans les données, entre la source IRCEM et les données issues des Agréments (voir OASP ci‐dessus), sont liées à la spécificité du régime mandataire. Les salariés et les heures effectuées sous ce régime « mandataire » relèvent du particulier employeur. Et il peut y avoir des 52 doubles comptes du fait d’un double enregistrement entre OASP (mandataire) et Ircem. En théorie, on devrait pouvoir d’autant mieux identifier le régime que les conventions auxquelles sont soumis les salariés sont tout à fait différentes selon qu’il s’agit de l’un (mandataire) ou de l’autre (prestataire) des régimes. Dans les pratiques, on se contentera de dédoublonner les statistiques en supprimant les mandataires des statistiques des OASP, car ces derniers sont nécessairement comptabilisés dans les données Ircem. -
Ce sont souvent les mêmes structures qui proposent les deux régimes d’emploi. Ainsi, l’ADMR enregistre la moitié de ses heures en régime mandataire, et l’autre en régime prestataire. Plus généralement, l’enquête SAPAD de 1998 (voir supra) indiquait qu’alors, 31% des salariés déclaraient une activité prestataire, 6% une activité mandataire, et 63% une double activité (Bressé, 2004, p. 2). -
Il est fréquent qu’un même salarié, au cours d’une même journée, ait des heures réalisées sous l’un ou l’autre des régimes. Ceci pose de nombreux problèmes pour le salarié (voir chapitre suivant) mais d’un strict point de vue d’enregistrement statistique, on peut comprendre que les choses soient pour le moins confuses, y compris pour l’administratif de l’organisation qui renseigne la fiche (TB ou TSA). Des doublons existent également dans l’enregistrement de la PAJE (allocation jeune enfant), et, par ailleurs, les enregistrements s’effectuent en journées de prestation et pas en horaire (Chol, 2007). CONCLUSION Tous ces éléments mis bout à bout montrent à quel point l’identification de l’emploi et de son évolution constituent des questions délicates à traiter. Ils soulignent la difficulté à appréhender avec des lunettes mal adaptées ce secteur aux emplois multiformes. La nomenclature SP2005, constituée d’activités disparates et dont les cohérences sont surtout à rechercher du côté des catégories politiques, est un facteur aggravant ces difficultés tout à la fois pour l’estimation de l’emploi, et plus encore pour se faire une représentation de la qualité de ces emplois. En l’état actuel, les entreprises d’évaluation des politiques publiques en matière de création d’emploi dans ce secteur envisagé sous l’angle d’activités gisement d’emploi restent délicates voire hasardeuses. A l’occasion de cette analyse, nous avons également souligné les caractéristiques particulières de ce « secteur » et de son organisation, en particulier en matière de multi‐employeurs, de multi activité, de temps partiel et plus généralement de flou autour du contenu des tâches (dans la description des postes, et dans la réalisation concrète). Ces caractéristiques sont symptomatiques de l’évolution d’un marché du travail sur lequel les grandes catégories d’analyse sont devenues obsolètes. La dichotomie CDD/CDI est ainsi remplacée par celle de mandataire/prestataire, plus significative pour l’ensemble des acteurs. L’effritement du lien à l’employeur s’exprime par la généralisation des situations de multi‐
employeurs que les catégories de l’Insee (EE) ne décèlent pas convenablement. Il est peu étonnant, compte tenu de ces incertitudes multiples relatives à la mesure, que les annonces gouvernementales rendant régulièrement compte des progressions de la création 53 d’emploi dans le secteur des services à la personne soient bien souvent nimbée d’un flou politiquement entretenu. BIBLIOGRAPHIE Aballéa, F. 2005. La professionnalisation inachevée des assistantes maternelles. Recherches et Prévisions 80 (juin). Adjerad, S. 2007. 10 ans de services à la personne en Haute‐Normandie SEPES DRTEFP. Braibant, M. 1982. Le tertiaire insaisissable ? Economie et Statistique 146 (juillet‐août). Bressé, S. 2004. Le personnel des services d'aide à domicile en 1999. Etudes et résultats DREES 297 (mars). Cahuc, P., and M. Debonneuil. 2004. Productivité et emploi dans le tertiaire. In n°49, edited by r. d. CAE: Paris. Cambois, E., and A. Lièvre. 2004. 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Conditions de travail et compétences des “non qualifiés”. Rapport pour le Ministère de l’emploi et de la solidarité. 54 Gershuny, J. 1978. After Industrial Society?: The Emerging Self­service Economy: Macmillan. Givord, P. 2003. Une nouvelle enquête emploi. Économie et statistique 362. Gorz, A. 1988. Métamorphoses du travail, quête du sens: critique de la raison économique. France: Galilée. Guibert, B., J. Laganier, and M. Volle. 1971. Essai sur les nomenclatures industrielles. Économie et statistique 20 (février). Laville, J.‐L. 1994. L'économie solidaire: une perspective internationale: Desclée de Brouwer. ———. 1999. Les services de proximité, un enjeu de société. Revue de la CFDT:4‐24. ———. 2005. Sociologie des services, Entre marché et solidarité. Edited by Eres. France. Marbot, C., V. Dejonghe, and V. Bruniaux. 2008. Les salariés des particuliers‐employeurs en 2006. Insee Première 1173 (janvier). Maruani, M. 2000. Travail et emploi des femmes. Vol. repères. Paris: Ed. 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Evolution de l’emploi ............................................................................................................................. 62 2.2. Variation des heures travaillées entre 2005 et 2006 ............................................................... 64 3. Variations sur la décennie : un nombre de salariés multiplié par 4 en 12 ans ....................... 67 3.1. Dans les régions des évolutions comparables ? ......................................................................... 73 3.2. L’évolution des heures travaillées ................................................................................................... 77 3.3. La prise en charge des heures travaillées par l’Etat et les collectivités territoriales et son évolution ........................................................................................................................................................... 80 II. Les statistiques des emplois de gré à gré : la source IRCEM ..................................................... 81 1. Emploi direct : évolution des niveaux d’emploi et des volumes horaires sur les deux dernières années ........................................................................................................................................................ 82 1.1. L’emploi ...................................................................................................................................................... 82 1.2. L’évolution des volumes horaires moyens par salarié ............................................................ 83 2. Une décomposition selon les activités ..................................................................................................... 83 3. Emploi direct : évolution des niveaux d’emploi et des volumes horaires sur deux decennies ....................................................................................................................................................................... 85 4. En régions ............................................................................................................................................................ 87 4.1. Evolution de l’emploi ........................................................................................................................... 87 4.2. Evolution des heures travaillées et des volumes horaire par salarié................................ 88 5. Les niveaux de rémunération dans l’emploi direct ............................................................................ 89 III . Une synthese des deux sources : evolution de l’emploi dans le secteur des services à la personne .......................................................................................................................................................... 90 3.1. Evolution globale de l’emploi dans les SP : France .............................................................................. 90 3.2. Evolution de l’emploi dans les services à la personne : Nord Pas de Calais ............................. 92 Conclusion ..................................................................................................................................................................... 94 Bibliographie ................................................................................................................................................................ 95 56 INTRODUCTION Dans ce chapitre, nous présenterons –après diverses précautions d’usage‐ une synthèse, à partir des données collectées auprès de la DARES et de l’IRCEM, des niveaux d’emplois nationaux, et régionaux. Les maigres données à notre disposition permettront d’esquisser quelques pistes sur l’évolution de cette nouvelle catégorie ainsi constituée. Nous le ferons en présentant d’une part les données des organismes agréés de services à la personne, d’autre part en présentant les statistiques de l’IRCEM par lesquelles transitent toutes les données du particulier‐employeur. Une partie fusionnera les données issues de ces deux sources. Malgré la fragilité des données ainsi construites, des indices suffisamment convergents permettent de conclure que la création d’emplois dans le secteur des services à la personne a été relativement faible entre 2005 et 2006 malgré une forte mutation de l’offre, en particulier une création importante d’entreprises commerciales privées. A ce moment de notre rapport, une précision d’ordre méthodologique s’impose. Dans ce chapitre 2, seuls les évolutions et niveaux d’emploi dans le secteur des services à la personne seront observés de près. La quantification –et qualification‐ de la qualité de l’emploi, feront l’objet d’une partie de chapitre ultérieur (voir chapitre 3). La segmentation des deux questions : quantité et qualité de l’emploi constitue certainement une limite forte de notre entreprise. Vue la physionomie actuelle du secteur, quel sens peut‐on en effet donner à des créations d’emplois dont le contenu et les contours sont quasi‐orthogonaux à l’emploi de l’ère fordiste ? Quel sens peut‐on donner à des créations d’emplois dont la durée du travail n’excède pas en moyenne 10 à 12 heures (voir infra) ? En concentrant une grande partie des ressources et de l’énergie à créer des emplois et à quantifier ces créations, le risque est grand d’omettre l’essentiel. L’emploi en soi ne peut être un objectif –tout au plus un moyen‐ tant que ce qui est créé n’atteint pas un degré de soutenabilité acceptable. Or, point n’est besoin d’attendre notre recherche, qui le confirmera cependant, pour rappeler que la précarité des années 60 ou 70 est très éloignée de celle de la société postfordiste. A la précarité, sorte d’état provisoire dans l’attente d’un emploi stable (R. Castel, 2005), on identifie un précariat ancré, institutionnalisé pour une fraction croissante des travailleurs. Notre secteur, loin d’être épargné par cette dynamique, en constitue même son paradigme. Mettre et remettre en définition ce que l’on appelle « l’emploi », ou l’emploi soutenable ou encore l’emploi adéquat (au sens du BIT, 2005) est de ce point de vue vital. Cet objectif dépasse évidemment cette enceinte sectorielle, mais le secteur des services à la personne est une heuristique efficace pour analyser, de façon empirique, ces questions conceptuelles. Et, bien que cette problématique échappe aux contours de ce chapitre, il sera l’occasion de lever le voile sur une série d’interrogations relatives à la qualité de l’emploi que nous traiterons de façon plus approfondie dans le chapitre 3. 57 I I . LES STATISTIQUES DES ORGANISMES AGREES DE SERVICES A LA PERSONNE Les données qui sont présentées dans cette première partie concernent uniquement les emplois qui passent par des organismes agréés de services à la personne (OASP).Il ne s’agit pas, dans cette partie de travailler sur l’emploi de gré à gré, qui constitue la part la plus importante des emplois de services à la personne, et sur lequel on reviendra dans la partie II. En revanche, sont pris en compte ici les OASP qui travaillent sur le mode prestataire (les salariés sont alors directement employés par la structure), et les OASP qui travaillent en mode mandataire (les salariés sont alors mandatés par la structure mais sont sous le régime du particulier‐employeur, et sont salariés des usagers). Les mandataires sont donc des salariés en emploi direct, même s’il faut se garder d’amalgamer salariés en mandataire et salariés en gré à gré, tant du point de vue des conditions d’emploi que des conditions de travail. Grâce aux données rendues disponibles par la DARES qui en assure la collecte par le biais des DRTEFP, on a établi une cartographie des services à la personne des organismes agréés en présentant d’abord les données de 2005 (I), puis les évolutions entre 2005 et 2006 (II). Ces évolutions constituent une première estimation des effets du plan des services à la personne sur les éventuelles inflexions sectorielles. Dans un troisième temps, ces évolutions ponctuelles sont replacées dans une tendance de plus long terme (une décennie). 1. STATISTIQUES EN NIVEAU EN 2005 Les salariés du champ des services à la personne qui transitent par un organisme agréé étaient 372 000 en 2005. On considère en quelque sorte que ce niveau d’emploi est le niveau zéro de notre état des lieux et de notre évaluation de l’action publique. Près de 11% d’entre eux étaient salariés en Ile de France (dont plus du tiers dans la seule ville de Paris), contre 8% dans le Nord Pas de Calais. Encadré 1. Les limites de la statistique d’origine administrative Comme on l’a longuement décrit dans le chapitre précédent, l’emploi dans les services à la personne est délicat à saisir statistiquement comme on le verra tout au long de ce rapport. Les salariés relèvent d’une grande variété de conventions collectives et les relations d’emploi sont multiformes. Nous avons pris le parti, dans cette première partie dont l’objectif reste l’évaluation des niveaux d’emploi, de nous appuyer sur des statistiques d’origine administrative. La clarté des tableaux ne doit cependant pas donner l’illusion d’une précision absolue dans les résultats. Des doubles comptes sont, malgré la vigilance des collecteurs des statistiques au sein des organisations (DRTEFP, DARES), potentiellement importants. Où sont les principales sources de doubles comptes ? D’une part dans les emplois mandataires et prestataires des organismes agréés. En l’état actuel de la statistique, il n’est pas possible de récolter des données statistiques à partir des salariés ce qui permettrait par exemple de connaitre la part des salariés qui exercent une activité simultanément (en tout cas, dans le même mois) sous le régime prestataire et sous le régime mandataire. On sait simplement, selon des données issues de l’enquête SAPAD (Dutheil 2000) que les organismes combinent majoritairement la double activité prestataire et mandataire, et qu’ un tiers exercerait une seule activité de prestataire, et une faible minorité des organismes agréés 58 seulement une activité mandataire(Dutheil 2000). Or, lorsqu’un salarié est sous les deux régimes dans le même organisme, il est probable (mais on ne connait pas le niveau de cette probabilité) que celui‐ci soit inscrit deux fois par l’organisme. Que se passe‐t‐il pour les heures travaillées ? On peut, ici, faire l’hypothèse que celles‐ci souffrent peu, au sein des organismes des double‐comptes puisque les heures comptabilisées ont été réellement rémunérées. Ceci a certainement des incidences sur les estimations que nous donnons des volumes horaires travaillés. Ils doivent plutôt être entendus au sens de volumes travaillés dans un même régime. En outre, et c’est probablement la plus grande des difficultés (qui se retrouve aussi, à un niveau de renseignement plus fin dans l’enquête emploi également), les données tiennent peu compte, au sein de cette source agrémentaire en tout cas, des situations de mutli­employeurs qui conduisent à ce que certains salariés soient employés par plusieurs organismes, selon l’un ou l’autre ou les deux régimes (Rivard 2006). L’addition des effectifs des « emplois relevant du système mandataire » et ceux relevant du système prestataire est donc un peu forcée, et les données doivent être prises comme des ordres de grandeur. On peut en revanche faire l’hypothèse que les erreurs des doubles comptes se reproduisent dans le temps et ont peu d’influence sur les évolutions. Figure 1 Salariés des organismes agréés en 2005 ILE DE FRANCE
75­Paris
92­Hauts de Seine
93­Seine Saint Denis
HAUTE NORMANDIE
27­Eure
76­seine maritime
NORD‐PAS DE CALAIS
59L­nord Lille
59V­nord Valenciennes
62­pas de calais
TOTAL FRANCE ENTIERE
39 753
14997
6476
3153
14 839
3 511
11 328
29 648
14 758
3 396
11 494
371 700
Données DARES 2005, effectif moyen annuel calculé à partir de la moyenne des effectifs mensuels reportés par les données issues des agréments. La répartition de ces salariés selon les régimes d’emploi et le statut de l’employeur diffère sensiblement d’une région à l’autre. Au niveau français, toujours sur le même champ, 95,6% des salariés sont employés par une structure associative ou publique. Un peu plus de la moitié des salariés est en en régime mandataire. 40% est employé en régime prestataire. Les entreprises privées (agréées) emploient moins de 5% des salariés des services à la personne transitant par les OASP. Cette répartition nationale cache des logiques territoriales très diverses. 1. En Ile de France par exemple, la part du mandataire est minoritaire et ne représente que 36% des emplois. En Haute Normandie en revanche cette part atteint 56% voire 64% en 59 Seine Maritime. Cela peut être le symptôme de politiques territoriales très contrastées selon les conseils généraux, nous aurons l’occasion d’y revenir dans cette étude. 2. La part du privé dans l’ensemble varie également de façon importante : les emplois salariés du privé représentent plus de de 18% de l’emploi total en Ile de France, mais seulement 0,4% en Haute Normandie ! et 2,7% dans le Nord Pas de Calais. Autrement dit, 45% de l’emploi des services à la personne salariés d’entreprises privées (qui représentent en 2005 pour l’ensemble du territoire français 16 000 emplois, hors emploi direct) est concentré sur l’Ile de France. On note aussi qu’au sein d’une même région, des départements peuvent avoir des profils très différents (cf. Tableau qui suit dans le cas de la Haute Normandie et du Nord Pas de Calais). Figure 2 Nombre de salariés selon les modalités conventionnelles de gestion de l'emploi Entreprises privées Associatif et CCAS commerciales Emploi Emploi Emploi Emploi relevant du relevant du relevant du relevant du système système système système part des salariés mandataire prestataire mandataire prestataire ILE DE FRANCE
36%
46%
11%
7% 100%
75‐Paris 33%
28%
28%
11% 100%
92‐Hauts de Seine 42%
50%
3%
5% 100%
93‐Seine Saint Denis 47%
48%
1%
5% 100%
HAUTE NORMANDIE 56%
44%
0%
0,4% 100,0%
27‐Eure 31%
69%
0%
0,4% 100,0%
76‐Seine maritime 64%
36%
0%
0,4% 100,0%
NORD‐PAS DE CALAIS
46%
52%
1%
1% 100,0%
59L‐nord Lille 52%
46%
1%
1% 100,0%
59V‐nord Valenciennes
43%
56%
0%
1% 100,0%
62‐pas de calais 40%
60%
0%
0% 100,0%
TOTAL FRANCE ENTIERE 41%
55%
2%
2% 100,0%
Données DARES 2005, effectif moyen annuel calculé à partir de la moyenne des effectifs mensuels reportés par les données issues des agréments. Derrière la notion de « salarié » se cachent également des situations contrastées en matière de temps de travail, ce que montrent les données du volume d’heures travaillées. Ainsi, alors que l’Ile de France ne regroupe que 11% des salariés, et concentre 13% des heures travaillées, dans le Nord Pas de Calais, les valeurs sont respectivement de 8% pour la part des salariés, contre 7% des heures. Figure 3 Volume d'heures travaillées en 2005 pour les salariés des organismes agréés heures travaillées part 60 ILE DE FRANCE
34 957 934
765 452
242 621
146 627
8 999 459
3 026 493
5 972 966
17 601 582
8 047 099
1 888 514
7 665 969
75­Paris
92­Hauts de Seine
93­Seine Saint Denis
HAUTE NORMANDIE
27­Eure
76­seine maritime
NORD‐PAS DE CALAIS
59­nord Lille
59V­nord Valenciennes
62­pas de calais
TOTAL FRANCE ENTIERE 259 112 507 13%
5%
2%
1%
3%
1%
2%
7%
3%
1%
3%
100% Données DARES 2005, somme annuelle des heures mensuelles travaillées On retrouve en revanche un contraste fort entre régions ou départements selon le régime d’activité : en Ile de France 8% des heures travaillées le sont dans les entreprises privées contre à peine 3% en France et 1% dans le Nord Pas de Calais. La distribution des heures entre systèmes prestataire et mandataire est elle aussi très contrastée : équitablement répartie en Ile de France, la part des heures en prestataire représente près de 80% des heures dans le département de l’Eure, et deux tiers dans la région Nord Pas de Calais. Avec toutefois des contrastes intra‐régionaux et même intra‐départementaux forts, ce qui témoigne de régulations territoriales fortes sur le profil des structures en place et des évolutions. Par exemple le bassin Nord‐Valenciennes est dominé par le prestataire alors que le bassin Nord‐Lille est dominé par le mandataire. Quant au Pas de Calais il se distingue encore de l’ensemble de la région du Nord‐Pas de Calais par une accentuation du mode prestataire et une quasi absence des entreprises privées. En Seine Saint Denis, il n’y a quasiment pas non plus d’emplois de salariés d’entreprises privées, alors que les salariés des entreprises privées de services à la personne représentent 39% de l’ensemble des emplois sur Paris (75). Figure 4 Distribution des heures travaillées selon le système d'emploi part des heures travaillées ILE DE FRANCE HAUTE NORMANDIE 27­eure 76­seine maritime NORD‐PAS DE CALAIS
59L­nord Lille 59V­nord Valenciennes Entreprises privées Associatif et CCAS commerciales Emploi Emploi Emploi Emploi relevant du relevant du relevant du relevant du système système système système mandataire prestataire mandataire prestataire 46%
47%
3%
5% 39%
61%
0%
0% 21%
78%
0%
0% 48%
52%
0%
0% 37% 62%
0%
1% 37% 61%
0%
1% 53% 47%
0%
0% 61 62­pas de calais 32% TOTAL France ENTIERE 35% 67%
62%
0%
1%
0% 2% Données DARES 2005, somme annuelle des heures mensuelles travaillées On repère bien à ce niveau de présentation des différences de distribution selon que l’on s’intéresse à l’emploi ou aux heures travaillées. En Seine Maritime par exemple, si 63% des emplois sont en mandataires, ils ne représentent plus que 48% des heures travaillées. Enfin, signe du poids des politiques territoriales dans la distribution des heures, la part de la prise en charge publique des heures travaillées, leur démarchandisation en quelque sorte. Sur ce point, les contrastes sont saisissants et l’on présente l’ensemble des données pour tous les départements (et régions) par ordre croissant de prise en charge des heures par le public, c'est‐
à‐dire par l’Etat (assurance vieillesse) ou par les collectivités territoriales (APA). Ce poids varie en 2005 de près de 0% (en Haute Loire) à 97% dans le Lot… Figure 5 Part des heures prestataires prises en charge par l'Etat ou les collectivités territoriales dans le total des heures prestataires associatives 43‐haute loire 54‐meurthe et moselle 35‐illle et vilaine 16‐charente 71‐saone et loire 5% 72‐sarthe FRANCE 13‐bouches du 45% METROPOLITAINE 59% rhone 68% 68‐haut rhin 78% TOTAL FRANCE 05‐hautes 45% ENTIERE 59% 50‐manche 68% alpes 78% 10% 21% 59L­nord Lille 58‐nievre 46% 63‐puy de dome 59% 74‐haute savoie 68% 03‐allier 46% HAUTE NORMANDIE 60% AUVERGNE 68% 83‐var 23% 46% 18‐cher 61% 26‐drome 50% 25‐doubs 0,0% LORRAINE 29‐finistere 23% 85‐vendee 92‐hauts seine 56‐morbihan 21‐cote d'or 26% 26% PICARDIE 51% ILE DE FRANCE 971‐guadeloupe 51% 22‐cotes d'armor 61% 19‐correze 49‐maine 62% loire 62% 61‐orne 34‐herault 28% 06‐alpes maritimes 52% 57‐moselle 62% 73‐savoie 28% 91‐essonne 62% BRETAGNE 28% 88‐vosges 52% 9.5. D.O.M. 66‐pyrenees 53% orientales 64% 80‐somme 29% 45‐loiret 54% 24‐dordogne 65% 36% 51‐marne 54% CORSE 65% 32‐gers 62­pas calais 31‐haute garonne 78% 79% 68% ALSACE 81% 37‐indre et 69% loire 81% de et 69% 67‐bas rhin 82% 69% 14‐calvados 82% 04‐alpes de haute 83% 79‐deux‐sevres 70% provence 59V­nord Valenciennes 70% 38‐isere 83% PROVENCE‐
COTE D'AZUR 70% 89‐yonne 83% FRANCHE 52‐haute COMTE 72% marne 83% 82‐tarn et garonne 72% 53‐mayenne 83% de 39% 78‐yvelines LANGUEDOC‐
39% ROUSSILLON 55% 90‐territoire belfort 66% 70‐haute saone 74% 84‐vaucluse 83% 56% PAYS DE LA LOIRE 66% LIMOUSIN 81‐tarn 40% 36‐indre 56% CENTRE 55‐meuse 76­seine maritime 41% 94‐val de marne 56% 77‐seine et marne 41% 60‐oise 56% 75­paris 74% 15‐cantal 83% 47‐lot et 66% 2A‐corse du sud 74% garonne 85% BASSE 66% NORMANDIE 74% 40‐landes 85% 66% 09‐ariege 75% 27­eure 85% 62 12‐aveyron 64‐pyrenees atlantiques BOURGOGNE 41% 69‐rhone CHAMPAGNE‐
56% ARDENNE 67% 23‐creuse 42% 42% 2B‐haute corse 10‐aube 56% 44‐loire atlantique 57% 93‐seine saint denis 67% 86‐vienne 67% 11‐aude 07‐ardeche 28‐eure et loir 42% 44% AQUITAINE 02‐aisne 57% RHONE‐ALPES 57% 01‐ain 33‐gironde 44% MIDI‐PYRENEES 57% POITOU‐
NORD­PAS DE CALAIS 44% CHARENTES 58% 76% 08‐ardennes 86% 76% 48‐lozere 86% 76% 30‐gard 87% 41‐loir et 67% 87‐haute vienne 76% cher 88% 67% 95‐val d'oise 77% 42‐loire 88% 17‐charente‐
maritime 77% 39‐jura 89% 65‐hautes pyrenees 93% 46‐lot 97% Données DARES 2005, somme annuelle des heures mensuelles travaillées Doit‐on être surpris que certains départements (supposés ?) fortement engagés dans le social comme le Pas de Calais apparaissent comme ayant la part d’heures prestataires prises en charge la plus faible : 39% contre 49% dans le Nord (qui a plus d’entreprises privées) ou contre 59% en moyenne nationale, ou que des départements dirigés par le PS aient des parts de prestataires très nettement inférieures à la moyenne (voir la Seine Maritime par exemple). Cet indicateur est donc intéressant car il relativise le discours pro‐social tenu par certains départements comme le Pas de Calais ; il légitime dans le même temps l’existence de ce discours dans des bassins où finalement peu d’heures sont prises en charge par les pouvoirs publics. Nous étudierons les heures travaillées selon le système d’organisation (prestataire, mandataire, privé) infra. 2. EVOLUTION 2005 ‐2006 Continuons notre évaluation en regardant comment et où les évolutions se sont produites, sous l’effet conjugué de l’action publique, favorisant en particulier la création d’entreprises privées dans ce secteur, et de l’évolution des besoins. 2.1.
EVOLUTION DE L’EMPLOI En 2006, les salariés des organismes agréés étaient 399 150 soit une hausse de 7,4 % par rapport à l’année précédente. 63 Figure 6 Nombre de salariés des organismes agréés en 2006 ILE DE FRANCE HAUTE NORMANDIE part de ces salariés Nombre de dans l'ensemble des salariés salariés des OASP 40 004
10% 13 202 3% 27‐eure 76‐seine maritime NORD‐PAS DE CALAIS 30 070 8% 59L‐nord Lille 14 190 4% 59V‐nord Valenciennes 3 300 1% 62‐pas de calais 13 069 3% 399 152 100% TOTAL FRANCE ENTIERE Données DARES 2006 Cela signifie que 27 500 emplois ont été globalement créés en un an dans le secteur des organismes agréés. Où ? Selon les données disponibles, il semble que ce soit à part égale entre le service prestataire des associations et les entreprises privées. Plus précisément, comme le montre le tableau suivant, les 27 500 emplois créés l’ont été pour 15 000 d’entre eux dans les organismes prestataires (soit une hausse de +7,5%) et pour 12 500 environ dans les entreprises privées. 64 Figure 7. Variations absolues de l'emploi entre 2005 et 2006, selon les modalités de recours aux services à la personne : organismes agréés ILE DE FRANCE 75­Paris 92­Hauts de Seine 93­Seine Saint Denis HAUTE NORMANDIE NORD‐PAS DE CALAIS
59L­nord Lille 59V­nord Valenciennes 62­Pas de calais TOTAL FRANCE ENTIERE Données DARES 2006 Associations et CCAS
Entreprises privées Emplois Emplois Emplois relevant Emplois relevant relevant du du relevant du du système système système système mandataire prestataire mandataire prestataire TOTAL ‐1892 ‐1862
3399
606 252 28 44
3275
537 3884 ‐1275 ‐1007
‐14
‐86 ‐2382 ‐128 59
29
101 61 ‐1960 165
29
129 ‐1637 ‐639 476
303
281 422 ‐1100 991
150
125 166 364 ‐475
0
15
‐96 98 ‐40
153
141 352 ‐247 +15257 +6917 +5525 27452 Notons néanmoins que dans les régions étudiées plus spécifiquement, l’emploi a globalement diminué : les créations d’emplois dans les entreprises privées compensent à peine la perte dans l’associatif en Ile de France (solde net de 252 emplois) ou dans le Nord Pas de Calais (solde net de 422 emplois). En Haute Normandie, près de 2000 emplois associatifs sous régime mandataire ont été détruits, et seuls 140 emplois créés par les entreprises privées. En Ile de France, les emplois créés ont été faibles : + 250 sur un an, avec une baisse drastique des emplois dans l’associatif (‐ 3 700 emplois) substitués quasi totalement par les emplois dans le privé (+ 3400 emplois). Mais ces variations d’emplois sont une fois encore contrastées selon les départements, et les inégalités territoriales qui peuvent s’envisager à l’aune de la redistribution des emplois en Ile de France sont, de ce point de vue, symptomatiques. En effet, sur Paris (75), l’emploi associatif est stable et Paris a connu une hausse de près de 4000 emplois en un an dans les organismes privés. En revanche, les Hauts de Seine (92) ont connu une réduction drastique de tous leurs effectifs, mais surtout dans les organismes associatifs. Dans le département de Seine Saint Denis, les variations sont faiblement significatives. En conclusion pour cette région : c’est Paris qui sort vainqueur de la création d’emplois, le département 92 étant le plus touché avec une perte de 2400 emplois dans les services à la personne en un an. 2.2.
VARIATION DES HEURES TRAVAILLEES ENTRE 2005 ET 2006 65 La croissance générale de l’emploi de 7,4% dans ces organismes agréés s’est traduite parallèlement par une croissance des heures travaillées de +7,8%. Cette croissance n’a cependant pas été uniforme ni territorialement, ni selon les modalités de recours à la main d’œuvre. Globalement dans l’économie sociale, c’est le système mandataire qui a perdu des heures : de l’ordre de ‐2% (il a aussi perdu, on l’a vu quelques salariés), alors que le système prestataire a lui connu un regain d’heures de 10% (pour ses 15 000 emplois créés). Dans les entreprises privées, le nombre d’heures travaillées a quasiment doublé, que ce soit en système prestataire ou en système mandataire. Figure 8 Variation des heures travaillées 2005­2006 dans les OASP ILE DE FRANCE HAUTE NORMANDIE NORD‐PAS DE CALAIS
59L‐nord Lille 59V‐nord Valenciennes
62‐pas de calais TOTAL France ENTIERE Association s et CCAS
Entreprises privées Emplois Emplois Emplois relevant Emplois relevant relevant du du relevant du du système système système système mandataire prestataire mandataire prestataire TOTAL ‐8,9%
‐6,7%
111,3%
51,4% ‐2,0%
‐3,6%
‐4,7%
573,2%
456,4% ‐3,1%
1,5%
13,8%
112,4%
212,9% 11,1%
‐0,1%
20,8%
148,4%
136,3% 15,1%
19,6%
30,7% 340,0% 25,4%
‐3,8%
4,2%
57,3%
539,1% 3,4%
‐2,5%
10,1%
95,7%
95,0% 7,8%
Données DARES 2006 Nombre d’heures travaillées par salariés : 2005 et 2006 Le nombre d’heures travaillées dans les organismes prestataires ou mandataires (associatif et public) est très nettement supérieur en 2006 au volume horaire travaillé dans les entreprises privées qui émergent depuis 2005 et la loi de cohésion sociale. En moyenne, un salarié du régime prestataire travaille 800 heures annuellement (soit l’équivalent d’un mi‐temps), contre seulement 600 à 700 heures en régime privé ou mandataire, ce qui représente environ entre un tiers‐temps et 40% d’un temps complet. Figure 9 Volume annuel moyen de travail en 2006 des salariés des OASP 2006 Associations et CCAS Emplois Emplois relevant du relevant Entreprises privées Emplois Emplois relevant du relevant TOTAL 66 système mandataire du système du système mandataire système prestataire prestataire TOTAL Ile de France 1182 940 244 683 856 Haute Normandie Seine Maritime 533 448 785 968 432 432 581 611 661 806 Eure 549 685 560 609 Nord Pas de Calais 503 781 221 808 650 Nord Lille 455 772 242 815 621 Nord Valenciennes 657 801 508 718 Pas de Calais 510 786 184 859 669 590 809 276 618 700 TOTAL France Source : Dares 2006 Autre particularité à garder en mémoire par la suite est que le mandataire en entreprise privée est singulièrement marqué par un nombre moyen d’heures par salarié très bas : environ 200‐
300 heures en moyenne par an. Or c’est cette catégorie d’OASP qui se développe le plus en termes d’heures comme en termes de salariés, même si les données de base de comparaison partent d’un niveau très bas. 67 3. VARIATIONS SUR LA DECENNIE : UN NOMBRE DE SALARIES MULTIPLIE PAR 4 EN 12 ANS Source : DARES 1994­2006 L’emploi salarié des OASP a donc été multiplié par plus de 4 en douze ans, ce qui signifie une hausse annuelle moyenne de +13%. Cette progression est forte, et montre que le secteur a connu des dynamiques de croissance qui précèdent largement la mise en place du dernier plan de 2005. Graphiquement on décèle plusieurs phases dans cette croissance. 68 Source : DARES 1994­2006 Phase 1. Une montée en puissance des OASP et de l’emploi (1994‐1997). ‐
Durant cette première phase, les effectifs sectoriels ont cru de 30,4% par an. C’est la phase de mise en place des agréments et de structuration visible du secteur. On peut imaginer qu’une partie de l’activité existait avant 1994 mais qu’elle n’était pas répertoriée. ‐
Phase 2. Une stabilisation et consolidation des OASP et de l’emploi (1997‐2003). C’est une phase de stabilité car la croissance ralentit très nettement : +6,4% par an. ‐
Phase 3. Une reprise d’activité (2003‐2006) sur la période : +9,9% par an en moyenne, cette période ayant été dynamisée par une croissance forte de l’emploi en 2004/2005 = +14%, contre 8,3 sur l’année précédente, et +7,4% sur la dernière année. La croissance de l’emploi de l’année 2006 n’est en rien spectaculaire dans les OASP, lorsqu’on l’étudie à l’aune de la dynamique antérieure. Elle se situe dans une phase de reprise d’activité qui est visible à partir des années 2003, mais cette année 2006 est dans un rythme de croissance de l’emploi proche de celui de la phase 2, c'est‐à‐dire la phase de stabilisation sectorielle décrite ci‐dessus. 69 Une hausse de l’emploi et des organismes agréés ? Un détour par le nombre d’organismes associatifs et d’entreprises privées sur le marché peut nous aider à éclairer plus encore les phases présentées ci‐dessus. A cette occasion, on repère des phases identiques qui corroborent l’idée que l’emploi a cru parce que de nouvelles entreprises se sont installées sur le secteur, ou ont manifesté leur intention d’être agréées, alors même qu’elles exerçaient déjà une activité. On a souligné en introduction de ce chapitre qu’il était impossible de démêler, à partir de ce type de données, l’effet d’artefact statistique de la « vraie » croissance de l’emploi. C’est une limite forte de l’exercice réalisé ici. Source : DARES 1994­2006 Cette synthèse graphique est le produit de deux éléments complémentaires dignes d’être signalés ici. ‐D’une part, un effet de substitution apparent existe entre différents organismes. Il semble que depuis 2002/2003, la croissance soit surtout le fait des entreprises privées. On repère ainsi que depuis 1999 environ, le nombre d’associations agréées stagne, tandis que le nombre d’entreprises privées croit largement. On y reviendra. 70 Source : DARES 1994­2006 En laissant de côté l’année 1994/1995, dont l’interprétation doit tenir à la période de mise en place des agréments, les effectifs moyens par organisme sont en baisse jusque 1997 et sont ensuite rigoureusement constants sur toute la période 1998‐2006, soit environ 42 emplois en moyenne par établissement. Cette constance de la taille des organismes signifie que l’on ne peut toujours pas écarter l’hypothèse que la croissance de l’emploi enregistrée par la source OASP a plus à voir avec la croissance des organismes demandant leur agrément1 (et la présence de nouvelles unités économiques sur le marché des services à la personne) qu’avec une croissance nette de l’activité et de l’emploi. 1 Voir partie suivante 71 Source : DARES 1994­2006 Dans les points suivants, nous étudions de plus près la croissance de l’emploi et les modalités de recours à cet emploi, en distinguant, comme nous permet de le faire cette source administrative, les emplois en système prestataire et en système mandataire. Une seconde distinction sera ensuite opérée entre les associations et organismes publics d’une part, et les entreprises commerciales privées d’autre part. L’emploi et le type d’entreprises Les salariés en système prestataire et mandataire Le système mandataire a connu une progression très forte jusqu’aux années 2000. Depuis, le niveau de l’emploi en système mandataire est relativement stable : de 140 000 emplois en 2000, la DARES en dénombre 151 000 en 2006. Globalement les effectifs en mandataire ont cru de +8% par an. Sources : DARES, champ : les OASP hors entreprises commerciales privées C’est le système prestataire qui a connu la plus forte hausse sur l’ensemble de la période : les effectifs ont été multipliés par plus de 6, ce qui représente une croissance annuelle moyenne d’environ 17%. En 2006, près de 220 000 salariés sont employés sous régime prestataire dans les associations ou CCAS. Les entreprises privées se sont progressivement installées sur le marché depuis le milieu des années quatre vingt dix. Les nomenclatures ne permettent pas d’isoler l’activité privée depuis longtemps bien que l’on puisse s’étonner de cette réactivité si forte de l’appareil d’observation 72 statistique (administratif) à avoir pu identifier dès 1997 la présence de cet acteur, alors même qu’en 1997, les entreprises privées des OASP ne représentaient que… 422 emplois en France. En 2006, ce sont 28 000 emplois d’entreprises privées recensées dans les OASP (loin des 100 000 annoncés par l’ANSP ou par la FESP2) via les remontées administratives (voir infra). Mais cette même année, on n’en recense que 700 dans le département du Nord… Sources : DARES, champ : les OASP hors entreprises commerciales privées Bien que la progression de cet emploi soit spectaculaire, il est (1) concentré dans les grandes zones urbaines, et (2) il ne représente en 2006 encore que 7% de l’emploi salarié des OASP mais déjà 29% de l’emploi salarié des OASP de l’Ile de France (contre 4% dans le Nord Pas de Calais). Dans cette statistique assez spectaculaire, on ne peut exclure un effet « siège » important. On entend par effet « siège » le fait que, dans ce type de données d’origine administrative, l’agrément peut être délivré pour le siège de l’entreprise sur un territoire, et l’activité, exercée sur un autre. Outre l’artefact statistique ainsi produit, cela interroge aussi le pouvoir réel des conseils généraux sur la délivrance des agréments. En guise d’illustration, notons que des statistiques fournies par la DDTEFP du Nord indiquent que fin 2006, 30 agréments (simple et qualité) sont attribués hors département du Nord à des structures dont l’activité est développée dans le département. Ceci est un indice du degré d’extra‐territorialité des OASP enregistrés dans ce département3 (voir partie 1 de ce chapitre). 2 Voir les Echos 12/1/07, p.2 “une nouvelle convention collective pour les services à la personne” qui commence ainsi : “c’est un nouveau signe tangible de la professionnalisation des services à la personne. Les quelques 100 000 salariés des entreprises de ce secteur (Acadomia, Adomo, Shiva…) sont sur le point d’obtenir leur propre convention collective ». 73 Cette première étape dans l’analyse diachronique nous donne deux indications importantes : ‐
la croissance du nombre d’organismes et celle de l’emploi dans le champ des OASP sont très corrélées puisque sur la dernière décennie la taille des organismes est très stable. ‐
La croissance de l’emploi sur les 12 années observées a été très forte, avec des taux de croissance de l’emploi de 12,8% en moyenne annuelle, ce qui situe cette croissance largement au –delà des rythmes lents de croissance de l’emploi en France (+1% par an sur cette période en moyenne). Ce secteur des services à la personne est donc bien créateur d’emplois, et ce depuis longtemps déjà. 3.1.
DANS LES REGIONS DES EVOLUTIONS COMPARABLES ? Ile de France En Ile de France la situation est plus fluctuante sur la période étudiée. En effet, les effectifs ont connu une baisse nette entre 1999 et 2003. En revanche, depuis 2003, la reprise à la hausse du salariat des OASP est due pour l’essentiel à la création des entreprises privées : ce sont, dans cette zone très urbaine, d’autres types de services qui se développent : services de cours scolaire, de ménage pour foyers aisés etc. Sources : DARES, champ : les OASP Le système prestataire était quasiment inexistant en Ile de France au début des années 90 puisqu’en 1994, on n’y comptabilisait pas plus d’un millier d’emplois. Il y en a 15 fois plus 12 ans plus tard. En revanche, le système mandataire déjà présent dans les années 90 a eu tendance à se tasser depuis 1996. Il sera intéressant de mettre ces résultats au regard de la politique du 74 Conseil Général de Paris et des départements avoisinants. Ajouter un graphique où chez les prestataires on distingue le privé de l’associatif sur 10 ans. Sources : DARES, champ : les OASP hors entreprises commerciales privées. Ces entreprises ne sont distinguées que depuis 1997, et la distinction entre privé commercial mandataire et privé commercial prestataire n’existe que depuis 2005. En 2005 en Ile de France, 60% des emplois des entreprises privées commerciales le sont dans le cadre du mandataire. 40% dans le cadre du prestataire. En 2006, le rapport est respectivement de 70%/30%. L’un des aspects frappants du marché de l’Ile de France est la concentration des entreprises privées commerciales. En 1997, 82% d’entre elles étaient concentrées en Ile de France. En 2005 la concentration n’était plus que de 45% et en 2006 de 40%. Mais la part de l’emploi de services à la personne émanant des entreprises privées commerciales est aujourd’hui de l’ordre de 25% de l’emploi des OASP dans la région. Proportion tout à fait atypique et élevée. Si l’on se concentre sur les disparités infra‐régionales, c’est probablement en Ile de France que les disparités sont les plus considérables. Dans le département de Paris (75), un employé sur deux dans les services à la personne est salarié des entreprises privées en 2006. Cette part s’élève à peine à 9% dans le département de Seine Saint Denis (93). Nord Pas de Calais Dans le Nord Pas de Calais, en 2006, les trois quarts des 266 organismes agréés étaient déjà agréés sous l’ancien dispositif des emplois familiaux. Cela signifie qu’un quart de la croissance 75 globale entre 2005 et 2006 provient de l’émergence de structures nouvellement agréées (Sydo, 2007). Les données estimatives pour 2007 identifient un nombre de structures agréées à 390 (source, ANSP, DRTEFP, 2007), soit une croissance de 50% en un an. La grande majorité des nouveaux agréments relèvent de l’agrément simple. En 2007, dans les services à la personne dans la région nordiste, la moitié des agréments relèvent de l’agrément simple et l’autre moitié de l’agrément qualité. La progression de l’emploi a été régulière sur l’ensemble de la période : +16% par an en moyenne soit près de 25 000 emplois de plus dans la région en 12 ans dans ce secteur. Mais alors que la croissance a été très forte entre 2002 et 2005, 2006 semble marquer le pas, l’emploi étant à peu près stable sur cette dernière année disponible. Sources : DARES, champ : les OASP hors entreprises commerciales privées Contrairement à la région Ile de France, le Nord Pas de Calais a connu une croissance plus régulière de l’emploi relevant du système mandataire et du système prestataire. Ce n’est véritablement que depuis 2004 que les effectifs mandataires décroissent tandis que l’emploi en régime prestataire continue sa progression. On dénombre dans la région Nord Pas de Calais en 2006 13 000 salariés en système mandataire et 16 000 en régime prestataire. 76 Sources : DARES, champ : les OASP On sait aussi qu’au sein d’une même région des disparités infrarégionales peuvent être fortes, d’autant que le niveau de régulation le plus décisif semble être le département. Que se passe‐t‐il sur longue période entre le Nord et le Pas de Calais entre le système prestataire et mandataire (hors entreprises privées)? Sources : DARES, champ : les OASP 77 Sources : DARES, champ : les OASP 3.2.
L’EVOLUTION DES HEURES TRAVAILLEES Sur la dernière décennie, ce qu’il importe de souligner est que, bien que la croissance des heures de travail ait été notable (environ 14% par an), elle est légèrement supérieure à celle de l’emploi. Autrement dit la durée moyenne travaillée par salarié a légèrement augmenté sur la période, passant d’une moyenne annuelle de 575 heures (environ un tiers temps) à 700 en 2006 (environ 40% d’un temps complet). Ce sont ces deux tendances qu’illustrent les deux graphiques suivants. Sources : DARES, champ : les OASP 78 Horaire annuel moyen par salarié et évolution sur la dernière décennie Le volume moyen travaillé oscille autour de 600 heures par salarié, soit un tiers de temps complet. Ce niveau faible du volume d’heures annuel par salarié est relativement stable sur la période. Autrement dit aussi, si l’on raisonne en équivalent temps plein4, on compte environ 171 000 emplois salariés dans le secteur des organismes agréés de services à la personne en 2006. Ile de France et Nord Pas de Calais Dans les deux cas, on observe une forte croissance du volume d’heures travaillées. La présentation logarithmique des tendances permet de repérer que la croissance a été nettement plus forte dans la région Nord Pas de Calais surtout depuis 2001, alors que depuis 1999, la croissance est quasi‐nulle –ou plus réduite en tout cas‐ dans la région Ile de France : peut on faire le corollaire avec la croissance fulgurante des entreprises privées sur cette même période ? 4 On a utilisé un volume horaire annuel moyen pour les salariés de 1600 heures, ce qui correspond à un temps complet pour les salariés à 35 heures. Or, dans ce secteur, les choses sont plus compliquées que cela. En effet, selon la convention collective de l’aide à domicile, les salariés à temps complet sont effectivement à 35 heures. Mais selon celle du particulier‐employeur, le temps complet est à 40 heures hebdomadaires. Si l’on avait retenu cette convention, les évaluations d’équivalents temps plein seraient encore plus faibles. 79 Données DARES. Echelle semi­logarithmique Nous avons les moyens de vérifier notre hypothèse, à partir des volumes horaires travaillés moyens par salarié dans les entreprises privées. Les choses sont en effet un peu plus compliquées. La stagnation du volume horaire par salarié en Ile de France résulte d’un double mouvement, qui se retrouve pour la France dans son ensemble. ‐Une forte croissance en Ile de France de ces emplois sur la même décennie 1994‐2006 qui cependant, même en 2006 demeurent sur des volumes horaires très nettement inférieurs au volume travaillé en moyenne par un salarié. C’est ce qu’on peut appeler un effet de structure. Ainsi en France en 2006, un salarié de services à la personne d’une entreprise privée travaille 35% d’heures de moins (300 heures environ) qu’un salarié d’un organisme agréé moyen (670 heures). ‐Une hausse non négligeable des heures travaillées par les salariés des entreprises privées : de 280 heures annuelles en 1994, les volumes horaires moyens sont passés à 440 heures annuelles en 2006 (et respectivement de 220 à 380 pour l’Ile de France), ce qui demeure un niveau très faible par salarié. Une des clés d’interprétation réside peut‐être dans le fait que les salariés des entreprises privées seraient plus souvent que les autres également intervenants dans le système de gré à gré, complétant ainsi leur volume de travail par ces heures non comptabilisées ici, ou en tout cas plus souvent en situation de multi employeurs que ce type de statistique d’origine administrative peine à déceler. 80 3.3.
LA PRISE EN CHARGE DES HEURES TRAVAILLEES PAR L’ETAT ET LES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET SON EVOLUTION Dans les statistiques à disposition, seules les heures « prestataires » prises en charge sont comptabilisées. Le graphique montre très nettement l’impact de la PSD de 1997 sur l’évolution de la prise en charge en Ile de France et, avec un effet un peu moindre, sur la part dans le Nord Pas de Calais. Au niveau de la France, depuis 1996 cette hausse de la prise en charge est continue et est passée de 23% des heures à 36% des heures. Dans le Nord Pas de Calais comme en Ile de France, cette part atteint respectivement 24 et 25% en 2006. En revanche et contrairement au discours des acteurs, les statistiques montrent peu de variation depuis 2002 au niveau de la croissance de l’emploi au niveau des départements même si une inflexion de la courbe est visible au niveau agrégé français. 81 II. LES STATISTIQUES DES EMPLOIS DE GRE A GRE : LA SOURCE IRCEM La source IRCEM est intéressante car cet organisme collecte les cotisations retraite de tous les emplois familiaux. Tous les particuliers employeurs sont adhérents de fait (et de droit). Il n’y a donc a priori pas de « fuite » dans l’emploi salarié tout au moins. L’inconvénient majeur de cette source est qu’elle ne collecte que des données très rudimentaires, ce que le CESU renforce en quelque sorte. L’identification du profil des salariés, de la qualité de leur emploi est simplement impossible. Encadré2. L’IRCEM Retraite gère la retraite complémentaire des salariés employés au service des particuliers et des familles. Elle est sous la tutelle de la fédération AGIRC‐ARRCO, organisme garant de l’équilibre des régimes de retraite complémentaire. C’est aussi la première Institution de Retraite Complémentaire ARRCO en nombre de comptes gérés (employés, salariés, retraités), soit 4,7 millions de comptes actifs en 2002. L’inscription des particuliers employeurs à l’IRCEM se fait par l’intermédiaire des Centres de gestion de L’ACOSS dès la déclaration d’embauche au CNCESU ou au Centre Paje‐mploi pour l’emploi des gardes d’enfants à domicile et des assistantes maternelles. Pour simplifier la gestion administrative des particuliers employeurs, L’IRCEM a délégué, depuis le 1er janvier 2005, aux Centres de gestion de l’ACOSS le recouvrement complet des cotisations de retraite complémentaire Agirc‐Arrco et des accords de prévoyance collective obligatoire. Source : site Ircem Contrairement à l’Acoss qui n’établit ses statistiques qu’à partir de données employeurs, l’IRCEM reconstruit des statistiques de salariés en évitant les doublons liés aux situations de multi‐
employeurs des salariés. Cet ajustement est important car l’enquête emploi nous rappelle qu’en 2006 (dernière enquête disponible) 47 % des salariés des « services à la personne » étaient dans des situations de multi‐employeurs. Soit près d’un salarié sur deux. C’est évidemment une proportion énorme qui modifie tout à la fois nos rapports aux statistiques (administratives ou d’enquête), et perturbe notre arithmétique assez bien huilée quand il s’agissait des emplois à temps plein de l’industrie… Pour reconstruire une base de données à partir des sources Ircem, nous avons procédé en deux temps. 1) pour les données de 2004 à 2006 : la base est relativement large, et permet d’établir quelques tendances à la fois pour les régions et pour la France 2) en amont de 2004, les données ne sont disponibles que sur Internet, dans une version peu manipulable. Nous avons cependant rassemblé quelques données sur les niveaux d’emploi et leur évolution sur plus longue période. 82 1. EMPLOI DIRECT : EVOLUTION DES NIVEAUX D’EMPLOI ET DES VOLUMES HORAIRES SUR LES DEUX DERNIERES ANNEES 1.1.
L’EMPLOI Figure 10 Evolution des niveaux d'emploi direct 2004 2005 2006 2004‐2005 2005‐2006 2004‐2006 2004‐2005 2005‐2006 2004‐2006 emploi total 1 126 170 1 168 534 1 270 988 3,8% 8,8% 12,9% 42 364 102 454 144 818 heures travaillées 505 440 886
514 926 916
543 603 994
1,9% 5,6% 7,6% 9 486 030 28 677 078 38 163 108 Volume horaire moyen 449
441
428
224
280
264
Source : Ircem, traitement par nous Hors assistants maternelles Les points saillants Les niveaux d’emploi sont de l’ordre de 1,27 millions d’emploi (à comparer, pour 2006, à 392 200 salariés en OASP5). L’emploi a fortement progressé entre 2005 et 2006, nettement plus qu’entre 2004 et 2005 : respectivement +8,8% contre +3,8%. L’évolution des heures travaillées n’a cependant pas suivi ce rythme aussi élevé : les heures de travail ont progressé de +1,9% entre 2004 et 2005, et de + 5,6% entre 2005 et 2006. Tout ceci concourt à ce que le volume moyen travaillé par salarié se soit réduit, respectivement de ‐1,8% puis de ‐2,9%... Comme le volume moyen travaillé n’est pas élevé, s’élevant à 430 heures annuelles par salarié environ en 2006 (soit environ 9 heures par semaine), cette réduction peut avoir un impact sensible sur les rémunérations annuelles des salariés. On y reviendra. 5 Ici, les salariés relevant du système « mandataire » se retrouvent dans les deux catégories. Voir infra. 83 1.2.
L’EVOLUTION DES VOLUMES HORAIRES MOYENS PAR SALARIE (hors assistants maternelles) 2. UNE DECOMPOSITION SELON LES ACTIVITES Dans les statistiques précédentes, comme dans les suivantes, le périmètre du secteur est un peu flou, mais ce qui est retenu comme dénominateur commun dans cette source Ircem est le fait que l’employeur soit un particulier‐employeur. Ce n’est donc pas un périmètre sectoriel à proprement parler, mais une certaine homogénéité existe. En effet, les quatre activités identifiées par la source Ircem sont les suivantes : ‐emplois de maison (hors garde d’enfants au domicile du particulier) ‐ garde d’enfant au domicile du particulier ‐ assistant maternel ‐ autres emplois familiaux Considérant que les assistantes maternelles ne relèvent pas des emplois « à domicile », puisqu’elles exercent leur activité dans leur domicile, et pas dans celui de l’usager, elles sont exclues des statistiques que nous avons extraites de la base de données Ircem. Tout comme elles le sont d’ailleurs du Plan des Services à la Personne. En 2006 (dernière année pour laquelle les statistiques sont complètes), la répartition montre très nettement que les « emplois de maison » représentent encore 90% des emplois, et 87% des heures travaillées. 84 Répartition des emplois selon l’activité dans l’emploi de gré à gré en 2006 emploi de maison
garde d'enfants à domicil
autres emplois familiaux
La répartition des heures est un peu différente. Ainsi la garde d’enfants représente 8% des emplois et 12% des heures. Mais le plus gros des heures et des emplois se situe sans conteste dans « emploi de maison », dans lequel on imagine que se sont surtout des tâches de ménages qui sont réalisées, sans que l’on puisse véritablement le vérifier tant le flou est grand sur l’intitulé des postes, et sur l’activité effectivement réalisée au sein des domiciles. 85 Figure 11 Répartition des emplois directs (hors ass mat) 2006 Catégories d’emplois Volume Volume concernés d’heures travaillé par an Part dans l’emploi Nombre direct travaillées et par salarié d’emplois (intitulés Ircem) emploi de maison (hors G 475 532 enfants) 1 152 001 099 413 91% garde enfants à dom 100 094 63 760 284
637 8% autres emplois familiaux 18 893 4 311 611 228 1% 543 603 TOTAL 1 270 988 994 428 Source Ircem 3. EMPLOI DIRECT : EVOLUTION DES NIVEAUX D’EMPLOI ET DES VOLUMES HORAIRES SUR DEUX DECENNIES L’étude de l’emploi direct montre que sa progression a été particulièrement élevée depuis une quinzaine d’années. On enregistre une hausse moyenne annuelle de +6,9% depuis 1990 (données Ircem ; voir tableau ci‐dessous). Cependant, cette hausse générale est le fruit de dynamiques irrégulières : forte progression entre 1990 et 1997 ; ralentissement très net entre 1997 et 2004, et explosion de l’emploi direct depuis lors. Source : site Internet Ircem, collecte des données personnelles. Données Ircem pour 2005 et 2006. 86 En 15 ans, ce sont 713 000 emplois directs qui ont été créés en France, multipliant par 2,9 ce type d’emplois. Cette croissance de l’emploi direct sur la dernière décennie est étonnamment tout à fait cyclique vis‐à‐vis de la dynamique générale du marché du travail comme le suggère le graphique suivant. Sur cette présentation en effet, on a superposé la courbe de l’évolution de la population active occupée (PAO) et celle de l’emploi direct sur les quinze dernières années. On repère que sur la période de forte croissance de la PAO (1997‐2001), l’emploi direct a connu sa plus faible progression. En revanche, les deux périodes qui encadrent cette croissance forte de l’emploi ont connu des progressions inverses. Graphique : évolution comparée de l’emploi direct et de la population active occupée en France Source : Ircem pour l’emploi direct, Insee pour la population active occupée. Différentes années. Présentation personnelle 87 4. EN REGIONS 4.1.
EVOLUTION DE L’EMPLOI Figure 12 Evolution de l'emploi direct en région 2004 2005 2006 2004‐2005 2005‐2006 2004‐2006
Nord 44172 44972 47 583 1,8% 5,8% 7,7% Pas de Calais 25 711 26 671 28 039 3,7% 5,1% 9,1% Paris 56 844 58 104 62 688 2,2% 7,9% 10,3% Seine Saint Denis 25 341 25909 27612 2,2% 6,6% 9,0% Seine Martime 26 385 27 316 28 775 3,5% 5,3% 9,1% Eure 10275 10896 11733 6,0% 7,7% 14,2% Source : Ircem, traitement personne. Du traitement de ces données, nous retiendrons deux enseignements : d’une part, un très grand dynamisme de l’emploi direct dans tous les départements, en particulier quand on compare les croissances des années 2004/2005 et 2005/2006. D’autre part, une croissance particulièrement élevée à Paris : + 10% de l’emploi direct en une seule année. 88 4.2.
EVOLUTION DES HEURES TRAVAILLEES ET DES VOLUMES HORAIRE PAR SALARIE Figure 13 Evolution des heures travaillées et des volumes horaires par salarié en emploi direct 2004 2005 2006 2004‐2005 2005‐2006 2004‐2006
Nord 448 387 368 ‐14%
‐5% ‐18%
Pas de Calais 391 475 442 21%
‐7% 13%
Paris Seine Saint Denis 923 915 867 ‐1%
‐5% ‐6%
187 196 194 5%
‐1% 4%
Seine Martime 460 444 427 ‐3%
‐4% ‐7%
Eure 336 321 Source : Ircem, traitements personnels 309 ‐4%
‐4% ‐8%
Quelques points saillants L’emploi en région a progressé de façon très contrastée selon les départements étudiés : hausse dans le Nord et dans l’Eure et en Seine Maritime, et baisse partout ailleurs. Il n’est pas inintéressant d’observer les variations concomitantes des volumes d’heures travaillées : partout où l’emploi direct a progressé, le volume travaillé par personne a diminué : de près de 20% en 2 ans dans le Nord, de 8% dans l’Eure, de 8% en Seine Maritime. Le volume travaillé moyen de 430 heures annuelles est le produit de disparités départementales extrêmement fortes. Dans la région parisienne en particulier, certains départements tel la Seine Saint Denis avec un volume horaire annuel moyen de moins de 200 heures par salarié (soit environ 4 heures par semaine) côtoie la ville de Paris dans laquelle les volumes horaires des emplois directs sont très élevés au regard de la norme d’emploi : environ 870 heures annuelles en 2006 par emploi (soit environ 20 heures par semaine). Autrement dit à Paris, les volumes horaires travaillés dans l’emploi direct sont relativement comparables aux volumes offerts dans les OASP. Dans les autres départements, ce n’est jamais le cas et l’emploi direct est, ailleurs qu’à Paris, synonyme de durées de travail extrêmement faibles (voir tableau 13). 89 5. LES NIVEAUX DE REMUNERATION DANS L’EMPLOI DIRECT Au niveau national Les données sur les rémunérations sont très éparses. Celles que l’on obtient ici sont issues des données de l’Ircem et sont le produit d’une simple arithmétique qui consiste à diviser la masse salariale totale par le nombre d’heures travaillées. Figure 14 Les rémunérations horaires et leur évolution 2004 8,5 € 2005 9,2€ 2006 9,9€ Ircem, calculs personnels Les salaires horaires ont progressé de 70 cts de l’heure entre 2004 et 2005, mais aussi entre 2005 et 2006. Ainsi, le salaire horaire net est de l’ordre de 8,5 euros en 2004, et a progressé successivement de 8,2% puis de 7,6% sur la dernière année. Il atteint en 2006, 9,9 € de l’heure. Cela signifie qu’en moyenne les salaires mensuels des emplois directs étudiés sont de l’ordre de 400 euros en 2006. Ces résultats sont assez proches de ceux publiés par l’Insee. Dans une étude consacrée aux salariés des particuliers‐employeurs en 2006, Marbot énonce ainsi « les salaires horaires sont relativement homogènes : 80% des salariés gagnent entre 6,2 et 9,4 euros nets de l’heure » (Marbot et al. 2008). On peut donc considérer que pour régler la question des bas salaires en France, parmi lesquelles on retrouve de nombreux salariés des services à la personne, l’élévation du salaire ne suffit certainement pas. Dans ce secteur, ce qui fait défaut d’abord et avant tout est la décence de l’horaire de travail. Dans les départements étudiés Figure 15 Evolution du salaire horaire net dans les départements pour l 'emploi direct Nord Pas de Calais Paris Seine Saint Denis Seine Martime Eure 2004 8,5 8,6 8,6 2005 8,8 9,1 9,1 2006 10,3 9,7 9,9 8,57 8,6 8,9 9,03 9,2 9,7 9,8 9,9 10,5 90 La progression est nette dans tous les départements comme en France. Et de façon tout à fait étonnante, ce n’est pas en région parisienne que les salaires sont les plus élevés, mais dans l’Eure et dans le département du Nord. Plus généralement, selon les départements, les salaires horaires varient environ (en 2006) de 9,2 euros à 11,30 euros, soit 23% de différence. Nos entretiens montrent que, sur cet aspect, les conseils régionaux peuvent jouer un rôle fondamental, en tout cas dans l’aide à domicile auprès des personnes âgées, puisque c’est eux qui attribuent les tarifs de remboursement APA selon les catégories de salariés. III . UNE SYNTHESE DES DEUX SOURCES : EVOLUTION DE L’EMPLOI DANS LE SECTEUR DES SERVICES A LA PERSONNE Pour effectuer la synthèse des deux sources, il est utile de dédoublonner les statistiques présentes dans les deux sources. Il s’agit des salariés mandataires enregistrés par les organismes agréés, et qui sont aussi enregistrés administrativement par les sources du particulier‐
employeur puisqu’ils relèvent de cette convention collective. Nous n’avons pas procédé de la sorte dans les premières parties de ce chapitre car tous les entretiens que nous avons pu mener montrent que l’emploi direct relevant de la FEPEM et l’emploi direct relevant des OASP renvoient tous deux à des réalités d’emplois (nature, temps de travail, conditions d’emploi et de travail, collectifs etc.) très différents. Ici, ce « dédoublonnement » est en partie réalisé. Il permet normalement d’éviter les doubles comptes liés à des salariés qui effectueraient à la fois du mandataire en OASP, et de l’emploi direct. Mais il n’est pas tout à fait certain que tous les doubles comptes aient ainsi été supprimés. En effet, comment sont traités, dans les statistiques administratives, les salariés qui tout à la fois seraient en situation de prestataire et d’emploi direct ? Sans compter l’invisibilité du travail au noir, sur lequel nous ne pouvons nous prononcer. 3.1. EVOLUTION GLOBALE DE L’EMPLOI DANS LES SP : FRANCE Quelques rappels : ‐
Les emplois directs représentent 1,270 mille personnes en 2006, soit 339 750 équivalent temps plein (sur la base de 1600 heures annuelles). ‐
Soit une progression de 12,9% de l’emploi en deux ans, ce qui est tout à fait notable, mais une progression moins nette (+7,6%) du volume travaillé : les salariés en emploi direct travaillent de moins en moins. En 2006, environ 430 heures annuelles. 91 Figure 16 Récapitulatif. L'emploi direct et les heures travaillées dans les SP : 2004­2006 2004 2005 2006 2004‐2005 2005‐2006 2004‐2006 2004‐2005 2005‐2006 2004‐2006 emploi total 1 126 170 1 168 534 1 270 988 3,8% 8,8% 12,9% 42 364 102 454 144 818 heures travaillées 505 440 886
514 926 916
543 603 994
1,9% 5,6% 7,6% 9 486 030 28 677 078 38 163 108 Volume horaire moyen 449
441
428
224
280
264
Source : Ircem Dans les OASP, les emplois sont répartis de la manière suivante : ‐
392 000 emplois en 2006, soit 171 300 ETP ‐
Un volume horaire annuel moyen stable autour de 700 heures annuelles. 700 heures annuelles représentent un peu moins qu’un mi temps, mais cela représente 63% d’heures travaillées de plus que les emplois directs. Dans ce double contexte, le tableau suivant présente les volumes d’emplois totaux, c'est‐à‐dire additionnant aux emplois OASP les emplois directs desquels sont soustraits les emplois mandataires. Figure 17 Récapitulatif. L'emploi et les heures travaillées dans les OASP : 2005­2006 (total Ircem et OASP dédoublonnés) 2005 2006 Volumes d’emplois 1 220 572 1 337 138 écarts absolus + 116 000 Source : Ircem, DARES. Volumes d’heures de travail 587 263 331 636 637 128 heures moyennes travaillées 488 481 + 49373797 423 92 Au total, l’emploi dans les services à la personne –comprenant les emplois directs et les emplois issus des organismes agréés, en 2006‐ regroupe 1, 337 millions de salariés, pour 636 millions d’heures, soit environ 397 000 équivalent temps plein. Entre 2005 et 2006, date de la mise en place du plan Borloo, la création d’emplois a été de l’ordre de 116 000 emplois, mais la création nette d’emplois qui en résulte ne s’élève qu’à 30 000 emplois6. La seule information relative à la qualité des emplois créés est la durée de travail annuel de ces emplois. Ce qu’indiquent les statistiques, est que les emplois créés ont été d’un horaire moyen de 420 heures (voir tableau 17), ce qui représente environ un quart‐temps par rapport à la norme. Dernier élément de cette évaluation : la création des entreprises privées commerciales. On a noté supra que les emplois des entreprises privées commerciales des SP représentaient en 2006 près de 15 000 emplois en régime mandataire, et 13 800 en régime mandataire. Rapportés aux emplois totaux, l’emploi du privé commercial ne représente en 2006, que 1,9% des emplois des services à la personne. En revanche, entre 2005 et 2006, le nombre d’emplois créés par ces structures dynamisées par le Plan Borloo a été de l’ordre de 16 000 emplois, soit 19,6% des emplois créés et à peu près également 1/5ème des heures travaillées créées. 3.2. EVOLUTION DE L’EMPLOI DANS LES SERVICES A LA PERSONNE : NORD PAS DE CALAIS Dans le Nord Pas de Calais, l’emploi des SP est décomposé en deux catégories : les emplois directs (70% des emplois des SP), et les emplois des OASP. Dans les deux catégories, on note une baisse légère de l’emploi : de ‐2% entre 2005 et 2006. Par ailleurs, le volume travaillé a, lui, baissé de façon plus contrastée dans les deux catégories d’emploi : +7% dans les OASP, mais ‐10,4% dans les emplois directs, ce qui signifie aussi que dans cette dernière catégorie d’emplois, le volume horaire travaillé par salarié se situe en 2006 à 384 heures annuelles (contre 650 dans les OASP en 2006). Comme ce premier état des lieux cumule des situations de doublons (voir encadré 1), les tableaux suivants présentent uniquement les données des effectifs prestataires d’une part, et des emplois directs d’autre part. Dans cette situation, les effectifs des emplois gérés en mode prestataire et issus des OASP ont progressé de moins de 1%. Les emplois directs ont, pour leur part, diminué de plus de 2%. 6 Peut‐être faudrait‐il ajouter des emplois qui échappent à ces deux sources, en particulier des services à la personne qui ne bénéficieraient pas de l’agrément, et donc d’aucun dispositif d’aide. Mais il devient difficile de poser une quelconque hypothèse sur ces emplois créés, et nous préférons nous en tenir à cette estimation. 93 Figure 18 Emploi des SP dans le Nord Pas de Calais : synthèse 2005 2006 OASP (prestataires) 15726 16484
Emplois directs variation 05/06 4,8% 57720 62036
7,5% Total 73446 78520
Dédoublonnées mandataires 6,9% Au total, l’emploi régional a donc augmenté d’environ 7% soit 5000 emplois de plus sur la période. Ce sont les emplois directs qui progressent le plus. Figure 19 Heures travaillées des SP dans le Nord Pas de Calais : synthèse OASP (prestataires) 2005 2006 Variations annuelles 11 093 040 12 883 662
16,1% Emplois directs 23 560 833 23 249 962
‐1,3% Total 34 653 873 Dédoublonnées mandataires 39 330 542
13,5% Côté heures travaillées, les évolutions régionales sont plus favorables. En effet, alors que ces heures ont nettement progressé sur la période chez les prestataires (+16% en un an), elles ont régressé chez les mandataires et emplois directs (‐1,3%). Au total, les heures travaillées ont donc, dans la région Nord Pas de Calais progressé de 13% sur un an. En équivalents temps plein, le total des emplois est relativement faible dans ce secteur dans le Nord Pas de Calais. 79 000 personnes sont concernées ce qui représente environ 24 500 emplois ETP en 2006 puisque le volume d’heures travaillées est relativement faible : de l’ordre de 780 heures pour les prestataires –avec une progression sur la période de 80 heures annuelles, mais l’horaire annuel est moitié moindre chez les salariés employés en gré à gré et les mandataires (voir tableau suivant). 94 Figure 20 Heures annuelles moyenne par salarié des SP dans le Nord Pas de Calais : synthèse OASP (prestataires) Emplois directs Données dé doublonnées, Ircem et Dares 2005
705 408
2006
782 375
variation annuelle 10,8% ‐8,2%
CONCLUSION Compte tenu de ces incertitudes multiples relatives à la mesure, les annonces gouvernementales rendant régulièrement compte des progressions de la création d’emploi dans le secteur des services à la personne sont pour le moins intrigantes. En affirmant vouloir clarifier et élargir les activités des « services à la personne », le plan a semé le trouble dans les estimations des niveaux sectoriels d’emploi, et, en conséquence, dans les créations nettes d’emplois. Il l’a fait d’abord parce que l’élargissement des activités de services à la personne gardes d’enfants, aide à domicile, activités de ménage, à des prestations diverses au domicile, voire en dehors du domicile « à condition qu’elles fassent partie d’un bouquet de services » (Marbot et al. 2008) a contribué à obscurcir l’état de l’emploi d’un secteur déjà difficilement saisissable : nomenclatures inadaptées, relations d’emploi multiples, enquêtes auprès des salariées peu adaptées également aux réalités socio‐économiques de la multitude des métiers en question. Il l’a fait aussi parce qu’en regroupant sous une neutralité englobante, tous les usagers de ces « services à la personne » sous l’intitulé « personne », malgré la diversité des situations (des publics fragiles dépendants aux ménages biactifs à hauts revenus), il a gommé les spécificités des métiers qui se sont progressivement construits (voir chapitre 4) autour de logiques distinctes : action sociale pour les unes, confort pour les autres. En anticipant de généreuses créations d’emploi (de un à trois millions d’emplois selon les sources), dans ce secteur des services à la personne aux contours et logiques flous, les différents ministères ont‐ils pris la mesure de la difficulté de l’exercice ? Nous ne sommes pas armés pour répondre avec précision à cette question. Mais notre estimation des créations d’emploi entre 2005 et 2006 oscillant autour de 116 000 emplois, soit à peine 30 000 équivalents temps plein pose question. Les phases de création d’emplois dans les OASP depuis 15 ans, et dans l’emploi direct sur la même temporalité également, indiquent bien que la période actuelle de croissance est liée à des trajectoires plus anciennes, ce qui interroge la capacité de créations de vrais emplois, promise par le Plan Borloo. 95 Elles posent aussi question parce que les emplois qui sont créés l’ont été sur la base de temps de travail extrêmement faible : 480 heures annuelles en moyenne en 2006. 480 heures, cela signifie une durée du travail hebdomadaire (bien que fictive, car on ne connait pas la répartition de ces heures sur l’année) de l’ordre de 10 heures par semaine, avec de fortes différences selon que le salarié soit employé en gré à gré ou dans le secteur associatif ou public (CCAS) en régime prestataire. Peut‐on encore parler d’emplois dans ces conditions ? Quelles perspectives d’avenir offrir aux salariés d’un tel secteur ? Telles sont les questions qui nourriront les deux chapitres suivants. Le chapitre 3 en effet, porte explicitement sur la qualité de l’emploi dans deux des métiers que peut cerner l’enquête emploi : l’aide à domicile et l’employé de maison. Le chapitre 4 part en quête d’une possible professionnalisation des métiers du secteur, et étudie les conditions nécessaires à la construction de réelles perspectives professionnelles. BIBLIOGRAPHIE Dutheil, N. 2000. Les services d'aide à domicile en 1998 et 1999. Etudes et résultats DREES 91 (novembre). Marbot, C., V. Dejonghe, and V. Bruniaux. 2008. Les salariés des particuliers‐employeurs en 2006. Insee Première 1173 (janvier). Rivard, T. 2006. Les services d’aide à domicile dans le contexte de l’Allocation personnalisée d’autonomie. Etudes et résultats DREES 460 (janvier). 96 CHAPITRE 3. LA QUALITE DES EMPLOIS DANS LES SERVICES A LA PERSONNE François­Xavier Devetter1 francois­xavier.devetter@telecom­lille1.eu SOMMAIRE 1. Qu’est‐ce que la qualité des emplois ? ............................................................................................................ 98 1.1 Des indicateurs de qualité divers .................................................................................................... 99 1.2. Quatre axes principaux .................................................................................................................. 102 2. La situation des services à la personne parmi les emplois peu qualifiés ................................. 107 2.1 Rémunérations et perspectives d’évolution ................................................................................. 107 2.2. Stabilité et sécurité de l’emploi ..................................................................................................... 110 2.3. Les conditions de travail ............................................................................................................... 111 2.4. Reconnaissance juridique et symbolique .................................................................................... 113 3. Les différents types d’employeurs offrent­ils des emplois de qualités différentes ? ........... 119 3.1 Rémunérations ................................................................................................................................ 120 3.2. Sécurité de l’emploi ...................................................................................................................... 123 3.3. Conditions de travail ...................................................................................................................... 124 3.4. Reconnaissance ............................................................................................................................. 126 Conclusion ............................................................................................................................................................ 129 Bibliographie....................................................................................................................................................... 131 Annexes ................................................................................................................................................. 133 1
Economiste, Maitre de Conférences à Telecom Lille, et chercheur au CLERSE‐UMR8019 (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques). 97 En dépit des nombreuses mesures en faveur de leur développement, les services à la personne véhiculent une image très dégradée en matière de qualité des emplois2. L’ensemble des acteurs, qu’ils soient salariés, employeurs, régulateurs ou experts, semble partager le constat d’une mauvaise qualité de l’emploi et un large consensus se dégage sur la nécessité de « professionnaliser » les métiers du secteur… sans qu’il n’y ait pour autant accord sur la signification de ce terme (voir le chapitre suivant). Encadré 1. Champs et sources Au delà de la grande diversité des emplois du secteur des services à la personne et du flou qui en caractérise les frontières (voir chapitre 1), nous nous sommes concentrées dans ce chapitre sur les deux métiers quantitativement les importants : les employés de maison d’une part et les aides à domicile de l’autre. L’INSEE précise les contours des professions retenues de la manière suivante : ‐ 563b Aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales : « les interventions des aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales s'adressent en général soit à des personnes âgées, handicapées ou à des familles. Il s'agit d’apporter une aide dans l'accomplissement des tâches et activités de la vie quotidienne. Grâce à l'intervention de ces professionnels souvent complétée et coordonnée avec d'autres services (travailleurs sociaux, soins à domicile), des personnes handicapées, des personnes âgées ou des familles ont la possibilité de rester dans leur cadre de vie habituel et de conserver une certaine autonomie » . ‐ 563c Employés de maison et personnels de ménage chez des particuliers : « Personnes exécutant, chez un particulier qui l'emploie, divers travaux domestiques, notamment le nettoyage des locaux ». Cette distinction repose non pas sur la nature concrète des tâches réalisées (taches et activités de la vie quotidienne d’un côté, travaux domestiques de l’autre) mais sur le type de bénéficiaires (les aides à domiciles intervenant auprès de personnes âgée) et la forme d’emploi (les employés de maison étant censés être employé directement par un particulier). Pour autant cette séparation n’est pas étanche et la distinction n’est pas toujours claire pour les salariés eux‐mêmes, comme nous avons pu le voir lors de nos entretiens. Néanmoins, en dépit de ce flou, ces deux métiers apparaissent clairement distincts au niveau statistique comme nous le montre la suite du chapitre. Enfin, ces deux métiers renvoient normalement à deux conventions collectives distinctes : la convention de l’aide à domicile régissant principalement les salariés des associations et celle du particulier employeur. Plus récemment, une troisième convention collective a été signée et concerne principalement les entreprises de services à la personne. Pour analyser la qualité de l’emploi de ces deux métiers, nous nous appuyons principalement sur l’enquête emploi 2005. Certes, cette enquête présente un certain nombre de lacunes pour étudier le secteur du fait de l’importance des situations de multi‐employeurs et du travail au noir. Néanmoins, elle permet, en entrant par les professions (employées de maison et aide à domicile) de fournir une image approximative des conditions d’emplois. Il est probable que cette image soit sensiblement meilleure que la réalité, l’enquête emploi appréhendant mieux les salariées les mieux insérées au sein de ces professions. C’est notamment le cas pour les durées hebdomadaires moyennes. Tableau 1 : Employés de maison et Aide à domicile selon l’enquête emploi 2005 Nombre de Pourcentage Moyenne d’âge Pourcentage salariés de femmes de salariés 2
Pour une précision des emplois pris en compte ici et des sources utilisées voir l’encadré 1 98 2005 sans diplôme
Employées de 350 720
93% 47 ans
68%
maison (femmes de ménage, chauffeurs, jardiniers…) Aides à domicile 420 042
98% 44 ans
45%
Source : enquête emploi 2005. Pour les questions plus spécifiques aux conditions de travail, les résultats de l’enquête emploi ont été complétés par ceux des enquêtes SUMER 2003 et Conditions de Travail 2005. Enfin, les estimations statistiques s’appuient et sont mises en relations avec les entretiens réalisés auprès des acteurs du secteur (employeurs, salariés, régulateurs). Les constats relatifs à la qualité des emplois ne reposent cependant pas le plus souvent sur une étude approfondie de leurs caractéristiques. Il s’agit effectivement d’emplois considérés comme peu voire non qualifiés offrant des rémunérations faibles. Pour autant leur situation est‐elle réellement plus dégradée que celle des emplois de niveau comparable au sein d’autres secteurs d’activités? Pour répondre à cette question, ce chapitre vise à analyser plus finement les dimensions qualitatives des emplois d’aide à domicile et d’employé de maison, et surtout tente de les comparer aux autres métiers de catégories employés et ouvriers (PCS 5 et 6). Cet objectif implique dans un premier temps de construire une base sur laquelle mesurer la qualité de l’emploi. Cette première étape devrait déboucher ensuite sur des indicateurs permettant de comparer les métiers et d’établir un diagnostic plus précis sur la situation dans le secteur des services à la personne, en tout cas pour les deux principaux métiers que nous étudions ici (les aides à domicile et les employés de maison). Dans un troisième temps il conviendra de préciser si cette éventuelle mauvaise qualité est « inhérente » aux emplois à domicile, ou si elle découle des logiques organisationnelles des structures présentes sur le marché. Il est notamment important de s’interroger ici sur les différences de pratiques entre modes de fourniture de service. 1. QU’EST‐CE QUE LA QUALITE DES EMPLOIS ? La question de la qualité des emplois créés est devenue un sujet de préoccupation dans le cadre des politiques de l’emploi. En effet, ces politiques ne doivent pas limiter l’action à la seule dimension quantitative mais également prendre en compte des aspects plus « qualitatifs ». La performance d’une mesure ou même d’un marché du travail national ne peut plus être mesurée uniquement à l’aune des seuls chiffres du chômage mais intégrer des dimensions plus complexes relatives à la sécurité des conditions d’emplois, à la pérennité des contrats ou encore aux rémunérations associées. 99 1.1 DES INDICATEURS DE QUALITE DIVERS Plusieurs axes de réflexion ont été engagés dans ce sens depuis les années quatre‐vingt‐dix. L’Union Européenne s’est notamment saisie de la question lors du sommet de Lisbonne en mars 2000 affirmant par exemple la nécessité d’accompagner la croissance économique « d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi ». En 2001, au sommet de Laeken, le conseil européen a adopté une définition multidimensionnelle de la qualité de l’emploi et a proposé une série d’indicateurs pour la mesurer (voir encadré 2). Si cette démarche est novatrice, elle conserve néanmoins un certains nombre d’inconvénients comme le rappellent Lucie Davoine et Catherine Erhel (2006, p. 18) : certains indicateurs ne sont pas définis, la disponibilité des statistiques n’est pas toujours assurée, certaines dimensions essentielles comme le niveau de salaire sont absentes, etc. Malgré cette limite, ces indicateurs, issus de compromis complexes entre les états membres, apportent un éclairage nouveau sur la situation de l’emploi en Europe et permettent des analyses comparatives très instructives entre systèmes d’emploi nationaux (voir notamment l’étude mentionnée ci dessus, Davoine, Erhel, 2006). Par contre cette méthodologie ne peut pas être directement importée pour étudier les écarts qualitatifs entre métiers ou groupes professionnels au sein d’un état national donné. L’objectif de repérer ou mesurer la fréquence des situations d’emplois de mauvaise qualité au sein d’un pays est au contraire à la base de travaux menés sous l’égide du Bureau International du Travail. La notion désormais la plus connue correspond au « travail décent ». Selon le directeur général du BIT, Juan Somavia, « il faut entendre par là un travail productif allant de pair avec la protection des droits et permettant d'obtenir un revenu suffisant et de bénéficier d'une protection sociale appropriée. Cette notion implique aussi un volume de travail suffisant dans la mesure où tout un chacun doit avoir pleinement accès à des possibilités d'emploi lucratif »3. Les travaux du BIT distinguent par la suite quatre piliers essentiels: l’emploi, la protection sociale, les droits des travailleurs et le dialogue social. Plusieurs recherches empiriques ont tenté de s’appuyer sur cette définition large pour construire des indicateurs opérationnels de mesure de la qualité de l’emploi. C’est notamment le cas de Bescond et alii (2003), Anker et alii (2003), ou encore Ghai (2003) (voir encadré 2). Ces recherches ont en commun de chercher à construire un indicateur synthétique ou une batterie d’indicateurs permettant de comparer la situation entre pays mais également de mesurer les évolutions d’un point de vue dynamique. Elles s’attachent ainsi à isoler les dimensions pertinentes avant de les associer à des critères quantifiables. La disponibilité des données dans de nombreux pays est une préoccupation constante. Les résultats passionnants de ces travaux ont permis de classer un nombre important de pays en fonction de leur performance en matière de qualité de l’emploi. Pour autant, cette notion a une visée mondiale et doit prendre en compte l’extrême diversité des configurations nationales. Or « le travail décent s’applique en priorité aux travailleurs les plus pauvres et les plus vulnérables » (Anker et alii, 2003) et accorde ainsi un poids important à des situations qui ne concernent que très faiblement les pays développés (travail forcé, travail des enfants notamment). En ce sens certains 3 Un travail décent, Rapport de M. Juan Somavia, Directeur Général du BIT, 87ème session de la Conférence Internationale du Travail, 1999 100 indicateurs apparaissent inadaptés à notre préoccupation4, mais ils permettent de souligner un certain nombre de dimensions essentielles à la qualité des emplois. Le troisième exemple d’évaluation de la qualité de l’emploi, issu également des travaux du BIT, est davantage centré sur les pays développés. Il s’agit de la notion de « travail inadéquat » définie par le BIT lors de la XVIè Conférence Internationale des statisticiens du travail (octobre 1998)5. L’emploi inadéquat désigne les « situations d’emploi qui diminuent les aptitudes et le bien­être des travailleurs par rapport à une autre situation d’emploi » (qu’on pourrait qualifier de « norme d’emploi »). La résolution énumère ensuite les situations relevant de l’emploi inadéquat : celui‐ci inclut les personnes qui « désiraient changer leur situation de travail actuelle » pour des raisons telles que «utilisation inadéquate et mauvaise utilisation des qualifications professionnelles », « revenus inadéquats » (« résultant d’une mauvaise organisation du travail ou d’une faible productivité »), « nombre d’heures de travail excessif », « emploi précaire », « horaires variables, arbitraires ou mal commodes ». En d’autres termes la notion d’emploi inadéquat repose sur deux idées complémentaires : ‐
un emploi donné est évalué au regard d’une « norme d’emploi ». Cette dernière pourrait se définir comme la situation à la fois statistiquement majoritaire et symboliquement considérée comme légitime (voir Devetter, 2008). Elle constitue en ce sens la forme d’emploi « allant de soi ». Le fait de s’en écarter constitue alors une diminution du bien‐être de l’individu. ‐
la norme d’emploi se décline sur une pluralité de dimensions qui détermine une certaine qualité de l’emploi. La résolution distingue trois situations d’emploi inadéquat : l’emploi inadéquat lié aux qualifications (utilisation insuffisante des qualifications), l’emploi inadéquat lié aux revenus et enfin l’emploi inadéquat lié au nombre d’heures de travail trop élevé. Ces éléments ne sont cependant pas limitatifs et la résolution invite à pousser les travaux plus avant. Ainsi ces trois notions (qualité de l’emploi dans sa version européenne, travail décent, emploi inadéquat) soulignent l’importance d’éléments qualitatifs dans l’évaluation d’un emploi au delà du seul niveau de salaire. Le fait que certains éléments aient une dimension subjective n’enlève rien à leur importance et n’empêche pas non plus de les utiliser avec profit comme le rappelle Cédric Afsa (2007) à propos des données relatives à la satisfaction vis‐à‐vis des durées du travail. Pour autant les indicateurs construits autour des notions citées ont comme vocation première de permettre la comparaison entre systèmes nationaux d’emplois et en ce sens ils s’appliquent mal à une analyse des différences entre métiers au sein d’un marché du travail national, certaines données (comme le poids de la protection sociale dans le PIB, ou l’écart de taux d’activité homme/femme, etc) ne différenciant pas les emplois mais plutôt les politiques publiques. Par contre, ces trois ensembles de travaux énumèrent chaque fois un certain nombre de dimensions qui constituent la base de la notion de qualité de l’emploi. Il semble ainsi possible de faire correspondre les différents items retenus par les analyses mentionnées (voir encadré 2). 4 Un peu comme l’IDH lorsqu’on tente de lui assigner une portée universelle. 5 Résolution concernant la mesure du sous‐emploi et des situations d’emploi inadéquat 101 Encadré 2 : Synthèses des dimensions retenues pour mesurer la qualité de l’emploi selon les principaux travaux internationaux. 1 2 3 4 5 Indicateurs de Laeken 10 dimensions Travail Décent / Dharam Ghai (2003) 4 piliers Performance globale du travail Qualité intrinsèque de l’emploi Insertion et accès au marché du travail Travail décent / Bescond et alii (2003) Travail inadéquat 7 indicateurs pour 5 groupes e population l’emploi , Æ taux d’activité, taux de chômage, indicateur de Gini sur la répartition des revenus. les droits des travailleurs Æ
discrimination hommes / femmes ( taux d’activité féminin, écart de chômage H/F, proportion de femmes occupant des postes élevés) Education formation et développement de carrière 6 7 Flexibilité et sécurité 8 Organisation du travail et conciliation vie familiale / vie professionnelle 9 Diversité et non discrimination Égalité par genre 10 Santé et sécurité 11 la protection sociale Æ
pourcentage du PIB consacré aux dépenses sociales Travail Décent / Anker et alii (2003) 11 paramètres Possibilités de travail (taux d’activité, taux de chômage, etc) Chômage et chômage des jeunes Caractère acceptable du travail (travail forcé, travail des enfants) Scolarisation des enfants, Rémunération et productivité (salaire, revenu, formation et perspective d’évolution) Durée du travail (durée excessive, sous‐
emploi, horaires atypiques) Stabilité et sécurité de l’emploi (faible ancienneté (à reprendre, p. 173, travail temporaire, etc)
Equilibre travail / famille (emploi des mères de jeunes enfants, durée excessive, etc) Traitement équitable en matière d’emploi (ségrégation selon le sexe, part des femmes dans l’encadrement, etc) Sécurité et santé (accidents du travail, inspection du travail, durée excessive, etc) Protection sociale (dépenses publiques, bénéficiaires de Faible rémunération Revenu horaire adéquat Durée excessive Durée du travail Chômage Sécurité de l’emploi Horaires malcommod
es Écart de taux d’activité H/F Conditions de travail Personnes âgées sans pension 102 12 Dialogue social et participation des travailleurs 13 publiques, le dialogue social, Æ taux de syndicalisation. prestations, etc)
Dialogue social et relations de travail (syndicalisation, couverture des CC, participation, déclassemen
t Au final, après analyse de ces travaux, treize dimensions apparaissent importantes. Nous écarterons les trois premières qui relèvent plutôt d’une vision globale du marché du travail. Des dix autres se dégagent quatre axes principaux permettant d’évaluer la qualité des emplois. 1.2. QUATRE AXES PRINCIPAUX Quatre éléments semblent jouer un rôle déterminant dans la qualité des emplois : les rémunérations, la sécurité de l’emploi, les conditions de travail et la reconnaissance individuelle. Ces dimensions, dénominateur commun de toutes les analyses mentionnées précédemment sont également au cœur des recherches plus théoriques sur la justice sociale comme l’attestent les travaux de John Rawls (1987), Michael Walzer (1997), Nancy Fraser (2004) ou encore d’Axel Honneth (2002). 1.2.1 L A REMUNERATION ET LES POSSIBILITES D ’ EVOLUTION La prise en compte de la rémunération comme composante de la qualité de l’emploi est probablement l’élément qui pose le moins de difficulté. Son rôle dans le jugement porté par un individu sur son emploi est évident. Plus encore pour de nombreux auteurs à l’image d’Adam Smith6 mais également dans la lignée des théories plus récentes du salaire hédonique (1974), la rémunération est censée 6 Adam Smith consacre un chapitre aux éléments pouvant conduire à des différences de salaire. Dans cette optique il analyse les composantes de ce que nous appellerions désormais la qualité d’un emploi : ‐
« l’agrément ou le désagrément des emplois eux‐mêmes (aisé ou pénible, propre ou malpropre, honorable ou méprisé) » renvoie à la question des conditions de travail mais également à la reconnaissance symbolique qu’un emploi permet. ‐
« l’occupation constante qu’ils procurent » fait échos à la stabilité et la sécurité de l’emploi, ‐
« le plus ou moins de confiance dont il faut que soient investies ceux qui les exercent » peut se rapprocher de la question de la reconnaissance individuelle. ‐
Enfin « la probabilité ou l’improbabilité d’y réussir » illustre le rôle des rémunérations et des possibilités d’évolution. Smith ajoutait également un point sur « la facilité ou le bon marché avec lequel on peut les apprendre » que l’on pourrait décliner en faisant appel à la notion de qualification 103 corriger l’ensemble des désagréments éventuels d’un emploi : des suppléments, toutes choses égales par ailleurs, de salaire compensant de mauvaises conditions de travail ou une mauvaise réputation liée à un type d’activité. La prise en compte de la rémunération ouvre cependant plusieurs questions : s’agit‐il de prendre en considération le salaire horaire ou le salaire mensuel, voire annuel afin d’y intégrer des primes éventuelles ? La logique qui nous guide ici est de mesurer la capacité d’un emploi à fournir un revenu décent, permettant notamment d’éloigner son bénéficiaire de la pauvreté. Choisir le salaire mensuel permet de souligner le rôle du temps de travail et de mettre en exergue les bas salaires ne permettant pas aux travailleurs de dépasser le seuil de pauvreté. Dans ce but nous utiliserons comme indicateur de mauvaise rémunération la proportion de salariés à bas salaires (soit moins de 818 € mensuel net ou 60% du salaire médian). Cependant le salaire mensuel ne peut à lui seul résumer le niveau de rémunération qu’apporte un emploi. Il convient de le compléter par la prise en compte des perspectives d’évolution offertes. En effet comme le rappelle Pierre Ralle (2006, p.7), « la probabilité qu’un emploi ouvre des possibilités d’évolutions favorables est évidemment un facteur crucial pour évaluer sa qualité ». Pour intégrer cet aspect dynamique des rémunérations, il semble utile de mesurer les progressions salariales en fonction de l’ancienneté. L’Enquête Emploi permet cette approximation des gains monétaires liés à l’ancienneté en distinguant les salaires mensuels par tranche d’ancienneté. Dans le cadre des analyses qui suivront nous utiliserons le ratio salaire mensuel des salariés ayant plus de 10 ans d’ancienneté / salaire de ceux ayant moins d’un an d’ancienneté comme indicateur de progression possible. Les perspectives ouvertes par un emploi ne se limitent pas à la progression salariale au sein de la même profession. Une indication sur les dynamiques offertes par cet emploi et les débouchés éventuels vers d’autres professions peut compléter ce deuxième indicateur. Malheureusement, les enquêtes par cohortes, à l’image des Enquêtes Génération du CEREQ, ne donnent pas d’éléments fiables pour les professions qui nous intéressent notamment en raison de l’âge moyen élevé des aides à domicile et des employés de maison. Cette dimension pourrait alors être appréhendée en partie par la mesure des formations suivies. Par la suite, nous utiliserons la question ‘formation suivie durant les 3 derniers mois’ présente dans l’enquête emploi. 1.2.2 L ES CONDITIONS DE TRAVAIL : INTENSITE , SECURITE , PENIBILITE Les conditions de travail apparaissent comme un second élément convergent dans les analyses sur la qualité de l’emploi. Adam Smith estimait déjà l’importance que pouvait revêtir « l’agrément ou le désagrément des emplois eux‐mêmes (aisé ou pénible, propre ou malpropre, honorable ou méprisé) ». Les indicateurs européens établis à Laeken parlent également de la qualité « intrinsèque des emplois ». Pour autant les dimensions qui constituent les conditions de travail sont elles‐mêmes plurielles et si Adam Smith en donnait encore une vision large (fatigue, dangerosité, propreté, charge mentale,…), les analyses plus récentes ont souvent eu de cette question une vision très industrialiste comme le soulignent Gadrey, Jany‐Catrice et Pernod‐Lemattre (2004). Ainsi à côté des problèmes de sécurité au travail et d’impact sur la santé, d’autres pénibilités physiques (notamment la station debout prolongée) mais également psychiques (liées au contact avec le public, la prise en charge affective, etc) ont été mises à jour. Les travaux empiriques sur les professions tertiaires soulignent l’importance de 104 ces questions notamment dans les services publics, les services sociaux (Abbaléa, 1999) ou les métiers liés au care (England 2002, Gadrey et alii, 2003). Les enquêtes emplois disponibles annuellement estiment très imparfaitement ces dimensions à l’exception de la qualité des horaires de travail (durées excessives, travail du dimanche, du samedi, du soir et de nuit). Part contre, l’enquête SUMER 2003 dresse un portait statistique très détaillé des conditions de travail au sein des familles professionnelles. Certes le contour de ces familles est différent de celui des PCS mais il est possible de rapprocher sans trop de difficultés ces deux classifications grâce aux tables de conversion établis par la DARES. Le principal problème pour notre recherche réside dans le niveau des employés de maison non pris en compte par l’enquête SUMER tandis que seules les aides à domicile salariés de structures prestataires sont intégrées à l’enquête. Cette limite importante peut être relativisée dans la mesure où si les conditions d’emplois sont souvent différentes selon les modalités d’emplois (gré à gré, association, entreprise, voir infra), en revanche le contenu des tâches peut être assez proche. Les entretiens réalisés auprès de salariés confirment ce constat et tendent à souligner que les conditions de travail sont dans l’ensemble meilleures dans les structures prestataires. Ainsi les données de l’enquête SUMER peuvent constituer une "approximation optimiste" de la situation des métiers étudiés dans ce rapport. Grâce à cette enquête nous pouvons comparer la situation des familles professionnelles sur le plan des conditions physiques de travail (nous retenons ici le pourcentage de salariés subissant des contraintes posturales intégrant notamment la station debout prolongée). Certes les indicateurs concernant les pénibilités psychologiques sont plus imparfaits. Nous retiendrons une mesure partielle à travers la proportion de salariés exposés à un risque d’agression verbale. Ces deux aspects seront enfin compléter par une quantification des risques d’exposition aux agents biologiques ou chimiques qui constituent une pénibilité forte dans des secteurs industriels. Nous verrons ainsi que les services à la personne sont également loin d’en être exempts. 1.2.3 L A SECURITE / PRECARITE DE LA RELATION D ’ EMPLOI Le troisième axe déterminant la qualité des emplois renvoie à la stabilité et la sécurité qu’ils procurent. Le développement du rapport salarial fordiste associé à une stabilité forte de l’emploi a un temps atténué la prise en compte de cette préoccupation mais la croissance rapide des formes particulières d’emploi à partir des années quatre‐vingt a remis le sentiment de précarité au centre des débats. La sécurité et la stabilité de l’emploi apparaissent ainsi comme des éléments déterminants de la qualité des emplois. La précarité comme lien à l’emploi est identifiée traditionnellement par les types de contrats de travail (CDD, Intérim, etc.), mais cette seule mesure est très certainement réductrice dans les secteurs des services et plus particulièrement dans les services à la personne. Dans ce dernier secteur (nous y reviendrons), le contrat à durée indéterminé n’offre pas automatiquement une réelle sécurité de l’emploi et des droits qui y sont associés. « Les années 90 ont été marquées par une tendance à l’individualisation et à la flexibilisation du rapport salarial sans pour autant que le contrat à durée indéterminée cesse de constituer la forme juridique dominante » (Bessy, 2006 p.64). Nos entretiens soulignent au contraire que le CDI est le contrat le plus fréquent dans le secteur… à la demande principale des employeurs afin de faire face au turn‐over élevé des salariés. La « stabilité » d’un CDI doit ainsi être nuancée par le temps de travail et la prise en compte des situations de pluriactivité ou 105 de multi employeur (cf. Mouriaux, 2006). Nous retiendrons par la suite comme estimation de la sécurité de l’emploi, la proportion de salariés bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée à temps plein. Ce premier élément sera complété par le taux de salariés ayant une ancienneté inférieure à un an, en guise d’indication de l’importance du turn‐over dans le secteur ou la profession. La sécurité et la stabilité de l’emploi peuvent également être abordées dans une optique moins individuelle. La sécurité économique s’apprécie en effet davantage au niveau du ménage et incite alors à faire intervenir la situation du conjoint éventuel. L’enquête emploi permet ce type de réflexion à partir du statut du conjoint. Pour neutraliser en partie l’influence de moyennes d’âge très différentes selon les professions, nous retiendrons ici la proportion de couples avec enfants où vit au moins un chômeur. Ce critère devrait indiquer la fréquence des situations où le salarié est seul apporteur de ressources et où il ne peut donc bénéficier de la stabilité de l’emploi du conjoint. 1.2.4. L A RECONNAISSANCE INDIVIDUELLE Enfin, le dernier axe déterminant la qualité de l’emploi est probablement le moins consensuel et le plus difficile à appréhender. Il s’agit de la notion de reconnaissance individuelle qui peut s’appuyer sur les travaux récents de nombreux philosophes. L’importance accordée à la reconnaissance individuelle a ainsi été affirmée ces dernières années par des auteurs comme Michael Walzer (1997), Amitai Margalit (1996), Nancy Fraser (2004) ou encore Axel Honneth (2002). Pour ce dernier, les individus aspirent à une triple forme de reconnaissance en fonction de trois sphères normatives distinctes : l’amour, le droit et la solidarité (voir Honneth, 2002, p. 113‐159). Si la première sort largement du cadre professionnel, les deux autres dimensions jouent un rôle conséquent en matière de qualité de l’emploi. Nous décomposerons ainsi la notion de reconnaissance d’une part en une reconnaissance juridique et d’autre part en une reconnaissance d’ordre plus symbolique. La première implique, pour reprendre les termes d’Honneth, « un respect de soi comme membres d’une communauté d’égaux en droits ». Les droits associés à l’emploi doivent donc être comparables aux droits « normaux » liés à un emploi conventionnel. C’est sous cette entrée que nous pouvons faire intervenir le droit à la participation et au dialogue social. Il s’agit ici à la fois de mesurer les droits accordés aux travailleurs et à leur effectivité mais également de repérer la part qu’ils peuvent prendre à la détermination de l’organisation du travail individuellement ou via des collectifs de travail. Ces dimensions sont évidemment complexes et délicates à quantifier. Néanmoins, des indicateurs centrés sur le taux de syndicalisation, la fréquence des rapports avec les collègues ou encore le degré d’autonomie sont utilisables à partir de l’enquête Conditions de Travail7. 7 Malheureusement la dernière édition de cette enquête n’étant à ce jour toujours pas disponible, nous ne pourrons pas mesurer ces éléments. A titre d’illustration, nous pouvons cependant rappeler que la présence syndicale dans l’établissement touche 55% des salariés dans les secteurs industriels contre moins de 20% dans les services aux particuliers. 106 De même cette dimension implique l’absence de discrimination à l’embauche ou dans l’attribution des emplois. Des emplois très fortement sexués, ou concentrant une forte proportion d’immigrés, ne reposent pas complètement sur la vision d’une communauté d’égaux. Enfin, la seconde dimension, d’ordre symbolique, renvoie « à la perte d’estime de soi comme sujets contribuant par leur pratique à la vie commune ». Elle correspond ainsi plutôt à la perception de la valeur sociale de l’activité. Un traitement fin de cette question nécessite de relier les discours et les pratiques des acteurs en fonction des logiques de professionnalité mise en œuvre (cf partie Thierry). Nous reviendrons sur cet aspect par la suite. Dans l’optique d’une comparaison plus large nous pouvons nous appuyer sur le sentiment de « déclassement » tel qu’il apparaît en partie dans la notion de travail inadéquat. Le taux de salariés désirant changer d’emploi peut ainsi être un indice intéressant. De même la reconnaissance passe par la visibilité de la qualification nécessitée par l’emploi. Ainsi la construction de la non qualification des métiers d’aides à domicile illustre en partie leur manque de reconnaissance sociale (Voir Gadrey et alii, 2003). L’enquête SUMER permet d’approcher cette question grâce à la proportion de salariés estimant ne pas avoir reçu de formation suffisante ou adéquate pour répondre aux exigences du métier exercé. Tableau 2. Construction d’un indicateur de qualité de l’emploi Dimensions Indicateurs Rémunérations perspectives d’évolution Sécurité / stabilité et Salaire mensuel
salaire ancienneté plus de Proportion de salariés 10 ans / ancienneté ayant suivi une formation
Pourcentage de salaires moins de 1 an. inférieur à 818 € Pourcentage temps plein de CDI Pourcentage de salarié Proportion de couples ayant moins d’un an avec enfants ayant au d’ancienneté moins un chômeur Conditions de travail Indice de disponibilité Contraintes posturales
temporelle Reconnaissance Formation inadaptée
Agression verbale Pourcentage de salariés Souhait d’un autre emploi
étrangers A partir de ces éléments nous avons cherché à estimée la qualité des principales professions des PCS employés et ouvriers. Les tableaux détaillés sont repris en annexes pour les trente‐trois métiers dont les effectifs dans l’enquête emploi 2005 étaient les plus importants. Nous avons ensuite cherché à calculer un indicateur synthétique de qualité des emplois en agrégeant les différentes dimensions. Les professions étudiées ont ainsi pu être ‘notées’ sur une grille allant de 81 à 108, la moyenne pour les ouvriers et employés étant de 100 (voir encadré 3). 107 Encadré 3. Indice synthétique de qualité de l’emploi Afin de donner une plus grande visibilité aux écarts de qualité d’emploi nous avons construit un indicateur synthétique résumant les informations issues des différentes dimensions repérées précédemment: rémunération et évolution de carrière, sécurité économique, conditions de travail et reconnaissance. Un tel indicateur ne remplace aucunement les tableaux multicritères qui permettent une analyse plus complexe (comme nous l'illustrerons par la suite) mais il doit permettre de souligner les rapports qu’entretient telle ou telle professions avec le niveau moyen de pénibilité vécu par des professions de PCS équivalentes (employés et ouvriers). Ce type d’indicateur dispose d’un double intérêt qui en justifie la construction: d’une part ils permettent d’attirer l’attention et d’inciter à creuser davantage les phénomènes soulignés (cet argument rejoint le point de vue de Sen à propos de l’utilité de l’IDH), d’autre part ces indicateurs chiffrés facilitent un travail statistique et la recherche de corrélations qui ouvrent ensuite la voie à des interprétations plus fines. Par ailleurs, cet indicateur permet de repérer les situations de cumuls de pénibilités qui isoleraient éventuellement certains emplois au sein d’un segment très dévalorisé par rapport à d’autres professions dont les désavantages seraient partiellement compensés par des positions avantageuses sur d’autres critères. La construction de cet indicateur repose sur les étapes suivantes : ‐
choix de 3 indicateurs par dimension retenue (voir supra). ‐
calcul de l’écart pour chaque indicateur entre une profession donnée et la situation moyenne des ouvriers et employés. Cet écart est majoré ensuite de 100 afin de faciliter la lecture des résultats. ‐
calcul de la moyenne de ces différents indicateurs sans pondération. La méthode de calcul est certainement discutable et les valeurs absolues obtenues n’ont pas de sens en elles‐
mêmes. Elles permettent néanmoins de comparer les professions les unes aux autres et soulignent les situations où le cumul de pénibilité est marqué. 2. LA SITUATION DES SERVICES A LA PERSONNE PARMI LES EMPLOIS PEU QUALIFIES A partir des analyses menées sur la qualité des emplois ouvriers et employés, quels constats pouvons‐
nous faire à propos des Services à la personne? La situation est‐elle réellement plus dégradée que dans d’autres secteurs d’activités comme l’hôtellerie‐restauration, le commerce ou encore par rapport aux postes d’ouvriers non qualifiés ? Les résultats sont clairement négatifs pour les salariés des services à la personne : tous les indicateurs retenus leurs sont défavorables. L’indice synthétique de qualité de l’emploi atteint 81 pour les employées de maison et 85 pour les aides à domicile contre une moyenne de 100 pour les employés et ouvriers. Seuls les Serveurs et Commis et les Nettoyeurs s’approchent d’une situation aussi dégradée (87). 2.1 RÉMUNÉRATIONS ET PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION Sur ce premier axe, les employées de maison et les aides à domicile se distinguent largement des autres professions d’employés et d’ouvriers. 60% d’entre eux sont des travailleurs à bas salaires (moins des 2/3 du salaire médian soit 818 € mensuels). Cette faiblesse des revenus mensuels n’est pas 108 une surprise compte tenu de la faiblesse des rémunérations horaires (limitées ou très proches du SMIC) et des temps de travail réduits dans le secteur. L’omniprésence du temps partiel (plus de 70% de ces deux professions) associée à la faiblesse du salaire horaire maintient bon nombre des travailleurs des services à la personne dans des situations de bas salaires. Cette situation est aggravée par deux éléments : l’absence de perspectives d’évolutions tant au sein de la profession qu’en dehors et la fréquence de situations familiales fragiles (voir infra). L’évolution salariale est mince : les conventions collectives (CC du particulier employeur ou CC de l’aide à domicile) ne prévoient que des augmentations de salaire très faibles. Par ailleurs, le fort turn‐
over dans le secteur limite considérablement les possibilités d’accumuler de l’ancienneté. Cet effet est enfin renforcé par l’âge relativement élevé d’accès aux emplois dans les services à la personne. Ces emplois apparaissent plutôt comme des emplois de fin de vie active comme en témoignent les données sur l’occupation d’un emploi antérieur. Le profil fréquent, que nous avons également retrouvé dans nos entretiens, est celui d’une ancienne ouvrière non qualifiée (textile par exemple) ou d’une ancienne employée de commerce reprenant une activité dans les services à la personne suite à une période d’inactivité longue (congé parental ou chômage, voir encadré 4). Encadré 4. Exemples de parcours professionnels A/ Ancienne salariée d’une association travaillant désormais auprès de particuliers employeurs : « ‐ Partout où je suis passée j’étais au SMIC. Malheureusement à chaque fois… sauf quand j’étais gérante MEO là on avait une prime de 1000 francs à l’époque quand on était responsable. Mais bon ils voyaient ce qu’on faisait. (…) ‐ Ensuite vous avez été recrutée par l’association ? ‐ Ensuite parce que mon congé parental s’arrêtait en septembre j’ai tout de suite été à l’ANPE, j’ai expliqué ma situation, il m’a dit ‘eh ben écoutez, v’là une adresse vous y allez’. Ca c’était fin septembre, mi‐novembre j’ai tout de suite eu une mission par Adecco. J’avais été contactée. J’avais de la chance parce que j’avais un véhicule, on en demande à chaque fois maintenant. Moi j’avais de la chance, j’en avais un. ‐ Et on ne vous a pas proposé de boulots de chefs d’équipe ou de choses comme ça, parce que c’est ce que vous étiez… ‐ Ils m’ont dit que c’était compliqué, qu’il fallait que je fasse une remise à niveau et tout ça. Et puis maintenant ça a vachement évolué tout ce qui est commerce et tout ça. Et puis franchement, je ne pourrai pas avec … si je pourrai m’y remettre, j’en suis capable mais au niveau de ma vie privée c’est plus possible. Ma vie privée ne me le permet plus du tout. A moins d’aboutir à avoir une aide ou quelque chose mais bon j’y compte pas tellement… Faut toujours compter que sur soi. » B/ Salariée d’une association : Vous avez quel âge ? J’ai 38 ans et j’ai été à l’école jusqu’en 2e année de CAP je n’ai pas poursuivi CAP de quoi ? Couture mais j’avais fait un an auparavant cuisine je suis en ménage j’ai eu ma fille à 18 ans j’ai arrêté le CAP je devais avoir 16 ans, j’ai eu ma fille à 18 ans après j’ai eu mes jumelles je les ai élevées pendant 16 ans et demi quand elles sont rentrées en…la première elle est rentrée au lycée les jumelles étaient en 3e donc j’ai rentré ici en juin disons que j’avais prévu de faire ça au départ j’ai cherché du boulot Pas par l’ANPE ? L’adresse euh je connaissais l’adresse j’ai travaillé à la FEPEM avant, au même moment j’ai pris deux contrats un contrat ici et un contrat FEPEM j’ai démissionné de la FEPEM vu que c’était plutôt employée de maison moi j’y ai pris goût à mon travail Donc vous y êtes depuis quand ? Juin 2003, ça fait trois ans et demi. 109 C/ Salariée d’une association ‐Oui ça remonte à loin. Bon disons à l’école j’étais partie sur le textile quoi, j’ai un CAP costumière qui faite beaucoup de dentelles, beaucoup de petits chemisiers, de tout ça qui… …. J’ai eu mes 3 garçons, bon le 2éme avait des insuffisances respiratoires donc j’ai arrêté de travailler pour pouvoir le garder du fait qu’il fallait toujours avoir le matériel respiratoire, tout ça donc je n’ai pas eu de nourrice pour lui malheureusement donc j’ai arrêté. Puis bon j’ai eu mon 3éme 2‐3ans après, 2‐3ans après donc j’ai arrêté. Quand j’ai voulu retourner travailler, bon l’entreprise ne faisait plus que de l’import export, donc. ­C’était en quelle année ça ? ‐La c’était en 93. Donc j’ai commencé à chercher de 93, qui mon dernier est né en 90 donc à partir de 93 j’ai commencé à chercher et puis c’est là que j’ai entendu parler de l’Association. Au final l’écart entre le salaire des salariés ayant plus de 10 ans d’ancienneté et ceux ayant moins d’un an d’ancienneté est particulièrement faible tant en valeur relative qu’en valeur absolue (voir tableau 2). Tableau 3. Évolutions salariales Écart de salaire entre salariés débutants* Écart de salaire entre salariés et anciens** en valeur absolue débutants* et anciens** en valeur relative Employées de maison 166 €
33% Aides à Domicile 267€
46% Moyenne des employés et ouvriers 457€
50% *salariés ayant moins de 1 an d’ancienneté. 2005 Source Enquête Emploi **salariés ayant plus de 10 ans d’ancienneté. Les évolutions en dehors du secteur demeurent limitées également. L’âge moyen des salariées illustre également ce phénomène : les employées de maison et aides à domiciles sont plus souvent « reclassées » professionnellement (voir supra) qu’en voie de reclassement… Mais c’est surtout la faiblesse des formations suivies qui peut mettre cet élément en évidence : moins de 1,5% des employées de maison et à peine 5% des aides à domicile ont suivi une formation durant les trois derniers mois contre plus de 8% en moyenne pour les employés. Nos entretiens soulignent également de manière plus qualitative la faiblesse des formations suivies (de courte durée, non diplômante, etc.). Certains employeurs adoptent des positions plus volontaristes en matière de formation notamment dans le cadre de structures associatives ayant une vocation d’insertion du personnel, mais ces pratiques demeurent limitées. Elles sont surtout quasi absentes chez les particuliers employeurs, de l’aveu même de la FEPEM malgré ses nombreuses tentatives en la matière : 110 « Il faut que l’on incite l’employeur à encourager sa salariée. Le coût est nul pour l’employeur mais la conséquence, c’est qu’une salariée qui bénéficie d’une formation change de niveau et coûtera plus chère. Les freins à la formation ? Ce ne sont pas les coûts. C’est un problème d’information : les particuliers employeurs ne sont pas au courant. Il peut aussi y avoir le problème de l’organisation de la formation : la salariée part 10 jours 15 jours. On propose des solutions : début de contrat, pendant une période d’essai, C’est possible d’organiser mais il faut une volonté. Confier ses enfants à quelqu’un qui est formé en secourisme etc. çà vaut le coût quand même ! ». 2.2. STABILITÉ ET SÉCURITÉ DE L’EMPLOI La position des employés des SP sur le second axe (stabilité et sécurité de l’emploi) pourrait dans un premier temps apparaître plus positive : les contrats sont le plus souvent à durée indéterminée et la précarité mesurée par la seule prévalence de l’intérim ou des CDD est faible. Néanmoins, ce constat partiel occulte en partie la grande fragilité des situations d’emplois des CDI : outre l’importance du travail au noir (par définition difficilement mesurable), l’existence de modes de contractualisation spécifiques (CES puis CESU), l’omniprésence du temps partiel, la prégnance de la pluriactivité ou des situations de multi employeurs rendent la stabilité de l’emploi illusoire. Ainsi les CDI à temps plein ne représentent que 19% des employés de maison et 23% des aides à domicile contre plus de 60% en moyenne pour les employés et ouvriers. Sur cet aspect, comme sur les autres ces deux professions sont les plus mal classées, loin derrière les caissiers de magasin (34%) qui les précèdent. Ce manque de sécurité se traduit également par une rotation fréquente du personnel. D’un point de vue statistique, cette situation se concrétise par un taux élevé de salariés ayant moins d’un an d’ancienneté dans leur emploi (environ 16 % contre moins de 13 % pour l’ensemble des employés). Mais ce taux doit être mis au regard de la moyenne d’age du secteur. Ainsi parmi les salariés de plus de 50 ans, 20 % des employées de maison et 18 % des aides à domiciles ont moins d’un an d’ancienneté contre 9 % pour l’ensemble des employées. Ce turn‐over élevé a été régulièrement souligné par les employeurs avec lesquels nous nous sommes entretenus, qu’il s’agisse d’associations ou d’entreprises privées : « Souvent on est tenté de prendre des personnes sur qualifiées mais elles ne restent pas. 50% de turnover, c'est le taux qu'on risque de garder. Je parlais avec des gros du nettoyage industriel, c'est ce qu’ils ont. On est dans des métiers pas faciles, mal payés, pas évident car ils demandent une flexibilité » (dirigeant d’entreprise). Il semblerait que la situation soit un peu moins marquée auprès des particuliers employeurs. La FEPEM insiste ainsi sur sa capacité à fidéliser les salariées. 111 Enfin, la sécurité de la situation professionnelle peut être abordée non plus sous le seul angle individuel mais dans une optique plus large en se centrant sur le ménage. La sécurité économique de la famille dépend aussi de la position professionnelle du conjoint. A ce titre, les salariées des SP apparaissent une fois de plus comme particulièrement fragiles. Un nombre important de salariées que nous avons rencontrées était le seul actif occupé du ménage, les conjoints étant absents, au chômage ou inactifs (notamment pour invalidité). Ce constat empirique rejoint les résultats statistiques : 28,5% des employés de maison ou aides à domiciles en couple avec enfants ont un conjoint chômeur contre 23% en moyenne pour l’ensemble des employés. Plus encore, les EM et AD sont très majoritairement épouses d’ouvrier ou d’employé non qualifié8. Ici, comme souvent, les AD occupent une position intermédiaire entre les métiers du nettoyage au sens strict (plus de 70% de conjoints ouvriers ou ENQ pour les nettoyeurs, EM et employés d’étage) et les métiers du « care » (un peu plus de 50%). A l’inverse les EM et AD ne sont que très rarement épouses de cadres (respectivement 4% et 3% contre 10% pour l’ensemble de la PCS « employés »). 2.3. LES CONDITIONS DE TRAVAIL Les données de l’enquête SUMER 2003 permettent de fournir une vision très précise des conditions de travail et de l’exposition aux risques par famille professionnelle. La délimitation de ces familles est légèrement différente que celle des PCS, mais une concordance est possible pour la grande majorité des professions comme le montrent les travaux de la DARES. Pour les métiers des SP, ce passage est un peu plus délicat car les salariés du particulier ne sont pas pris en compte par l’enquête SUMER. Les données utilisées ici ne concernent ainsi que les aides à domicile employées par une structure prestataire (association, entreprise ou CCAS). Comme nous l’avions signalé précédemment les résultats obtenus constituent alors une ‘approximation optimiste’ des conditions de travail de l’ensemble des métiers étudiés. La lecture des résultats détaillés de l’enquête SUMER indique que les aides à domicile tendent à cumuler les contraintes industrielles et tertiaires. Ainsi, aux contraintes posturales ou à l’exposition aux produits toxiques très largement répandues dans les métiers ouvriers (et présentes chez les AD et EM) s’ajoutent les contraintes relationnelles ou en termes d’horaires variables typiques des services. Sur le plan des contraintes physiques, plus de 57% des aides à domicile sont en position debout plus de 10 heures par jour, 55% se déplacent à pieds dans le travail (ce taux élevé chez les seuls salariés en prestataires est probablement bien plus fort pour l’ensemble des intervenantes, nous y reviendrons dans la dernière section). Nos entretiens confirment largement la pénibilité des transports entre les interventions chez des clients différents. Enfin, 45% travaillent à genoux régulièrement. Au niveau des contraintes organisationnelles, 75% ont des durées de travail variables selon les semaines, près de 60% sont exposées à un risque d’agression verbale du public, 50% sont soumis à des demandes 8
Le critère retenu pour définir les ENQ est ici TRES mauvais. Il regroupe l’ensemble des agents de surveillance, des employés de commerce et des services directs aux particuliers et s’opposent à un semble regroupant les employés de la fonction publique (y compris agents d’entretiens…) et employés administratifs d’entreprise. L’approximation est donc très grossière mais les données de l’enquête emploi ne permettent pas de faire mieux facilement. 112 extérieures nécessitant une réponse immédiate, etc. Enfin, l’exposition aux agents biologiques (67%) ou aux nuisances chimiques (68%) sont bien plus répandues que dans la plupart des professions tertiaires et comparables aux métiers industriels. Des études médicales confirment également au niveau international l’importance des maladies liées à l’inhalation de produits toxiques chez les professionnels du nettoyage comme les agents d’entretiens (Gamberienne, 2003), les employées de maison et aides à domicile (Médina‐Ramon et alii, 2006). Ainsi une salariée insiste sur cette dimension souvent oubliée de la pénibilité du travail ménager : “Parce qu’en vieillissant je deviens de plus en plus allergique à certains produits et puis il y a aussi les clients qui veulent pas qu’on ouvre les fenêtres. Moi quand je nettoie il faut que j’aère. Mais il y en a ils vous disent : ‘ah non n’ouvrez pas les fenêtres ! le chauffage etc.’ et moi je ne supporte plus du tout. Je vois bien il y a certains produits comme le viakal, l’antikal ou l’ajax, l’ammoniac… c’est vrai que c’est nikel pour enlever tout ce qui est de cuisine, le gras. Mais je ne le supporte plus. Des fois c’est difficile, les clientes elles ne comprennent pas. Bon là j’ai eu une discussion avec une, bon elle a 55 ans. Je crois qu’elle va comprendre. Ca me donne très mal à la tête. Bon ben je leur dis : il y a des produits je ne peux pas » (salariée au sein d’une entreprise). A nouveau ces mauvaises conditions de travail doivent être estimées au regard de la moyenne d’âge élevée de la main d’oeuvre du secteur. Comme le rappelle un des employeurs rencontrés, « il y a une problématique des aides ménagères vieillissantes. Douleurs de dos, carpiens, … qu’est­ce qu’on fait d’une dame de plus de 50 ans qui ne peut plus faire le ménage ? C’est un métier physique. Il y a des formations, des appareillages, mais c’est un problème. » (Employeur associatif). De même la baisse de la productivité avec l’âge est notée par une salariée qui explique qu’elle doit compenser sa moindre efficacité par un allongement de ses heures de travail effectives (tout en conservant le même volume de travail rémunéré) : « J’ai 43 ans. Mais bon le docteur me l’a dit : ‘plus vous le ferez, plus vous aurez mal’ parce qu’il ne faut pas se leurrer c’est toujours les mêmes mouvements alors on a mal. Mais après chaque client j’ai mal. Là j’ai travaillé ce matin, j’ai mal au bras, au coude. Et j’aurai mal tout l’après midi. Mais bon c’est un travail fatiguant. Très fatiguant ! C’est toujours ce que je dis quand on le fait chez soi bon, mais quand on le fait de manière constante, alors là c’est crevant. Vraiment. Dans la semaine il y a un jour où je travaille toute la journée, j’ai pas le choix, c’est le jeudi. Mais là… Enfin je l’ai dit aux clients, ils savent. Ils savent que des fois je suis super crevée. Alors je prends des pauses de temps en temps, un café. Mais bon ils le savent. Et dans ces cas là, je m’arrange pour finir toujours un peu plus tard pour pas les voler. » (Salariée). 113 2.4. RECONNAISSANCE JURIDIQUE ET SYMBOLIQUE En termes de reconnaissance enfin, il convient de séparer la reconnaissance juridique de la reconnaissance d’ordre plus symbolique. En effet si la première renvoie aux droits liés à l’emploi (protection sociale, force du lien de subordination, etc.), la seconde est plus large et correspond davantage à l’estime de soi (au sens de Honneth notamment) permise par l’exercice de la profession (voir supra). Un manque de reconnaissance juridique Sur cette question, la modalité d’emploi (gré à gré, associations, entreprises, CCAS) est déterminante (voir infra). Mais dans un premier temps il s’agit de dresser un panorama général d’un secteur où 80% des salariés sont encore employés directement par un particulier (voir chapitre 1). Le manque de reconnaissance juridique est ici largement admis et c’est sur ce point que se concentrent la plupart des critiques adressées aux emplois domestiques. Il s’agit du lien de dépendance personnelle instauré au cours d’une relation d’emploi se déroulant au domicile de l’employeur. L’inégalité entre les deux parties de la relation de travail et le lien de subordination (inhérent à tout rapport salarial) sont renforcés par le fait que l’activité se déroule au domicile de l’employeur9. La plupart des protections classiques dont bénéficient les salariés ne concernent par les travailleuses à domicile (voir encadré sur le chèque emploi service). La personnalisation de la relation peut également permettre de relativiser les devoirs de l’employeur, comme l’ont montré certaines expériences sur les sentiments de justice. L’exonération de la responsabilité est ainsi plus difficile dans des contextes abstraits (Kellerhals et alii, 1997, p. 70) : la personnalisation de la relation rendant possible « l’oubli » des devoirs liés au statut d’employeur. Enfin, l’absence ‘intrinsèque’ de collectifs de travail joue un rôle important : le rapport de force employeur / salarié reste une relation individuelle. Les conditions d’emploi se sont même plutôt dégradées depuis une dizaine d’années avec l’augmentation rapide du recours aux chèques emploi‐services « qui rendent quasi invisible la relation d’emploi » (Dussuet, 2002, p. 5). De même, la part des associations mandataires (simples intermédiaires entre l’employée et son employeur) s’est fortement accrue depuis le début des années quatre‐vingt‐dix, aux dépends des associations prestataires (Adjerad, 2003 et surtout chapitre 1). 9
Jean‐Claude Kaufmann (1997) insiste fortement sur l’impossibilité de dépasser un lien de dépendance : « mais la différence de manières réintroduit insidieusement la subordination, le modèle de référence étant celui du ménage employeur : toute pratique différente étant considérée comme déviante et sommée de se conformer au modèle. Niée dans ses manières personnelles, la femme de ménage peut être contrainte de s’effacer jusqu’à être niée en tant que personne » (p. 161‐162). Historiquement, on peut remarquer que la Révolution Française ne reconnaît pas la citoyenneté aux domestiques et la République tardera considérablement à leur accorder le droit de vote (d’Iribarne, 1997). 114 Encadré 5. Le dispositif Chèque Emploi Service Les chèques emploi‐service10 ont été mis en place en 1993. Ils tiennent lieu de contrat de travail (URSSAF). Aucune mention n’est faite sur le chèque emploi service lui‐même, des conditions d’emploi et donc du contrat de travail auquel il se substitue (ni d’ailleurs du contenu des tâches ou du statut sous lequel le salarié est recruté, voir chapitre 1). Par ailleurs, la rémunération horaire est majorée de 10% pour les congés payés. C’est à l’employé de gérer lui–même son budget pour ses congés durant lesquels aucune rémunération ne lui sera versée. Ces caractéristiques rejoignent celles des professions libérales mais n’en possèdent pas les avantages (diplômes, ordres, numerus clausus, niveaux de salaire, etc.). Du côté des employeurs, le CES vise d’abord à faciliter la vie « et tire l’usager vers le modèle du consommateur opérant un achat de services qu’il peut ou non renouveler après chaque prestation » (Labruyère, 1996, p.1) D’un point de vue juridique et au niveau des droits qu’ils confèrent, les métiers des SP (femmes de ménage et aides à domiciles) constituent souvent « des emplois de seconde zone » (Dussuet, 2002, p.12). La situation symbolique en termes de reconnaissance accentue ce constat. Une absence de reconnaissance symbolique ? Si le contenu du travail entre Employés de maison et Aides à domicile est souvent assez proche (les aides à domicile effectuant principalement des tâches ménagères comme les employées de maison), sa signification symbolique est radicalement différente selon les deux professions. L’intervention auprès des personnes âgées ou fragiles constitue une ressource très importante pour valoriser des tâches a priori très proches de celles effectuées dans la sphère domestique. La notion de besoin, l’importance des dimensions relationnelles, le rôle de veille sanitaire et sociale concourent à raccrocher l’emploi d’aide à domicile à un ensemble plus vaste lié aux tâches du « care », voire au secteur social. Ainsi si les travaux d’entretien et de nettoyage ont une tendance forte à être dévalorisés et reliés en partie à des statuts inférieurs11 (non sans lien avec la domesticité ou la servitude, voir Devetter et Rousseau, 2005), les aspects sanitaires et relationnels du métier d’aide à domicile constituent des supports sur lesquels la reconnaissance des salariées et leur engagement dans le travail peuvent s’appuyer. Les revendications professionnelles des salariées concernées illustrent parfaitement ce phénomène et le passage de l’intitulé du poste des intervenantes « d’aide ménagères » à aides à domicile est de ce point de vue exemplaire. Nos entretiens mettent également cet aspect en évidence, la plupart des aides à domicile insistent fortement sur le fait, qu’au‐delà d’une proximité en matière de tâches, leur travail 10
11
On rappelle que le CES est pourtant le ‘héros’ (sic) du Plan de développement des SP de M. Borloo (voir ANSP). Le lien entre tâches dévalorisées et personnes de statuts inférieurs est solidement ancré et les deux éléments se renforcent ensuite l’un l’autre comme l’affirmait déjà Bernard Shaw par exemple (« Nous avons tellement l’habitude de voir le travail sale fait par des gens sales et mal payés que nous en sommes venus à penser qu’il est dégradant de le faire et que s’il n’existe pas une classe de gens sales et avilis, il ne sera pas fait du tout », in Walzer, 1997, p.250). Ce constat est toujours d’actualité comme le remarque Tania Angeloff (2000) « les femmes de ménage ont conscience du processus d’invisibilité sociale auquel elles participent, quel que soit leur statut. En contact avec des éléments sales et impurs, la femme de ménage est assimilée, en tant que personne, à l’activité qu’elle effectue » (p.177). 115 est bien autre chose que celui de ‘femme de ménage’. Il y a en particulier la relation de service qui intervient chez les aides à Domicile comme une composante clé de l’activité : « Moi je trouve que la toilette c’est plus revalorisant, on se sent plus utile encore que le ménage. (…) Je ne sais pas, je trouve qu’ils ont plus besoin de nous, c’est plus social, c’est plus... parce que souvent quand on fait que le ménage chez certaines personnes, bon on ne nous appelle même pas les aides à domicile, bon c’est la femme de ménage. » (Salariée au sein d’une association) Ou encore, « Il y a des gens qui disent que le métier d’aide à domicile c’est la même chose que de faire des choses chez soi? Vous trouvez que c’est pareil, vous? ­Non c’est un terme péjoratif je trouve, c’est très méchant. Nous comparer à une femme de ménage je trouve ça très méchant. ­Alors qu’Est­ce qui est différent pour vous? ­Ben qu’Est­ce qui est différent pour nous, c’est que on sort de la maison donc même si ça reste des taches ménagères quelque part on ne le fait pas pour nous, on va pour aider cette personne là. Donc je pense que concernant une personne qu’on va aider il faudrait résoudre le problème du terme femme de ménage. Parce que femme de ménage c’est dans un bureau pas chez une personne âgée parce qu’on ne fait pas que du ménage on peut aider la personne à déjeuner, on peut l’aider dans ces taches administratives. Moi ça m’arrive de trier du courrier, d’écrire du courrier. Ca m’arrive quand une personne me demande de rédiger une lettre on peut le faire c’est dans nos compétences, donc femme de ménage ce n’est pas ça. » (Salariée au sein d’une association). Ainsi sur ce plan la situation des employées de maison semble particulièrement dégradée et l’emploi de « femme de ménage » reste socialement situé en bas de la hiérarchie professionnelle. Les tentatives de professionnalisation ou de reconnaissance des employés des services domestiques plus qualifiés peuvent même concourir à aggraver cette situation en leur délégant la part la moins noble du travail, voire le « sale boulot ». Même si les emplois auprès des personnes âgées sont moins connotés négativement, ils ne bénéficient que d’une faible reconnaissance sociale, comme en témoigne leur peu d’attractivité. Plusieurs employeurs ont insisté sur leurs difficultés à recruter des salariés (voir encadré). 116 Encadré 6. Les difficultés de recrutement A/ Dirigeant d’association : Je vois arriver les entreprises privées. Je les rencontre dans des centres en amont, en période de recrutement. Ils recrutent les mêmes personnes que les notres mais sans le dire. La concurrence elle est là. Il y a des difficultés de recrutement énormes. Sur les 209 personnes non recrutées, quels problèmes ? Des gens qui ne parlent pas français, des problèmes de connaissance de métier (je sais faire chez moi donc chez les autres, ce qui est faux). Des problèmes de présentation. J’ai fait beaucoup de battage auprès de l’ANPE, et tout ça et on m’envoie des personnes qui n’ont rien à faire là. B/ Dirigeant d’entreprise : Pour développer le secteur, c'est bien de s'occuper de l'offre, comme avec les plateformes. La plupart regardent leurs clients mais oublient de regarder leurs salariés. Ceux qui resteront seront ceux qui travailleront avec leurs salariés. Les recrutements sont difficiles, le problème c'est de trouver des personnes formées pour assurer ces métiers. Il y a une concurrence sur le recrutement. Ceux qui ont une expérience ont bossé au black… c'est très difficile. C/ Dirigeant d’entreprise : Sur Paris, en termes de recrutements, on va avoir toute la problématique des faux papiers, de gens vraiment il faut faire très attention à ce niveau là. Nous on rencontre moins ce problème. Mais on va avoir d'autres choses comme l'alcoolisme. Je ne vais pas dire que dans le Nord on est tous alcoolique mais c'est quelque chose qui est net. Le principal problème est clairement dans le recrutement. Il y a beaucoup de poste où, auprès des enfants, il y a une véritable pénurie et une difficulté à trouver du personnel. D/ Dirigeant d’entreprise : Quand Borloo parle de 500 000 emplois, il n'a pas réalisé que les 500 000 on les a pas. On a des gens qui ne présente pas du tout, qui n'ont aucune compétence dans le domaines. On a des tests de mise en situation avec une vingtaine de questions pour voir les réactions à certaines situations. Déjà là, le casier judiciaire est loin d'être vierge, la prise de contact auprès des anciens employeurs n'est pas bonne, les réponses aux tests et puis le test repassage. Et puis ici se présente des gens qui disent gagner autant aux assedic. Ce qui me gêne c'est qu’ils disent "gagner". Après il y a ceux qui ne veulent pas trop d'heures pour ne pas perdre leurs APL… Attendez, on ne peut pas entrer dans cette mécanique là. J'ai besoin de gens motivés, qui ont envies de s'en sortir, qui soient disponibles. E/ Dirigeant d’entreprise (mandataire) : Comme je ne suis pas cher du tout pour les femmes de ménages, je me suis retrouvé avec trop de demande d'où un recrutement spécifique de femmes de ménage. C'est une véritable catastrophe, j'ai beaucoup de mal à recruter. J'ai était DRH pendant plus de 15 ans c'était plus facile d'embaucher un directeur financier qu'une femme de ménage. Déjà en entreprise, encore plus chez les particuliers. D’un point de vue statistique, les EM et les AD sont les deux PCS où le souhait d’un autre emploi est le plus élevé : 17% pour les EM et 16% pour les AD contre moins de 10% en moyenne pour les PCS employé et ouvrier. Les serveurs (17 %), les agents de sécurité et les ouvriers non qualifiés des industries de process (18%) les accompagnent mais pour des salariés beaucoup plus jeunes en moyenne. Les métiers des services aux particuliers (qui comprennent les EM et AD mais également les employés de l’hôtellerie ‐ restauration ou des services esthétiques par exemple) demeurent très largement rejetés par les personnes qui les occupent. Ainsi seules 8% d’entre elles se déclarent heureuses que leurs enfants s’engagent dans la même activité, ce qui est bien inférieur à la situation rencontrée pour les autres emplois non qualifiés. Leur réponse se situe derrière celle des ouvriers non qualifiés et loin derrière les ouvriers qualifiés de l’industrie (près de 20% de réponses positives) (Baudelot, Gollac, 2003, p.134) et sont indépendantes de la pénibilité effective. C’est ainsi le seul cas où ce ne sont pas les conditions de travail ou de rémunération qui sont l’objet du rejet mais la perception 117 sociale du métier lui‐même. En d’autres termes, l’argument est ici purement subjectif et n’emprunte pas la dénonciation des modalités objectives du travail12. Le rejet de la dimension symbolique du travail ménager est également présent dans de nombreux entretiens : « J’aurai jamais fait ça au début de carrière. Si j’ai fait de la vente c’est parce que j’aime bien bouger, j’aime bien parler, j’aime bien faire des choses. Là je me suis rabattue sur ça parce que c’était la seule chose qui était gérable par rapport à ma vie de famille. Mais c’est pas du tout le métier dont je rêvais. Même Marion (sa fille) elle m’a dit : ‘dis Maman, tu crois que plus tard, je ferai comme toi, ton métier ?’ Je lui ai répondu ah ben non, si tu travailles à l’école si t’as des diplômes tu feras autre chose. C’est vrai qu’il y en a qui finissent quand même par le tenir le balai mais bon… je lui ai dit ‘Marion, vraiment je ne te le souhaite pas’. J’ai eu un Bac G3. Maintenant j’ai un bac à eau chaude, un bac à eau froide ! Et Marion elle ne veut pas faire ce que je fais ! Mais bon vous m’étonnez, quand elle me voit arriver, surtout là ça va, mais c’est le vendredi soir quand je rentre, des fois je m’assois là dans le canapé et il faut qu’on m’aide pour me relever. J’y arrive pas. Dur. Dur dur. Et puis j’ai plus de patience. Alors Marion … la fois dernière fois elle me l’a dit ‘Maman, j’espère que je ne ferai pas comme toi’. Alors je lui ai dit non ma fille, tu ne feras comme moi. » (Salariée en emploi direct). La même idée se retrouve très présente dans les travaux de Tania Angeloff (2000, p.177‐180) qui parle de « soumission », de « déclassement », de « non personne » à propos des salariés de l’entretien. La perception d’un déclassement est en effet présente dans certains entretiens : « J’ai fait des études en secrétariat. J’ai eu un BEP et mon CAP en secrétariat. J’ai le niveau bac. J’ai travaillé en secrétariat pendant un petit moment. Des CDD, Des périodes d’essai, des CDD. Il y a une entreprise, où je croyais que j’allais entrer définitivement, l’entreprise a pris une autre, quoi, je n’ai pas été prise. Et puis après j’ai eu un enfant. Déjà avant c’était dur alors après… après plus rien. Et après de fils en aiguille, … des gens parlaient que je recherchais des ménages. J’ai commencé comme ça. De la main à la main comme on dit. » (Salariée en entreprise). L’acceptation de ce « déclassement » (ou de l’impossibilité de prétendre à un autre emploi) peut même parfois être considéré comme nécessaire par certains chefs d’entreprise pour les emplois les plus dévalorisés (ménage simple auprès des actifs). Ainsi le « profil » recherché est celui de salariées ayant « souvent un passage difficile. Qui ont passé 15­20 ans dans un domaine (souvent textile) et la boite a soit 12
Baudelot et Gollac illustrent également cette particularité des « femmes de ménage » qui ont souvent inversé le sens de la question « vous arrive‐t‐il parfois d’éprouver dans votre travail l’impression que ce que vous faites n’importe qui pourrait le faire ? », si pour les autres professions, une réponse positive est perçue comme dévalorisante (négation d’une qualification), pour les femmes de ménage elle peut être considérée comme un signe positif de « normalité » de la profession et du refus de son caractère dévalorisant (Baudelot, Gollac, 2003, p.83‐84). 118 fermée soit délocalisée et les gens sont passés par un an 2 ans de galères à accuser le coup. Les personnes s'en prennent plein la tête pendant deux ans, elles manquent de confiance en elles » (dirigeant d’entreprise). A l’inverse, la fragilité des salariées semble incompatible avec les tâches les plus relationnelles : « On est sorti de notre coté purement social et c'est ce qui nous différencie de la concurrence qui apparemment n'a pas pu prendre ce créneau là assez vite. Nous par exemple, le rôle d'insertion c'est fini. On ne peut plus. On ne peut carrément plus. On l'a fait à un moment donné mais on s'est rendu compte qu'on ne pouvait pas faire du social des deux cotés. On ne peut pas faire prendre en charge des personnes qui ont des problèmes par des personnes qui ont des problèmes. Là on échoue. C'est sur. Même pour le ménage simple on hésite de plus en plus » (Employeur associatif). La différence fondamentale entre les employées de maison et les aides à domicile est à nouveau visible sur ce plan. De même le manque de reconnaissance peut s’apprécier au regard du sentiment de ne pas avoir bénéficié d’une formation suffisante ou adaptée. Selon l’enquête SUMER 2003, prés d’un tiers des AD sont dans cette situation contre moins de 20% de l’ensemble des salariés. Enfin, le manque de reconnaissance des métiers des SP peut être indirectement illustré par l’importance des salariés étrangers ou d’origine étrangère (voir tableau 4) Tableau 4. Nationalité et origine Professions Agents d’entretiens de la fonction publique Agents de services de santé (aide‐soignant, etc) Employés d’étage
Assistantes maternelles Aides à domicile
Employés de Maison Nettoyeurs Employés des services aux particuliers Employés Nationalité Mère française Française
* 96 %
86 %
84 %
99 %
92 %
90 %
81%
95%
58%
86%
55%
84%
93%
80%
82%
77%
65%
63%
78%
62%
61%
89%
76%
75%
95%
85%
83%
Source : Enquête Emploi 2005 Père Français* 119 (*) Le taux de réponse étant ici faible (environ 50%), ces résultats doivent être pris avec précaution. Conformément à toutes les études qualitatives menées sur ces emplois, les travailleurs étrangers sont sur représentés et bien plus que d’autres métiers a priori assez proches (tableau ci‐dessus). Si les métiers liés à la fonction publique sont peu concernés pour des raisons juridiques, les métiers du nettoyage dans le secteur privé emploient de nombreux salariés étrangers. Le maximum est atteint pour les employés de maison (environ ¼). Ces résultats ne concernent que la nationalité et non l’origine. La nationalité des parents peut enrichir le constat. Les salariés d’origine étrangère semblent ainsi beaucoup plus nombreux. Les nationalités les plus représentées sont originaires du Maghreb, d’Afrique et d’Europe du Sud. Les effectifs doivent inviter à la prudence néanmoins il ressort de l’analyse que les salariées originaires du Maghreb et d’Afrique sont beaucoup plus présents dans les emplois de nettoyeurs (16%) tandis que les portugaises représentent près de 12% des employées de maison. Il est important de noter que les emplois liés à l’entretien (employée de maison, nettoyeur, aide à domicile et femme de chambre) constituent un débouché considérable pour les actives n’ayant pas la nationalité française : ces métiers regroupent 40% des Marocaines, Algériennes et Tunisiennes, 50% des Africaines et 45,5% des Portugaises (dont 32% comme employée de maison). 3. LES DIFFERENTS TYPES D’EMPLOYEURS OFFRENT‐ILS DES EMPLOIS DE QUALITES DIFFERENTES ? Les emplois d’AD et plus encore d’EM apparaissent ainsi très dégradés sur tous les plans y compris par rapport aux autres emplois considérés comme non qualifiés. Pour autant ce portait, qui s’appuie sur des estimations statistiques et sur des monographies, cache une relative diversité des situations concrètes. Le secteur des SP reste majoritairement organisé sous la forme d’emplois directs auprès des particuliers mais la présence d’associations, de CCAS et, plus récemment, d’entreprises privées offrent une grande diversité de modalités d’emplois. La dynamique différenciée de cette offre et les évolutions législatives récentes (voir chapitre 1) nous invite à interroger plus finement la richesse des pratiques selon les statuts de l’emploi. Ces différentes catégories d’employeurs13 ont‐elles (en matière de rémunération, de sécurité de l’emploi, de conditions de travail ou au niveau de la reconnaissance des individus qu’elles permettent) des pratiques réellement divergentes ? Ou au contraire, la nature des tâches et le « poids du domicile » débouchent‐ils sur un alignement des situations salariales ? Pour tenter de répondre à cette question, nous nous appuierons d’une part sur les entretiens que nous avons menés auprès d’employeurs et de salariés relevant de chacune des principales modalités 13
La diversité entre catégories d’employeurs (particuliers, associations, entreprises, CCAS) cache également une grande diversité à l’intérieur de ces catégories : les structures d’une dizaine de salariés côtoient des organisations employant plusieurs centaines d’intervenantes, certaines structures sont spécialisées dans un type spécifique de services ou de bénéficiaires du service tandis que d’autres s’adressent à différents types de clients ou usagers, les modes d’organisations du travail et de la relation d’emploi sont également variées (voir chapitre 6). Enfin, l’existence d’emplois mandataires et d’emplois prestataires constituent une variable fondamentale, notamment au sein des associations où ces deux formules coexistent souvent (voir infra). 120 d’emplois et d’autre part sur les données statistiques issues de l’enquête emploi. Celle‐ci accorde une part probablement majorée aux structures prestataires mais elle permet de comparer les différentes formes d’emplois avec un échantillon relativement conséquent pour chacune d’entre elles (voir tableau 5). Tableau 5. Distribution des salariés selon le type d’employeur Type Particulier CCAS et Associations
d’employeur collectivités locales Fréquence 2764 347
932
Pourcentage 64% 8%
21%
Source Enquête Emploi, 2005 Entreprises 296
7%
Il s’agit donc de comparer les principales modalités d’emplois en revenant sur les quatre axes constitutifs de la qualité tels que nous les avons définis précédemment. Chaque fois nous tenterons également de souligner les « bonnes pratiques » que nous avons pu observer. 3.1 RÉMUNÉRATIONS Le salaire horaire reste bas quel que soit le type d’employeur. Les tarifs pratiqués qu’ils soient libres dans le cas du ménage à domicile ou liés aux montants de prises en charge lorsque l’aide à domicile intervient dans le cadre de l’APA par exemple (voir chapitre 2), ne permettent pas une augmentation conséquente des niveaux de rémunérations. En termes de rémunération horaire, l’avantage à court terme semble aller au particulier employeur. L’absence de charge de structures permet aux salariés en gré à gré d’obtenir des salaires sensiblement plus élevés tout en garantissant des tarifs plus bas aux clients/employeurs : « c’est Fernanda qui a fixé son tarif (9€20de l’heure). Il n’y a pas eu de négociation. C’était son prix. (…) avec une association je pense que ce serait plus cher » (Particulier employeur). Ainsi Brigitte Croff constate que, au moins à court terme, l’emploi direct apparaît comme un moindre mal face à des organismes prestataires incapables d’apporter une plus‐value attractive pour fidéliser les salariés (Croff, 2007, p. 5). Il convient cependant de souligner que dans ce cadre les indemnités de congés payés sont intégrées au salaire contrairement aux salariés des structures prestataires. La différence en est atténuée d’autant. Selon les données de l’enquête emploi (voir tableau ci‐dessous), l’écart disparaît quasi totalement (8 ,23€ – 10% = 7,41€, soit à peine plus que les rémunérations observées dans les structures prestataires). Pour autant le salaire horaire ‘apparent’ reste supérieur or c’est celui‐ci qui est souvent perçu comme déterminant à court terme. Plus encore, l’emploi direct offre des salaires horaires beaucoup plus dispersés que les emplois en entreprises ou associations. Le constat de Brigitte Croff ne s’applique ainsi qu’à une partie des employées qui peuvent effectivement bénéficier d’un salaire moins faible grâce à un réseau d’employeurs plutôt « généreux ». Ce dualisme et cette dispersion des rémunérations horaires dans le secteur des SP sont soulignés par les travaux de Bridget Anderson (2000) en France et en Europe. Ses travaux sur Athènes, Barcelone et Rome insistent également sur la dimension ethnique de la hiérarchie de salaires. Aucune étude ne permet à notre connaissance de confirmer cet élément 121 dans le cas français, mais la surreprésentation des portugaises dans le gré à gré et des autres immigrées dans les structures prestataires peut cependant aller en ce sens. Parallèlement, l’emploi direct comme les situations où les associations ne sont que mandataires, ne permettent pas de politiques de gestion des ressources humaines sur le plus long terme et rend donc difficile une réelle politique salariale. Cette situation est illustrée par les propos d’un employeur associatif : « Problème pour valoriser le DEAVS. On voudrait être plus interventionniste pour les personnes qualifiées mais la situation est complexe car nous ne sommes pas employeur. Nous intervenons à la marge. (…). [on mène] une réflexion sur des systèmes de prime pour les diplômés et celles qui affrontent des situations difficiles (fin de vie). Mais pour les primes il faut négocier avec chaque employeur. Elles n’ont pas de mutuelles, pas de médecine du travail. Il n’y a pas d’association ni de syndicats d’intervenants. » (Employeur associatif). Plus encore, la durée du travail est au contraire sensiblement plus longue pour les salariés des associations, des entreprises ou des CCAS, si bien que les revenus mensuels sont clairement à l’avantage de ces derniers (voir tableau ci‐dessous). Tableau 6. Niveaux de salaire selon le type d’employeur Salaire horaire Volume horaire Salaire mensuel Nombre en € hebdomadaire déclaré en € correspondant déclaré Particulier employeur 8.23 21.24
568
69
CCAS 8.06 30 855
106
Associations 7.25 24.5 704
97
Entreprises 7.02 26.5 731
104
au d’heures salaire Source : Enquête emploi 2005 Les différences sont également marquées en termes de formation. Si la FEPEM communique abondamment auprès des particuliers sur la nécessité de former les salariés, les résultats sont minces et les montants alloués à la formation rarement dépensés intégralement. La difficulté de remplacer une salariée absente, la faiblesse du sentiment d’’être employeur’ rendent les formations des salariés des particuliers employeurs très rares. Statistiquement, moins de 2,5% des employées de maison et aides à domicile en emploi direct ont suivi une formation au cours des trois derniers mois. Dans les entreprises l’attitude vis‐à‐vis de la formation est également ambigue : leur intérêt est souvent repéré mais leur application fréquemment repoussée tandis que celles réellement mises en places sont rarement diplômantes. Dans l’enquête emploi, les pratiques des entreprises en matière de formation 122 sont à peine supérieures à celles des particuliers. A l’inverse, les associations et les CCAS sont davantage engagés en la matière, principalement lorsqu’ils agissent en tant que prestataires (en opposition avec le mandataire où, comme pour les rémunérations, l’obligation de négocier avec chaque employeur limite drastiquement les possibilités de développement de la formation). C’est notamment le cas des associations conventionnées et autorisées (loi 2002, voir chapitres 5 et 6) qui ont des obligations en matière de nombre de DEAVS : « on exige un certain nombre de personnes qualifiées. Paris exige 25% de DEAVS. » (Régulateur). De même les associations développant des dispositifs d’insertion s’engagent plus fortement dans la formation : « Il faut deux ans pour qu'elle en arrive là. On a en sortie deux en école d'aide soignante. Attendez, on ne va pas les garder. C'est essentiel pour moi qu'on ne les garde pas. Elles sont repérées par le PLI ou l'ANPE ou des associations qui s'occupent de personnes en difficulté. On a un service qui s'occupe du suivi des personnes. Il y a un suivi : on les accompagne, on les présente et on va les voir sur les lieux de travail. On leur passe des fiches techniques. Puis un test repassage. Au bout de 6 mois on fait le point, on revoit les référents PLI ou ANPE. On reprend 6 mois et on évalue. On commence alors à mettre en place un parcours professionnalisation. Certaines ne savent ni lire ni écrire. Entretien annuel, on repère les difficultés. On met en place un dispositif pour voir quelle formation peut convenir. On met en place un partenariat avec l'ANPE. (…) Objectif : une assistante sociale, deux aides soignantes. C'est des gens auquel on ne pense pas, elles ont des compétenceS. Des gens qui ont le bac, qu'est­ce qui foutent à faire le ménage. Je m'excuse mais elles ont mieux à faire dans la vie. Une troisième peut­
être aide soignante, une 4éme DEAVS, une assistante de gestion, sur 23 personnes. Entre deux il y a des aléas… » (Employeur associatif). La mise en place du CAFAD puis du DEAVS semble avoir constitué une réelle avancée dans ce domaine. D’autres formations sont également développées principalement au sein des associations pour permettre une mobilité professionnelle vers les métiers d’aides soignantes, de puéricultrices voire d’infirmières. Dans les plus grosses structures, bien que n’ayant pas de vocation à jouer un rôle d’insertion explicite, le niveau de formation est également non négligeable et des embryons de marchés internes apparaissent grâce à la distinction entre les trois niveaux A, B et C de qualifications reconnus par la Convention Collective de l’aide à domicile. Tableau 7. Formation selon le type d’employeur Pourcentage de salariés ayant suivi une formation depuis 3 mois Particulier employeur 2 %
CCAS 6 %
Association 7 %
Entreprise 2,5 %
Total 3,5 %
Source : Enquête emploi 2005 123 Cette évolution positive est limitée par le coût qu’implique la reconnaissance des niveaux de qualifications plus élevés. Les ressources n’ayant que rarement suivi la croissance des coûts salariaux, certains employeurs associatifs sont confrontés à de réelles difficultés lorsqu’une part trop importante des salariés accède au DEAVS par exemple. Plus explicitement certains employeurs privés refusent d’embaucher des salariés titulaires de diplômes reconnus impliquant des surcoûts salariaux : « il y a toujours le problème du coût : les personnes trop diplômées vont être exigeantes sur le prix, donc coûter trop cher, pas forcément être adaptées. C’est le problème des DEAVS qui ne trouvent plus d’emplois parce qu’elles ne veulent plus prendre un balai, ce que je comprends ». (Employeur entreprise). Par ailleurs, ces mobilités ascendantes demeurent extrêmement rares. De plus l’organisation des temps de travail, la fatigue des salariées, l’âge moyen sont autant de freins concrets à l’engagement dans des formations diplômantes (réservées aux prestataires et desquelles sont exclues les mandataires). Ainsi l’amélioration des rémunérations pour les salariés se heurtent à la faiblesse des prix payés par les usagers / clients. La problématique est alors sensiblement différente entre les employées de maison et les aides à domicile. Dans le premier cas, c’est le faible consentement à payer pour des tâches où l’autoproduction est toujours possible qui limite considérablement les possibilités de changement. Dans ce cadre, seules des mesures de solvabilisation massive de la demande pourraient éventuellement créer des marges de manœuvre. Mais le coût de telles mesures et leur faible légitimité sociale rendent ce type de solutions très discutables. Dans le cas de l’aide à domicile auprès des personnes âgées la revalorisation des salaires renvoie à une augmentation de la prise en charge publique des interventions (via la croissance des tarifs réglementés par exemple). En l’absence de croissance des dépenses publiques, l’arbitrage entre salaire des intervenantes et durées des prestations auprès des personnes âgées est inévitable et se produit déjà (voir chapitre 2). Le risque que la revalorisation des salaires se traduise par un morcellement et une réduction des périodes d’intervention est loin d’être négligeable. La qualité du service comme la qualité des conditions de travail s’en trouvent ainsi dégradées. 3.2. SÉCURITÉ DE L’EMPLOI Sur le plan de la sécurité de l’emploi il apparaît, de manière plutôt surprenante, que l’emploi direct permet parfois une plus grande stabilité des relations d’emploi qu’au sein du secteur associatif. Pour autant cette stabilité apparente est probablement rendue possible par la sélection d’une population spécifique (plus âgée, plus demandeuse d’horaires courts). Nous pouvons effectivement faire l’hypothèse que les salariées embauchées directement par des particuliers sont aussi celles qui bénéficient des réseaux sociaux les plus développés et qu’elles arrivent ainsi à stabiliser leur « portefeuille d’employeurs ». En effet, nous avons pu rencontrer, au cours de nos entretiens des situations où des salariées quittaient leur entreprise ou associations prestataires pour conserver « leurs clients » en emploi direct via des chèques emploi services par exemple. Les employeurs privés sont également conscients de ce risque est tentent de s’en prémunir par des clauses contractuelles et des menaces de poursuite en cas de « détournements de clientèle ». Cette situation est cependant 124 propre aux employées de maison et aux activités de ‘ménage simple’, elle est bien moins courante en matière d’aide à domicile auprès des publics plus fragiles. Tableau 8. Ancienneté selon le type d’employeur Ancienneté de moins De 1 à 5 ans
d’un an Particulier employeur
15 % 34 %
CCAS 12 % 27 %
Association 17 % 41 %
Entreprises 21 % 29 %
Total 16 % 35 % Source : Enquête emploi 2005 De 5 à 10 19 % 14 % 15 % 18 % 18 % Plus de 10 ans
32 % 47 % 26 % 32 % 32 % Il est cependant très clair que, au moins chez les employées de maison, la question de travailler de manière indépendante ou via une structure prestataire fait l’objet d’un arbitrage raisonné. Par ailleurs les salariées cumulent fréquemment les deux statuts (le plus souvent via des formules de mandatements mais également parfois en emploi direct) : selon l’enquête emploi 2005 prés de 15% des salariées d’associations ou d’entreprises ont au moins deux employeurs (la situation de multi employeurs concerne plus de 52% des salariées en emploi direct). Les situations d’emplois mandataires ont cependant des conséquences ambivalentes : si elles tendent parfois à accroître le nombre d’employeurs en venant compléter les heures effectuées sous statut prestataire, elles peuvent également réduire le nombre de lieu d’intervention lorsque les heures mandataires viennent (grâce à leur moindre coût) compléter les heures prestataires chez le même usager/employeur (notamment lorsque les heures de gardes nécessaires auprès d’une personne malade sont nombreuses). L’insécurité de l’emploi ne provient plus alors de la multiplicité des employeurs mais du risque de période d’inactivité en cas de décès d’un employeur principal. La distinction entre les emplois « prestataires » (où l’aléa est supporté en grande partie par la structure associative) et les emplois mandataires (où l’intervenante supporte la totalité du risque) est une fois de plus déterminante. Au final, seuls les CCAS se distinguent réellement en matière de sécurité de l’emploi. En effet, le fait d’avoir plusieurs employeurs est sensiblement moins fréquent pour les salariées des CCAS (environ 9% ont deux employeurs) et surtout ces dernières bénéficient d’une ancienneté bien supérieure. Certes les pratiques de gestion des ressources humaines sont assez disparates d’une commune à l’autre et notamment sur le plan du recours aux vacataires. Néanmoins, même lorsque la flexibilité demandée aux salariées est élevée, la stabilité de l’emploi demeure sensiblement meilleure. 3.3. CONDITIONS DE TRAVAIL Les différents types d’employeurs offrent‐ils des conditions de travail sensiblement différentes ? Ou pour le dire autrement et faire échos à de nombreux discours, les associations et / ou les entreprises permettent‐elles de « professionnaliser » le secteur et d’améliorer les conditions de travail ? Le premier apport attendu des structures prestataires est une meilleure organisation du travail et notamment la création de temps collectifs. Là encore la situation est assez contrastée. Les employeurs insistent sur leur rôle d'intermédiaire et leur devoir de protection des salariés. L'accompagnement des 125 salariés au sein des associations se traduit parfois concrètement (temps de parole, existence d'un encadrement intermédiaire se déplaçant au domicile des particuliers, etc). Il en va plus rarement de même dans les entreprises : les temps collectifs sont inexistants (voire explicitement rejetés : « Pas de rassemblement. Je suis pour qu’elles soient séparées. C’est l’expérience qui parle avec tout ce qui est syndicat, comité d’entreprise et tout. Plus les gens sont séparés, moins ils parlent, moins ils critiquent le patron ou l’encadrement. Je continue à faire en sorte qu’elles soient éclatées et le moins possible ensemble » (Employeur entreprise) De même le déplacement aux domiciles des clients se limite à la première visite qui relève davantage d'un travail commercial. De même le discours relatif à la protection des salariées est réel (les abus des clients étant largement perçus) mais relève souvent d'une vision très paternaliste et s'accompagne du constat de la faiblesse des salariées, de leur faible niveau de compréhension de la langue ou de l'absence de demande de leur part. Enfin, il convient de souligner que les cas concrets de médiation concernent le plus souvent des situations qui n'existeraient pas dans le gré à gré (notamment non déclaré) : typiquement il s'agit de contrer des "arnaques" à l'assurance en accusant la femme de ménage de casse au domicile. Le rôle de médiateur des structures prestataires (associations ou entreprises) est donc réel mais demeure limité. D’autant plus qu’il s’accompagne parfois, particulièrement dans le cas des entreprises, de la perte de ressources pour les intervenantes. En effet, la médiation réduit la personnalisation de la relation d’emploi or si celle‐ci implique souvent un engagement plus fort et une disponibilité accrue de la part de la salariée, elle peut aussi souvent constituer une ressource pour éviter que l’employeur / client / usager ne profite de sa position favorable (voir infra également). Enfin, sur le plan de l’organisation des temps de travail, il semble que les salariées en emploi direct subissent moins de contraintes et disposent d’une plus grande capacité à organiser leurs horaires en fonction de leurs contraintes. Le travail en horaires atypiques et les horaires variables sont ainsi sensiblement moins fréquents. La surreprésentation des aides à domicile (par rapport aux employées de maison) dans les structures prestataires expliquent néanmoins largement cette différence. La volonté de mieux maîtriser ses horaires peut cependant jouer un rôle dans l’arbitrage entre emploi direct et prestataires. Le développement de formes de « télégestion » (contrôle des temps de présences aux domiciles des clients via le téléphone) va ainsi dans le sens d’un renforcement du contrôle des salariées par les structures prestataires et renforce les différences par rapport au travail ‘indépendant’ (voir encadré ci‐dessous). Encadré 7. Une plus grande liberté apparente en emploi direct par rapport à un emploi prestataire en association ? Il y a une meilleure liberté, il y a un meilleur contact avec les clients. On s’arrange nettement mieux avec le client. Il n’y a plus la course pour aller déposer les feuilles pour être payée des trucs comme ça. S’il y a une absence, c’est vrai qu’il faut la justifier mais avec l’association c’était devenu du n’importe quoi, il fallait tout de suite un certificat médical, machin. Non là, je suis un peu mon chef si on peut dire et puis avec les clients ça se passe bien. Et vous avez le même nombre d’heures ? Vous travaillez pareil ? 126 Oui en fin de compte c’est les clients d’AED que j’ai récupéré. Quand j’ai quitté, ils ont quitté la boîte avec. Les clients ils m’ont rappelé, je leur ai dit eh ben voilà. Et ils m’ont reprise. Il n’y a que deux clients que j’ai perdu qui sont restés dans la boîte mais maintenant il y en a une malheureusement elle est décédée donc je l’aurai perdue aussi. Par exemple pour Laurent, il fallait que je sois là tous les après midi. Bon ben avec l’association il fallait que je gère, c’était compliqué. Maintenant je me suis organisée avec mes clients j’arrive à être là tous les après midi. (Salariée en emploi direct). Cette « liberté » demeure cependant toujours partielle et se gagne au prix souvent d’une réduction du temps de travail rémunéré ainsi que d’une simplification du travail effectuée (les tâches les plus sociales ou sanitaires étant délaissées au profit d’un travail plus largement ménager). Tableau 9. Horaires de travail Horaire fixe
Particulier employeur
81 %
CCAS Association Entreprises Total Source : Enquête emploi 2005 68 %
63 %
76 %
76 %
Ne travaille Ne travaille Ne travaille jamais le jamais le samedi jamais le soir dimanche 82 %
61 %
90 % 66 %
67 %
66 %
76 %
42 %
44 %
41 %
54 %
84 % 88 % 79 % 88 % 3.4. RECONNAISSANCE Les différents types d’employeurs se distinguent assez fortement sur cette question tant au niveau de la dimension juridique que de la dimension symbolique de la reconnaissance. Les politiques de recrutements modifient également le profil des salariées. Dimension juridique Nous avons pu insister sur la faiblesse des droits accordés aux salariés en emploi direct : le Chèque Emploi Service puis le CESU constituent certes des contrats de travail à durée indéterminée mais ils n’offrent que peu de garanties aux salariés. L’absence de collègues et toute forme de structure collective placent les salariées dans une situation d’isolement et ne permet aucune expression syndicale ou de représentation du personnel. Plus encore, le lieu de l’activité (le domicile de l’employeur) ne permet pas l’intervention de l’inspection du travail. Face à cette situation très particulière, la position des salariées des structures prestataires est sensiblement meilleure. Les plus grosses structures disposent de représentants du personnel et de la présence de délégués syndicaux. Les salariées bénéficient d’un encadrement intermédiaire qui peut limiter l’isolement. Les rémunérations sont parfois lissées et les congés payés peuvent être pris. Dimension symbolique de la relation 127 L’intervention des associations et des entreprises est assez marquante: elle doit permettre d’améliorer la reconnaissance des salariés en limitant la dépendance personnelle vis‐à‐vis de l’employeur et donc éloigner ces métiers du modèle de domesticité. En effet la différence entre entreprises et emploi direct est plus marquée. Les entreprises apportent tout d’abord une protection à leurs salariés contre les abus les plus manifestes de la part des clients. De même l’intervention des entreprises repose sur une évaluation préalable de la charge de travail et un contrôle de l’évolution de celle‐ci. L’intérêt de l’entreprise converge ici avec celui des salariés pour éviter d’accepter des surcharges de travail non payées. La concurrence croissante et la nécessité de « faire du volume »14 peuvent certes affaiblir ce rôle d’arbitre de l’entreprise mais jamais le faire disparaître. Les salariées rencontrées ayant travaillé auparavant en gré à gré étaient sensibles à cette possibilité de recourir à un arbitrage en cas de conflits avec les clients. La relation est ainsi bien moins personnalisée même si le contact entre la salariée et « ses » clients reste prégnant. La médiation de l’entreprise joue ici un de ses rôles les plus fondamentaux. Anderson (2001) insistait sur l’ambivalence du recours à une employée de maison: le client achète de la force de travail anonyme mais également une part de la personne employée elle‐
même. Si les emplois hébergés (live in) sont emblématiques d’une relation très personnalisée, le recours à une entreprise fait clairement pencher la balance de l’autre côté : les contacts avec les clients sont réduits au maximum tant à la demande des clients eux‐mêmes (qui recourent à une entreprise justement pour cette raison) qu’à celle de l’entreprise qui cherche à s’imposer comme interlocuteur (et se protégent ainsi du risque lié à la rotation de son personnel). Le développement des entreprises modifie en partie la reconnaissance symbolique du métier de femme de ménage en insistant sur la validation d’un savoir‐faire, d’une expertise spécifique (Meagher, 2003). Mais parallèlement les entreprises tentent le plus souvent de « confisquer » cette expertise en imposant leurs propres dispositifs (cahier des charges rédigés par un responsable qualité par exemple) aux dépends du savoir faire personnel de l’employée. Ainsi sur ce plan le passage de l’emploi direct à l’emploi salarié en entreprise joue un rôle central mais ambivalent : avec la dépersonnalisation partielle de la relation, la salariée sort d’une position dépendante vis‐à‐vis des clients mais perd également un moyen de pression (Bernardo, 2003, Romero 2002). La dépersonnalisation de la relation met aussi les salariées en position d’être interchangeables facilement. Elles perdent ainsi une reconnaissance de leurs compétences personnelles, de leur sérieux ou de la confiance qui pouvait s’instaurer entre elles et les clients (Mendez, 1998). Par ailleurs, dans le gré‐à‐gré certains auteurs (Bernardo, 2003, Kaufmann, 1996) montrent que les employeurs pouvaient rendre de menus services comme de l’aide aux devoirs aux enfants de leur salariée ce qui n’est plus le cas si c’est au nom d’une entreprise qu’elle intervient au domicile. Enfin, la contrepartie de cette dépersonnalisation serait une reconnaissance de leurs droits de salariées. On observerait alors un mouvement proche de celui qui s’est produit dans l’industrie entre paternalisme et fordisme. Mais sur ce point, les salariées n’y ont guère gagné, l’inspection du travail n’étant toujours pas autorisée à entrer au domicile des particuliers, et les temps collectifs étant très faibles voire la plupart du temps inexistants, la reconnaissance de droits au travail tarde à s’implanter comme contrepartie de la dépersonnalisation. Les nouveaux employeurs que sont les dirigeants d’entreprises adoptent eux‐mêmes souvent une politique très 14
Les marges dégagées par les entreprises sur chaque heure de ménage sont assez faibles. Nos calculs les évaluent au maximum à 4 ‐ 5 € et certains employeurs les estiment même inférieures à 2€. 128 paternaliste (Mendez, 1998) et il faut alors compter sur des engagements personnels et spécifiques des chefs d’entreprises pour observer des améliorations sensibles de la qualité des emplois. Enfin, la différence fondamentale en matière de reconnaissance symbolique tient plus à la perception des tâches à réaliser qu’au statut juridique de l’employeur. En effet la situation des aides à domiciles se considérant comme faisant partie du secteur sanitaire et social est bien plus valorisée que celle des employées de maison cantonnées à des tâches ménagères sans contenu relationnel fort. A ce titre, les CCAS offrent un cadre d’emploi particulièrement intéressant : l’emploi s’intègre pleinement dans la politique sociale de la commune et la dimension relationnelle d’aide à la personne est réellement mise en exergue. Profil des salariées La présence des entreprises et des associations est enfin présentée comme pouvant permettre de diversifier les profils des salariés. En effet, si les moins de trente ans demeurent rares elles sont néanmoins plus fréquentes que dans le cadre de l’emploi direct (moyenne d’age de 48 ans contre 42 ans chez les prestataires). Tableau 10. Age et type d’employeur 15‐29 ans
Particulier employeur
7 %
CCAS 9 %
Association 11 %
Entreprises 19 %
Total 9 %
Source: Enquête emploi 2005 30‐39 ans
17 %
18 %
21 %
21 %
18 %
40‐49
33 %
33 %
36 %
36 %
34 %
50‐59 37 % 36 % 28 % 21 % 34 % 60 et + 7 % 4 % 3 % 3 % 6 % Le désir de recruter des hommes est également souvent affiché et certaines entreprises ont tenté des expériences … souvent considérées comme des échecs. Une entreprise parmi les plus importantes sur le secteur étudié (et implantée nationalement) tente cependant de communiquer sur ce thème tandis qu’une structure de plus petite taille a pu embaucher un homme et « l’imposer », malgré des réticences, à ses clients en insistant sur les avantages d’un employé polyvalent (ménage – jardinage). Cette diversification se retrouve également au niveau de l’origine nationale des salariées. En emploi direct, les salariées sont ainsi moins souvent de nationalité française (76% contre 81% pour les employés de maison recensés dans l’enquête emploi) mais surtout les nationalités présentes sont très différentes : africaines et marocaines dans les entreprises et associations (16% contre 4% dans le gré à gré), portugaise dans le gré à gré (14% dans l’emploi direct contre 3% en prestataire). Les entreprises (et les associations) permettent ainsi à certaines salariées de contourner les réticences et les préjugés des clients ; la garantie d’une entreprise semblant davantage nécessaire pour certaines populations victimes de discriminations (cf. également Anderson, 2000, Rafkin, 1998). Ces différents éléments (droits juridiques reconnaissance symbolique, diversification des profils) se conjuguent pour atténuer le rejet dont font l’objet ces métiers. Le souhait de changer d’emploi est cependant à peine plus faible au sein des associations ou des entreprises que pour les salariés du particulier employeur. A l’inverse, les salariées des CCAS semblent plus satisfaites de leur emploi mais les situations au sein des CCAS sont également bien plus diverses et le meilleur y côtoie des pratiques 129 bien plus mauvaises. Il y a ici probablement un effet ‘moyennisant’ que le nombre de monographies réalisées au sein de ce type de structure ne nous permet pas de vérifier. Tableau 11. Souhait d’un autre emploi selon le type d’employeur Souhait de changer d’emploi
Particulier employeur
17 %
CCAS 11 %
Association 16 %
Entreprises 16 %
Total 16 %
Source : Enquête emploi 2005 CONCLUSION La qualité de l’emploi dans le secteur des services à la personne apparaît ainsi réellement très mauvaise, y compris en comparaison avec d’autres emplois considérés comme peu ou non qualifiés. Nous ne disposons cependant pas d’analyse dynamique permettant de conclure à une amélioration ou non de la situation. Le ‘blanchiment’ d’une large part du travail au noir (Iraci, 2003) est ainsi probablement un progrès. Mais le maintien de la prépondérance de l’emploi direct constitue au contraire un frein à l’amélioration durable de la qualité des emplois créés. Plus encore, les politiques publiques, en demeurant axées sur la solvabilisation de la demande sous forme de déductions fiscales, ne favorisent pas les segments les meilleurs du secteur en termes de qualité d’emploi (mais jouent au contraire la carte quantitative, comme en témoigne largement la communication faite autour du Plan Borloo). Toutes les formes d’emplois ne sont ainsi pas équivalentes. Deux facteurs importants se dégagent de l’analyse. Il s’agit d’abord du statut de l’employeur : certes aucune d’entre elles n’offrent des situations d’emplois parfaites et les différentes modalités d’emplois peuvent, pour certains profils de salariés, apparaître comme de « moins mauvaises » solutions. Ainsi l’emploi direct peut présenter des aspects positifs en termes de rémunérations immédiates ou de liberté horaire pour les salariés disposant de réseaux personnels importants. Pour autant, ce constat ne signifie pas que toutes les formes d’emplois se valent. Bien au contraire, les ‘bonnes pratiques’ que nous avons repérées se concentrent chez les employeurs associatifs qui semblent les seuls (avec les CCAS) à pouvoir mettre en place des politiques de gestion des ressources humaines réelles et offrir des conditions d’emploi moins négatives pour les salariés disposant de faibles ressources initiales (diplômes, réseaux, situation du conjoint). Le rôle du type d’employeur est d’autant plus important qu’il rejaillit sur le second facteur de différenciation : le type d’activités réalisées. En effet, nos entretiens, comme l’analyse statistique, soulignent l’aspect fondamental de la distinction entre les activités réalisées au profit des personnes âgées (plus ou moins dépendantes) et celles présentées par plusieurs de nos interlocuteurs comme ‘de confort’ (ou ménage simple). Or les associations et les CCAS sont surreprésentées dans le premier cas. En effet, les prestations d’aides aux personnes âgées ouvrent des perspectives d’amélioration de la qualité des emplois sans commune mesure avec les tâches de ménages simples pour trois raisons principales. Tout d’abord, et de manière directe, l’aide aux personnes âgées offre une visibilité de 130 l’utilité sociale bien plus grande. Le sentiment d’aider une personne fragile, d’être « nécessaire » est un élément fondamental pour construire une réelle ‘estime de soi’. Ensuite, le contenu du travail auprès des personnes âgées est souvent plus divers et plus riches (ménage mais aussi repas, courses, toilettes, etc.). Surtout il contient une dimension relationnelle (le ménage lui‐même se fait en présence voire en partenariat avec le bénéficiaire du service tandis que le ménage de confort s’effectue en l’absence des clients). Cette plus grande diversité des tâches se traduit également par des durées d’interventions hebdomadaires plus longues et facilite des temps de travail plus regroupés et conséquent que dans le ménage simple. Enfin, les modes de financements sont radicalement différents et la part des coûts socialisés (APA, mutuelle, caisses de retraites, etc.) peut jouer un rôle déterminant et rend possible de ‘déconnecter’ le prix payé pour le service et le salaire reçu par l’intervenant, à l’inverse des prestations de conforts dont la forte élasticité prix tire les rémunérations vers le bas et nécessitent le maintien de fortes inégalités (cf. les travaux de R. Milkman, 1998, par exemple). La qualité de l’emploi ne peut ainsi s’améliorer qu’en arrimant les métiers d’aides à domicile à l’ensemble des services sanitaires et sociaux et en les éloignant au contraire des « services à la personne » conçu dans le cadre d’une politique de l’emploi à visée principalement quantitative. Les métiers étudiés ici restent au confluent des politiques de la vieillesse et des politiques de l’emploi (Cabotte, 2000). Le plan Borloo (comme la création du CES auparavant) a clairement fait penché la balance en faveur du versant ‘politiques de l’emploi’ (à l’inverse de l’APA par exemple qui raccrochait ces emplois à la logique de la dépendance). En ce sens son impact sur la qualité des emplois risque de ne pas être des plus bénéfiques. Plus encore, la mise en concurrence de structures à but lucratif et non lucratifs favorisent les politiques de gestion des ressources humaines les moins coûteuses, comme l’illustre une responsable d’une grande association d’aide à domicile : « On n’a plus d'encadrement intermédiaire, ça manque énormément. Mais ça c'est les contraintes financières. Notamment depuis la réorganisation depuis 2002. On a supprimé les responsables de secteurs, environ 10. (…). L'audit a évalué l'organisation et montré que ce n'était plus viable. La tâche était très compliquée. On ne pouvait plus se développer. On a maintenant une fonction conseillère (partie aidée) et une fonction RH (partie aidante). La centralisation permet des gains en termes de coûts, mais les salariés ont un sentiment de perte du contact avec la structure et d’une baisse des conditions de travail. Et c'est ce qui fait que l'on ne peut plus avoir des salariés trop fragiles. Mais on n’a pas de financement pour un encadrement intermédiaire et ça c'est dommage car on ferait un meilleur travail. » (Responsable associative). 131 BIBLIOGRAPHIE Aballéa F. (1999), Activité de service, registre temporel et porosité des temps sociaux VIIeme Journées de Sociologie du Travail "Temps, statuts et conditions du travail" Bologne 17, 18, 19 juin. Adjerad S. (2003), « Dynamisme du secteur des emplois familiaux en 2002 », Premières Informations et Premières Synthèses, DARES, n°51‐1, Décembre. Afsa C. (2007) Interpréter les variables de satisfaction : l’exemple de la durée du travail, Documents de Travail, INSEE, G 2007 / 10, décembre. 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Indice Sécurité de l’emploi Indice Conditions de travail Indice de reconnaissance Total 563c 74,23 83,4 78,37 88,07 81,02 3 Aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales 563b 83,8 84,9 78,37 93,85 85,23 4 Assistantes maternelles, gardiennes d'enfants, familles d'accueil 563a 95,9 98,9 78,37 97,19 92,59 15 Serveurs, commis de restaurant, garçons (bar, brasserie, café ou restaurant) 561a 80,26 86,4 84,27 97,59 87,13 13 Nettoyeurs 684a 86,59 88,57 82,13 92,03 87,33 26 Ouvriers non qualifiés du second oeuvre du bâtiment 681b 113,4 90,23 83,17 100,98 96,95 28 Vendeurs en alimentation 554a 91,23 97,57 89,83 100,7 94,83 22 Caissiers de magasin 552a 90,84 90,9 85,53 98,29 91,39 30 Agents de service des établissements primaires 525a 107,94 96,73 82,13 102,08 97,22 8 Agents de service de la fonction publique (sauf écoles, hôpitaux) 525c 104,2 97,07 82,13 100,09 95,87 11 Vendeurs non spécialisés 553a 97,57 96,57 89,83 99,59 95,89 16 Manutentionnaires non qualifiés 676a 86,04 94,07 104,77 95,6 95,12 33 Ouvriers non qualifiés du gros oeuvre du bâtiment 681a 92,19 87,4 82,13 95,6 89,33 31 Employés de libre service du commerce et magasiniers 551a 96,11 101,23 85,53 100 95,72 21 Ouvriers du tri, de l'emballage, de l'expédition, non qualifiés 676c 88,25 99,9 104,77 98,16 97,77 10 Agents de service hospitaliers (de la fonction publique ou du secteur privé) 525d 103,04 101,57 82,13 100,78 96,88 2 Secrétaires 542a 98,53 100,9 113,1 100,81 103,34 643a 101,83 101,23 97,87 102 100,73 17 Conducteurs livreurs, coursiers (salariés) 5 Employés des services comptables ou financiers 543a 100,78 102,23 121,3 102,1 106,6 25 Ouvriers non qualifiés divers de type industriel 676e 91,23 96,07 150,5 94,17 107,99 134 19 Cuisiniers et commis de cuisine 636d 91,62 99,9 89,83 100,17 95,38 6 Employés administratifs divers 543d 100,41 104,57 113,43 99,21 104,41 Indice de rémunération
Indice Sécurité de l’emploi Indice Conditions de travail Indice de reconnaissance Total Ouvriers non qualifiés de montage, contrôle en mécanique et travail des métaux 673c 101,91 101,57 93,33 97,57 98,59 534a 96,19 102,57 91,87 92 95,65 32 27 Agents civils de sécurité et de surveillance 1 Adjoints administratifs de la fonction publique (y.c. enseignement) 523a 111,8 103,23 103,1 99,49 104,41 9 Aides­soignants (de la fonction publique ou du secteur privé) 526a 99,94 101,73 68,7 102,34 93,18 29 Mécaniciens qualifiés en maintenance, entretien, réparation : automobile 634c 96,84 109,9 72,27 99,59 94,65 14 Magasiniers qualifiés 653a 99,58 110,57 104,77 100,53 103,86 18 Employés de la Poste 521a 103,78 106,23 103,1 99,84 103,24 20 Maçons qualifiés 632a 89,32 104,07 82,13 95,49 92,75 23 Ouvriers qualifiés divers de type industriel 628g 97,89 107,23 101,77 100,76 101,91 24 Ouvriers qualifiés de la manutention, conducteurs de chariots élévateurs, caristes 652a 99,67 106,07 104,77 99,23 102,43 12 Conducteurs routiers et grands routiers (salariés) 641a 91,27 108,9 97,87 104,66 100,67 Moyenne employés / ouvriers 100 100 100 100 100 135 RÉMUNÉRATIONS ET ÉVOLUTION Écart de rémunération Pourcentage de Pourcentage de salariés entre salariés ayant plus salaires ayant suivi formation d e10 ans d’ancienneté inférieurs à 818 durant les 3 derniers et salarié ayant moins € mois d’un an. Employés de maison et personnels de ménage chez des 563c particuliers 75,7 1,23 Aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales 563b 63,67 5,46 Assistantes maternelles, gardiennes d'enfants, familles 563a d'accueil 57,4 6,43 Serveurs, commis de restaurant, garçons (bar, brasserie, café 561a ou restaurant) 51,05 4,14 Nettoyeurs 684a 50,6 2,98 Ouvriers non qualifiés du second oeuvre du bâtiment 681b 39,11 5,99 Vendeurs en alimentation 554a 35,53 5,66 341 Caissiers de magasin 552a 33,44 6,25 276 Agents de service des établissements primaires 525a 30,45 5,58 Agents de service de la fonction publique (sauf écoles, 525c hôpitaux) 30,05 5,58 Vendeurs non spécialisés 553a 23,95 9,23 396 Manutentionnaires non qualifiés 676a 22,79 1,9 150 Ouvriers non qualifiés du gros oeuvre du bâtiment 681a 21,26 3,5 302 Employés de libre service du commerce et magasiniers 551a 21,13 5,2 19 4,19 Ouvriers du tri, de l'emballage, de l'expédition, non qualifiés 676c 166 267 408 197 292 738 499 493 315 153 Agents de service hospitaliers (de la fonction publique ou du 525d secteur privé) 18,06 Secrétaires 542a 17,36 6,11 414 Conducteurs livreurs, coursiers (salariés) 643a 16,95 5,19 489 Employés des services comptables ou financiers 543a 16,71 8,58 486 8,37 441 136 Ouvriers non qualifiés divers de type industriel 676e 16,36 7,1 192 Écart de rémunération Pourcentage de Pourcentage de salariés entre salariés ayant plus salaires ayant suivi formation d e10 ans d’ancienneté inférieurs à 818 durant les 3 derniers et salarié ayant moins € mois d’un an. Cuisiniers et commis de cuisine 636d 16 4,39 243 Employés administratifs divers 543d 13,89 9,43 449 Ouvriers non qualifiés de montage, contrôle en mécanique et 673c travail des métaux 12,92 7,41 Agents civils de sécurité et de surveillance 534a 12,55 7,98 Adjoints administratifs de la fonction publique (y.c. 523a enseignement) 10,27 14,12 Aides­soignants (de la fonction publique ou du secteur privé) 526a 7,98 11,75 Mécaniciens qualifiés en maintenance, entretien, réparation : 634c automobile 6,17 11,94 Magasiniers qualifiés 653a 5,53 7,78 Employés de la Poste 521a 4,91 7,13 459 Maçons qualifiés 632a 4,83 1,53 103 Ouvriers qualifiés divers de type industriel 628g 2,14 8,03 302 Ouvriers qualifiés de la manutention, conducteurs de 652a chariots élévateurs, caristes 1,43 6,86 Conducteurs routiers et grands routiers (salariés) 641a 1,41 6,49 Moyenne ‘employés’ 26,74 8,41 Moyenne ‘ouvriers’ 13,21 5,65 Moyenne employés / ouvriers 20,7 7,1 440 312 571 356 244 366 332 74 490 413 457 137 SÉCURITÉ ET STABILITÉ DE L’EMPLOI Formes particulières d'emploi Proportion de salariés ayant moins de 1 an d'ancienneté Proportion de couple avec enfants ayant au moins un chômeur Employés de maison et personnels de ménage chez des particuliers 563c 19 16 28,5 Aides à domicile, aides travailleuses familiales 563b 23 15,5 28,5 Assistantes maternelles, gardiennes d'enfants, familles d'accueil 563a 54 14 19 Serveurs, commis de restaurant, garçons (bar, brasserie, café ou restaurant) 561a 41,5 34 24 684a 39 15 34 Ouvriers non qualifiés du second oeuvre du bâtiment 681b 59 36 28 Vendeurs en alimentation 554a 53 16 20 Caissiers de magasin 552a 34 17 20 Agents de service des établissements primaires 525a 50 8 27,5 Agents de service de la fonction publique (sauf écoles, hôpitaux) 525c 51,5 9 27 ménagères, Nettoyeurs Vendeurs non spécialisés 553a 58 24 20 Manutentionnaires non qualifiés 676a 54 16 31,5 Ouvriers non qualifiés du gros oeuvre du bâtiment 681a 59 36,5 36 Employés de libre service du commerce et magasiniers 551a 59 11 20 Ouvriers du tri, de l'emballage, de l'expédition, non qualifiés 676c 65 16 25 Agents de service hospitaliers (de la fonction publique ou du secteur privé) 525d 62 9 24 Secrétaires 542a 62 12 23 Conducteurs livreurs, coursiers (salariés) 643a 75 19 28 Employés des services comptables ou financiers 543a 64 15 18 Ouvriers non qualifiés divers de type industriel 676e 58 14 31,5 138 Cuisiniers et commis de cuisine 636d 67 17 26 Employés administratifs divers 543d 70 12 20 Formes particulières d'emploi Proportion de salariés ayant moins de 1 an d'ancienneté Proportion de couple avec enfants ayant au moins un chômeur Ouvriers non qualifiés de montage, contrôle en mécanique et travail des métaux 673c 70 11 30 Agents civils de sécurité et de surveillance 81 18 31 Adjoints administratifs de la fonction publique (y.c. enseignement) 523a 62,5 6 22,5 Aides‐soignants (de la fonction publique ou du secteur privé) 526a 62 9 23,5 Mécaniciens qualifiés en maintenance, entretien, réparation : automobile 634c 90 11 25 Magasiniers qualifiés 653a 87 7 24 Employés de la Poste 521a 3 17 Maçons qualifiés 632a 85 17 31,5 Ouvriers qualifiés divers de type industriel 628g 82 8 28 Ouvriers qualifiés de la manutention, conducteurs de chariots élévateurs, caristes 652a 78 7,5 28 Conducteurs routiers et grands routiers (salariés) 641a 92 13 28 Moyenne employés 52 13 23,15 Moyenne ouvriers 75 13 Moyenne employés / ouvriers 63 13 25,7 534a 139 Conditions de travail Contraintes posturales Exposition à un risque Exposition à des agents d'agression verbale du public biologiques et / ou chimiques Employés de maison et personnels de ménage chez des particuliers 563c 89,5 59 67,9 Aides à ménagères, familiales domicile, aides travailleuses 563b 89,5 59 67,9 Assistantes gardiennes d'accueil maternelles, d'enfants, familles 563a 89,5 59 67,9 Serveurs, commis de restaurant, garçons (bar, brasserie, café ou restaurant) 561a 90,7 68 40 Nettoyeurs 684a 92,6
37,8
74,7
Ouvriers non qualifiés du second oeuvre du bâtiment 681b 97,1 25,7 79,2 Vendeurs en alimentation 554a 85,5 72 24,5 Caissiers de magasin 552a 92,6
82,3
20
525a 92,6 37,8 74,7 Agents de service de la fonction publique (sauf écoles, hôpitaux) 525c 92,6 37,8 74,7 Vendeurs non spécialisés 553a 85,5 72 24,5 Manutentionnaires non qualifiés 676a 87,5 22,6 27,1 Ouvriers non qualifiés du gros oeuvre du bâtiment 681a 92,6 37,8 74,7 Employés de libre service du commerce et magasiniers 551a 92,6 82,3 20 Ouvriers du tri, de l'emballage, de l'expédition, non qualifiés 676c 87,5 22,6 27,1 Agents de service hospitaliers (de la fonction publique ou du secteur privé) 525d 92,6 37,8 74,7 Secrétaires 542a 48,5
58,9
4,8
Conducteurs livreurs, coursiers (salariés) 643a 63,3 57,9 36,7 Agents de service établissements primaires des 140 Employés des services comptables ou financiers 543a 48,3 39,3 0 Ouvriers non qualifiés divers de type industriel 676e Cuisiniers et commis de cuisine 636d 97 27,5 57,5 Employés administratifs divers 543d 49,2 57,6 4,4 Contraintes posturales Exposition à un risque Exposition à des agents d'agression verbale du public biologiques et / ou chimiques Ouvriers non qualifiés de montage, contrôle en mécanique et travail des métaux 673c 94,5 0 77 Agents civils de sécurité et de surveillance 534a 76,6 73,9 25,4 Adjoints administratifs fonction publique enseignement) 523a 82,3 59,9 0 Aides‐soignants (de la fonction publique ou du secteur privé) 526a 94,2 80,1 71,1 Mécaniciens qualifiés en maintenance, entretien, réparation : automobile 634c 98,1 40 96,6 Magasiniers qualifiés 653a 87,5
22,6
27,1
Employés de la Poste 521a 82,3
59,9
0 Maçons qualifiés 632a 92,6
37,8
74,7
Ouvriers qualifiés divers de type industriel 628g 90,5 0 55,7 Ouvriers qualifiés de manutention, conducteurs chariots élévateurs, caristes 652a 87,5 22,6 27,1 Conducteurs routiers et grands routiers (salariés) 641a 63,3 57,9 36,7 de la (y.c. la de Moyenne employés Moyenne ouvriers Moyenne employés / ouvriers 71,8 42,2 37,5 141 Reconnaissance Souhait d'un autre Formation insuffisante et emploi inadaptée Pourcentage de salariés étrangers Employés de maison et personnels de ménage chez des particuliers 563c 17,2 31,7 77,45 Aides à ménagères, familiales domicile, aides travailleuses 563b 15,87 31,7 93,45 Assistantes gardiennes d'accueil maternelles, d'enfants, familles 563a 7,44 31,7 95,04 Serveurs, commis de restaurant, garçons (bar, brasserie, café ou restaurant) 561a 17,49 15,6 90,18 Nettoyeurs 15,94
22,4
78,77
9,4 15,9 92,58 684a Ouvriers non qualifiés du gros oeuvre du bâtiment 681b Vendeurs en alimentation 554a 11,17 18,4 96 Caissiers de magasin 552a 17,4
20,9
97,5 525a 4,6 22,4 97,56 Agents de service de la fonction publique (sauf écoles, hôpitaux) 525c 9,34 22,4 96,35 Vendeurs non spécialisés 553a 14,64 18,4 96,13 Manutentionnaires non qualifiés 676a 17,18 20,8 89,12 Ouvriers non qualifiés du gros oeuvre du bâtiment 681a 7,76 15,3 74,18 Employés de libre service du commerce et magasiniers 551a 13,84 20,9 99,06 Ouvriers du tri, de l'emballage, de l'expédition, non qualifiés 676c 15,13 20,8 94,74 Agents de service hospitaliers (de la fonction publique ou du secteur privé) 525d 8,68 22,4 97,76 Secrétaires 8,42
22,3
97,48
Agents de service établissements primaires des 542a 142 Conducteurs livreurs, coursiers (salariés) 643a 14,07 10,8 95,19 Employés des services comptables ou financiers 543a 7,9 18,9 97,44 Ouvriers non qualifiés divers de type industriel 676e 18,69 23,9 89,43 Cuisiniers et commis de cuisine 636d 11 13,2 89,04 Employés administratifs divers 543d 10,95 24,4 97,31 Souhait d'un autre Formation insuffisante et emploi inadaptée Pourcentage de salariés étrangers Ouvriers non qualifiés de montage, contrôle en mécanique et travail des métaux 673c 12,02 23,9 92,96 Agents civils de sécurité et de surveillance 534a 18,37 23,8 82,49 Adjoints administratifs fonction publique enseignement) 523a 6,27 30,3 99,38 Aides‐soignants (de la fonction publique ou du secteur privé) 526a 5,75 21,3 98,4 Mécaniciens qualifiés en maintenance, entretien, réparation : automobile 634c 7,73 24,4 95,23 Magasiniers qualifiés 653a 10,09
20,8
96,8 Employés de la Poste 521a 5,46
30,3
99,61
Maçons qualifiés 632a 5,72
20,8
77,31
Ouvriers qualifiés divers de type industriel 628g 9,14 19,1 94,86 Ouvriers qualifiés de manutention, conducteurs chariots élévateurs, caristes 652a 10,46 20,8 93,27 Conducteurs routiers et grands routiers (salariés) 641a 7,07 10,8 96,17 Moyenne ‘employés’ 10,18
Moyenne ‘ouvriers’ 9,59
de Moyenne ‘employés / ouvriers’ la (y.c. la de 9,91 19,7 93,94 143 CHAPITRE 4. L’AIDE A DOMICILE FACE AU MARCHE : L’IMPOSSIBLE PROFESSIONNALISATION Thierry Ribault1 [email protected]‐lille1.fr SOMMAIRE Introduction. L’aide à domicile : un métier en souffrance ........................................................... 144 I. Éléments de méthode ............................................................................................................................. 147 1.1. Un professionnel aux visages multiples ............................................................................................... 147 1.2. Fonctionnalisme et interactionnisme : deux approches de la professionnalisation ......... 149 1.3. Conventions de qualité et conventions de professionalité .......................................................... 152 II. Éléments d’analyse ................................................................................................................................ 154 2.1. Le besoin ........................................................................................................................................................... 154 2.1.1. Salariés ..................................................................................................................................................... 154 2.1.2. Employeurs ............................................................................................................................................ 162 2.1.3. Acteurs de la régulation .................................................................................................................... 169 2.2. L’organisation ................................................................................................................................................. 170 2.2.1. Salariés ..................................................................................................................................................... 170 2.2.2. Employeurs ............................................................................................................................................ 172 2.2.3. Acteurs de la régulation .................................................................................................................... 179 2.3. L’espace de l’action publique .................................................................................................................... 181 2.3.1. Salariés ........................................................................................................................................................ 182 2.3.2. Employeurs ............................................................................................................................................... 183 1 Chercheur CNRS, membre du CLERSE‐UMR 8019 (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques). 144 2.3.3. Acteurs de la régulation ....................................................................................................................... 194 III. Synthèse des résultats ........................................................................................................................ 198 3.1. Qu’est ce qu’une convention de professionalité ? ............................................................................. 198 3.2. Où passe la frontière des différentes conventions de professionalité ? ................................... 199 3.3. Huit types de convention de professionalité ....................................................................................... 200 3.4. La prophétie du Marché ............................................................................................................................... 210 3.4.1. Des vertus de la pluralité des conventions ............................................................................... 210 3.4.2. Où en sommes‐nous aujourd’hui ? ............................................................................................... 211 3. 5. L’aide à domicile : une activité marchande sans le Marché ......................................................... 216 3. 6. Le corps à corps de l’aide à domicile ..................................................................................................... 219 Bibliographie ............................................................................................................................................................. 222 INTRODUCTION. L’AIDE A DOMICILE : UN METIER EN SOUFFRANCE Le chapitre précédent s’est efforcé de dresser un bilan du niveau de la qualité des emplois dans les services à la personne à partir d’éléments qualitatifs et quantitatifs relatifs aux activités d’aide ménagère et d’aide à domicile. Ce bilan, bien que nuancé, est assez négatif et l’arrimage des « services à la personne » aux politiques d’emploi ne joue, semble‐t‐il, pas en faveur d’une amélioration. Les pouvoirs publics eux‐mêmes n’ignorent pas cette situation que l’on peut qualifier sans ambages de calamiteuse, même si, comme le rappelle le chapitre qui précède, toutes les situations ne se valent pas et des cas de « bonnes pratiques » existent qui méritent d’être mis en lumière. « Les secteurs de l’aide à domicile connaissent des comportements de fuite des salariés en place (…) L’enjeu central dans les années à venir sera, pour les employeurs et pour les acteurs en charge de la régulation du secteur, de construire l’attractivité de ces métiers. Cela passera par une réflexion approfondie sur l’organisation du travail et sur la structuration de l’offre de services afin de limiter les trois principales raisons de ce manque d’attractivité : les conditions de travail et l’isolement des salariés, les faibles durées du travail et donc de rémunération, et enfin, le manque de perspectives de carrière » (Dares, 2007, p.169). De même lit‐on sur le site de l’Agence nationale des services à la personne que « l’un des rôles de l’Agence est de promouvoir la qualité des services en améliorant les conditions de travail des salariés », conditions que l’Agence estime par ailleurs « affectées par des problématiques essentielles qui rendent l’exercice de ces métiers difficile ». Au rang de ces problématiques on trouve « un temps de travail fragmenté, l’hétérogénéité des conditions de rémunération, la couverture sociale insatisfaisante ». De nombreuses études existent désormais, faisant état d’une situation sanitaire concernant les aides à domicile qui est proprement intenable. De graves problèmes de santé, liés à des accidents du travail, des maladies professionnelles, qui se traduisent par des troubles physiques et psychiques, ont été révélés dans les travaux des médecins du travail, avec des niveaux de 145 symptomatologie et de prise de médicaments qui dépassent largement les niveaux décelés dans d’autres professions (INRS, 2006). Notre propos ne consistera cependant pas à enfoncer plus profondément le couteau dans une plaie déjà largement ouverte. Nous prenons plutôt le parti d’examiner comment la notion de professionnalisation investit, et est elle‐même investie par, les discours des acteurs en présence. Car c’est peu de dire que la professionalisation est devenue le nouvel Eldorado des services à la personnes, et notamment des services aux personnes âgées, partant du principe qu’elle est quasi automatiquement synonyme de qualification, donc de qualité, d’emploi comme de service. Cela n’est pas sans nous rappeler l’époque où les fabricants de dentifrice présentaient sur les écrans des téléspectateurs jugés crédules, des scientifiques en blouse blanche affublés de lunettes en écaille (si possible à double foyer). Non seulement cet accoutrement était supposé garantir sui generis de la professionalité et donc de la qualité pour les produits vantés, mais il avait aussi la vertu d’invisibiliser un maillon de taille entre la recherche‐développement et le client final : le salarié sur la chaîne de production de l’usine Colgate‐Palmolive. Si, dans le domaine qui nous intéresse ici, celui de l’aide à domicile, il serait caricatural de soutenir que parler de normes, de certifications, de labels, de plates‐formes, d’enseignes est sémantiquement et logiquement associé à un désintérêt pour la situation concrète de travail des salariées concernées, on peut tout de même s’interroger sur l’écran de fumée que génère la référence récurrente, voire intempestive, à ces outils de « structuration de la profession ». On pourrait d’ailleurs joindre les conventions collectives à la liste des fumigènes. La professionnalisation de l’aide à domicile ‐ et plus largement des services auprès des personnes fragiles ‐ apparaît ainsi comme une nouvelle idéologie, élément parmi d’autres de la doctrine prophétique du Marché, plutôt qu’un espace professionnel négocié où le bien‐être de la personne bénéficiaire du service et les conditions de travail et d’emploi de celle qui le dispense sont conçus conjointement et de manière dynamique (Jany‐Catrice, Ribault, 2007). Reste à comprendre, suivant le principe qu’il n’y a pas de fumée sans feu, quel est celui qui anime les différents acteurs lorsqu’ils pensent la professionnalisation. Peut‐on réduire la professionnalisation dans les services d’aide à domicile à des tentatives hasardeuses de réponse à des injonctions supposées du Marché menées depuis les deux points extrêmes du processus de production que sont l’urgence de l’innovation d’un côté et l’impératif du marketing de l’autre ? Ne faut‐il pas, moins d’ailleurs en vertu d’une prédisposition intrinsèque de ces services, qu’eu égard à la complexité des activités humaines en général, réintroduire pour mieux la prendre en compte et en reconnaître les valeurs, la pluralité des motifs qui peuvent pousser les acteurs à accomplir leur travail de manière professionnelle ? Notre problématique peut se résumer de la manière suivante : en quoi la professionnalisation des métiers des services d’aide à domicile permet‐elle d’articuler qualité d’emploi et qualité de service dans ces métiers ? Autrement dit, qu’est‐ce qui dans la professionnalisation peut déclencher un cercle plus ou moins vertueux qualité d’emploi‐qualité de service ? Comment donc penser la professionnalisation de manière à jouer positivement sur ces deux dimensions ? 146 Ces questions nous amènent à réfléchir à la manière dont les acteurs eux‐mêmes pensent la professionnalisation et la construisent. Retenons pour l’ « acteur » la définition suivante : une personne ou un groupe de personnes qui mobilise un ou souvent plusieurs registres de légitimité dans le but d’accomplir une action, soit de manière autonome soit dans le cadre d’une relation de subordination. Nous faisons l’hypothèse que la professionnalisation peut être considérée comme un dispositif de jugement2 dans la mesure où elle est censée contribuer à l’élaboration d’une réponse au problème du choix du « bon » intervenant. La mise en place d’un tel dispositif de jugement se justifie par les conditions qui prévalent sur les marchés des services d’aide à domicile : prestations non standards, marché atomisé, ignorance des clients (asymétrie d’information), conditions qui rendent effectivement délicat le choix d’un professionnel. Ce chapitre présente dans un premier temps les trois espaces ‐ que l’on appellera « topiques » ‐ que nous mobilisons et qui définissent à la fois l’objet principal sur lequel le discours de légitimité des acteurs se concentre, ainsi que leur objectif. Il s’agit de l’espace du besoin, de l’espace de l’organisation, et de l’espace de l’action publique et collective (du contrôle ou de la régulation). Avant d’aller plus avant dans la description de notre méthode et de nos résultats, nous rappellerons brièvement les grandes approches de la professionnalisation dans les sciences sociales. Nous situerons ainsi notre propre regard, qui, sans rejeter l’approche fonctionnaliste de la professionnalisation, prendra le parti de l’intégrer dans une approche plus constructiviste. Un troisième point sera consacré à la méthode d’analyse des entretiens que nous mobiliserons et aux notions que nous souhaitons développer. Il s’agit notamment de définir les « conventions de professionalité » en vigueur dans chacun des espaces que nous avons identifiés (besoin, organisation, action publique) et de mettre en perspective leur pluralité potentielle. Il y aurait ainsi non pas une mais des professionnalisations. Les matériaux issus des entretiens sont analysés dans un second temps à l’aune de la grille des trois espaces que nous avons retenue. Cette méthode de classification des discours va nous permettre de présenter dans une partie suivante trois types de résultats relatifs à la définition des conventions de professionalité, au repérage de leurs frontières et à l’identification de leurs caractéristiques concrètes telles que nous les avons recueillies dans les entretiens auprès des acteurs. Nous verrons enfin en quoi cette approche permet d’apporter des éléments de réponse à notre problématique initiale relative au rôle de la professionnalisation vis à vis de la qualité d’emploi et de la qualité de service dans les activités de l’aide à domicile. 2 À l’instar des dispositifs de jugement à l’œuvre dans des échanges économiques portant sur des biens ou des services pour lesquels la qualité est déterminante (voir Karpik, 2007). 147 I. ÉLÉMENTS DE MÉTHODE 1.1. UN PROFESSIONNEL AUX VISAGES MULTIPLES On peut schématiser le propos en partant de l’idée que les acteurs que sont les utilisateurs, les salariés, les employeurs et les instances de régulation, opèrent dans le cadre d’espaces ‐ que l’on appellera plus tard « topiques » pour les opposer aux « logiques » ‐ qui ne sont pas sans interactions les uns avec les autres. Ces espaces sont les suivants : l’espace du besoin, l’espace de l’organisation, l’espace de l’action publique et collective (du contrôle ou de la régulation). Dans chacun des ces trois espaces, les protagonistes centrent leur action sur un objet distinct. L’espace du besoin est centré sur la qualité du service dans ses dimensions individuelles (viser l’autonomie de la personne) aussi bien que collectives (soulager les proches), subjectives (être proche, être présent) aussi bien qu’objectives (respecter des normes d’hygiène) ; l’espace de l’organisation est centré sur la performance : performance individuelle, performance collective, performance de l’organisation ; l’espace de l’action publique et collective est centré sur la régulation et sur la production d’incitations : incitations à consommer, incitations à embaucher, incitations à se fédérer, incitations à négocier, incitations à professionaliser, incitations à l’égalité. On pourrait presque dire que s’opère dans chacun des espaces un processus d’optimisation ‐ de maximisation sous contrainte ‐ du type suivant : l’espace du besoin est un « lieu » de recherche de l’optimisation de la qualité de service en tenant compte d’un certain nombre de contraintes liées notamment au prix des prestations, mais aussi aux limites d’accès aux informations détenues sur le produit‐service lui‐même et sur l’organisation qui le fournit. De son côté, l’organisation cherche à optimiser son processus de production en conformité avec ses ressources afin d’aboutir à la définition d’un coût qui soit le reflet le plus fidèle de ce qu’elle estime être le point d’équilibre de sa viabilité économique. L’action publique et collective (ou la régulation) tente quant à elle de légitimer son intervention sous mandat en générant des effets de régulation (ou d’incitation) qui concernent aussi bien l’espace du besoin que celui de l’organisation. De manière grossière on peut avancer que dans l’espace du besoin les acteurs visent à produire un service qui fait du bien à l’usager (et à son entourage), même s’il s’agit d’un bien multiple (on devrait peut‐être parler de faire des biens plutôt que faire du bien) ; dans l’espace de l’organisation, ils visent à produire un service performant (rapport coût/prix/qualité) ; et dans l’espace de la régulation ils visent à produire un service juste (justement accessible, justement choisi, justement produit). Trois espaces pour l’analyse Objet Objectif Besoin Qualité du service (individuelle et collective) Produire un service qui fait du bien Organisation Performance
Produire un service performant Action publique Régulation et production d’incitations Produire un service juste 148 Tout semble donc apparemment relativement cohérent dans ce petit monde tripolaire où l’on cherche simultanément à faire du bien, à être performant et à demeurer le plus juste possible. En réalité cette cohérence n’est que de façade. Et c’est bien sur ce point que nos enquêtes apportent un éclairage précieux. De fait d’une part ces trois espaces sont dans des relations plus ou moins complexes qui les transforment sensiblement à leur tour. D’autre part un espace n’est pas le monopole d’un acteur et un même acteur peut intervenir dans plusieurs espaces simultanément. Il nous faut donc d’abord essayer de tracer, à partir des enquêtes, les lignes d’interactions et de transformations entre les espaces du besoin, de l’organisation et de l’action publique, avant de pouvoir mieux comprendre comment la professionnalisation des métiers de service d’aide à domicile peut (ou pas) garantir la création et la pérennisation d’un cercle vertueux entre qualité d’emploi et qualité de service. On ne peut prétendre ici dresser un portrait exhaustif de ce qui se passe dans chacun des trois espaces identifiés. Tout au plus allons‐nous nous concentrer sur ce que nos enquêtes disent relativement à la problématique précitée de la professionnalisation. Pour ce faire, nous allons plus précisément essayer de « faire travailler » le regard des différents acteurs que sont les utilisateurs3, les salariés, les employeurs et les instances de régulation. Cette confrontation des regards devrait nous permettre d’identifier ce qui, dans la construction de la professionnalisation, relève plutôt de la singularité du service d’aide à domicile, ce qui relève de l’organisation du service, et ce qui relève plus de la régulation des activités concernées. Chaque type d’acteurs n’est pas en scène dans un unique espace : par exemple les utilisateurs sont aussi bien « mobilisés » dans l’espace du besoin, que dans l’espace de la régulation et de l’organisation, même si cette mobilisation n’a pas le même caractère central dans chacun des espaces. Dans chaque espace se joue donc une pièce où sont impliqués plusieurs acteurs. Ainsi, dans l’espace du besoin, les utilisateurs conçoivent ce qu’ils considèrent comme central, en interaction avec ce que les fournisseurs de services, les instances de régulation et les salariés estiment à leur tour comme relevant du « vrai » besoin. C’est donc dans les interactions entre les trois espaces (besoin, organisation, action publique) que va être configuré un type de professionnalisation capable ou pas de générer un cercle vertueux entre qualité de service et qualité d’emploi. Et chaque espace est lui‐même le fruit d’une structuration, élaboration, négociation, fondée sur un dialogue, qui peut être une tension – c’est‐à‐dire une confrontation et conjugaison de logiques ‐ entre des acteurs dont les discours de légitimité peuvent pour tout ou partie diverger. Ainsi, dans chacun des trois espaces, s’opèrent des compromis plus ou moins collaboratifs entre les quatre séries d’acteurs, qui aboutissent à la définition de ce qu’est la « vraie » qualité du service, de ce qu’est le « vrai » coût du service en relation avec son « juste » prix, et de ce qu’est la « bonne » et « juste » régulation. La première étape de l’analyse des entretiens consiste à identifier chez chacun des acteurs les discours qui attribuent une position dominante (ou déterminante) à un espace par rapport aux deux autres, dans la construction (ou la définition) de ce qu’est la professionnalisation des services d’aide à domicile. Ces propos sont ensuite, pour chacun des acteurs et pour chaque 3 Les utilisateurs seront exclus de l’analyse faute de résultats d’enquête auprès d’eux suffisants. 149 espace, regroupés sous des thématiques plus larges, qui vont elles‐mêmes permettre de construire des « logiques ». On va ainsi faire apparaître, à travers l’analyse des discours, les lignes de continuité et les lignes de fracture entre les représentations de la professionnalisation du secteur, autrement dit faire apparaître des « figures » de la professionnalisation. Avant toutefois d’aller plus avant dans la description de notre méthode et de nos résultats, rappelons brièvement les grandes approches de la professionnalisation dans les sciences sociales, afin de mieux nous situer. 1.2. FONCTIONNALISME ET INTERACTIONNISME : DEUX APPROCHES DE LA PROFESSIONNALISATION Cinq critères font l’unanimité parmi les sociologues d’inspiration fonctionnaliste qui se penchent sur la professionnalisation (Lallement, 2007) : -
l’accès et la pratique de l’activité sont conditionnés par une formation professionnelle de longue durée ; -
l’activité est autonome (contrôle technique et éthique des pairs) ; -
le contrôle repose sur des bases légitimes et bénéficie d’un accord entre la profession et les autorités légales ; -
les professions forment de véritables communautés car leurs membres y sont engagés de manière permanente et durable ; -
une profession assure à ses membres un statut social élevé. « Il n’est de profession que communautaire », la communauté étant ici sans ancrage physique et produisant un sentiment d’identité partagée. Les professions ont avantage, selon l’approche fonctionnaliste, à fonctionner comme une communauté, à ne pas ouvrir trop grandes les portes qui mènent à elles et à maintenir élevée la qualité des services rendus. Il y a, comme le note M. Lallement, un excès de déterminisme dans cette vision fonctionnaliste : la nouvelle division du travail qui pointe à l’époque de l’élaboration de cette représentation, expulse hors de l’espace domestique un ensemble de fonctions qu’il revient à des services spécialisés de prendre en charge avec d’autant plus d’efficacité que ceux‐ci peuvent bénéficier du progrès des connaissances et des techniques. Ainsi, « une société qui s’industrialise est une société qui se professionnalise », et toute occupation est amenée, à un moment ou à un autre, à s’organiser sur le modèle des professions établies. Si toutes les activités, celles des ouvriers comme celles des voleurs, sont susceptibles de se transformer en professions, quel est alors l’intérêt de mobiliser un tel label ? 150 Pour recentrer le débat, Wilensky (1964) propose de revenir à six critères : l’activité doit être exercée à plein temps ; elle doit comporter des règles ; elle doit comprendre une formation et des écoles spécialisées ; elle doit posséder des organisations professionnelles ; elle doit comporter une protection légale du monopole ; elle doit établir un code de déontologie. F. Abbaléa (2005), propose quant à lui de parler de profession lorsqu’une activité se métamorphose en métier, et un employé en professionnel. Par métier – ou profession – il entend: ‐ une activité « ayant un objet spécifique » ; ‐ pratiquée selon les règles de l’art, c’est‐à‐dire reposant sur un savoir constitué et validé, une « qualification », en rupture plus ou moins grande avec le savoir profane ; ‐ et mise en œuvre selon des règles normatives reconnues et « publicisées », une «déontologie» ; ‐ dotant ceux qui la pratiquent « d’un titre et d’un statut distinctifs » qui leur permettent de s’identifier collectivement et d’être identifiés, d’être distingués des non‐professionnels qui travaillent sans titre et sans label ; ‐ et donnent des garanties techniques et morales à leurs clients, justifiant ainsi une large «autonomie d’intervention et un accès privilégié au marché qui peut aller jusqu’au monopole». Nous devons toutefois garder à l’esprit que le respect de ce « cahier des charges » de la profession s’opère dans le temps et dans la tension entre des légitimités et des acteurs dont les intérêts ne convergent pas nécessairement a priori. Toute transformation de métier n’est pas une professionnalisation, sinon on peut dire que l’on assiste à la professionnalisation de tout le monde. C’est pourquoi, sans rejeter l’approche fonctionnaliste de la professionnalisation, on peut prendre le parti de l’intégrer dans une approche plus constructiviste ou interactionniste. Dans cet esprit, plutôt que de se demander si tel métier est une profession, K. Vasselin (2002) nous invite à la suite de Hughes à nous demander d’une part dans quelles circonstances les membres d’un métier essaient de transformer celui‐ci en profession, et d’autre part quelles sont les étapes qu’ils franchissent pour se rapprocher du modèle valorisé de la profession. La question n’est donc pas de savoir si telle ou telle occupation est ou non une profession, mais de s’interroger plutôt sur les circonstances et les conditions qui permettent à une activité de se revendiquer et de s’imposer comme profession. Il faut donc, dans une perspective interactionniste, raisonner en termes de processus : produits de déterminants et d’interactions multiples, les professions se structurent aussi à travers l’intégration des rapports de force entre les acteurs. Les professions évoluent sous la pression de sous‐groupes en opposition et de tendances parfois contradictoires : opposition entre les théoriciens de l’activité et ceux qui 151 souhaitent plutôt professionnaliser cette dernière ; propension à déléguer le « sale boulot » à d’autres catégories et à étendre dans le même temps les domaines de compétence de la profession. Toute profession est composée de segments en situation de concurrence et d’alliance, mais en lien également avec les groupes extérieurs à la profession (Etat, clients) (Lallement, 2007). La variété des appellations des activités et des emplois dans la littérature française, qu’illustre le schéma figurant dans le chapitre 1, montre à quel point la notion de profession peut prendre un contenu variable selon l’état du rapport de force qui la définit à des moments différents de l’histoire politique et sociale. Une mobilisation active et collective est nécessaire pour convaincre que les services délivrés répondent à des besoins de premier rang, qu’ils sont de qualité, qu’ils ne peuvent pas être fournis par d’autres groupes de métier. Faute de savoir convaincre, tous les métiers ne parviennent pas à se hisser au rang de professions. L’argumentation est ainsi une pièce majeure dans la construction de l’édifice professionnel (travail de persuasion auprès des différents publics de la profession) (Lallement, 2007). Dans les faits les pouvoirs publics, et les structures, raisonnent souvent sur la professionnalisation en termes substantivistes et non pas comme le produit d’interactions multiples, dont ils sont pourtant des acteurs majeurs. Considérons par exemple la définition de la professionalisation dont l’Agence nationale des services à la personne se fait le relais sur son site : « la professionnalisation est un processus de négociation, par le jeu des groupes sociaux, en vue de faire reconnaître l’autonomie et la spécificité d’un ensemble d’activités et un processus de formation d’individus aux contenus d’une profession existante ». Les choses démarrent donc plutôt sur une conception procédurale très ouverte de la professionalisation selon laquelle dialogues tensions et confrontations sont les ingrédients de l’élaboration de la figure du professionnel. Cette première acception interactionniste de la profession se transforme toutefois très vite en une définition fonctionnaliste plus figée et aboutit à un retour quelque peu brutal à une conception substantiviste : « la professionnalisation met en scène des acquis personnels ou collectifs tels les savoirs, les connaissances, les capacités et les compétences. Bien plus, nous pourrions dire qu’elle réside dans le jeu de la construction et/ou de l’acquisition de ces éléments qui permettront au final de dire de quelqu’un qu’il est un professionnel, c’est­à­dire qu’il est doté de la professionalité (l’ensemble des connaissances, des savoirs, des capacités et des compétences caractérisant sa profession) ». Le professionnalisme serait ainsi un état optimal à atteindre à partir du respect d’un cahier des charges construit autour du diplôme notamment, mais aussi autour de la modernisation, de la facilitation de l’accès, de la « connexion » entre l’offre et la demande (cf. les enseignes) ou de la facilitation des modalités de paiement (cf. le Chèque Emploi Service Universel). Bref tout porte à croire que les registres de la professionnalisation, de l’industrialisation et de la marchandisation sont mêlés inextricablement au point de s’identifier. Or notre analyse montre qu’au contraire il existe une pluralité de conventions de professionalité qui renvoie à la pluralité de leurs fondements légitimes, et qu’à trop vouloir « mettre à plat » cette pluralité on finit par produire de la dévalorisation professionnelle et de la non‐reconnaissance, autant d’éléments peu favorables à la qualité d’emploi comme à la qualité de service. 152 1.3. CONVENTIONS DE QUALITE ET CONVENTIONS DE PROFESSIONALITE Prenons pour point de départ les travaux de socio‐économie sur les dispositifs de jugement de la qualité, notamment ceux de L. Karpik (2007). Un certain nombre de conditions rendent nécessaire la mise en place de dispositifs de jugement dans certains secteurs d’activité et sur certains marchés : des prestations non standard, la non‐atomicité des agents, l’absence de libre entrée sur le marché, la non‐mobilité des facteurs de production, ou encore l’ignorance des clients (asymétrie d’information). Ces facteurs rendent délicat le choix d’un professionnel, d’où le rôle que peuvent jouer les relations personnelles dans ce choix. Mais la régulation publique vient également interférer en élaborant des dispositifs de jugement impersonnels, dont l’efficacité reste à définir et à analyser. Ce que l’on retient, c’est que les dispositifs de jugement impersonnels sont évalués par les producteurs en fonction de conventions de qualité et qu’il y a pluralité de ces conventions de qualité. Dans l’aide à domicile il peut ainsi être opportun de réfléchir en termes de conventions de qualité qui sont déterminantes dans l’évaluation des dispositifs de jugement impersonnels. Nous y reviendrons plus loin, mais on peut superficiellement déjà citer plusieurs exemples de conventions potentielles: une convention « vocationnelle » (aimer son métier), une convention « éthique » (« j’aime les personnes âgées »), une convention « industrielle » (recours à des outils et des procédures), autant de manières différentes d’appréhender et de justifier la qualité de service sur lesquelles nous allons revenir en détail. La professionnalisation peut être elle‐même considérée comme un dispositif de jugement car elle est censée contribuer à l’élaboration d’une réponse au problème du choix du « bon » intervenant ou de la « bonne » structure. Autrement dit, la professionnalisation s’élabore en miroir de la qualité de service. La mise en place d’un tel dispositif de jugement se justifie par les mêmes conditions citées précédemment : prestations non standard, marché atomisé, ignorance des clients (asymétrie d’information), conditions qui rendent effectivement délicat le choix d’un professionnel. La professionnalisation, en tant que dispositif de jugement, est donc construite sur la base de ‐ et est elle‐même évaluée en regard de ‐ la convention de qualité à laquelle se réfère un acteur de manière dominante. Ainsi, un « bon » professionnel sera tout à tour celui qui s’investira corps et âme dans le métier (convention vocationnelle), celui qui a une attitude compassionnelle (convention éthique), celui qui connaît la manipulation d’outils techniques (convention industrielle) ou encore celui qui sait rendre le service au bon moment (convention marchande). Les conventions de qualité renvoient ainsi à des conventions de professionalité en vigueur dans chacun des espaces que nous avons identifiés : besoin, organisation, action publique. C’est donc à ces conventions de professionalité que nous allons plus particulièrement nous intéresser et on peut concevoir les espaces comme les dimensions le long desquelles se déploient ces conventions. Autrement dit, le besoin, l’organisation, l’action publique, sont trois grandes voies qu’empruntent les acteurs pour formuler leur conception de ce qu’est la profession. Ce sont des « lieux communs » que l’on peut encore dénommer des « topiques ». Les topiques, « lieux » 153 communs du discours, par rapport auxquels se définit la professionalité, sont aussi des lieux à partir desquels sont tenus les discours. C’est là (d’)où sont tenus les discours. Les logiques, elles, sont les vecteurs qui structurent les discours par lesquels se définit la professionalité. C’est ce qui se dit. La mise en perspective de la diversité des logiques relatives à un même topique aboutit à une lecture dialogique, c’est à dire qu’elle établit un dialogue (confrontation/conjugaison) entre des logiques différentes ; et la mise en perspective de la diversité des topiques relatifs à une même logique aboutit à une lecture diatopique, c’est‐à‐dire qu’une même logique peut être mobilisée dans des topiques différents. Une troisième dimension des discours peut être introduite, bien que nous ne puissions la traiter ici : il s’agit du temps. La professionalité se définit non seulement par rapport à un lieu du discours et à une logique mais aussi par rapport à l’horizon temporel dans lequel elle est pensée et dans lequel sa transformation (sa dynamique) est envisagée et se déroule. Prenons un exemple marquant. Dans le topique du besoin, la mobilisation de la logique vocationnelle ne s’opère pas dans le même horizon temporel que celle de la logique marchande. Dans le premier cas, l’horizon temporel est le temps long, les changements sont tributaires de l’accumulation de l’expérience individuelle, alors que dans le second cas, l’horizon temporel est celui du temps court, celui de la spontanéité de la rencontre entre une offre et une demande. Autrement dit lorsque la logique vocationnelle est mobilisée dans le cadre du topique du besoin, elle s’inscrit dans une temporalité qui laisse par exemple la place à des mutations fondées sur les aptitudes à transformer les acquis de l’expérience en compétences, alors que la mobilisation de la logique marchande dans le même topique du besoin, renvoie à l’urgence d’apporter une solution à un problème identifié comme une « demande ». On aboutit ainsi à un approfondissement de la définition des conventions de professionalité. Ces dernières peuvent être définies non seulement par un ensemble de règles communément acceptées, mais plus précisément, et pour pénétrer plus avant à l’intérieur de leur « boîte noire », on peut avancer qu’elles ont pour spécificité et pour rôle d’opérer trois types de confrontation/conjugaison : -
lier la diversité des topiques : confronter et conjuguer les lieux communs du discours (diatopique) -
lier la diversité des logiques : confronter et conjuguer les logiques (dialogique) -
lier la diversité des temporalités : confronter et conjuguer les horizons temporels et les dynamiques de transformation (diachronique). Il nous faut avant tout livrer une première analyse des discours des acteurs organisée autour des trois topiques précités. 154 II. ÉLEMENTS D’ANALYSE 2.1. LE BESOIN Qu’est ce qui relève d’un véritable besoin, un besoin légitime, aux yeux des acteurs ? Quel rôle est attribué directement ou indirectement à la professionnalisation, dans la définition et dans la satisfaction de ce « vrai » besoin ? Quel est le profil du « professionnel » capable de satisfaire ce besoin ? 2.1.1. SALARIÉS La perception du besoin par les salariés et par les employeurs est très mêlée dans les discours. Il est difficile de discerner dans le discours des salariés ce qui est de l’ordre de leur propre représentation de ce qu’ils ont intégrés (pour diverses raisons plus ou moins volontairement) du discours porté par leur employeur. Il y a donc indéniablement un caractère artificiel à faire l’exercice de discernement des discours. Mais même s’ils se recoupent, les discours ne se superposent pas et c’est précisément à ces zones de non‐recouvrement ou de singularité en tant qu’indices de la production d’une représentation autonome que nous nous intéresserons. 1. « Je fais plein de trucs » (salariée association) La notion d’ « habilitation à faire » revient fréquemment dans les discours des salariés : le besoin est ici perçu du point de vue d’une intériorisation et d’une mise en pratique plus ou moins respectueuse de règles de division du travail fondées sur le statut hiérarchique : aide à domicile, auxiliaire de vie, aide‐soignante, infirmière. Les aides à domicile s’efforcent de se positionner et de situer leur intervention le long de la palette qui va du ménage aux soins de santé. D’un côté les salariées rappellent les limites de leur « habilitation », et de l’autre elles ne manquent pas de souligner que leurs interventions dépassent très souvent ce cadre : en fait elles exercent un métier aux contours flous, dont les « produits » se situent sur un continuum de prestations (salariées association) qui s’étend du ménage à l’aide à la prise de médicament en passant par l’aide à la toilette, voire la réalisation de la toilette, et la tenue d’un budget. (salariées association). « Donner les médicaments normalement on n’a pas le droit (…) mais je lui propose le semainier hein, je ne vais pas risquer qu’elle tombe » (salariée association). Même dans les cas lourds de personnes hospitalisées à domicile, l’aide à domicile prend le relais de l’infirmière sur des fonctions telles que la prise de repas « qu’une infirmière n’a pas forcément le temps de faire » (salariée association). Ceci n’améliore d’ailleurs pas le sentiment souvent exprimé de déficit de reconnaissance vis à vis des autres professions socio‐médicales. 155 Certaines salariées ne parviennent pas clairement à situer leur statut entre aide à domicile et auxiliaire de vie. (salariées association). Il est vrai que les auxiliaires de vie sont amenées à faire du ménage « pur » tandis que lorsqu’il y a un manque d’auxiliaires de vie, les aides ménagères assument une partie de leurs fonctions. « Je suis aide à domicile mais je fais l’équivalent d’une auxiliaire de vie je fais plein de trucs, j’ai les mêmes compétences » (salariée association). A travers cette valse hésitation entre ce qu’elles « peuvent faire », ce qu’elles « ne peuvent pas faire », et ce qu’elles font effectivement, on voit se profiler les représentations du besoin. Quels sont les grands traits de cette représentation ? 2. Préserver l’autonomie des personnes La représentation du besoin de la personne âgée renvoie à la formation que les salariées ont reçue : elles insistent sur la nécessité de préserver l’autonomie des personnes âgées (elles aident sans se substituer à la personne aidée). « Nous avons toujours une mission de motivation, de remotivation, quelqu’un qui sort de l’hôpital il faut le pousser à manger, l’inciter à manger, à se déplacer enfin à combler les besoins fondamentaux de la personne ». (salariée association). Faire gagner en autonomie est donc un objectif affiché par les salariées. Les salariées expriment un souci de reconnaissance fondé sur l’atteinte d’un objectif d’accroissement de l’autonomie de la personne âgée : « On sent qu’on est reçu, on n’est pas que des employées. Je dis pas qu’ils doivent se mettre à genoux devant moi c’est pas ça mais vous savez que quand ils sont là et qu’ils essayent d’avancer votre travail on sent qu’on est pas là pour rien, qu’il y avait des gens qui faisaient rien du tout qui essayent de faire comme si ils voulaient reprendre de l’autonomie. Ca encourage de voir ça » (salariée association). 3. Générer de la confiance à travers la continuité de l’intervention L’attachement aux personnes (les enfants ou les personnes âgées) peut être considéré par certaines salariées comme difficile à vivre et pouvant motiver un changement de statut (de mandataire vers prestataire) et/ou d’employeur (salariée association). Il y a donc indéniablement une dimension affective forte dans la représentation du besoin (salariée association), mais les ressentis sont mêlés et contradictoires (salariée association) : « les écouter raconter un peu leurs douleurs ça aussi c’est difficile à accepter quoi, et puis vous liez une amitié très facilement et puis on vous considère pas comme étranger ». Les registres se mêlent : d’un côté une salariée affirme presque sèchement ne pas avoir recours à son véhicule pour effectuer des courses ou des accompagnements de la personne âgée pour des raisons économiques : « il fallait que je prenne l’assurance à ma charge et je regrette, je n’avais pas envie de payer un surcoût d’assurance pour rendre service aux gens et être indemnisée 33 156 centimes du kilomètre » ; d’un autre côté la même salariée considère qu’un changement de statut (de mandataire vers prestataire en l’occurrence) serait dommageable à sa relation avec ses clients : « je m’entends bien avec tous les gens chez qui j’interviens je n’ai pas envie de les quitter » (salariée association). Un argument rationnel fondé sur les contraintes propres au salarié vient donc télescoper un argument émotionnel plutôt bienveillant pour la personne âgée. Les salariées semblent être bien conscientes du fait qu’un besoin peut en cacher un autre : « l’histoire des courses à Géant c’est une excuse aussi pour sortir alors elle prend ses petites brosses, son jambon » (salariée association). La capacité à garantir une certaine continuité dans la présence auprès des personnes âgées constitue une preuve de professionnalisme : la confiance est alors invoquée, tout comme les bienfaits de l’habitude (salariée association). Un sens de l’engagement se dégage assez fortement vis à vis de la personne âgée qui est considérée comme devant à tout prix être satisfaite. Le professionalisme est alors défini par la ponctualité et la continuité du service. (salariée association) « ne pas aller pour une voiture en panne, c’est affreux. Non, on ne peut pas…ce n’est pas professionnel ». 4. Faire avec Faire avec l’existant renvoie notamment au fait que les salariées répondent aux besoins en gérant un contingent d’heures d’intervention et un budget limités. La représentation du besoin et de la manière de le satisfaire est donc aussi construite par rapport au nombre d’heures allouées à la personne âgée : certaines intervenantes se plaignent de ne pas avoir assez d’heures pour effectuer correctement leur travail (salariée association). Autre aspect du besoin, le budget de la personne âgée : plus il est restreint, plus l’intervenante devra faire preuve de talent pour concilier l’inconciliable (salariée association). On ne peut négliger le fait que l’intervenante construit aussi sa réponse de service en fonction des moyens financiers de la personne âgée. Gérer des budgets de tutelle pour les personnes en situation financière fragile revient à gérer toute la vie matérielle d’une personne. 5. Un rôle de veille sanitaire et sociale La responsabilisation des intervenantes peut être lourde face à certains risques tels qu’une chute ou un malaise d’une personne âgée. Même si un partage des tâches est prévu, la présence de l’intervenante aux côtés de la personne âgée implique la nécessité d’effectuer une sorte de premier diagnostic, tout en limitant son engagement comme le requiert sa position dans la hiérarchie médico‐sociale. Elle est donc bien mobilisée sur des missions de veille, de prévention, de gestion de l’urgence, (salariées association). « on connaît les gens aussi, les petits détails, les petites phrases » (salariée association), « savoir percevoir un état critique, savoir qui contacter, 157 donner l’alarme, même si c’est à titre préventif » (salariée CCAS), « la fonction d’auxiliaire de vie si vous voulez on est au milieu de tous les intervenants » (salariée association) et assure une fonction de liaison, qui est d’ailleurs matérialisée par le cahier du même nom. La veille ne s’opère pas que dans l’urgence d’une situation. Le rôle de médiation et de transmission d’information aux « autorités compétentes » en cas de problèmes (par exemple maltraitance) peut aussi être requis. Ce rôle est souvent assumé en dehors des heures de travail (salariée association). Leur connaissance du terrain, donne aux salariées une légitimité (qu’elles s’auto‐attribuent en tous cas), en matière d’identification des « vrais » besoins : ainsi une salariée considère que le planning des heures APA d’une personne âgée n’est pas adapté à son besoin ou encore que des enquêtes de satisfaction devraient être menées par sa structure auprès des personnes âgées. On note toutefois qu’en dépit de l’engagement qu’implique la réalisation de ce type de fonctions, les salariées considèrent que les difficultés de leur métier proviennent plus des aspects physiques de leur intervention, notamment ceux liés au ménage et au déplacement d’objets lourds (salariée association). Les salariées se représentent volontiers comme des travailleurs du « social » : cela signifie essentiellement pour elles de garantir que les personnes âgées puissent communiquer et leur faire part de leurs problèmes éventuels (employée gré à gré). « J’aime les gens » (salariée association). « C’est du social que je fais en fait, mais si je fais du ménage, quoi que ce soit c’est du social, c’est ce dont les personnes ont besoin » (salariée association). Du social à l’humanitaire il n’y a qu’un pas dans la bouche d’une salariée qui considère sa présence dans ce métier pourtant peu valorisé pécuniairement comme la preuve de l’existence d’une reconnaissance qui passe par le relationnel. (salariée association) : « le prix qu'on nous paie ne vaut pas le travail que l'on fait donc quelque part il faut de l'humanité pour pouvoir faire ce travail ». « Moi je suis venue pour être … utile » déclare une salariée (salariée association) à qui on demande si elle fait aussi du ménage. Les salariées établissent une certaine hiérarchie des tâches, hiérarchie qui renvoie semble‐t‐il aux représentations des personnes auprès de qui elles interviennent. Cette hiérarchie contribue aussi à la construction de la profession : « je trouve que la toilette c’est plus revalorisant, on se sent plus utile encore que le ménage (…) je trouve qu’ils ont plus besoin de nous, c’est plus social ... parce que souvent quand on fait que le ménage chez certaines personnes, bon on ne nous appelle même pas les aides à domicile, bon c’est la femme de ménage » (salariée association). Les salariées ne se reconnaissent pas sous l’appellation de « femmes de ménage ». Elles sont là pour aider les personnes, selon une représentation souvent très pragmatique de leur intervention. 6. Savoir répondre Savoir répondre à ce qu’elles considèrent être des défis constituent une motivation forte des aides à domiciles à requérir de la formation. Cette requête ne vise d’ailleurs pas que la mise à disposition de moyens formels, l’auto formation étant largement de mise. 158 Les salariées déclarent avoir d’importants besoins de formation. Il est intéressant de constater que certaines requêtes de formation sont fondées sur un souci de la part de la salariée de prolonger sa relation de soin avec des personnes âgées : c’est le cas des formations aux soins palliatifs « parce que quand on a suivi quelqu’un tout le temps, la personne aime bien avoir … sa personne qu’elle a eu, jusqu’à la fin » (salariée association). L’auto formation est de mise dans un contexte où les heures de formation formelle sont considérées comme rares (voir chapitre 3.) et où « on est jeté dans la fosse aux lions, y a personne quand on arrive chez la personne, on est toute seule, on tâtonne » (salariée association). Ainsi certaines lisent et s’informent « sur les maladies, sur les aides à la personne, des bouquins qui sortent, ou même les émissions, par exemple, cette année c’était le cancer » (salariée association). L’auto‐apprentissage de l’utilisation du matériel d’élévation des personnes, fondé sur l’expérience personnelle et familiale est courant. La crainte de se trouver démunie face à un besoin plus ou moins exprimé par la personne âgée peut motiver le besoin de formation chez la salariée : « Le plus douloureux c’est que des fois on ne sait pas, on se trouve des fois dans une situation où on ne sait pas quoi dire c’est pour ça que j’ai demandé une formation pour les maladies Alzheimer, et à l’accompagnement de fin de vie » (salariée association). Certaines salariées considèrent que la diversité des registres de leur intervention est un point positif pour leur carrière: « j'aime beaucoup mon travail. Il me prépare bien à devenir aide­
soignante, et qui sait plus tard infirmière. Car j'arrive à donner des bains, à donner des médicaments. On n’a pas vraiment le droit de le faire mais quand il y a un cas de force majeure on est obligée de le faire. Un jour j'ai été obligée de faire un lavement moi­même ». (salariée association mandataire). Une autre intervenante insiste plus sur la mise en pratique immédiate de sa formation Alzheimer auprès d’une personne âgée (salariée association). Il est intéressant de constater que ce qui motive une partie des besoins de formation chez les salariées relève moins d’une volonté de construction de carrière que d’un souci de détenir les capacités adaptées aux besoins de leurs patients. Ces capacités vont souvent se traduire par « des petites choses qu’ils nous apprennent et c’est vrai que ça nous aide au quotidien dans notre travail » (salariée association). Tout en se défendant d’accomplir un métier qui serait le simple miroir de l’exécution des tâches effectuées dans la sphère domestique, certaines salariées insistent sur le fondement expérimental de leurs compétences acquises notamment dans le cadre familial… « Faire ou aider à la toilette et déplacer les gens ça me venait de moi­même et je le faisais naturellement sans que j’ai appris quoi que ce soit, vous avez une maman chez vous ou vous avez quelqu’un qui a besoin de vous, vous le faites, c’est pas ce qu’on apprend qui nous aide » (salariée association). Sans toujours faire l’apologie de la « vocation », le métier d’aide à domicile repose donc aussi, en tous cas dans le discours des salariées, sur leur propre expérience. Ainsi, le fait d’avoir soigné un parent malade peut être mobilisé pour légitimer une certaine forme de professionnalisme. « Depuis que j'avais 10 ans, je voulais aider les personnes âgées. Je l'avais dit à ma mère. J'ai aidé mes deux grands­mères jusqu'à leur mort. Après c'était ma mère » (salariée association). Mais c’est moins la revendication d’un professionnalisme dont il s’agit que l’expression d’une sensibilité au monde de la fragilité et d’une humanité. Dans cette expression c’est l’expérience, parfois intime, qui légitime le professionnalisme. « J’étais attirée par le métier d’aide à domicile 159 mais en fait parce que je m’occupais de mon papa qui souffre de la maladie de Parkinson donc mon papa où il habite il y avait des personnes qui étaient âgées comme lui et qui étaient isolées. Donc en fait je travaillais un petit peu pour tout le monde on va dire » (salariée association). « J’ai passé mon DEAVS en juin 2005 et je l’ai eu tout de suite. On m’a posé plein de questions, j’ai toujours répondu : dans la famille il y a beaucoup de personnes handicapées, beaucoup de cas » (salariée association). De quoi, nous y reviendrons, interroger la notion de qualification. 7. Des bricoleurs caméléons Ces différents éléments, relatifs à la polyaptitude, à l’auto formation, à la vocation, renvoient à l’idée que le métier d’aide à domicile est un métier de bricolage, un bricolage professionnel qui tente de répondre à un besoin multiforme. Là encore le pragmatisme est à l’œuvre, en tous cas dans la manière de se représenter le travail : « dans le métier qu’on fait il faut être un peu caméléon » (SA‐N3) afin de s’adapter à l’humeur et aux requêtes des personnes âgées, et de leurs proches. Les salariées insistent sur la dimension comportementale de leur intervention : même lorsqu’il s’agit de tâches ménagères, elles affirment ne pas intervenir dans un univers neutre, comme ce pourrait être le cas d’une intervention dans des bureaux ou une entreprise. « Le plus dur c’est de rentrer dans l’intimité des gens (…) on a des gens difficiles qui n’acceptent pas leur état » SA‐N1. La mobilisation d’aptitudes psychologiques est donc de mise. « Des fois je dis mais non je ne peux pas être votre fille ou votre petite fille, je suis votre aide. Alors elles me suivent, elles s’assoient si on est dans la chambre, ce n’est pas pour nous surveiller mais parce qu’ils ont besoin aussi. Il y en a qui ont besoin de cette relation, c’est vrai qu’on est leur aide à domicile mais on est un petit peu leur confidente aussi (…) Quand je sors de chez eux, j’oublie tout. Je dis chaque personne a son cas, chaque personne, donc je dis bon elles m’ont confié donc c’est tout et puis j’oublie (…) Je quitte l’histoire et j’en prends une autre » (salariée association). De même, « ce qui est le plus dur, c’est sur le plan psychologique. Il faut avoir une bonne maîtrise de soi. On rencontre toutes sortes de difficultés. Il faut être patiente. Ce n’est pas le contenu des tâches (…) Dans certains cas comme des malades d’Alzheimer, il faut tout gérer, on va essayer de la stimuler en sachant qu’il n’y aura pas de résultat. Donc il faut tout inventer, aller dans son sens mais la personne a des idées fixes qui ne correspondent pas à la réalité. Donc il faut faire un jeu en quelque sorte. Il faut une compétence (…) Ce que j’aime dans mon travail c’est le contact avec la personne pour l’aider, la sortir, l’écouter, l’accompagner dans ses besoins. Au départ ma motivation était de trouver du travail. Et au fur et à mesure je me suis adaptée et j’ai appris à aborder la maladie et j’y ai pris goût » (salariée association). Prendre goût à la maladie ça n’est pas rien, car c’est l’affirmation d’une disposition perceptive qui va bien au‐delà de la simple « écoute » : c’est une reconnaissance du malade et de son affection qui fait elle‐même appel à une reconnaissance du soignant. Comment faire du bien aux autres sans être soi‐même le sujet de leur bonté ? 160 Le caractère imprévisible de la nature de l’intervention peut venir en contradiction avec les contraintes d’une journée bien planifiée : « vous êtes autonome parce que quand vous arrivez chez une personne vous ne savez jamais exactement comment vous allez la trouver si elle est pas bien ce jour là c’est une intervention qui se passera avec difficulté, c’est quand même difficile parce que des fois la personne est vraiment pas du tout en forme il faut la manipuler enfin il faut quand même une énergie. Alors ce qui est difficile c’est de rester bien dans son planning » (salariée association). Structuration, déstructuration : on voit mal comment rendre compatible ce constat avec la standardisation croissante qui est exigée par les structures. En fait, les salariées sont dans une constante négociation avec les personnes âgées : négociation du périmètre des tâches à mener, négociation sur la manière de les mener (salariée association : « pour les personnes âgées le travail assis c’est pas du travail »). Elles sont aussi dans une constante adaptation de leur comportement et de leur manière de travailler en fonction du milieu dans lequel elles se retrouvent : « on doit faire avec les exigences des personnes » (salariée association), « il faut aussi s'adapter aux personnes ou à la famille et l'accepter, jouer avec sa psychologie. Moi quand j'arrive il faut que j'étudie vite, très vite la personne. ce qu'elle aime, ce qu'elle n'aime pas » (salariée association). C’est d’une certaine manière l’anti‐routine, avec les avantages et les inconvénients que cela peut présenter. Elles peuvent avoir entre 8 et 9 personnes âgées à prendre en charge chaque jour. Pour autant certaines salariées affirment avoir peu d’autonomie dans leur travail (salariée association). Être à l’écoute en dépit d’un contexte d’agressivité verbale, cela demande une maîtrise comportementale et psychologique qui peut paraître commune mais la particularité est ici que cette maîtrise est sollicitée très fréquemment et avec des personnes différentes : « il faut surtout être à l’écoute même quand la personne est agressive, il faut penser qu’on peut être comme ça plus tard … Rester zen, il faut rester zen et puis généralement la personne s’excuse après (…) il y a des personnes bon ben je change de pièce, je dis ben alors ben mamie qu’est­ce qui t’arrive, ben raconte moi. Ben elle fait excuse moi, excuse­moi elle dit ben je vais te raconter j’ai besoin de lâcher tout et puis après ça va mieux, et puis c’est passé » (salariée association). 8. Poser des limites tout en rendant les autres heureux Même si comme on l’a vu plus haut, les salariées déclarent puiser un partie de leurs aptitudes dans leur expérience personnelle, être professionnel c’est précisément aussi limiter les relations personnelles avec la personne âgée. Le professionnel est alors celui qui est distant par rapport à l’intimité de la personne âgée, celui qui ne rentre pas dans la partie personnelle. Selon cette 161 représentation le lien familial définirait l’absence de professionalité, et a contrario la professionalité se définirait par l’absence de liens familiaux. « C’est très différent de mon papa parce que mon papa ce n’est pas pareil c’est personnel donc je peux accéder à ses comptes, je peux aider mon père à 100%. Mais un personne âgée vous pouvez l’aider mais vous n’allez pas aller dans la partie personnelle. Il faut rester professionnel » (salariée association). Bien que conscientes de la nécessité de délimiter leur champ d’intervention, les salariées se réclament d’une éthique implicite qui consiste à faire passer la personne avant tout, même au risque d’outrepasser légalement leurs missions (cf. plus haut le point sur l’habilitation à faire). Cette éthique repose notamment sur la valorisation d’une attitude compassionnelle : « Pour faire ce travail­là il faut aimer déjà la personne âgée et il faut savoir la respecter et être très patient parce que vous en avez qui malheureusement dans leur solitude ont beaucoup de colère. Donc comme vous, vous êtes la seule personne qu’ils voient ils vous transmettent un peu cette colère là mais il faut savoir l’accepter parce que pour eux ce n’est pas évident parce que nous aussi on va vieillir donc on voudra bien de cette aide que eux ils ont aujourd’hui. Il faut savoir s’accommoder » (salariée association). « Il faut aussi certaines qualités : patience mais aussi aimer ce métier, aimer les personnes. C’est très dur quand même, c’est très lourd » (salariée CCAS). Cette attitude compassionnelle peut aller assez loin : « Une fois une dame qui est maintenant à l'hôpital, m'a donné la chair de poule . Elle m'a dit en me voyant c'est comme si le bon dieu rentrait chez moi. J'ai pleuré de joie » (salariée association). Elle repose aussi sur l’aptitude à aider les personnes âgées à supporter la solitude. Les salariées, sur la base du constat de l’isolement des personnes âgées auprès desquelles elles interviennent, se positionnent comme ayant les capacités de rompre partiellement cet isolement, tout en rappelant qu’elles ne peuvent se substituer à la famille dont elles dénoncent l’absence, l‘ingratitude ou les manquements. Une salariée affirme que pour certaines personnes âgées, le véritable motif de leur demande d’aide APA est moins lié à leur dépendance qu’à leur situation d’isolement mal vécue. Enfin, rendre heureux s’inscrit aussi dans cette éthique du soin de l’autre dont se revendiquent certaines intervenantes : « C’est très différent par rapport au commerce, dans le commerce vous n’avez pas la satisfaction de rendre, mais de rendre les personnes heureuses. C’est un sentiment que je n’avais pas avant. Même quand vous avez votre 162 semaine de boulot que vous avez bien rempli vos objectifs, vos quotas tout ce qu’on vous avait demandé de faire vous n’avez pas cette satisfaction. Vous vous dites « ouf je l’ai fait » mais c’est tout. Mais vous n’avez pas cette satisfaction d’avoir rendu les autres heureux c’est ça qui est extrêmement différent » (salariée association). 2.1.2. EMPLOYEURS Les discours d’employeurs portent moins sur les besoins mêmes des clients que sur les aptitudes et compétences mobilisées par leurs salariées pour les satisfaire. 1. Des logiques et des mobiles apparemment rationnels A la question de savoir si le même personnel peut prendre en charge des enfants et intervenir pour faire du ménage, un employeur répond par la négative en invoquant des « questions de budgets de formation ». « Quand vous formez des professionnels enfance pour ça ils ont du mal à faire autre chose » (responsable entreprise). La notion de professionnalisation est utilisée pour faire référence à une réinsertion par le travail : « Nous employons des dames qui sont en difficultés sociales et notre projet est de les reprofessionnaliser sur un vrai métier » (responsable entreprise). La professionnalisation fait donc, dans le discours des employeurs, plus référence aux aptitudes et aux compétences, voire aux diplômes détenus par les salariés qu’à leurs capacités à répondre de manière satisfaisante aux besoins des usagers. En fait tout se passe comme si l’accumulation, d’aptitudes, de compétences ou de diplômes entraînait de manière logique une satisfaction élevée du besoin chez l’usager, sachant que certains préfèrent les compétences aux diplômes. Dit autrement, pour les employeurs, le meilleur moyen de considérer le besoin et de le satisfaire c’est d’une manière ou d’une autre de qualifier la main‐d’œuvre et d’organiser le processus de production. On est là dans les registres gestionnaire et technique de la qualité et de la professionalité. Ainsi, une large part de la représentation des besoins se construit par le prisme des compétences considérées comme indispensables pour exercer tel ou tel métier. Les notions de savoir‐faire et de savoir‐être sont largement mobilisées, et interprétées à souhait. Tout en reconnaissant que la partie ménagère de l’activité est un métier, la difficulté réside dans la possibilité de garantir des passages vers la partie aide à la personne. « Un vrai métier ? Oui et non. Oui car compétences et savoirs­être professionnels extrêmement subtils. Oui également car il y a de véritables 163 filières. Deux grands types de métiers dans l’aide à domicile : tâches ménagères, tâches techniques, en l’absence des personnes. Et puis les métiers d’aide à la personne et des personnes fragiles. Notre projet est de faire passer celles qui le souhaitent de l’un à l’autre » (responsable entreprise). En écho aux affirmations des salariées relatées précédemment, selon un responsable d’association les salariées connaissent bien les termes extrêmement techniques relatifs aux maladies des personnes qu’elles ont en charge. De fait l’aide à domicile est un témoin de premier ordre dans le ballet incessant des différentes composantes du corps médico‐social : « l’aide à domicile reste, donc elle se rend bien compte de l’évolution de l’état de santé de la personne » même si « le rôle de veille assuré par les intervenantes, certaines en sont capables d'autres moins » (responsable association). Un responsable de CCAS reconnaît des qualités vocationnelles et émotionnelles au personnel intervenant auprès des personnes âgées : « les gens qui travaillent avec les personnes âgées ont leur travail à cœur. Elles finissent par s’attacher aux personnes. Quand une personne meurt j’en ai vu en pleurs. Et c’est peut­être pour cette raison qu’elles sont peu en arrêt. C’est un travail pour elles bien sûr, mais c’est aussi une relation qui se crée ». Tout en admettant aussi que « quand elles sont en arrêt de travail, leurs heures ne sont pas payées »… ce qui témoigne de l’existence d’une reconnaissance inachevée. 2. Compétences acquises versus aptitudes naturelles La représentation des conditions d’exercice du métier d’aide à domicile flotte entre deux pôles : celui de l’acquisition formelle des compétences d’un côté, celui de la mobilisation et de la valorisation de compétences quasi‐naturelles de l’autre. « Les jeunes ne tiennent pas la route » (…) car « elles n’ont pas de recul par rapport à la vie, n’ont pas d’enfants, pas de qualification… Elles se disent que ce n’est pas fait pour moi. Il faut avoir une maturité, une carrure » (responsable entreprise). Ainsi la motivation personnelle fait tout : « dans ces métiers­là pour quelqu'un qui est courageux et qui veut remonter ses manches, il y aura du travail ». Même si le problème demeure du passage du ménage aux personnes fragiles, qui exige un diplôme spécifique. « Pour certaines on voit que ce n'est pas leur vocation, bon même si je ne sais pas s'il y a une vocation pour faire le ménage » (responsable entreprise). Une dimension de subjectivité est attribuée au métier de femme de ménage : « C'est du subjectif. C'est de la mise en relation de personnes. Il faut que les personnes se mettent en tête qu'elles ne satisferont jamais complètement leur employeur, quoi qu'elles fassent. Exemple sur la façon de repasser une 164 chemise. Les employeurs sont souvent très mauvais managers. Ils ne savent pas dire les choses. Les consignes ne sont pas données et quand quelque chose ne va pas, ils ne savent pas l'exprimer correctement. Il y a un lien à moitié affectif qui se crée et ils ont peur que la personne le prenne mal et la relation se dégrade. Je dois servir de médiateur à la demande des deux acteurs » (responsable entreprise). Les employeurs sont conscients des difficultés rencontrées par les salariées. Selon un responsable d’entreprise, « C'est physique, c'est fatigant. C'est pas évident de passer sur plein de lieux de travail. On vend du confort avec des moyennes horaires faibles. Capacité d'adaptation psychologiquement et physiquement. C'est l'approche du service avec double compétence (service et métier) à des prix peu élevés ». D’autres invoquent la reconnaissance du « bon client » en guise de compensation relative de la pénibilité subie par les salariées (responsable entreprise). D’autres encore parlent de « moutons à cinq pattes » (responsable entreprise). Pour la garde d’enfant, « elles doivent avoir une formation générale, une bonne élocution, orthographe correcte, pas de fautes de français, dynamique avec plein d'idées dans son sac pour occuper les enfants, bien organisées pour faire le ménage, les courses, déposer l'un à la musique, qu'elle soit gentille avec les enfants mais suffisamment ferme… Les critères de qualité de travail sont très variables d'une famille à l'autre. En général les mamans cherchent un peu des clones… C'est du subjectif ». Un responsable d’entreprise évoque les « qualités humaines et comportementales » pour évaluer les aides ménagères : « la discrétion, la ponctualité, le respect des consignes. Pour moi ce sont les trois qualités d’une aide ménagère. Quand on sent que la personne a ces qualités là, on les retrouvera (mais multiplié par dix) dans l’enfance ou les personnes âgées ». La reconnaissance des diplômes n’est pas l’objectif premier, les employeurs développant leurs propres outils d’acquisition et de développement des compétences à travers des modules de formation (responsable d’entreprise). « On définit nos propres critères : savoir être, savoir faire » (responsable d’entreprise). Tablant sur un fort turnover « volontaire », l’employeur (responsable d’entreprise) investit très peu dans la formation. Arguant de la « difficulté de recruter des personnes qualifiées », l’entreprise préfère « chercher dans ses effectifs » en cas de besoin. Un responsable d’entreprise parle des capacités d’adaptation des aides ménagères face aux différents clients, de la subtilité des comportements qu’elles doivent adopter. Un responsable d’entreprise tient un autre discours : selon lui il n’y a pas de compétences particulières à mobiliser dans le métier d’aide ménagère, mais des connaissances minimales en français, accompagnées de compétences techniques (test repassage) mais surtout d’une « bonne moralité (confiance, clé, etc.) » d'où le recours à des « tests de mise en situation pour repérer la notion du bien et du mal… ». Un responsable de CCAS n’est pas très éloigné : « on veut surtout de la qualité. Même si nos aides à domicile ne sont pas toutes formées, mais pour les emmener faire les courses, les emmener chez le médecin, une aide à la toilette ou même faire la toilette, elles sont capables de le faire ». La première sphère de référence lors du recrutement d’un salarié c’est selon un responsable d’entreprise le casier judiciaire. L’expérience est invoquée ensuite comme élément majeur. Cet employeur considère qu’en plaçant la barre des diplômes trop haut pour des métiers comme celui d’aide ménagère, « on ferme la porte à une population qui se trouve au chômage à 35 ou 40 165 ans » … population qui est considérée comme particulièrement adaptée puisqu’elle est dotée d’un « professionnalisme, un respect du client, un respect de l'employeur qui est autrement plus dimensionné que chez les plus jeunes ». Tout en reconnaissant l’existence d’un référentiel établi par la branche (Employé familial polyvalent), un responsable d’entreprise insiste sur le fait que « ce qui est important, c'est le parcours : éviter la grosse misère sociale, les ruptures sociales, familiales ou professionnelles, les personnes vraiment larguées qui font ça en dernier ressort ». Pour la garde d’enfant, un responsable d’entreprise considère que le recrutement est plus aisé « car j'ai plus de repères : en termes d'organisation, de sécurité, d'occupation des enfants. En plus on a des diplômes spécifiques : CAP petite enfance, et autres. Il faut une connaissance minimal (comment baigner un enfant) mais au­delà c'est plus un savoir être : dynamisme, souriant, etc. C'est facile à détecter ». Il admet cependant que « le fait d'avoir des enfants n'est pas déterminant ». Ces représentations reflètent donc une extrême individualisation des compétences, qui peut aller jusqu’à leur naturalisation. Un responsable d’association évoque des facteurs culturels pour expliquer les qualités de maternage des personnes âgées que détiennent les salariées : « l'effectif des intervenantes est composée en très grande majorité de femmes d'origines étrangères (Afrique noire, Maghreb, Antilles et 10% de français d'origine) (…) ces femmes viennent d'une culture où on ne confie pas ses parents à quelqu'un. Que ce soit aussi une personne qui vient d'accoucher, la famille s'en occupe. Elles ont donc en quelque sorte cette spécificité qui fait qu'elles maternent les personnes âgées et s'en occupent avec beaucoup de qualités ». Selon un autre employeur (responsable d’entreprise), « pour des enfants de plus de trois ans, ce n'est pas la qualification qui fait la différence. On a déjà eu des jeunes diplômées petite enfance qui n'ont pas su gérer des enfants plus grands. On a mis une mère de famille, le lendemain tout été rentré dans l'ordre. C'est ce qui nous conforte à dire que pour la garde d'enfant il n'est pas nécessaire d'être diplômé mais plutôt avoir entre 35 et 50 ans et avoir eu des enfants ». Pourtant selon un responsable d’entreprise « il n’y a pas d’improvisation dans ce métier, on a beau faire le ménage chez soi, excusez moi mais ce n’est pas pareil… ». 3. L’employeur arbitre On retrouve des mots‐clefs proches de ceux utilisés par les salariées dans le discours d’un responsable d’entreprise relatif aux attentes des clients : « Des exigences très subjectives. C’est un donneur d’ordres à tous les sens du terme. On doit parfois être arbitre ou intermédiaire. C’est un ménage à trois. Il ne tient que sur la relation de confiance et ça nécessite des comportements irréprochables ». Manifestement l’employeur légitime sa position d’intermédiaire entre le salarié et le client en arguant que d’un côté il rassure le salarié : l’employeur se veut aussi le garant du respect déontologique du salarié : « on se bat pour la professionnalisation, ce n’est pas pour qu’on prenne nos salariées pour des bonniches. Ce ne sont pas des bonniches. Il y a des règles à respecter ». D’un autre côté, il présente une garantie et une responsabilité en cas de problème causé par le salarié 166 chez le client. « On est dans un métier de service. Ce n’est pas la caisse. Ce n’est pas des gestes répétitifs. Il y a des relations, il suffit de voir les étrennes de fin d’année ». Un autre responsable d’entreprise déclare : « On les a régulièrement soit au téléphone soit par mail. Ça les rassure d'avoir du personnel que nous on connaît. C'est un filtre de sélection. On a un rôle de tampon. S'il y avait une difficulté qui pouvait se présenter, on est là pour faire des points de réglages ou apporter une autre solution. C'est un service d'un confort absolu. Pour une maman qui fait garder ses enfants, quand on lui indique que si l'intervenante est malade on la remplace. Ça n'a pas de prix. Enfin si ça a un prix. Je me comprends ». Un responsable d’entreprise considère qu’il faut éduquer le client : « On met une affiche cherche femme de ménage, on a personne. Il faut expliquer ce qu'est le service à la personne ». De même chez un autre responsable d’entreprise « On fait très attention à nos salariés et la moindre remarque qu’il y aurait d’un client, on intervient. On a des comptes à rendre envers nos clients mais aussi envers nos salariés. On doit les protéger ». Un responsable d’entreprise en appelle au respect de la dignité des salariées (de ménage). L’arbitrage est une fonction que l’on retrouve, avec une signification différente, dans le discours de certains experts, qui insistent sur le fait de « mettre de la médiation de la régulation pour équilibrer souffrances et plaisir au travail. Si je suis le travail des personnes qui travaillent, je dois être garant que l’on donne toujours du sens à leurs activités, donc elles ne sont plus dans une relation affective. On ne peut le résoudre que par une organisation de travail, on recentre les salariés sur du projet et sur leur projet professionnel à elles, afin qu’elles ne maternent pas le vieux, car ce qui freine la construction d’identités professionnelles c’est l’affectif » (expert). 4. Satisfaire c’est s’adapter Une autre manière d’aborder les besoins du point de vue de l’employeur c’est de se concentrer non pas tant sur la prestation elle‐même et sur la qualité de son output, mais sur les modalités de sa mise en œuvre. Ainsi, la souplesse d’utilisation est invoquée par un responsable d’entreprise : « On fait des contrats d'intérim qui s'adaptent aux besoins de nos clients. Si un client nous dit "j'ai besoin d'une garde d'enfant pour trois semaines, on fait un contrat pour trois semaines. Si un client nous dit j'ai un besoin pour une journée on fait un contrat d'une journée, si c'est pour 3 heures… L'avantage il est là, c'est super souple, flexible. Nous on amène une expertise au niveau du recrutement avec toute une expérience éprouvée dans le réseau Addecco. Avec un système de test, de contrôle qui est assez bétonné (…) La valeur ajoutée, c'est le sérieux du recrutement et le suivi. On organise un véritable suivi auprès des clients ». 167 La réactivité fait également partie des critères de qualité du service dans le discours des employeurs et définit à son tour la professionalité : « Des fois il y a des évaluations de besoins où la personne n'a ni l'APA, ni la CRAM, ni rien du tout. Ou par exemple une personne après une chute ou un accident cérébral est à l'hôpital et c'est l'assistante sociale de l'hôpital qui nous appelle un vendredi soir pour le lundi. Et là c'est notre capacité de réactivité » (responsable d’association). « La Procédure Retour d’Hospitalisation mise en place par la Cram tombe le vendredi soir vers 16h­
16h30, on doit être prêts tout de suite. On essaie de répondre dans les 6 heures » (responsable d’association). « L’aide à la personne cela signifie continuité de service, réactivité, adaptabilité, et donc on laisse tomber un peu tout cet environnement ronronnant du type, « vous avez plus de 65 ans vous dépendez de la Cram, vous avez droit à 12 heures » (responsable d’association). Ce type de représentation se trouve au croisement de la sphère du besoin et de la sphère de l’organisation, ou pour le dire autrement le besoin est perçu à travers le prisme de l’organisation dans une optique plutôt marchande. Nous y reviendrons plus loin. 5. Être proche de l’usager Les employeurs de type OASP ne manquent pas de pointer leur spécificité par rapport à l’emploi de gré à gré du point de vue de leur capacité à se rapprocher du besoin de l’usager notamment. Ce rapprochement peut s’effectuer grâce à la mise en place de procédures de gestion particulières : contrat de prestation, charte de déontologie de respect de la personne âgée, suivi d’intervention dans le cadre d’une démarche qualité, ou encore enquêtes de satisfaction. Être proche de l’usager c’est aussi savoir identifier le besoin dans sa dimension budgétaire : « on se rend compte que même si on a affaire à des gens dits autonomes, ils ont quand même besoin de plus d’aide au quotidien, sur le plan de l’aide domestique mais aussi social, par rapport à la solitude, au relationnel, à la prévention. 10/12 heures par mois c’est insuffisant. L’avenir nous inquiète » (responsable de CCAS) Ainsi, certains employeurs jouent un rôle de médiation en faveur de la définition des besoins auprès des financeurs : « Avec les personnes âgées tout va toujours bien, donc on peut avoir l’impression que la personne ne dépend pas de l’APA alors qu’en réalité elle en dépend. Le problème de sous­estimation de la dépendance survient surtout lorsqu’il n’y a pas d’enfant ou de référent présent le jour du passage de la commission. Donc nous on doit récupérer le dossier. Je les appelle, je bataille avec la commission d’évaluation » (responsable de CCAS). De même l’employeur peut être amené à gérer l’enveloppe APA attribuée à la personne âgée, ce que la situation du gré à gré ne permet pas. Un responsable d’association confirme : « les clients sont un peu plus vieux en prestataire. On a des personnes en mandataire et passé un certain âge elles basculent en prestataire car gérer un dossier particulier employeur ça devient dangereux ». Ce qui intéresse un responsable de CCAS, « c’est de pouvoir travailler auprès de nos personnes âgées, être au courant de ce qui se passe et pouvoir les laisser le plus longtemps possible 168 au domicile. Dans des dossiers APA je fais parfois 3,4,5,6 passages par jour pour éviter de se retrouver à la maison de retraite ». De son côté un particulier‐employeur considère que la sélection du personnel intervenant est plus pertinente et plus ajustée que dans le cadre d’une structure : « en gré à gré le fait que la personne vous vient de relations de voisinage, qu'elle est connue et qu'elle nous est recommandée, ce filtre‐là nous semble comporter moins de risque qu'un recrutement par entreprise ou association. En fait si on accepte ce principe du bouche à oreille c'est qu'on est confiant a priori ». Etrangement, on trouve un argument similaire dans la bouche du représentant d’un CCAS : « les gens ont envie de rester avec le CCAS parce qu’ils n’ont pas de souci. Et puis c’est la commune, la mairie, c’est convivial, c’est l’avantage des petites communes. Les gens ont plus confiance qu’à une structure de l’extérieur » (responsable de CCAS). À chacun sa proximité. Pour les employeurs de gré à gré, la différence avec les structures se joue de plus en plus au niveau de la durée de la relation : « L’entreprise va répondre à un besoin plus ponctuel, plus rapide dans sa réactivité, mais l’aspect relation à long terme sur des horaires importants ça restera de l’emploi direct. On ouvre son domicile à quelqu’un : il y a l’aspect confiance, domicile privé. C’est particulier. C’est un lieu de travail qui n’est pas anodin. A partir du moment où l’on fait appel à une association ou une entreprise, il faut savoir que ce sont des personnes que l’on ne connaît pas qui vont peut être changer d’une semaine à l’autre, qui vont rentrer chez vous, c’est autre chose. Il faut l’intégrer, notamment pour une personne âgée ». Se rapprocher de l’usager renvoie plus largement à une logique de service par opposition à une représentation industrielle du besoin : ainsi, pour ce responsable d’association « on passe du temps à langer une personne à la laver, il y a au moins cet instant privilégié de la toilette à ne pas galvauder, on n’est pas là pour travailler à la chaîne quand on se permet de toucher aux corps des personnes ». La logique industrielle et surtout marchande comporterait donc des risques d’atteinte à la relation au corps de l’autre. 6. Négocier plutôt que prescrire Il s’agit d’un autre regard sur le besoin qui repose sur l’idée d’un dialogue entre acteurs. Selon cette approche il s’agit de contractualiser quelque chose qui prenne en compte le bien‐être de la personne mais aussi les conditions d’hygiène et se sécurité au travail pour celles qui travaillent. Des priorités doivent ainsi être définies en tenant compte des contraintes financières : « les équipes médico­sociales doivent expliquer qu’il y a une APA au domicile mais aussi une APA en 169 établissement. Il faut en discuter. Il y a des temps à investir. Il ne faut pas prescrire, il faut négocier » (expert). Pour cet expert, le plan d’aide peut financer beaucoup de choses, mais encore faut‐il discuter et hiérarchiser les urgences avec les personnes. On peut prescrire du ménage au début si ça a du sens, puis passer à une autre tâche. « Le salarié en niveau C4 pourra faire du ménage si ça a un sens. Il faut un projet de travail qui correspond au projet de besoin ». Cela implique d’éclaircir le flou des missions et de définir des objectifs de travail mesurables. On est là dans une logique servicielle plutôt qu’industrielle. 2.1.3. ACTEURS DE LA REGULATION Le territoire occupe une place privilégiée dans le discours des acteurs de la régulation relatif au besoin. Répondre aux besoins de manière professionnelle cela signifie parvenir à réduire les inégalités des territoires : inégalités d’accès aux services, inégalités sanitaires et sociales. Un acteur de la régulation nous fournit un bel exemple de cette représentation. Le département est structuré en huit secteurs avec des responsables spécifiques qui gèrent à la fois les établissements mais aussi les services d’aide à domicile : « Il y a une réflexion à mener par territoire (…) C’est la proximité des besoins qui prime ». Pour cet acteur de la régulation il est important que l’administration se rapproche des usagers car, compte tenu de la centralisation et de la diversité des paysages sociaux, il a semblé qu’un fossé se creusait. Une des grandes idées nouvelles du Département c’est de renouveler la territorialisation et de mettre dans chaque territoire une « maison du Département ». On aboutit donc à une territorialisation de l’action avec les « maisons du Département » : 27 maisons réparties en santé‐solidarité, insertion, etc. « Les gens ont donc un acteur à côté de chez eux ». Même si « le contrecoup c’est que l’on aura plus de mal à avoir une action départementale uniforme ». « Les gens sont plus écoutés avec la territorialisation, mais à terme, il faut qu’il y ait une vraie politique de coordination ». Le territoire n’a donc pas dit son dernier mot et un autre acteur de la régulation partage cette idée : « le territoire est important ; ce sont des services relationnels »… tout en le regrettant : « sur Paris, il n’y a pas d’ostracisme vis à vis des entreprises ; c’est différent dans d’autres départements qui protègent leur association à travers un maillage du département (…) Il y a un partage du territoire entre associations (…) les associations ne sont pas dans des dynamiques de développement ». Selon un acteur de la régulation, peuvent réussir les entreprises de service ayant des valeurs intrinséques valorisables sur le marché des services aux personnes : la proximité ; une image de confiance une réputation de service simple. Soit, trois mots clés : proximité, confiance, simplicité qui définissent le « vrai service » et sont en forte adéquation avec les services aux personnes. Ces 4 Rang le plus élevé chez les auxiliaires de vie. 170 valeurs entrent selon un acteur de la régulation dans des enjeux de développement territorial, de créations d’emplois locaux. 2.2. L’ORGANISATION Il peut paraître provocateur de faire l’hypothèse que ce qui préoccupe centralement l’organisation c’est sa performance, particulièrement dans ce secteur réputé pour sa « dimension humaine » et son souci relationnel. C’est toutefois moins un goût pour un réalisme cynique qui guide cette hypothèse que la volonté de rappeler d’une part qu’un prestataire quel qu’il soit (public, privé, associatif, caritatif) est censé garder le contrôle de son coût de production, et d’autre part que ce contrôle est totalement articulé à sa capacité à répondre de manière adéquate aux attentes quantitatives et qualitatives de ses clients. Une organisation est toujours en quête de performance, même s’il existe maintes manières d’appréhender cette performance. La question est ici : Qu’est ce qui relève d’une « bonne » organisation aux yeux des acteurs ? Quel rôle est attribué directement ou indirectement à la professionnalisation, dans la définition de cette « bonne » organisation ? 2.2.1. SALARIÉS 1. Collectif de travail ‐ Isolement Il s’agit là d’un angle mort de la relation salariale dans le secteur de l’aide à domicile (et peut‐
être d’autres services à la personne). Pourtant, du point de vue des salariées une bonne organisation c’est une organisation où l’information circule. Cette information peut être relative aux usagers. A ce titre, le cahier de liaison représente un outil important pour les intervenantes. Il garantit la coordination des interventions : « nous travaillons à deux chez cette personne, moi je travaille 9h/semaine chez cette personne l’autre travaille 4h » (salariée association). La rencontre avec les infirmières est une autre opportunité de communication. La relation directe (usager‐salariée) via le téléphone est également usitée même si peu réglementaire (salariée association). Toutefois les salariées font état de l’absence de relations avec leurs collègues. En dehors des échanges qui s’opèrent via les carnets de liaison les rencontres existent mais sont jugées beaucoup trop insuffisantes, voire inexistantes dans le cas de mandataires (salariée association). Les échanges sont jugés trop restreints entre salariées et avec les responsables relativement aux problèmes rencontrés durant le travail (dont un partage d’expérience qui pourrait être bénéfique à la qualité de service qui n’est pas fait) (salariée association) : une fois par mois voire tous les deux mois ça n’est pas jugé suffisant. Certaines n’ont pas de réunion, qu’elles soient en prestataire 171 (salariée association) « On vient à la fin du mois pour remettre nos heures. et recevoir notre planning »), ou en mandataire (salariée association). Les salariées parlent d’isolement qui les empêche « d’évacuer » et qui peut les conduire à des situations pathologiques (dépressions). Une salariée d’association et deux salariées de CCAS rendent compte d’une bonne fréquence de rencontre avec leur hiérarchie et leurs collègues. Deux objectifs sont visés : un tour de table des services sur le secteur et les personnes aidées, et aussi un moment d’information plus générale, notamment pour l’inscription dans des formations. On note par contraste qu’un salarié en gré à gré revendique son autonomie : « Je n’aime pas avoir des gens derrière mon dos pour me dire ce que je dois faire, je suis très libre». Son rapport aux employeurs est considéré comme « amical », « jamais hiérarchique » (SG‐P1). 2. Progression de carrière Une bonne organisation c’est aussi une organisation où la salariée peut progresser en se formant. Ce n’est toutefois pas toujours le cas. Une salariée (salariée association) souhaiterait devenir aide‐soignante en restant dans la même structure, mais ça n’est pas possible. D’une part les postes n’existent souvent pas, d’autre part cela implique une formation qui n’est pas toujours accessible. Des formations peuvent être réalisées mais elles sont jugées trop courtes. Par exemple une journée sur la maladie de Parkinson (salariée association). Ce découragement aboutit à l’abandon de la formation ou à l’auto‐formation notamment via … Internet avec confirmation des points obscurs par le médecin traitant ... de la salariée (salariée association). Une salariée de CCAS renvoie une image plus favorable de sa structure : « J’ai fait des formations. Par exemple d’incendie, sécurité dans l’établissement (résidence), psychologie aussi (par rapport à des maladies comme Alzheimer, Parkinson), geste et posture, etc. » Le statut mandataire ou prestataire n’est pas sans impact sur les perspectives de carrière et les salariées en rendent compte : « En service mandataire on n’a pas le droit aux formations, ils n’ont pas de crédit pour ça » (salariée association). « J’aurais préféré rester en prestataire car là on peut évoluer. J'aurais pu aussi faire d'autres formations, devenir aide­soignante par exemple et pourquoi pas devenir infirmière un jour (…) Le mandataire c'est un peu comme si on nous mettait dans une poubelle. On s'occupe pas de nous, pas de mutuelle, pas de médecin du travail, pas de formation, pas d'invitation à l'AG, pas de comité d'entreprise, pas de chèque service au moment des 172 fêtes, pas de réunion. On dirait que l'association nous a délaissées » (salariée association mandataire). Une salariée en gré à gré déclare pour sa part se satisfaire de sa situation d’autarcie cognitive : « Des formations ? Non jamais mais je peux si je veux. Ils t'envoient des feuilles. Non ça m'intéresse pas car je pense pas qu'ils ont quelque chose à m'apprendre de plus ». 2.2.2. EMPLOYEURS 1. Matérialiser le service La matérialisation est invoquée par certaines structures pour rendre compte de leur professionnalisme et de celui de leurs salariées : chez ce responsable d’entreprise, « on essaie de matérialiser notre service. Les clients ne s'occupent de rien. La plupart des particuliers employeurs ne savent pas qu’ils sont employeurs. Tout ça ne va pas dans le sens de l'éducation du client. Avec nous il n'y a aucun risque (…) Avant de faire un contrat, on passe 1 heure chez lui. On a un coté pro. On a des véhicules de sociétés, on a des gens qui ne font que ça ». La matérialisation peut aussi servir à créer une identité d’entreprise comme chez un responsable d’entreprise où l’ « on fait des réunions générales et on met en place des activités culturelles (biblio, présentation métier, visite de l’opéra). Après elles se reconnaissent et elles ont un sentiment d’appartenance. Elles sont impliquées, elles ont un sac à doc avec le logo de l’entreprise. C’est vraiment pas du mandataire ». On peut rapprocher enfin les discours sur les effets d’image de ceux portant sur la matérialisation : « on a beaucoup de personnes qui veulent se faire aider par la mairie, car la mairie, c’est l’image du sérieux, du personnel compétent, c’est de la confiance » (responsable CCAS). 2. Sécuriser les emplois La sécurité des emplois constitue selon les employeurs un élément fort constitutif de professionnalisation. Cette sécurité est évoquée, surtout par des entreprises privées, de multiples manières. -
Il peut s’agir d’une prime de 10% pour les salariées intérimaires, ou du bénéfice d’une mutuelle de prévoyance (responsable entreprise). -
Une « politique sociale » propre à l’entreprise qui embauche sur CDI, propose des tickets restaurant, facilite l’accès à la location : « en CDI, ils vont pouvoir contracter un emprunt, et si jamais les clients déménagent, ils sont sûrs d'avoir quelqu'un pour les remplacer » (responsable entreprise). 173 -
Corollaire de la sécurité d’emploi, la notion de « fidélisation » des salariées est invoquée afin de « ne pas amener une nouvelle personne toutes les semaines » chez l’usager (responsable entreprise). Cette fidélisation passe notamment par le recours aux CDI. Qualité d’emploi et qualité de service sont donc censées se rejoindre de ce point de vue. -
Proposer systématiquement aux salariées des augmentations de leurs heures de travail (pour les contrats inférieurs à 35h) est aussi une manière de tenter de sécuriser les emplois, mais le succès est souvent mitigé : « elles ne veulent pas plus d’heures : ce sont des femmes qui ont d’autres charges par ailleurs. C’est un travail fatiguant, travailler à temps complet dans l’aide à domicile c’est difficile et le contexte actuel accentue la pénibilité : avant il était courant d’avoir 3 h chez un client le matin, 4 h l’après­midi, mais aujourd’hui on nous fait intervenir par demi­heures, ce qui est beaucoup plus fatiguant pour les salariés, en termes d’adaptation, de déplacement, de situation, de conditions de travail » (responsable association). -
Sécuriser les emplois c’est aussi construire des parcours professionnels. Le taux de rotation de la main‐d’œuvre est extrêmement élevé (expert), et même si « souvent on est tenté de prendre des personnes surqualifiées, elles ne restent pas » (responsable entreprise). Selon un expert, « il faut former et fabriquer des organisations de travail capables de fidéliser autrement que par le salaire. Sinon les salariés ont intérêt à se vendre toutes seules par le CESU (3 euros de plus) ». Cet expert déplore l’absence d’un savoir‐faire dans les structures en matière de gestion prévisionnelle des emplois : « on forme tout le monde au même niveau et on les amène toutes sur la même qualification. Ce qui signifie ne pas travailler avec la diversification de la clientèle. On ne peut pas faire de la pluriactivité ». Chez ce responsable d’association, on déplore la rareté du management intermédiaire : on trouve 25 employés au siège (conseillères, agents de planification (niveau 1‐2) pour 700 intervenants (niveau 5‐6), mais entre deux actuellement il n’y a rien. « Comment donc je fais pour passer des 700 intervenants aux 25 employés du siège ? Pas de middle management. Ce passage est possible si on arrive à sortir de la marge et de la rentabilité. Ce sont des gros mots dans le secteur associatifs. Mais si je ne suis pas rentable je ne peux pas développer en investissant ». 3. Aménager les horaires Une bonne organisation c’est aussi une organisation qui sait aménager les horaires des salariées. Les structures s’accordent pour dire que les salariés veulent des emplois du temps à la carte (ce qu’ils n’estiment d’ailleurs pas illégitime) alors que les besoins vont plutôt vers une extension des amplitudes horaires : « le secteur de l’aide à domicile c’est la restauration avec le matin en plus » (expert). Pour ce responsable entreprise, cet ajustement ne pose pas de problème majeur, car « on a des logiciels spécifiques dans nos métiers. On doit pouvoir concilier une vie familiale souvent compliquée et une vie professionnelle émergente », même si « aujourd’hui je ne peux pas payer la 174 salariée si le client part en vacances, c’est économiquement impossible. Ce que je peux faire, c’est proposer des remplacements ». Les employeurs insistent sur le fait que le temps partiel est très souvent choisi (responsables entreprise).« Les dossiers de candidatures demandent rarement du temps complets. On est sur une logique de temps et de zones choisis. Le code du travail parle d'un lien de subordination mais nous on est en partenariat » (responsable entreprise). Cette notion de partenariat comme substitut à la relation hiérarchique est également invoquée par un particulier‐employeur : pour EmG‐P1 « avec Fernanda il ne s'agit pas d'un rapport d'employeur et d'employé, ce n'est ni le terme ni le ton de notre relation. On est à égalité, il n'y a pas de lien hiérarchique ». Ils reconnaissent pourtant aussi que de tels emplois du temps ne permettent pas de subvenir aux dépenses courantes d’un foyer. 4. Le juste prix pour de vrais métiers Le juste prix c’est non seulement celui qui permet à la structure d’être rentable, mais c’est aussi celui qui reconnaît l’activité comme un vrai métier. Selon un responsable d’entreprise le prix de vente des prestations de ménage est sous‐estimé et « s’il faut en faire un véritable métier, le prix devrait augmenter » et « si ça continue on va garder les salariés dans une précarité salariale ». Même remarque chez ce responsable d’entreprise selon qui « on ne pourra pas professionnaliser en laissant les prix au ras des pâquerettes ». En fait la notion de « métier » ici évoquée renvoie à la possibilité de développer des prestations à forte « valeur ajoutée » du type « groom service à domicile (réservation de billet d'avion, etc.) ou alors plus à l'américaine avec des brigades spécialisées pour le nettoyage ». D’après ce discours, le marché des services à la personne fait l’objet de distorsions qui empêchent les structures de pratiquer les « vrais prix ». 5. Être compétent Même si certains considèrent que « physiquement il faut tenir le coup mais sinon on n’a pas de compétence particulière à amener » (responsable entreprise), la plupart des employeurs considèrent qu’une bonne organisation c’est une organisation qui sait développer les compétences de ses salariées. La notion de compétence revêt cependant des acceptions très variées. Ainsi pour ce responsable d’entreprise « une personne en insertion va me faire une chemise en 8mn alors qu'une personne compétente va le faire en 4 ». Pour un autre responsable d’entreprise « ceux qui resteront seront ceux qui travailleront avec leurs salariés. Les recrutements sont difficiles, le problème c'est de trouver des personnes formées pour assurer ces métiers. Il y a une concurrence sur le recrutement ». Chez un autre responsable d’entreprise « on teste la qualité de nos salariés. Elles sont rémunérées en plus par rapport à ça (…) 175 On a un système de notation. Si on atteint collectivement un objectif en nombre d’heures, elles ont une prime. Je veux les rendre solidaires. On a une réunion collective tous les mois. On essaye de faire en sorte qu’elles aient les sentiments d’appartenir à une véritable entreprise et un véritable métier. Elles signent une charte des droits et devoirs ». Un responsable d’association requiert une « pré­qualification dans le métier » à l’embauche des aides à domicile : formation spécifique soit par les Assedic, l’ANPE, soit par le DEAVS, soit le titre d’assistante de vie. Un autre responsable d’association de son côté encourage les salariées mandataires à passer en prestataires afin de les faire bénéficier d’une formation. Selon un expert les employeurs vont être de plus en plus dans une logique de gestion des ressources humaines (« la GRH dans les associations de l’aide à domicile c’est de plus en plus comme chez Ikéa »), après avoir été dans une logique de professionalisation : cela signifie qu’ils font progresser les salariés vers des acquisitions de compétences en lien avec les changements que connaît la nature des interventions : on se rapproche du soin et la frontière est de plus en plus floue. C’est le même phénomène que celui rencontré dans le domaine hospitalier où les infirmières prescrivent de plus en plus. Ainsi il va falloir travailler sur des outils de gestion des compétences et non pas de gestion des qualifications (c’est‐à‐dire des diplômes) et des outils de motivation salariale innovants : par exemple faire face à l’absentéisme en donnant des CESU aux salariés, ou en les intéressant aux résultats. 6. Réunir, encadrer : créer du lien … et de la qualité de service Les réunions ou les groupes de parole visant à mutualiser les connaissances (responsable CCAS) et à réintroduire du collectif dans un métier souvent vécu comme facteur d’isolement des salariées sont des initiatives que pratiquent beaucoup d’employeurs, même si leur efficacité est mise en question (responsable association). Créer du lien cela peut aussi se faire par l’introduction de cadres intermédiaires qui servent de relais entre les salariés et la direction. « On a pris une responsable d’exploitation sur le terrain à temps plein et qui aide les filles dans tous les problèmes qu’elles peuvent avoir, aussi bien de comment je fais pour enlever cette tache­la, donc elle fait des mini formations elle gère tout ce qui est planning remplacements, suspension des clients et elle fait des contrôles inopinés chez les gens c’est donc une personne qui est à temps plein sur le terrain pour encadrer tout ce petit monde » (responsable entreprise). 176 Toutefois, les employeurs parlent plutôt de « sous­structuration » qui les empêche notamment de traiter correctement les demandes d’emplois qu’ils reçoivent ou auxquelles ils accèdent. Un employeur associatif de 750 salariés rappelle que seulement 25 personnes encadrent, dont 3 en ressources humaines. Moins de 10% du CA sont affectés aux frais d’organisation. Une autre association abonde : elle a un seul équivalent temps plein en encadrement pour 20.000 heures d’intervention. Une des conséquences de cette « sous‐structuration » est que les employeurs estiment qu’ils utilisent mal le vivier des candidats. C’est une manière intéressante de répondre à la question sur l’éventuelle existence d’une pénurie de main‐d’œuvre. Il s’agirait plus au vu de cette idée d’une pénurie d’encadrement, en ressources humaines notamment, que de main‐
d’œuvre proprement dite. Les employeurs considèrent que l’origine du problème est économique : pour des raisons de coût trop élevé, elles ne peuvent se payer de l’encadrement. Les organismes de formation sont ainsi perçus comme une manière d’externaliser la GRH. La nature de la prestation et son évolution ne sont pas étrangères à cette problématique du déficit d’encadrement, dans un contexte qui est pourtant souvent décrit comme étant celui d’une pénurie de main‐d’œuvre. L’accroissement de la dépendance d’une part, la technicisation des prestations d’autre part ‐ par exemple l’utilisation croissante de matériels spécialisés ‐ technicisation en partie liée à la montée de la dépendance, s’allient au fait que l’intervention au domicile s’effectue souvent seul(e) contrairement à l’hôpital ou à la maison de retraite, pour rendre nécessaire un « accompagnement » de l’intervenant dans certaines phases de son travail. Or c’est là le maillon manquant : il n’y a pas assez d’encadrement sur le terrain5. Par exemple il n’y a pas assez de tutrices, qu’il faudrait financer et former. Un effet positif sur la fidélisation des salariés pourrait être également attendu d’une telle évolution. 7. Se rapprocher du client … efficacement Être professionnel, du point de vue de l’organisation, c’est aussi savoir se rapprocher du client afin de cerner au plus près sa demande et d’y répondre. Ce souci est particulièrement présent chez un responsable d’association, où : « Avant chaque prise en charge, une conseillère (il y en a 10 sur les 123 communes) va se rendre au domicile de la personne avec un ordinateur portable et un scanner portable. On a des soucis de productivité et d’efficacité et si on veut être réactif il faut que la communication soit rapide. Mais ce n’est pas un interrogatoire. Une information ne doit être 5 Le rapport du Plan de mai 2005 « Développer l’offre de services à la personne » posait déjà ce problème. 177 demandée et saisie qu’une seule fois : gain de temps, efficacité, professionnalisme. On identifie la personne, son entourage, le réseau professionnels (médecins, kiné etc., car il faut être coordonné avec eux) ; l’habitation, commerces proches, transports, accès (clé), besoin d’aide technique (lit etc.) qui le fournit. Les ressources de la personne : nous sommes à la recherche de tous les financements possibles pour aider la personne ». Ce dossier sert d’outil d’évaluation et d’outil de suivi : si la conseillère repart du domicile avec un dossier elle aura la grille précédente et pourra voir les évolutions. Le niveau de dépendance est calculé en direct « ce qui permet de travailler avec la personne pour savoir comment elle veut que ça s’organise en distinguant l’aide domestique de l’aide à la personne. Jour, fréquence, durée etc. On réadapte à chaque fois que l’environnement évolue. On fait une proposition, avec possibilité d’enclencher un dossier de financement (Conseil général etc.). On rentre et on passe le bon de commande à la planification, et on va générer le dossier de financement qu’on va envoyer (avec toutes les pièces scannérisées) au financeur. C’est notre savoir­ faire et c’est très important : identifier le besoin et proposer un service adapté » (responsable d’association). Dans le discours d’un responsable d’association, on voit pointer l’idée selon laquelle ce qui garantit la professionnalisation c’est la rationalisation des processus de production du service, particulièrement sous l’effet concurrentiel et financier : « Si une personne doit être levée dans la journée, on ne peut pas lui mettre une heure, on lui met un quart d’heure si tant est que l’on arrive à combiner avec d’autres quarts d’heure dans le même périmètre géographique et là çà devient de la logistique ». « On a certes des populations différentes (handicapés, sidéens, bi­actifs, personnes âgées), mais pour faire tout compte fait la même chose. C’est segmenté et adapté par type de population (…) mais en tant que tel, entretenir une maison, entretenir du linge, préparer le repas, faire les courses, c’est à peu de chose près identique. Aider à faire une toilette, effectuer un transfert c’est peut­être plus spécifique, encore que (…) Même si dans le cas de sidéens ou des soins palliatifs il faut prendre des précautions (suivi psychologique à apporter au salarié), on a une base commune et on a des adaptations de la prestation selon les besoins ». Un responsable d’association a créé un service de planification qui met en relation les besoins et les compétences. Il s’agit de 6 personnes et d’un ingénieur qualité santé à leur tête, qualifiée de 178 « directeur de production » : il gère 3800 plannings clients et 700 plannings salariés en temps réel. En résumé, « notre métier c’est de la logistique ». La pratique de télégestion existe également dans d’autres structures associatives et est considérée comme une innovation au service de la qualité. 8. Respecter les conventions collectives Être professionnel cela peut résider aussi dans le respect des conventions collectives. Prenons pour illustration la diversité des modalités de prises en charge des frais de transport afférants à l’activité des salariées. Chez un responsable d’association, la prise en charge s’effectue sur une base conventionnelle, aux frais réels : indemnisation kilométrique de 0,33 centimes du kilomètre ou coût du transport en commun, et temps passé. A titre d’exemple, chez ce responsable d’association , où l’on intervient sur 33 communes, le temps de trajet représente 1800 heures par mois et le coût de ces temps de trajet représente 48.000 euros en 2006. Toutefois il semblerait que très peu de structures appliquent la prise en charge aux frais réels Beaucoup adoptent des accords collectifs illégaux : paiement au forfait voire aucune prise en charge. Un autre responsable d’association parle d’une « mobilité planifiée » : « si j’ai quelqu’un qui travaille sur la même ligne de bus ou de métro qu’est ce qui m’empêche de lui faire faire 4 arrêts de plus ou de moins ? On paie un forfait de déplacement : prise en charge d’un quart d’heure. S’il y a des frais de transport on les paie selon la convention. La convention dit qu’il faut prendre les temps de déplacement en temps réel. On peut les contrôler mais c’est l’usine à gaz. Donc on paie un forfait ». Un responsable d’entreprise pratique également le forfait : « mon but dans la gestion des plannings c'est de limiter les temps de transports. Au total sur une journée, elles y passent entre ½ et 1 heure. On rembourse un forfait de 49 € mensuels. Elles ont toutes un véhicule. C'est un critère important aujourd'hui car mes clients sont encore dispersés. (…) Quand j'aurais plus de clients je pourrais embaucher des salariés en transport en commun ». Une autre manière de traiter le problème des frais de déplacement consiste à prendre le temps de déplacement sur la prestation du client. Dans les structures qui ne pratiquent pas la télégestion cette pratique est possible : la salariée arrive chez le client et lui fait signer l’heure de début et l’heure de fin d’intervention, puis lorsqu’elle arrive chez le second client, son temps de déplacement est payé par lui, donc par le financeur, car si sa prestation devait durer 1 heure elle ne durera effectivement que ¾ d’heure. La facturation étant faite directement aux caisses cette pratique reste invisible. Les mauvaise pratiques peuvent toutefois chasser les bonnes et les modes de prise en charge des frais de transport sont une excellente illustration de ce phénomène. Ainsi, une structure qui 179 s’engage à maintenir chaque mois le contrat et le salaire de ses employées implantées dans un secteur géographique donné, quel que soit leur nombre d’heures effectives d’intervention, peut être amenée, sous la pression concurrentielle, et compte tenu de ses frais de transport, à réduire sa zone d’intervention en cas de raréfaction des clients dans la zone en question. La structure peut alors se concentrer sur une zone où elle aura toujours beaucoup de clients, une demande très concentrée, moins risquée en termes de transport (bus, métro), où les problèmes de transport sur des horaires atypiques se poseront moins, et où le remplacement d’une salariée malade sera plus facile. Cela signifie alors que la zone non desservie trouvera certainement « repreneur » auprès de structures qui prennent en charge les frais de transport d’une manière moins conventionnelle que la structure d’origine, et/ou qui pratiqueront le paiement à l’heure effective d’intervention, deux pratiques que l’on peut considérer comme régressives en termes de qualité d’emploi. 2.2.3. ACTEURS DE LA RÉGULATION Qu’est‐ce qu’une bonne organisation selon les acteurs de la régulation ? 1. Bien faire son boulot quel que soit le statut Selon un acteur de la régulation ce qui compte c’est le résultat : « dans les faits une association qui fait bien son boulot et une entreprise professionnelle, il n’y a pas vraiment de différence. Si ce n’est l’affectation des bénéfices qui est différente ». L’habit ne faisant pas le moine, il est peu étonnant que l’emploi direct ne représente aucun problème aux yeux de ce responsable même s’il reconnaît que « c’est problématique si c’est de la dépendance ». 2. Matérialiser le service Dans un tout autre registre, un acteur de la régulation insiste sur la matérialité du réseau pour légitimer la qualité de l’organisation : au sujet d’une enseigne leader avec environ 50 % du marché des enseignes, il rappelle que « c’est grâce à son réseau de distribution qui est physique, pas seulement téléphonique et qui permet de toucher tous les français et 2,5 millions de visiteurs par jour ». On a vu plus haut comment les employeurs mobilisaient également la matérialisation du service pour légitimer leur professionnalisme. 180 3. S’engager sur la qualité du service … et de l’emploi Les acteurs de la régulation sont plutôt unanimes pour reconnaître que qualité d’emploi et qualité de service sont très liées. Pour cet acteur de la régulation « on est encore loin de la professionnalisation, pour que ce soit différent de métiers « bouche­trous ». La professionnalisation vise à rechercher un nombre d’heures suffisant pour éviter les revenus de substitution ». Un autre insiste de son côté sur le fait qu’à Paris, les temps de travail sont différents selon le type d’agrément : 3 semaines de travail par mois pour les associations agréées qualité et 14 h par mois pour les entreprises en agrément simple. Un acteur de la régulation regrette également le développement du temps partiel non choisi, qui nuit à la qualité d’emploi comme à la qualité de service, et envisage de faire face à ce problème : « les personnes viennent de la banlieue ou des quartiers « politique de la ville » ; il y a un lien à faire. On essaie par exemple sur le XVIIème avec AGF, Association générale des familles, qui mélange les deux types de population en lien avec le PLIE du XVIIème ». Il rappelle toutefois que « il y a une volonté de développer l’emploi aussi ». 4. Former qui ? Selon un acteur de la régulation, la formation doit viser à asseoir la professionnalisation et elle doit toucher personnel, encadrement et dirigeants. Si les dispositifs sont jugés nombreux ils présentent le défaut de « ne pas lier les financements aux métiers mais aux situations des personnes », et selon lui à regret « on compartimente en fonction de publics et non des métiers ». Autrement dit on est plus dans le champs de la politique sociale que dans celui de la politique de formation proprement dite. Cet acteur de la régulation regrette les dysfonctionnements du dispositif des emplois aidés dû selon lui à « un problème de lisibilité par rapport aux types de missions, de complexité, et de difficulté à envoyer n’importe qui chez le particulier ». Ce discours rejoint de manière inattendue celui tenu par certains employeurs associatifs selon qui les emplois aidés posent des problèmes considérables d’intégration et de qualité de service (voir plus loin). 5. Les enseignes : un filtre sélectif contribuant à la « transparence du Marché » ou un annuaire qui coûte cher ? Les avis divergent sur l’impact du développement des enseignes notamment du point de vue de la professionnalisation des intervenants. Selon un acteur de la régulation, « les fédérations 181 associatives ont donné leur aval au Plan Borloo et aux enseignes. Elles doivent s’ouvrir et s’organiser mais elles sont sur la défensive ». « Les enseignes font toutes à peu de choses près la même chose. Elles son installées sur un marché en construction ; il se posera la question de la concentration » (acteur de la régulation), ce que confirme un autre acteur de la régulation : « à terme, il y aura sûrement des regroupements ». Dans un contexte où « les clients vont acheter un service, une qualité, une ponctualité le choix devient délicat, d’autant que se multiplient les opérateurs. Ainsi, l’enseigne est présentée comme une structure d’intermédiation capable « d’apporter les clients, d’apporter un baromètre de satisfaction qui n’existait pas avant ; du retour d’information. On repère les carences, comme la ponctualité par exemple » (acteur de la régulation). Cet acteur rappelle que 6000 structures sont référencées dans son enseigne avec un engagement de qualité. 135 questions sont posées aux opérateurs portant sur la qualité du service, le service à la personne, les dépenses de formation, les modalités d’intervention. Une des différences avec l’agrément donné par la DDTE étant que les outils utilisés sont vérifiés, on s’assure de la présence de chefs d’équipe, d’un cahier de liaison, d’une tarification et d’un devis précis. Un autre acteur de la régulation est toutefois sceptique : « c’est un moyen de booster le secteur mais elles ne l’ont pas boosté (…) Je pensais que les enseignes allaient être un levier. On n’a pas de contact avec les enseignes ». D’autres encore s’interrogent également sur l’intérêt que présentent les enseignes : « Je ne sais pas si on a besoin de tout ça. On a un répertoire des services à la personne, on a une liste des services autorisés. C’est peut­être utile, mais c’est à visée très lucrative. On a du mal à voir ce que ça peut rendre en vrai. Il y a un flou artistique. Quand on voit l’argent investi dans les enseignes alors que l’on manque d’établissements pour personnes handicapées … Le problème avec la loi Borloo c’est le côté usine à gaz. Avec un annuaire distribué à tous (en noir et blanc) ou sur Internet, ça pourrait suffire ». Il est vrai que dans ce département 80% des structures intervenant à domicile au titre de l’APA sont sous le régime d’autorisation du Conseil général, et 65% des heures APA sont en prestataire. Ce qui n’est pas le cas d’autres départements étudiés. 2.3. L’ESPACE DE L’ACTION PUBLIQUE Qu’est ce qui relève d’une « bonne » action publique ‐ une action publique légitime ou juste ‐ aux yeux des acteurs ? Quel rôle est attribué directement ou indirectement à la professionnalisation, dans la définition de cette « bonne » action publique et en quoi cette action est‐elle favorable à la professionnalisation ? 182 2.3.1. SALARIÉS Les salariées ont une perception très diffuse de l’environnement réglementaire dans lequel elles évoluent : les conventions collectives semblent largement ignorées. Le cadre de régulation relatif à la formation fait l’objet d’une plus grande attention et de contestations. Par exemple une salariée se plaint de devoir accumuler 3000 heures d’expérience afin de faire valider ses acquis dans le but de l’obtention du DEAVS. « On ne devrait pas demander de quotas d’heures. Une fois qu’on est dans le métier…Ça fait 3 ans (…) et les CDD ne comptent pas malheureusement » (salariée d’association). Une autre considère que le DEAVS ne lui apporte rien : « non avec le DEAVS, je ne gagne pas plus de l'heure et je regrette presque d'avoir fait le DEAVS, car je ne vois pas la différence » (salariée d’association). La réglementation du travail fait également l’objet de critiques. Une salariée à temps partiel affirme ne pas avoir le choix « c'est un temps partiel, d'ailleurs comme je suis étudiante, je n'ai pas le droit de travailler plus de 20 heures par semaine, c'est une réglementation » (salariée d’association). D’autres contournent la réglementation, ce qui ne va pas vraiment dans le sens de la professionnalisation selon les critères habituels. Une salariée qui travaille en gré à gré affirme travailler au noir pour plus de la moitié de ses heures : « J'ai 2 employeurs. Pour un de ces employeurs (je garde les enfants chez eux), j'ai une partie (la moitié des heures) déclarée à 7 euros 40 net de l'heure, et une autre partie (l'autre moitié) qui n'est pas déclarée que je fais à 8 euros. Pour l'autre employeur, je ne suis pas déclarée, et le tarif est à 7 euros mais pour celui­là je garde les enfants chez moi (…) En ce moment ça m'arrange d'avoir une partie déclarée et une autre non déclarée à cause des impôts qui deviennent très lourds. Mes enfants sont grands, je n'ai plus d'aide (allocation) et justement leurs études reviennent cher » sans compter que « mes deux clients ont déjà tellement de charges qu'ils me font travailler au noir ». Enfin, la politique d’attribution des aides départementales est questionnée. Selon une salariée de CCAS, l’attribution des heures d’APA lui semble inadaptée aux besoins réels qu’elle rencontre sur le terrain : « certaines personnes auraient besoin qu’on leur octroie plus d’heures. Il nous arrive de rester plus longtemps mais ce n’est pas une solution. On a des personnes qu’on suit depuis longtemps, elles vieillissent, leurs forces diminuent et on leur enlève des heures. Ca c’est très dur. Quand elle reçoivent la lettre leur disant que leurs heures sont diminuées, c’est très dur pour elles. Quand on demande des heures, c’est toute une histoire. Quant à l’APA, avant qu’elle l’obtienne, la dame, elle diminue encore plus. C’est très long ». 183 Une autre salariée (association) questionne les pratiques de contrôle jugées trop peu fréquentes chez les usagers après l’attribution de l’APA. « On est trop laissé à soi même dans les familles, on ferme la porte on ne sait plus ce qui se passe après. Et puis la parole de la personne âgée c’est différent que de remplir un petit questionnaire ». On voit resurgir dans le discours des salariées, la place qu’elles accordent aux « vrais besoins » des personnes dont elles considèrent avoir une connaissance de l’intimité. 2.3.2. EMPLOYEURS 1. Les conventions collectives ne suffisent pas à garantir un emploi décent Si certains rappellent que grâce à la convention collective ADMR, il y a la possibilité d’une évolution hors grille liée à l'ancienneté (responsable d’association), d’autres émettent des réserves. « Ce n’est pas parce qu’il y a une reconnaissance conventionnelle que la reconnaissance tout court de la personne est faite » (responsable d’association). Un expert renchérit « le salaire n’est pas la seule chose à négocier dans une convention collective ». Tout en reconnaissant que la convention collective de l’aide à domicile est plus favorable au salarié que le code du travail, un responsable d’association considère que ce n’est toutefois pas « un vrai métier car même en appliquant cette convention on conserve des travailleurs pauvres (…) Quelqu’un qui veut entrer dans ce métier sans qualification particulière, commence à 8€06, sur une base de 28 heures semaine… C’est donc un métier car il y a de véritables compétences mais il reste des freins notamment salariaux ». « M. Borloo nous fait de la publicité gratuitement, c’est un bon point. Mais ça reste un effet d’annonce. Sinon il faudrait vraiment une convention collective pour que chacun suive les mêmes règles. Que chacun se plie au droit du travail au moins » (responsable d’entreprise). « La crainte du secteur c'est que l'on nous impose une convention collective qui ne serait pas adaptée. Le particulier employeur ça ne va pas dans le sens de la professionnalisation » (responsable d’entreprise). Sans compter que « ce serait la première convention collective qui ne serait pas une logique métier mais sur la notion de domicile ». Même si selon un acteur de la régulation la réalisation à domicile n’est plus le critère commun depuis la circulaire de mai 2007 qui fixe une nouvelle liste avec des services réalisés sur le lieu de travail comme la conciergerie d’entreprise. 2. Plan de cohésion sociale : des effets ambigus sur la professionnalisation Nous avons recueilli deux avis largement enthousiastes par rapport au plan de cohésion social. Il s’agit d’une part de celui d’une responsable d’association de particuliers‐employeurs, et de celui d’une entreprise privée. Tout en reconnaissant que « la structuration du secteur n’est pas encore claire », et bien que revendiquant la paternité du secteur ‐ « l’ANSP n’a pas tout inventé, on était là avant » ‐ , « boostant » est le vocable qui revient dans le discours de ce responsable d’association de particuliers‐employeurs : « le plan Borloo a un rôle boostant sur les services à la personne : notre 184 enseigne a vu le jour, moins 15% de charges patronales de sécurité sociale (maladie, retraite, famille et accidents du travail) depuis 2006 (tous services sauf assistantes maternelles) si l’employeur déclare au réel et non pas au forfait, une aide à la communication, des aides financières, bientôt le crédit impôt qui va ouvrir un peu plus le marché, les salariés vont devenir eux aussi employeurs. Le CESU préfinancé c’est boostant : il donne une possibilité qui n’aurait pas été utilisée avant. On sait que par rapport aux pays anglo­saxons, il y a du potentiel car on est un peu en retard en France. D’où toutes les entreprises qui se créent ». Un responsable d’entreprise de son côté est « signataire en direct du plan Borloo. Ca va dans le bon sens. Notamment la procédure d'agrément simplifié. Le CESU, est utile et on a un partenariat avec Sodehxo ». Il s’agit là toutefois des seuls avis enthousiastes recueillis. De fait, pour la plupart des structures, privées comme associatives, le plan de cohésion social ne répond pas à leurs attentes, notamment en termes de professionnalisation du secteur. Les raisons invoquées sont nombreuses. Nous les rassemblerons autour de quatre pôles : a) Plan de cohésion sociale ou plan de communication politique ? « Vous voyez partout de la publicité pour le chèque et jamais les gouvernements successifs n’ont fait de communication pour les associations » (responsable d’association). « Je n’ai jamais vu un battage médiatique aussi important. M. Borloo veut arriver à ses fins et il a pris les moyens. Quelque chose que le monde associatif n’a jamais pu et ne pourra jamais se permettre sauf à dire que par un effet miraculeux tout le monde arriverait à parler le même langage et à mettre au même pot commun, mais une communication de ce style c’est extraordinaire (…) On connaît les moyens financiers : il y a des conventionnements avec les fédérations nationales pour les enseignes. Par exemple pour développer France Domicile (avec l’UNA, l’UNCASS et La Mutualité Française) c’est 6 millions d’euros qui ont été investis par l’Etat pour communiquer sur 3 ans » (responsable d’association). Ainsi le plan de cohésion sociale n’est pas perçu comme un plan « social » mais comme une vaste campagne de communication sur les opportunités de créations d’emploi. « De plus en plus la DR et la DGAS du département nous obligent à différencier l’emploi du social. Et c’est à nous qui sommes en bout de course et parce qu’on est habité par une sorte d’humanitude (c’est la mode de le dire), de tricoter cet emploi et ce social. S’il n’y avait pas cette volonté de certains et certaines comme nous on s’arrêterait à la dichotomie que l’on nous contraint sans scrupule à faire : emploi, le reste ça vous regarde et c’est du surplus, si vous avez du temps à perdre ne vous gênez pas. C’est ça clairement » (responsable d’association). Toutefois, les objectifs de création d’emplois sont jugés totalement irréalistes : « quand Borloo parle de 500.000 emplois, il n'a pas réalisé que les 500.000 on ne les a pas. On a des gens qui ne présentent pas du tout qui n'ont aucune compétence dans le domaine. On a des tests de mise en situation avec une vingtaine de questions pour voir les réactions à certaines situations. Déjà là, le casier judiciaire est loin d'être vierge, la prise de contact auprès des anciens employeurs n'est pas 185 bonne, les réponses aux tests et puis le test repassage (…) J'ai besoin de gens motivés, qui ont envie de s'en sortir, qui sont disponibles » (responsable d’entreprise). Un responsable d’association questionne la cible du plan de cohésion sociale : que vise le plan Borloo ? : « Vise­t­il notre public ? Nous sommes à 60% avec la personne âgée dépendante. Est­ ce que le plan Borloo vise ce public là ? Ce n’est pas certain. Ce qu’il vise essentiellement à travers ce qui est communiqué en tout cas, c’est ce couple biactif, qui devrait recevoir par son comité d’entreprise ou son employeur des chèques emplois service pour payer son aide à domicile. Si l’usine X se met à diffuser des CESU pour accéder à du service d’aide à domicile, est­ce que l’agent de maîtrise ou l’ouvrier, va utiliser ce CESU pour venir chez nous ou même pour interpeller une entreprise pour venir faire le ménage chez lui ? Je ne suis pas sûre que la population française soit prête à utiliser ces chèques pour faire appel à des services ménagers à son domicile. En tout cas nous on ne le sent pas, on n’a pas encore cette population qui arrive chez nous. La population française dans le cadre de la diffusion des CESU est­elle culturellement prête à accéder à ces services à domicile ? On verra ». b) Fragilité de l’emploi et des services Pour un responsable d’association de particuliers‐employeurs, la mise en place du CESU préfinancé par certains Conseils généraux permettrait de savoir si l’argent fourni va là où il doit aller, et pourrait éventuellement être récupéré si le bénéficiaire fait appel à sa famille. « Pour l’instant le contrôle n’est pas possible si le bénéficiaire a recours à un emploi direct ». L’emploi gré à gré, que le CESU contribue à dynamiser, est toutefois considéré comme un moyen de maintenir la précarité des emplois, d’autant qu’il est souvent accompagné d’un volet de travail au noir, second grand « concurrent » des structures associatives comme privées. Un responsable d’association résume : le gré à gré, « c’est tirer vers le bas des salariés déjà en difficulté, à temps partiel, les mettre devant des employeurs particuliers qui ne connaissent pas la législation du travail et qui sont multiples. C’est une aberration et en plus alors que ça devrait enrayer le travail dissimulé, ça le dissimule, parce que aujourd’hui vous êtes employeur particulier, vous avez quelqu’un au noir… s’il arrive un accident vous êtes embêté, … bon allez vous allez le déclarer deux heures vous serez tranquille ». Chez, ce responsable de CCAS, où le nombre d’intervenantes est passé de 5 en 2004 à 17 en 2007, « la plupart faisaient du travail au noir et continuent à en faire, surtout qu’avec le chèque emploi service elles ne déclarent qu’une partie de leurs heures ». Un expert confirme que le CESU constitue une opportunité que saisissent les femmes, notamment les immigrées, de refuser d’entrer dans la logique industrielle des enseignes c’est‐à‐
dire « des systèmes qui les cassent », parce qu’ « elles peuvent se vendre toute seules », et elles le font aussi bien de façon formelle que souterraine. 186 Outre le fait que le « CESU alourdit les coûts des structures car les associations paient des commissions qui étaient moins lourdes auparavant » (expert), les structures voient dans le CESU « une facilité qui risque de donner une autre image de la prestation : la facilité, la vulgarisation de l’existence des services » (responsable d’association). Selon un expert, « la prestation d’aide à domicile est en train de devenir une prestation de consommable : je prend je jette », ce qui n’est pas nécessairement favorable à une valorisation des salariées concernées. Chez ce responsable d’association le doute règne : « les CESU ? On en a très peu. On les attend avec beaucoup d’impatience. Où sont­ils diffusés, A qui sont­ils diffusés ? Est­ce que les gens qui en ont en main font appel à des structures ? Peut­être que le couple biactif s’adresse à une entreprise ou avait déjà sa salariée au noir qu’il a stabilisé de cette manière ? » Un responsable d’association regrette le fait que le CESU introduise une rationalité économique du côté de l’usager qui peut se faire au détriment du service prestataire : « on voit des plans d’aide arriver qui sont en CESU ou en mandataire, sur un public où ça pose question. Quand on est dépendant va­t­on donner la priorité au nombre d’heures que l’on a à son domicile ou à la qualité du service et de la salariée qui intervient au domicile ? ». c) Des enseignes sans électricité ? Le référencement à travers des enseignes fait l’objet de critiques plus ou moins vives. Tout en considérant ‐ de manière d’ailleurs involontairement très imagée ‐ que « les enseignes c’est une mise en lumière du secteur » un responsable d’association de particuliers‐employeurs insiste sur le fait que « le service à la personne c’est plus que l’emploi, c’est aussi un savoir être quand on a à travailler avec des personnes fragilisées, et non pas seulement du savoir faire, donc c’est un vrai métier. Le plan Borloo a plus été emploi emploi emploi. Mais on se rend compte que le recrutement est quand même difficile, il faut donc veiller à en faire des métiers ». Certains s’opposent frontalement et par principe au référencement. C’est le cas d’un petit CCAS en zone semi‐rurale qui a pour principal objectif d’assurer un service à dimension communale : « On n’est pas dans une enseigne. Moi tout ce que je veux c’est qu’on me fiche la paix qu’on me laisse bosser, qu’on ne m’enquiquine pas avec des dossiers »; « Il n’y a rien derrière les enseignes. Ils veulent nous faire travailler derrière c’est tout » (…) « ils nous promettent des chiffres d’affaire avec des augmentations à 2% par an, mais ça ne nous intéresse pas, c’est pas ça qu’on recherche, on ne fait pas du commerce ». (responsable d’association). La légalité du référencement est même questionnée : « une association qui va rémunérer son capital comme une entreprise privée, le contrôleur des impôts va lui tomber dessus tout de suite en disant vous payez quelqu’un pour qu’il vous donne une clientèle ! » (responsable d’association). « On est depuis 2 ans sur une enseigne France domicile qui ne nous ramène rien. Trois demandes depuis le début de l'année ! Moi je suis convaincu que les enseignes ne servent à rien, sauf à compliquer le paysage. En même temps parallèlement aux enseignes l'Agence nationale des 187 services à la personne a créé un numéro de téléphone direct qui court­circuite les enseignes ! » (responsable d’association). Un responsable d’association affirmer adhérer à une enseigne (Serena Maif), mais « n’en entend pas parler, ce sont des gens très calmes ». Il semble régner une incertitude sur l’utilité d’ajouter un degré d’intermédiation supplémentaire : « on a toujours beaucoup travaillé avec les mutuelles, donc ce système de plaque tournante où l’on nous envoie des ordres de mission et où on intervient sur le champ existait déjà bien avant ». Un responsable d’association soutient pour sa part qu’une enseigne peut être performante si elle parvient à assumer les trois fonctions clé suivantes : gérer le fichier, amener le client et enfin réaliser la prestation. Or très peu d’enseignes sont dans cette situation et ce responsable d’association reconnaît que l’enseigne à laquelle sa structure adhère n’est pas dans cette configuration optimale : « on va avoir des gens qui vont savoir vendre mais ils ne connaissent pas les produits qu’ils vendent ». Pour un expert, le passage par un prescripteur pose d’entrée de jeu problème : « là où l’on a le plus de clients c’est en venant le rencontrer chez lui. Toutes les entreprises qui arrivent sur le marché ne pensent que prescripteur. Elles ne font aucun marketing direct. Les enseignes veulent être le mode de distribution du service, sauf qu’elles se rendent compte qu’elles ont des difficultés à faire le tri dans les prestataires car tous les gens qui ont l’agrément qualité ce n’est pas forcément valable ». En fait les enseignes seraient adaptées pour développer des services à la personne dans une optique industrielle ou de grande distribution : « ce n’est pas un modèle économique qui est convenable parce que l’on est sur le modèle de Carrefour. C’est une logique de service industrielle en pensant que le premier problème c’est la mise en relation de l’offre et de la demande (le second c’est la qualité). Ils fabriquent beaucoup de casse : ils auront le marché des actifs mais on ne résout rien sur la vieillesse, la petite enfance, le handicap ». d) Le « libre choix » … de ne pas se professionaliser ? La notion de « libre choix » a envahi le discours et renvoie au moins à trois acceptions. -
libre choix de l’usager entre le soin à domicile et le soin en établissement À ce sujet certaines structures se demandent si l’isolement est un progrès. Un responsable d’association rappelle qu’ « en 1997, le Conseil général a lancé à toutes les personnes du département son questionnaire semi ouvert : préféreriez vous finir vos jours chez vous ou à l’extérieur, elles étaient 98% à répondre chez elles (…) La machine du maintien à domicile est en route. On va peut être aller vers un système de maintien à domicile aussi coûteux qu’en établissement : c’est le cas des grands dépendants. Quand il y a le service de garde de nuit, la kiné, l’infirmière, le généraliste etc., et qu’on fait la facture au bout du mois c’est pas mal ». 188 -
libre choix de l’usager en matière de type de prestataire (gré à gré, mandataire, prestataire) Il s’agit semble‐t‐il d’un choix en partie illusoire, car largement dicté par les ressources financières à la disposition de l’usager et in fine par les décisions de politiques publiques mises en place selon les départements. « Les Gir 1 et 2 ont été au départ laissés au libre choix de la personne, mais maintenant le Conseil général accepte de passer par le prestataire. Dans la Somme c’est du mandataire pur et dur, pas un grain de prestataire. Les politiques ont dit "le mandataire est moins cher". (…) Même au niveau du département il y a des différences selon les secteurs géographiques parce que selon l’équipe médico­sociale elle sera plus orientée vers un mode plutôt qu’un autre » (responsable d’association). Il est vrai que les Conseils généraux ont intérêt à conventionner les services plutôt que de payer au cas par cas l’allocataire qui va ensuite payer le service qu’il souhaite. Ainsi, de nombreux Conseils généraux sont restés sur des conventions tripartites avec les établissements. Mais ces pratiques vont, selon un expert, rapidement devenir juridiquement peu défendables du point de vue du droit de la concurrence : l’ouverture du marché obligeant le libre choix pour le client, il doit normalement recevoir l’allocation et en faire ce qu’il souhaite ensuite. Cela signifie que si la personne âgée est informée, elle peut écrire au Conseil général pour lui demander que son allocation lui soit versée directement. -
libre choix du type d’agrément par l’intervenant Les départements se sont positionnés sur le mode prestataire, car pour eux, il allait garantir la professionnalisation et la qualité pour l’usager. Avec la loi du 2 janvier 2002, les services d’aide à domicile sont devenus des établissements sociaux et médicaux‐sociaux : cela signifie que les allocataires de l’APA puissent passer par des services que le Conseil général va conventionner, il faut une demande d’autorisation au Conseil général. Autre élément fondamental de la loi de 2002 : l’usager‐acteur, avec obligation de construire des projets de service et de mettre en place des outils d’évaluation (certifications qualité obligatoire d’ici fin 2011) ; et la tarification Conseil général (le prix tarifé doit être appliqué). Le plan de cohésion sociale vient remettre profondément en cause cette situation on introduisant le « droit d’option », qui donne la possibilité aux entreprises au nom du libre choix du client et du consommateur d’accéder aux publics fragiles. L’option dont il s’agit est celle que peut prendre une structure d’être soit autorisée par le Conseil général dont elle dépend, soit de répondre au cahier des charges de l’agrément simple ou qualité délivré par la direction départementale du travail. 189 3. « Arrêtez de former ! Vous êtes trop cher » Aux yeux des structures, l’action publique tient lieu d’une girouette qui s’affole inopinément au gré de vents fort aléatoires et qui n’en sont pas moins violents. Incertitudes et retournements sont au menu, non sans inquiéter les structures intervenantes. « Ca fait 20 ans que je suis dans le secteur, et depuis 20 ans ça n’arrête pas de changer (…) En 2002, on intègre le secteur de l’aide à domicile dans le cadre de la loi 2002­02, on est rentrés dans la cour des grands, on est reconnus comme service médico­social, 3 ans après on nous dit: l’autorisation elle n’est pas obligatoire, vous pouvez demander l’agrément qualité simple… Ils nous font tourner bourrique ! »… (Responsable d’association). « Inquiétude des services existants qui depuis 10 ans rebondissent constamment aux lois aux décrets et aux arrêtés, et où on s’interroge, est­ce la bonne etc., je courbe le dos chaque fois que j’ouvre le journal officiel en disant qu’est ce qu’ils m’ont concocté, comment va­t­on devoir faire encore une fois » (responsable d’association). Un responsable d’association considère que « pendant des années, le Conseil général nous a dit : montez en qualification, vous n’avez pas de personnel qualifié, vous ne faites pas de prestation de bonne qualité, il faut que vous soyez agréer, certifié, etc. Maintenant qu’on y est, on nous dit : vous êtes trop cher ! ». Un responsable d’association confirme la tendance actuelle des pouvoirs publics, notamment les Conseils généraux à inciter à freiner la montée en qualification : « les Conseils généraux disent à partir d'un certain pourcentage "arrêtez" parce qu'il faut les payer plus. C'est paradoxal avec l'idée clamée de professionnalisation ». Le discours est plus ambigu chez ce responsable d’association de particuliers‐employeurs, pour qui « les personnes trop diplômées vont être exigeantes sur le prix, donc coûter trop cher, et ne seront pas forcément adaptées. C’est le problème des DEAVS qui ne trouvent plus parce qu’elles ne veulent plus prendre un balais, ce que je comprends. Donc le titre premier niveau est plus convoité car il est en adéquation. Pour la salariée, ce titre apporte une valorisation financière faible (passage de 8,27 à 8,30 euros) mais si elle s’inscrit sur le portail elle peut prouver qu’elle a une formation et elle trouvera d’autant plus facilement ». Tout en s’accordant sur l’idée selon laquelle l’identité professionnelle est renforcée par la formation (expert) ‐ qu’elles préfèrent professionalisante plutôt que qualifiante (ex : formation gestion des postures) ‐ et tout en admettant que le dispositif public de formation est plutôt bien adapté à la demande des employeurs dans ce secteur (« ce qui n’est pas courant »), les responsables de structures reviennent de manière lancinante sur les contraintes budgétaires qui limitent leur effort de formation. A l’argument de la « surqualification » des intervenantes avancées par certains financeurs, les structures rétorquent que dans le service de soins où l’on a que des personnes diplômées (infirmières ou aides soignantes), on ne se pose pas la question de savoir si certains soins sont plus légers que d'autres. Les employeurs considèrent la personne prise en charge dans sa globalité et ne comprennent pas que le système de tarification des Conseils généraux distingue les phases de gestes au corps de celles liées au ménage (responsables d’association). Cette distinction renvoie à une vision très bureaucratique et comptable du service d’aide à domicile, qui, selon les employeurs, les incite à embaucher du personnel moins qualifié. 190 De fait, les tâches qui constituent le plan d’aide sont de plus en plus segmentées pour des raisons financières. Cela signifie que lorsque les intervenantes de niveau C (le plus élevé) sont amenées à faire des travaux ménagers, cela représente une perte financière pour la structure et une frustration pour les salariées, mais elles l’acceptent surtout si elles le font chez des personnes dépendantes. D’une certaine manière elles reconstruisent leur cohérence professionnelle avec le lien auprès de la personne et avec l’accompagnement. Mais un certain nombre d’entre elles décident aussi soit de « se vendre toute seules » (expert), ce qu’elles parviennent à faire notamment sur des postes d’aides soignantes (en pénurie) à travers des réseaux, tandis que d’autres partent vers les maisons de retraite, ou d’autres encore quittent le secteur pour travailler dans la grande distribution où « elles deviennent caissière avec un diplôme qui a coûté très cher » (responsable d’association). Du point de vue de la qualité de service, la segmentation des tâches aboutit à la logique suivante : une personne en Gir 1 (niveau le plus dépendant) aura en face d’elle une intervenante qui sera tarifée au niveau le plus bas pour les tâches ménagères. La structure est donc ainsi incitée à placer une intervenante moins qualifiée sur ce type de tâches, même si ces tâches font partie du plan d’aide dont bénéficie une personne très dépendante. Ainsi, un personnel non qualifiée va se retrouver face à des personnes en grande dépendance et ne sera peut‐être pas à même de répondre aux exigences qu’implique cette dépendance. « Une personne dépendante qu’il va falloir changer à un moment donné, cela signifie qu’on prend le risque de dire à la personne que l’on est sur la prestation ménage et qu’il va falloir attendre le soir que la catégorie formée qui sait le faire puisse le faire » (responsable d’association). Autrement dit, lorsque l’intervention concerne des personnes dépendantes (cela peut commencer au niveau Gir 4) la segmentation des tâches telle qu’elle existe actuellement implique un risque dans l’accompagnement des personnes. Selon la logique qui préside actuellement ce n’est donc pas le niveau de dépendance (mesuré par le Gir) qui définit le niveau de qualification des intervenantes mais la nature de la tâche quel que soit le niveau de dépendance. Chez ce responsable d’association on fait face à ce dilemme en articulant qualification et qualité de service : les titulaires de DEAVS n’y sont pas considérées comme trop coûteuses car « il faut créer un marché adapté » Ainsi en distinguant dans son processus de production et dans sa tarification les « services d’aide domestique » de ceux de « l’aide directe », la structure souhaite se positionner sur des services à haute valeur ajoutée, avec des personnels qualifiés… dans l’attente du cinquième risque. 4. L’union fait la profession Certaines associations parlent de « désordre » introduit par les lois successives depuis 1996, désordre qui n’aide pas la construction d’une « vraie » profession. Pendant un temps des instances de l'Etat ont joué un rôle de régulation. Par exemple la Caisse nationale d’assurance vieillesse ne donnait pas une autorisation à deux associations sur le même territoire. Or « depuis 96 on a vu le panorama peu à peu se mettre en place dans le désordre. Et quand Borloo nous dit en 191 2004 qu'il va remettre de l'ordre, ce n’est pas vrai. Je crois qu'il a plutôt rajouté du désordre » (responsable d’association). Selon ce responsable d’association, « aujourd'hui le monde associatif, est pas mal perturbé par l'arrivée du marchand, plutôt que de s'organiser ensemble pour faire front au marchand, il est plutôt en train de se diviser (…) Le monde associatif est entré dans une espèce de concurrence marchande avec des règles du jeu qu'il ne connaît pas (…) Il est regrettable qu'une synergie entre les associations n'ait pas été imposée par le ministère, le Conseil général ou nos tutelles ». Et de déplorer l’absence d’une «fédération dont la force serait de nous représenter collectivement (…) de négocier avec le Conseil général » (…) Le monde associatif de la loi 1901 est relativement timoré (…) Si on regarde la composition des CA, ce sont souvent des notables. Ils n'ont pas envie de se fâcher avec les tutelles et les ministères, ce sont des gens plutôt du côté du pouvoir et le pouvoir ne va pas aller affronter le pouvoir, alors que nous les directeurs on est prêt à en découdre avec tout le monde ». 5. Pouvoir se battre avec les mêmes armes que les concurrents Du côté des CCAS, certains rappellent que la politique de la CNAV de restriction des heures accordées aboutit à une tension entre les structures intervenantes. Or les CCAS n’ont pas la même réactivité que les autres structures car ils évoluent dans un cadre réglementaire qui les empêche par exemple de répondre rapidement à un bénéficiaire de la CNAV ou de l’APA en mettant à disposition une aide facultative. «C’est une faiblesse qui favorise la concurrence » même si « on a une place à occuper de par la qualité de nos services » (responsable de CCAS). Selon un responsable d’association « pourquoi un privé ne pourrait­il pas venir sur notre plate­
bande à partir du moment où il peut prouver qu’il fait mieux que nous ? Mes salariés sont mensualisés, et je connais plein d’associations ou de structures, où ils sont encore payés à l’heure. On doit pouvoir se battre avec les mêmes armes que les concurrents ». 6. Faut‐il être prestataire pour être professionnel ? Les structures associatives répondent positivement à cette question, tout en reconnaissant que la situation est très ambiguë. Pour ce responsable d’association « si on veut professionnaliser le meilleur moyen c’est le prestataire alors qu’en mandataire je ne peux rien professionaliser. Je ne suis pas l’employeur (…) et puis il y a tellement de risques juridiques de se faire requalifier d’employeur qu’il ne faut surtout pas jouer à ce jeu là ». La réponse devient plus complexe lorsque les plans d’aide sont mixés : un même plan d’aide peut comporter des heures en prestataires et des heures en emploi direct. Certaines situations sont encore plus ambiguës : un même salarié peut intervenir sur un même plan d’aide pour une part de son temps sur un statut relevant du cadre du prestataire, et pour une autre part sur un statut relevant de la relation d’emploi direct. Autrement dit « on nous prend nos salariées formées, pour 192 faire du CESU, sur un même plan d’aide et on nous met les prestations du dimanche en mode prestataire. Ca n’est pas illégal : une salariée à temps partiel chez nous, qui l’empêche de trouver au même endroit des compléments d’heures en CESU, même si ce sont des clients que nous avons ramenés ? » (responsable d’association). Un argument en faveur du mode prestataire consiste à invoquer la possibilité de mesurer l’effectivité de la prestation, ce qui est moins évident dans le mode mandataire et dans le gré à gré : « C’est anormal que l’on puisse donner à une personne une aide qu’elle va utiliser comme elle le souhaite sans avoir de justificatif à fournir. Quand je facture le Conseil général je le facture au vu de mon effectivité, je peux le prouver. On me vérifie ligne par ligne. Quelqu’un qui perçoit de l’argent en mandataire est payé tous les mois. Moi je suis payé quand tout va bien dans les 6 mois qui suivent. On ne leur demande que rarement de justifier l’emploi de cet argent. C’est scandaleux (…) Le gré à gré est une concurrence déloyale » (responsable d’association). Pour cet expert « l’emploi direct est un leurre car sur le long terme le sens du projet de travail n’est pas pensé. C’est l’organisation de travail qui fabrique l’identité professionnelle. Le collectif c’est la reconnaissance que l’on a de la personne au travail dans ce qu’elle fait. Reconnaître par la hiérarchie : montrer que le détail que la personne qui travaille pensait être un détail c’est ça qui va refabriquer de l’autonomie et de la vitalité chez une personne âgée. Le management c’est aussi ça : parler aux gens qui travaillent, de leur travail ». 7. Professionnaliser c’est aussi assurer la transmission des savoirs et l’évolution des carrières Les associations d’aide à domicile ont été priées de faire en sorte d’ouvrir leurs portes aux contrats aidés en 2005. Ce qui peut paraître paradoxal dans un secteur où les responsables de structures rencontrent des difficultés à trouver les professionnelles ayant le niveau jugé adéquat. D’après ce responsable d’association, une partie de ces contrats aidés ont d’ailleurs été véritablement marchandés : « au départ les fédérations nationales ont signé un nombre énorme d’embauches de contrats aidés parce qu’on leur a dit que si vous signez vous aurez autant pour vos grandes enseignes (…) L’ANSP a orchestré tout cela parce qu’elle voulait créer de l’emploi (…) Nous on veut monter en qualification et on nous propose des gens qui sont très loin de l’emploi. Par exemple l’UNA a conventionné avec l’ANSP, sur un certain nombre d’embauches de CAE et de contrats d’avenir, et en échange, parce qu’ils n’étaient pas forcément preneurs puisque ce n’est pas adapté ils ont eu de l’argent pour créer leurs enseignes. C’est cru mais c’est la réalité du secteur. Ca s’est marchandé de cette manière ». Les difficultés qui ont découlé de ces démarches d’intégration forcée ou fortement incitées, amènent donc les structures à s’interroger sur la manière de mettre en place un système d’apprentissage permettant d’accompagner les jeunes et les nouveaux dans le métier. Un responsable d’association propose l’idée d’un tutorat qui permettrait à des jeunes comme à des personnes de 45 ans de prendre part au partage de savoirs faire que détiennent les professionnelles. 193 Mieux encadrer peut aussi être une voie de professionnalisation. Ainsi, un expert se demande si l’argent de la formation continue ne devrait pas rentrer dans les structures directement, plutôt que de « fabriquer des diplômes ». « C’est le vécu du travail que l’on doit toujours analyser. Si on sait que la situation de travail est au domicile il faut mettre tout l’argent de la formation continue dans l’organisation du travail, et on embauche des psychologue du travail, des ergonomes, des gens qui vont suivrent le client et la salariée » (…) « On ne travaille pas assez sur le vécu des situations de travail alors que c’est ça qui est fondamental. Avec tout l’argent on peut sans problème financer deux encadrants de plus par structure en France. En contrepartie il faut faire un service de qualité et on supprime les temps partiels contraints. Donnant­donnant ». Un autre point mérite réflexion : l’évolution vers d’autres fonctions dans le même métier. Bien que débattue (notamment dans la loi de 2002), l’idée de construire des passerelles notamment entre DEAVS et aide médico‐psychologique et aide‐soignante n’a pas encore débouché. Même s’il existe une passerelle entre le diplôme de TISF et le DEAVS, au nom de la polyvalence entre handicap et famille, les possibilités réelles sont très maigres. En l’absence de telles possibilités d’évolution des risques « d’explosion de la profession » existent selon un responsable d’association, ce qui n’est pas sans conséquence sur la qualité de service, car « si on n’y prend pas garde, les salariés vont s’écarter les unes des autres, on risque de mettre à domicile des professionnelles acariâtres, qui ne sont pas bien et qui le répercutent sur l’usager et le prennent comme otage de leur mal­être ». 8. Agréer, certifier, labelliser : des outils de professionnalisation ? A l’encontre des représentations courantes relatives aux éléments constitutifs d’une profession (notamment l’accès privilégié qui peut aller jusqu’au monopole), les pouvoirs publics ont voulu avec la loi de 2005, professionnaliser en assouplissant les conditions d’entrée sur ce qu’ils considèrent être un « marché ». Les structures s’interrogent toutefois sur le bien‐fondé des différents outils de professionnalisation que les diverses instances de régulation développent. Un responsable d’association se demande par exemple si on peut accepter qu’une structure qui ne mensualise pas ses salariés soit agréée qualité ? « Il n’y a aucun critère objectif. On accepte que, dans des entreprises de service où la main­d’œuvre est fondamentale, la matière première ne soit pas traitée conformément à la législation. Et on le signe et on envoie un courrier agrément qualité à ces personnes­là avec une Marianne en en­tête. Signé du préfet ». Un autre responsable d’association va dans le même sens : « dans le cas de l’agrément qualité, on ne va pas gratter le vernis et aller voir comment les professionnelles sont formées, quel est le style d’accompagnement à l’intérieur ». Les outils d’autorégulation de la profession tels que les certifications et les labels sont également questionnés. « La norme ISO, je peux le faire mais qu’est ce ça va me rapporter ? En plus on paie pour être certifié ! Renault réclame à ses sous traitants d’être certifiés, mais Renault lui­même ne l’est pas. Je 194 préfère prouver que d’obtenir un cachet. Ici on fait tourner la roue de la qualité totale mais on n’en parle pas explicitement » (responsable d’association). Un autre responsable d’association défend pourtant la certification, même si c’est avec certaines réserves. Certes, « ce n’est pas parce qu’on est certifié que la prestation est parfaite », certes c’est très coûteux, certes une structure non certifiée peut aussi délivrer des prestations de qualité et toutes les structures n’ont pas vocation à être certifiées. Mais : -
depuis le plan Borloo on n’est plus dans l’aide à domicile mais dans les services à la personne donc il y a une notion de concurrence plus forte et la certification c’est le meilleur rempart à l’ouverture au marchand. -
l’intérêt c’est que ça pousse les services à se moderniser, à évoluer, à se remettre en cause. -
même si a priori il n’y a aucun impact de la certification sur la qualité au domicile car il s’agit d’un travail sur la structure, ce travail aura certainement des conséquences sur le service final. -
l’impact est aussi sur l’évolution participative : une structure qui « marche » ce n’est pas seulement des logiciels parfaits mais c’est aussi le fait que tout salarié là où il se trouve est en capacité d’être bien et de bien faire ce qu’il a à faire. « C’est de la même veine que la démocratie participative » (responsable d’association). -
les modifications structurelles améliorent forcément les pratiques. La certification est considérée comme étant dans le prolongement de la loi de 2002 qui plaçait la personne au centre des préoccupations de la structure et instaurait des procédures (accueil etc.). La certification apparaît ainsi comme un argument plutôt industrialiste, qui vient au secours de ce qui est considéré par ses promoteurs comme une dérive marchande du secteur. 2.3.3. ACTEURS DE LA RÉGULATION Les instances de régulation sont les gardiennes d’un certain nombre de règles, normes, labels, licences et autres instruments de contrôle des intervenant et des prestations. Pour autant, elles n’ont pas un point de vue unanime sur la validité des différents dispositifs existants. 195 1. La professionnalisation : fruit d’une ingénierie technique, d’un aménagement marchand ou d’une volonté politique ? Si, dans une conception marchande qui met en avant le « libre choix » du consommateur, un acteur de la régulation rappelle que « l’APA est destinée aux personnes qui font ensuite ce qu’elles veulent », les Conseils généraux, qui financent, ne voient pas la chose du même œil. Ainsi, pour un autre acteur de la régulation « malgré l’agrément qualité, il n’y a pas toujours tout ce qu’on peut espérer derrière, et qui fait que la personne âgée est ou non satisfaite ». La possibilité offerte à l’usager APA de faire appel dans son plan d’aide à des intervenants variés, peut résulter en une remise en cause de la qualité. De fait en faisant appel à sa famille une personne âgée peut diminuer à budget constant le nombre d’heures qui seront exécutées par un intervenant extérieur et de ce fait se mettre en position de ne pouvoir financer que des quarts d’heures d’intervention. Ainsi, des structures pourront proposer de répondre à cette demande fractionnée, malgré la forte incertitude sur la qualité de service dans une prestation de ce type, et à un prix horaire finalement très élevé. Autre problème, l’agrément est attribué pour opérer au niveau national. Par conséquent, certaines structures obtiennent leur agrément dans un département avec lequel elles ont des accointances et se contentent de contacter la direction départementale du travail de là où ils veulent travailler et essaient de contourner le Conseil général. Un acteur de la régulation fait face à ce type de pratique en travaillant en étroite collaboration avec les services de la direction départementale du travail, qui demande l’avis du Conseil général. « Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de départements qui se préoccupent de tout cela. C’est une question de moyens humains mis en œuvre. Nous, toutes ces orientations ont été défendues devant le président pour arriver à cette politique­là, il a fallu argumenter, donner des chiffres » (…) « Il y a des départements où il y a la volonté de faire et d’autres où on laisse couler. Ce n’est pas une critique parce qu’ils ont peut­être alors d’autres préoccupations, d’autres priorités que nous ». Manifestement cet autre acteur de la régulation n’est pas non plus de ceux qui « laissent couler ». Il donne également un avis sur l’agrément qualité : « c’est un avis assez sévère par rapport à la qualité. On était en phase en 2006 sur les avis mais en 2007 des différences sont apparues sur quelques dossiers. On demande plus de choses que la DDTE (…) Avec l’autorisation, les structures se sentent plus reconnues. La DDTE apparaît moins exigeante sur les locaux, le livret, le nombre d’activités, le plan de formation ». Un acteur de la régulation confirme en partie : « la procédure d’agrément est purement administrative. C’est une procédure par papier gérée par un agent », mais contredit également partiellement les propos du précédent « on n’est pas lié par l’avis du Conseil général (…) Les exigences portent sur la formation, sur la qualité de l’information pour le client. On veille à ce qu’il y ait un investissement en ressources humaines et un agent sur ces questions », tout en reconnaissant que « peut­être y aura­t­il un transfert au Conseil général ». Un acteur de la régulation insiste pour sa part sur le fait qu’il demande que la structure candidate présente un état des lieux du secteur où il souhaite exercer alors que la DDTEFP ne veut pas rentrer dans cette logique car « le plan Borloo dit clairement que ce n’est pas nécessaire, on peut créer comme on veut et tout va bien (…) Dans les critères d’acceptation de l’agrément, l’existant n’entre pas en ligne de compte alors que c’est un élément déterminant ». 196 Autre aspect de la volonté politique, la tarification peut différer d’un département à l’autre. Ainsi, alors que un département on pratique une double tarification, pour l’aide au corps et le ménage, le département voisin se démarque et reprend les dépenses de formation dans les tarifs : « on a une politique qui se méfie des prix bas », alors qu’à côté, « on se méfie des prix hauts ». Plus précisément, le département finance par le biais du tarif horaire les formations des services à domicile autorisés. A partir du moment où la ligne budgétaire a été accordée et qu’une formation est reprise dans le budget, elle est tarifée donc payée « on tarifie au coût réel : cela signifie que la structure sort un budget, et que tout ce qui est accordé est repris par le conseil général, c’est divisé par le nombre d’heures et ça fait un tarif au coût réel » (acteur de la régulation)6. Ce qui n’est pas le cas dans le département voisin, où les structures se plaignent qu’on leur demande d’avoir plus de qualité mais qu’on ne leur en donne pas les moyens. Le contrôle est un autre aspect de la volonté politique ayant un impact sur la professionnalisation. « C’est un secteur un peu invisible. Quand on ferme la porte, on ne sait pas ce qui s’y passe. Et le Plan Borloo aggrave la situation du fait de l’arrivée anarchique de tous les prestataires, et du fait de la légèreté de la procédure d’agrément » (acteur de la régulation). Les directions départementales du travail ont des effectifs dédiés aux services à la personne extrêmement réduits (deux personnes qui ne sont pas à plein temps dans deux des départements étudiés), ce qui oblitère toute possibilité de contrôle sérieux de l’activité et des engagements passés dans les agréments. « Il y a une hypocrisie du ministère quand il parle de cahier des charges qui serait identique pour l’autorisation et pour l’agrément. Si il n’y a pas les moyens humains pour contrôler… C’est pour cela que beaucoup vont à l’agrément » (acteur de la régulation). Les Conseils généraux peuvent de leur côté, s’ils en ont la volonté, dédier des moyens plus conséquents, même si leur fonction de contrôle doit se limiter aux structures dites « autorisées ». « Les services autorisés on les connaît bien (…) Un bureau de contrôle a été créé pour aller voir sur place si ce que l’on nous raconte sur papier est bien la réalité (…) Le Président a un pouvoir de police général qui fait que si on a vent de maltraitance dans un service agréé on a le droit d’organiser une visite avec la DDAS » (acteur de la régulation). Un autre acteur de la régulation effectue également des contrôles avec la DDTE mais reconnaît « qu’il y a un problème de disponibilité », même si « les CLIC suivent localement ». Le Conseil général d’un département ne semble pas avoir mis en place les mêmes moyens de contrôle dans son département mais réfléchit à instaurer « un vrai droit de regard sur l’agrément » attribué par la direction départementale du travail. Par exemple dans le cadre de l’APA, certaines entreprises privées proposent des demi‐heures, voire des quarts d’heures d’intervention, afin de parvenir à un prix de vente qui rentre dans l’enveloppe du tarif de référence de l’APA. Tout en ayant des doutes sur la qualité des prestations fournies dans ces conditions, ce département ne s’est pas encore organisé pour s’opposer à ces pratiques. Rappelons que le régime tarifaire de l’autorisation est censé mieux retracer les charges des établissements médico‐sociaux dans la mesure où il fait obligation à l’autorité de tarification de répercuter intégralement conventions collectives et accords de branche dans les coûts de fonctionnement (voir décret budgétaire et comptable n°2003‐101 du 22 octobre 2003). 6
197 Une direction départementale du travail, se présentant comme étant à la fois développeur et contrôleur avec des objectifs quantitatifs et qualitatifs : « On contrôle, on donne l’agrément, mais en même temps on doit favoriser le développement du secteur ». Cet acteur de la régulation admet que sa fonction de contrôle est encore très diffuse : « l’agrément est sur cinq années, mais l’enjeu est après à travers le contrôle que l’on pourra ensuite exercer. Les structures doivent fournir un bilan mais on en a peu ». En tentant de répondre à ces ambiguïtés, la circulaire du 15 mai 2007 tend à parcelliser la fonction de contrôle au risque de lui faire perdre sa cohérence : ainsi la DDTEFP donne l’agrément, la DDAS s’intéresse à la santé et à l’intégrité des personnes, la DDCRF (concurrence et fraude) s’intéresse aux prix et aux livrets d’accueil. 2. Certifications et labels Certifications et labels fleurissent et s’entrecroisent. Un acteur de la régulation affirme « pousser à la certification et à la labellisation, Afnor, Qualiservice. C’est un niveau d’exigence plus important » pendant que le Conseil général travaille sur le label qualité : « ce n’est pas un problème mais quand on demande son avis, on demande qu’il n’y ait pas de confusion ». Le « Label Qualité Paris » considéré comme « une garantie de l’offre et une référence », consiste en un « cahier des charges qualité qui a été approuvé par le Conseil de Paris en 2005 en lien avec les normes Afnor, Qualicert et le cahier de la CNAVTS. La DGAS a aussi été rencontrée par rapport à cette démarche » (acteur de la régulation). Les critères portent sur les aspects administratifs (Kbis, statut, CA, direction…), l’information de l’usager (document de la loi 2002, livret d’accueil, plaquette par rapport au public et aux tâches) ; pour le mandataire : le contrat de mandat, la formation : le personnel et l’encadrement par rapport à la connaissance du secteur, les intervenants et leurs diplômes (BEP, DEAVS, Cafad, certificat Fepem, Greta…), le plan de formation ou au moins une réflexion par rapport aux organismes de formations, types de formations, partenariat (intégration dans réseau gérontologique CLIC, Paris Emeraude, hôpitaux, infirmières libérales, les locaux. La labellisation est ouverte aux structures autorisées 2002 ou aux structures agréées qualité depuis 2 ans et qui sont certifiées ou qui s’engagent dans un processus de certification : « on leur donne 3 ans pour le faire. Mais il y a des problèmes de financement ». Le département de Paris a aussi mis en place un conventionnement avec des associations afin de « permettre une meilleure reconnaissance pour l’APA ». Ces associations interviennent pour l’aide sociale légale : personne à revenu bas qui ne paie pas l’intervention. Un autre département est de son côté en train d’élaborer en lien avec d’autres services sociaux du département, un contrat de qualité visant à répondre aux nouvelles exigences réglementaires du ministère de la santé (les contrats d’objectifs et de moyens). Les éléments du référentiel qualité peuvent porter par exemple sur l’accueil : on examinera alors la signalétique extérieure, l’identification d’une personne, l’affichage des horaires, une accessibilité personnes handicapées, l’existence d’une salle d’attente. 198 D’autres dimensions peuvent être intégrées : existence de plannings, existence de plannings de remplacement, délais de prévenance de la personne âgée en cas de remplacement, organisation en cas de congé, existence d’un référentiel de recrutement, dispositif face aux maltraitances etc. Cet acteur de la régulation admet qu’ « il va falloir plus d’argent pour combler les défauts constatés » et que « cela se fera selon les Conseils généraux ». III. SYNTHESE DES RESULTATS 3.1. QU’EST CE QU’UNE CONVENTION DE PROFESSIONALITE ? Deux réponses possibles qui ne s’excluent pas peuvent être avancées : -
une convention de professionalité est une logique qui est communément mobilisée (donc partagée) par des acteurs différents, relativement à un topique donné, et qui attribue à la définition de la profession une caractéristique dominante ; -
une convention de professionalité est une logique qui est communément mobilisée dans plusieurs topiques, par un acteur donné et qui attribue à la définition de la profession une caractéristique dominante. Première caractéristique d’une convention de professionalité : elle se situe au carrefour des logiques et des topiques. Un acteur (ou groupe d’acteurs) peut toutefois mobiliser une logique par rapport à un topique donné sans la développer par rapport à un autre topique : par exemple on décèle la mobilisation par les salariés d’une logique pragmatique dans le cadre du topique relatif au besoin, alors que cette logique n’est pas mobilisée par eux dans le cadre des topiques de l’organisation et de l’action publique. Toutefois, cette logique pragmatique est également mobilisée par les employeurs par rapport au topique du besoin. La logique éthique pose donc problème a priori car elle n’est mobilisée que par les salariés et sur un seul topique, celui du besoin. Peut‐on parler dans ce cas d’une convention de professionalité ? C’est une des limites de l’exercice de classification des discours que nous opérons. En fait on ne peut exclure que la logique éthique eût été mobilisée dans d’autres topiques ou par d’autres acteurs, si les entretiens avaient été menés et/ou lus différemment. Par ailleurs, on ne peut oublier le fait qu’une logique peut en cacher une autre. Ainsi, quand les employeurs parlent de l’importance du relationnel dans le service, et de l’impossibilité de « travailler à la chaîne », s’inscrivent‐ils dans une convention servicielle (telle que nous l’avons qualifiée plus loin), dans une convention éthique, ou encore dans une convention pragmatique ? Seconde caractéristique, il n’y a pas de relation homothétique entre les acteurs et les logiques qu’ils mobilisent. Un acteur (ou groupe d’acteurs) peut mobiliser une ou plusieurs logiques dans le cadre d’un discours relatif à un topique donné. Par exemple, dans le cadre du topique relatif au besoin, les employeurs peuvent mobiliser simultanément une logique vocationnelle, une logique pragmatique, une logique industrielle, une logique marchande et une logique servicielle. Mais ce pluri‐conventionalisme peut être en partie le reflet de la diversité des acteurs classés au sein d’une même catégorie. 199 Troisième caractéristique, l’hétérogénéité des acteurs quant au type de convention de professionalité mobilisée. La mobilisation d’une convention de professionalité par un type d’acteur ne signifie pas que tous les acteurs de ce groupe se conforment à cette convention : il existe des différences qui peuvent être importantes entre les acteurs d’un même groupe. Par exemple en matière d’organisation, on rencontre des attitudes très différenciées chez les salariées selon qu’elles sont dans une situation d’emploi en prestataire et mandataire d’un côté, ou en gré à gré de l’autre : alors que les premières placent le collectif de travail, la hiérarchie et l’accès à la formation comme un requisit de la professionalité, les secondes ne voient, dans ces éléments que nous avons classés dans le registre d’une convention de type industriel, que des moyens de remettre en cause leur autonomie. Autre exemple, les enseignes qui, dans le domaine de l’action publique, peuvent renvoyer à la mobilisation d’une convention à la fois de type industriel et marchand, rencontrent une appréciation positive essentiellement chez les employeurs qui sont dans le gré à gré, ainsi que chez certaines entreprises privées, tandis que les employeurs associatifs (aussi bien en prestataire qu’en mandataire) émettent des doutes sérieux quant au bien‐fondé de ces nouvelles structures intermédiaires. 3.2. OU PASSE LA FRONTIERE DES DIFFERENTES CONVENTIONS DE PROFESSIONALITE ? Passe‐t‐elle entre les acteurs (salariés, employeurs, régulateurs), ou entre les topiques (besoin, organisation, action publique) ? Tout d’abord, comme on l’a évoqué plus haut, il n’existe pas de convention de professionalité propre aux salariés, propre aux employeurs, propre aux régulateurs. Chaque acteur n’est pas le « ressortissant » d’une unique convention de professionalité. Et chaque convention de professionalité peut être le fruit d’un croisement du discours de plusieurs acteurs. Cela signifie également que l’on peut avoir des conventions de professionalité proches entre deux (groupes d’) acteurs différents. Enfin, aucun acteur ou groupe d’acteurs ne définit de manière unidimensionnelle ce qu’est pour lui la professionalité dans les services d’aide à domicile : * Même les acteurs de la régulation qui apparaissent comme les acteurs qui mobilisent le nombre le plus restreint de conventions de professionalité différentes ‐ ils mobilisent essentiellement les conventions industrielle, marchande, et politique – ne limitent pas leur représentation de ce qu’est une profession à une simple dimension. Il est vrai qu’il n’existe pas un type unique d’acteur de la régulation, ce qui peut expliquer en partie cette diversité de registres du discours. * Les salariés mobilisent cinq des huit conventions identifiées. Ils se distinguent par leur mobilisation exclusive d’une convention éthique ‐ avec la réserve susmentionnée sur le fait qu’une convention peut en cacher une autre, notamment chez les employeurs. Ils se distinguent également par le fait qu’ils mobilisent peu la convention marchande. Là encore selon que l’employé est en situation d’emploi direct ou salarié de structure la nature des registres de discours mobilisés n’est pas la même. 200 * Les employeurs couvrent un spectre de conventions de professionalité encore plus large que celui des salariés (sept conventions sur huit). C’est non seulement la preuve de leur grande hétérogénéité, mais encore celle de la complexité de leur discours. 3.3. HUIT TYPES DE CONVENTION DE PROFESSIONALITE Le classement des discours selon les logiques mobilisées, les topiques par rapport auxquels ils le sont et les acteurs qui les mobilisent, aboutissent à huit conventions de professionalité. Dans le discours des acteurs, c’est donc tour à tour, la vocation, l’éthique, le pragmatisme, la rationalisation industrielle, le marché, le politique, la réglementation, la relation de service, ou encore une combinaison de ces conventions, qui va fonder la professionalité. a) Vocationelle Cette convention de professionalité est principalement mobilisée dans le cadre du besoin. Elle renvoie, chez les salariés, essentiellement à leur capacité à apporter une réponse aux besoins des personnes sur la base de leur expérience, de l’acquisition informelle de savoirs (auto‐formation), de leur amour du métier. On note que les salariés s’identifient assez facilement à la logique vocationnelle à la fois pour des raisons liées à leur volonté personnelle d’être autonomes dans leur travail, mais aussi pour des raisons qu’ils maîtrisent moins, notamment celles liées à l’absence de collectif de travail, aux difficultés (ou à l’ignorance) d’accès à la formation. Le discours vocationnel peut ainsi jouer chez eux comme un rempart, une manière de délimiter une zone de repli, face aux défaillances de l’organisation ou de la régulation ou face aux difficultés qu’ils rencontrent à faire respecter leurs droits et à faire valoir leur besoin de reconnaissance. Cette convention est mobilisée aussi bien par des salariées qui exercent en mode prestataire, en mode mandataire ou en gré à gré. Les employeurs mobilisent cette convention pour des raisons différentes. S’ils reconnaissent aisément les qualités vocationnelles et émotionnelles des salariés, cette reconnaissance doit aboutir non seulement à l’apport d’une réponse qu’ils considèrent comme mieux adaptée aux besoins des personnes, mais aussi à une extrême individualisation des compétences des salariés. Cette individualisation trouve son paroxysme dans des discours qui naturalisent les compétences mobilisées ‐ on parle alors beaucoup de qualités humaines et comportementales fondées sur l’expérience personnelle du salarié – ou qui les culturalisent ‐ on vente alors les mérites des pratiques de maternage qui existent dans les cultures d’origine des salariés. Structures publiques (CCAS), associations et entreprises ne se distinguent pas ici dans leur intensité de mobilisation de cette convention, qui semble bien souvent aller de soi pour tous. 201 b) Ethique Cette convention est apparemment mobilisée exclusivement par les salariés dans le cadre du besoin. Elle renvoie à une représentation de la profession reposant centralement sur la capacité à générer de l’autonomie chez les personnes, et surtout sur une attitude compassionnelle vis‐à vis de ces personnes. Elle repose donc sur l’amour des personnes, là où la convention vocationnelle renvoie plutôt à l’amour du métier. On note que la convention éthique peut se décliner selon une variante plus collective, lorsqu’il est fait référence plus explicitement à l’humain plutôt qu’à la personne : au moins tout aussi que le sentiment d’être utile à une personne, c’est alors celui d’être utile à la société qui est mis en avant. Comme mentionné plus haut, l’absence de référence à la convention éthique dans les discours des employeurs et des acteurs de la régulation ne signifie pas nécessairement que cette convention leur soit totalement étrangère. De fait lorsque les employeurs parlent de l’importance du relationnel dans le service, et d’impossibilité de « travailler à la chaîne », s’inscrivent‐ils dans une convention servicielle (comme nous l’avons qualifiée plus loin) ou dans une convention éthique ? Quoi qu’il en soit, même si nos entretiens ne permettent pas de faire apparaître une référence flagrante à la convention éthique chez les employeurs ou chez les régulateurs, on peut se demander si cette convention n'est pas mobilisée par ces acteurs dans une logique d'action sociale : elle renvoie alors en partie à la question de la protection et des droits de la personne et des usagers que les associations sanitaires sociales doivent reconnaître et mettre en œuvre dans le cadre de la Loi 2002. c) Pragmatique C’est une convention de professionalité qui est elle aussi largement mobilisée par les salariés et dans le cadre du besoin. Il est vrai que le pragmatisme devient rapidement aux yeux des employeurs un enjeux plutôt industriel, voire marchand, puisqu’il s’agit le plus souvent pour eux, comme on va le voir, de générer des routines à partir de singularités. Cette convention renvoie chez le salarié à la capacité de s’adapter à l’imprévu, à générer de la confiance à travers la ponctualité et la continuité de son intervention, à bricoler des solutions mettant en jeu des aptitudes psychologiques et d’écoute. Prendre en compte les particularités des personnes et des besoins et considérer ce qui n’est pas prévisible et ce qui n’est pas standardisable. Le salarié fait ici appel, selon P. Paperman (2005), à une compétence de « discernement des besoins et des réponses appropriées ». Papermann parle de « spécialisation » qui rend difficile un partage des tâches. S’enclenche alors « une spirale du concernement – répondre toujours présent ! », spirale que nous avons clairement identifiée dans nos entretiens. On est proche en théorie d’une convention servicielle (voir plus loin), à la formalisation près. Si l’on peut effectivement parler de la recherche d’une forme d’efficacité dans la convention pragmatique, il s’agit moins d’une efficacité de production au sens industriel et gestionnaire, que d’une efficacité d’intervention au sens de s’efforcer d’apporter des solutions là où se posent des problèmes dont la résolution est considérée comme impérative, cet impératif pouvant d’ailleurs lui‐même être commandé par un motif vocationnel ou éthique. Cette convention fédère à la fois 202 des points de vue positifs relatifs à l’autonomie des salariés générée par la latitude que leur autorise leur proximité privilégiée de la personne et de ses besoins, mais elle rassemble aussi des points de vue plus négatifs faisant référence aux pressions liées à la perpétuelle adaptation dont il faut faire preuve, à la difficulté de faire reconnaître des missions mal identifiées, au sentiment d’être « jetée dans la fosses aux lions ». d) Industrielle La convention industrielle est partagée par les trois types d’acteurs ici analysés. Chez les salariés elle renvoie à la nécessité d’établir un contrepoint aux effets perçus comme négatifs qu’engendre la relation de service. Il s’agit d’abord d’un appel à la possibilité de poser des limites entre les sphère dites « personnel » et « professionnel », appel d’ailleurs partagé par l’ensemble des salariés quel que soit leur « mode » d’emploi, même si l’on voit poindre une revendication de porosité chez les salariés de gré à gré dont certains se considèrent autant, voire plutôt « ami » qu’employé. Il s’agit d’autre part d’un appel à rompre l’isolement dans lequel les salariés se sentent, en créant des collectifs de travail. Sur ce point on constate tout de même une discordance entre d’un côté les salariés en prestataire et/ou mandataire qui veulent plus de collectifs et ceux en gré à gré qui préfèrent préserver leur autonomie. S’y adjoint l’idée qu’il n’y a pas de profession sans progression via la formation. Là encore cette vision n’est pas partagée par les salariés en gré à gré. L’identification de la convention industrielle dans le discours des salariés, tout au moins chez ceux qui exercent sous le mode prestataire et/ou mandataire, apparaît donc d’une part comme une sorte d’antidote aux effets négatifs qu’ils peuvent ressentir de leur implication vocationnelle et éthique, et d’autre part comme un appel à la reconnaissance effective de leur pragmatisme. Les employeurs mobilisent la convention industrielle en partie aussi par volonté de délimiter l’affectif par rapport au professionnel et pour ancrer le professionalisme dans les compétences et les qualifications. Si, du point de vue de l’organisation, il s’agit, certes sans surprise, de penser la figure du professionnel en termes de rationalisation des processus de production et de division des tâches, il s’agit aussi, aussi bien dans la bouche des associations que des entreprises d’ailleurs, d’en appeler à la sécurisation des emplois et des parcours professionnels comme condition de la professionalité. La démarche de certification est d’ailleurs envisagée comme étant au carrefour de cette double exigence, même si tous les employeurs, notamment associatifs ‐ mais nous n’avons aucune information sur les exigences de certification des employeurs de gré à gré ‐ ne souhaitent pas s’engager dans une telle démarche. Pour les acteurs de la régulation enfin, la convention industrielle est fortement liée à une représentation de la professionnalisation comme étant le fruit d’une ingénierie technique : l’appel au développement de labels qualité en est une des illustrations. 203 e) Marchande Qu’en est‐il de la convention de professionalité marchande ? Elle fait l’objet d’une mobilisation motivée chez les employeurs comme chez les acteurs de la régulation. Chez les employeurs, elle renvoie, dans le cadre du besoin, à la capacité à réagir, à s’adapter, à servir en continu, à être proche de l’usager, à identifier ses besoins dans ses multiples dimensions. Si cet aspect de la convention marchande est bien sûr récurrent chez les entreprises, il existe aussi dans certaines associations. Il s’agit en quelque sorte du miroir plus construit et formalisé, de la convention pragmatique telle qu’elle est mobilisée par les salariés. Toujours chez les employeurs la convention marchande renvoie aussi du point de vue organisationnel à la capacité à générer des effets d’image et à créer une identité d’entreprise. Il s’agit enfin aussi de penser en termes de rencontre entre offre et demande ‐ rencontre encouragée avec raison par les enseignes notamment aux yeux de certaines entreprises privées et des employeurs de gré à gré ‐ et de capacités à se battre avec les mêmes armes que la concurrence. Chez les acteurs de la régulation qui mobilisent cette convention (ce qui n’est pas le cas de tous), le discours de la « proximité, confiance, simplicité, réactivité » est repris, et légitime une professionalité fondée sur la capacité à sélectionner les bons offreurs des mauvais, à rendre le Marché plus transparent et à respecter la liberté des clients en matière de choix des prestataires. Autrement dit c’est bien le Marché qui, dans une vision idéalisée, fonde à leur yeux la professionalité. L’enseigne est l’archétype de la concrétisation de cette vision selon laquelle le Marché apparaît comme une « procédure de découverte de l’information » (Hayek, 1945). Notons que pour les employeurs comme pour les régulateurs lorsque l’on parle de demande, il s’agit bien entendu d’une « demande solvable ». f) Politique La convention de professionalité est qualifiée de politique lorsque les logiques mobilisées dans les discours des acteurs relativement à ce qu’est pour eux une profession, s’inscrivent dans un registre d’actions publiques visant soit à développer l’emploi, soit à gérer des équilibres budgétaires, soit encore à lutter contre des inégalités d’accès ou territoriales. Ce sont encore une fois essentiellement les employeurs et les acteurs de la régulation qui mobilisent cette convention. Les employeurs sont divisés. Soit ils mobilisent positivement cette convention en arguant que « la France est en retard » et qu’« il y a un fort potentiel d’emplois » qui est mal exploité (argument plus fréquent chez les entreprises et dans le gré à gré). Soit ils la mobilisent de manière critique : les doutes et les inquiétudes fusent alors quant au caractère propagandiste des effets d’annonce gouvernementaux (entreprises et associations partagent cette vision), au flou des objectifs visés par les décisions de politique publique (associations), aux effets pervers des outils créés comme le CESU (associations), à l’inefficacité des dispositifs comme les enseignes (entreprises privées et associations). Une lecture en creux de ces critiques 204 permet de mieux comprendre comment les employeurs mobilisent la convention politique : par exemple la critique du droit d’option formulée notamment par les associations, renvoie positivement à une vision référentielle de la professionalité reposant sur une garantie publique de la qualité des prestations (régime de l’autorisation et tarification). Les régulateurs sont également divisés sur le contenu à attribuer à cette convention politique de la professionalité. Alors que certains soutiennent que le territoire continue d’avoir un sens et que pour eux la professionalité consiste aussi à garantir un accès le plus équitable possible aux services, d’autres regrettent cette empreinte du territoire sur des pratiques qu’ils estiment monopolistiques. Certains sont prêts à défendre le développement des emplois de services coûte que coûte ‐ tout en reconnaissant que la professionnalisation doit passer par une élévation du nombre d’heures des salariés afin de les sortir d’une logique de revenus de substitution ‐ pendant que d’autres considèrent que la professionnalisation est une affaire de volonté politique au sens de volonté de viser avant tout la qualité des prestations, la fiabilité du contrôle de cette qualité, ainsi que la garantie de prise en charge financière de cette construction de la qualité par les pouvoirs publics eux‐mêmes. g) Réglementaire La convention réglementaire est mobilisée par les salariés et par les employeurs. Elle renvoie pour les salariés à deux éléments distincts. Le premier est une définition de la professionalité fondée sur le respect des règles relatives à la délimitation du périmètre d’intervention des salariés. Se référer à ces règles constitue pour les salariés une manière de rappeler qu’ils sont professionnels puisque des règles existent, même s’ils reconnaissent volontiers que les circonstances peuvent les pousser à les outrepasser (d’où leur pragmatisme notamment). Un autre aspect du réglementaire réside dans les conventions collectives : il s’agit là d’une lecture en creux puisque ces dernières sont largement ignorées des salariées, d’autant plus lorsqu’ils sont en mandataire ou en gré à gré. Le droit du travail est questionné également, tout comme les règles relatives à la validation des acquis de l’expérience. Les salariés ressentent donc ce qu’ils pensent être une absence ou une inadaptation des règles comme dommageable à leur qualité de professionnel. Les employeurs n’ont pas de leur côté un discours unanime sur les règles : certains sont conscients de ne pas respecter les conventions collectives en vigueur (CCAS, associations), d’autres en appellent au respect des conventions collectives comme base de la construction de la professionalité (associations), pendant que d’autres encore considèrent que les mêmes conventions collectives ne suffisent pas, bien que nécessaires, à garantir un emploi décent (associations et entreprises). 205 h) Servicielle Cette modalité conventionnelle est surtout mobilisée par les employeurs. Elle peut être apparentée, comme nous l’avons mentionné plus haut à la formulation d’une convention pragmatique, voire de type éthique, mais avec une volonté de formalisation propre aux structures productrices de services. On pourrait parler de convention de rationalisation professionnelle (Gadrey, 1994). Elle renvoie en effet d’une part à la volonté de typifier les cas, de formaliser des méthodes dans un objectif de gain d’efficacité des procédures du travail professionnel, à la fois au sens du gain de temps et de la qualité de réponse (associations et entreprises). D’un autre côté, cette convention renvoie aussi à l’affirmation de la singularité des services d’aide à domicile et à l’importance accordée à leur valeur relationnelle ‐ « on ne travaille pas à la chaîne » ‐ l’évaluation des performances se faisant sur la base des effets des services sur les utilisateurs (associations). Du point de vue de l’action publique, les employeurs associatifs ne manquent pas de rappeler la place centrale de la personne dans le dispositif législatif de 2002. On trouvera dans le tableau qui suit un descriptif détaillé de ces huit conventions de professionalité classées selon chaque type d’acteurs (salariés, employeurs, acteurs de la régulation). Salariés Tableau 1. Les conventions de professionalité selon chaque (groupe d’) acteur(s) Vocationelle Ethique Pragmatique Industrielle Besoin Savoir répondre sur la base de l’autoformation et de l’expérience Mise en pratique de savoirs et savoirs faire acquis de manière informelle Aimer le métier Préserver l’autonomie des personnes Travailleurs du « social », de l’humanitaire Faire passer la personne avant tout : attitude compassionnelle, aimer les personnes, rendre heureux « Je fais plein de trucs » Générer de la confiance à travers la continuité et la ponctualité de l’intervention Faire avec Veille sanitaire et sociale : veille, prévention, gestion de l’urgence, liaison, médiation Des bricoleurs caméléons : psychologie, imprévisibilité, négociation du périmètre des tâches, écoute Poser des limites : délimiter la partie personnelle de l’intervention, ne pas aller dans Organisation Action publique « Avec le DEAVS, je ne gagne pas plus de l'heure et je regrette presque d'avoir fait le DEAVS, car je ne vois pas la différence» Rompre l’isolement, besoin d’un collectif de travail (relations entre 206 l’intimité Marchande Politique Réglementaire Habilitation à faire intervenantes, avec la hiérarchie, avec les équipes médico‐sociales) Pouvoir progresser en se formant Servicielle Les conventions collectives sont largement ignorées des salariés Il faut accumuler 3000 heures d’expérience afin de faire valider ses acquis dans le but de l’obtention du Deavs : « on ne devrait pas demander de quotas d’heures. Une fois qu’on est dans le métier…Ça fait 3 ans (…) et les CDD ne comptent pas malheureusement » Critique de la limitation au temps partiel (moins de 20 heures) pour les étudiants Contournements par le travail au noir (via le CESU notamment) 207 Employeurs Vocationelle Ethique Pragmatique Industrielle Marchande Politique Besoin Reconnaître des qualités vocationnelles et émotionnelles au personnel Extrême individualisation des compétences Mobilisation et valorisation de compétences quasi‐naturelles : âge, courage, capacités affectives, psychologie, « qualités humaines et comportementales »), « bonne moralité », facteurs culturels Rôle de veille Référence aux aptitudes, aux compétences, aux diplômes Division des tâches : ménage/aide directe Ce qui freine la construction d’identités professionnelles c’est l’affectif Souplesse d’utilisation, réactivité, adaptabilité, continuité Être proche de l’usager, et savoir identifier le besoin dans sa dimension budgétaire (rôle de médiation en faveur de la définition des besoins auprès des financeurs) Organisation De la subordination au partenariat Sécuriser les emplois : primes, politique sociale, fidélisation des salariés, augmenter les emplois du temps, stabiliser les contrats, construire des parcours professionnels Absence de gestion prévisionnelle des emplois Rareté du management intermédiaire Savoir aménager les horaires Développer les compétences des salariés Travailler sur des outils de gestion des compétences Réunir, mutualiser les connaissances et réintroduire du collectif Rationnaliser les processus de production des services « Notre métier c’est de la logistique » La télégestion Créer des pôles de gestion pour mutualiser les moyens Matérialiser le service Créer une identité d’entreprise Effets d’image (sérieux, compétence, confiance) Trouver le juste prix Se rapprocher du client efficacement Action publique L’enseigne est une logique de service industriel La certification est coûteuse et ne s’applique pas à tous mais : c’est le meilleur rempart à l’ouverture au marchand elle pousse les services à se moderniser, à évoluer, à se remettre en cause il s’agit d’un travail sur la structure mais qui a un impact sur la qualité au domicile : les modifications structurelles améliorent forcément les pratiques favorise l’évolution participative prolongement de la loi 2002 qui met la personne au centre des préoccupations « Le plan Borloo a un rôle boostant sur les services à la personne » L’enseigne se focalise sur le problème de la rencontre de l’offre et de la demande Pouvoir se battre avec les mêmes armes que les concurrents « Il y a du potentiel car la France est en retard » Plan de cohésion social : entre plan social et campagne de propagande Objectifs de créations d’emploi jugés totalement irréalistes Que vise le plan Borloo ? Les publics fragiles ou les ménages biactifs ? Risques d’aggravation de la précarité de l’emploi dans le secteur via le développement du gré à gré (via le CESU) et du travail au noir Le CESU introduit une pseudo‐rationalité économique du côté de l’usager qui peut se faire au détriment du service prestataire Les enseignes font l’objet de vives critiques : c’est une couche supplémentaire d’intermédiation est‐il légal pour une association de rémunérer un intermédiaire pour qu’il lui ramène des clients ? 208 Réglementaire Respecter les conventions collectives Servicielle « On n’est pas là pour travailler à la chaîne ». Négocier plutôt que prescrire : discuter et hiérarchiser les urgences avec les personnes. « On est dans un métier de service. C’est pas la caisse. C’est pas des gestes répétitifs. Il y a des relations » limites du passage par un prescripteur : peut‐on vendre sans connaître les produits ? Le « libre choix » de quoi et de qui ? libre choix de l’usager entre le soin à domicile et le soin en établissement : un choix biaisé libre choix de l’usager en matière de type de prestataire (gré à gré, mandataire, prestataire) : un choix dicté par les enseignes ne ramènent pas de clients ressources financières de l’usager libre choix du type d’agrément par l’intervenant : le droit d’option désavoue les politiques des conseils généraux qui sont en faveur du régime de l’autorisation Une action publique qui connaît de nombreux retournements : par exemple de l’injonction à former à celle de ne plus former. Le système de tarification des conseils généraux distinguant les phases de gestes au corps de celles liées au ménage renvoie à une vision très bureaucratique et comptable du service d’aide à domicile, qui incite les employeurs à embaucher du personnel moins qualifié. Le « désordre » introduit par les lois successives depuis 1996 n’aide pas la construction d’une « vraie » profession. Le mode prestataire est une garantie de professionnalisme (on mesure mieux l’effectivité de la prestation, l’emploi direct de fabrique pas d’identité professionnelle) Limites de l’intégration des contrats aidés : Professionnaliser c’est aussi assurer la transmission des savoirs et l’évolution des carrières, ce qui n’est pas possible avec des personnes trop loin de l’emploi sans développer de l’encadrement, du tutorat, des passerelles. L’agrément est‐il un outil de professionnalisation ? Les modalités d’attribution des agréments sont largement questionnées : les contrôles sont impuissants. Les conventions collectives ne suffisent pas à garantir un emploi décent : reconnaissance conventionnelle et reconnaissance de la personne ne se confondent pas. L’application d’une convention collective n’empêche pas d’avoir des travailleurs pauvres Référence à la loi 2002 qui met la personne au centre des préoccupations 209 Régulateurs Vocationelle Ethique Pragmatique Industrielle Besoin Discours en creu : « Les associations sont sur la défensive et non sur le développement » Marchande « Les besoins vont croître » « Les associations se partagent le territoire » Entreprise de service fondée sur : Proximité, Confiance, Simplicité Réactivité Politique Le territoire a encore un sens Les services comme outil de réduction des inégalités entre territoires « Dans les faits une association qui fait bien son boulot et une entreprise professionnelle, il n’y a pas vraiment de différence » Facteur critique de succès d’une enseigne : un réseau de distribution physique pour « toucher » la demande Les enseignes constituent un filtre sélectif contribuant à la « transparence du Marché » Volonté de développer l’emploi même si c’est au prix du développement du gré à gré La professionnalisation passe par la recherche d’un nombre d’heures suffisants pour éviter les revenus de substitution Former tout les niveaux hiérarchiques. Le financement de la formation est trop lié aux situations des personnes et non pas aux métiers. Les enseignes : un annuaire qui coûte cher Réglementaire Servicielle Organisation Action publique La professionnalisation est le fruit d’une ingénierie technique : (développement des labels qualité, des contrats qualité, des contrats d’objectifs et de moyens) « L’APA est destinée aux personnes qui font ensuite ce qu’elles veulent » La professionnalisation est le fruit d’une volonté politique la procédure de l’agrément n’est pas une garantie de qualité la multiplication des types d’intervenants peut remettre en cause la qualité le caractère national de l’agrément implique une bonne collaboration entre pouvoirs publics locaux pour assurer un meilleur contrôle certains conseils généraux tarifient au coût réel en reprenant la ligne de budget dédié à la formation : « on se méfie des prix bas ». la dispersion du contrôle peut empêcher le contrôle : la circulaire du 15 mai 2007 tend à parcelliser la fonction de contrôle au risque de lui faire perdre sa cohérence : la DDTEFP donne l’agrément, la DDAS s’intéresse à la santé et à l’intégrité des personnes, la DDCRF (concurrence et fraude) s’intéresse aux prix et aux livrets d’accueil 210 3.4. LA PROPHÉTIE DU MARCHÉ Les professions sont comme les nations : elles ne naissent pas sous le seul signe de l’allégresse. Ce sont les tensions, les connivences et les ruptures entre les différentes conventions de professionalité qui donnent naissance à la profession d’aide à domicile. Il n’y a donc pas une mais des professions d’aide à domicile. Sur cette base, revenons maintenant à notre questionnement initial : en quoi la professionnalisation des métiers des services d’aide à domicile permet‐elle de résoudre l’articulation entre la qualité d’emploi et la qualité de service dans ces métiers ? Qu’est‐
ce qui dans la professionnalisation peut déclencher un cercle plus ou moins vertueux qualité d’emploi‐qualité de service ? Est‐ce la pluralité des conventions ou la prophétie du Marché ? 3.4.1. DES VERTUS DE LA PLURALITE DES CONVENTIONS Le détour méthodologique que constitue la classification des éléments de discours en trois types d’espaces ou de topiques a permis de mettre en relief la diversité des conventions mobilisées par chacun des acteurs. Aucune convention de professionalité n’éclaire à elle seule l’ensemble des dimensions le long desquelles on peut décliner la qualité de service et la qualité des emplois. Aucune convention de professionalité ne peut prétendre garantir à elle seule la simultanéité de la qualité de service et de la qualité d’emploi. Ceci est peu étonnant puisque les acteurs construisent en fait des discours qui vont puiser dans des registres variés de la qualité. Cela signifie que vouloir asseoir la professionnalisation de l’aide à domicile sur une seule des conventions de professionalité ici repérées reviendrait à nier l’existence des autres dimensions de la qualité de service et d’emploi dont les autres conventions sont porteuses, et ce faisant reviendrait à perdre la possibilité de « rééquilibrage » que présente le respect d’une certaine variété des conventions. Pour le dire autrement, l’hégémonisme d’une convention donnée peut être dommageable à la qualité de service et d’emploi qu’encourage une autre convention. La professionalité est donc un construit évolutif en tension, et seule cette tension permet de réguler qualité de service et qualité d’emploi. En fait, la diversité des discours de professionnalité, dont nous avons essayé de rendre compte, est le reflet de l’ambiguïté intrinsèque de la notion et de la pratique du prendre soin : être proche tout en évitant la « clôture sur le proche » (Pattaroni, 2005, p.196). Apprendre à distinguer les biens en jeu – dont la sollicitude fait partie ‐ des besoins qui peuvent se revendiquer. On a vu combien les intervenantes développent souvent des régimes d’engagements multiples ouvrant à des biens variables. « Pour prendre au sérieux le care, il faut considérer les différentes facettes du rapport à l’autre qu’il compose. Il en va du délicat rapport entre attachement et détachement, ou plutôt du rapport entre les différentes façons de s’attacher » (ibid p.197). Ainsi une véritable politique du care devrait viser une articulation entre « les gestes de l’accueil de l’altérité de l’autre et ceux visant sa transformation ». 211 C’est précisément ce type d’articulation qu’une pure logique de multiplication des emplois ne parvient pas, presque par définition, à appréhender. Comme toutes les politiques d’emploi fondées sur le seul indicateur de diminution du chômage, le volet emploi du plan de cohésion sociale de 2005 a paradoxalement contribué à rendre moins cohérent le social, et donc à accroître plutôt qu’à réduire les risques de décohésion sociale, notamment en perdant de vue la pluralité des finalités de l’activité économique. Le chapitre 3. sur la qualité de l’emploi a montré que la performance d’une action publique ou même d’un marché du travail national ne peut plus être mesurée uniquement à l’aune des seuls chiffres du chômage mais doit intégrer des dimensions plus complexes relatives à la sécurité des conditions d’emplois, à la pérennité des contrats ou encore aux rémunérations associées. Par ailleurs, outre l’insatisfaction exprimée par les employeurs tant vis à vis des emplois aidés ‐ les employeurs rappellent que professionnaliser c’est aussi assurer la transmission des savoirs et l’évolution des carrières ‐ que vis à vis des risques encourus par rapport à la qualité de service, on voit que l’aide à domicile renvoie à plusieurs conventions de professionalité y compris chez les employeurs, et y compris dans les entreprises privées. Les politiques d’emploi qui consistent en la multiplication quasi‐
miraculeuse des emplois de service à la personne apparaissent surtout comme des politiques de non‐emploi, et à tout le moins elles présentent le défaut majeur de ne pas être des politiques de métiers. Même la Fepem, que l’on ne peut soupçonner de ne pas s’enorgueillir du moindre frémissement à la hausse des emplois dans le secteur, surtout lorsqu’elle en est bénéficiaire en termes de membres nouveaux, doute de la validité de l’identité établie selon elle trop rapidement par les pouvoirs publics entre créations d’emplois et créations de métiers. La différence essentielle entre un métier et un emploi demeure donc. Elle réside dans le fait qu’un métier est une tentative de maîtriser ‐ c’est‐à‐dire de connaître et d’incorporer ‐ des outils avec lesquels le professionnel construit, alors qu’un emploi n’est « qu »’un emploi, à savoir principalement une source de revenu salarié (quel que soit son niveau), et éventuellement un chômeur en moins. 3.4.2. OU EN SOMMES­NOUS AUJOURD’HUI ? Peut‐on « pondérer » les différents discours de manière à refléter l’état des forces en présence, l’état de tension entre les différents acteurs ? Quand bien‐même nous parviendrions à faire cette pondération, ne serait‐elle pas le reflet trop fidèle de notre échantillon d’entretiens ? D’autre part peut‐on parler de pondération des forces en présence autrement qu’en attribuant un rôle dominant aux employeurs et aux acteurs de la régulation, comparativement aux salariés ? L’analyse de qualité du travail et de l’emploi a amplement montré que dans la situation présente, la position des salariées est largement en défaveur comparée à celle des autres acteurs. Pour autant que peut‐on dire du secteur aujourd’hui à partir de cette grille ? Comment se superposent, rentrent en tension, s'articulent les différents espaces et conventions de professionalité dans le positionnement des acteurs ? Dans quelle mesure les acteurs sont traversées pas des conventions non stabilisées et parfois contradictoires ? Quels compromis s’établissent pour rétablir de la cohérence dans leur action ? 212 Les types de relations entre les conventions sont multiples : consolidation, convergence, recouvrement, traduction, détournement, choc frontal, exclusion, contradiction, cannibalisation, trahison. Les acteurs sont effectivement traversés par des conventions non stabilisées et parfois contradictoires, et leur discours n’est pas uniforme, y compris au sein d’un même groupe d’acteurs : en fait les conventions redéfinissent les acteurs, redéfinissent ce qui soude plusieurs acteurs entre eux, formant ainsi de nouveaux groupes, de nouvelles coalitions. C’est sur ce type de convergence d’ailleurs, que jouent beaucoup certaines fédérations pour légitimer leur représentativité, leur force, donc leur puissance de négociation et de lobbying. C’est le cas par exemple de la Fepem, qui construit et diffuse amplement un discours sur la convergence particulier/employeur, et la convergence salarié/entrepreneur (le salarié entrepreneur de lui‐
même). Se représenter les employeurs, associations ou entreprises privées, comme uniquement porteurs d’une convention marchande ou d’une convention industrielle, ne correspond absolument pas à la réalité actuelle : ils sont aussi traversés par ‐ et porteurs ‐ des logiques vocationnelle, pragmatique, politique, réglementaire ou servicielle … et d’autres peut‐être encore ! Mais si les acteurs sont traversés par différentes conventions, ils n’établissent pas les mêmes hiérarchies entre elles : une structure publique du type CCAS n’a pas les armes pour jouer le jeu de la concurrence, les entreprises auront tendance à ne passer par les fourches caudines du régime de l'autorisation, tandis que les associations se trouvent écartelées entre leur identité liée à l’action sociale et leur transformation en entreprises sociales. Rappelons que les mêmes employeurs ne sont d’ailleurs pas non plus les seuls porteurs des conventions marchande et industrielle : on retrouve certains régulateurs – via, on l’a vu, la défense et l’illustration d’une ingénierie technique autour des labels et des contrats qualité pour le volet industriel, ou via la promotion du libre choix du client pour le volet marchand. On retrouve aussi une partie du discours des salariés ‐ notamment en dehors du gré à gré ‐ il est vrai plutôt dans la convention industrielle, sur les aspects liés à la volonté de rompre l’isolement du travail ou à poser des limites entre le personnel et le professionnel. Autrement dit on est face à des relations d’encastrement entre conventions, relations qui empêchent de considérer comme crédible tout discours qui tendrait à fataliser, à uniformiser et à unidimentionner les évolutions du secteur ici étudié. Donnons quelques exemples de ces relations d’encastrement à partir du tableau 2. (voir infra). Selon la convention de professionalité que nous avons qualifiée de vocationnelle, la qualité de service repose sur la capacité des intervenants à « aimer leur métier », et se traduit concrètement par un investissement important du salarié visant à développer l’autonomie de la personne plutôt que de la maintenir dans une relation de dépendance jugée dégradante. Du point de vue de la qualité d’emploi, cette représentation du service de qualité se heurte toutefois à plusieurs écueils. En effet si les qualités vocationnelles sont souvent identifiées par les employeurs, elles sont rarement reconnues en tant que telles. Et lorsqu’elles le sont, cette reconnaissance tend à se transformer en une forte individualisation des compétences ‐ qui repose en partie sur leur naturalisation ‐ qui fait obstacle à toute forme d’objectivation des missions et des résultats obtenus. Le règne du subjectif risque alors de s’opérer au détriment de dimensions plus objectives de la qualité de service et de l’emploi. La formation n’est plus ressentie comme absolument nécessaire de part et d’autre, et le passage de la subordination au 213 partenariat mis en avant dans cette convention, peut en fait déboucher sur une dé‐
responsabilisation de l’organisation à la fois vis à vis de ses clients et de ses salariés. L’emploi de gré à gré, et dans une moindre mesure le mode mandataire, peuvent aboutir aisément à ce type de représentation du professionnel, même si cela ne signifie pas que c’est systématiquement le cas. Tableau 2. Conventions de professionalité, qualité de service et qualité d’emploi Vocationnelle Aimer le métier Travailler sur l’autonomie plutôt que sur la dépendance Éthique Aimer la personne Du service d’aide sociale à l’humanitaire Confiance, ponctualité, veille, bricolage Pragmatique Industrielle Qualité de service Marchande Savoir distinguer le « personnel » du « professionnel » La certification prolonge la loi de 2002 qui met la personne au centre Souplesse d’utilisation, réactivité, adaptabilité, médiation Politique Le territoire a du sens Garantir l’égalité d’accès Réglementaire Fixer les limites de l’intervention Servicielle Respecter la singularité du service d’aide à domicile Qualité d’emploi Qualités vocationnelles identifiées mais peu reconnues Individualisation des compétences Naturalisation des compétences De la subordination au partenariat Rien ne sert de se former si c’est pour ne pas gagner plus Absence de reconnaissance Pression psychologique Qualités identifiées mais non reconnues Flou des missions, flou des mesures de performance La certification pousse à améliorer la structure productive Labels, contrats qualité : potentiels de qualité de service et d’emploi mais pas de garantie Flexibilité des emplois Identité d’entreprise mais pas d’identité professionnelle Matérialiser le service mais dématérialiser la structure de production Remise en question du rôle du statut de l’intervenant (privé/association) Un marché transparent pour une professionalité opacifiée L’enseigne se focalise sur la rencontre de l’offre et de la demande et non pas sur la qualité de service et d’emploi Le libre choix n’est pas nécessairement positif pour la qualité de service et d’emploi (régulation par les prix) Des emplois de proximité L’emploi à tout prix Consolidation des emplois du temps Former à tous les niveaux Pas de qualité de service et d’emploi sans procédures de contrôle (cf agréments) Se méfier des prix bas Le Cesu introduit une rationalité économique qui peut se faire au détriment de la qualité Enseignes : peut‐on vendre sans connaître les produits ? (déconnexion de la vente et des conditions de production) Le rôle du mode prestataire dans la professionalisation Assurer des passerelles entre métiers Encourager la transmission des savoirs Division du travail Respect des conventions collective : nécessaire mais pas suffisant Faire face au travail au noir … qui augmente via le Cesu Des emplois non‐routiniers Replacer la personne au centre du processus de production Développer un projet de travail avec des objectifs mesurables 214 La convention de professionalité que l’on a qualifiée d’éthique comporte des écueils proches liés notamment à l’absence de reconnaissance des qualités mises en œuvre, avec un degré peut‐être encore plus poussé d’individualisation des compétences, qui peut aboutir à l’intériorisation de fortes pressions psychologiques. Il en va de même avec la convention que l’on a qualifiée de pragmatique : le flou des missions ‐ ce qui ne veut pas dire que ces dernières soient inexistantes et fortement valorisées du point de vue de la qualité de service ‐ nourrit le flou des statuts d’emploi… et des conditions de travail. Les vertus qualitatives de la convention pragmatique sont facilement détournées au profit de la poly‐aptitude plutôt recherchée par les tenants de la convention industrielle, ou au profit de la flexibilité de l’offre de service (donc des emplois) chère aux tenants de la convention marchande. La convention industrielle de professionalité présente quant à elle par définition des caractéristiques qui viennent contrecarrer les problèmes identifiés ci‐dessus, puisqu’elle pose comme principe la nécessaire distinction entre la sphère du « personnel » et celle du « professionnel ». Professionaliser, tout comme monter en qualité de service, signifie ici mettre en œuvre des procédures permettant de rationaliser le processus de production tout en diminuant les coûts : autrement dit, il s’agit de dé‐singulariser la prestation de service. Tout en souhaitant, en tous cas dans certaines de ses variantes, mettre la personne au centre, la convention industrielle envisage d’accroître la qualité de service et des emplois de manière simultanée, notamment à travers la mise en œuvre de processus de certification et de labellisation ou par des contrats dits « qualité ». Les acteurs qui portent ce discours, notamment les associations et les régulateurs au niveau départemental, ne sont toutefois pas sans savoir que qualité de service et qualité d’emploi ne peuvent être garanties par ces seuls outils. D’autres conventions sont alors mobilisées en renfort. En dehors des conventions marchande et politique que nous abordons plus loin, on note les nuances que viennent apporter les conventions réglementaire et servicielle à la convention industrielle. La première est largement compatible avec la convention industrielle du point de vue de son approche de la qualité de service puisqu’elle fait reposer cette dernière sur une définition actée et partagée de la prestation de service. En fixant des limites d’intervention elle favorise la mise en place d’une division des tâches. La qualité d’emploi repose quant à elle sur un respect des conventions collectives et peut être illustrée par le recul du travail non déclaré. Le développement concomitant du CESU et du travail non déclaré fournit d’ailleurs une exemple intéressant autant qu’inattendu de contradiction entre la convention réglementaire et la convention marchande : de fait, la première s’efforce de placer au centre de ce qu’elle entend par qualité d’emploi (et de service) la lutte contre le travail non déclaré, c’est‐à‐dire la lutte contre précisément ce que la seconde génère de manière inintentionnelle et secondaire via la mise en place d’outils visant à rendre le marché plus transparent. Décidément les relations entre conventions sont complexes. Quant à la convention servicielle, surtout portée par le secteur associatif, elle vient elle aussi nuancer la convention industrielle, notamment en considérant que le respect de la singularité du service d’aide à domicile constitue un point de départ à toute élaboration d’une qualité de service. Il s’ensuit que la qualité d’emploi repose ici sur une non‐routinisation des tâches, la 215 personne étant placée au cœur du processus de production. Si elle accorde de l’importance au caractère mesurable des objectifs qu’elle contribue à définir, la convention servicielle inscrit cette mesure dans une démarche visant à faire du salarié un acteur à part entière d’un projet de travail, et non pas seulement le simple détenteur d’un emploi. Du côté marchand, la qualité de service est diagnostiquée comme reposant essentiellement sur des qualités relatives à l’organisation : il s’agit de s’approcher au plus près des demandes identifiées. A la différence des besoins, les demandes portent sur les modalités de prestation plus que sur le contenu même de la prestation. Ainsi, on identifie une demande de souplesse d’utilisation, d’adaptabilité, de continuité, de réactivité. Être là au bon moment. À cette approche de la qualité de service fait bien sûr miroir une représentation de l’emploi fondée sur la flexibilité, la capacité adaptative ‐ qui se nourrit d’ailleurs très bien, même si c’est de manière détournée, de la convention vocationnelle identifiée ci‐dessus, tout comme de la convention pragmatique, voire de la convention éthique ‐, et sur la construction d’une identité d’entreprise plutôt que d’une identité professionnelle. Le marché attribue au service une matérialité saisie par les capteurs du marketing… tout en dématérialisant la structure productive. Il n’y a plus lieu dans cette convention de distinguer les services à partir de la nature juridique des intervenants : seule compte la capacité d’écoute et de réponse. La confusion ‐ et un certain glissement ‐ est introduite entre marché d’organisations et marché d’intervenants. Le client devient employeur et le salarié devient entrepreneur de lui‐même. Cette conception prône une transparence des transactions mais transforme de ce fait la professionalité en boîte noire dont seuls les intrants et les extrants demeurent appréhendables. Enfin, cette convention mobilise la notion de libre choix : choix de l’usager entre le soin à domicile et le soin en établissement, choix du client en matière de type de prestataire (gré à gré, mandataire, prestataire), et enfin choix du type d’agrément auquel se soumet l’intervenant ‐ le droit d’option ‐ qui donne la possibilité aux entreprises d’accéder aux publics fragiles. Une des vertus supposées du libre choix est évidemment de libérer les acteurs des contraintes de régulation. À l’exception de ceux relatifs à la création d’emploi à tout prix, la plupart des discours tenus par les différents acteurs dans le cadre de ce que nous avons appelé la convention politique de la professionalité, sont là pour rappeler les limites de la convention marchande du point de vue de ses conséquences tant sur la qualité de service que sur la qualité d’emploi. Au niveau de la qualité de service, on note que la transterritorialité des structures intervenantes que suppose la convention marchande est en tension forte avec le caractère affirmé que prend le territoire dans la convention politique. L’ancrage territorial des besoins constitue dans cette dernière une dimension de la qualité de service à prendre en considération, d’autant qu’il renvoie à un ancrage territorial de la solvabilité de la demande et donc à une dimension de justice du point de vue de l’accès aux services. Alors que la convention marchande a tendance à brouiller le champ de la reconnaissance institutionalisée, partagée et débattue, de la qualité de service et de la qualité d’emploi, construisant par là‐même une professionalité sui generis, la convention politique tend pour sa part à redonner aux acteurs un espace de dialogue, de co‐construction ‐ voire de tension ‐ de ce qu’est la qualité. Cet espace situe la professionalité en son centre, considérant que la qualité de service en découle. Ainsi les conditions d’emploi et de travail proprement dites font l’objet d’une attention particulière dans cette convention : d’où le souci de construire des emplois du temps consolidés, de former les personnels à tous les niveaux, d’assurer des passerelles entre métiers 216 ou encore d’encourager la transmission des savoirs. En lien plus direct avec la qualité de service, la convention politique est en tension forte avec la convention marchande, notamment sur le rôle que cette dernière attribue au prix en tant que pivot de la rationalité des agents. La convention politique n’est pas anti‐marchande, mais elle tend en effet à considérer le prix comme inséparable de la qualité de service d’une part et de la qualité d’emploi d’autre part ‐ ce que reflète la formule « se méfier des prix bas » qui renvoie à l’idée que les coûts de formation font partie des coûts et doivent être répercutés plutôt qu’escamotés, quitte à mettre en place un subventionnement de la demande et/ou de l’offre. Enfin, la co‐construction de la qualité de service et d’emploi passe, dans le discours de la convention politique, par l’instauration de procédures éprouvées de contrôle de l’activité, ce qui encore une fois est en tension mais n’est pas incompatible avec la convention marchande, et rend au contraire cette dernière moins tributaire de son caractère auto‐réalisateur. En dépit du fait que la convention de professionalité marchande a le vent en poupe, notamment dans les discours d’une partie des employeurs et d’une partie également des acteurs de la régulation, notre analyse montre donc qu’il existe des risques à vouloir unidimentionnaliser la définition de la professionalité autour de cette seule convention en marginalisant les autres. Le risque principal est celui d’une importante dégradation de la qualité d’emploi et de la qualité de service dans les activités concernées. La convention marchande tend en effet à aplanir les autres figures de la professionalité et à les aliéner à son hégémonie, ce qui s’explique d’ailleurs moins par sa spécificité intrinsèque que par l’adhésion exclusive qu’elle peut susciter. Or si la convention marchande, ainsi d’ailleurs que la convention industrielle, tendent à s’imposer dans les discours, donc dans les pratiques, et tendent ainsi à marginaliser les autres conventions, cela ne signifie pas qu’elles sont pour autant plus cohérentes ou plus achevées que les autres. On aboutit ainsi à une conception de la professionnalisation fondée sur un interactionisme concret, ou pluraliste, un synchrétisme de la professionalité dans lequel la prise en compte de la pluralité des conventions de professionalité est potentiellement porteuse d’améliorations de la qualité des emplois et de la qualité de service. L’ensemble des conventions de professionalité repérées ici constitue un tissu vivant élaboré par les acteurs et les institutions et c’est ce tissu qui fabrique à son tour la profession. Vouloir privilégier, isolément, un morceau de ce tissu aux dépens des autres, signifie faire régner une hégémonie non soutenable d’une convention sur les autres, donc d’un type d’acteurs et de représentations sur les autres. C’est vouloir passer outre les nécessités de reconnaissance entre les conventions et entre les acteurs, au risque de compromettre la pérennité de leurs relations économiques et sociales. 3. 5. L’AIDE A DOMICILE : UNE ACTIVITE MARCHANDE SANS LE MARCHE De même que le marché comme principe organisateur de l’économie, ne peut seul produire les conditions de sa propre régulation, l’aide à domicile ne peut s’inscrire dans un marché pur où les échanges échapperaient à toute forme de rationalité qui n’est pas exclusivement axée sur l’immédiateté des courbes d’utilité des « agents ». On a vu par exemple que dans le topique du besoin, il n‘existe pas de logique marchande pure qui serait capable de se désencastrer de la logique vocationnelle. Et vouloir opérer cette opération de désencastrement reviendrait à ne pas 217 reconnaître un élément essentiel de la qualité de service ‐ peut‐on prendre soin sans aucun sentiment vocationnel ? ‐ , tout comme un élément essentiel de la qualité d’emploi ‐ les salariés ne mentionnent‐ils pas souvent combien ils « tiennent » parce que « quelque chose d’autre » les motive ? Il apparaît ainsi purement idéologique ‐ ce qui ne veut d’ailleurs pas dire sans intérêt ‐ de tenir les deux types de discours suivants : l’aide à domicile relèverait par nature du tutélaire, de la protection sociale et donc du service publique, ou exclusivement du secteur associatif ; l’aide à domicile serait une activité marchande comme les autres, régie par un véritable Marché. En fait, on est probablement typiquement face à une activité marchande sans le Marché. Il est troublant de constater combien l’image de l’enseigne comme « mise en lumière » du secteur des services à la personne est mobilisée par plusieurs acteurs notamment les enseignes de services elles‐mêmes, la Fepem, l’Ansp, mais aussi certains conseils généraux, même si ces derniers sont plus rares parmi ceux que nous avons rencontrés. Comme en écho fidèle à un mot d’ordre institutionnel, à une grande compagne de communication dont on ne peut que reconnaître l’efficacité. Le recours à l’image de la lumière n’est pas anodin et nous y reviendrons plus loin. Il renvoie à l’existence de zones d’obscurité dans lesquelles les acteurs du secteur ‐ notamment la partie associative ‐ se seraient jusqu’à maintenant tenus, plongés qu’ils étaient dans la léthargie caractéristique de ceux qui n’auraient pas connu les vertus de la transparence du Marché. Des oubliés de la grande évolution en quelque sorte. Un représentant d’une enseigne déclarait récemment : « les enseignes ont pour objectifs de rendre visible le concept de service à la personne, de structurer le secteur et la profession, et d’améliorer la qualité du service. Le concept de services à la personne permet de faire émerger la notion de service dans un domaine où ce qui a prédominé jusqu’à maintenant c’est la prestation en nature. Un service c’est ce pour quoi de vrais clients paient »7. Alors que le secteur associatif a permis de « créer de bonnes conditions d’emploi et de travail » ‐ voilà pour le volet social ‐ « le secteur marchand déploie ses capacités à apprendre vite et s’implique plus sur le management » ‐ voilà pour le volet efficacité. Les faits sont cependant plus têtus : tandis que le chapitre 3 de ce rapport a montré que les conditions d’emploi et de travail connaissent des défaillances majeures, y compris dans le secteur associatif, on a vu que les « capacités d’apprentissage rapide du secteur marchand » se sont surtout déployées jusqu’à maintenant en défaveur de la qualité d’emploi. Le site de l’ANSP complète la définition du rôle supposé central des enseignes dans le dispositif gouvernemental de professionnalisation des services à la personne : outre qu’elles permettent de « développer la professionnalisation (…) les enseignes nationales vont contribuer à structurer le secteur et permettre son développement. Elles sont un outil de distribution des services ; elles répertorient des producteurs de services sur des critères notamment de qualité et les distribuent sous un nom de marque (…) Elles devront tenir le rôle d’intégrateur, consistant à mettre en contact l’offre et la demande, à donner l’information aux utilisateurs, à garantir la qualité et l’homogénéisation des services, ainsi que leur facturation unique ». 7 Serena Maif, réunion Dreess, Paris, 31 janvier 2008. 218 « Rendre visible », c’est bien là toute la difficulté à laquelle s’affrontent les promoteurs de la prophétie du Marché. Il est vrai comme le rappelle P. Paperman (2005) que « l’invisibilité, la discrétion de l’intervention sont des conditions de succès de la relation de care, car elles donnent le sentiment que le caractère intrusif de l’intervenant s’estompe » (p. 293). Qu’à cela ne tienne, certains relèvent le défi et proposent en matière de professionnalisation, le recours à des indicateurs industriels de production et de performance : ainsi l’Association des Enseignes de Services à la Personne envisage de définir des seuils d’efficacité du type nombre de chemises repassées à l’heure et surfaces de vitres nettoyées à l’heure, afin de donner aux clients des gages de professionnalisme. Sous cet angle c’est la contractualisation qui sous‐tend et définit la professionnalité. Le Marché est donc une affaire de connectique au service de la transparence. « Ce qui manque aujourd’hui aux individus c’est de connaître le bon chemin vers l’entreprise qui cherche, c’est d’avoir la bonne connexion vers ceux qui cherchent ou qui envisagent d’embaucher 8». C’est bien là le schéma directeur qui guide la mise en place des enseignes, et ce faisant, qui guide la conception de la professionnalisation qui s’en dégage : le primat de la compétence réduite à des signaux. Le chapitre 5 qui suit apporte sur ce point des éléments permettant de relativiser cette représentation fantasmatique de l’échange : on y constate non seulement qu’il y a pluralité des dispositifs d’intermédiation entre l’offre et la demande de services d’aide à domicile, mais aussi que les dispositifs personnels dominent. Preuve supplémentaire que l’on est bien là face à des échanges marchands sans Marché, ce dernier demeurant une prophétie dont, pour paraphraser Pascal, « on parle moins par preuves du dehors, que par sentiment intérieur et immédiat »9. Nous avons essayé de montrer les vertus de la pluralité conventionnelle, et de pointer les risques que génère l’hégémonie d’une convention sur les autres. Mais une telle pluralité, qui semble se diversifier et se sédimenter au fur et à mesure des différentes réformes ‐ APA, loi 2002, plan de cohésion sociale de 2005 (cf. chapitre 6.) ‐ peut aussi s'interpréter comme le signe d’une instabilité conventionnelle, ce qui contribuerait à expliquer les controverses et difficultés de reconnaissance de la profession d'aide à domicile. Une convention se définit par sa cohérence ‐ être mobilisée dans les différents espaces du besoin, de l’organisation, de l’action publique ‐ et par sa stabilité ‐ ne pas être remise en cause en permanence ‐ ce qui suppose un minimum de consensus. Une convention de professionalité peut‐elle être effective si elle est contestée ou si elle n’est adoptée que par une partie des acteurs ? Cette interprétation n’est pas incompatible avec la thèse de l’hégémonie de la convention marchande, elle en est même le corollaire. Les impulsions fortes en faveur d’une convention de type marchand se sont multipliées depuis les années 1990, puis accélérées durant les années 2000. Elles requièrent des acteurs un repositionnement de plus en plus fréquent. Ce qui ressort de l’ensemble des entretiens, quel que soit le type d’acteurs, c’est que ces derniers se considèrent comme plongés dans un chaos institutionnel non seulement chronique mais aussi 8 François Gri, Présidente de Manpower, Le Monde 25 janvier 2008. 9 Pascal, Pensées, XXV, 160, édit. Havet.
219 croissant. Le passage en force de la convention marchande génère ainsi une fragmentation des autres conventions de professionalité, qui produit à son tour une situation véritablement cacophonique. Cette cacophonie des conventions n’a pas grand chose à voir avec un espace de négociation entre des légitimités certes divergentes mais qui auraient en commun la volonté de valoriser les trois éléments constitutifs de l’utilité sociale des services à la personne en général et de l’aide à domicile en particulier. Ces trois éléments sont : l’égalité d’accès d’une part ‐ entre territoires et entre les usagers ‐, la qualité de service d’autre part ‐ les besoins ne sont pas que des demandes10 et la place centrale que continuent de jouer les dispositifs de confiance est là pour le prouver ‐, et enfin la qualité de l’emploi, censée garantir le passage des emplois aux métiers. Vouloir créer de toute pièce un Marché des services à la personne, et ce, à n’importe quel prix, revient ainsi à nier ou au minimum à instrumentaliser ces trois dimensions de l’utilité sociale. Dans la mesure où atteindre une vraie situation de Marché requiert une consolidation sans limite de la convention marchande, il est urgent pour limiter cet élan, non pas tant de réguler le Marché des services à la personnes, ce qui supposerait l’existence du Marché, mais d’essayer d’instituer les échanges, autrement dit de rechercher une raison d’échanger tout en refusant d’accepter que les échanges n’aient d’autre légitimité qu’eux‐mêmes. 3. 6. LE CORPS À CORPS DE L’AIDE À DOMICILE Laurent Fraisse et Marie‐France Gounouf proposent dans le chapitre 5, une analyse des raisons et des effets du recours à la notion de « personne » qui a lieu dans la catégorie des « services à la personne ». Selon eux, la notion de personne fait problème car « elle est perçue comme une notion écran qui masque des tensions entre différentes logiques de catégorisation des destinataires (…) Parler de personne pour désigner la relation de service constituerait le signe d’une indétermination sur les comportements des acteurs de l’échange renvoyant à un déficit de professionnalisation du secteur (…) il demeure une incertitude sur le type de comportement attendu du destinataire du service. Allocataire, usager ou client, la pluralité des termes employés par les gestionnaires témoignent de la difficulté à faire reconnaître et à articuler la dimension personnelle et subjective de la relation de service comme un élément de catégorisation des destinataires ». On peut en complément de cette analyse avancer l’idée que s’adresser à la « personne » c’est aussi une manière de dématérialiser la relation de service ainsi que le destinataire final de cette relation : le corps. Selon un responsable d’une fédération d’associations « on passe du temps à langer une personne à la laver, il y a au moins cet instant privilégié de la toilette à ne pas galvauder, on n’est pas là pour travailler à la chaîne quand on se permet de toucher aux corps des personnes ». La personne c’est le masque ‐ et non pas le corps en situation de fragilité et de dépendance. Mais c’est moins ici le Marché en lui‐même qui pose problème que les dégâts collatéraux que sa quête effrénée provoque. Parmi ces dégâts, les risques de négation du corps, dans ses jouissances comme dans ses souffrances, ne sont pas des moindres. Non pas tant que le 10 « Les besoins ne sont pas les désirs » (Pattaroni, 2005, p.189). 220 Marché serait incapable de faire preuve de compassion, non pas que l’âme lui ferait défaut, bien au contraire. Il regorge de très bonnes intentions puisqu’il met chacun sur un pied d’égalité, détenteur d’une information identique et généralisée, acteur de ses préférences. Marché et corps entrent toutefois en collision pour une autre raison. L’éthique du care est une éthique de la dépendance du corps, et non pas une apologie de l’autonomie. Contre la compréhension de la personne comme être autosuffisant, et sa forme particulière de dignité, c’est une éthique qui met au centre de la réflexion l’expérience de la dépendance. La promesse de l’éthique du care réside en effet dans la possibilité de restituer une valeur à un ensemble de gestes et d’états des personnes tenus jusqu’à présent dans l’ombre (Pattaroni, 2005). Or nous sommes actuellement dans une survalorisation de l’autonomie : « le care institué dans le cadre de notre société valorisant l’autonomie et la responsabilité, ne peut viser la satisfaction d’un besoin idiosyncrasique, au risque de gâter l’enfant ou de rendre « dépendant » l’adulte. Il doit au contraire, s’assurer d’offrir à la personne les moyens de son individuation » (Pattaroni, 2005, p.196). Les services à la personne se présentent ainsi comme une des béquilles indispensables à cette autonomisation. Assiste‐t‐on pour autant à une négation du corps et de ses dégradations ? Professionnaliser dans l’optique de la convention marchande c’est créer les conditions d’homogénéisation des « cas » à traiter de manière à les traiter avec plus d’efficacité et surtout au meilleur prix. Ce n’est toutefois pas tant le manque d’égard envers la personne qui caractérise la convention marchande, que la croyance qu’elle alimente en la possibilité de réduire les besoins de sollicitude à une demande d’heures de service. L’idéal du Marché est donc d’échanger dans la plus grande transparence, alors que l’aide à domicile réalise concrètement au quotidien un travail sur et avec le corps de l’autre. La quête du Marché c’est la quête de la transparence des corps. Le Marché est un projet de neutralisation du rapport au corps de l’autre, qui n’est pas sans rappeler le noli me tangere, « ne me touche pas », du Christ à Marie Madeleine. En paraphrasant la formule de Saint Thomas d’Aquin pour qui « les jouissances qui conviennent à l’homme sont celles qu’approuve la raison », on peut se demander si le Marché ne repose pas sur un axiome du même type, selon lequel les échanges qui conviennent à l’homme sont ceux qu’approuve la raison. Exit le reste. Or une observation empirique basique, et les désormais nombreuses analyses ergonomiques, sociologiques et psychologiques du métier de l’aide à domicile, et plus largement du prendre soin (le care), nous rappellent combien, à l’aune de la raison du Marché, aucun geste pratiqué quotidiennement dans le cadre de l’exercice du métier de l’aide à domicile ne passe l’épreuve. « Le corps est sans raison et la raison ne le connaît pas » (Onfray, 1991, p. 181). P. Paperman (2005) a pourtant insisté sur le fait que le care relève d’une disposition à « prendre soin » qui concerne à la fois la fragilité du corps mais aussi « la disposition à se laisser toucher ou affecter par autrui, à maintenir un contact » (p. 293). La fréquence des agressions physiques et à caractère sexuel que subissent les aides à domicile nous alerte non seulement sur la dimension 221 pathologique de la relation de prendre soin, mais elle nous indique aussi combien cette relation s’effectue structurellement dans un véritable corps à corps, que le Marché évacue11. De fait, au connectionisme du Marché correspond une virtualisation de la relation de soin. Non pas que le Marché soit inhumain ‐ l’expression galvaudée d’ « horreur économique » est d’ailleurs très mal venue, car on peut se demander pourquoi l’horreur ne serait pas tout autant sociale ou philosophique, pourquoi l’économique en aurait donc le monopole ‐ mais le Marché, en tant que gestionnaire de signaux censés traduire fidèlement les préférences se situe dans un monde a‐corporel, en tant qu’il présente une capacité à s’abstraire de la corporéité. Ce n’est donc pas un hasard si comme on l’a vu, l’image de l’enseigne comme moyen d’ « éclairer les services à la personne » est si souvent mobilisée : elle alimente un éloge de la lumière, voire de la transparence, chère au néorationalisme des avocats du Marché, partisans d’une mise entre parenthèses des corps. Les lumières de la raison, quand bien‐même émaneraient‐elles du néon d’une enseigne lumineuse, font ainsi face à l’obscurité des corps dépendants. Il n’est pas étonnant, dans un tel contexte, que nombre de débats sur la professionnalisation des aides à domicile aient porté sur la définition des frontières de leurs interventions, notamment sur le fait de savoir si les « gestes au corps » font ou non et jusqu’où et avec quelle fréquence partie de leur zone d’intervention. Ce que l’on appelle souvent avec pudeur la « dimension relationnelle » du métier d’aide à domicile est bel et bien une relation au corps de l’autre, et une professionnalisation qui passerait à côté du corps et des problématiques qu’il engendre, ne ferait rien de moins que nier la part de l’ombre qui habite ce métier. Il nous revient de parvenir à faire l’éloge de cette ombre et de considérer, également, derrière le corps glorieux de la personne autonome, le corps pesant de la vieillesse. 11 D’après une étude menée par l’IPRP‐AMEST Epidémiologie de Lille, 10% des intervenantes à domicile interrogées déclarent subir occasionnellement, voire fréquemment et très fréquemment respectivement des agressions physiques et des agressions à caractère sexuel (entretien janvier 2008). 222 BIBLIOGRAPHIE Abbaléa F., 2005, La professionnalisation inachevée des assistantes maternelles, Revue de la CNAF, n°80 juin. Butté‐Gérardin I., 1999, L’économie des services de proximité aux personnes, L’Harmattan. DARES, 2005, Les métiers en 2015, Rapport. Gadrey J., 1994, La modernisation des services professionnels – Rationalisation industrielle ou rationalisation professionnelle ? – in Revue Française de Sociologie, XXXV, p.163‐195. 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De la détection d’un besoin d’aide à domicile à la mise en relation avec l’intervenante : la personne aidée est‐elle un client comme un autre ? ............................................................................. 227 1.1. Le signalement des besoins d’aide à domicile pour les personnes âgées : manifestation tardive d’une incapacité et expression relayée par une tierce personne ................................. 229 1.2 . De l’identification des besoins à leur formalisation : les enjeux de l’évaluation ......... 230 1.3. Les tensions liées à l’imbrication des objets multiples de l’évaluation ........................... 232 1.4. L’inégale décomposition et formalisation des étapes de l’évaluation selon les modes d’intervention et de financement .............................................................................................................. 235 1.5. Intervenir en amont dans l’évaluation des besoins, un enjeu pour les services d’aide à domicile ............................................................................................................................................................... 237 2. Les dispositifs d’intermédiation de mise en relation de l’offre et de la demande .......... 240 2.1. Une pluralité de dispositifs d’intermédiation ............................................................................ 240 2.2. Effet de réputation et bouche à oreille : la mise en relation de l’offre et de la demande par les réseaux interpersonnels ................................................................................................................ 243 2.3. L’importance de la prescription médico‐sociale dans l’origine de la demande ........... 245 1 Tous les deux sont chercheurs au CRIDA (Centre de recherche et d’information sur la démocratie et l’autonomie). 224 2.4. L’influence des institutions dans l’identification et la sélection des modes d’intervention : la neutralité en question .............................................................................................. 248 2.5. Publicité, Internet, communication : de nouveaux outils pour développer sa clientèle ?
................................................................................................................................................................................. 254 2.6. Les enseignes, un dispositif contesté de mise en relation de l’offre et de la demande
................................................................................................................................................................................. 256 Conclusion ..................................................................................................................................................... 259 Bibliographie ................................................................................................................................................ 262 INTRODUCTION Les contours du secteur des services à la personne se révèlent problématiques dès lors que l’on cherche à l’appréhender statistiquement (Jany‐Catrice, chapitre 1), que l’on questionne la nomenclature et la cohérence des services proposés, que l’on constate la diversité des statuts et métiers qui rendent difficiles la reconnaissance et la consolidation d’une identité professionnelle, que l’on analyse la coexistence des statuts des opérateurs (CCAS, associations, entreprises commerciales, particuliers‐employeurs) et des modes d’intervention (prestataire, mandataire, gré à gré). Conséquence d’un processus de diversification des services et des prestataires, de l’imbrication des modes de financements et des réglementations, ce flou vaut également lorsque l’on cherche à appréhender qui sont les destinataires de ces services. L’histoire des services à la personne est traversée par la tension entre penser les services à domicile dans le cadre d’une « politique de la vieillesse » qui va jusqu’à la perspective de définir un cinquième pilier de la sécurité sociale (Ennuyer, 2006), et une « politique de l’emploi » qui vise à créer des emplois de services aux particuliers. Or, les deux politiques ne construisent pas les mêmes catégories de destinataires. Mise en place en 2002, l’Allocation Personnalisée Autonomie (APA) s’adresse aux personnes âgées en perte d’autonomie. Le plan Borloo (2005) est volontairement plus vaste et cible, comme les emplois familiaux d’Aubry, les services aux particuliers au sens large (informatique, garde d’enfants, soutien scolaire, ménage), élargissant le champ aux couples d’actifs. L’identification et la catégorisation des destinataires d’une aide ou d’un service « à domicile » est depuis 20 ans l’objet de disputes et de malentendus qui ont traversé la construction sociale du secteur des services à la personne. La notion très générale de « personne » à laquelle on ajoute souvent un qualificatif (âgée, handicapée, dépendante, active, etc.) est venue recouvrir la diversité des publics visés par les services à la personne. Il est d’ailleurs remarquable que le périmètre d’un nouveau secteur soit moins désigné par la nature de l’activité (banque, culture, sport…) que par le type de destinataire. 225 Si la dénomination de « personne »2 est a priori trop générique pour permettre une compréhension immédiate des principaux groupes destinataires (personnes âgées, jeunes enfants, couple bi‐actifs, etc.) et pour donner une lisibilité à un secteur économique spécifique, l’ambiguïté du consensus social autour de la référence à la notion de personne masque les difficultés à prendre en compte les spécificités de la relation de service dans les principes qui organisent le secteur. La récupération du terme de personne, inscrite à l’origine dans une logique d’action sociale, dans un plan de développement plus marchand et concurrentiel comme celui de Borloo, a été d’autant plus facile qu’il est largement utilisé par les professionnels comme en témoignent les entretiens. Dès qu’il s’agit de décrire l’intervention au domicile, la référence à la personne avec ou souvent sans qualificatif est dominante dans le discours des acteurs par rapport à d’autres catégorisations. La récurrence de la notion de personne pour décrire une situation de travail renvoie aux arguments souvent mis en avant pour caractériser les spécificités de la relation de service au domicile d’une personne âgée. Elle correspond notamment à l’importance de l’appréciation subjective du lien personnalisé entre l’aide à domicile et la personne aidée. « Pour une grande partie des personnes âgées, les qualités relationnelles (comportementales, sociales et humaines) priment sur les qualités techniques » (Messaoudi, 2006, p.117). L’invocation des traits de caractère de la personne aidée, la connaissance de certains aspects de sa vie intime ou familiale, la mise en avant de liens d’attachement, voire d’une dimension affective, sont les manifestations de cette tendance à la personnalisation de la relation de service. Les registres « compassionnel » ou « éthique » dans le discours des acteurs, en particulier celui des aides à domicile (Ribault, chapitre 4, p.50), sont souvent mobilisés pour qualifier la professionnalité de l’aide à domicile. Cette volonté de préserver une marge d’autonomie dans la relation directe avec la personne aidée, irréductible aux prescriptions organisationnelles du service, reste une des sources de reconnaissance et d’utilité sociale d’emplois de faible qualité (Devetter, chapitre 3). Elle témoigne des réticences à réduire la personne aidée aux seules figures de l’employeur, du client, de l’usager ou de l’allocataire. Mais au‐delà de la dimension relationnelle de la réalisation d’un service qui ne se réduirait pas à la technicité et à la matérialité de la prestation, la mobilisation de la notion de personne par les professionnels pour caractériser les destinataires souligne la dimension d’accompagnement ou d’aide qu’implique l’intervention auprès d’une personne vulnérable « en raison de son âge, de son état de santé ou de son handicap ». La relation de service auprès d’une personne en perte d’autonomie justifierait l’intervention d’un tiers‐professionnel entre le prestataire et le destinataire dans l’évaluation des besoins comme dans la mise en œuvre et le suivi du service. 2 La « personne » renvoie d’abord à l’être humain, à l’individu en général. Comme le rappelle son étymologie, le mot "personne" vient du latin "persona" qui signifie "masque de théâtre" (référence dictionnaire). La notion de personne présente bien un caractère englobant d’une pluralité de situations et de rôles que les destinataires peuvent vivre. Mais définie ainsi, la personne peut être a priori n’importe qui. 226 La distinction entre « public fragile » et « non fragile », revendiquée par les acteurs historiques (associations prestataires, CCAS) attachés à leur inscription ancienne dans l’action sociale3, explique une grande partie des controverses sur la cohérence des régulations des services à la personne. Si sur le plan réglementaire, la catégorie de « publics fragiles » structure en partie l’accès à des allocations (APA, prestation de compensation), la qualification des professionnels et organismes habilités à intervenir dans le champ (diplôme, autorisation et agrément qualité), la définition des droits de la personne et des usagers du secteur médico‐social (loi du 2 janvier 2002), la référence à la vulnérabilité des personnes n’est pas l’unique référentiel des services à la personne. Ce critère n’est pas discriminant pour hiérarchiser l’ensemble des modes de financement qui répondent parfois à d’autres critères de solvabilisation de la demande, pour distinguer les modes d’intervention (prestataire, mandataire et gré à gré) et le statut des gestionnaires (municipalité, associations, entreprises commerciales, employeurs‐particuliers), pour différencier les modalités d’habilitation (coexistence de l’autorisation et de l’agrément qualité), ainsi que pour légitimer l’action des nouveaux intermédiaires (ANSP4, enseignes, etc.). Toute l’ambiguïté politique du plan Borloo est d’avoir repris le terme de personne dans son intitulé général5, mais sans vraiment proposer de définition précise, sinon en faisant référence dans son article 1 aux personnes âgées, handicapées et autres personnes ayant besoin d’une aide à leur domicile. Mais en précisant dans le même chapitre que cette loi s’adresse à l’ensemble des organismes qui délivrent un « service aux personnes à leur domicile relatif aux tâches ménagères et familiales », l’éventail des destinataires se trouve considérablement élargi et pas seulement réservé aux personnes en perte d’autonomie. Si l’utilisation de la notion de personne continue à faire problème alors même qu’elle peut faire sens pour comprendre la relation d’aide à domicile et qu’elle est utilisée dans des textes législatifs de nature très différente, c’est qu’elle est perçue comme une notion écran qui masque des tensions entre différentes logiques de catégorisation des destinataires. Parler de personne pour désigner la relation de service constituerait le signe d’une indétermination conventionnelle sur comportements des acteurs de l’échange renvoyant à un déficit de professionnalisation du secteur. De même que la question de la reconnaissance professionnelle de l’aide à domicile comme un vrai « métier » revient de manière récurrente (Ribault, chapitre 4), il demeure une incertitude sur le type de comportement attendu du destinataire du service. Allocataire, usager ou client, la pluralité des termes employés par les gestionnaires témoigne de la difficulté à faire reconnaître et à articuler la dimension personnelle et subjective de la relation de service comme un élément de catégorisation des destinataires. En outre, elle renvoie aux tensions inhérentes aux stratégies de diversification des services, à la coexistence de modes d’intervention (prestataire, mandataire, gré à gré) et à l’enchevêtrement des régulations (Gardin, chapitre 6) 3 Comme l’illustre par exemple la dernière phrase du rapport d’activités de la fédération UNA « Nous affirmons sereinement que seule la reconnaissance des particularités de chacun des publics concernés est la garantie d’une réponse adaptée et de qualité », UNA Paris 2005, p.97. 4 Agence Nationale des Services à la Personne. 5 Loi n° 2005‐841 du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. 227 qui se sont sédimentées depuis une vingtaine d’années, allongeant la liste des destinataires des services aux personnes. Ce chapitre vise à illustrer ces tensions à partir d’une analyse des dispositifs de la mise en relation de l’offre et de la demande. Du signalement d’un besoin d’aide à l’identification et la sélection d’une intervenante et/ou d’un organisme, de l’évaluation de l’autonomie et des ressources du destinataire aux conditions de mise en œuvre du service au domicile, les étapes intervenant en amont de la réalisation de la prestation sont de plus en plus formalisées et font intervenir un nombre croissant d’intermédiaires entre l’aide à domicile et la personne aidée. Censée structurer économiquement le secteur et construire la qualité de service, la multiplication des dispositifs d’intermédiation renvoyant à des registres différents de qualification des destinataires des services n’est pas sans poser des questions de cohérence, d’équité et d’efficacité. Cohérence de la qualité de l’information supposée permettre le libre choix d’un mode d’intervention (prestataire, mandataire et gré à gré) lorsque la détection d’un besoin d’aide chez une personne âgée dépendante passe par l’intervention d’une tierce personne. Equité lorsque le nombre inégal d’intermédiaires participant de l’évaluation des besoins ne dépend pas uniquement du degré d’autonomie de la personne, mais des modes d’intervention et des financements du service. Efficacité de dispositifs d’intermédiation plus formels et impersonnels (enseignes, plateformes) lorsque ceux‐ci ne sont pas pensés et articulés avec les réseaux sociaux et professionnels qui interviennent dans l’identification et la sélection de l’offre de service. 1. DE LA DETECTION D’UN BESOIN D’AIDE A DOMICILE A LA MISE EN L’INTERVENANTE : LA PERSONNE AIDEE EST ‐ELLE UN CLIENT COMME UN AUTRE ? RELATION AVEC Dans cette partie, il s’agit de comprendre la relation de service en amont de la mise en place et du suivi de celui‐ci. Les acteurs associatifs ont historiquement largement contribué, par un retour réflexif sur leurs pratiques (Gounouf, 2001), à décomposer les étapes et les différents intermédiaires intervenant en amont de la réalisation d’une prestation de service au domicile. Du signalement d’un besoin d’aide à son évaluation, de la qualification de la demande à l’identification de l’offre, les étapes qui conduisent à la mise en relation entre la personne aidée et une intervenante au domicile font intervenir toute une série d’acteurs : la personne âgée elle‐
même, son entourage, l’intervenante au domicile, les organismes prestataire ou mandataire de service à la personne, les institutions de régulation et de financement. Plusieurs éléments d’explication peuvent être avancés pour expliquer le nombre d’intermédiaires intervenant en amont de la mise en relation de l’offre et de la demande. D’abord, l’incertitude sur la qualité même de la prestation de service inhérente à un service fortement relationnel à souvent été soulignée (Butté‐Gérardin, 1999 ; Messaoudi 2007). La qualité de l’aide à domicile n’obéit pas uniquement à l’exécution de tâches prédéterminées en fonction de normes standardisées, mais dépend de la confiance entre le prestataire et l’usager qui repose sur une relation interpersonnelle. Cette “ personnalisation ” de la relation de service implique de prendre en considération des éléments d’appréciation “ subjectifs ” de la qualité qui 228 peuvent difficilement être appréhendés avant la réalisation du service lui‐même. Les asymétries informationnelles (Enjolras 1995) sont d’autant plus fortes que la faible professionnalisation, la dispersion de l’offre, l’absence d’institutions de référence, la difficulté d’établir le coût du service face à la multiplicité des mécanismes de solvabilisation rendent particulièrement complexes l’identification et la sélection d’un service d’aide à domicile. La réduction de cette incertitude passe alors par le recours à des dispositifs de confiance (Karpik, 2007). Le second élément d’explication tient à ce que les services à domicile sont destinés à des personnes fragiles (dépendance, maladie, handicap, etc.). Pour diverses raisons tenant aussi bien à des détériorations psychiques importantes, des troubles cognitifs, qu’à des appréhensions affectives et psychologiques à reconnaître des incapacités à faire soi‐même, la décision des personnes âgées à signaler un besoin d’aide et à formuler une demande explicite est le résultat d’un processus parfois complexe où peuvent intervenir sa famille, des proches ou des professionnels. Les raisons du recours à une aide à domicile et la sélection de tel ou tel mode d’intervention sont alors plus le résultat d’une construction collective que d’un choix individuel. Le troisième élément d’explication tient à la solvabilisation de la demande. Le coût du maintien à domicile ne peut que très rarement être entièrement pris en charge par les particuliers. Les limites de l’aide familiale et de l’entraide de voisinage et du bénévolat, la lutte contre la pauvreté, le faible consentement à payer, la lutte contre le travail au noir, la reconnaissance d’un risque dépendance sont autant de facteurs qui ont pu justifier des financements publics ou parapublics pour solvabiliser la demande sous diverses formes (allocation, aide sociale, exonérations fiscales ou de charges sociales). Le paiement d’une intervenante ou d’un organisme d’aide à domicile comprend directement ou indirectement la contribution d’un tiers financeur. Pour autant, selon le mode de solvabilisation, la contribution de la collectivité aura ou non pour contrepartie l’intervention d’un professionnel. Lorsque la prise en charge du service est en partie couverte par les organismes sociaux (conseils généraux, caisses de retraite), elle est précédée d’une évaluation externe de l’état de la personne aidée au regard des conditions d’éligibilité à une aide. Incertitude sur la qualité du service, autonomie de la personne âgée et tiers financeur public expliquent la multiplicité des étapes qui interviennent en amont de la réalisation du service. Les évolutions législatives des années 2000 (Allocation Personnalisée Dépendance, plan Borloo) ne vont pas dans le sens d’une réduction des intermédiaires, mais poussent au contraire à la dissociation, la qualification et la formalisation des dispositifs d’intermédiation. L’allongement et “ l’objectivation ” de la chaîne des intervenants entre la personne aidée et l’aide à domicile sont parfois présentés comme un indicateur de structuration économique du secteur et de formalisation de qualité du service selon des conventions industrielle, marchande ou réglementaire (Ribault, op.cit., p.51‐53). Reste que, comme nous allons le voir, l’on peut questionner la cohérence de ces différentes intermédiations à partir du moment où elles sont mobilisées de manière inégale selon les modes d’intervention (prestataire, mandataire, gré à gré), l’équité dès lors qu’elles sont ou non obligatoires selon les modes de financement et enfin leur efficacité lorsqu’elles cherchent à standardiser la mise en relation de service en faisant l’impasse sur le recours aux réseaux personnels des usagers. La formalisation des étapes dans la mise en relation de l’offre et de la demande est également le champ d’une spécialisation, de coopération mais aussi de concurrence entre anciens et nouveaux acteurs. Historiquement, les associations concentraient plusieurs fonctions notamment 229 l’évaluation des besoins et des conditions de mise en place du service. Elles assuraient aussi parfois l’établissement des dossiers de demande d’aide auprès des organismes sociaux. Cette intermédiation associative en amont de la prestation au domicile de l’usager était d’ailleurs présentée comme un gage de qualité par rapport à l’intervention en gré à gré (Gounouf, 2001). Mais le recrutement d’équipes médico‐sociales dans le cadre de l’allocation personnalisée autonomie (APA), l’habilitation d’évaluateurs externes pour l’aide sociale et, sur un autre registre, la création d’enseignes nationales constituent autant de changements qui poussent les organismes de services à la personne (CCAS, associations ou entreprise) à se spécialiser dans la phase de qualification de la demande, principalement sur l’évaluation des conditions de mise en place du service. Reste que, comme nous le verrons, la coordination, parfois plus ou moins coopérative entre les différents intervenants de l’évaluation, devient aussi un enjeu de compétitivité dans un environnement de plus en plus concurrentiel. 1.1. LE SIGNALEMENT DES BESOINS D’AIDE A DOMICILE POUR LES PERSONNES AGEES : MANIFESTATION TARDIVE D’UNE INCAPACITE ET EXPRESSION RELAYEE PAR UNE TIERCE PERSONNE Quels sont les facteurs qui concourent à la détection d’un besoin d’aide à domicile ? Si les entretiens avec les usagers sont insuffisants pour permettre de cerner toute la complexité de l’ensemble des éléments qui interviennent dans l’expression d’une demande d’aide, ils confirment combien celle‐ci résulte moins, dans le cas d’une personne en perte d’autonomie, d’un arbitrage entre “ faire soi‐même ” ou “ faire faire ” que de la prise de conscience progressive d’une “ incapacité à faire ”. La distinction entre personnes dites fragiles et non fragiles est pertinente à cette étape de l’identification des besoins. Les difficultés et l’ambiguïté à demander une “ aide ” en contrepartie de la reconnaissance d’un état de “ fragilité ” ou de “ vulnérabilité ” ont souvent été soulignées. Lorsqu’il s’agit d’une personne âgée dépendante, demander une aide ne va donc pas de soi. Il n’est pas toujours évident d’admettre une certaine inaptitude à accomplir certains actes de la vie quotidienne. Les entretiens montrent que la formulation d’un besoin d’aide à domicile se fait souvent suite à un accident ou une maladie. Elle confirme aussi combien les organismes d’aide à domicile qui interviennent dans le cadre de l’APA doivent faire face à des situations de perte d’autonomie de plus en plus « lourdes ». Il faut parfois attendre la manifestation ultime d’une incapacité physique ou psychique ou d’une hospitalisation pour que les personnes envisagent la solution de l’aide à domicile. “ Non avant j’étais pas aidée, car j’étais capable de me débrouiller toute seule. Puis à un moment, je ne pouvais plus marcher, je ne tenais pas debout dans la rue ” (Femme de 80 ans vivant seule, usager d’une association). “ J’ai demandé une aide parce que j’étais fatiguée et je ne pouvais plus faire mon ménage comme avant. Je tombais. ” (Femme de 84 ans vivant seule, usager d’un CCAS) Cette prise de conscience d’une rupture ou d’une dégradation progressive de la situation (Campéon, Le Bihan, 2006) à l’origine d’un besoin d’une aide à domicile se manifeste également 230 suite à une hospitalisation. Le déclenchement d’une procédure d’évaluation des besoins et des ressources, voire l’orientation vers un service d’aide à domicile, se réalise alors souvent sur les recommandations d’un médecin ou d’une assistante sociale. Dans ce cas, les démarches sont souvent effectuées par les conjoints, enfants ou proches des personnes âgées. “ L’origine de mon contact avec l’association : j’ai été hospitalisé d’urgence à Bichat et transféré dans un autre hôpital où le médecin a dit que je devais me faire aider complètement. ” (Homme malade, usager d’une association prestataire). “ 6 mois d’hospitalisation suite à une hémiplégie, un calcul rénal et des problèmes cardiaques. Pour l’association, ma fille est passée par une assistante sociale et un médecin qui lui a dit que s’il avait à y mettre sa mère il le ferait. ” (Femme de 91 ans, employeur d’une aide à domicile par l’intermédiaire d’une association mandataire). Précédé d’une lente maturation, parfois déclenché par un accident, le signalement d’un besoin d’aide est fréquemment déjà relayé, voire substitué (Buttin‐Gérardin, p.53) par une tierce personne (parent, médecin, etc.) en amont même de la qualification de la demande (application de la grille Aggir6) et de la prise de contact avec une intervenante ou un organisme d’aide à domicile. Cette médiation dans l’identification des besoins n’a pas d’équivalent pour les particuliers décidant d’avoir recours à l’emploi direct pour des services de ménage, de repassage ou de bricolage. L’arbitrage entre faire soi‐même ou faire faire n’implique pas l’intervention impérative d’un proche ou d’un professionnel qui peut aller dans certaines situations jusqu’à la substitution par des proches tant dans la prise en charge des démarches initiales que dans le suivi de la relation d’aide7. 1.2 . DE L’IDENTIFICATION DES BESOINS A LEUR FORMALISATION : LES ENJEUX DE L’EVALUATION Première étape dans la construction d’une relation de service, la détection de besoins d’aide à domicile est généralement suivie d’une étape d’évaluation plus ou moins formalisée. Là encore, la distinction entre personnes vulnérables ou non semble devoir être prise en compte tant les logiques d’identification diffèrent selon les publics. Fréquente, parfois obligatoire, dans le cas d’une aide à une personne en perte d’autonomie, la qualification des besoins par une tierce personne comme étape préalable est plus rare et généralement facultative dans le cadre de service de ménage, repassage ou bricolage au domicile d’un particulier‐employeur. Cependant, cette partition entre public fragile et non fragile n’est que partiellement structurante de cette étape d’évaluation des besoins d’aide, notamment parce que celle‐ci n’est jamais complètement déconnectée de l’évaluation des ressources et de la capacité de financement de la personne aidée. Selon les modes d’intervention (prestataire, mandataire, gré à gré) et de 6 Autonomie gérontologique groupes iso ressources. 7 Cette situation s’est d’ailleurs pratiquement manifestée dans la réalisation des entretiens puisque à deux reprises des proches, (le mari, la fille) de la personne aidée étaient présents et ont activement répondu aux questions. 231 financement (allocation personnalisée autonomie, aide sociale, déduction d’impôts), le nombre d’intervenants et de procédures d’évaluation varie indépendamment du degré de dépendance de la personne âgée. Selon que l’évaluation porte sur un niveau de dépendance, sur un “ état de besoin ”, sur les exigences de réalisation du service ou sur les conditions d’éligibilité à une allocation, le profil et la justification de l’intervention d’un tiers évaluateur ne seront pas les mêmes. Le tiers évaluateur comme figure d’une incapacité de la personne à juger seule de ses besoins ? L’intervention d’un professionnel qualifié ou agréé est un élément distinctif de la relation de service d’aide à domicile. Elle induit que le destinataire du service n’est pas un consommateur comme les autres dans la mesure où l’intervention d’autrui est indispensable pour construire ses préférences. Lorsque la présence d’un intermédiaire devient obligatoire, comme pour une demande d’Allocation Personnalisée Autonomie (APA), la personne âgée dépendante n’est implicitement pas jugée apte à qualifier elle‐même son “ incapacité à faire ” et à formuler seule ses besoins. Reste que cette présupposée inaptitude à exprimer ses préférences en toute connaissance de cause n’est pas dénuée d’ambivalence selon qu’elle est justifiée par une déficience, une incompétence ou un manque de solvabilité. ‐ Elle peut d’abord renvoyer à une déficience comportementale qui altère la capacité de la personne “ à se comporter de façon logique et sensée par rapport aux normes admises dans la société ”8. Ce décalage, par rapport à la “ norme sociétale ”, qui comprend aussi une dimension économique9, peut conduire à estimer que la personne en perte d’autonomie n’est pas en mesure d’exprimer “ rationnellement ” sa demande en toute “ souveraineté ”. Elle peut par exemple être jugée, informellement par son entourage familial ou formellement par un évaluateur externe, inapte à gérer son budget et ses biens. Son “ incapacité à faire ” renvoie alors à un questionnement sur son aptitude à adopter un comportement économique “ normal ”. ‐ L’inaptitude à évaluer peut ensuite correspondre à une incompétence à nommer et interpréter son propre état. Comme le patient‐malade qui consulte un médecin, l’intervention d’un professionnel qualifié est alors justifiée. Détenteur d’un savoir professionnel spécifique, voire d’une autorité liée à sa fonction (médecin), tout l’enjeu est de savoir si la dissymétrie des savoirs et des statuts se traduit ou non par une disqualification de l’expression subjective de la personne dans l’évaluation de ses besoins renvoyant à l’ancienne figure de “ l’administré ” (Paradeise, 1991, p.193) dont l’expression des besoins ne peut être qu’indirecte et collective (vote ou revendication). Si la prise en compte des droits des usagers dans les services médico‐sociaux est aujourd’hui largement admise dans les textes relatifs à l’évaluation de l’action sociale (loi du 2 janvier 2002), son application demeure parfois problématique. Le statut et la légitimité de la 8 Grille AGGIR, variables discriminantes, 1. Cohérence. 9 La gestion fait partie des variables illustratives (et non discriminantes) de la perte d’autonomie domestique et sociale de la grille AGIRR. “ Gérer ses propres affaires, son budget et ses biens ; se servir de l’argent et connaître la valeur des choses ; reconnaître la valeur monétaire des pièces et billets ” font partie des critères mentionnés. 232 parole des personnes âgées en perte d’autonomie et leur capacité à faire des choix semblent en tout cas toujours être un sujet de controverse entre professionnels de l’aide à domicile et ceux de l’hébergement (Ennuyer, 2007, p.144). Les hésitations de la personne âgée face à des choix de vie parfois difficiles et des contraintes familiales et économique réelles conduisent‐elles ou non à une invalidation de leur parole par des professionnels détenteurs d’un savoir expert à même “ d’objectiver ” les besoins dans un souci d’intérêt général ? Dans le champ de l’aide à domicile, la question de la prise en compte de la “ dimension subjective ” de la personne dans l’évaluation initiale des besoins se manifeste par les critiques des responsables associatifs sur le caractère très “ médico‐technique ” de la grille Aggir dont l’application est jugée parfois stigmatisant. “ Les départements sont devenus relativement bon en évaluation : en général un médecin et un travailleur social font les évaluations à partir des grilles Aggir, Colvez, etc. Ce sont des grilles : quand on est Alzheimer, on est personne d’autre. C’est stigmatisant. Mais surtout ça procure une sécurité aux intervenants de mettre un nom sur une maladie. On devient sa maladie. (…) On discute de tout sauf de ce dont il faut parler c’est­à­dire, ce que la personne va devenir. Parce que l’on n’a pas appris aux gens à le faire. On n’ose pas parler de ce dont il faut parler au moment où ça doit être dit. ” (Brigitte Croff Conseil) Les hésitations de nombreuses personnes âgées à reconnaître une perte d’autonomie et à recourir une aide à domicile participent non seulement de la difficulté de chacun à accepter une dégradation de son état physique ou psychique, mais aussi à d’une réticence à se faire catégoriser socialement comme dépendant selon une échelle validée et bénéficiaire d’une allocation. Cet écart entre l’évaluation de la dépendance par les institutions et la représentation de la perte d’autonomie vaut également pour les aidants (Lesemann, Chaume, 1992) qui auraient tendance à minimiser les risques. ‐ Enfin, l’inaptitude peut porter moins sur l’identification des besoins de la personne que sur leur conversion en demande solvable. A partir du moment où la prise en compte des ressources matérielles de la personne et de sa capacité de paiement sont partie intégrante de l’évaluation, il y a une incertitude sur la capacité du destinataire à juger des moyens à mobiliser (nombre d’heures, prix et coût de l’intervention) d’autant que ceux‐ci ne dépendent pas seulement de son propre budget mais d’une aide publique versée sous forme d’allocation. 1.3. LES TENSIONS LIEES A L’IMBRICATION DES OBJETS MULTIPLES DE L’EVALUATION Parce qu’elle porte sur plusieurs objets souvent imbriqués, l’état d’autonomie de la personne dans son milieu de vie, sa traduction sous forme de tâches (aide à la toilette, lever et coucher, habillage, préparation des repas, déplacement, etc.), sa matérialisation sous forme d’heures d’intervention ou d’un montant d’allocation, l’étape de l’évaluation combine différents types de jugement qui peuvent entrer en tension, voire en conflit. L’évaluation du degré de perte d’autonomie d’une personne, une obligation relative à son degré de solvabilité ? Une première tension tient au lien entre évaluation de la dépendance et ouverture à une aide dans le cas de l’allocation personnalisée autonomie (APA). Les équipes médico‐sociales qui sont 233 censées “ objectiver ” la perte d’autonomie de la personne à partir des critères de la grille Aggir peuvent‐elles complètement ignorer le souci de maîtrise des dépenses publiques des conseils généraux ? Dans la mesure où la classification des personnes en GIR définit le montant de l’allocation, peuvent‐elles faire complètement abstraction des conséquences financières de leur décision ? Le rôle du tiers évaluateur ne consiste‐t‐il pas dans certains cas à davantage contrôler les conditions d’éligibilité à l’APA qu’à apprécier les besoins d’aide de la personne ? Ce glissement a d’ailleurs été en partie reconnu par le “ Comité scientifique pour l’adaptation des outils d’évaluation de l’autonomie ” mis en place à la création de l’APA (Debons, 2006, p.174). Cette tension entre évaluer les besoins d’aide et/ou les conditions d’octroi d’une allocation est manifeste dès lors que l’on prend le cas d’une personne âgée en perte d’autonomie qui dispose de ressources suffisantes pour employer une aide à domicile sans recourir à une aide publique. Cette situation n’est pas si exceptionnelle, si l’on en juge par la sous représentation des ménages aisés10 parmi les bénéficiaires de l’APA (Weber, 2006, p.607). Dans le cas de personnes âgées disposant de hauts revenus, qui peuvent embaucher directement une aide à domicile et bénéficier des réductions d’impôt directement, aucune évaluation externe est nécessaire. De fait, la société estime implicitement que la personne et son entourage sont aptes à juger par eux‐
mêmes de leurs besoins et à formuler une demande auprès d’une intervenante ou d’un service. Comme le rappelle Bernard Ennuyer (2006, p.180), “ l’évaluation est donc une démarche pénalisante pour ceux qui n’ont pas assez d’argent pour se payer ce dont ils estiment avoir besoin pour vivre… ”. L’intervention d’un tiers‐évaluateur n’est donc pas forcément justifiée par le degré d’autonomie de la personne âgée mais par sa capacité de paiement et son mode de solvabilisation (allocation ou déduction d’impôt). Dans le cas de l’APA ou de l’aide sociale, l’évaluation combine deux figures du destinataire : celle de la personne, de ses incapacité à faire et de ses désirs, celle de l’allocataire, de ses droits et de ses obligations. Ces deux figures peuvent entrer en conflit à partir du moment où la personne estime qu’il y a décalage entre ses propres besoins et un montant d’une allocation insuffisante au regard du volume d’heures qu’il ouvre. “ Mais on m’a supprimé des heures parce que paraît­il qu’il manque de fonds, je ne sais pas quoi. J’avais 25 heures par mois et maintenant j’en ai 23 et si j’en veux plus, je paie à taux plein et mes moyens ne me le permettent pas. (…) Maintenant j’aurais besoin de plus d’aide car je me déplace de plus en plus mal. ” (Homme seul, usager d’une association prestataire) 10 Selon Florence Weber (2006, p.607), les personnes âgées qui disposent de ressources mensuelles entre 1247 à 1895 € si elles vivent seules et 2118 et 3205 euros si elles vivent en couple représentent 23% de la population totale des personnes âgées de 60 ans et plus mais seulement 11 % des bénéficiaires de l’APA. Comme le rappelle Bernard Ennuyer (2006, pp.113‐114), l’existence d’un ticket modérateur pouvant aller jusqu’à 90% du montant du plan d’aide est fortement dissuasif pour les ménages ayant un revenu supérieur à 2 625 €. Ces derniers s’appuient principalement sur les déductions d’impôts pour employer une aide à domicile avec ou sans complément APA. 234 D’où le sentiment d’injustice parfois exprimé par certaines personnes âgées qui soulignent la différence de prise en charge et de capacité de paiement de personnes qui sont dans le même état de besoin : “ Non, l’APA ne couvre pas l’ensemble des frais de cette aide 24h sur 24. Mais là­dessus je suis complètement pour que ceux qui peuvent payer doivent payer. Par contre, je connais des gens, qui ne peuvent pas payer pour le supplément d’aide dont parfois ils ont absolument besoin. Ainsi l’exemple de cette amie dont le mari est dans une situation similaire à la sienne. N’ayant pas les moyens d’assumer les frais de cette aide complémentaire, son mari a dû être accueilli dans un établissement médicalisé. ” (Homme malade vivant en couple, usager d’une association) L’influence du profil du tiers évaluateur sur la qualification des besoins d’aide Phase décisive de la qualification de la demande, l’évaluation est d’autant moins neutre que l’expert évaluateur est, d’une part, employé, soit par un financeur, soit par un organisme de services à la personne et, d’autre part, confronté ou non au jugement des proches de la personne aidée. Que ce soit les équipes médico‐sociales des conseils généraux, les responsables de secteur, ou les conseillères des associations et entreprises d’aide à domicile, ils peuvent toujours être accusés d’être juge et partie puisque leur évaluation des besoins n’est pas complètement désintéressée. De celle‐ci va dépendre un montant d’allocation pour les organismes financeurs (conseils généraux, CNAV) ou un nombre d’heures facturées pour les organismes prestataires. L’incertitude sur l’état des besoins de la personne aidée que l’intervention d’un tiers évaluateur externe est censée réduire en la formalisant se trouve potentiellement altérée par des considérations économiques de maîtrise de la dépense publique ou de développement d’un service. Plusieurs risques sont identifiés selon que le tiers évaluateur est salarié par un organisme financeur ou un organisme de service à la personne. Dans le cas de l’évaluation par l’APA ou par les caisses de retraite, le risque est de minimiser la perte d’autonomie ou d’accorder un nombre insuffisant d’heures au regard de ce qui serait nécessaire. C’est d’ailleurs sur le volume horaire plus que sur le classement en GIR que les insatisfactions des personnes aidées et de leur entourage se focalisent le plus souvent. C’est rarement l’expertise des évaluateurs qui est mise en cause, mais sa traduction en un niveau d’allocation ouvrant à un nombre d’heures. Le manque d’information sur les critères d’évaluation et un espace de discussion limité du plan d’aide avec les évaluateurs expliquent en partie cette situation. “ Sortie de l’hôpital en mars 2005. Evaluation APA au minimum GIR pour toucher 300 euros/mois. Sur l’évaluation APA, on n’a pas eu beaucoup de notice. Je me suis débrouillée (la fille) toute seule. ” (Femme de 91 ans aidée par sa fille et employeur d’une aide à domicile par l’intermédiaire d’une association mandataire) “ C’est Mlle YY, votre référent à la DDAS qui est venue faire l’évaluation des besoins. C’est quelqu’un de bien. Elle a dit qu’il fallait une aide ménagère plus une auxiliaire de vie avec un nombre d’heures correspondant. L’évaluation n’a pas fait l’objet d’une discussion. ” 235 (Homme de 74 ans, usager d’une association prestataire pour l’aide ménagère et d’une association mandataire pour l’auxiliaire de vie) A l’inverse, lorsque l’évaluation des besoins d’une personne qui dispose de revenus confortables est effectuée par une association ou une entreprise d’aide à domicile, le risque est celui d’une l’affectation d’un nombre d’heures parfois jugé excessif par les aidants effectifs au regard de la situation de la personne aidée. C’est parfois le cas en intervention mandataire auprès de personnes aidées vivant en couple. Il y a parfois tension entre l’évaluation des besoins perçue par l’entourage de la personne aidée et celle des conditions de réalisation du service. Contrepartie d’une fonction de veille sanitaire et sociale assurée, l’exigence d’un nombre d’heures minimal pour une intervention recouvre également des enjeux d’équilibre économique pour la structure et de conditions de travail des professionnels. Elle fait l’objet de plus ou moins de compréhension par les proches de la personne aidée. “ L’association (mandataire) nous impose plusieurs heures à la suite le matin si on veut la présence d’une personne deux fois dans la journée. Il faudrait que cela soit plus souple car cela n’est pas évident d’avoir besoin de la personne à certaines heures. ” (Femme de 91 ans aidée par sa fille et employeur d’une aide à domicile par l’intermédiaire d’une association mandataire) “ Elle est dans la cuisine. Il y a des moments où elle n’a rien à faire. C’est la partie garde. ” (Le mari d’une femme de 81 ans, employeur d’une aide à domicile par l’intermédiaire d’une association mandataire) Que se soit dans le cas de l’évaluation par une équipe médico‐sociale ou d’un service d’aide à domicile, le jugement des aidants n’est donc pas sans influence sur la phase d’identification des besoins (Campéon, Le Bihan, 2006). Manifestation de préférences différentes de la personne aidée, il ouvre un espace de discussion et de contestation possible de l’appréciation des tiers‐
évaluateurs. S’ils se montrent plus ou moins compréhensifs du nombre d’heures prescrits par les services d’aide à domicile, les proches souhaitent plutôt être soulagés et aidés dans la prise en charge de l’accompagnement d’un parent ou conjoint en perte d’autonomie. Aussi, le risque le plus fréquent est celui d’une sous‐estimation des besoins d’aide en raison de leur absence. « Le problème de sous­estimation de la dépendance survient surtout lorsqu’il n’y a pas d’enfant ou de référent présent le jour du passage de l’équipe médico­sociale. Je ne peux pas aller au domicile quand ils passent même si je le fais tout de même. » (Directrice CCAS d’une commune d’environ 3000 habitants) 1.4. L’INEGALE DECOMPOSITION ET FORMALISATION DES ETAPES DE L’EVALUATION SELON LES MODES D’ INTERVENTION ET DE FINANCEMENT Les tensions entre l’appréciation des besoins d’aide et la conversion en tâches, heures et coût d’une intervention sont d’autant plus fortes que l’évaluation fait ou non intervenir le jugement de plusieurs regards externes. Si les évolutions législatives (CNAV, 2006) récentes ont cherché à davantage décomposer et formaliser les différentes étapes de l’évaluation en précisant le rôle des différents évaluateurs, elles n’ont pas réduit les disparités existantes en matière d’évaluation 236 entre les modes d’intervention (prestataire, mandataire, gré à gré) et le mode de financement. Dit autrement, pour un niveau de perte d’autonomie similaire, une personne âgée peut faire l’objet d’un nombre inégal de procédures d’évaluation et d’intermédiaires externes à son entourage. Plus leur nombre est important, moins le jugement de l’aide à domicile dans la qualification des besoins en amont de la mise en place du service est pris en compte. Cinq situations peuvent être identifiées : ‐ Dans le cas d’une intervention en gré à gré ou emploi direct sans APA, ni aide sociale, la qualification du besoin est supposée maîtrisée par la personne aidée et/ou son entourage. L’évaluation porte principalement sur la mise en place du service (prestations, nombre d’heures, prix, contractualisation) sur la base d’une relation de face à face entre le particulier‐employeur, ses proches et l’aide à domicile sans obligation de présence d’un intermédiaire‐expert pour définir un plan d’aide. L’aide à domicile est partie prenante directe de l’évaluation initiale des besoins. ‐ Si le particulier‐employeur a recours à un service mandataire agréé sans APA, il est alors fréquent que la mise en place du service donne lieu à une visite au domicile et à la production d’un devis par l’association. L’évaluation des besoins d’aide est principalement liée aux conditions de réalisation de la prestation puisqu’elle n’a pas été précédée d’une mesure officielle du degré de dépendance. L’agrément qualité est censé apporter une garantie dans les capacités de l’organisme à jouer un rôle de médiation entre l’employeur et l’employée en amont de la réalisation du service. En formalisant le contenu d’intervention à travers un devis gratuit et établissant les termes du contrat de travail (prestations, heures, rémunérations), l’organisation mandataire encadre et réduit largement les marges d’interprétation de l’intervenante à domicile sur l’état des besoins. ‐ Dans le cas d’une intervention en emploi direct avec APA, la négociation entre l’intervenante et la personne aidée est alors partiellement encadrée en amont de l’intervention par le plan d’aide issu de l’évaluation de l’équipe médico‐sociale du conseil général. Cette évaluation qui établit un niveau d’incapacité et valide un niveau d’allocation offre peu de marge de manœuvre de négociation et un espace limité de co‐production de celle‐ci. Si l’allocataire doit alors régulièrement justifier aux tutelles d’un montant de dépenses correspondant au plan d’aide, il dispose de plus d’autonomie dans la sélection de son mode d’intervention et dans les conditions de la mise en place du service. ‐ Si la personne aidée est allocataire de l’APA et à recours à un organisme de service à la personne (CCAS, association, entreprise), elle fait l’objet d’une double évaluation. Par l’équipe médico‐sociale du département pour juger de sa perte d’autonomie. Par les responsables du service pour évaluer les services à mettre en place dans le cadre du plan d’aide. Sauf urgence, l’aide à domicile n’intervient alors qu’au terme de ces démarches. Elle a peu ou pas prise sur l’évaluation des besoins du destinataire et la définition du cadre de son intervention, négocié en amont par l’organisme de service à la personne. ‐ Enfin, si à la suite de l’intervention de l’équipe médico‐sociale, la personne est classée en GIR 5 ou 6 et fait une demande d’aide à la CNAV, elle peut faire l’objet d’une seconde évaluation par un organisme extérieur conventionné donnant lieu à un plan d’action personnalisé. Cette procédure se distingue à la fois de celle des Conseils généraux mais aussi de celle des organismes de services aux personnes. Dans ce dernier cas, le jugement sur l’état et l’environnement de la 237 personne peut potentiellement donner lieu à une triple intervention (par le Conseil général, par la CNAV et par l’organisme de service à domicile). Cependant, on peut s’interroger sur la pertinence d’une multiplication des intermédiaires et des procédures d’évaluation autrefois concentrées chez les organismes d’aide à domicile conventionnés. Outre que la distinction et l’articulation du rôle de chaque intervenant sont dans la pratique loin d’être toujours claires, elles multiplient aussi les coûts de coordination entre les intermédiaires, l’intervenante et la personne aidée, ce qui n’est pas sans poser parfois problème comme nous le verrons dans les situations d’urgence. En outre, les différences tant sur le nombre d’intervenants que de procédures d’évaluation selon les modes d’intervention (gré à gré, mandataire et prestataire) et les modes de financement (APA, réduction d’impôts, etc.) posent une question d’équité sociale dès lors qu’elles ne reposent pas uniquement sur le degré d’autonomie des personnes âgées mais aussi sur le niveau de leurs ressources. Toute la difficulté tient au fait que les mécanismes de solvabilisation (APA, exonération fiscales) peuvent dans certaines situations se cumuler pour une même intervention. Comme nous le verrons dans les entretiens, certaines personnes âgées complètent les heures APA par des heures ouvrant à déductions d’impôts. L’évaluation des besoins par une tierce personne est exigée dans un cas (l’APA), elle ne l’est plus dans l’autre (déductions fiscales) même s’il s’agit d’une prestation similaire réalisée parfois par une seule et même intervenante auprès d’une personne en perte d’autonomie. On peut s’interroger sur la cohérence de ces logiques de solvabilisation qui hiérarchisent implicitement les destinataires dans leur capacité à formuler eux‐mêmes leurs besoins : faible dans le cas d’un bénéficiaire de l’APA ou de l’aide sociale, forte pour le particulier‐employeur. Or, les différences d’appréciation des capacités à exprimer ses préférences sans une intervention d’un tiers évaluateur ne renvoient pas complètement à une partition entre intervention auprès d’un public fragile et non fragile, mais à celle de public solvable et non solvable. 1.5. INTERVENIR EN AMONT DANS L’EVALUATION DES BESOINS, UN ENJEU POUR LES SERVICES D’AIDE A DOMICILE Les évolutions législatives liées à l’APA et aux nouvelles orientations de la CNAV tendent à opérer une distinction partielle entre l’évaluation de la perte d’autonomie de la personne, de ses besoins d’aide, des conditions d’éligibilité à une allocation et de mise en place du service. La fonction d’évaluation des besoins qui avait été historiquement construite par les associations d’aide à domicile leur est désormais contestée, non seulement par les Conseils généraux qui ont mis en place leurs propres équipes médico‐sociales, mais aussi plus récemment par la CNAV. Alors que celle‐ci confiait en partie aux associations prestataires qu’elle conventionnait le soin de procéder à l’évaluation des besoins des personnes âgées validant ou non une demande de prise en charge, les conditions d’attribution d’une prestation d’aide à domicile font depuis 200411 l’objet d’une évaluation par un organisme externe. 11 Selon la circulaire n° 2006/25 du 27 mars 2006 de la CNAV: « Pour mieux appréhender les attentes et les besoins spécifiques de ces populations, un dispositif d’évaluation globale de leur situation est entré en 238 Remis en cause dans leur capacité à évaluer les conditions d’éligibilité d’une personne à recevoir une aide, les acteurs associatifs sont conduits à repositionner et spécialiser leur propre fonction d’évaluation. Les fonctions et la procédure d’évaluation des équipes médico‐sociales et de celles des services d’aide à domicile sont distinctes et complémentaires. Les premières évaluent le niveau de perte d’autonomie de la personne à partir de la grille Aggir et le niveau (classement GIR) ouvrant droit à l’Allocation Personnalisée Autonomie. Cette intervention est concrétisée par un plan d’aide et le versement d’une allocation. Les secondes interviennent normalement dans un second temps pour évaluer lors d’une visite au domicile les conditions de mise en place du service au domicile avec l’obligation de l’effectuer dans le cadre imposé par le plan d’aide de l’APA. Reste que dans la pratique, les chevauchements de ces différentes étapes existent. Leur réalisation est parfois inversée ou simultanée. Il arrive que les organismes de service à la personne soient contactés en amont du déclenchement d’une procédure d’évaluation APA. Lorsque la personne âgée a déjà une aide à domicile (Campéon, Le Bihan, 2006, p.4). Si les responsables des services orientent la personne vers les équipes médico‐sociale des départements, il leur arrive également d’effectuer eux‐mêmes une partie de l’évaluation du niveau de dépendance, en anticipant les réponses aux critères nécessaires à la constitution d’un plan d’aide : “ Grille Aggir pour déterminer le niveau de dépendance. On transmet la grille Aggir au médecin qui va soit faire la sienne, soit valider la nôtre. En général on est validé ”. (Directeur général d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile) “ Pour l'attribution de l'APA, cette évaluation est faite par l'équipe médico­sociale composée d'un travailleur social et un médecin conseil. Mais l'encadrante de l'association est présente. Eux établissent, à partir d'un questionnaire très “ médico­technique ”, le classement de la personne en GIR (1, 2, 3, etc.). Quand c'est GIR 5, GIR 6, c'est la CNAV qui prend en charge. Parfois cette attribution de l'APA s'effectue à partir de notre propre initiative quand la personne ne connaît pas ses droits. ” (Directrice d’une fédération régionale d’environ 250 intervenantes à domicile) Il arrive donc que les organismes prestataires aillent plus loin que le respect des prescriptions de l’agrément qualité, à savoir faire connaître au bénéficiaire les financements potentiels et les démarches à effectuer. Cette situation où l’évaluation de la perte d’autonomie par une organisation prestataire précède et empiète sur celle du financeur s’inscrit dans la continuité d’une fonction autrefois déléguée par convention à certains CCAS et associations pour le compte vigueur dès 2004. Cette évaluation donne lieu à l'établissement de plans d'actions personnalisés qui permettent de diversifier la nature et les modalités de réponses qui peuvent être apportées aux retraités pour contribuer à leur maintien à domicile dans de bonnes conditions et à la prévention de leur perte d'autonomie. » 239 des caisses de retraite. Si, sauf exception, l’évaluation des besoins ne fait plus l’objet d’un conventionnement, elle demeure une étape dont la maîtrise reste stratégique non seulement pour la continuité de la qualité du service, mais pour l’accès aux personnes en demande d’aide lorsque l’environnement devient de plus en plus concurrentiel. Comme nous le verrons dans la partie sur l’identification des intervenants et prestataires, l’inscription dans un réseau médico‐
social, autrefois inscrite dans une régulation tutélaire devient de plus en plus un facteur de compétitivité sur les territoires où la concurrence est réelle ou anticipée (Gardin, Chapitre 6). Continuer à jouer les intermédiaires entre l’usager et les institutions dès l’étape de l’évaluation des besoins et de solvabilisation de la demande n’est pas négligeable à partir du moment où le niveau d’activité des organismes de services à la personne n’est plus garanti par les organismes financeurs qui ont parfois accusé des retards dans le traitement des demandes lors de la montée en charge du dispositif APA. En effet, du classement GIR et du montant de l’APA dépend une grande partie du volume d’heures d’intervention. Derrière la coopération plus ou moins formelle entre les équipes d’évaluateur et les responsables de service sur l’évaluation du niveau de dépendance et des besoins de la personne âgée se joue plus ou moins explicitement une négociation économique. “ Je fais un dossier à l’équipe médico­sociale. Ils peuvent refuser en disant : non monsieur ne dépend pas de l’APA. Quand l’équipe médico­sociale va au domicile il pose des questions aux personnes âgées. Or avec les personnes âgées tout va toujours bien, donc on peut avoir l’impression que la personne ne dépend pas de l’APA alors qu’en réalité elle en dépend. Donc nous on doit récupérer le dossier. Je les appelle, je bataille. Une fois que l’équipe médico­sociale est passée on reçoit un courrier où on doit signer le plan d’aide ou le rejeter, on peut contester leur décision. Ils révisent alors leur dossier. En expliquant on y arrive. » (Directrice CCAS d’une commune d’environ 3000 habitants) Dans un contexte où l’allocataire de l’APA a théoriquement le choix du mode d’intervention (gré à gré, mandataire et prestataire), l’intervention directe auprès des équipes médico‐sociales sur le contenu du plan d’aide est aussi capital pour les associations prestataires pour juguler la concurrence de l’emploi direct, y compris pour les personnes en perte d’autonomie. C’est un moyen de faire prendre conscience aux institutions de l’intérêt du mode d’intervention prestataire par rapport au gré à gré. “ C’est pernicieux le gré à gré car on ne le voit pas. J’ai vu des plans d’aide APA pour des personnes en grande difficulté avec deux sortes de professionnelles sur deux statuts différents : le statut de gré à gré et le statut du mandataire pour une même personne. Il faut tomber dessus et avoir le courage de le remonter et d’agiter le chiffon en disant de quoi de quoi : vous nous dites la main sur le cœur que vous êtes pour le prestataire, etc. Mais on a réussi association par association, à pouvoir rencontrer l’équipe médico­sociale. Donc on vient avec des plans d’aide illisibles ou incompréhensibles, on rencontre la famille (on est mandaté par elle) et on demande à ce qu’un usager n’ait qu’une seule professionnelle. ” (Directeur d’une association) Les critiques des dispositifs d’évaluation des institutions par les responsables associatifs expriment à la fois les doutes sur les conséquences économiques de l’externalisation de la fonction d’évaluation du côté des organismes de régulation mais aussi sur la place de la personne âgée. Ainsi, Bernard Ennuyer (2006, p.80‐81) estime que l’outil Aggir mesure 240 uniquement un niveau d’incapacité et non le besoin d’aide de la personne. Façon de mettre en avant les financements insuffisants de l’APA, cette critique vise aussi à faire reconnaître la nécessité de l’évaluation complémentaire qu’apportent les associations lors de la mise en place du service. Mais surtout le repositionnement des services d’aide à domicile en amont du plan d’aide dans l’APA et la collaboration potentiellement conflictuelle avec les équipes médico‐sociales s’avèrent stratégiques non seulement dans l’évaluation du niveau de perte d’autonomie et du volume d’heures d’intervention mais aussi sur l’identification et la sélection du mode d’intervention et de l’organisme de service à la personne. 2. LES DISPOSITIFS D’INTERMEDIATION DE MISE EN RELATION DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE De la détection initiale d’un besoin d’aide à domicile à son évaluation et sa qualification en demande, un nombre croissant d’intermédiaires et de dispositifs interviennent de manière inégale selon les modes d’intervention en amont de la mise en relation de l’offre et de la demande. Ces différences se retrouvent en partie dans l’identification et la sélection d’une intervenante ou d’un organisme d’aide à domicile. Le nombre de dispositifs d’intermédiation entre l’offre et la demande se multiplie et se combine. Censée réduire l’incertitude relative à la qualité du service, la multiplication de ces dispositifs est souvent présentée comme des indicateurs de rationalisation du secteur. Reste que leur pertinence relative à la dimension relationnelle du service et leur efficience liée à la capacité d’être intégré dans le coût global du service sont d’autant plus problématiques que les modes d’intervention (gré à gré, mandataire, prestataire) les utilisent de manière très disparate. La gestion de cette diversité de dispositifs d’intermédiation n’est pas sans poser question. Nous verrons que la création de dispositifs formels et impersonnels de mise en relation de l’offre et de la demande (enseignes nationales, publicité, Internet) semble difficilement prendre le pas sur les dispositifs informels et personnels (bouche à oreille). L’organisation d’un marché portant moins sur la réputation des intervenantes et des organisations que sur un référencement garant de leur qualité sur un mode quasi industriel n’a pas encore apporté les preuves de leur compatibilité avec les spécificités des services à la personne. En outre, la tendance des pouvoirs publics à être plus ou moins prescripteurs de service selon les territoires laissant plus ou moins jouer la concurrence en modes d’intervention pousse certains organismes d’aide à la personne à mieux anticiper la demande en intégrant progressivement les dispositifs de mise en relation de l’offre et de la demande dans leur stratégie de développement. 2.1. UNE PLURALITE DE DISPOSITIFS D’INTERMEDIATION Les responsables des organismes d’aide à domicile qui interviennent principalement chez des personnes âgées en perte d’autonomie identifient trois types d’acteurs à l’origine des demandes 241 qui leur sont adressées : les personnes âgées elles‐mêmes, l’entourage familial ou les partenaires médico‐sociaux. “ L’origine de la demande ? Les personnes âgées, elles­mêmes, leurs familles, des partenaires sociaux. Soit par téléphone soit par la venue de la personne à notre service sans rendez­vous ”. (Responsable du service aide à domicile d’un CCAS) “ Les demandes émanent de l’entourage. Aussi les assistantes sociales des hôpitaux qui nous appellent en nous demandant comment on envisage le retour ”. (Directrice CCAS d’une commune d’environ 3000 habitants) Reste à savoir comment s’opèrent l’identification et la sélection d’une intervenante ou d’un organisme de services à la personne (entreprise, association) et selon quel mode d’intervention (prestataire, mandataire, emploi direct). Plusieurs types d’intermédiation sont repérables dans la mise en relation de l’offre et de la demande : ‐
La réputation informelle des intervenantes ou des organisations reposant sur le “ bouche à oreille ” validé par le réseau personnel du destinataire. L’identification et la sélection consistent à demander à un proche (parent, amis, voisins) s’il ne connaît pas une “ bonne ” intervenante ou un service d’aide à domicile de “ qualité ”. La qualité du service repose sur la confiance accordée à la recommandation faite par un proche. L’appartenance à ses relations personnelles est ici un gage de qualité. Le recours à un réseau informel semble encore prédominant dans le cadre du travail au noir, pour les services de ménage et pour l’intervention en gré à gré. Mais le bouche à oreille se combine de plus en plus avec des dispositifs formels d’intermédiation. Il intervient alors soit en amont pour obtenir une information le renvoyant sur un dispositif formel d’information sur l’offre (mairie), soit en aval pour valider la sélection d’un intervenant ou d’un organisme prestataire. Le “ bouche à oreille ” et la mobilisation du réseau social renvoient davantage à une personnalisation des liens selon un registre “ domestique ” de la confiance. L’importance de ce mode de mise en relation de l’offre et de la demande est dans une certaine mesure en cohérence avec l’importance accordée par les personnes âgées à la dimension interpersonnelle dans l’évaluation de l’aide à domicile. ‐
Les réseaux sanitaires et sociaux, que nous distinguons des équipes médico‐sociales des conseils généraux. Ces réseaux sont plus ou moins formalisés. Médecins, assistantes sociales et autres professionnels de santé sont souvent à l’origine de la détection et de l’évaluation des besoins d’aide à domicile. Ils sont donc de potentiels prescripteurs de services auprès des personnes âgées. Tout dépend alors si leur recommandation porte sur un dispositif formel (plate‐forme de service, liste d’organisations agréées, etc.) ou si elle oriente sur une personne ou une organisation précise. L’intermédiation des réseaux sanitaires et sociaux entre l’offre et la demande se réalise sur un registre plus “ professionnel ” où la sélection d’un mode d’intervention ou d’une organisation prestataire repose sur la confiance accordée au jugement d’une personne qui fait autorité de par son statut (médecin) ou son expertise. Les institutions (mairie, caisses de retraite, Conseil général, ANSP) qui financent en partie l’aide à domicile, encadrent des procédures d’évaluation, informent les particuliers des services existants, etc. Historiquement, ces institutions ont travaillé avec des organismes d’aide à domicile conventionnés sur lesquels ils renvoyaient la personne aidée en fonction de son 242 territoire d’appartenance. La dissociation croissante entre l’évaluation et la sélection des modes d’intervention conduit à être a priori moins prescripteur qu’au temps où la régulation tutélaire supposait une régulation et un financement de l’offre sur la base d’une logique de planification en fonction des besoins et couverture du territoire. CCAS et associations prestataires étaient alors privilégiés. Reste que, selon les institutions et les territoires, la mise en concurrence entre les modes d’intervention et les gestionnaires de service est plus ou moins effective. Encore faible voire inexistante pour les caisses de retraite, elle est plus disparate pour les Conseils généraux, certains continuant à privilégier une logique de sectorisation géographique des interventions ou de complémentarité de l’offre d’aide à domicile, là ou d’autres affichent une position de neutralité plus favorable à la régulation par le marché (Rivard, 2006 ; Gardin, chapitre 6). En outre, les équipes médico‐sociales sont loin d’être toujours impartiales. Selon leur composition, elles influencent plus ou moins la sélection d’un mode d’intervention. ‐
La communication commerciale (publicité, site Internet, brochure). Souvent négligés par les acteurs historiques du secteur, les outils de communication issus d’un registre commercial sont de plus en plus utilisés pour élargir ou fidéliser, non sans réticences, sa “ clientèle ”. ‐
Les plateformes et enseignes de services. Mises en place par le plan Borloo, elles relèvent davantage d’une logique industrielle de mise en relation de l’offre et de la demande. Par une identification, sélection et une codification des informations sur les “ prestations ” de services à la personne, les enseignes sont censées faciliter des particuliers “ consommateurs ” en se portant garant d’une qualité de service. Leur rôle intégrateur des services est supposé être une fonction de standardisation de l’offre de service. Davantage positionnées sur les « nouveaux services » au domicile plus que sur le maintien à domicile, la visibilité et la pertinence de leur intermédiation sont controversées. Ces différents dispositifs d’intermédiation ne sont pas d’égale importance. A la lecture des entretiens, les deux principaux vecteurs de la demande restent le “ bouche à oreille ” et les réseaux médico‐sociaux devant les institutions financeurs. “ Les demandes ? Un tiers des demandes sont faites par les gens eux­mêmes, un deuxième tiers par les familles, un troisième tiers par les professionnels du socio médical et surtout les assistantes sociales d'hôpital. ” (Directeur d’une association de près de 300 intervenantes à domicile). “ Le premier prescripteur ce sont les familles et le bouche à oreille et ensuite les réseaux médico­sociaux. ” (Directeur d'une fédération associative) Ce sont donc les dispositifs personnels d’intermédiation (Karpik 2007, p.70) qui semblent encore prévaloir pour réduire l’incertitude sur la qualité d’un service. Les nouveaux outils de communication et les intermédiaires (plates‐formes, enseignes) qui tentent de mettre en place des dispositifs plus impersonnels opèrent encore à la marge de l’identification et de la sélection des intervenantes et de l’organisation d’aide à domicile. Trop récents, leur pertinence et leur 243 efficacité font l’objet de controverses (cf. partie II.5). Notons enfin que les agréments, procédures de labellisation et autre certification de la qualité sont peu mentionnés comme des signaux discriminants dans le choix d’un prestataire au domicile. Les différents types d’intermédiation dans la mise en relation de l’offre et la demande ne sont pas exclusifs, mais se cumulent ou se combinent plus ou moins selon les modes d’intervention et le statut d’organisation. Il semble possible de distinguer trois situations. L’emploi direct ou en gré à gré repose principalement sur le bouche à oreille. Les demandes adressées aux associations mandataire et prestataire “ historique ” et de petite taille proviennent non seulement des réseaux personnels des usagers mais aussi de leur inscription dans des réseaux professionnels du monde sanitaire et social. Enfin, certaines organisations, de nouveaux entrants comme les entreprises commerciales appartenant à des groupes de maisons de retraite ou des associations prenant une orientation plus entrepreneuriale, investissent aussi de nouveaux outils marketing et de communication pour élargir ou renforcer leur clientèle. Tableau 1. Types d’intermédiation dans l’origine de la demande entre l’offre et la demande selon les modes d’intervention Mode d’intervention Types d’intermédiation Bouche à oreille
Réseau médico‐
sociaux Institutions :
‐ Conseil généraux ‐ CNAV Communication, Internet Enseignes / Plate‐
formes gré à gré
CCAS, Associations mandataire et prestataire Entreprises privées commerciales / certaines associations Fort
Faible
Ambiguë Faible Faible
Fort
Fort
Fort Fort Faible
Faible
Variable géographiquement Faible pour les entreprises commerciales Forte Faible
Variable Variable géographiquement Fort pour prestataire
2.2. EFFET DE REPUTATION ET BOUCHE A OREILLE : LA MISE EN RELATION DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE PAR LES RESEAUX INTERPERSONNELS 244 Que ce soit des particuliers‐employeurs ou des responsables d’associations et entreprises d’aide à domicile, la plupart insistent sur le “ bouche à oreille ” et les réseaux de proximité comme une des principales sources des demandes. Le contact entre la personne aidée et l’intervenante ou l’organisme d’aide à domicile passe fréquemment par l’entourage familial, le réseau amical ou les relations de voisinage. L’orientation vers tel ou tel service ou intervenante repose alors sur la confiance accordée au jugement d’une personne que l’on connaît personnellement et qui habite souvent à proximité. “ Les demandes ? Pas d'Internet, on est là depuis 30 ans. Ça fonctionne par le bouche à oreille, soit envoyés par des clients.” (Directeur d’une association de près de 300 intervenantes à domicile). “ Ou bien, des demande de proximité : on intervient dans un immeuble et une personne demande à avoir la même intervenante. Donc il y a des demandes qui se font localement dans la proximité des associations (voisinage, bouche à oreille)”. (Directrice d’une fédération régionale d’environ 250 intervenantes à domicile) “ Il me semble que c'est plus facile en gré à gré de rencontrer quelqu'un dans la proximité et d'avoir ainsi des renseignements sur elle. ” (Particulier­employeur d’une aide ménagère en gré à gré) Commun aux différents modes d’intervention, le bouche à oreille semble d’ailleurs être souvent la règle dans une relation de gré à gré ou d’emploi direct, à la différence que la réputation établie par le réseau social ne porte pas sur une organisation mais sur une intervenante. La proximité relationnelle comme vecteur de confiance est en tout cas invoquée tant par les particuliers‐
employeurs que par les intervenantes à domicile comme moyen de mise en relation de l’offre et de la demande : “ J'ai toujours trouvé le travail de bouche à oreille, à partir de ma réputation et le fait que les gens voyaient que je restais seule avec mes enfants et que j'étais courageuse, alors ils m'ont aidée. Le quartier c'est un petit village et j'ai ma place alors ça va vite. Les gens me connaissent justement parce que je suis gardienne, employée d'immeuble. ” (Salariée en emploi direct) “ D'autre part en gré à gré le fait que la personne vous vient de relations de voisinage, qu'elle est connue et qu'elle nous est recommandée, ce filtre­là nous semble comporter moins de risque qu'un recrutement par entreprise ou association. En fait si on accepte ce principe du bouche à oreille c'est qu'on est confiant a priori. ” (Particulier­employeur d’une aide ménagère en gré à gré) Parler du bouche à oreille comme d’un “ filtre ” réducteur de “ risque ”, c’est mettre en avant la réputation par le réseau social de proximité comme un moyen de pallier un risque de sélection adverse d’autant plus important dans le recrutement d’une aide à domicile en emploi direct ou au noir que le particulier‐employeur ne peut s’appuyer sur un “ marché de professionnels ” sur lequel le signal du diplôme jouerait pleinement son rôle. 245 Dans le cas d’une intervention en mandataire ou en prestataire, l’effet de réputation porte moins sur l’intervenante que sur l’organisation de service à la personne dont elle dépend. Dans ce cas, il ne semble pas que l’obtention d’un agrément, la labellisation ou l’appartenance à une enseigne apparaissent comme des signaux de qualité dans la sélection du service. L’importance des médiations familiales et des recommandations à une personne proche dans la sélection d’une association d’aide à domicile est également repérable dans le discours de l’entourage des personnes aidées qui n’hésitent pas à se représenter elles‐mêmes comme un des maillons dans la chaîne du bouche à oreille : “ L’association est plutôt bien. Je l’ai conseillée à une ou deux personnes. ” (La fille d’une personne aidée usager d’une association mandataire) “ Je n’ai pas eu l’occasion de recommander l’association mais je le ferais volontiers. ” (Le mari d’une femme de 81 ans, employeur d’une aide à domicile par l’intermédiaire d’une association mandataire) Les réseaux personnels peuvent aussi intervenir moins pour recommander tel ou tel prestataire de service qu’un dispositif d’information d’un niveau supérieur, une mairie ou une fédération associative, à même d’orienter l’usager vers un service compétent. “ Je me suis adressée à la mairie car une amie m’avait dit d’aller à la mairie. ” (Femme de 84 ans vivant seule, usager d’un CCAS) “ Pour l’aide ménagère, ma mère avait recours à une aide à domicile via une association en province. J’ai demandé à cette association de province l’équivalent à Paris. Ils m’ont renvoyé sur une fédération à Paris. Je suis tombé sur l’association prestataire. ” (Homme de 74 ans, bénéficiaire de l’APA, usager d’une association prestataire pour l’aide ménagère et d’une association mandataire pour l’auxiliaire de vie) Le bouche à oreille ne s’oppose pas à d’autres dispositifs de mise en relation de l’offre et de la demande, mais se combine en amont et parfois aussi en aval de l’identification et de la sélection d’un organisme d’aide à domicile. 2.3. L’IMPORTANCE DE LA PRESCRIPTION MEDICO‐SOCIALE DANS L’ORIGINE DE LA DEMANDE Si les réseaux interpersonnels sont à l’origine de nombreuses demandes, le rôle de réseaux professionnels, en particulier des réseaux sanitaires et sociaux, y contribue de manière non négligeable pour les organismes qui interviennent auprès des personnes âgées en perte d’autonomie. Intervenants souvent dans le signalement d’un besoin d’aide à domicile suite à une maladie ou une hospitalisation mais aussi dans l’évaluation de la perte d’autonomie, médecin et assistante sociale sont des intermédiaires non négligeables dans la mise en relation d’une personne aidée avec un service prestataire ou mandataire. Les relations entre ces réseaux et les services d’aide à 246 domicile sont plus ou moins formalisées et ne recoupent pas complètement la procédure APA. Aussi nous distinguons que les réseaux sanitaires et sociaux sont plus larges que les équipes médico‐sociales des départements. Les entretiens confirment le rôle de « prescripteurs » des réseaux sanitaires et sociaux. La part des demandes relayées par des professionnels de santé vers les services à la personne peut représenter, selon les témoignages, près de 30%, voire 50%, des demandes adressées aux associations et entreprises de services aux personnes. “ Les hôpitaux nous alimentent d’une manière assez importante. ” (Directeur général d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile) “ Environ 50% des usagers vient par le secteur médico­social (AS, hôpitaux…), 20% par le bouche à oreille des usagers et des familles, le reste par des caisses de retraite. ” (Directeur d’une association mandataire) “ Nous avons tout un réseau de partenaires, cliniques, hôpitaux, médecins, mutuelles, services sociaux, point Paris Emeraude, résidences personnes âgées qui nous connaissent et nous recommandent et envoient des personnes. ” (Responsable d’une agence d’entreprise d'aide à domicile) L’insertion dans les réseaux sanitaires et sociaux est donc un canal de mise en relation de l’offre et de la demande difficilement contournable pour tout service s’adressant aux personnes dites vulnérables. Développer et entretenir ces réseaux devient un objectif important pour les prestataires parce qu’ils peuvent être plus ou moins prescripteurs12 de services auprès des futurs usagers‐clients, mais aussi parce qu’ils constituent une voie de protection relative par rapport à la concurrence du gré à gré. Etre recommandé par un médecin ou une assistante sociale constitue un gage de qualité pour le service car il s’agit de personnes qualifiées ou d’institutions reconnues qui inspirent la confiance. Les réseaux médico‐sociaux sont aussi des “ dispositifs de confiance ” (Karpik, 2007, p.82) qui peuvent constituer un atout sur un marché où l’incertitude sur la qualité de l’offre est forte. L’appartenance à des réseaux sociaux‐sanitaire est davantage informelle ou contractuelle que conventionnée. Autrement dit, ce qui compte c’est l’avis et le conseil informel d’un professionnel de santé qui connaît personnellement l’organisme de service à la personne. “ La relation de personne à personne est primordiale. On me contacte souvent par le bouche à oreille pour gérer des situations délicates. Exemple : un médecin responsable d’un réseau de soins palliatifs sur Paris. Le jour où il a eu besoin d’une aide à domicile pour ses parents, il a fait appel à l’entreprise. Confier un proche c’est une preuve de confiance et de reconnaissance de votre compétence. ” (Responsable d’une agence d'entreprise d'aide à domicile à Paris) 12
Un prescripteur est une personne ou une institution qui eu égard à sa notoriété, son image, son statut, ses
activités, ses capacités financières, est à même de recommander un prestataire, une marque, un produit, et d’être
reconnue pour la valeur de sa recommandation par un nombre plus ou moins important de clients ou d’usagers.
247 Construire sa réputation en s’insérant dans les réseaux médico­sociaux L’insertion dans un réseau médico‐social n’est pas toujours formalisée par des partenariats mais repose sur des échanges informels dont la régularité construit la réputation du responsable ou de l’organisation. La fréquence des contacts et la capacité des services d’aide à domicile à répondre aux demandes des institutions médico‐sociales, ainsi que les relations professionnelles nouées au fil du temps par leurs responsables apparaissent comme autant de signes de confiance qui construisent leur renommée dans le réseau. L’effet de réputation mis en avant dans les entretiens peut porter sur l’organisme lui‐même lorsqu’il s’agit par exemple d’une association ancienne, implantée de longue date sur le territoire, connue du personnel des tutelles et des financeurs et généralement membre d’une fédération à dimension nationale. “ En résumé au bout de 30 ans on est connu, on fait un peu de pub, mais on n’en a pas vraiment besoin ”. (Directeur d’une association de près de 300 intervenantes à domicile) Pour les associations et entreprises plus jeunes, l’expérience, le profil et le carnet d’adresses du directeur semblent déterminants pour entrer dans le réseau médico‐social. Ainsi, cette ancienne assistante sociale, fondatrice et directrice d’une association mandataire d’aide à domicile auprès des personnes âgées, explique en partie le développement de l’activité par l’activation de sa connaissance du milieu des assistantes sociales dont elle est issue. “ Il y a eu très vite après la création une montée en charge de l’activité sur le 14ème arrondissement. L’activité s’est montée sans aucun apport. Il y a eu rapidement une reconnaissance de l’association par les assistantes sociales par “ esprit de corps ”. “ Nous avons la confiance des assistantes sociales ”. (Directrice d’une association mandataire sur Paris) De même, cet ancien directeur d’une structure associative d’aide à domicile aujourd’hui responsable d’une agence parisienne appartenant à une des principales entreprises positionnées sur les services aux personnes âgées met en avant son expérience associative dans le secteur et sa bonne connaissance du milieu de l’aide à domicile pour expliquer pourquoi médecins et assistantes sociales font appel à son agence : “ J’ai une bonne réputation dans le milieu. J’y travaille depuis 10 ans. Je connais tous les partenaires. J’ai un carnet d’adresses qui a permis une montée en charge rapide de l’activité. Le secteur est relativement hermétique aux nouveaux entrants. On ne s’installe pas comme cela dans le métier (…) Sur la dépendance, le partenariat dépend essentiellement d’une relation de confiance établie sur plusieurs années. Les gens vous connaissent, votre rigueur, votre disponibilité, votre suivi. Ils savent comment vous travaillez. ” (Responsable d’une agence d'entreprise d'aide à domicile à Paris) Formaliser ses liens et renforcer les partenariats avec les réseaux professionnels L’inscription dans les réseaux sociaux‐sanitaire devient stratégique lorsque l’environnement s’avère de plus en plus concurrentiel comme sur Paris ou certains départements (Hauts‐de‐
Seine) de la région parisienne. Certains organismes de services à la personne cherchent à formaliser leurs échanges au travers de partenariats avec des cliniques, des caisses de retraite 248 complémentaire et des réseaux de santé. Là encore, il semble que les derniers entrants, association mandataire puis plus récemment les entreprises prestataires, historiquement exclus des conventionnements avec la CNAV et moins intégrés dans les réseaux de santé publique (hôpital public, CLIC13, etc.), soient particulièrement actifs dans la recherche de partenariats, notamment avec des acteurs privés du système de santé (médecins libéraux, cliniques privées, assurances, etc.). “ L’association mandataire m’a été signalée par un réseau de santé qui couvre les 13/14ème arrondissement de Paris. Il s’agit d’un réseau de médecins et d’infirmières en coordination avec l’hôpital Cochin. Ils font des permanences de garde. Ma femme a été soignée à Cochin en janvier et février. ” (Le mari d’une femme de 81 ans, employeur d’une aide à domicile par l’intermédiaire d’une association mandataire). “ En outre, l’entreprise est liée par conventionnement à des cliniques, mutuelles, à la PHHP IDF. Nous avons récemment répondu et été reçus favorablement dans un appel d’offre de la PHHP IDF. 3 à 4 agences ont été impliquées dans un test pendant une année. L’année de test ayant été satisfaisante le contrat a été renouvelé pour 5 ans. Cela accroît la réputation du groupe et des agences de la société. » (Responsable d’une agence d'entreprise d'aide à domicile à Paris) 2.4. L’INFLUENCE DES INSTITUTIONS DANS L’IDENTIFICATION ET LA SELECTION DES MODES D’INTERVENTION : LA NEUTRALITE EN QUESTION Les caisses de retraite et autres financeurs sont aussi mentionnées comme un des prescripteurs dans la mise en relation des personnes âgées avec les services d’aide à domicile. Elles renvoient généralement à une liste d’associations en fonction de la localisation du retraité. Dans le cas de la CNAV, il s’agit des CCAS et des associations prestataires conventionnées, ce qui signifie que les autres modes d’intervention (mandataire, gré à gré) et les organismes à but lucratif (entreprises commerciales) ne peuvent intervenir auprès de leurs allocataires. Pour autant, les dispositifs d’intermédiation mis en place par les institutions sont avant tout “ informationnels ” (Butté‐
Girardin, op.cit, p.82). La qualification de l’offre par les organismes financeurs à partir d’un conventionnement ne vaut pas prescription d’un service en particulier, mais d’un mode d’intervention (le prestataire) sur un territoire. Si les organismes financeurs ne sont pas plus cités comme un dispositif central de mise en relation de l’offre et de la demande, c’est parce que dans nombre de cas, la prise de contact avec le service précède souvent son financement. Dit autrement, il est fréquent que les associations prestataires renvoient les personnes vers l’assistante sociale ou l’organisme financeur pour formuler une demande d’aide quand ce n’est pas l’association elle‐même qui informe le bénéficiaire des financements existants et effectue pour lui les démarches nécessaires. Dans ce cas, « le choix de la structure d’aide ne se pose pas 13
Centres locaux de d’information et de coordination.
249 directement. Il est déterminé par la configuration antérieure. » (Campéon A., Le Bihan B., op.cit., p.5) L’autre changement majeur tient à l’instauration de l’APA et à la dissociation croissante entre le mode de financement qui passe par la demande et la mise en relation d’un mode d’intervention qui est censé être laissé “ au libre choix ” de l’allocataire. Les conseils généraux et les équipes médico‐sociales n’ont pas normalement à privilégier un mode d’intervention ou un type d’organisme prestataire (CCAS, association, entreprise). Au moment de la création de l’APA, le législateur avait pris en compte les revendications des associations prestataires en préconisant, pour toute personne classée en GIR 1 et 2, l’affectation prioritaire en mode prestataire, sauf avis contraire de l’allocataire14. Reste que l’application de cette règle demeure très disparate selon les départements, mais aussi selon le comportement des équipes médico‐sociales. Certains départements continuent à préconiser les organisations prestataires, voire les associations autorisées dans une logique de sectorisation géographique ou de spécialisation des publics (Rivard, op.cit, p.6). Si les Conseils généraux peuvent influencer et orienter l’allocataire, ils ne peuvent l’obliger à passer par ce mode d’intervention. Ainsi, comme le rappelle ce directeur d’association du Nord : “ Et le Conseil général le dit clairement : on préconise les associations autorisées, les services qualifiés, mais c’est l’allocataire qui décide. ” (Directrice générale d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile) Une régulation plus concurrentielle (Gardin, chapitre 6) de la mise en relation de l’offre et de la demande est donc possible. Se concentrant plutôt dans les grands centres urbains, son intensité est variable selon que la diversité de l’offre. Outre les différences de préconisation des conseils généraux par rapport au service prestataire, ces disparités peuvent être infra‐départementales et dépendre en partie des préférences des équipes médico‐sociales : “ Même au niveau du département il y a des différences selon les secteurs géographiques parce que selon l’équipe médico­sociale, elle sera plus orientée vers un mode plutôt qu’un autre. Par exemple durant une période il y avait un souci avec le Cambrésis où il y avait beaucoup de mandataires. ” (Directeur d’une association). La neutralité de l’équipe médico‐sociale vis‐à‐vis des modes d’intervention est donc d’autant plus sujette à caution qu’elle ne renvoie pas toujours les bénéficiaires vers une liste ou une plateforme de service à domicile mais les oriente informellement vers tel ou tel mode d’intervention. Les habitudes de concertation et de discussion directe entre équipes médico‐
sociale et service lors de l’élaboration du plan APA montrent que la formalisation de la mise en relation de l’offre et de la demande reste pour le moins variable selon les territoires. 14 Selon l’article M.232‐6 du code de l’action sociale et des familles : “ dans le cas de perte d’autonomie plus importante (…), lorsque le plan d’aide prévoit une intervention par une tierce personne, à domicile, l’allocation personnalisée d’autonomie est, sauf refus exprès du bénéficiaire, affectée à la rémunération d’un service prestataire d’aide à domicile. ” (Debons, 2006, p.179) 250 Pour autant, le respect d’une position de neutralité n’en est pas moins problématique. L’absence d’information et d’appréciation sur leurs différences de fonctionnement et de qualité (agrément, autorisation, salarié diplômés, etc.) risque de conduire l’allocataire à faire du prix un facteur décisif de sélection d’un service : “ Quand l’équipe médico­sociale est sur place et que dans sa toute objectivité, elle laisse le choix aux personnes entre le plus cher et le moins cher, sur un public qui ne connaît pas du tout ce que c’est que le service à domicile, qui n’est pas sensibilisé sur les critères qualité de ces services (notre secteur n’est pas très lisible et c’est la vocation de la loi Borloo de le rendre plus lisible), que ce soit par l’APA ou sur un service ménage seul, la question du prix est importante. ” (Directrice générale d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile) “ Il y a la recherche du moindre coût. Les équipes médico­sociales poussent au gré à gré. Les personnes dépendantes s’orientent vers le gré à gré car c’est moins cher si on veut du 24h00/24 (…) Dans le gré à gré, il n’y a pas de frais de gestion. ” (Directeur d'une fédération associative) L’indifférence ou la méconnaissance des représentants des institutions, au nom d’une prestation de “ libre choix ”, ne risque‐t‐elle pas d’être alors interprétée par l’allocataire comme un jugement d’équivalence sur la qualité des différents types de service d’aide à domicile ? Le refus des équipes départementales d’être prescriptrices d’un mode d’intervention spécifique ne vaut‐
il pas caution pour l’allocataire sur la valeur de l’ensemble des services existants sur un territoire ? Ne masque‐t‐il pas une logique de rationalisation budgétaire et d’optimisation du nombre d’heures d’aide par bénéficiaire qui conduit à favoriser le mandataire et l’emploi direct ? Les départements ne contribuent‐ils pas alors à organiser par défaut une concurrence par les prix plutôt que par la qualité ? C’est en tout cas ce que semble redouter un certain nombre de responsables de services prestataires dès lors qu’elles se trouvent sur un territoire concurrentiel. “ Que décide la personne quand elle dispose d’une enveloppe fermée, avoir 28 heures ou en avoir 20 ? Quand on est dépendant va­t­on donner la priorité au nombre d’heures que l’on a à son domicile ou à la qualité du service et de la salariée qui intervient au domicile ? Et pour ce public­là le choix est souvent économiquement difficile. Car s’ils avaient les moyens la question ne se poserait pas. ” (Directrice générale d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile) Cette critique des conséquences d’une position de neutralité des institutions vis‐à‐vis des modes d’intervention est au cœur des controverses sur les conditions d’une régulation de concurrence par des exigences de qualité. Dès lors que les prescriptions liées au respect du cahier des charges de l’agrément qualité qui peuvent se cumuler avec celles de l’autorisation pour les établissements médico‐sociaux ne sont pas obligatoires pour l’intervention d’une aide à domicile 251 en gré à gré, la non prise en compte par les institutions des différences de coût liées au respect de normes de la qualité est jugée déloyale par les associations prestataires. “ La loi Borloo donne la possibilité à tout le monde d’intervenir auprès des personnes fragilisées sans autorisation. Il y a une concurrence déloyale. On se soumet à des contrôles, des certifications, des normes NF. Tout cela a un coût qui n’est pas pris en compte par les tutelles. Les associations se soumettent à de multiples procédures : loi 2002, norme de qualité NF, CNAV, label qualité ville de Paris (…) Les avantages des associations ne font pas le poids par rapport au coût du service. En GIR 1 et ,2 le gré à gré est 10% inférieur ” (Directeur d'une fédération associative). Sur le marché, les procédures d’agrément et de certification de la qualité n’apparaissent donc pas encore comme des signaux suffisamment discriminants pour justifier des différences de prix entre modes d’intervention. Rarement mentionnés parmi les facteurs à l’origine de la demande, les nouveaux dispositifs de régulation de l’offre par labellisation et certification de la qualité ne semblent pas pour le moment être en mesure de compenser la hiérarchisation des modes d’intervention qu’opéraient les pouvoirs publics dans le cadre de la régulation tutélaire. Le risque existe que l’investissement dans la qualité ne protège pas suffisamment des effets de concurrence par les coûts. Renforcer sa réputation au sein des réseaux sanitaires et sociaux et sa capacité d’intervenir en urgence, des stratégies de compensation face à des organismes financeurs moins prescripteurs ? Plus que les procédures d’agréments et de labellisation, le renforcement de sa position au sein des réseaux sociaux‐sanitaires et la capacité de répondre dans l’urgence à des besoins d’aide à domicile apparaissent comme des stratégies de spécialisation à même de faire face aux inflexions des politiques des organismes financeurs (conseil généraux, CNAV). La réduction des conventionnements entre organismes sociaux et services prestataires et la déconnexion croissante entre le mode de financement et le mode d’intervention dans le cadre de l’APA engendrent davantage d’incertitudes sur le volume d’activité des prestataires. La réactivité d’un service prestataire ou mandataire à faire face à une situation d’urgence constitue alors un moyen de renforcer sa réputation au sein des réseaux sanitaires et sociaux. Intermédiaires importants dans la mise en relation de l’offre et de la demande, ces réseaux professionnels présentent l’avantage d’être davantage prescripteurs de services prestataires ou mandataires que d’intervention en gré à gré. Renforcer les liens de confiance avec les réseaux sanitaires et sociaux est aussi une manière d’influencer le jugement des équipes médico‐sociales vers tel ou tel service ou mode d’intervention. L’intervention en urgence suite à un accident ou à une hospitalisation présente la double caractéristiques (1) de faire intervenir l’évaluation du responsable de l’organisme d’aide à domicile avant celle des équipes des organismes financeurs, (2) de faire précéder l’évaluation des besoins et des conditions de mise en place du service avant les démarches de demande de financement. Dans tous les cas, la mise en relation entre la personne et l’organisme d’aide à domicile précède l’intervention des institutions de régulation. 252 Associations ou entreprises, service prestataire ou mandataire, cette capacité de réactivité est souvent présentée comme une spécificité, voire une stratégie de différenciation par rapport au reste de l’offre. “ Des fois il y a des évaluations de besoin où la personne n'a ni l'APA, ni la CRAM, ni rien du tout. Ou par exemple une personne après une chute ou un accident cérébral est à l'hôpital et c'est l'assistante sociale de l'hôpital qui nous appelle un vendredi soir pour le lundi. Et là c'est notre capacité de réactivité. ” (Directrice d’une fédération régionale d’environ 250 intervenantes à domicile) “ Notre spécificité est d’être très réactifs et de faire face à des situations difficiles. Exemple : une personne isolée sans famille, une personne en soins palliatifs (…) C’était une intervention compliquée, exigeant une intervention rapide pour répondre aux vœux de cette personne à revenus modestes. Nous avons des appels d’assistantes sociales qui savent que nous pouvons réussir à avoir des aides en très peu de temps. En moins d’une semaine, la personne était chez elle. Il y a une complicité avec l’assistante sociale, on travaille ensemble depuis des années. ” (Responsable d’une agence d'entreprise d'aide à domicile à Paris, EmE­P1) “ Et il y a un impact sur notre fonctionnement : nous on est en capacité de se saisir de situations très acrobatiques. Dans les hôpitaux, on a la réputation de pouvoir sans délai organiser un service à domicile du jour au lendemain en sortie d'hôpital. On s'est fait une spécialité là­dedans l'aide au pied levé auprès de cas difficiles. ” (Directeur d’une association de près de 300 intervenantes à domicile) Outre le renforcement de l’effet de réputation, l’établissement d’un premier contact, voire la mise en place d’un service d’aide à domicile provisoire précédant la demande de financement, s’avèrent souvent décisifs dans la sélection finale d’un service d’aide à domicile par une personne âgée. “ Il n’y a pas de refus d’intervention. 2 ou 3 cas de réorientation de personnes qui bénéficient de l’aide sociale légale car nous n’avons pas de conventionnement/agrément pour l’aide sociale. Nous avons fait une demande auprès du département. ” (Responsable d’une agence d'entreprise d'aide à domicile à Paris) La réactivité qui se manifeste par une visite à domicile est souvent interprétée comme un premier signe de compétence et de confiance : “ C’est la seule association qui est venue au domicile pour prendre contact, évaluer leur jugement par rapport à nos besoins et expliquer leur intervention. ” (Le mari d’une femme de 81 ans, employeur d’une aide à domicile par l’intermédiaire d’une association mandataire) Cette réactivité permet de se différencier par rapport à une offre avec par exemple des CCAS qui, faute de pouvoir de facturation, ne peuvent intervenir avant l’évaluation et l’autorisation de financement des tutelles. 253 “ Nous ne sommes pas aujourd’hui en capacité d’être réactifs. A savoir qu’on a toute une procédure à suivre quand on a affaire à un bénéficiaire de la CNAV (…) Tant qu’on n’a pas été au bout de la procédure on ne peut pas intervenir. C’est la même chose pour l’APA, sauf pour une APA en urgence (…) Nous ne pouvons pas mettre en place de l’aide facultative puisque nous­mêmes sommes en restriction par rapport à ces dépenses­là et que nous n’avons pas la possibilité de facturer. Par contre une association, en attendant la prise en charge de la CNAV peut tout à fait faire quelques heures en facturant à taux plein l’usager. C’est une faiblesse qui favorise la concurrence. (Responsable du service aide à domicile d’un CCAS). Reste que cette spécialisation dans l’urgence suppose une organisation du travail plus flexible qui a des conséquences sur les conditions de travail des aides à domicile. En effet, cette réactivité implique une disponibilité des aides à domicile et une flexibilité de leur planning qui n’est pas sans poser pour elles la question des contreparties en termes de rémunération et d’équilibre temps de travail/vie familiale. La souplesse et l’acceptation d’intervention pour un nombre d’heures toujours plus faible relève d’un argumentaire similaire de qualité de service pour le client : “ Nous sommes très souples. Nous acceptons d’intervenir pour une heure. A tout moment, s’il y a une incompatibilité, on s’adapte : changement d’intervenante, de nombre d’heures. Mais on reste toujours dans le cadre de la législation du travail. ” (Responsable d’une agence d'entreprise d'aide à domicile à Paris) Dans les deux cas, la mise en avant de la réactivité à tout prix correspond un risque de précarité et de pénibilité des emplois, lié notamment à la fragmentation des heures d’intervention. On peut douter qu’une spécialisation dans des réponses d’urgence dans un cadre plus concurrentiel soit favorable à une amélioration de la qualité de l’emploi (Devetter, chapitre 3). Cette souplesse est plus facile si l’organisation d’aide à domicile peut intervenir à la fois en prestataire et mandataire et jongler avec différentes de modes de financement : “ Dans la gestion de l’APA, l'évaluation de l'équipe médico­sociale n'empêche pas notre propre évaluation. Le problème c'est que tant que les gens n'ont pas obtenu l'APA, ils ne peuvent pas payer. Donc on est amenés à demander l'APA d'urgence. Le système de l'APA est très compliqué car il y a une inertie assez importante et quand il y a urgence on ne peut pas intervenir tant qu'on n'est pas assuré que la personne touchera l'APA. C'est antinomique avec mes objectifs. Mais je ne peux pas prendre le risque de ne pas être payé. ” (Directeur d’une association de près de 300 intervenantes à domicile) Là encore, l’enchevêtrement des modes d’intervention et de financement au moment même de la mise en relation de l’offre et de la demande a sa contrepartie en terme d’instabilité des statuts d’emploi pour les salariés. 254 2.5. PUBLICITE, INTERNET, COMMUNICATION : DE NOUVEAUX OUTILS POUR DEVELOPPER SA CLIENTELE ? Autant le bouche à oreille ou l’inscription dans des réseaux sanitaire et sociaux semblent être les deux canaux d’expression de la demande à peu près partagés par l’ensemble des organisations d’aide à domicile et ce, quel que soit leur statut (CCAS, association, entreprise), autant le recours à la publicité, au traitement de demandes via site Internet et plus généralement à des outils de communication du grand public s’inscrit de manière récente dans les stratégies des organismes d’aide à domicile. Il semble que la mise en place d’une politique de communication soit davantage envisagée dès lors que les opérateurs se situent dans une logique de préservation ou de développement de leur clientèle, qu’il s’agisse des entreprises ou des associations. L’introduction de nouveaux outils de communication est le signe d’un changement dans la qualification des destinataires considérés de plus en plus comme des clients. L’utilisation d’Internet est ainsi mise en avant non seulement comme une voie complémentaire pour susciter et traiter centralement de nouvelles demandes, mais aussi comme un outil de gestion de la qualité. “ L’origine des demandes ? Le bouche à oreille mais aussi, et surtout, l'Internet. Nous avons le site de la fédération, le site de l'annuaire sanitaire et social ” (…) “ Si c'est par Internet, ça arrive à la fédération. Je demande alors aux internautes de préciser le contenu de leur demande pour que je puisse les orienter vers la sectorisation, telle association à proximité de chez eux. ” (EmA –P2) “ Dans les grands magasins il n’existe que 10 % des produits que l’on consommera demain. Dans les services c’est pareil. Plutôt que de dire que je fais de la qualité (car il n’y a pas encore de critère, de juge de paix pour la qualité) donc plutôt que d’afficher çà, je préfère être transparent sur Internet, vous pouvez voir en temps réel ce que j’ai fait et pouvez me critiquer quand vous voulez, alors que même si je suis certifié ISO etc. que pouvez­vous faire ? ” (Directeur général d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile) A l’inverse pour d’autres responsables associatifs, l’utilité d’Internet n’est pas manifeste. Faisant confiance aux réseaux de proximité dans l’expression de la demande, ils illustrent sans doute une culture associative peu familière et pas toujours favorable à la communication commerciale. “ Les demandes ? Pas d'Internet, on est là depuis 30 ans, ça fonctionne par le bouche à oreille. ” (Directeur d’une association de près de 300 intervenantes à domicile) Reste qu’il n’est pas possible d’évaluer quels publics et quels types de services sont ciblés par ces nouveaux outils. Un témoignage laisse à penser que l’Internet semble a priori plus adapté à une clientèle jeune et active demandeur de services de ménage. “ Le site Internet fonctionne surtout pour l’aide ménagère. ” (Responsable d’une agence d'entreprise d'aide à domicile à Paris, EmE­P1) 255 Outre l’utilisation d’Internet, la publicité est aussi utilisée par certaines fédérations ou sociétés commerciales pour promouvoir leurs services et leur organisation. “ Pour fidéliser de nouveaux clients, on fait de la promotion. Ainsi, la campagne actuelle avec les bus aux couleurs de la fédération qui circulent dans plusieurs arrondissements. Par exemple ouverts sur les places de marché avec des plaquettes, des encadrants. ” (Directrice d’une fédération régionale d’environ 250 intervenantes à domicile) “ Nous (la société et l’agence) avons eu plusieurs communiqués de presse et articles (Figaro, le Monde, les Echos…). Distribution de flyers dans les boîtes aux lettres. Encarts de publicité dans la presse locale. ” (Responsable d’une agence d'entreprise d'aide à domicile) Tout comme la gestion des demandes via Internet, la publicité ne semble abordable que pour les organisations appartenant à des regroupements d’associations ou d’entreprises à même de mobiliser suffisamment de ressources. Ces nouveaux outils s’inscrivent dans une politique de communication souvent définie à l’échelle nationale pour se faire connaître dans le secteur ou sur un nouveau territoire. D’autres responsables d’associations d’aide à domicile prennent conscience du déficit de communication sur leurs services, mais ne semblent pas avoir de véritable stratégie en la matière. Cette reconnaissance de la trop faible visibilité des valeurs et des spécificités des associations historiques auprès du grand public s’exprime souvent en réaction à la campagne médiatique qui a entouré la mise en place du plan Borloo. “ Cette autre image de la prestation qu’introduit le CESU. C’est la facilité, la vulgarisation de l’existence des services. Et ça c’est nouveau, je n’ai jamais connu ça. On nous a toujours rétorqués et on était alors silencieux quand les pouvoirs publics nous disaient que nous n’étions même pas capables d’être lisibles et visibles, on se taisait et on disait d’accord et c’est pour ça qu’on a fait un observatoire. La vulgarisation d’une lisibilité due à une communication médiatique forte, à une ouverture au lucratif (…) même si c’est moins complexe au niveau administratif, mais tellement plus complexe de pouvoir se faire un jugement sur qui est bon qui n’est pas bon, de quel côté dois­je aller, tout le monde fait tout et n’importe quoi, tout le monde fait tout puisque j’ai des tracts dans ma boîte régulièrement. Où vais­je aller, etc. ? (Directeur d’association) “ Quand on voit la liste des services que souhaite développer le plan Borloo, on peut dire que l’on était avant­gardistes. Sauf que ces services ont un coût…2 ans après la loi Borloo fin 2005, Numéro Vert etc., le temps que se fasse toute la communication autour de ces services, nous on n’a pas pu bénéficier du support médiatique qu’ont eu ces services avec la loi Borloo. Quand on proposait nos services, on manquait de support d’accompagnement (…). On a manqué de support médiatique mais aussi de support des services sociaux des caisses de retraite qui maintenant en parlent à leurs assurés, proposent les chèques liberté, etc. A l’époque pour le client il fallait tout payer ”. (Directrice générale d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile) Reste que l’image donnée du secteur par les dispositifs (ANSP, Chèque Emploi Service Universel) du plan Borloo, qui a pu apparaître comme une campagne nationale de communication en faveur 256 des services à la personne, est parfois jugée trop peu favorable au mode d’intervention prestataire par rapport à l’emploi direct. “ Le Cesu ? Plus de communication mais il encourage le gré à gré et maintient de la précarité. ” (Directeur d’une entreprise employant une vingtaine d’intervenantes à domicile) “ Enfin une politique volontariste de développement de services. Mais la communication (de l’ANSP) privilégie beaucoup trop le gré à gré, la Fepem et le CESU. Il faut une approche plus équilibrée. ” (Directeur d'une fédération associative). Le sentiment qu’au nom du libre choix, la communication du plan Borloo met sur un pied d’égalité les différents modes d’intervention sans suffisamment souligner leurs différences favorise plutôt l’emploi direct tient aussi à l’insistance sur les avantages pratiques (simplification administrative et prise en charge de tout ou partie du coût) du Cesu pour les particuliers‐employeurs15. En revanche, les expériences de versement de tout ou partie de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) sous forme de titres CESU par certains Conseils généraux (Pyrénées‐Orientales) ne sont pas mentionnées. Au final, si l’utilisation de politique de communication et d’outils marketing dans la mise en relation de l’offre et de la demande reste encore balbutiante pour les organismes d’aide à la personne, elle soulève autant d’interrogations qu’elle ne résout de problèmes. Dans quelle mesure vise‐t‐elle au développement de nouvelles clientèles infléchissant la relation de service vers une relation plus commerciale ? Cette question renvoie à celle du contenu de l’information aux usagers et à la capacité des acteurs historiques de l’aide à domicile à communiquer sur leurs valeurs et leurs spécificités. Enfin, Internet et la publicité supposent des investissements difficilement accessibles aux petites structures de services non affiliées à une fédération ou à un groupe. 2.6. LES ENSEIGNES, UN DISPOSITIF CONTESTE DE MISE EN RELATION DE L ’OFFRE ET DE LA DEMANDE Selon le plan Borloo, la transformation de services à la personne en véritable “ secteur économique ” passe par la constitution d’enseignes nationales dont les objectifs étaient, comme le rappelle l’ANSP, de “ structurer l’offre ”, de “ développer la professionnalisation ” et de “ garantir des prestations de qualité ”16. Les enseignes n’étant ni financeur, ni prestataire de services, leur positionnement se situe bien dans la mise en relation de l’offre et de la demande. Elles se sont donc instituées comme un 15 Voir par exemple la présentation le site de l’URSAFF sur le chèque emploi service universel http://www.cesu.urssaf.fr/cesweb/ces1.jsp. 16 Les enseignes de services à la personne, site http://www.servicesalapersonne.gouv.fr/spip.php?rubrique11&id_article=20. Internet ANSP, 257 nouvel intermédiaire entre les services, leur destinataire ou leur entourage. Si elles peuvent avoir un rôle d’information et de conseil, notamment sur les différents dispositifs de financement et l’utilisation du CESU, elles sont supposées faciliter l’accès à des prestations de services par le référencement d’organismes de services à la personne sur la base d’un engagement de qualité. Reste que les enseignes entretiennent dans leur présentation une logique d’indifférenciation des services (de confort et de maintien à domicile), des publics (fragiles et non fragiles) et des modes d’intervention. Pourtant, leur clientèle semble davantage composée de familles actives avec enfants que de personnes âgées en perte d’autonomie (Gardin, Chapitre 6). Dispositif d’intermédiation récent, il est encore apparaître d’autant plus prématuré d’en évaluer l’action. Le faible nombre d’entretiens avec des personnes aidées qui généralement ne sont pas passées par des enseignes ne permet pas l’appréciation des enseignes côté demande. En revanche, les jugements sont plus explicites chez les responsables des organismes d’aide à domicile et les acteurs des régulations. Globalement, ils sont sceptiques et critiques. Sceptiques par la faible visibilité de l’action des enseignes. “ La lenteur de la montée en charge de leur activité ” et la “ difficulté à percevoir ce qu’elles font ” (Directeur d'une fédération associative) introduisent un sérieux doute dans la capacité de ces nouveaux intermédiaires à devenir le pivot de la structuration du secteur. “ On est sur un marché avec dans les années à venir une régulation par le marché. Je pensais que les enseignes allaient être un levier. On n’a pas de contact avec les enseignes (…) Les enseignes devaient être un moyen de booster le secteur, mais elles ne l’ont pas boosté ”. (Chargée de mission DRTEFP) La circonspection globale des acteurs de la régulation se transforme en critique plus manifeste chez les responsables de services d’aide à domicile. La plupart des acteurs associatifs interviewés ont adhéré à une enseigne nationale, le plus souvent par l’intermédiaire de leur fédération. La principale critique porte d’abord sur leur efficacité au regard de leur objectif de mise en relation de l’offre et de la demande. Les enseignes s’avèrent être faiblement prescripteurs pour les associations comme pour les entreprises d’aide aux personnes âgées. Le nombre de personnes orientées via ce dispositif reste pour le moment marginal. “ J’ai adhéré aussi pour gagner en visibilité en espérant que ça marche. Mais pour l’instant c’est un canal faible… ” (Directeur général d’une association employant plusieurs centaines d’intervenantes à domicile) “ On est depuis 2 ans sur une enseigne qui ne nous ramène rien. Trois demandes depuis le début de l'année ! ” (Directeur d’une association de près de 300 intervenantes à domicile) “ La fédération fait partie d’une enseigne. On a joué le jeu du plan Borloo. Avec l’UNCASS et la mutualité. Cela ne fonctionne pas bien comme toutes les enseignes (…) On n’est pas dans du dépannage téléphonique. L’enseigne n’est pas un prescripteur pour les associations de la fédération. ” (Directeur d'une fédération associative) La faiblesse des demandes relayées par les enseignes s’explique parce qu’elle porte moins sur l’aide aux personnes âgées que sur des services (repassage, ménages, baby‐sitting, soutien scolaire, etc.) pour des ménages actifs. 258 “ Nous faisons partie de l’enseigne qui est la plate­forme d’une fédération associative. 8 sollicitations sur les mois de mars, avril et mai dont trois gardes d’enfants (ce que nous ne faisons pas). Nous sommes très critiques. Il y a aucun suivi et peu de contact avec la plate­
forme. Il y a peu de demandes et souvent décalées par rapport à notre cœur de métier. ” (Directrice et nouveau responsable d’une association mandataire) La faible visibilité et efficacité des résultats des enseignes conjuguée parfois à une méfiance associative vis‐à‐vis de ce nouveau dispositif conduit à une critique plus franche de leur place d’intermédiaire et du modèle économique qui les sous‐tend. Les ressources qu’elles mobilisent sont jugées inefficientes au regard des besoins du secteur en matière de formation, voire de financement d’heures. “ Nous ne sommes pas convaincus par la formule. On a investi de l’argent dans des structures intermédiaires qui devraient aller à la formation des intervenantes et non dans les enseignes. Nos clients viennent par le bouche à oreille, l’enseigne n’est pas adaptée, on nous rajoute une couche avec un bilan pas génial sur le plan quantitatif. ” (Directrice et nouveau responsable d'une association mandataire). Alors qu’elles devaient faciliter la régulation du marché en introduisant plus la transparence, on leur reproche au contraire d’ajouter de l’opacité dans le secteur en allongeant la chaîne des intermédiaires entre l’intervenant et la personne aidée : “ Moi je suis convaincu que les enseignes ne servent à rien, sauf à compliquer le paysage. Borloo avait cru le contraire : que les gens n'avaient pas de visibilité alors que les gens peuvent s'adresser à la mairie très facilement. ” (Directeur d’une association de près de 300 intervenantes à domicile). L’échelle d’implantation d’enseignes qui ont d’abord été conçues au niveau national, peu ou mal articulé avec des réseaux d’échange de proximité et les plates‐formes locales déjà existantes, est d’ailleurs jugée peu pertinente. “ Il aurait fallu jouer sur les fédérations départementales et sur les spécialistes du téléphone à distance. C’est vrai de toutes les plates­formes. Il faut ramener les enseignes à un niveau de proximité au plus près des structures. ” (Directeur d'une fédération associative). “ A terme, il y aura sûrement des regroupements (…) Mais, il existe aussi des plates­formes avec un maillage territorial plus fort et des relations personnalisées sur un territoire. ” (Chargée de mission DRTEFP). Implicitement, c’est le modèle de fonctionnement industriel de mise en relation de l’offre et de la demande qui est contesté. La formalisation et la codification de l’information que devaient introduire les enseignes nationales ne semblent pas se traduire par la révélation massive de nouvelles demandes de services aux personnes âgées. Partant de l’hypothèse que la dispersion de l’offre était un des principaux freins à la demande, les enseignes ne se sont pas construites en articulation aux réseaux existants de mise en relation de l’offre et la demande, mais ont souvent été présentées comme une alternative. Faute d’avoir pris en compte l’importance de la médiation des réseaux sociaux et professionnels dans l’identification et la sélection d’un intervenant à domicile, les enseignes se sont ajoutées comme un niveau d’intermédiation 259 supplémentaire complexifiant la mise en relation de l’offre et de la demande. Les dispositifs impersonnels d’intermédiation ne peuvent faire l’économie des dispositifs personnels sans produire de l’opacité. Il est d’ailleurs intéressant de constater que pour certains organismes d’aide à domicile le rattachement à une enseigne ne semble pas être une priorité. Ils comptent sur d’autres intermédiaires pour orienter les personnes vers leurs services. Cela semble être le cas des CCAS. S’inscrivant dans une régulation tutélaire, leur principal prescripteur reste les mairies qui demeurent pour le citoyen un des interlocuteurs les plus légitimes vers lequel se tourner cas d’aide. Même si l’UNCASS participe à une enseigne nationale, les responsables de CCAS ne semblent pas toujours être au courant. “ En ce qui concerne le rattachement à une enseigne, il y a un projet avec d’autres réseaux ”. (Responsable du service aide à domicile d’un CCAS à Paris). Moins soumis à la pression de la concurrence, ils ne semblent pas en faire un élément stratégique de leur développement. Mais la faible intégration des prestataires dans les enseignes concerne aussi de nouveaux entrants. Certaines entreprises de services aux personnes âgées préfèrent gérer directement l’information, l’accueil et la communication vis‐à‐vis des clients en proposant à leurs agences une centralisation au siège des appels et des demandes. La maîtrise de la communication et de la relation avec le client semble être indispensable pour la visibilité et la réputation des nouveaux services sur le marché. CONCLUSION Il n’est pas sûr que la multiplication des dispositifs d’intermédiation, de la détection d’un besoin d’aide à l’identification et à la sélection d’un service, soit aujourd’hui un facteur de cohérence du secteur des services à la personne. La coexistence d’un nombre croissant d’intermédiaires (famille et entourage, professionnels de santé, équipes médico‐sociales des départements, évaluateurs externes, agents des plates‐formes et enseignes de service, responsables d’organismes de services à la personne) entre le destinataire final du service et l’intervenant à domicile renvoie à l’accumulation des réformes qui ont successivement tenté de structurer le secteur des services à la personne (Gardin, chapitre 6). Loin de clarifier ses contours, elles génèrent des tensions quant à la qualification les destinataires de ses services selon qu’elles privilégient une logique d’action sociale (APA, Loi 2002) ou de création d’emplois (Aubry, Plan Borloo). La distinction entre personnes fragiles et non fragiles pourrait être le référentiel structurant pour hiérarchiser les dispositifs de mise en relation de l’offre et de la demande, notamment parce qu’elle implique ou non la médiation d’une tierce personne dans la qualification des besoins. Pourtant, le nombre inégal d’intermédiaires intervenant dans l’évaluation de la demande ne dépend pas uniquement de la perte d’autonomie de la personne aidée, mais aussi du mode d’intervention et de la solvabilisation du service. Situation instable qui s’avère plus ou moins équitable selon que la personne aidée peut ou non pallier aux obligations de l’allocataire par les avantages de contribuable. 260 Discriminante pour l’attribution d’une allocation, la référence à l’aide et à l’accompagnement de personnes fragiles n’a pas été un frein à la mise en concurrence progressive des services d’aide à domicile et des modes d’intervention. A ce niveau la situation française diffère de la situation belge où l’instauration d’un quasi‐marché a été limitée aux services de ménages délivrés dans le cadre du titre service, ce qui exclut l’aide familiale aux personnes âgées, malades ou handicapées, en difficulté pour accomplir tous les actes de la vie quotidienne. En France, les ambivalences liées à la formulation d’une demande d’aide à domicile par une personne en perte d’autonomie n’ont pas été jugées comme incompatible avec un discours sur le « libre choix » qui a trouvé une traduction concrète avec la mise en place de l’APA, puis le plan Borloo. Ou plutôt l’intervention d’un tiers professionnel (équipe médico‐sociale) dans la qualification des besoins ainsi que l’apparition de nouveaux dispositifs (enseignes, agrément, certification) de qualification de l’offre ont été présentées comme des garanties suffisantes pour restaurer la capacité à choisir un service ou une intervenante. Mais même lorsque l’intervention d’un tiers‐évaluateur est formalisée dans un dispositif professionnel, comme les équipes médico‐sociales dans le cadre de l’APA, la stricte séparation entre la qualification du besoin et la mise en place du service ne constitue pas une garantie de « libre choix » d’un mode d’intervention, notamment pour une personne fragile. Les profils des équipes médico‐sociales, les options politiques des conseils généraux, les coopérations et négociations entre réseaux médico‐sociaux et les services d’aide à domicile dans la qualification de la demande sont autant de facteurs qui influencent de manière plus ou moins explicite l’identification et la sélection d’un mode d’intervention à domicile. En outre, le caractère universel ou généraliste des nouveaux dispositifs visant dans le cadre du plan Borloo à formaliser la mise en relation de l’offre et de la demande selon des conventions plus marchandes et industrielles (enseignes nationales, Cesu, certification) est pour le moins discutable. Souvent présentés comme « tout public », ils opèrent dans la pratique des segmentations de clientèles. Envisageable pour les ménages actifs, l’usage de technologies d’information et de procédures standardisées s’avère d’autant plus problématique pour les personnes fragiles qu’il n’est pas arrimé aux vecteurs de confiance que constituent leurs réseaux personnels de proximité. Ces médiations souvent informelles de proches ou de professionnels de santé participent à la personnalisation de la mise en relation de service. Cet encastrement relationnel de l’évaluation du besoin comme de la sélection d’un service d’aide à domicile rend problématique les tentatives de construction d’un marché sur la base de dispositifs impersonnels. La généralisation de procédures de qualification de l’offre par agrément, certification ou labellisation qui pourrait réguler la concurrence en permettant une hiérarchisation des services n’a pas encore fait ses preuves. La standardisation de la qualité à travers des contrôles et des normes ne constitue pas aujourd’hui pour les destinataires un signal discriminant à même de justifier les différences de prix entre modes d’intervention. Dans ce contexte, les services qui investissent dans la qualité du service pour les utilisateurs tout en ayant le souci d’améliorer la qualité de l’emploi pour les intervenantes au domicile risquent d’être pénalisés à court terme s’ils ne sont pas en mesure de couvrir le coût de la qualité par un prix garanti ou un volume d’heures suffisants. Le respect des multiples prescriptions relatives aux différentes procédures d’autorisation et/ou de certification souvent présentées comme un 261 élément fort de différenciation d’un service peut s’avérer insuffisant pour se mettre à l’abri de la concurrence des modes d’intervention les moins régulés comme l’emploi direct en gré à gré. 262 BIBLIOGRAPHIE Butté‐Gérardin I., 1999. L’économie des services de proximité aux personnes. L’Harmattan, Logiques de gestion, Paris. Campéon A., Le Bihan B., 2006. Les plans d’aide associés à l’Allocation Personnalisée Autonomie (APA) Le point de vue des bénéficiaires et de leurs aidants. Etudes et Résultats, n°461. CNAV, 2006. Circulaire n° 2006/25 du 27 mars 2006 circulaire n° 2006/25 du 27 mars 2006. Debons P., 2006. Les services à la personne, Réglementations, financement, organisation, Juris associations, Paris. Ennuyer B., 2006. Repenser le maintien à domicile, Enjeux, acteurs organisation, Paris, Dunod, Paris. Gounouf M‐F., 2001. 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Des fournisseurs de services de plus en plus diversifiés et nombreux ......................... 276 2.1. Le gré à gré : encouragements politiques et distorsion de concurrence ........................... 277 2.2. L’historicité du champ associatif ....................................................................................................... 278 2.3. L’entrée des entreprises commerciales .......................................................................................... 282 2.4. Les Centre communaux d’action sociale (CCAS) cantonnés à certains territoires ........ 284 Conclusion : une offre diversifiée aux contraintes différentes ...................................................... 285 III. Des modes de régulation non stabilisés .................................................................................. 286 Introduction ........................................................................................................................................................ 286 3.1. Des politiques tendant vers une régulation concurrentielle .................................................. 287 3.2. Une régulation tutélaire en retrait .................................................................................................... 289 3.3. Une régulation conventionnée encore limitée ............................................................................. 292 Conclusion ................................................................................................................................................. 297 Bibliographie ........................................................................................................................................... 301 1 Réseau 21, Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis ; Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Cnam – CNRS, Paris). 264 INTRODUCTION A travers l’actualisation des modes régulation dans l’aide à domicile et les services à la personne, ce dernier chapitre propose d’approfondir l’analyse des politiques publiques à l’œuvre dans ces domaines, et la manière dont les acteurs du champ interviennent dans la définition et la réalisation de ces politiques. A partir de l’approche de l’encastrement des marchés telle que l’a développé Karl Polanyi, il s’agit d’étudier non seulement les objectifs, la cohérence et l’efficacité des politiques publiques s’exerçant dans ce secteur mais aussi l’action des associations et des entreprises qui agissent sur ces politiques publiques. Historiquement, services de l’aide à domicile et services à la personne ne sont pas nés à partir d’une logique marchande mais à partir de démarches d’entraide ou de charité relayées ensuite par l’action des pouvoirs publics. Aujourd’hui, si la marchandisation de ces services apparaît de plus en plus à l’ordre du jour, la perspective d’un nouveau marché est l’objet d’une construction institutionnelle où les pouvoirs publics jouent un rôle moteur à travers la solvabilisation des particuliers et la mise en place d’une offre concurrentielle… Quatre grands types de régulations ont été repérés pour les services de proximité (Laville, 1996) et notamment l’aide aux personnes âgées (Laville, Nyssens, 2001, p. 233‐255) : une régulation tutélaire où les pouvoirs publics jouent un rôle central dans le financement des services, dans la définition des professions, des publics… Elle s’est particulièrement développée avec la construction des États‐providence. Une régulation de traitement social du chômage et d’insertion qui s’est construite au milieu des années 80 avec l’objectif de répondre à la fois aux enjeux de la création d’emplois et aux demandes sociales insatisfaites. Une régulation concurrentielle subventionnée qui a cherché à introduire une certaine concurrence entre les prestataires de service et à solvabiliser l’usager. Une régulation conventionnée, enfin, co‐
construite entre pouvoirs publics et services afin de mieux prendre en compte ses spécificités et les enjeux auxquels ils s’attaquent. Ainsi, les secteurs de l’aide à domicile et des services à la personne connaissent des évolutions importantes dans leur régulation du fait de la mise en œuvre de nouvelles politiques publiques. Celles‐ci ont des objectifs spécifiques, centrés prioritairement soit sur l’aide à l’autonomie des personnes dépendantes, soit sur la création d’emplois de services. Ces mutations ont un impact sur l’organisation des services qui sont rendus selon différentes modalités. Les rapports de gré à gré, dans lesquels le particulier est employeur de l’intervenant à domicile, sont majoritaires. Les autres types d’organisations se situent dans un cadre collectif et sont composées des associations qui ont un rôle et positionnement historiques sur ces activités ; du secteur public, à travers les centres communaux d’action sociale (CCAS), voit son importance diminuer et se limiter à certaines activités et à certaines collectivités locales ; les entreprises commerciales qui peuvent intervenir sur une partie de ces activités depuis 1996, et qui poursuivent leur expansion. 265 Ces évolutions des politiques publiques comme des acteurs qui rendent ces services questionnent les types de régulation à l’œuvre : dans quelle mesure s’achemine‐t‐on vers la construction d’un nouveau marché ? Les politiques locales accompagnent‐elles cette construction d’un nouveau marché ? Sont‐elles dans d’autres modes de régulations plus traditionnels hérités des rapports construits antérieurement avec les acteurs associatifs ? Ou s’engagent‐elles sur de nouvelles dynamiques prenant en compte les spécificités des acteurs associatifs qui sont alors à préciser ? Avant de répondre à ces questions (§ III), il conviendra dans une première partie de mettre en évidence la sédimentation des politiques publiques dans perspective historique et dans une deuxième d’analyser l’évolution de l’organisation des services. I. LA SEDIMENTATION DES POLITIQUES PUBLIQUES Les politiques publiques en direction de l’aide à domicile et des services aux personnes se sont succédé depuis la seconde guerre mondiale et plus particulièrement depuis les années 80. Elles ont des objectifs différents, axés soit sur la réponse aux besoins de services de personnes spécifiques, soit sur la création d’emplois. 1.1. L’EVOLUTION DES POLITIQUES DEPUIS LA SECONDE GUERRE MONDIALE Depuis l’après Seconde Guerre mondiale, on peut distinguer quatre types de politiques publiques s’appliquant aux services à la personne. Si l’on s’intéresse plus particulièrement à ceux se réalisant à domicile, on note tout d’abord une période d’institutionnalisation des activités initiées dans le cadre de services associatifs nés dans les années 40 et issus de mouvements sociaux (Jeunesse ouvrière chrétienne, Mouvement populaire des familles, Jeunesse d’action catholique, Mouvement familial rural, Confédération générale des familles…). Ces services sont centrés sur la famille. Fonctionnant au départ grâce à l’entraide et au bénévolat, ils donneront naissance à la profession de travailleuse familiale reconnue officiellement en 1949. La signature de conventions‐types avec l’Union nationale des caisses d’allocations familiales (Uncaf) viendra encadrer et financer ces activités. Suite au Rapport Laroque de 1962 sur les personnes âgées, cette reconnaissance de métiers et de financements publics s’étendra aux personnes âgées avec l’émergence de la profession d’aide‐
ménagère. Une prestation d’aide ménagère aux personnes âgées sera mise en place par la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnavts) en 1965. Ces politiques relèvent de la Sécurité sociale et de la construction de l’Etat providence sous un régime corporatiste. Les personnes sont protégées suivant leur appartenance professionnelle. Jusque dans les années 80, ce système s’étend avec la reconnaissance de nouvelles professions intervenant à domicile. Ces politiques adoptent une régulation tutélaire, encadrent les professions et financent les prestataires de service qui sont principalement associatifs. La deuxième période est liée à la montée du chômage et au développement de politiques actives pour l’emploi et l’insertion par l’activité économique. Les dispositifs de traitement social du chômage vont peu toucher ce champ. Les emplois aidés tels les Travaux d’utilité collective (Tuc) qui apparaissent en 1984 sont destinés aux services d’utilité collective ; Tuc, Contrats emploi 266 solidarité (CES), emplois‐jeunes seront utilisés sur les postes relevant de l’administratif ou de développement, mais n’intervenant pas au domicile des personnes. En 1987 vont être reconnues les associations intermédiaires qui ont un double objectif d’insertion de personnes en difficultés et de création de nouvelles activités dont, bien sûr, les services aux personnes. Les associations intermédiaires trouvent leur origine dans des initiatives de la société civile. Elles fonctionneront en marge de la légalité avant leur reconnaissance par les pouvoirs publics qui mèneront une politique volontariste de couverture de l’ensemble du territoire national par ces structures. En 2005, 75 % des 160 000 salariés mis à disposition par une association intermédiaire dans l’année, l’ont été chez un particulier. La moitié des 30 millions d’heures travaillées par les salariés des associations intermédiaires ont été effectuées dans le cadre de mises à disposition auprès de particuliers (Dares, 2007, p.1) et 43,1 % comme employés de maison. En 2005, des accords sont conclus entre l’Etat et les grandes fédérations associatives pour que les salariés sous contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE), qui succèdent aux CES, puissent intervenir au domicile des usagers. C’est une rupture par rapport aux politiques antérieures. Toutefois, ces accords auront des traductions concrètes limitées. Il existe une difficulté à poursuivre à la fois des objectifs d’insertion professionnelle de personnes en difficulté et de réponses à des demandes insatisfaites de personnes en situation de fragilité (personnes en perte d’autonomie, jeunes enfants…). Les métiers de l’aide à domicile nécessitent une pluralité de compétences pas toujours compatibles avec les logiques de réinsertion par le travail. En conséquence, les associations intermédiaires ne peuvent bénéficier de l’agrément qualité. Alors que ces politiques se sont, jusque là, développées dans un contexte où l’offre de service était majoritairement associative, des inflexions dès le milieu des années 80 apparaissent. Le financement direct de l’offre de service fait place à des politiques toutes axées sur la solvabilisation de la demande. En 1987, des exonérations de charges sociales patronales sont accordées pour l’emploi d’aide à domicile par des personnes handicapées ou âgées de plus de 70 ans. Ces dispositions, comme la loi sur les emplois familiaux, lancée par Martine Aubry en 1991, permettant à tout particulier employeur d’emplois familiaux de bénéficier de réductions d’impôts, favorisent le développement de l’emploi de gré à gré. L’instauration à partir de 1993 du chèque emploi‐service (Ces) simplifie les tâches administratives pour l’emploi de gré à gré et renforce le développement de celui‐ci. A partir de 1996, les clients des organismes de services bénéficient également des réductions d’impôts. Les entreprises privées se voient aussi la possibilité d’offrir des services. Des agréments – simples et qualité – sont parallèlement mis en œuvre pour réguler le champ qui s’ouvre alors à la concurrence. Les politiques publiques contribuent, on le voit, à l’émergence d’une pluralité d’offres, entre acteurs associatifs, privés, publics et l’emploi de gré à gré. Les entreprises tardent toutefois à investir ces activités ; en 2001, cinq années après la possibilité qui leur est offerte d’investir ces activités, elles ne sont que 238 à embaucher 3 462 salariés ayant travaillé 935 600 heures, soit 1 % des salariés pour 0,5 % des heures réalisées (voir chapitre 2). Toutefois, cette régulation concurrentielle connaîtra, on y reviendra, un nouvel essor avec le Plan Borloo de 2005. En 2002, d’autres politiques d’orientation plus sociale, comme la loi 2002‐2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico‐sociale donnent un cadre aux structures intervenant auprès des personnes dépendantes. Après avoir géré la prestation spécifique de dépendance (PSD), les Conseils généraux se voient confier la gestion de l’allocation prestation d’autonomie (APA) en 2002. L’APA donne les moyens d’une prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées qu’elles soient en établissement ou à domicile. Elle permet le recours à des services 267 prestataires comme à des intervenants, dans le cadre de rapports de gré à gré, au choix des usagers. Toutefois, Laurent Fraisse l’a montré dans le chapitre précédent, les Conseils généraux ont les moyens d’influer sur le type de prestataires qui sera retenu à travers le coût de l’heure qu’ils choisissent de couvrir. Les Conseils régionaux interviennent également, notamment par une politique de soutien à la création d’activités. Les Conseils régionaux en effet, peuvent favoriser l’émergence, la consolidation et la professionnalisation de ces services dans des orientations visant à soutenir l’économie sociale et solidaire. Ces politiques s’orientent davantage vers une régulation conventionnée. En rupture avec ces dernières réorientations, la loi n° 2005‐841 du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne, aussi dénommée Plan Borloo, introduit différents dispositifs qui favorisent nettement le développement d’une régulation concurrentielle. En instaurant le chèque emploi‐service universel (Cesu) la loi offre la possibilité aux personnes qui y recourent, de devenir employeur ou de choisir le prestataire de services (voir infra). La création de grandes enseignes vise en outre à rendre plus lisible l’offre offerte par les associations et les entreprises, en favorisant leur regroupement et leur coopération avec d’autres acteurs des services (mutuelles, banques…). Tableau 1. Chronologie des politiques publiques en direction des services à domicile Fin des années 40 Signature de convention type avec l’Union nationale des Caisses d’allocation familiale Reconnaissance de la profession de travailleuse familiale (1949) Années 60 Rapport Laroque (1962)
Prestation d’aide ménagère aux personnes âgées sera mise en place par la CNAVTS (1965) Années 80 Reconnaissance des associations intermédiaires (1987)
Mise en place des associations mandataires (1987) Années 90 Création des emplois familiaux et déductions d’impôts aux particuliers‐
employeurs (loi Aubry de 1991) Expérimentation et reconnaissance du chèque emploi‐service (1994‐95) Politique régionale pour le développement des services de proximité de la Région Nord Pas‐de‐Calais (1996) Années 2000 Loi n°2002‐2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico‐sociale. Mise en place de l’Allocation personnalisée d’autonomie (2002), gérée par les Conseils généraux, elle succède à la prestation spécifique dépendance. Loi Borloo de 2005 : Création de l’ANSP, du Chèque emploi‐service universel, 268 lancement des enseignes. La compréhension des politiques publiques qui soutiennent le champ des services aux personnes est particulièrement complexe car toutes les politiques qui viennent d’être brièvement présentées continuent le plus souvent de co‐exister. On assiste à une juxtaposition de politiques publiques intervenant suivant des critères qui leur sont propres et qu’il est nécessaire maintenant approfondir. Pour actualiser les régulations à l’œuvre dans ce champ, nous proposons, dans ce qui suit, d’explorer les politiques mises en œuvre depuis les années 2000 en distinguant celles centrées sur l’accès d’usagers ‐personnes dépendantes‐ à des dispositifs d’accès à l’autonomie, de celles fondées sur des objectifs de créations d’emplois. Il sera ensuite possible d’analyser les conséquences de ces politiques sur les acteurs du secteur. 1. 2. DES POLITIQUES SOCIALES LIEES A L’AUTONOMIE DES PERSONNES DEPENDANTES 1.2.1. L ES CONSEILS GENERAUX : UNE PLACE DE PLUS EN PLUS IMPORTANTE Les Conseils généraux ont, depuis la loi sur l’Allocation personnalisée d’autonomie, un rôle croissant dans le financement de ce secteur. L’APA s’applique aux personnes de 60 ans ou plus en situation de perte d'autonomie, nécessitant une aide pour les actes essentiels de la vie. L'attribution de l'APA n'est pas liée à une condition de ressources. Toutefois ces dernières sont prises en compte lors de l'établissement du montant attribué. A la différence de la prestation spécifique dépendance (PSD) que l’APA a remplacée, les sommes versées au titre de l'APA ne font pas l'objet de récupération sur la succession du bénéficiaire. Avec ce dispositif, ce sont les Conseils généraux qui jouent un rôle central dans le financement de l’aide à domicile. Les caisses de retraite, la Cnav notamment, qui sont en charge du financement de l’aide pour les personnes les moins dépendantes, se désengagent de plus en plus de leur financement. Elles financent l’intervention de service d’aide ménagère venant à domicile et se chargeant d’apporter une aide matérielle pour des tâches quotidiennes d'entretien, des soins d'hygiène sommaire, des courses, des démarches simples et courantes que l’usager ne peut accomplir, une présence attentive. Le nombre d'heures attribuées est fonction des besoins et des possibilités du service. Les personnes concernées ont au moins 65 ans (60 ans en cas d'inaptitude au travail) et ont besoin d'une aide matérielle en raison de leur état de santé pour accomplir les travaux domestiques de première nécessité pour permettre de rester à leur domicile ou dans un foyer logement. En recentrant l’action sociale sur le maintien de l'autonomie des retraités fragilisés classés en GIR 5 et 6 (peu ou pas dépendants et non éligibles à l'allocation personnalisée d'autonomie), la Convention d’objectifs et de gestion 2005‐2006 de la Cnav prévoit que les financements consacrés à l’aide ménagère passent de 240 à 192 millions d’euros entre 2005 et 2008 (IGAS, 2006, p.2/6). De fait, les fonds des caisses retraites apparaissent de plus en plus limités. 269 « Il y a un désengagement de la CNAV. (…) Les relations sont tendues avec la CNAV. Elle considère que la prise en charge des personnes âgées dépendantes, c’est l’APA. Il y a un recentrage vers des personnes moins dépendantes, GIR 5 et 6. Sur des interventions qui ne sont pas de l’aide à domicile (ergothérapie…). l’enveloppe est gelée. Les enveloppes ont fondu ces dernières années. Cela représente plus que 25% des activités de la fédération alors qu’il y a 10 ans le financement Cnav représentait 60% de l’activité. » (Régulateur associatif) 1.2.2. L A RECONNAISSANCE DE L ’ AIDE A DOMICILE DANS LE CADRE DE L ’ ACTION SOCIALE En délivrant des autorisations (cf. 3.3.2), la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico‐sociale, a donné un fondement légal à l’aide à domicile, qui n’en avait pas jusque‐là (dans le cadre de la loi de 75, les services d'aide à domicile n'étaient pas autorisés, mais habilités à l'aide sociale, etc.) et a permis aux services d'aide à domicile en système prestataire d'être reconnus comme institution sociale et médico‐sociale. Cette autorisation est plus exigeante que l’agrément mais l’intérêt pour son obtention décline. « Il y a l’autorisation de fonctionner après passage en CROSS. On demande plus de pièces que pour l’agrément qualité. Les structures se sentent plus reconnues. » (Régulateur public). « Avant, il y avait beaucoup de dossiers d’autorisation, maintenant c’est beaucoup de dossiers d’agrément. » (Régulateur public). En effet, l’autorisation permettait le conventionnement entre Conseils généraux et organismes associatifs ainsi qu’une meilleure négociation des tarifs. « Avec la loi du 2 janvier 2002, les tarifs se négocient aussi : les services d’aide à domicile deviennent des établissements sociaux et médico­sociaux : donc pour que les allocataires de l’APA puissent passer par des services que le Conseil général va conventionner, il faut une demande d’autorisation au Conseil général. Il faut alors remplir les obligations de la loi du 2/01/2002, c’est­à­dire que l’on rentre dans la réglementation des établissements sociaux et médico­sociaux. Les fédérations d’associations en 2002 ont réussi à négocier çà en pensant par ce biais refermer la porte aux entreprises du côté des publics fragiles. Ils croyaient avoir gagné. » (Association) 1.2.3. L A POSSIBILITE DE RECOURS A DES PRESTATAIRES MULTIPLES Si les services d’aide à domicile ont trouvé une reconnaissance dans le champ de l’action sociale, les personnes recevant l’APA du Conseil général ne sont pas obligées de faire appel à leur service. Elles peuvent recourir à tout type d’organisme ayant l’agrément qualité et devenir employeur des personnes intervenant à leur domicile. Les entreprises commerciales ont pu faire leur entrée dans le marché des services aux personnes en 1996 mais la loi 2002‐2 tendait à privilégier les organismes habilités pour les personnes fragiles. Avec l’agrément qualité rénové, en 2005, dans le cadre du Plan Borloo, l’Etat a réouvert la possibilité aux entreprises, au nom du libre choix du client et du consommateur d’accéder aux publics fragiles. « Donc depuis janvier 2006, toutes les structures (associations ou entreprises) ont le libre choix pour accéder aux publics fragiles de passer soit par l’autorisation du Conseil général, 270 soit par le cahier des charges de l’agrément qualité de la DDTEFP (c’est le droit d’option). Donc, on voit des départements où plus personne ne passe par l’autorisation. D’autant que l’on peut faire le tarif que l’on souhaite si l’on passe par l’agrément. » (Association). Depuis 2006, obtenir l’autorisation (cf. partie 3.3.2.) est plus contraignant et plus coûteux pour les structures sans qu’il y ait pour autant une possibilité d’accès à des soutiens supplémentaires des pouvoirs publics. « Nous ne sommes pas conventionnées APA et n’avons pas cherché à l’être. Trop de contraintes. L’agrément passe par une commission. Les associations conventionnées APA tirent la langue. Il y a un scandale. L’accord de branche n’est pas respecté par le Conseil général. Le coût de revient est de 19 euros de l’heure pour les associations et elles ne sont financées qu’à hauteur de 17 euros par le Conseil Général. Le texte de l’autorisation dit que les rémunérations seront directement payées par le Conseil Général. Le financement n’est pas à la hauteur. Il y a une remise en cause des frais de fonctionnement et l’encadrement des associations. Cela ne nous donne pas envie [de nous faire conventionner APA]. Qui va payer car il faut former et valoriser l’expérience ? ». (Association) De plus, les personnes percevant l’APA peuvent faire appel à l’emploi en gré à gré et à tout type de structure dès lors que ces dernières ont l’agrément qualité délivré par les DDTE. 1.3. DES POLITIQUES DE L’EMPLOI ET L’ACCROISSEMENT DE L’OFFRE 1.3.1. L ES PRINCIPALES DISPOSITIONS DU P LAN B ORLOO Le Plan Borloo de 2005, ou loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne, a été annoncé avec des objectifs explicites de création massive d’emplois, « la création de 500 000 emplois en trois ans », mais aussi « la structuration de l’offre et le renforcement de la qualité de service». L’Agence nationale des services à la personne (ANSP), est créée pour répondre à ces objectifs ; elle est chargée de promouvoir et de coordonner le développement des services à la personne dont les principaux enjeux sont : « la facilité d’accès à des services de qualité ; le développement du chèque emploi service universel (Cesu) à partir de janvier 2006 ; l’amélioration du statut et des conditions de travail des salariés du secteur ; la structuration de l’offre et le renforcement de la qualité de service»2. Le Cesu remplace le chèque emploi‐service et le titre emploi‐service et sert de titre de paiement. Il doit permettre de "simplifier la vie des Français en allégeant les formalités". Ce chèque émis par les banques et établissements de crédits permet de rémunérer tous les services à la personne agréés, que le salarié soit employé directement par le particulier ou par le biais d’un prestataire ou d’un mandataire. Le Cesu peut être acheté directement par le particulier employeur, par exemple auprès d’un établissement bancaire, ou être délivré par son entreprise, les Conseils généraux, les organismes de protection sociale ou encore les mutuelles, qui pourront 2 http://www.servicesalapersonne.gouv.fr/enseignes/ 271 financer une partie de son coût. Lorsque le Cesu est délivré par l’entreprise, la contribution financière de cette dernière à l’achat de ces chèques lui ouvre droit à un crédit d’impôt supplémentaire de 25%, qui s’ajoutera aux déductions fiscales déjà existantes. Le plan prévoit aussi un allègement des charges patronales de 50% si le particulier employeur paye des cotisations patronales sur une base de rémunération réelle et non‐forfaitaire. La rémunération d'une aide à domicile est exonérée des cotisations patronales de Sécurité sociale maladie, vieillesse et allocations familiales (les autres cotisations patronales et salariales restent dues), lorsque cette personne est employée par les personnes âgées de 70 ans et plus, les personnes titulaire de la carte d'invalidité à 80 %, les personnes ayant à leur charge un enfant ouvrant droit au complément d'allocation d'éducation spéciale, les bénéficiaires de l’APA… Les prestataires de services agréés sont, quant à eux, exonérés de toute cotisation patronale. Enfin, la constitution de grandes enseignes est destinée à structurer le secteur et à permettre son développement. « Elles sont un outil de distribution des services ; elles répertorient des producteurs de services sur des critères notamment de qualité et les distribuent sous un nom de marque. Les enseignes vont promouvoir un ou plusieurs services à la personne à domicile. Elles devront tenir le rôle d’intégrateur, consistant à mettre en contact l’offre et la demande, à prendre en charge l’information aux utilisateurs, la qualité et l’homogénéisation des services, ainsi que leur facturation unique »3. 1.3.2. U NE CROISSANCE QUANTITATIVE DES AGREMENTS Pour pouvoir exercer leur activité, les prestataires de services doivent être agréés par l’Etat. Le plan Borloo conduit ainsi à une croissance du nombre d’agréments qui prennent deux formes : l’agrément simple et l’agrément qualité. La distinction entre agrément simple et agrément qualité provient de la prise en compte de l’activité et du public cible. L’agrément qualité concerne les structures qui interviennent auprès des publics vulnérables : enfants, personnes âgées dépendantes, handicapés, etc. et exige le respect d’un cahier des charge. Cet agrément peut être accordé aussi bien aux structures associatives, commerciales que publiques ; en revanche les services en gré à gré où le particulier est employeur de l’intervenant à domicile ne font pas l’objet d’agrément. Face à la croissance du nombre de demandes d’agréments consécutive au Plan Borloo, les administrations sont contraintes à des logiques de traitement parfois plus quantitative que qualitative. Ce plan conduit en effet à une croissance du nombre d’agrément notamment, par une forte entrée des entreprises privées dans le champ (Chapitre 1). Le nombre d’agrément explose en 2006 pour ensuite connaître un rythme moins important en 2007. « Sur Paris, Au 15 juin 2007, on compte 299 agréments : 185 en simple et 114 en qualité. On comptait 77 agréments simples au début du plan dont 36 en association dont 17 3 Ibid. 272 associations intermédiaires qui connaissent un nombre stable depuis janvier 2006. 66 agréments qualité concernent les associations ; 48 les entreprises, leur nombre progresse (elles n’étaient que 23 au début du plan). » (Régulateur public) « Sur 2006, rien que pour le Nord, on a 86 nouvelles structures, dont majoritairement des entreprises. » (Association). Les services instructeurs gèrent cette inflation du nombre de demandes d’agrément qui « a été simplifié ». C’est la DDTE qui délivre l’agrément : « La procédure d’agrément est purement administrative. C’est une procédure par papier gérée par un agent. On a trois mois pour répondre aux demandes. » (Régulateur public). Les Conseils généraux ont un rôle consultatif dans les agréments qualité. « Des différences ont pu apparaître au coup par coup mais c’est lié au délai court de 3 mois qui ne permet pas travailler ensemble. On n’est pas lié par l’avis du Conseil général » (Régulateur public). Si à une époque, Conseil général et DDTE pouvaient réaliser des visites communes auprès des demandeurs d’agrément, faute de temps, ces modalités d’instruction n’apparaissent plus possibles. Cette gestion quantitative est mal perçue par les acteurs traditionnels du champ. « L’agrément est donné sans aucun contrôle sur la qualité. On est passé de 100 à 300 agréments sans ressources humaines supplémentaires. A l’inverse, on n’a pas les arrêtés d’agrément pour l’ensemble de nos adhérents. Il est en renouvellement. » (Régulateur associatif) Le Conseil général entend toutefois être vigilant sur la qualité notamment quant à l’information donnée aux usagers, la formation du directeur de structure… « Il existe un dossier type de la DDTE qu’on leur envoie rempli, ensuite un premier examen et on donne un avis qu’on envoie par écrit. C’est un avis assez sévère par rapport à la qualité. On était en phase en 2006 sur les avis mais en 2007 des différences sont apparues sur quelques dossiers. Nos critères sur la qualité ou la demande ; on demande plus de choses que la DDTE.» (Conseil général). Pour la DDTE, « Les exigences portent sur la formation, sur la qualité de l’information pour le client. On veille à ce qu’il y ait un investissement en ressources humaines et un agent sur ces questions. Sur Paris se pose la difficulté d’accès à des locaux. On a parfois refusé des agréments à cause des locaux, ou du fait de l’imprécision sur la formation, sur ce qui est donné aux futurs clients en termes d’information. » (DDTE). Pourtant quand on interroge les régulateurs sur la qualité des services, le statut des personnes, leur formation… les informations n’ont souvent pas été collectées et on nous signale : « Je vous reçois mais vous arrivez trop tôt (…). On est dans une première phase d’agrément, d’élargissement des prestataires. Dans la deuxième phase, ce sera le bilan, les “stats” et aller 273 sur place. L’agrément est sur cinq années. Mais l’enjeu est après à travers le contrôle que l’on pourra en suite exercer (Cf. à ce sujet la circulaire du 15 mai 2007). Les structures doivent fournir un bilan mais on en a peu. On a absorbé le flux. On peut maintenant envisager le contrôle par rapport à la qualité pour les structures relevant de l’agrément qualité. Pour l’agrément simple, cela relève plutôt de la direction concurrence et fraude. Selon la circulaire, le DDTE donne l’agrément, la DDAS s’intéresse à la santé et à l’intégrité des personnes, la DDCRF s’intéresse aux prix ; au livret d’accueil. » (Régulateur public). La dimension qualitative du Plan devrait, selon ces discours, arriver dans un second temps après avoir géré le flux d’entrées massives. Une ambiguïté apparaît toutefois dans le statut des DDTE : « On est à la fois développeur et contrôleur avec des objectifs quantitatifs et qualitatifs. On contrôle, on donne l’agrément, mais en même temps on doit favoriser le développement du secteur ». : Si la loi conduit à un accroissement du nombre de structures dans le champ, les effets en terme de créations d’emploi sont plus contrastés (Cf. chapitre 1). « Depuis le début du plan, on est à un taux de 140 % de créations de structures mais cela ne veut pas dire que le nombre d’emplois créés suit. » (Régulateur public). En outre, l’agrément qualité vient concurrencer l’autorisation délivrée dans le cadre de la loi 2002‐2. Le Plan Borloo est centré sur les services à la personne mais il permet aux organismes agréés qualité d’intervenir auprès des personnes fragiles, concernant ainsi indirectement aussi l’aide à domicile. 1.3.3. D ES ENSEIGNES ENCORE DANS L ’ OMBRE Les enseignes et la publicité qui accompagnent le plan Borloo en faveur des services à la personne avaient pour objectif de donner un nouvel essor à ces services. Ces enseignes prennent des formes variées : certaines sont constituées uniquement d’acteurs de l’économie sociale et solidaire dont des fédérations d’aides à domicile, des banques de l’économie sociale ou des mutuelles, mais on trouve aussi La Poste, des sociétés et des banques d’assurance privées4. Les données concernant l’impact des enseignes sont encore très limitées et émanent de ces structures. A Génius, l’enseigne de la Poste, les caractéristiques sur le type de clients ont été établies : 4 On compte douze enseignes qui selon les cas associent différents partenaires ont trouvé un nom : France Domicile (UNA, Mutualité française, Union Nationale des Centres Communaux d’Action Sociale ; PERSONIA (ADMR, Crédit Mutuel, AG2R) ; Fourmi Verte (Familles Rurales, Groupama, Mutualité Sociale Agricole) ; SERENA (Groupe Caisse d’Epargne, MAIF, MACIF et la MGEN) ; « La maison du particulier employeur et des emplois de la famille » a comme partenaires : FEPEM, IRCEM Prévoyance, IFEF) ; DOMISERVE (AXA Assistance, DEXIA Crédit Local) ; Bien‐être assistance (ACCOR Services, Europ Assistance), ou qui se positionnent sous le nom de leurs créateurs : CNP, La Poste, Sodexho, Crédit Agricole‐LCL et MAAF, MMA et Azur‐GMF Source : Les échos, 14 février 2006, p. 2. 274 « Fin septembre, on compte 37 000 clients. (…) Les clients sont de tous les types. Les CSP sont différentes. On a 20 % par tranche d’âge. On relève plus de clients sur la région parisienne que sur le reste de la France notamment pour la garde d’enfants. Dans le rural, on a plus de ménage que de garde d’enfants. On ne se positionne pas sur le domaine de la dépendance qui est relativement bien couvert par les structures d’action sociale. On n’a jamais voulu se positionner sur ce domaine. Seuls 9 % appellent pour du maintien à domicile. Ce sont en général des CSP supérieur ne passant pas l’action sociale. Nos activités, c’est le ménage, repassage, assistance informatique, service à la personne et aide à la vie quotidienne. Ce sont les familles actives avec enfants pour organiser la vie quotidienne. C’est différent de la grande dépendance. A la limite, on intervient sur le ménage, les repas à domicile, la livraison de courses. » (Régulateur) Si la Plan Borloo a, on l’a vu à partir les modalités d’agrément et d’autorisation, un impact sur l’aide à domicile, les outils qu’il instaure sont prioritairement centrés sur les services à la personne. Les enseignes constituent un nouvel intermédiaire mettant en relation prestataire de service et client. Elles comptent aussi participer à l’évaluation du service. « Le client paie et dans les 48 heures on trouve le prestataire. On a un baromètre de satisfaction, de l’achat à l’intervention. On fait des sondages à partir desquels on donne des notes. En cas de notes basses, on appelle la structure qui essaie de rectifier. » (Régulateur) La constitution de ces enseignes s’est réalisée au niveau national. « La Poste, à travers son président de groupe, a été sollicitée pour voir la contribution qu’elle pouvait apporter du fait de ses atouts. Elle veut s’engager dans une véritable création d’activités et une démarche de développement. » (Régulateur) Les fédérations associatives se sont aussi engagées dans la mise en place de trois enseignes au niveau national5. Ce qui ne les empêche pas d’être aussi référencées par d’autres enseignes qui se sont constituées sans elles. Dans ce cas, c’est aussi principalement, au niveau national que les référencements se mettent en place. L’enseigne de la poste Génius on nous explique : « On a des opérateurs simples, des franchisés, d’autres en fédération. L’Admr est engagée chez nous avec la tête de réseau. C’est la fédé qui s’engage auprès de nous ses 3200 structures. Pour Familles rurales, c’est différent, le réseau n’a pas d’autorité juridique et l’on a référencé chacune des 350 structures ; c’est la même chose avec l’Âge d’or. » (Régulateur) Même, si, comme la Poste, elles peuvent avoir des relais au niveau local grâce à leurs agences, ces enseignes apparaissent éloignées des territoires et des acteurs de terrain, alors qu’« Il existe aussi des plates­formes avec un maillage territorial plus fort et des relations personnalisées sur un territoire. » (Régulateur associatif) 5 France Domicile, PERSONIA, Fourmi Verte. 275 C’est une limite mise en évidence, y compris par les acteurs des fédérations investies dans les enseignes : « Il aurait fallu jouer sur les fédérations départementales et sur les spécialistes du téléphone à distance. C’est vrai de toutes les plates­formes. Il faut ramener les enseignes à un niveau de proximité au plus près des structures. » (Régulateur associatif). Le bilan des 16 enseignes homologuées en 2007 est pour l’instant en dessous des objectifs qui leur ont été assignés. « Il y en a 13, certaines en gestation, d’autres sont bien parties, ex La Poste, Personia, A domicile, Fourmi Verte. Elles ont des politiques très différentes, des activités très inégales, une lenteur de la montée en charge et des difficultés à percevoir ce qu’elles font. A terme, il y aura sûrement des regroupements. » (Régulateur). « Les enseignes sont un moyen de booster le secteur mais elles ne l’ont pas boosté. » (Régulateur). L’effet structurant des enseignes n’apparaît pour l’instant ni au niveau qualitatif ni au niveau quantitatif. En termes de cohérence avec les dispositifs existants, les enseignes qui concernent prioritairement les services à la personne ont peu d’impact sur l’aide à domicile. Elles ont été constituées en faisant fi des expériences locales de structuration de l’offre et de réponses à la demande déjà mises en place. Les acteurs du champ, dans l’expectative concernant des effets des enseignes, le sont aussi sur les apports du chèque emploi service universel. 1.3.4. L E CHEQUE EMPLOI SERVICE UNIVERSEL , UNE UTILISATION CONTROVERSEE Avec l’instauration du chèque emploi service universel, les mécanismes en faveur d’une solvabilisation de la demande se trouvent ‐ en principe ‐ simplifiés et le chèque emploi service peut maintenant être utilisé pour payer un organismes prestataire de service. Comme le Chèque emploi service, le Cesu est un outil de simplification administrative pour l’emploi de salariés à domicile par des particuliers employeurs, ouvrant droit à des déductions d’impôt. Mais alors que le CES n’était utilisable que dans le cadre du gré à gré – et que le titre emploi‐service (outil de solvabilisation de la demande permettant l’intervention de tiers payeurs) n’était utilisable qu’avec des organismes prestataires, le Cesu vient a priori mettre de la cohérence entre deux dispositifs qui paraissent semblables. Les résultats attendus pour solvabiliser de nouvelles demandes ne sont pas encore là du point du secteur associatif : « Le Cesu marche moyennement sur Paris. Les comités d’entreprises ne se jettent pas dessus. En tant que Fédé., il n’y a aucun accord avec un comité d’entreprise. Nous n’avons pas de lien avec Chèque déjeuner. » (Régulateur associatif). 276 Le Cesu est utilisé encore essentiellement comme moyen de simplification administrative à l’instar du Chèque emploi service, et les entreprises comme les comités d’entreprise pré‐
financent encore peu ce titre de paiement. La possibilité d’utiliser le Cesu pré‐financé par les particuliers employeurs offre de nouvelles perspectives de développement du gré à gré, à l’encontre des principes du titre emploi service expérimenté dans le première moitié des années 90 par les comités d’entreprise, les syndicats et l’économie sociale et solidaire. Pour ceux‐ci ils étaient un moyen de faciliter l’accès au service des ayants droits de comités d’entreprises mais aussi de structurer l’offre de service en ne permettant son utilisation qu’auprès des services prestataires (Gardin et al., 1999 ; Gardin, 2002). Toutefois, à la différence du secteur associatif, pour les employeurs particuliers, « Le Cesu préfinancé c’est boostant : il donne une possibilité qui n’aurait pas été utilisée avant. » (Régulateur particulier‐employeur) Si le CESU est encore faiblement pré‐financé, il faut relever qu’un département du sud‐ouest a décidé de l’utiliser pour financer l’APA. Ceci renforce non seulement la mise en place d’une régulation concurrentielle dans le champ de l’aide à domicile en permettant à l’usager de choisir entre différents types de prestataires mais aussi une déstructuration du champ en simplifiant le recours au gré à gré. II. DES FOURNISSEURS DE SERVICES DE PLUS EN PLUS DIVERSIFIES ET NOMBREUX Les politiques qui viennent d’être présentées ont bien sûr un impact sur la structuration de l’aide à domicile et des services à la personne même si les effets du plan Borloo sont encore difficiles à mesurer pleinement. De plus en plus, s’ancre chez les acteurs publics de la régulation l’idée selon laquelle : « Avec le développement d’une société de service lié au vieillissement de la population ; à la montée du taux d’activité des femmes ; à la croissance du nombre d’enfants… Il y a de la place pour tous les acteurs. » (Régulateur public). Toutefois cette mise en concurrence s’effectue par un processus de segmentation du marché, selon les statuts des employeurs (association, entreprise, particulier employeur), les modes d’intervention (prestataire, mandataire, gré à gré) et les publics (vulnérables ou non). « Les associations sont surtout sur l’agrément qualité, les sociétés commerciales sur l’agrément simple, comme les associations intermédiaires. Il y a aussi le travail au noir mais aussi le gré à gré qui s’est développé au détriment du prestataire. Pour Borloo, l’important est que toutes les initiatives fleurissent, il s’agit de blanchir aussi le travail au noir mais l’on ne dispose pas de chiffres sur le nombre d’heures. Les associations sont sur l’utilité sociale et les entreprises sur le commercial. » (Régulateur public). Il convient d’approfondir l’évolution des activités et positionnements de chacun des systèmes de l’aide à domicile et des services à la personne qu’ils relèvent du gré à gré, du domaine associatif, des entreprises commerciales ou du secteur public. 277 2.1. LE GRE A GRE : ENCOURAGEMENTS POLITIQUES ET DISTORSION DE CONCURRENCE Les rapports salariaux directs entre un employeur et une employée de maison sont anciens et se caractérisent à travers « la bonne » employée de familles aisées. Ce n’est qu’au tournant des années 1980‐1990 que les pouvoirs publics vont intervenir financièrement pour développer ce type de relation. Avant la mise en place de l’APA et avant même l’expérimentation de la Prestation spécifique de dépendance (PSD) par les conseils généraux, l’Allocation compensatrice pour tierce personne, qui concerne les personnes handicapées présentant un taux d'incapacité permanente de 80 % minimum et dont l'état nécessite l'aide d'une tierce personne, étaient essentiellement versée par les Cram aux personnes âgées ayant ce niveau d’incapacité du fait de l’absence de limite d’âge dans l’utilisation de cette mesure. Aussi pour bénéficier d’exonération de cotisations, cette aide ne pouvait être utilisée que par des usagers‐employeurs obligeant ainsi même les structures d’aide à domicile, à mettre en place des services mandataires à partir de 19876. En 1991, les lois Aubry concernant les emplois familiaux vont renforcer cette tendance au développement du gré à gré. La loi de finances rectificative du 30 décembre instaure notamment une réduction fiscale ''emplois familiaux'' dont peuvent bénéficier uniquement es employeurs particuliers. Ce n’est qu’en 1999 que le législateur offrira des exonérations de charges sociales patronales identiques aux services prestataires et aux rapports de gré à gré. Les politiques publiques ont donc, durant des années, faussé la concurrence entre les services prestataires et le gré à gré en privilégiant fiscalement le recours à ce dernier. L’instauration du chèque emploi service a aussi été un moyen de privilégier le recours à l’emploi de gré à gré. Lancé à titre expérimental par la loi n°93‐1313 du 20 décembre 1993 (Art. 5), le CES a pour objectif de libérer l’employeur de l’essentiel des obligations édictées par le Code du travail en matière d’embauche : négociation du contrat de travail, déclaration auprès des organismes de sécurité sociale, remise du bulletin de paie. Il permet aux particuliers d’embaucher une personne pour réaliser, dans leur résidence, un travail sans rapport avec la profession des particuliers employeurs, de régler la rémunération de cette personne et d’acquitter l’ensemble des charges sociales afférentes à cette rémunération. Le chèque emploi‐
service entre dans le champ de la réduction d’impôts, institué par l’article 17 de la loi de finances de 1991, et concerne tout particulier employeur pour des activités à caractère domestique et/ou familial ainsi que le jardinage. La loi n°96‐63 en faveur du développement des emplois de service confère un caractère permanent au chèque emploi service qui, en 2005, sera transformé en Cesu en 2005, et pourra ainsi faire l’objet d’un préfinancement (voir supra). Les coûts de gestion étant pris en charge par les caisses sociales, ces dispositifs offrent à la modalité de recours du gré à gré des coûts moindres que les services prestataires. La concurrence ne se fait donc pas, en premier lieu, sur la qualité mais sur le prix. « Dans le gré à gré, il n’y a pas de frais de gestion. » (Régulateur associatif). « La concurrence est le moteur de la qualité mais les prestataires ne sont pas au niveau sur les prix (entre 16 et 20 € contre 14 € dans le gré à gré) et c’est pour cela qu’on représente 80% du secteur. Ils ne seront jamais concurrentiels au niveau du prix ou alors il faudrait 6 Cf. Arrêté du 27 mars 1987 fixant la procédure à suivre pour bénéficier de l'exonération des cotisations patronales de sécurité sociale afférentes à l'emploi d'une tierce personne. 278 que le particulier employeur n’ait plus d’avantage. Or justement il y a un poids donc je ne peux imaginer une marche arrière. (…) On a un coût à l’heure qui défie toute concurrence car nos frais sont faibles par rapport aux associations ou aux entreprises : nous on arrive à 5,24 € de l’heure déduction faite. » (Régulateur employeur particulier) Les régulateurs reconnaissent les limites du gré à gré surtout quand il est utilisé pour des publics fragiles. « 80 % de l’emploi est en emploi direct. Pas de problème si c’est des femmes de ménage ou des babysitters mais c’est problématique si c’est de la dépendance. » (Régulateur public) Toutefois, le gré à gré permet des créations massives d’emplois répondant aux objectifs quantitatifs de création d’emplois des politiques publiques. « La part du gré à gré, 80 %, devrait reculer mais il y a une volonté de développer l’emploi aussi. » (Régulateur public) Le graphique « Evolution de l’emploi en gré à gré depuis 1990 »7 (Chapitre 2) révèle bien l’impact des politiques publiques de l’emploi sur la croissance du gré à gré. Ce type d’emploi s’est fortement accru en 1991 avec les emplois familiaux, 1995 avec le chèque emploi service, 2005 avec le Plan Borloo, même si, rappelons‐le, les emplois directs qui touchent 1,235 mille personnes en 2006 ne représentent que 331 193 équivalent temps plein (voir supra, chapitre 2 et chapitre 3). 2.2. L’HISTORICITE DU CHAMP ASSOCIATIF Après la Seconde guerre mondiale, l’offre de services d’aide à domicile s’est structurée en une trentaine d’années autour d’associations prestataires appartenant à des grandes fédérations8. A partir de la fin des années 80, contraintes par l’évolution des financements, ces structures ont dû créer, en plus de leurs services prestataires, des services mandataires. Pourquoi cette modification majeure de leur offre ? Ceci est en grande partie lié au fait que les personnes ayant un taux d’invalidité permanent de 80 % (en grande majorité donc des personnes âgées dépendantes) ne pouvaient bénéficier de l’allocation compensatrice tierce personne, qui n’était versée que si elles devenaient employeurs. Les associations déjà en place développent donc, à partir de 1987, des services mandataires, qui consistent à ce que l’usager soit l’employeur, mais où l’association assure la mise en place du service du service, son évaluation, la gestion administrative des contrats… La loi de 1991 sur les emplois familiaux renforcera cette nécessité de création de services mandataires pour que les usagers employeurs bénéficient de déductions d’impôts et d’exonérations de charges sociales. 7 Cf. Infra, Chapitre 2. II.3. Emploi direct : évolutions des niveaux d’emploi et des volumes horaires par salarié. 8. Fédération Nationale des Aides à Domicile en Activités Regroupées (FNADAR), Fédération Nationale de l’Aide Familiale à Domicile (FNAFAD), Union Nationale des Associations d'Aide à Domicile en Milieu Rural (UNAADMR), Union Nationale des Associations Générales pour l’Aide Familiale (UNAGAF), Union Nationale des Associations de Soins et Services à Domicile (UNASSAD) devenue UNA… 279 Outre ces créations de services mandataires par des structures existantes, d’autres font se faire ex nihilo. Certaines associations cherchent à répondre aux demandes non prises en compte par les associations traditionnelles, notamment celles qui refusent d’intervenir en mandataire. C’est le cas des associations intermédiaires qui vont, à l’origine, se créer avec des objectifs d’insertion par l’économique et de création de nouvelles activités non prises en charge par les secteurs privés et publics. Elles développeront des associations de services aux personnes à partir de 1991 afin de se positionner sur les lois Aubry et de pérenniser des emplois initiés dans les associations intermédiaires.9 Les associations ont donc des positions plurielles dans l’aide à domicile et les services à la personne. 2.2.1. U N POSITIONNEMENT HISTORIQUE DANS L ’ AIDE A DOMICILE Aujourd’hui, « l’association correspond pour beaucoup des personnes à leur origine à une démarche militante que ce soit par rapport aux personnes âgées, aux personnes handicapées, aux enfants de moins de trois ans.… Toutes se placent encore par rapport à leur légitimité historique, à leur savoir­faire. Mais il existe des contrastes. » (Régulateur public). Ces associations sont reconnues par la CNAVTS, ont l’agrément qualité, ont passé des conventions avec les caisses de retraite, se sont engagées dans l’habilitation dans le cadre de la loi 2002 pour intervenir auprès de publics fragilisés, sont en rapport avec les Conseils généraux de longue date… « A peu près 1300 clients dont 80% ont plus de 80 ans et 10 à 20 % de 50/60 ans qui veulent se faire aider souvent parce qu'ils sont en très mauvaise santé, voire en fin de vie. A priori, on ne fait pas d'aide au ménage à des couples bi­actifs. On ne fait pas la garde d'enfants et d'ailleurs on n’est pas référencés. D'ailleurs cela rejoint ma finalité de départ : aider des gens âgés en difficulté pour leur permettre de rester vivre chez eux. C'est ma ligne directrice depuis le début. Au fond l'association est toujours portée par l'objectif initial de l'homme qui la créée et qui l'anime aujourd'hui. » (Employeur associatif). A priori, le Plan Borloo ne s’adresse pas à ces associations dont la majorité des financements relève des politiques sociales. Les régulateurs comme les associations elles‐mêmes se perçoivent comme peu engagées dans les évolutions en cours : « Auparavant les associations avaient l’habitude de la tacite reconduction pour l’agrément. On a rencontré des difficultés à faire remonter les dossiers pour l’agrément qualité. » (Régulateur public). Leurs publics ne sont pas ceux que cible le plan Borloo : 9. Regroupées sous la marque Proxim'Services développée par le Coorace, réseau créé en 1985 et qui regroupe une part importante des associations intermédiaires. 280 « Que vise le plan Borloo ? Vise­t­il notre public ? Nous sommes à 60% avec la personne âgée dépendante. Est­ ce que le plan Borloo vise ce public là ? Ce n’est pas certain. Ce qu’il vise essentiellement à travers ce qui est communiqué en tout cas, c’est ce couple biactif, qui devrait recevoir par son comité d’entreprise ou son employeur des chèques emplois service pour payer son aide à domicile. On n’a pas encore cette population qui arrive chez nous. Il se peut que nous ne soyons pas identifiés pour ce public là. Pourtant dans notre plaquette on ne voit pas que l’on s’adresse principalement aux personnes âgées, même si on est identifié ainsi sur la métropole. Donc le plan Borloo vise­t­il la cible que l’on a historiquement en gestion ? Je ne suis pas sûr. La population française dans le cadre de la diffusion des Cesu est­elle culturellement prête à accéder à ces services à domicile ? On verra. » (Employeur associatif). « Si l’usine X se met à diffuser des Cesu pour accéder à du service d’aide à domicile, est­ce que l’agent de maîtrise ou l’ouvrier, va utiliser ce Cesu pour venir chez nous ou même pour interpeller une entreprise pour venir faire le ménage chez lui ? Je ne suis pas sûr que la population française soit prête à utiliser ces chèques pour faire appel à des services ménagers à son domicile. » (Employeur associatif). Une partie des associations d’aide à domicile ne semble donc pas touchée par le Plan Borloo qui cible les services à la personne. Mais les associations ne s’inscrivent pas toutes dans les mêmes dynamiques de développement10 et ne visent pas les mêmes publics. La dénomination de l’utilisateur des services est à cet égard révélatrice des positionnements différents. La référence aux notions d’usager ou de personne aidée demeure ainsi prédominante dans le discours des responsables qui conçoivent l’aide à domicile comme relevant de l’action sociale (Fraisse, Gounouf, Chapitre 5). La figure du client émerge soit chez les nouveaux entrants dans le secteur, soit chez les responsables d’associations qui s’inscrivent dans une logique de diversification des services et de leurs publics, d’utilisation des nouveaux dispositifs (Cesu, enseigne) anticipant une concurrence effective ou intériorisée (cf. partie 3.1.1). 2.2.2. U N ECARTELEMENT ENTRE MISSIONS TRADITIONNELLES ET NOUVEAUX SERVICES Ainsi, chez une association mandataire, « Nous avons la réputation de répondre à une clientèle aisée alors que les autres associations se concentrent sur l’aide sociale. » (Employeur association mandataire). La construction sociopolitique du champ, on l’a vu, explique ces différences. Une partie des structures mandataires s’est créée pour toucher un public solvabilisé par les déductions d’impôts qui à l’origine ne touchaient que les particuliers employeurs : « Ce sont des personnes qui paient des impôts et qui se situent dans l’ouest parisien. Des gens qui ont des revenus confortables. Ils attendent de plus en plus avant de recourir à nous. Ce sont des personnes de plus en plus dépendantes avec de très courte mission. Elles 10 En outre, comme l’a montré le positionnement par rapport aux enseignes, au sein d’un même réseau, les positions peuvent être différentes entre les instances fédérales et les associations locales. 281 perçoivent peu d’APA (environ 5%), mais on ne le sait pas toujours. » (Employeur association mandataire). Aujourd’hui, les déductions d’impôts étant accordées aussi aux particuliers recourant aux services prestataires, les associations dites d’action sociale peuvent avoir des cibles multiples et toucher des publics ne relevant pas de la dépendance. « Les entreprises s’orientent vers le tout public mais pas les personnes en besoin d’aide. C’est la vocation des associations. C’est le cœur de notre métier. Mais on ne s’interdit pas aussi d’intervenir sur l’ensemble du plan Borloo. » (Employeur association). Leurs orientations apparaissent troublées par les évolutions que leur permet la loi. « On revendique d’être des services médico­sociaux. On est dans les services à la personne sans distinction de métiers et de tâches. Il y a un mélange des genres entre employés de maison et aide à domicile. Si on développe les services à la personne vers le grand public, il ne faut pas envoyer une travailleuse familiale mais un commercial. Il ne faut pas mélanger aide à la personne et service à la personne. Stratégiquement, il faut une réponse de réseau. Il faut répondre sur les services aux personnes avec les valeurs de l’économie sociale et solidaire avec des besoins qui évoluent sur la garde d’enfants périscolaire, le soutien scolaire, l’accueil des enfants handicapés. Pourquoi pas de soutien informatique ? A l’état de prospection. Mais il faut un service dédié avec une structure à part. » (Employeur association). Une partie des associations traditionnelles d’action sociale apparaît donc de plus en plus encline à se diversifier et à entrer dans des politiques relevant plus du développement de l’emploi que de l’aide. 2.2.3. L ES ASSOCIATIONS ENTRE CONCURRENCE ET REGROUPEMENT Les ambiguïtés de positionnement se retrouvent aussi dans les rapports que les associations nouent entre elles. Elles recherchent des alliances pour défendre leurs spécificités vis‐à‐vis des pouvoirs publics mais elles sont également dans des situations de concurrence, notamment quand elles s’inscrivent sur de nouveaux services. « C’est aussi un souhait des associations aussi qui se sont constituées en réseaux, (…) elles souhaitent travailler avec nous plus étroitement pour qu’on essaie de travailler sur la qualité du service qu’elles offrent. Je vais être méchante mais c’est le seul effet positif de la loi Borloo c’est vrai que là les grosses associations sont parfois intéressées parce que cela leur permet d’être mieux identifiées. C’est par exemple dans le département ADMR, l’ARAPA etc. qui se fédèrent entre elles ce qui ne se faisait pas jusqu’à présent, maintenant ils ont décidé de travailler ensemble. » (Régulateur public). Ailleurs, les structures associatives regroupées dans des fédérations anciennes entrent en concurrence sur un même territoire géographique entre associations de différents regroupements mais aussi entre membres d’une même fédération. 282 « Avant chacun avait à peu près son territoire. L'UNA avait plutôt les villes et l'ADMR plutôt les campagnes. Et même au sein de l'UNA, chaque association s'implantait dans un arrondissement plusieurs dans le même. Et aujourd'hui tout le monde va partout. L'ADMR, s'empare du territoire des villes et au sein de l'UNA, j'ai des copains qui veulent aller sur des arrondissements où il y a déjà une UNA.» (Employeur association). D’un côté, les associations estiment qu’il faut s’unir pour faire face à l’entrée des entreprises commerciales mais de l’autre elles acceptent les règles du jeu concurrentiel non seulement avec les nouveaux entrants mais aussi entre elles. Au final, si les associations ont une place centrale dans l’emploi structuré en mandataire ou en prestataire, leur positionnement fait l’objet de tensions par rapport aux activités développées : aide à domicile ou services à la personne ; aux modes d’intervention, service prestataire ou service mandataire ; aux positionnements entre acteurs associatifs : partage du territoire, complémentarité ou concurrence. 2.3. L’ENTREE DES ENTREPRISES COMMERCIALES Autorisées à intervenir sur les services aux personnes depuis 1996, ce n’est que ces dernières années que le nombre des entreprises s’est fortement accru. Il convient de saisir leurs territoires d’implantation, les activités sur lesquelles elles se positionnent mais aussi les différences qu’elles sont susceptibles d’avoir vis‐à‐vis des acteurs déjà présents. Les statistiques l’ont confirmé, les créations d’entreprises privées sont variables suivant les régions et plus précisément les départements. Paris apparaît atypique, 3 800 emplois ont été créés par les entreprises entre 2005 et 2006 alors que les créations pour l’ensemble de la région de Nord‐Pas de Calais sont inférieures à 600 emplois sur la même période. En 2005, 8 % des heures travaillées en Ile de France relèvent des entreprises privées et commerciales, alors que ce taux est de 1% pour le Nord‐Pas de Calais et de 3 % pour la France entière. Le nombre d’heures travaillées par salarié est plus faible dans les entreprises que dans les associations ; notamment dans le système mandataire où la durée est de 276 heures pour les entreprises privées contre 590 heures pour les associations et CCAS (Chapitre 2). Ces temps de travail moins importants peuvent s’expliquer par le type d’activités réalisées. Ainsi, une entreprise11 de soutien scolaire affiche recruter 25 000 enseignants dispensant près de 3 millions heures de cours par an, soit une moyenne de 120 heures par emploi, et par an. Les entreprises se sont tout d’abord positionnées sur l’agrément simple. « L’agrément simple concerne plutôt les micro­entreprises, les entreprises individuelles. Beaucoup de micro­entreprise, ce n’est pas la même chose en termes de création d’emplois. » (Régulateur public) 11 Cf. www.acadomia.fr 283 « De nouveaux services se développent comme la maintenance informatique avec par exemple le cadre de 50 ans qui propose ses services de maintenance comme un artisan » (Régulateur public) Pourtant, ce partage a cessé et les entreprises privées se positionnent sur l’agrément qualité. « Il y avait une espèce de Yalta : agrément qualité pour les associations ; agrément simple pour les entreprises ; ce n’est plus vrai maintenant ». (Régulateur public) Au‐delà de leurs agréments, les entreprises se distinguent aussi suivant leur taille et leur appartenance ou non à un réseau de franchise. Un certain scepticisme tant au niveau associatif que chez les régulateurs publics règne quant à la capacité qu’auront toutes les entreprises privées à se pérenniser. « Il existe des margoulins. Des petites structures avec une personne, un portable qui travaillent à 16 € de l’heure. Les entreprises se cassent la gueule dès qu’elles augmentent leur tarif. Mais elles obtiennent l’agrément. Il est donné sur déclaratif sans contrôle. » (Régulateur association) « Si les entreprises pensent que c’est un nouvel Eldorado, elles vont se casser la figure. » (Régulateur public) « Il faut arrêter de dire que le marchand fait du bon boulot. Exemple de A. qui s’appuie sur le réseau d’intérim. Ils ont la logistique mais pas le métier. Soyons prudents. » (Régulateur association). Pourtant les régulateurs reconnaissent (y compris le secteur associatif) que les entreprises peuvent faire « du bon travail ». « Il y a des structures sérieuses. D. par exemple. Avec des salariés motivés, ils ne cassent pas les prix. Mais ils se dirigent vers des personnes solvabilisées en proposant 9 € de l’heure avec déduction d’impôts. » (Régulateur association) Le statut juridique n’apparaît plus alors comme un critère de différenciation entre entreprises privées et associations même si ces dernières continuent de penser que les entreprises sélectionnent leur clientèle pour prendre les plus aisées. De leur côté, les entreprises accusent les associations de concurrence déloyale car elles ne peuvent pas obtenir l’autorisation conférée par la loi 2002‐2, ni accéder aux prestations prises en charge par les Cram. Au‐delà de ces rivalités, les pouvoirs publics, notamment au niveau étatique, cherchent à rapprocher associations et entreprises privées, en les faisant par exemple participer à des journées de réflexion commune. « Il y a une difficulté d’organisation du secteur par lui­même. On pourrait imaginer un accord général. » (Régulateur public) Les éléments de bilan objectifs à disposition des régulateurs, quels qu’ils soient, et permettant de différencier les dynamiques des entreprises et des associations, sont faibles. Il apparaît toutefois que leurs caractéristiques communes sont fortes quand on les compare à l’emploi direct. En ce sens, les associations et les entreprises seraient moins concurrentes entre elles qu’elles ne le sont avec l’emploi direct. 284 2.4. LES CENTRE COMMUNAUX D’ACTION SOCIALE (CCAS) CANTONNES A CERTAINS TERRITOIRES Enfin, le secteur public est aussi un employeur du secteur. Les CCAS sont principalement positionnés sur l’aide à domicile aux personnes dépendantes. Ils ont toutefois des difficultés à s’adapter à l’évolution des politiques publiques. Ainsi certains ont été contraints d’arrêter du fait de l’obligation posée par les Cram d’avoir un volume horaire minimum. « De nombreux CCAS ont complètement arrêté leur activité d’aide à domicile parce qu’ils étaient en dessous de 50.000 heures. Ils ont redistribué sur les associations d’aide à domicile. » (Employeur associatif). Cette obligation de concentration était impossible à surmonter pour des structures cantonnées à l’action sur le territoire de leur commune. « De plus, les CCAS avaient été oubliés dans la loi Borloo, et exclus du droit d’option (entre demande d’autorisation et demande d’agrément qualité). Ils n’étaient concernés que par l’autorisation ce qui les a mis en difficulté car le dossier de l’autorisation est lourd. La loi est revenue un an après sur ce point. » (Employeur associatif). De même, vis‐à‐vis des exigences posées par la loi 2002, ils ne s’engagent pas tous dans l’autorisation. « Comme il y a beaucoup d’impératif, les CCAS rechignent à se faire autoriser. 9 autorisés sur 18 CCAS. (…) Ils disent que c’est trop complexe. (…) Mais c’est faux. Certes ce n’est pas un dossier que l’on remplit sur un coin de table avec un crayon de papier. » (Régulateur public) Contraints sur leur taille posée par les CRAM, difficultés à s’engager dans la loi 2002, oubliés dans le plan Borloo… les services d’aides à domicile des CCAS ont du mal à s’adapter aux évolutions politiques. Mais, le coût plus élevé des salaires est aussi un facteur expliquant l’externalisation de leur service : « Cà revient trop cher car la grille indiciaire est élevé à cause des primes : prime de gant, prime de chaussure etc. Donc quand on a repris une partie, elles étaient 10 francs plus cher à l’heure. Le maire de l’époque a coupé la poire en deux et a réparti entre deux grosses associations et ils ne gèrent plus que des hébergements ». (Employeur associatif). Ainsi, les CCAS apparaissent en perte de vitesse tout en étant encore fortement présents sur certains territoires « Au niveau très local c’est une des composantes de l’offre mais pas partout. (…) Certains CCAS sont de gros acteurs incontournables : nous avons des communes dans lesquelles on ne peut pas intervenir. Ce sont des concurrents au même titre qu’une entreprise ou une association. » (Employeur associatif). Cet ancrage territorial est lié aux traditions politiques d’intervention municipale auprès des personnes âgées que des élus politiques entendent conserver. 285 CONCLUSION : UNE OFFRE DIVERSIFIEE AUX CONTRAINTES DIFFERENTES L’offre de service apparaît de plus en plus diversifiée entre une employée en gré à gré par un usager employeur et un agent de la fonction publique recruté par un CCAS. Tableau 2. Types d’employeur d’agrément/autorisation CCAS par modes Association
d’intervention Entreprise
Prestataire / Mandataire Service prestataire Service prestataire Service uniquement prestataire Service mandataire Service mandataire Agréments, autorisation possible Autorisation 2002, Conventionnement Cram, Agrément qualité Autorisation 2002, Conventionnement Cram, Agrément qualité, Agrément simple, Conventionnement association intermédiaire Agrément qualité, Agrément simple, et procédures Particulier employeur Gré à gré Aucun A l’issu de ce panorama, les CCAS apparaissent en perte de vitesse, excepté sur certaines communes. Les associations ont, quant à elles, les positionnements les plus diversifiées grâce à leur possibilité de s’inscrire dans différents types de politiques publiques et de répondre à différents types d’agréments et d’autorisation. Les entreprises cherchent à investir de nouveaux domaines et à ne pas être limitées aux activités de l’agrément simple ; certaines sont aussi agréées qualité, veulent être autorisées comme les associations sur la loi 2002 et passer des conventions avec les Conseils généraux. Au‐delà de cette offre organisée de manière collective, l’emploi direct est majoritaire et ne fait l’objet d’aucun agrément ou autorisation des pouvoirs publics. L’analyse de l’élargissement de l’offre de service avec des acteurs aux positionnements multiples et l’étude de la juxtaposition de politiques publiques réalisée, il est possible de saisir les régulations qui traversent l’aide à domicile et les services à la personne. Ces régulations sont en effet à la fois le fruit des politiques publiques mais aussi des objectifs des acteurs du secteur quel que soit leur statut. C’est l’objet de la dernière partie. 286 III. DES MODES DE REGULATION NON STABILISES INTRODUCTION En introduction de ce chapitre, nous avons rappelé les quatre modes de régulation identifiés par Laville et Nyssens (2001, p. 233‐255) dans le champ des services de proximité et de l’aide aux personnes âgées à un niveau international : la régulation tutélaire, la régulation d’insertion, la régulation quasi‐marchande et la régulation conventionnée. La régulation d’insertion apparaît aujourd’hui moins présente dans ce champ, même s’il continue d’exister des associations intermédiaires qui ont des objectifs d’insertion par l’activité économique de leurs salariés mis à disposition et dont la moitié de l’activité se réalise auprès des particuliers. Depuis 1998, elles ne sont plus contraintes de se positionner sur des activités non concurrentielles et elles font l’objet d’un agrément simple qui rapproche leurs activités de celles des autres prestataires. Aujourd’hui, l’aide à domicile et les services à la personne se trouvent confrontés principalement à trois grands types de régulations. La régulation tutélaire est d’une certaine manière typique du fonctionnement de la redistribution. Héritage des mécanismes construits à partir de l’instauration de l’État providence, ce type de régulation s’appuie sur une logique de redistribution stricte où l’autorité centrale décide des modalités de répartition des ressources captées par l’impôt. Aussi, pour attribuer ces ressources, sortir des risques de clientélisme et d’arbitraire, diminuer les dépenses publiques, et marchandiser les services, les pouvoirs publics recourent à des dispositifs quasi‐
marchands. Ainsi, la solvabilisation de la demande des usagers finaux conduit à une mise en concurrence des fournisseurs de service. On peut qualifier ce système de quasi marchand, car certaines caractéristiques du marché et de la redistribution, telles que définies par Polanyi, sont présentes dans cette forme de régulation. Comme pour le marché, il s’agit de mécanismes créateurs de prix. Mais c’est une autorité centrale qui décide de financer des services à partir de règles qu’elle édicte. Le recours à ce type de régulation est clairement préconisé par le Medef (2002) ; il est symptomatique que le vocable « service à la personne », utilisé par les politiques publiques actuelles, ait été introduit dès 1994 par un rapport du Comité de liaison des services du CNPF qui menait un travail de lobbying pour entrer dans ce secteur (CNPF, 1994). Les transferts de compétence de l’État aux collectivités locales pourraient laisser présager des possibilités d’instauration d’un troisième type régulation conventionnée plus en phase avec les attentes des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Cette forme de régulation négociée s’éloigne d’une régulation marchande, sans pour autant retomber dans une régulation tutélaire où les initiatives seraient soumises aux injonctions d’une autorité centrale. Elle permet d’introduire dans les politiques publiques des critères qualitatifs, pour ne pas s’intéresser qu’au prix des services rendus et à une définition unilatérale de ces services par la puissance publique. Elle demande un dialogue avec les pouvoirs publics qui ne se limite pas à une participation pour l’instauration de politiques publiques mais débouche sur de véritables négociations entre les parties prenantes. On trouve en partie cette forme de régulation avec la mise en place de la loi°2002‐2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico‐sociale qui permet la mise en place de conventions entre les associations et les Conseils généraux qui ont vu leur rôle 287 s’accroître avec la législation sur l’APA. Or ces processus de décentralisation des compétences ne s’accompagnent pas systématiquement de transfert de moyens financiers. « Le local welfare state n’est parfois pour le centre qu’une manière de se décharger de ses responsabilités financières » (Merrien, 1997, p. 115). Les collectivités locales sont ainsi tentées de recourir à une régulation quasi‐marchande apparaissant comme plus susceptible de réduire leur charge financière. De même, les collectivités locales peuvent, on l’a vu, poursuivre un mode de régulation tutélaire qui n’est pas propre à l’État. Le développement d’une régulation locale des services n’implique pas nécessairement le développement de processus de négociations. Ainsi au Royaume‐Uni, les relations entre autorités locales et initiatives dans le champ du care se sont orientées vers une régulation quasi marchande. 3.1. DES POLITIQUES TENDANT VERS UNE REGULATION CONCURRENTIELLE 3.1.1. L A RECONNAISSANCE DE LA CONCURRENCE L’approche la plus courante chez les régulateurs peut se résumer en cette affirmation : « Il y a de la place pour tous, les besoins vont croître. On est sur un marché avec dans les années à venir une régulation par le marché. » (Régulateur) Alors que jusque 1987, l’action des pouvoirs publics ciblait uniquement le secteur public et le domaine associatif en leur fournissant les moyens d’intervenir auprès de catégories de personnes identifiées (personnes âgées, familles nombreuses…), à partir de 1987, ceux‐ci ont mis en place des financements conduisant à la fois à une diversification de l’offre et à une solvabilisation de la demande de plus en plus large. La solvabilisation des clients ou des usagers, à travers différents mécanismes allant des déductions d’impôts, au versement de l’APA en passant par la mise en place du Cesu permettant un abondement par des tiers, sont autant d’éléments qui vont dans le sens de l’instauration d’une régulation que l’on peut qualifier de concurrentielle. Outre la possibilité pour le client de choisir, il faut aussi qu’il ait le choix entre différents fournisseurs de service. C’est ainsi que, depuis 1996, on l’a précisé supra, les entreprises peuvent intervenir sur ce champ. En outre, en privilégiant par des prix plus attractifs l’employeur particulier, l’action des pouvoirs publics a contribué à l’instauration du mandataire et des rapports de gré à gré. Cette hausse de la demande et cette diversification de l’offre s’accompagnent d’une perception du champ où les différences prestataires ne dépendraient pas de leurs formes juridiques. En premier lieu les procédures de reconnaissance sont les mêmes quelles que soient les structures et les différences ne seraient pas liées au statut: « C’est la même procédure pour tous. (…) Dans le fonctionnement quotidien, pas de différence entre les associations et l’entreprise si elles font bien leur boulot. (…) Dans les faits une association qui fait bien son boulot et une entreprise professionnelle, il n’y a pas vraiment de différence. Si ce n’est l’affectation des bénéfices qui est différente. » (Régulateur public) Le statut ne permettrait même plus de caractériser les usagers ciblés ; les différences tenant maintenant plus aux agréments et métiers des employeurs : 288 « Les associations disent craindre que les entreprises privées ciblent les beaux quartiers et les associations les personnes moins aisées. En fait, les entreprises sont aussi sur les quartiers populaires. » (Régulateur public) « Il y a la question des métiers différents. Ex : jardin, personnes handicapées, informatique. Mais des points communs existent et ils sont tous sur le même champ : c’est au domicile, c’est de l’humain et la confiance dans la relation est essentielle ; c’est un point commun à tous. » (Régulateur public) Cette perception n’est pas une vision administrative du champ mais correspond aussi à la perception qu’en ont nombre d’acteurs associatifs, y compris, les plus anciens dans l’aide à domicile. « Je suis d’accord qu'il faut mettre un bémol à l'idée que le service est toujours de meilleure qualité dans le cadre associatif. Il y a des aides à domicile qui travaillent en libéral et qui sont très compétentes. Qui mènent leur activité individuelle comme une petite entreprise. Tout est fondé sur la capacité de la personne à satisfaire les clients, à se construire un réseau, à se trouver des employeurs. (…) Je dirai la même chose pour les entreprises. Il y a des associations qui sont d'un archaïsme impensable et je connais des entreprises qui bossent très bien. Et d'ailleurs par moment on a intérêt à prendre modèle sur des entreprises. » (Employeur associatif) Aussi, si les différents acteurs peuvent avoir la même qualité, l’analyse des réalités locales montre qu’il existe différents types de régulation mais aussi différents moyens de chercher à qualifier et à faire reconnaître la qualité (voir chapitre 4, Thierry Ribault). 3.1.2. D ES POSITIONNEMENTS DIFFERENTS VIS ‐ A ‐ VIS DE CETTE CONCURRENCE A travers les modalités de fixation des tarifs de l’APA et à travers les conventionnements qu’ils passent avec les structures autorisés par loi 2002, les Départements peuvent freiner ou, au contraire, favoriser une pluralité de l’offre se mettre en place. « Les tarifs APA peuvent varier d’un département à l’autre. » (Régulateur associatif) « Sur Paris, il n’y a pas d’ostracisme vis à vis des entreprises ; c’est différent d’autres départements qui protègent leur association à travers un maillage du département. Sur Paris, vu la masse de la demande, il n’y a pas ce problème. » (Régulateur public) D’après une étude réalisée pour la DREES (2006) concernant les services d’aide à domicile dans le contexte de l’APA sur plusieurs départements, la concurrence est plus ou moins régulée au niveau local entre les structures. Cette étude s’intéresse en priorité aux CCAS et aux associations. La sphère d’intervention géographique des CCAS se limitant à la commune, ils sont peut être moins concernés. Les associations, en revanche, en ayant la possibilité d’intervenir sur l’ensemble d’un département, se trouvent dans des situations de concurrence plus ou moins régulée. Trois types de régulation sont identifiés dans ce travail de la DREES (2006) : 289 ‐
La sectorisation géographique des interventions « cette forme de régulation est utilisée par la Cram pour l’aide ménagère qu’elle dispense : deux opérateurs sont conventionnés, l’un pour les territoires urbains, l’autre pour les territoires ruraux. Ce principe est également appliqué par ces deux associations pour répartir les demandes des bénéficiaires de l’APA. La concurrence se manifeste alors entre les associations non conventionnées, qui revendiquent de pouvoir également intervenir dans ce cadre, et les associations conventionnées qui mettent l’accent sur les exigences auxquelles elles sont soumises du fait même de leur conventionnement. » (Drees, op. cit. p. 6) ‐
La spécialisation des publics : « dans la ville chef‐lieu du département B, où cohabitent plusieurs services, la concurrence demeure modérée, dans la mesure où chacun s’est spécialisé sur un champ d’intervention : le CCAS intervient peu au bénéfice des publics les plus dépendants du fait de son mode d’organisation ; tandis que les services mandataires prennent en charge les plans d’aide les plus importants en raison d’un mode de tarification plus attractif . ‐
La régulation par le marché. Dans certains départements ou territoires, la libre concurrence entre prestataires est, au contraire, ouverte et peut s’afficher comme un principe de régulation. Chaque association développe ainsi ses propres stratégies d’occupation du marché. L’une d’entre elles considère, par exemple, comme vital de rendre visible son offre de services, sa stratégie consistant à s’implanter prioritairement dans les territoires qui présentent un déficit en ce domaine ». (Drees, op. cit. p.6) Avec la solvabilisation des usagers financés par l’APA et le choix de l’accès au service, on pourrait a priori en déduire que la concurrence devient maintenant le mode de régulation du secteur. Mais les employeurs peuvent être mus par d’autres logiques que le développement de la concurrence entre eux, en particulier à travers le partage de territoire d’intervention ou la spécialisation sur certains publics. Ces différents types de régulation sont caractéristiques de l’évolution du champ. Ainsi, la sectorisation géographique correspond à la régulation tutélaire telle qu’elle s’est construite dans les Trente glorieuses où les associations étaient en situation de quasi‐monopole sur leur territoire. La spécialisation des publics résulte quant à elle des politiques apparues dans les années 80 qui ont favorisé le gré à gré. Enfin, la régulation marchande provient d’une diversification de l’offre de service qui se réalise dans des proportions variables. 3.2. UNE REGULATION TUTELAIRE EN RETRAIT Si la régulation tutélaire est concurrencée par d’autres formes de régulations, on relève différents points où elle joue un rôle encore important. 3.2.1. L ES « RESTES » DE LA REGULATION TUTELAIRE Différents éléments comme la faible intégration des acteurs dans la définition des politiques, la fixation des tarifs ou le fait de privilégier certaines offres montrent la subsistance d’une régulation tutélaire qui se voit toutefois de plus en plus mise à mal. Les structures du champ, si elles perçoivent de plus en plus une concurrence entre offreurs de 290 service, se sentent toujours dans une régulation tutélaire dans la mesure où elles sont peu associées aux décisions politiques qui les concernent, y compris, quand celles‐ci tendent à marchandiser leurs actions. « Il y a une inquiétude des services existants qui depuis 10 ans rebondissent constamment aux lois aux décrets et aux arrêtés, et où on s’interroge, est­ce la bonne etc., « je courbe le dos chaque fois que j’ouvre le journal officiel en disant qu’est ce qu’ils m’ont concocté, comment va­t­on devoir encore une fois… (…) Il y a des arrêtés en nombre qui nous obligent à rendre des comptes de façon anarchique, même si bien sûr c’est très bien de rendre des comptes. Exemple : des associations qui ne sont pas tarifées et auprès de qui le Conseil Général exige d’un mois sur l’autre un budget prévisionnel alors que le budget prévisionnel c’est une fois par an et c’est le 31 octobre. J’ai donc dû monter au créneau en disant arrêtez ! » (Employeur associatif) De même, pour les associations autorisées dans le cadre de la loi 2002‐2 et conventionnées avec les conseils généraux, les tarifs sont fixés par ces derniers : « Les tarifs nous sont imposés. Je ne peux pas vendre la prestation le prix que j'ai envie de la vendre. Si l'APA est fixée à 17.61. Même les gens qui n'ont pas l'APA vont payer 17.61. Si le conseil général donne 17.61 pour les gens qui n'ont pas de sous, je suis obligé de demander le même tarif pour les autres. C'est logique puisqu'on est autorisé auprès du Conseil général, je rends des comptes à une autorité publique. C'est la différence avec une entreprise, elle peut fixer ses prix. Moi du fait que je suis dans un encadrement tutélaire, mes prix sont encadrés. » (Employeur associatif) Dans certains départements, il semblerait que le système prestataire soit clairement privilégié par rapport aux autres types d’offres. « C’est vrai que l’on souhaite privilégier le prestataire. (…) C’est ce qu’on essaie de développer sur le département. Dans le département, c’est le prestataire qui est majoritaire dans le financement APA. On a 47% des heures qui sont faites par un service prestataire. (…) Ce n’est pas majoritaire. Non mais c’est quand même une grosse partie. (…) Dans le département voisin, c’est un vrai choix politique. Ils ont banni carrément le gré à gré. C’est limite. (…) oui au niveau légal c’est limite. La personne âgée, elle doit avoir le choix du service. Donc là dans ce département c’est vraiment limite. » (Régulateur public) « Les structures autorisées continuent de solliciter l’agrément par habitude. L’autorisation est pour 15 ans et ils sont tarifés. Q. Les nouveaux entrants demandent‐ils l’autorisation ? R. Non. Ils ont compris que dans notre département les usagers préfèrent les services autorisés, parce qu’il y a une présence sur le territoire. Certains nouveaux entrants (2 ou 3) ont demandé l’autorisation mais le souci c’est qu’avec l’autorisation il y a la tarification. Or cette tarification exige un équilibre zéro au niveau des comptes, c’est­à­dire l’absence de bénéfices. Donc pour une SARL ce n’est pas possible. » (Régulateur public) Pourtant à différents niveaux, la régulation tutélaire est en retrait. 291 3.2.2. V ERS UN DEPASSEMENT DE LA REGULATION TUTELAIRE ? Tout d’abord, au niveau géographique, l’alignement sur le découpage territorial réalisé par les financeurs traditionnels devient moins prégnant du fait de la moindre importance des financements qu’ils accordent. « Si cette sectorisation est encore forte avec les Cram qui ont longtemps conféré des monopoles locaux aux associations, celle­ci serait appelé à disparaître. (…) La Cram grand défenseur de la sectorisation géographique a annoncé à demi mot il y a moins d’un mois qu’à partir du 31 décembre 2008, il n’y aurait plus de secteur géographique. Avant, les intervenants étaient prédéfinis selon les secteurs. Mais après 2008 ce sera fini. » (Employeur associatif) « Pendant un temps des instances de l'Etat ont joué un rôle de régulation. Par exemple, la Caisse vieillesse qui ne donnait pas une autorisation à deux associations sur le même territoire mais la Cnav a abandonné ça. Donc cet espace de cadrage de régulation nous a été imposé un temps par nos tutelles. D’autant plus qu'en ce temps­là toutes les caisses de retraite s'alignaient sur la Cnav dans leur mode de fonctionnement. Tout doucement la Cnav a abandonné son leadership et a laissé faire la concurrence en abandonnant sa réglementation. » (Employeur associatif) Les structures voient leur capacité d’intervention s’étendre. « Avant les autorisations se faisaient en fonction des arrondissements et des quartiers. La Cnav, la Direction de l’action sociale (DAS) veillent à ce qu’il y ait un maillage clair de l’offre. L’agrément services aux personnes est donné au niveau départemental alors que l’agrément simple est donné sur le plan national, soit une intervention sur toute la France. Avant nos associations étaient sectorisées. Il y a eu une demande d’élargissement au département. » (Régulateur public) La mise en place de l’APA a entraîné un désengagement des caisses de retraite et un dépassement de la sectorisation géographique. Ce poids de l’histoire est toutefois encore important dans la structuration de l’offre actuelle. Ainsi les nouveaux entrants sur le secteur, qu’ils aient le statut d’associations ou d’entreprises commerciales, se plaignent de l’impossibilité qu’ils ont à être conventionnés avec les Cram ou les Conseils généraux. Les Conseils généraux ont eux aussi des relations privilégiées avec certains prestataires mais ceci apparaît en contradiction avec les politiques dominantes. « Les conseil généraux ont encore de la marge de manœuvre ? Je ne vois pas de quel droit les Conseils généraux vont pouvoir faire ça. La Commission européenne intervient de plus en plus. Aujourd’hui je me prépare à répondre à un appel d’offre. Cela dépend de ce que les Conseils généraux mettront comme critères aux marchés qui vont remplacer les marchés actuels. » (Employeur associatif) Dans les services d’aide à domicile, la régulation tutélaire apparaît donc en retrait mais les acteurs n’entendent pas pour autant sombrer dans une régulation concurrentielle ne prenant pas en compte la spécificité sociale de leurs services. 292 3.3. UNE REGULATION CONVENTIONNEE ENCORE LIMITEE Les acteurs associatifs essaient de résister aux évolutions en cours en développant des stratégies afin que les politiques prennent en compte la qualité de leurs prestations, qui passe par des logiques de formation des salariés, des tarifs horaires de prise en charge… Ainsi, au niveau défensif, face à une régulation de plus en plus concurrentielle, les fédérations associatives essaient de résister au niveau local : « La fédération demande de réguler le maillage territorial. On a fait voter en interne un code de bonne conduite. Nous n’acceptons de nouveaux adhérents que s’ils couvrent des besoins non couverts comme le transport à domicile, ou en complément cartographique du réseau. Pour 40%, la gestion de la concurrence est tendue. » (Régulateur associatif) Au‐delà de cette auto‐organisation des structures, il s’agit d’intervenir auprès des politiques publiques pour que la concurrence ne soit pas basée sur le prix mais pour qu’elle prenne aussi en compte la personne aidée dans sa globalité, la qualité de l’emploi, la formation des salariés… 3.3.1. P OUR UNE CONCURRENCE BASEE SUR LA QUALITE Les acteurs associatifs admettent qu’ils peuvent avoir une concurrence mais ils demandent alors que la concurrence ne se fasse pas en premier en lieu à partir du prix mais de la qualité. « Les gens réclament la libre concurrence aujourd’hui. Pourquoi un privé ne pourrait pas venir sur notre plate­bande à partir du moment où il peut prouver qu’il fait mieux que nous ? » (Employeur associatif) « Moi je veux bien que le service public soit en partie rendu par des entreprises à condition qu'elles remplissent un cahier des charges. Mais d'ailleurs il y a aussi des associations qui ne remplissent pas de cahier des charges. C'est tout le problème de la certification aujourd'hui. Je suis beaucoup moins catégorique sur l'idée que les entreprises voudraient seulement faire du fric. Il y a des entreprises qui ont envie de bien bosser. C'est tout. » (Employeur associatif) Les lois ne sont pas toutes le résultat de décisions relevant uniquement des pouvoirs publics et s’imposant aux acteurs locaux. Certaines relèvent d’accords de leurs regroupements nationaux ou de revendications qu’ils ont eux‐mêmes formulées. « Il y a eu depuis 10 ans des aménagements complets : la loi 2002, les aménagements liés à la loi Borloo, et puis le changement conventionnel avec des accords très précis et prégnants (et tant mieux pour les salariés car sur 3 ans il y eu 27% d’augmentation). » (Employeur associatif) 3.3.2. L E CADRE GENERAL DE LA LOI 2002‐2 En effet, les services peuvent opter pour une autre reconnaissance que l’agrément qualité : « l’autorisation » ; ils sont alors soumis à la réglementation relative aux établissements et services sociaux et médico‐sociaux. La loi°2002‐2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et 293 médico‐sociale fixe quatre objectifs principaux : développer les droits des usagers ; diversifier la palette des établissements, services et interventions ; améliorer les procédures techniques de pilotage du secteur ; instaurer une meilleure coordination entre les divers acteurs. Elle entend favoriser les capacités d'innovation des institutions sociales et médico‐sociales. Elle diversifie les missions, les prises en charge, les équipements et les services ; elle favorise le développement des expérimentations ; elle crée de nouveaux organes de concertation garantissant une plus grande démocratisation de la gestion de ce secteur. C'est une loi de responsabilisation de tous les acteurs. Elle rénove tous les liens entre la planification des équipements : les autorisations et les programmations qui en découlent ; les modalités d'allocation des ressources ; l'évaluation de la qualité des prestations fournies ; le contrôle ; la coordination des acteurs. Ce n’est que depuis cette loi que les services d'aide à domicile peuvent s’inscrire dans ce cadre qui ne s’applique qu’aux services d’aide à domicile prestataires et non pas à ceux en mandataires relevant exclusivement de la procédure d’agrément. Pour être autorisé, plusieurs conditions sont à remplir : 1. Le projet doit être compatible avec les objectifs du schéma départemental gérontologique : couverture territoriale des besoins, diversification des activités… 2. Il faut respecter des règles de fonctionnement et d’organisation fixé par le Décret n° 2004‐613 du 25 juin 2004 relatif aux conditions techniques d'organisation et de fonctionnement des services de soins infirmiers à domicile, des services d'aide et d'accompagnement à domicile et des services polyvalents d'aide et de soins à domicile. Le Titre II Articles 10 à 14 de ce décret est consacré aux services d'aide et d'accompagnement à domicile. Il s’agit de services qui concourent notamment au soutien à domicile ; à la préservation ou à la restauration de l'autonomie dans l'exercice des activités de la vie quotidienne ; au maintien ou au développement des activités sociales et des liens avec l'entourage. Les services d'aide et d'accompagnement à domicile assurent, au domicile des personnes ou à partir de leur domicile, des prestations de services ménagers et des prestations d'aide à la personne pour les activités ordinaires de la vie et les actes essentiels lorsque ceux‐ci sont assimilés à des actes de la vie quotidienne. Ces prestations s'inscrivent dans un projet individualisé d'aide et d'accompagnement élaboré à partir d'une évaluation globale des besoins de la personne. La personne morale gestionnaire du service est responsable du projet de service, notamment de la définition et de la mise en œuvre des modalités d'organisation et de coordination des interventions. Les prestations sont réalisées par des aides à domicile, notamment des auxiliaires de vie sociale. Tout service d'aide et d'accompagnement à domicile dispose de locaux lui permettant d'assurer ses missions, en particulier la coordination des prestations et des personnels mentionnés. Afin de garantir la continuité des interventions et leur bonne coordination, les services d'aide et d'accompagnement à domicile assurent eux‐mêmes, ou font assurer, les prestations, quel que soit le moment où celles‐ci s'avèrent nécessaires. Comparées aux cahiers des charges de l’agrément qualité, il faut noter que ces conditions sont plus fermes concernant la présence de professionnelles formées et sur la nécessaire évaluation globale des besoins de la personne. 294 3. Le coût de fonctionnement doit être « raisonnable ». Il faut à cet égard noter une volonté de modernisation de la tarification et des procédures budgétaires et comptables : Les étapes et les délais de la campagne budgétaire sont réorganisés ; une réelle procédure contradictoire est autorisée (chaque partie peut présenter des arguments et échanger). Les contrôles budgétaires sont allégés. Les propositions budgétaires des établissements sont approuvées, non plus compte par compte, mais par grands groupes fonctionnels. Les règles de tarification varient selon la nature des établissements et services : dotations globales, forfaits, prix de journées, tarifs de prestations, modulations selon l'état de la personne. Les conventions collectives, régissant le statut des personnels associatifs, sont approuvées par une commission nationale et s'imposent aux diverses autorités tarifaires. Ainsi, les tarifs prennent en principe en compte la qualification des personnels et font l’objet de conventions pour l’Allocation personnalisée d’autonomie, avec les Conseils généraux. 4. Enfin, l’établissement s’inscrit dans des démarches d’évaluation du service. Le dispositif d'évaluation de la qualité se réalise selon deux modalités qui doivent être complémentaires. En interne, les établissements sont obligés d'évaluer la qualité des prestations qu'ils fournissent en suivant les recommandations de l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico‐sociaux, qui a remplacé le Conseil national de l'évaluation sociale et médico‐sociale. Les résultats de cette auto‐évaluation doivent être communiqués tous les 5 ans aux autorités compétentes. En externe, une évaluation a lieu tous les 7 ans par des organismes extérieurs et indépendants. Le renouvellement tous les 15 ans de l'autorisation est subordonné aux résultats de cette évaluation externe. 3.3.3. A UTORISATION ET CONVENTIONNEMENT , DES MOYENS DE RECONNAISSANCE POUR LES STRUCTURES Pour les Conseils généraux, l’autorisation à travers la loi 2002 permet de faire le tri entre les différents prestataires : « En autorisation on n’a que les bons ou les pas trop mauvais. Quant aux mauvais, ils savent bien qu’ils vont se faire rejeter. Le régime d’autorisation est qualitatif pour la prestation mais aussi pour l’emploi. Le Conseil général vérifie les heures, le nombre d’équivalents temps plein, si ils n’ont pas un nombre d’équivalents temps plein suffisant par rapport au nombre d’heures, cela veut dire que les gens font plus d’heures que prévu, et ce n’est pas normal. Donc on vérifie tout. Quand un personnel fait trop d’heures il y a un risque de maltraitance. » (Régulateur public) « Il y a plus de structures autorisées dans notre département que dans celui qui est voisin. C’est une volonté. Derrière l’autorisation, il y a une défense de la qualité. Et c’est le rôle du Conseil général : la qualité de l’environnement social. Il est responsable du bien­être des personnes âgées. C’est un rôle social. Ici çà se passe très bien avec les associations. On est là pour les aider. S’il y a un problème de caisse, on fait des avances, etc. Dans le Nord ça ne se passe pas de la même manière. L’Una et l’ADMR disent que dans le Pas­de­Calais çà se passe bien. Le Conseil général demande une qualité et il la paie. Il y a des départements qui demandent une qualité mais qui derrière mettent un tarif forfaitaire à 16 euros ! On ne peut pas demander à des associations de qualifier leur personnel, de faire des efforts etc., et que derrière ça ne coûte rien. C’est impossible. A partir du moment où on a un budget 295 justifié et que l’on se rend compte que le coût est effectivement celui­là, il faut aller au bout de ses idées. » (Régulateur public) La loi 2002 est perçue par les associations comme un moyen de les reconnaître qui est toutefois aujourd’hui remis en cause. « La loi de janvier 2002 constitue une reconnaissance de l’aide à domicile comme des services médico­sociaux et polyvalents. Avant il n’y avait pas de statut. C’était une grande victoire qui ouvrait en 2003 à une tarification par le Conseil général. Celui­ci doit garantir un tarif fixé sur des objectifs. » (Régulateur public) « On ne demande pas un monopole. La loi Borloo donne la possibilité à tout le monde d’intervenir auprès des personnes fragilisées sans autorisation. Il y a une concurrence déloyale. On se soumet à des contrôles, des certifications, des normes NF. Tout cela a un coût qui n’est pas pris en compte par les tutelles. Les associations se soumettent à de multiples procédures : loi 2002, norme de qualité NF, Cnav, label qualité ville de Paris… » (Régulateur public) Le conventionnement des structures avec les Conseils généraux offre à la fois une meilleure reconnaissance et des moyens supplémentaires. « Le département a conventionné 16 associations depuis 1983 : 15 à l’UNA, 1 ADMR, elles sont déjà habilitées. Ce sont les associations qui interviennent pour l’aide sociale légale auprès des personnes à revenu bas qui ne paient pas l’intervention, à partir d’un tarif départemental. Ce conventionnement permet une meilleure reconnaissance pour l’APA. Il y a deux conventions. Une convention porte sur la modernisation et le développement des services aux personnes, elle se situe dans le cadre d’un partenariat entre l’Etat à travers le Fonds de modernisation de l'aide à domicile (FMAD), la Caisse nationale solidarité Autonomie, le Département et les associations. Une autre Convention qui a couvert les années 2002 à 2006 porte sur des actions plus innovantes : l’aide aux aidants ; l’intervention de psychologues, d’ergothérapeutes. Elle est en cours de renouvellement, en 2007, et devra porter sur la normalisation Afnor ; la mise en place de services de garde itinérante de nuit ; un renforcement ide l’aide aux aidants à travers la mise en place de groupes de travail, de réunions trimestrielles avec les familles, l’écoute­échange­
information, les rencontres des aidants en dehors des associations ; le soutien groupe de parole avec les intervenantes à domicile ; le tutorat pour les nouvelles embauchées…. » (Régulateur public) Ces moyens supplémentaires apparaissent toutefois encore faibles aux yeux des associations : « Nous avons une subvention de 700 000 euros de la Ville de Paris, soit 0,25 euros de l’heure sur les 1,50 euros de manque à gagner par heure. Cette subvention est la contrepartie d’une reconnaissance des associations qui répondent à certains critères (DEAVS, suivi psy, groupes de parole). » (Régulateur associatif) La régulation conventionnée induit une diversification des modes de financement versés aux associations. Le financement n’est plus uniquement à l’acte, à l’heure réalisée, il prend en compte des actions plus qualitatives. Ce type de régulation est à mi‐chemin entre la régulation tutélaire et la régulation concurrentielle. Notamment, il hérite de la régulation tutélaire le caractère 296 redistributif permettant l’accès au service des usagers, la reconnaissance des statuts du personnel, la prise en compte de la qualité du service. Mais il emprunte aussi à une régulation concurrentielle, notamment en mettant fin aux monopoles locaux dont jouissaient les CCAS et les associations historiques. Ce troisième type de régulation conventionnée a toutefois des difficultés à s’affirmer malgré les efforts développés par les acteurs associatifs pour que soit prise en compte la spécificité des services rendus. 297 CONCLUSION Le tableau qui suit tente de synthétiser les différents types de régulation. Il constitue une actualisation des régulations tutélaires et concurrentielles présentées sous forme d’idéaux‐types par Bernard Enjolras et Jean‐Louis Laville. Par rapport au tableau initial (Laville et Nyssens, 2001, p. 45), il intègre la régulation conventionnée et essaie de classer les différents types de politiques publiques suivant leur proximité avec les idéaux types de régulation. A partir des différents critères permettant de distinguer régulation tutélaire et régulation concurrentielle, l’examen des politiques territoriales montre que ces dernières balancent entre ces deux types de régulation imposées par les pouvoirs publics. Une partie des acteurs associatifs sont à la recherche d’une troisième voie conventionnée. Ils ont progressivement admis la possibilité d’une concurrence avec d’autres prestataires mais ils suggèrent, quand ils interviennent auprès de personnes dépendantes, que cette concurrence ne soit pas fondée sur le prix mais plutôt sur l’utilité sociale et la qualité des prestations fournies comme de l’emploi, l’accessibilité au service. Cette revendication constitue une volonté de conventionnement avec les pouvoirs publics intégrant ces exigences. Il s’agit de réencastrer socio‐politiquement le marché à partir d’une impulsion associative qui mobilise également les pouvoirs publics (Gardin, 2006, p. 90‐94). La loi 2002‐2 sur la rénovation de l’action sociale s’inscrit dans une certaine mesure dans cette logique. Toutefois, les Conseils généraux ne sont pas tous prêts à s’engager dans de tels conventionnements qui les obligent à entrer dans une logique négociée de tarification avec les services d’aide à domicile prestataires. Plus coûteux que le recours à des services de gré à gré, ou à des services ayant peu de personnel formé, certains Conseils généraux rechignent à appliquer la loi 2002‐2 dans une logique de maîtrise des enveloppes budgétaires. Certains préfèrent gérer l’APA d’une manière plus concurrentielle en rupture avec la gestion des prestations des Cram qui, dans une logique tutélaire, encadraient strictement l’offre comme la demande de service. Le Plan Borloo renforce cette logique de concurrence entre les employeurs en appuyant une diversification de l’offre qui entend intervenir sur les services à la personne mais également dans l’aide à domicile, sans pour autant imposer des exigences aussi fortes que celles de la Loi 2002‐2 sur l’organisation des services, la formation et le statut des employés ou le droit des usagers. 298 Formes de Idéal­type Tutélaire régulation Loi 2002­2 Idéal­type Conventionné Allocation prestation autonomie (APA) Critères Mode de financement Fixation des subventions budgétaires Budget global et prospectif prix de journée ou forfait Prix de l’heure fixé à ‐ Achats des usagers partir de la situation de la suivant leur besoins et structure habilitée ressources ‐ Conventions Approbation par la puissance publique du budget d’exploitation Conventionnement sur projets acceptés par la puissance publique Conventions négociées avec les pouvoirs publics sur les investissements et sur le fonctionnement Autorisation d’équipements Passage en CROSS
Soutien partiel en fonction des projets et de négociation entre le public et les représentants du secteur Agrément des Conventions collectives ‐ Reconnaissance des conditions de qualité (formation, encadrement…) ‐ Reconnaissance des conditions de qualité (formation, encadrement…) ‐ Achats par des usagers financés par le Conseil général Plan Borloo sur les services à la personne Idéal­type Concurrentiel ‐ Achats par des clients ‐ Participation des usagers ‐ Subventions ‐ Avantages fiscaux et réduction de charges Limitées : formation, aide à la création… Limitées : formation, Subventions aide à la création… discrétionnaires éventuelles Contrôle des investissements Contrôle des coûts —
Variables : exigences pour les organismes autorisés et pas pour le gré à gré —
—
—
—
299 Contrôle de la démographie des équipements ‐ Planification ‐ Schéma ‐ Autorisations ‐ Autorisation sur aide sociale ‐ Concurrence sur APA Concurrence limitée par la négociation sur le soutien aux investissements Concurrence aménagée suivant les CG Concurrence
Concurrence
Révélation de la demande Commission d’évaluation et d’attribution Evaluation médico‐
sociale par Conseils généraux ‐ Evaluation conjointe avec Evaluation médico‐
les pouvoirs publics sociale par Conseils généraux Expression libre de la demande Expression libre de la demande Solvabilisation Subvention de la structure Financement de la structure (aide sociale) Convention avec la structure APA par l’usager ou à la structure Solvabilisation en fonction des besoins et ressources Solvabilisation des usagers par l’allocation de prestation autonomie (APA) Solvabilisation des clients par : • déduction d’impôts
• tiers payants (employeurs…) Aide à la personne (prestation en espèces, exonération de charges sociales incitation fiscale) Allocation prestation autonomie (APA) Plan Borloo sur les services à la personne Idéal­type Formes de Idéal­type Tutélaire régulation Loi 2002­2 Idéal­type Conventionné Critères Protection de l’usager ‐ Autorisation ‐ Habilitation ‐ Autorisation
‐ Convention avec pouvoir public Variable :
Concurrentiel -
‐ Agrément simple et ‐ Agrément simple et qualité (cahier des qualité (cahier des Autorisation (2002) charges DDTE) charges DDTE) -
Labellisation locale ‐ Labellisation -
Agrément qualité ‐ Certification -
Néant pour le gré à gré ‐ Droits de l’usager 300 Tarification En fonction du revenu -
ticket modérateur -
barèmes Effet redistributif recherché Type d’emploi En fonction :
En fonction :
Prix du marché
Prix du marché
-
du plan d’aide -
du plan d’aide -
du plan d’aide -
des revenus de l’usager -
des revenus de l’usager -
des revenus de l’usager -
du budget de la structure -
‐du projet de la structure Anti‐redistributif (crédit d’impôts peu utilisé) Redistributif Redistributif Redistributif Effet neutre ou anti‐
redistributif Emploi par le service Emploi par le service prestataire prestataire. Emploi par le service prestataire Emploi par le service prestataire Emploi par le service Emploi par le service prestataire prestataire Fonction publique Fonction publique Fonction publique Fonction publique Gré à gré, mandataire Gré à gré, mandataire Association autorisée, Service agréée qualité, CCAS, gré à gré, CESU Service agréé qualité, Service agréé simple, Gré à gré, CESU Fonction publique. Type de structures En fonction :
Service public, CCAS, Association autorisée, association autorisée CCAS Service prestataire conventionné Gré à gré, mandataire Tous types de services 301 BIBLIOGRAPHIE DARES, 2007, « L’insertion par l’activité économique en 2005 », Premières informations, Ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité, août, n°33‐2. CNPF, 1994, Les services à la personne. Services aux consommateurs et services de proximité : des marchés à développer par l’innovation dans l’offre et par le professionnalisme des intervenants, Paris : CNPF, Comité de liaison des services (avril). Gardin L., Gounouf M.‐F., 1999, Du développement du titre emploi­service à la structuration des services aux particuliers, évaluation de l’expérience socio‐économique de l’Association Bretagne Chèque domicile, recherche réalisée pour l’Association Bretagne Chèque domicile avec un financement du Ministère de l’emploi et des affaires sociales, Paris, CRIDA‐LSCI, Janvier. Gardin L., 2001, « Développer les services aux personnes », Notes de l’institut Karl Polanyi, Paris, Institut Karl Polanyi, 44 p. Gardin L., 2006, Les initiatives solidaires, La réciprocité face au marché et à l’Etat, Ramonville Saint‐Agne, Editions Eres. IGAS. 2006. Rapport relatif au maintien à domicile des personnes âgées relevant de l’action sociale de la caisse nationale d’assurance vieillesse, rapporteurs Michel Durrafourg et Stéohane Paul. MEDEF, 2002, Concurrence : marché unique, acteurs pluriels, Pour de nouvelles règles du jeu, Paris : Mouvement des entreprises de France. Laville J.‐L., 1996 a., avec la collaboration de L. Gardin, Les services de proximité, un choix de société, étude pour la Poste, Paris : CRIDA‐LSCI, CNRS. Laville J.‐L., NYSSENS M., (sous la direction de), 2001, Les services sociaux entre associations, État et marché, Paris : La Découverte. Merrien F.‐X., 1997, L’État providence, Paris : Presses universitaires de France. 302 CONCLUSION GENERALE Laurent Fraisse L’ensemble des chapitres de cette recherche permettent de mieux cerner l’impact des récentes mesures législatives, en particulier le plan Borloo, sur la création et la qualité de l’emploi, la relation de services et la professionnalisation des métiers dans le secteur mouvant des services à la personne. Le tableau qui se dessine est loin d’être définitif. Objet de réformes régulières depuis quinze ans, le secteur est traversé par un enchevêtrement de régulations (Gardin, chapitre 6) et une pluralité de conventions de professionnalité (Ribault, chapitre 4) qui rendent incertaine sa stabilité institutionnelle. La coexistence, voire la concurrence de référentiels constitue la caractéristique même d’un secteur aux contours flous dont les activités sont difficilement saisissables statistiquement (Jany‐Catrice, chapitre 1). Cette instabilité institutionnelle n’est pas nouvelle. Il y a à la fois des éléments de continuité par rapport à des recherches antérieures en particulier les tensions récurrentes entre une logique d’action sociale et logique de création d’emplois. D’une certaine manière, la séquence des années 2000 avec l’instauration de l’allocation personnalisée autonomie (APA), suivi de la mise en place du plan Borloo illustre ce mouvement de balancier entre ces deux pôles d’attraction en matière de politiques publiques. S’il est encore trop tôt pour évaluer l’ensemble des effets du plan Borloo, il est cependant possible de dégager plusieurs tendances à partir de la double analyse quantitative et qualitative menée dans le cadre de cette recherche. Ce regard est plutôt critique, à la mesure des effets d’annonce qui ont précédé et suivi le plan de cohésion sociale de 2005. Des créations d’emplois à temps très partiel dans la continuité des tendances passées Comme le rappelle Florence Jany‐Catrice, les services à la personne ont été principalement valorisés sous l’angle de leur potentiel de création d’emplois chiffrés à 500 000 en trois ans (CERC, 2008). De fait, la croissance de l’emploi dans le secteur des services à la personne est importante puisque que largement supérieure à la moyenne nationale (chapitre 2). Si la progression du nombre d’emploi créés est indéniable, une mise en perspective dans le temps et dans l’espace vient nuancer les effets propres du plan Borloo. L’augmentation des emplois entre 2005 et 2006 se situe dans la moyenne des années précédentes (chapitre 2, p.15‐
16). Il n’y a donc pas d’amplification mais bien continuité en la matière que ce soit pour les 303 salariés employés en organismes de services à la personne ou ceux en emploi direct chez un particulier‐employeur. Mais surtout, la durée du travail de ces emplois demeure particulièrement faible. Le volume horaire de travail moyen est de 600 heures annuelles par salarié en organismes agréés et de 430 heures en emploi de gré à gré. Ce qui correspond en moyenne à des emplois d’environ un tiers‐
temps. Comme le souligne Florence Jany‐Catrice (Le Monde, 26 février 2008), ramenés en équivalent temps plein, il n’y a plus que 32 000 emplois créés en 2006. A ce niveau, le plan Borloo ne semble pas marqué de rupture. A l’inverse, le contraste est saisissant entre la communication offensive des pouvoirs publics sur le boom des emplois de services à la personne et le peu de préoccupations pour juguler la précarité d’emplois à temps très partiel. Par ailleurs, cette progression de l’emploi est inégalement répartie sur les territoires. Certaines régions comme l’Ile‐de‐France ont connu une croissance faible du nombre d’emplois en 2006 avec parfois des pertes d’emplois enregistrées dans certain département comme les Hauts de Seine. Enfin, l’implantation de nouveaux entrants comme les entreprises ne se traduit pas systématiquement par une création nette d’emplois, mais vient parfois seulement compenser les pertes dans le secteur associatif. La prédominance des emplois en gré à gré sur les emplois dans les organismes agréés Avec 1, 27 millions d’emplois en 2006 (chapitre 2, p.31), l’emploi direct en gré à gré demeure le mode d’intervention le plus fréquemment utilisé, loin devant le nombre d’’emplois en organismes agréés services à la personne (392 200 emplois en 2006). De fait, l’emploi en gré à gré a continué à progresser de manière importante (+8%) entre 2005 et 2006. A ce niveau le plan Borloo ne semble pas engager d’inversion de tendance en faveur de l’emploi en organismes agréés alors même que l’arrivée des entreprises commerciales était présentée comme un facteur clé de professionnalisation du secteur. Il est bon de rappeler que le développement rapide de l’emploi direct d’intervenantes à domicile par des particuliers employeurs est le résultat d’un choix politique délibéré. Contrairement par exemple à la Belgique (Nassaut, Marée, Nyssens, 2006) qui a privilégié le recours systématique à des services prestataires, y compris pour l’utilisation du titre service pour des travaux de ménage ou de bricolage, la France a largement favorisé l’emploi en gré à gré sans que l’intervention auprès de personnes fragiles dans le cadre de l’APA ne constitue une limite à son extension. De ce point de vue, le plan Borloo s’inscrit dans la suite des précédentes réformes. Il ne circonscrit, ni ne réglemente davantage l’emploi direct. Pas plus qu’avant le plan de cohésion sociale, l’emploi en gré à gré ne fait l’objet d’une réglementation ou d’un agrément à l’instar des assistantes maternelles dans le secteur de la petite enfance. Au contraire, l’instauration du Chèque emploi service universel renforce son potentiel de développement. Contrairement à l’ancien titre emploi‐service, le CESU n’accorde a priori pas de préférences pour les services prestataires mais laisse le libre choix du mode d’intervention. 304 Cette progression continue de l’emploi en gré à gré n’est donc pas complètement surprenante puisque le plan Borloo visait à l’élargissement à de « nouveaux services » au domicile plus qu’au développement de l’aide aux personnes âgées et de la garde d’enfants. Elle est en revanche problématique du point de vue de la qualité de l’emploi puisque la croissance de l’emploi direct s’accompagne d’une baisse de la durée moyenne de travail par salarié qui est inférieure à celle en organisme agréé. Or, compte tenu des faibles marges de progression d’un salaire horaire dont le niveau tourne autour du SMIC, l’insuffisance du nombre d’heures maintient à un niveau très faible les rémunérations des salariés des services à la personne. Cette situation ne peut qu’être préoccupante pour un plan qui prévoyait d’« améliorer les conditions de rémunérations, les droits sociaux et la formation des salariés »1. Promouvoir une qualité du service sans qualité de l’emploi ? L’insuffisante attention portée aux résultats en matière de qualité de l’emploi est‐elle la contrepartie de l’accent mis ces dernières années sur la professionnalisation des organisations dans le cadre des procédures d’agrément ou de certification et plus largement sur l’investissement dans les enseignes nationales, nouveaux intermédiaires censés structurer par la qualité le marché des services à la personne ? Penser qu’il suffit de professionnaliser l’offre pour que la qualité de l’emploi suive, c’est sans doute sous estimer sa faiblesse structurelle. Francois‐
Xavier Devetter démontre (chapitre 3) que quels que soient les indicateurs de qualité de l’emploi choisi, ils demeurent particulièrement médiocres en comparaison d’autres secteurs de services à emplois « peu qualifiés » (hôtellerie‐restauration ou le commerce). Les rémunérations y sont faibles et les perspectives d’augmentation salariale limitées. La persistance de travail au noir, de modalités spécifiques de contractualisation (Cesu) et d’un fort turn‐over sont des indicateurs de faible sécurité et stabilité de l’emploi. La pénibilité physique, l’exposition à des produits toxiques et les multiples trajets entre domiciles altèrent les conditions de travail. Enfin, le manque de reconnaissance sociale et juridique n’est que partiellement compensé par la reconnaissance symbolique qui tient à la relation d’aide et d’accompagnement d’une personne fragile. En privilégiant la création d’emploi à tout prix, en ne limitant pas le recours au gré à gré, en mettant en concurrence les modes d’intervention et les organismes agréés, il n’est pas certain que le plan Borloo favorise la généralisation des « bonnes pratiques » en matière de gestion des ressources humaines et d’amélioration des conditions de travail. Une entrée des entreprises récente et territorialement polarisée Le plan Borloo avait fait de l’entrée des entreprises commerciales dans l’offre de services à la personne le signe d’une professionnalisation du secteur. De ce point de vue, le nombre 1 Plan de développement des services à la personne, 16 février 2005, www.cohesionsociale.gouv.fr, p.4. 305 d’agréments accordés aux entreprises est en forte progression, alors que le nombre d’associations agréées stagne (chapitre 2). En outre, la moitié des emplois en organismes agréés en 2006 ont été créés par les entreprises privées. Reste que les emplois créés en entreprises sont loin des prévisions annoncées. D’autant que sur certains territoires, on ne peut exclure les effets de substitution avec l’emploi associatif, notamment en mode mandataire. Enfin, les variations locales sont importantes. Les entreprises privées se concentrent en Ile‐de‐
France où elles représentent 18% des emplois contre seulement 2,7% en Nord Pas de Calais (chapitre 2). Ces données laissent à penser que l’implantation territoriale des entreprises se fait de façon très sélective en privilégiant d’abord les grands centres urbains. Cette polarisation géographique de l’offre privée lucrative n’est pas sans lien avec la liberté d’implantation encouragée par le plan Borloo en rupture avec la recherche d’équilibre territorial que privilégiait la logique de sectorisation. Des régulations toujours plus enchevêtrées ? La situation française se caractérise par un empilement des régulations relevant de logiques différentes (Enjolras, Laville, 2001). Cet enchevêtrement de réglementations est source d’incohérence et d’instabilité institutionnelle. Ici encore la comparaison avec la situation belge est éclairante. En Belgique, il y a d’un côté l’aide familiale vers les publics fragiles, qui relève d’une régulation tutélaire en réglementant et finançant des services non marchands (public ou non lucratif), et de l’autre l’aide ménagère qui laisse place à une régulation quasi‐concurrentielle entre prestataires public, privé non lucratif et lucratif dans le cadre d’un financement direct de la demande par le titre service. La complexité institutionnelle de la situation française tient à un mixte d’éléments de régulation tutélaire (agrément, tarification, sectorisation, subvention de l’offre, etc.), de régulation concurrentielle (liberté tarifaire et d’implantation, solvabilisation de la demande, « libre choix » des modes d’intervention et des organismes agréés) et d’arrangements territoriaux entre institutions et services d’aide à domicile. De ce point de vue, le plan Borloo ne vient pas clarifier les tensions qui traversent le secteur (Gardin, chapitre 6). Il ajoute plutôt des éléments de complexification du paysage par l’introduction de nouveaux intermédiaires entre l’offre et la demande (les enseignes), d’instance de régulation (ANSP), de moyens de paiement (Cesu), d’organismes agréés (entreprises privées lucratives). Loin de préciser le dénominateur commun entre des activités très disparates, il élargit la liste des services en brouillant un peu plus la distinction entre services dits de « care » auprès de publics fragiles (enfants, personnes âgées, malades, etc.) et des services dits de confort. Loin de fixer des limites à l’emploi direct, il le renforce potentiellement avec le Cesu et l’allégement des charges sociales. Loin de clarifier les conditions d’intervention des organismes de service à la personne, il accentue la mise en concurrence entre agrément et autorisation en introduisant un droit d’option entre les deux procédures. Si la sédimentation des régulations persiste, la mise en place du plan Borloo n’est pas neutre. Il n’enraie en rien l’affaiblissement d’une régulation tutélaire qui s’est caractérisée par une baisse significative des heures financées par la CNAV et des caisses de retraites au fur et à mesure que 306 l’APA est montée en régime. Il n’a pas facilité l’application de la loi 2002‐2 qui pouvait offrir a priori un cadre possible d’une régulation plus conventionnée où les associations autorisées seraient reconnues comme des interlocuteurs des pouvoirs publics à même de discuter de la tarification en contrepartie d’exigence accrue en matière de qualité de service. A ce niveau l’instauration d’un droit d’option a rendu la procédure d’autorisation plus contraignante. En revanche, le plan Borloo accentue les éléments de régulations concurrentielles en encourageant l’arrivée des entreprises privées lucratives, en facilitant la liberté d’implantation, en insistant sur la liberté de choix de son prestataire avec la mise en place du CESU. Des échanges marchands sans marché ou les limites d’un encadrement du marché par la qualité Le plan Borloo insiste donc sur la mise en concurrence des services au nom de la liberté de choix du consommateur. La construction d’un quasi‐marché demeure problématique tant du point de vue de sa cohérence que de ses effets. Au niveau de l’évaluation des besoins et de la mise en relation de l’offre et de la demande, Laurent Fraisse et Marie‐France Gounouf (chapitre 5) montrent que le « libre choix » d’un mode d’intervention et d’un organisme agréé reste en grande partie illusoire, compte tenu du nombre inégal d’intermédiaires concourant à l’évaluation des besoins et à la formulation d’une demande d’aide à domicile d’une personne en perte d’autonomie. La sélection d’un service n’est pas le résultat d’un arbitrage entre son prix et une qualité qui serait garantie par des agréments et labellisée par des enseignes. Les priorités et arrangements politiques locaux entre régulateurs et services à domicile, les coopérations pratiques entre réseaux sanitaires et sociaux et acteurs historiques, l’absence de nouveaux opérateurs sur des territoires jugés peu porteurs sont autant de facteurs qui concourent en amont à l’identification et à la sélection d’un service. Mais surtout, les agréments et certification sont avant tout des conditions d’entrée sur le marché, mais pas des signaux qualité sur lesquels les utilisateurs prennent une décision. Celle‐ci repose encore fortement sur des médiations personnelles et informelles qui sont des vecteurs important de confiance en particulier pour les publics fragiles. Faute d’avoir pris en compte l’importance des réseaux sociaux et professionnels, les enseignes nationales apparaissent pour le moment comme un niveau d’intermédiation supplémentaire qui complexifie la mise en relation de service. La formalisation et la codification de l’information qu’elles proposent ne semblent pas générer pour le moment un flux massif de nouvelles demandes. Sans vouloir présager de l’avenir, la faible visibilité des résultats des enseignes nationales pointe les limites d’une construction d’un marché sur la base de dispositifs impersonnels d’intermédiation de l’offre et de la demande qui feraient l’économie des dispositifs personnels. Cette insuffisante prise en compte des « vertus de la pluralité conventionnelle » qui traverse le secteur se retrouve aussi du côté de la professionnalisation (chapitre 4). Thierry Ribault montre que la professionnalisation du métier d’aide à domicile passe par la reconnaissance et l’articulation de plusieurs conventions de professionnalité difficilement compatibles avec la tentation hégémonique de la convention marchande. La gestion de la diversité des conventions de professionnalité par leur mise en concurrence apparaît comme un facteur d’instabilité 307 institutionnelle peu favorable à la consolidation d’une identité professionnelle des aides à domicile. Le risque n’est pas négligeable qu’une compétition par les prix des modes d’intervention et des organismes agréés ne permette pas de dégager les moyens d’une véritable amélioration des conditions de travail et d’emploi des intervenantes au domicile. Plus largement, on peut douter de la capacité du plan Borloo à produire de la cohérence institutionnelle en misant principalement sur les vertus de la concurrence pour réguler l’hétérogénéité conventionnelle du secteur. En continuant de soumettre de manière inégale les modes d’intervention et les organismes agréés à différentes procédures d’agrément, d’autorisation et de certification, on ne peut exclure qu’au final la mauvaise qualité chasse la bonne. Autrement dit, le respect par les prestataires des multiples injonctions des institutions (Cnav, Conseil généraux, enseignes) qui développent chacune leur référentiel qualité ne se traduit pas pour le moment par un « avantage concurrentiel », mais par des prestations plus chères qui ne sont que très partiellement prises en compte par les institutions de régulation et de financement. La faible qualité des emplois créés depuis un an et la fragilité économique de certaines organisations prestataires qui ont pourtant fait le pari de la professionnalisation laissent perplexe quant aux vertus, compte tenu de la structure actuelle du marché, d’une régulation par la qualité. Sortir par le haut du cercle vicieux d’une piètre qualité d’emploi qui entretient un service de qualité (très) variable, nécessite de faire appel à une révision profonde des représentations, et donc, des pratiques. L’enjeu est de construire et de réguler une identité professionnelle plurielle (Ribault, chapitre 4) qui n’a pas trouvé le cadre approprié d’une reconnaissance institutionnelle et encore moins financière. Le critère de durabilité de la relation salariale ‐ au sens de la capacité à construire et à préserver un espace de travail décent – conjointement au critère de durabilité du service produit – au sens de la mise à disposition négociée d’une capacité à atteindre un objectif identifiable et mesurable, sans épuisement des ressources nécessaires à sa coproduction – pourraient constituer les bases d’une relation de service renouvelée. Il apparaît difficile de garantir institutionnellement cette double durabilité tant que le gré à gré demeurera le mode d’intervention prédominant et sans limite. Substituer le modèle marchand tel qu’il est promu par la politique des pouvoirs publics, et dont les entreprises se saisissent principalement – d’où leur intérêt concentré sur « le marché des actifs » et sur des prestations de ménage – ne constitue pas une réponse viable. Face à la prophétie du Marché il est grand temps que les associations renouvellent leurs discours et leurs actions. Les vertus proclamées du modèle associatif ou la défense d’un ancrage sanitaire et social de l’aide à domicile ne retrouveront de la crédibilité que si ces organisations font de l’instauration d’un régime professionnel à même de reconnaître la durabilité des emplois et des services, la priorité des changements institutionnels et organisationnels à venir. 308 BIBLIOGRAPHIE Nassaut S., Marée M., Nyssens M. (2007). Economie sociale et libéralisation des services : le cas des services de proximité, texte pour le Workshop : The regulation in the field of domiciliary care, February 2007. 
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