Les journées de l’Entreprise de l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises Décembre 2013 Le financement du stade précoce de l’innovation (Early Stage) : Quelques pistes de réflexions Mme Zouhour Karray* (1er décembre 2013) * Professeur en Sciences Economiques Université de Tunis Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales de Tunis Chercheur à UAQUAP – ISG de Tunis Chercheur associé à Economic Research Forum E-mail : [email protected] I. Introduction Dans l’état actuel de l’économie tunisienne, deux défis majeurs sont à relever. Réaliser une croissance économique soutenue capable de créer de l’emploi relativement qualifié et de réduire les inégalités régionales. Face à ces questions essentielles, le rôle des Petites et Moyennes Entreprises (PME) innovantes est primordial car elles représentent le tissu économique de demain. En effet, au fur et à mesure que se tarissent les grandes sources d'emplois que constituent les grandes entreprises et la fonction publique, les PME innovantes ou potentiellement innovantes apparaissent comme le seul agent économique susceptible de croître, d'embaucher et de créer de la valeur ajoutée. Cependant, selon le Répertoire National des Entreprises (RNE, 2011), le tissu industriel semble vulnérable dans la mesure où la création des entreprises est largement dominée par les micro-entreprises (moins de 5 employés). En effet, 89% des créations de nouvelles entreprises sont de très petites tailles alors que seulement 1% et 0,4% des nouvelles entrées concernent respectivement les grandes et moyennes entreprises. Cette même dynamique est observée pour la sortie des entreprises. Par ailleurs, durant les cinq dernières décennies, nous pouvons dire que l’économie tunisienne a connu des transformations structurelles de son appareil productif : en passant d’une économie basée sur l’agriculture et l’activité minière à une économie relativement industrialisée ; en passant d’une économie interventionniste à une économie basée sur l’initiative privée en développant le tissu industriel et l’investissement privé ; en passant d’une économie fermée tournée vers l’intérieur à une économie ouverte dont la croissance est induite par les exportations ; en passant d’un panier d’exportations concentrées dans le secteur du textile & habillement et cuir & chaussures à un panier plus diversifié et à contenu technologique relativement amélioré ; et enfin en passant d’une économie dirigée où la politique industrielle revient à une mise en place des mesures de protections tarifaires, de subventions et d’incitations fiscales à une économie basée sur la collaboration entre les pouvoirs publics et les acteurs privés afin qu’ils puissent identifier collectivement les contraintes qui pèsent sur le développement industriel. Malgré tous ces efforts et ces évolutions, la transformation économique semble inachevée, un grand chemin reste à faire pour l’économie tunisienne afin d’assoir son développement sur les activités novatrices capables de générer plus de valeur ajoutée et d’assurer une montée en gamme. De toute évidence, les nouvelles stratégies étaient marquées par une orientation vers l’économie du savoir tel que recommandé par le 10ème Plan de développement (2002-2006). L’accélération vers une telle économie est accentuée dans le cadre du 11ème Plan de développement (2007-2011) qui avait ciblé un taux de croissance annuelle du PIB de 6,1%. La Tunisie devait assurer sa migration progressive des secteurs traditionnels (qui restent coincés dans l’ensemble dans des activités de simple transformation et d’assemblage à faible valeur ajoutée) à des industries plus avancées du point de vue technologique. En 2008, le gouvernement a adopté une nouvelle politique industrielle baptisée « Horizon 2016 ». Elle découle d’une étude du ministère de l’Industrie, intitulée « Stratégie industrielle nationale à l’horizon 2016 » qui essaye d’ancrer l’innovation et la valeur ajoutée dans les stratégies de développement des secteurs. 2 Plus encore, l’innovation est largement reconnue aujourd’hui comme un moteur de la croissance économique et une force majeur pour créer les conditions d’un développement durable s’attaquant à des challenges environnementaux et sociaux. Cependant, les activités innovantes sont confrontées à des difficultés particulières relatives aux sources de financement. Un soutien efficace à l'innovation ne nécessite pas uniquement de ressources supplémentaires. Il exige la présence d'intermédiaires financiers spécialisés qui sont en mesure de fournir non seulement l'argent mais aussi une expertise technique et managériale. L'émergence et la croissance d'une infrastructure de financement pour le soutien à un stade précoce d'entreprises innovantes est un processus complexe qui dépend de plusieurs conditions et exige une allocation efficace des capitaux. Alors que la compétitivité d’une économie dépend essentiellement de sa capacité à innover, la Tunisie investit insuffisamment dans l’innovation et la Recherche & Développement (R&D). Durant la période 2005-2010, le pourcentage du PIB consacré à la R&D1 a dépassé la barre du 1% contre 0,84% pour la Turquie, 0,63% pour la Malaisie et 2,24% pour la France. Mais, en Tunisie, l’essentiel de l’investissement est réalisé par le secteur public et souffre d’un grand problème de valorisation. En effet, en 2009, seulement 20% de la dépense intérieure en R&D est effectuée par le secteur privé en Tunisie contre 40% pour la Turquie, près 70% pour la Malaisie et 61,7% pour la France. Le défit est alors double. D’une part, il s’agir de voir comment inciter les entreprises existantes à investir dans la R&D et à innover et de les accompagner dans leurs efforts respectifs. La compétitivité des entreprises tunisiennes passe avant tout dans les années à venir par l’innovation et donc par la R&D. Ce n’est qu’à travers l’innovation que ces entreprises peuvent diversifier leurs gammes de produits et conserver leur part de marché international et même national. D’autre part, la création d’entreprises innovantes lancées par de jeunes porteurs d’idées de projets innovants constitue une véritable opportunité pour l’économie tunisienne. En effet, le nombre des diplômés dans les domaines de la science et technologie est en croissance depuis plus d’une décennie. L’un des enjeux pour la Tunisie est de faciliter la création puis le développement de ces PME innovantes car elles représentent le tissu économique de demain capable de générer une plus grande valeur ajoutée et des retombées positives par le biais des relations en amont et en aval. Pour les entreprises existantes, le gouvernement suit une politique industrielle relativement active et pour le moins généreuse (Erdle, 2011). Si les résultats sont relativement décevants en matière d’innovation, c’est probablement en raison des politiques micro-économiques et de l'existence d'institutions peu performantes qui apparaissent comme des facteurs dissuasifs pour l'investissement dans l’innovation. Ceci est vrai aussi bien pour l’investissement privé intérieur que pour l’investissement étranger qui constitue le meilleur potentiel de rattrapage technologique. Par contre, le financement des projets innovants qui donnent naissance à des PME innovantes pose de grandes difficultés en Tunisie. L’environnement réglementaire et institutionnel, l’esprit d’entreprendre, l’intensité de la concurrence ou encore le contexte économique ont un 1 Les données relatives aux dépenses intérieures de R&D sont issues de l’UNESCO (http://data.uis.unesco.org). 3 impact sur le taux de natalité des entreprises innovantes. Ces activités d’innovation font face à des difficultés pour trouver des financements appropriés. En effet, si elles offrent le plus grand potentiel de développement et de rentabilité, les start-up innovantes présentent aussi le risque le plus important pour les investisseurs. La question de financement de l’innovation concerne les différentes étapes : l’amorçage/démarrage (Seed/Start-up), le développement (Early growth) et l’expansion (Later-stage). Mais, le financement des stades précoces (early stage) pose le plus de difficultés. En effet, les jeunes entreprises innovantes ne sont pas en phase de production, mais en amont du processus, voir même à l’état embryonnaire du projet et ne peuvent pas donc compter sur les mécanismes classiques de financement ou alors à un coût prohibitif compte tenue de l’incertitude qui pèse sur leur survie et des difficultés à évaluer ces projets. L’environnement réglementaire et juridique n’offre pas de cadre approprié pour le financement du stade précoce de l’innovation dans la mesure où le système de financement traditionnel ne permet pas d’assumer un tel niveau de risque dès lors que le promoteur ne dispose pas de garanties. De même, l’absence de système de valorisation efficace pour la recherche rend difficile la gestion du risque auquel sont exposés à la fois l’investisseur et le promoteur. D’où la nécessité de développement des différentes formes de financement par capital-risque (fonds d’amorçage, capital d’investissement, capital accélérateur/incubateur, Business Angel, etc.) permettant non seulement de jouer le rôle du financier passif mais aussi d’accompagner le jeune entrepreneur innovant en s’impliquant dans la vie de l’entreprise au niveau des fonctions managériales et stratégiques. L’objet de cette étude est donc double : i) préciser les défis en termes de financement par capital-risque (venture capital) auxquels se heurtent les entrepreneurs innovants en Tunisie pour financer le besoin en fonds propres pour le Early stage de l’innovation ; et ii) proposer par la suite quelques réflexions afin d'identifier quel rôle le gouvernement pourrait jouer dans la promotion du cadre réglementaire. Le reste du papier est organisé comme suit. La section suivante fournit un bref aperçu des entreprises innovantes en discutant leur nature, leurs besoins de financement et les difficultés à répondre à ces besoins dans leurs premiers stades de développement. La section 3 présente les principaux mécanismes de financement par capital-risque du Early stage de l’innovation. Le reste du papier est consacré à la discussion de la possibilité de révision ou de mise en place des mécanismes de financement du stade précoce de l’innovation. La section 4 revient sur le rôle manqué par les SICAR à financer ce type d’activité. La section 5 discute la possibilité de développement des Business Angel. Enfin, la section 6 propose un modèle mixte de liens stratégiques entre les pôles de compétitivité et les sources de financement. II. Nature et financement des entreprises innovantes Entrepreneuriat et innovation sont maintenant largement reconnus comme des piliers de la croissance économique et la création d'emplois. Les petites entreprises en particulier ont été la principale source d'activité innovante et ont toujours représenté la grande majorité des nouveaux emplois (Wilson et Silva, 2013). Parce que l'innovation est une activité diversifiée, multi-facettes, il y a une variété d’entreprises innovantes, qui se distinguent par le type d'innovation dans laquelle elles sont engagées. La source de la nouveauté peut-être de 4 nouvelles connaissances scientifiques (invention), le transfert de connaissances d'un secteur à un autre, ou d'une demande différente pour les clients nouveaux ou existants. L'application de la nouveauté peut être sous la forme de produits nouveaux ou améliorés, des procédés nouveaux ou améliorés, des processus organisationnels ou de commercialisation nouveaux ou améliorés et de nouvelles sources de matières premières. Enfin, selon son ampleur et sa plus ou moins grande continuité des processus actuels du marché, la nouveauté peut être incrémentale ou radicale, dans laquelle l'ordre économique existant peut être «détruit» et de nouvelles façons de faire les affaires seront établi. La plupart des entreprises innovantes naissent petites et privées dans la mesure où une personne ou un groupe de personnes - attirés par le potentiel commercial d'une idée nouvelle prennent des mesures formelles pour transformer cette idée en projet réel. En raison de la résistance de l'ordre existant à la nouveauté, la commercialisation de nouvelles idées passe par plusieurs obstacles qui peuvent être plus ou moins pris en compte par les étapes de développement suivantes (UNECE, 2007) : (1) l'exploration du potentiel du marché, la faisabilité technique et la viabilité économique, (2) le développement du produit, (3) l'introduction sur le marché, et (4) l'expansion du marché. Dans les premières étapes, il y a beaucoup d’incertitude technique, commerciale et économique qui rendent difficile l’évaluation du potentiel de l'entreprise. Dès que l’entreprise atteint le stade du marché, il y a beaucoup moins de doute sur son potentiel et son attrait pour les bailleurs de fonds. Ainsi, les entreprises innovantes se distinguent par leur besoin de résoudre l'incertitude fondamentale et de révéler, ainsi que de créer, leur potentiel économique. Le développement d'entreprises innovantes varie en fonction des coûts de développement de leur produit initial et de la longueur de leur processus d’entrée et de développement sur le marché. Il y a plusieurs étapes critiques dans ce processus de développement où la disponibilité d’un financement suffisant est cruciale : la R&D, la conception des produits et le développement de prototypes, la définition du marché, les essais et la production initiale. Le montant du financement nécessaire est souvent suffisamment large pour épuiser les sources immédiatement disponibles comme les fonds propres et les fonds de la famille et des amis. Sur la base de ces étapes de développement et des besoins de financement, plusieurs étapes de financement peuvent être distinguées, chacune caractérisée par son montant et l'utilisation spécifique des ressources financières. La phase d'amorçage (seed stage) couvre la recherche initiale et le développement d'une idée ou d'un concept d'entreprise visant à déterminer sa faisabilité technique, le potentiel du marché et la viabilité économique. La phase de démarrage (start-up stage) couvre le développement de prototypes de produits, l’étude initiale du marché ainsi que des activités de portée du marché et la mise en place d'une organisation commerciale officielle. L’étape de croissance précoce (early growth) se rapporte à la commercialisation et à la croissance à petite échelle ainsi qu’au développement des piliers de l'évolutivité de l'entreprise. Enfin, la phase d'expansion (expansion stage) de l'entreprise couvre la croissance substantielle de l’échelle de production et de l'impact sur le marché de l'entreprise. 5 La figure 1 donne une représentation du diagramme de flux de trésorerie d'une entreprise innovante typique selon ses étapes de développement et cartographie les différentes sources de financement en fonction de ces étapes. Au fil du temps, le cash-flow suit un modèle de «courbe en J», avec une chute initiale à la phase d'amorçage (connue sous l’appellation la «Vallée de la mort»), en rapport avec les ressources financières consacrées à la preuve du concept nouveau. La phase initiale (amorçage et démarrage), qui s’étend du moment de l’élaboration effective de la technologie, du produit ou du procédé jusqu’au moment où il est commercialement viable, est généralement la phase pendant laquelle le financement est le plus difficile à obtenir. À ce stade, faute de financement, de nombreux innovateurs ne peuvent pas poursuivre le processus d’innovation qui pourrait aboutir à la mise au point de produits commercialement rentables. Si l'entreprise émerge de la «vallée», le flux de trésorerie devient positif et l'activité génère peu à peu la dynamique du marché et se déplace vers les premiers stades de croissance et d'expansion. Dans ces étapes, les ressources financières nécessaires à l'entreprise sont nettement plus importantes. La figure illustre la complexité de financement des phases d’amorçage et de démarrage et le besoin d’une multitude d’instruments pour pouvoir accéder aux différentes étapes de croissance du projet. Solde de trésorerie Figure 1. Stades de développement, trésorerie et sources de financement Bourse Endettement/financement-relais Fonds de capital-rique Business Angels Subventions de faisabilité Fondateur, 3F* Amorçage Démarrage Vallée de la mort * Croissance Expansion Phase de développement 3F : Friends, Family and Fools Source : UNECE (2007) Ces activités d’innovation ont du mal à attirer des financements traditionnels. Il y a beaucoup d'incertitude autour des entreprises innovantes dans leur phase d'amorçage ou de démarrage. 6 Ces entreprises n'ont pas d’historique et d’expérience (non plus de garanties) et, souvent, ne disposent pas d’une preuve tangible du produit ou de la faisabilité du service. En outre, il existe peu d’informations du marché sur le potentiel de leurs produits ou services. Enfin, et en particulier dans les domaines à forte intensité cognitive et technologique, les produits ont souvent des taux relativement élevés d'obsolescence ou sont soumis à des externalités de connaissances qui empêchent l'entreprise de capturer la valeur économique totale de son innovation. Ces caractéristiques rendent le risque perçu de ces entreprises prohibitif pour les investisseurs ordinaires, augmentant le coût d'opportunité de tels investissements. Une autre caractéristique du développement initial d'entreprises innovantes est la présence d'asymétrie d'information. Sur la base de leur expérience, leurs connaissances, leurs compétences et leurs relations inter-personnelles, les entrepreneurs sont bien placés pour percevoir les opportunités d'affaires et d'anticiper leur potentiel de marché. En revanche, les investisseurs potentiels ne peuvent pas vérifier la validité de telles opportunités et ne peuvent pas non plus distinguer entre les bonnes et les mauvaises opportunités. Dans une économie fondée sur la connaissance, cela est dû à la difficulté d'évaluer la valeur de la connaissance ou d’autres actifs incorporels détenus par l'entrepreneur. Ceci conduit les investisseurs potentiels soit à estimer des coûts de financement prohibitifs soit à se retirer entièrement de ce créneau de financement à un stade précoce (défaillance du marché). La valeur d'une entreprise innovante est basée sur le potentiel de croissance à long terme provenant de la connaissance scientifique et de la propriété intellectuelle. Le modèle de génération du cash est distinct et requiert une grande patience de la part des investisseurs à recevoir leur remboursement. Les flux de trésorerie sont non seulement incertains et volatiles mais requièrent aussi de longues périodes pour générer un cash initial. En outre, les entreprises innovantes manquent d'actifs corporels qui peuvent servir de garantie pour le financement. Ceci explique le recours aux différentes formes de financement spécifiques au Early stage des entreprises innovantes. L’étude récente menée par l’OCDE montre l’importance du financement d’amorçage et du Early stage (OCDE, 2011) dans une économie caractérisée par un investissement croissant dans le savoir (Andrews and Criscuolo, 2013), ainsi que l’importance de la croissance de ces firmes en matière de création d’emploi (Bravo-Biosca et al., 2013). Mais, la plupart des sources traditionnelles de financement à un stade précoce ne sont pas immédiatement ou suffisamment adaptées pour les entreprises innovantes. Les fonds personnels des porteurs de projets innovants ainsi que de leurs familles et amis représentent une source importante à la phase d'amorçage de l'entreprise, mais sont souvent insuffisants pour couvrir les besoins de l'entreprise. Compte tenu des périodes plus longues que les entreprises innovantes prennent à générer de la trésorerie, des techniques telles que le crédit commercial et avances à des clients d'amorçage qui sont très efficaces pour les entreprises qui cherchent à occuper des niches dans les marchés et les industries établies - sont inappropriées. En outre, l'incertitude associée aux études de faisabilité, la nature intangible des actifs d'entreprises innovantes, la volatilité de 7 leurs flux de trésorerie et l'absence d'antécédents d'exploitation suffisante rendent le financement par crédit inapproprié. A priori la forme la plus appropriée de financement des entreprises innovantes en phase de démarrage, celle qui correspond au profil risqué de l'entreprise avec ses gains potentiels, c'est le financement externe par capital-risque. Le capital investissement est un moyen de financer le démarrage, le développement, la transmission ou l'acquisition d'une entreprise non cotée. À la différence d’un prêt, l’investisseur n’est pas rémunéré par des intérêts, sa prise de risque est récompensée par un pourcentage du capital de l’entreprise. Les principaux fournisseurs de ce type de financement sont les business angels et les fonds d’amorçage et de capital-risque, bien que la plupart des fonds de capital-risque se concentrent généralement sur les entreprises avec des produits déjà développés. Ils reçoivent une partie du capital de l'entreprise en échange du financement qu'ils fournissent, leur permettant de partager pleinement le potentiel de croissance de l'entreprise, si une telle expansion est réalisée. En outre, ces investisseurs reçoivent des droits de contrôle importants et exercent une surveillance qui les aide à gérer le risque lié à l'investissement. Enfin, ils fournissent souvent une expertise précieuse et des possibilités de réseautage pour l'entreprise, augmentant ainsi son potentiel commercial. La section suivante donne un aperçu sur les principaux mécanismes de financement par capitalrisque en Tunisie. III. Les mécanismes de financement par capital-risque du Early Stage de l’innovation en Tunisie : état des lieux Depuis des années, la situation du capital-risque en Tunisie suscite des débats sans qu’aucun consensus n’ait pu se dégager sur un diagnostic clair. Pour les uns, il existe une offre abondante de capital-risque en Tunisie mais il manque de projets de qualité susceptibles d’intéresser les investisseurs. Pour les autres, des entreprises d’avenir ne parviennent pas à trouver, en Tunisie, les capitaux nécessaires à leur croissance, en raison d’une insuffisance de « venture capitalists ». Le financement par capital-risque en Tunisie – susceptible de financer le Early stage de l’innovation – se fait essentiellement à travers les SICAR (Sociétés d’Investissement à Capital Risque) et le FCPR (Fonds Commun de Placement à Risque) et, plus récemment et dans de moindres mesures, à travers les quelques fonds d’amorçage et business angels. III. 1. Les SICAR et le FCPR : peu d’investissements consacrés à l’innovation En Tunisie, le Capital Investissement est un mode de financement en fonds propres d’entreprises non cotées en bourse quelque soit leurs stades de développement. Depuis 1990, le secteur financier tunisien a assisté à la création de plusieurs sociétés d’investissement à capital-risque aussi bien publiques que privées. L’objectif principal des SICAR est de promouvoir l’investissement privé, en particulier celui des PME, à travers une participation aux fonds propres des entreprises tunisiennes. Leurs interventions sont en général plus orientées vers l’industrie et les services et couvrent avant tout les investissements liés au programme de Mise à Niveau ou des projets à forte valeur ajoutée. 8 Le FCPR2, quant à lui, a été créé en 2005 et intervient surtout pour participer aux fonds propres des entreprises dans le cadre : - des nouveaux projets dans les créneaux porteurs du développement technologique et l’innovation de l’extension, du développement et de modernisation des PME adhérentes au programme de mise à niveau. La nouvelle loi du Capital Investissement (99-100-octobre 2011) a apporté certaines améliorations relatives aux dysfonctionnements de l’activité : - Nouveau cadre juridique et fiscal Séparation du cadre d’exercice et fiscal Élargissement du champ d’activité Intégration maîtrisée des instruments de dettes En Tunisie, le secteur du capital investissement (SICAR et Fonds) compte 46 acteurs, dont 16 SICAR bancaires, 6 SICAR régionales, 16 SICAR de groupes et 8 fonds de capital investissement. La structure du volume des investissements par opérateur durant la période 2009 à 2011 (Figure 2) montre que, jusqu’à 2010, les SICAR bancaires représentent plus de 2/3 de l’activité du capital investissement. En 2011, les SICAR de Groupes ont gagné plus de 20 points pour atteindre une part de marché de 36% avec un montant de 45,85 Million de dinars. Figure 2. Structure du volume des investissements par opérateur, 2009-2011 100% 90% 80% 9% 5% 14% 16% 10% 36% 70% 60% 50% 40% 71% 67% 30% 48% 20% 10% 0% 6% 12% 6% 2009 2010 2011 SICAR régionales SICAR bancaires SICAR de groupes FONDS Source : ATIC 2 Ce Fonds, connu aussi sous l’acronyme FCPR-In Tech, a été crée par la loi n°2005-105 du 19/12/2005. Il permet de financer des investissements dont le coût global se situe entre 100.000 dinars et 5 millions de dinars selon un schéma de financement s’appuyant principalement sur les fonds propres. En revanche, les investissements doivent répondre aux critères et domaines d’intervention des SICAR et doivent être approuvés par la commission d’investissement du fonds. 9 Jusqu’à la fin de l’année 2011, le Capital Investissement en Tunisie a financé 2000 entreprises pour un volume cumulé de participations brutes à hauteur de 1,2 Milliard de dinars. En 2011, l’effort d’investissement en termes de nombre de projets concerne plus la création (67%) que le développement (33%) alors que la tendance est inversée en terme montant investi, soit seulement 39% pour la création contre 61% pour le développement. En termes d’investissements cumulés jusqu’à fin 2010, le capital-risque et le capital développement ont représenté 91% de l’activité des opérateurs du capital investissement3. Les SICAR bancaires ont investi davantage en développement qu’en création. Elles ont représenté, en cumulé, 50% de l’activité capital-risque et 81% de l’activité capital développement. En revanche, les SICAR régionales ont focalisé leur investissement sur le capital-risque. Elles ont représenté 16% de l’activité capital-risque contre 4% seulement de l’activité capital développement. Les FCPR ont représenté 5% de l’activité capital-risque et 8% de l’activité développement. Enfin, les SICAR de groupe ont financé 29% des investissements en capital-risque et 7% en termes de développement. Le trait le plus marquant est que, contrairement aux attentes issues de la nature même des financements en capital-risque, les SICAR et Fonds affichent une faible participation dans le financement de l’innovation avec seulement 4% du total investi jusqu’à fin 2010. En plus, ces investissements concernent principalement le secteur des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). L’évolution des investissements en capital-risque dans l’innovation montre une certaine volatilité entre 2008 et 2010 (Figure 3). En effet, les montants investis en innovation ont plus que doublé entre 2008 et 2009 alors qu’ils ont baissé de 64% en 2010. Figure 3. Investissement annuel (en m.D) en innovation entre 2008 et 2010 15,8 +113% -64% 7,4 5,7 2008 2009 2010 Source : ATIC En 2010, 82% des montants investis en innovation sont réalisés par les SICAR bancaires alors que 14% sont effectués par les SICAR de groupes et seulement 3% et 1% des montants investis sont réalisés respectivement par les SICAR régionales et les Fonds. Le tableau 1 montre la répartition des investissements en innovation par opérateur (SICAR et Fonds) en considérant à la fois le nombre de projets et les montants investis. 3 Le reste étant consacré au capital retournement et capital transmission (Levrage By Out). 10 Tableau 1. Investissements SICAR et Fonds en innovation, cumul 2007-2010 Opérateur CUMUL 2007 2008 Montant Nombre 2009 Montant Nombre (En m.D) 2010 Montant Nombre (En m.D) Montant Total Total Nombre Montant (En m.D) Nombre (En m.D) (En m.D) SICAR Régionales 6 408,31 2 86.5 0 0 2 190 10 684,81 SICAR Bancaires 14,5 10 541 ,1 5 6 809,541 4,75 15 678,044 2,2 4 651,847 26,45 37 680,532 SICAR Groupes 711 3 383 0 550 0 175 1 769 12 4 877 0 0 0 0 0 0 1,33 73 1,33 73 31,5 14 332,41 7 7 446,0415 4,75 15 853,045 6,5333 5 683,847 50 43 315,342 Fonds TOTAL Source : ATIC 11 Les opérateurs du Capital Investissement ont financé 50 projets dans le domaine des TIC sur la période cumul 2007-2010, soit 2,80% du total des projets pour un montant de 43 315 M.D, soit 4% du total investi. Le financement de l’innovation a été effectué à hauteur de 92 % par le secteur privé et 8% par le secteur public. Nous constatons que les SICAR bancaires financent 52% des projets et 87% du total des montants investis en innovation. Les SICAR régionales, quant à elles, financent 20% des projets et à peine 1,5% du total investissement. Les SICAR de groupes contribuent au financement du capital investissement à hauteur de 11% pour 24% des projets. Enfin, la contribution des Fonds demeure faible, soit 0,5% du montant investi en innovation pour 4% du nombre de projets. Au final, nous pouvons constater très rapidement que l’offre de financements de capital-risque est largement dominée par les SICAR bancaires. Ces mécanismes commencent à peine à exister, en Tunisie, dans l’optique d’une politique volontariste de création d’entreprises innovantes. Et pourtant, le portefeuille de leurs financements comprend à peine 4% d’investissement en innovation. Il paraît nécessaire de poser les premiers jalons qui en permettront un développement progressif. III. 2. Les Fonds d’Amorçage et les Business Angels : état embryonnaire Les Fonds d’Amorçage Parmi les Fonds Communs de Placement à Risque analysés plus haut et censés participer aux fonds propres des entreprises dans le cadre de projets innovants, deux fonds sont de types fonds d’amorçage. Au sens de la loi tunisienne, le fonds d’amorçage est donc un mécanisme de financement qui intervient, en fonds propres, dans des entreprises innovantes en création et qui présentent un fort potentiel de croissance avant la phase de démarrage effectif. En effet, le développement de la recherche scientifique et technologique en Tunisie commence à donner naissance à des idées de projets portées par des compétences tunisiennes, non aguerries aux parcours souvent éreintants qui séparent l’idée de sa concrétisation en projet (APII, 2012). Les fonds d’amorçage sont des fonds communs de placement en valeurs mobilières ayant pour objet le renforcement des fonds propres des projets innovants avant la phase de démarrage effectif. Ces fonds interviennent essentiellement pour aider les promoteurs à : - exploiter les brevets d’invention, achever l’étude technique et économique du projet, développer le processus technologique du produit avant la phase de la commercialisation, achever le schéma de financement. Les fonds d’amorçage sont régis par le code des organismes de placement collectif (Loi n° 2005-58 du 18 juillet 2005). Ces fonds s’engagent à employer leurs actifs dans la participation au capital des entreprises qui s’engagent à réaliser les projets prévus dans les titres donnant accès à leurs capitaux, ainsi que sous forme d’avance en compte courant associés. Les porteurs de parts de fonds d’amorçage ne peuvent demander le rachat de celles-ci avant l’expiration de la période fixée dans le règlement intérieur du fonds et au terme de ce délai, les porteurs de parts peuvent exiger la liquidation du fonds si leurs demandes de rachat, déposées auprès du gestionnaire du fonds, n’ont pas été satisfaites dans un délai d’une année à compter de la date de dépôt (APII, 2012). Le gestionnaire d’un fonds d’amorçage est soit une banque ou un intermédiaire en bourse ayant la forme d’une société anonyme ou une société habilitée légalement à gérer des portefeuilles en valeurs mobilières pour le compte des tiers. Deux fonds d’amorçage, l’un public et un autre privé, ont marqué le lancement de ce mode de financement en Tunisie. Le premier, géré par IKDAM, est formé par 4 SICAR régionales d’un capital de 1 Million Dinars. Le second (Phenicia Seed Fund), crée en 2007 et géré par Alternative Capital Partners, une joint venture entre des gestionnaires de fonds Tunisiens et Viveris Management de France, est co-fondé par la BEI et CDC, d’un montant initial de 10 Millions de Dinars. Les deux fonds ont pour vocation de soutenir les fonds propres des start-up dans leurs phases de démarrage qui ne devrait pas dépasser les 2 années. Plus récemment, en mai 2012, le Conseil du Marché Financier a accordé son visa au prospectus d’émission du Fonds d’amorçage CAPITALease Seed Fund auquel est adossé l´incubateur WIKI START UP. L´objectif étant de fournir un financement aux jeunes promoteurs innovateurs pour la finalisation de leurs plans d´affaires, études de faisabilité et protection de leurs propriétés intellectuelles dans la phase initiale du projet. De même, en février 2013, la société UNITED GULF FINANCIAL SERVICES North Africa (UGFSna) et la BANQUE INTERNATIONALE ARABE de TUNISIE (BIAT) ont obtenu l'agrément du Conseil du Marché Financier pour la création d'un Fonds d’amorçage bénéficiant d’une procédure simplifiée, dénommé « Start up Factory Seed Fund » d'un montant de 2 500 000 dinars divisé en 25 000 parts de 100 dinars chacune. Ces instruments sont des Fonds Communs de Placement à Risque, à durée limitée, contraints par la même loi des SICAR de ne pas être majoritaire dans le capital des sociétés investies, et d’investir dans les 5 axes prévus par la loi des SICAR. Leur intervention est indispensable pour la participation des fonds publics, tels que le FOPRODI et le RITI. Leurs approches sectorielles, leurs conditions de participations, et leur suivi des projets investis diffèrent. Les Business Angels Les investisseurs providentiels (appelés aussi investisseurs particuliers), connus sous le nom de business angels, sont des particuliers fortunés qui font des placements dans des entreprises prometteuses. En plus de leur contribution aux fonds propres, ils apportent également leur expérience dans le monde des affaires et leur réseau de contacts au profit de l'entrepreneur. Ils fournissent la majorité du capital d'amorçage et de démarrage pour des projets entrepreneuriaux de type High-tech. Les business angels représentent un sous-ensemble distinct des investisseurs informels (UNECE, 2007) qui inclut la famille, les amis et parents ainsi que d'autres sources de financement à un stade précoce. Ce réseau d’investisseurs informels révèle de plus en plus un impact important en matière de financement en capitalrisque. Les business angels, qu’ils investissent seuls ou à plusieurs, ont pour vocation d’être des investisseurs minoritaires et de le rester le plus longtemps possible. Aux États‐Unis, les investisseurs particuliers financent 10 fois plus de sociétés que les capitaux risques. En 2005, l’investissement informel s’élève à près de 1% du PIB au Etats13 Unis, à plus de 2% du PIB en Allemagne et à près de 3,5% du PIB en Israël4. Jusqu’à la fin de l’année 2012, la France compte 4100 business angels (regroupés autour de 82 réseaux) qui, en 2012, ont financés 352 projets (parmi les 1400 dossiers présentés) pour un montant total de 40 millions d’Euros. En Tunisie, il n’existe pas de statistiques officielles sur l’activité des business angels. Remarquons que selon une étude récente menée par l’OCDE, il n’existe que peu d’informations sur les investisseurs providentiels dans les pays les moins avancés (OCDE, 2013). Selon une étude menée par la Commission Européenne dans le cadre du programme Euromed pour l’innovation et la technologie (Medibtikar) durant la période 2006-2008, il a été constaté que ce type d’investisseur privé n’existe pratiquement pas sous la forme communément admise en Europe ou aux États‐Unis. En effet, les résultats révèlent que : - - - Au Maghreb, ce type d’investisseur correspond à des hommes d’affaires fortunés et discrets qui utilisent leurs amis et leurs relations familiales pour trouver les promoteurs qu’ils soutiennent. Ils travaillent en général dans une logique analytique, qui consiste à fournir des idées commerciales et des fonds aux entrepreneurs qu’ils embauchent pour diriger des projets, contrairement au processus synthétique de l’investisseur traditionnel dans lequel les promoteurs présentent leurs projets commerciaux en vue d’un financement. Au pays du Machreq (en Syrie et en Jordanie, notamment), ce type d’individu investisseur plus classique semble exister, du moins selon les aveux des associations de jeunes entrepreneurs dont ces investisseurs particuliers semblent tirer leur flux d’affaires. Par ailleurs, certains entrepreneurs parrainent également des projets dans la région MEDA. Par exemple au travers de l’association Maroc Entreprendre5, dont l’objectif est le développement économique du pays, contrairement aux motivations plus complexes des investisseurs particuliers en matière de gestion patrimoniale. En revanche, en 2010, il y a eu la création de la première association de business angels en Tunisie, à savoir Carthage Business Angels dont les objectifs sont : Faciliter l’identification de projets innovants ayant un potentiel de croissance Mettre les membres et associés Business Angels en relation avec les porteurs de projets. Les accompagner dans : - le processus d’investigation - les décisions d’investissement dans les projets présentés - l’accompagnement au cours des premières années de la vie des entreprises financées 4 Source: Global Entrepreneurship Monitor (UNECE, 2007) Un ensemble de 70 grands dirigeants de sociétés marocaines qui sélectionnent les projets devant être parrainés par l’un d’entre eux et fournissent des garanties vis‐à‐vis des prêts souscrits par les promoteurs. 5 14 Suite aux événements de Janvier 2011, l’association n’a pu démarrer ses activités qu’en Juin 2011 avec une conférence sur le « Rôle et Statut Fiscal du Business Angel en Tunisie ». En une année, elle a accordé un financement à quatre Start-up innovantes pour un montant total de 200 mDT. Le nombre d’investisseurs providentiels adhérant à cette association de business angels en Tunisie a augmenté de 12 à 60 entre 2011 et 2013. Remarquons que le fonds CAPITALease Seed fund a été lancé par les actionnaires de Wiki Start Up (l’un des partenaires de CBA) et les membres de Carthage Business Angels afin de renforcer la chaîne de financement des projets innovants dans les phases pré-amorçage et amorçage (early stage). Au final, nous pouvons constater que le financement par capital-risque à travers les fonds d’amorçage et les business angels demeure à un stade embryonnaire en Tunisie. Leurs contributions à la chaîne de financement, quoique indispensable, demeure assez limitées. Contrairement aux banques, aux SICAR et au Fond Commun de placement à Risque (où les investisseurs sont des gestionnaires financiers), ce maillon de la chaîne de financement des entreprises (où les investisseurs sont des entrepreneurs) permet : de financer l’entreprise dans la phase la plus critique et la plus risquée ; de renforcer la crédibilité du projet vis-à-vis des autres financeurs ; de mutualiser les risques d’investissement avec d’autres investisseurs ; de donner accès à une expertise pour faciliter la décision d’investissements ; et d’assurer une meilleure gouvernance de l’entreprise. III. 3. Où en est la Tunisie par rapport aux pays de la région en matière de financement du Early stage ? Selon le rapport MedFunds élaboré par le réseau ANIMA en 2011, le capital‐investissement (private equity) s’est beaucoup développé au Sud et à l’Est de la Méditerranée (MED6) depuis les années 2000, en particulier dans les pays arabes, où il était très peu présent auparavant. ANIMA a recensé plus de 500 fonds investissant dans les PME de la région MED, dont près de 300 actifs début 2011. Les rives Sud et Est de la Méditerranée ont ainsi pu attirer près de 60 milliards de dollars depuis 1990 (montants levés, dont 89% depuis 2000) et financer par ce biais près de 5 000 entreprises à hauteur de 26 milliards de dollars (montants effectivement investis, dont 84% depuis 2000). Les statistiques par région ne sont disponibles que pour le cumul jusqu’à 2008 (Tableau 2). Jusqu’à la fin de l’année 2008, sur les 320 fonds d’investissement destinés à au moins un des pays de la région MEDA identifiés par l’observatoire ANIMA des fonds d’investissement en Méditerranée, 181 concernent des sociétés israéliennes. Par ailleurs, le montant levé par ces fonds représente 54% du montant total levé par les fonds destinés aux pays de la région MEDA. Dans la région du Maghreb, le Maroc accueille 6% des fonds en capitalinvestissement, soit le double de la Tunisie (3%). En revanche, en termes de montants levés, le Maroc concentre 3% des fonds alors que le Tunisie n’en accueille que 0,2%. De même, la Turquie accueille 3% des fonds dont le capital levé représente 4%. 6 MED‐11 : les 11 pays de la région appelée aussi MEDA : Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Syrie, Tunisie, Palestine et Turquie. 15 Tableau 2. Fonds par région et pays d’accueil (enquête ANIMA) Région hôte Pays hôtes Euromed MEDA-11 Euro-MENA MENA MENA + émergents Total Euro-MENA Algérie Alg./Mar./Tun. Maghreb Libye Maroc Tunisie Total Maghreb Egypte Jordanie Machrek Liban Syrie Total Machrek Israël Autres MEDA Turquie Total autres MEDA Total général Fonds (Nombre et %) 4 14 44 4 66 1 16 2 18 9 46 10 5 2 1 18 181 9 190 320 1% 4% 14% 1% 21% 0,30% 5% 1% 6% 3% 14% 3% 2% 1% 0,30% 6% 57% 3% 59% 100% Capital levé (montant Mln US $, et %) 463 1% 1 781 6% 6 983 23% 190 1% 9 417 30% 2 0,01% 1 579 5% 52 0,2% 846 3% 64 0,2% 2 543 8% 611 2% 432 1% 36 0,10% 1 079 16 740 1 218 17 958 30 997 3% 54% 4% 58% 100% Source : ANIMA, MedFunds 2008 De même, les statistiques détaillées par pays et par stade ne sont disponibles qu’à partir de l’enquête ANIMA de 2008. L’analyse de la stratégie d’investissement des fonds dans la région MEDA montre que le capital-investissement reste toujours intéressé par les phases du later stage (Tableau 3). Ce qui est la règle plutôt que l’exception. Israël est généralement considéré comme le seul pays doté de fonds actifs aux stades précoces de la vie d’une entreprise (R&D, amorçage et capital-risque). Dans la région du Maghreb, le Maroc est relativement le mieux dotés en fonds d’amorçage et de capital-risque. La Tunisie se trouve au second rang après le Maroc parmi les pays du Maghreb avec un écart réduit en termes de nombre de fonds consacrés au Early stage (10 au Maroc contre 8 en Tunisie). En revanche, les fonds en Jordanie ne consacrent aucun investissement pour le Early stage. 16 Tableau 3. Fonds par stade d’investissement, pays et région (enquête ANIMA) 7 Région hôte Pays hôtes MENA Pays Euromed Euro-MENA MEDA-11 MENA + émergents Total Euro-MENA Algérie Libye Maghreb Maroc Tunisie Alg./Mar./Tun. Total Maghreb Egypte Machrek Jordanie Liban Total Machrek Israël Autres MEDA Turquie Total autres MEDA Fonds par stade/ Nombre total de Fonds R&D Amorçage 4 Venture Capital 8 1 2 5 5 3 10 1 1 7 7 3 19 3 3 120 1 121 134/320 1 4 82 4 86 119/320 1 3 1 110 110 110/320 Dévelop. LBO 33 3 7 3 46 1 2 14 7 7 31 7 3 1 11 63 8 71 159/320 28 1 5 4 38 1 9 5 9 24 2 1 3 4 3 7 72/320 Source : ANIMA, MedFunds 2008 Par contre, le tableau 4 ci‐dessous indique les montants déjà levés auprès de leurs actionnaires par tous les fonds d’investissement présents dans au moins un des pays de la région MEDA : En 2008, il représente par conséquent les investissements potentiels dans les sociétés de la région MEDA. Il est remarquable de constater la faible part de capitaux consacrés aux investissements d’amorçage et de capital-risque. Sur un investissement potentiel de 13,04 milliards d’USD (hors Israël), les sociétés en phase initiale ont uniquement accès à 9,07 % : soit 439 millions d’USD pour les investissements d’amorçage et 747 millions d’USD pour les projets de capital-risque). En comparaison, le potentiel d’investissement ultérieur (capitalcroissance et capital-transmission dit LBO, Leverage Buy-Out) ne représente que 23 % des fonds à investir en Israël. L’écart en termes de développement des participations privées entre les deux sous‐régions de la région MEDA est favorable aux pays du Maghreb. Le multiplicateur d’investissement potentiel dans les sociétés en phase initiale est de 8 entre les pays du Machreq (22 millions d’USD dans les sociétés en phase initiale) et ceux du Maghreb (175 millions d’USD). Contrairement aux statistiques en termes de nombre de fonds (tableau 3) qui laissent croire que l’écart est réduit entre la Tunisie et le Maroc, les statistiques en termes de montants levés montrent un écart considérable entre les deux pays. Les montants 7 Chaque fois qu’un fonds affecte une partie de son capital à l’un des stades d’investissement considérés, il est compté comme une unité. Ce qui explique pourquoi le total des fonds dépasse le total de référence 320. 17 levés par les fonds au Maroc pour le Early stage (amorçage et capital-risque) sont 10 fois plus importants que ceux levés en Tunisie. Tableau 4. Montants levés par région et stade d’investissement (Mln US $, ANIMA) Région Hôte Pays Hôte Euro-MENA R&D 305 MENA Pays Euromed MEDA-11 MENA + émergents Total Euro-MENA Algérie Libye Maghreb Maroc Tunisie Alg./Mar./Tun. Total Maghreb Egypte Machrek Jordanie Liban Total Machrek Israël Autres MEDA Turquie Total autres MEDA Total Amorçage 25 330 90 9 595 1 6 48 12 18 85 9 9 4 680 9 4 689 5 119 4 13 4 804 53 4 857 5 551 3 86 1 4 238 4 238 4 238 Venture Dévelop. Capital 515 3 322 234 80 376 LBO Total 2 865 30 279 7 007 264 760 105 105 210 4 037 1 36 534 46 627 1 244 453 290 14 757 4 082 939 5 021 11 059 3 279 8 241 2 57 934 66 1 378 2 437 525 471 18 1 014 17 961 1 344 19 305 30 997 12 266 7 733 1 018 54 181 235 157 342 499 5 030 Source : ANIMA, MedFunds 2008 IV. Quels rôles devraient jouer les SICAR et le FCPR pour le financement du Early Stage ? Le capital-risque offre un potentiel de financement important et qui reste sous-utilisé en Tunisie. Il aide les entreprises à répondre à leurs besoins en capitaux propres au cours de divers moments critiques de leur vie (démarrage, développement, rachat) et peut apporter des solutions appropriées aux préoccupations des entrepreneurs surtout les PME. Le règlement semble être complet et a permis clairement l'émergence de différents types d'instruments de financement, notamment les sociétés d'investissement (SICAR), les fonds communs de placement dédiés aux activités de private equity (FCPR), et des fonds pour les start-up (Fonds d'amorçage). Cependant, l'activité de capital-risque reste faible en Tunisie en raison d'un certain nombre d'obstacles qui empêchent les investisseurs de jouer pleinement leur rôle dans le financement du secteur privé. Le gouvernement n'a pas encore défini les mesures qu'il entend adopter pour faciliter le développement du capital-risque en Tunisie, mais plusieurs mesures possibles sont explorées (Banque Mondiale, RPD, 2013). 18 La contribution des sociétés de capital-risque au financement de l'innovation est limitée. Les mécanismes existants, en particulier les SICAR, financent principalement la création d'entreprises et fonctionnent comme des banques classiques par la négociation les conditions de financement semblables au crédit. Par exemple, la plupart des transactions prennent la forme d'un "portage", dans lequel les SICAR récupèrent leurs fonds à un moment déterminé avec un taux d'intérêt fixe. La prise de risque est minime dans le système SICAR. Les SICAR ne représentent que 1,2 % du total des financements distribués par le secteur financier. Un petit nombre d'entreprises bénéficient toutefois de fonds internationaux ou de lignes de crédit dédiées à soutenir l'innovation (par exemple, la ligne de la Banque Européenne d'Investissement). Pour renforcer le système du capital-risque, le cadre juridique de la SICAR a été modifiée en 2009 afin d'encourager la prise de risque et l'investissement dans les régions en retard de développement (loi de finances 2009). Cependant, selon la revue des politiques de développement élaborée par la banque mondiale en 2010 (et portant réflexion sur les mécanismes qui pourraient orienter la Tunisie vers une croissance tirée par l’innovation), d'autres réformes sont nécessaires : - - - Le cadre juridique pourrait être renforcé par la transformation des SICAR en gestionnaires de fonds (Société de Gestion de Fonds), sous la supervision du Conseil du Marché Financier (le régulateur du marché boursier). Cette réforme doit être accompagnée par l'adoption de normes comptables internationales dans le domaine du capital-risque. La création d'un fonds public ouvert à la participation du secteur privé pourrait être envisagée pour des activités considérées comme à haut risque pour stimuler l'émergence d'une forte valeur ajoutée ou des secteurs stratégiques pour lesquels la Tunisie a fait preuve d'un réel potentiel. Le développement des activités de capital-risque se fait parallèlement avec le développement du marché boursier afin de faciliter et diversifier les options de sortie. En 2011, une nouvelle réforme a été adoptée selon laquelle les sociétés doivent libérer 80% au moins de leur capital et 80% au moins de chaque montant mis à leur disposition sous forme de fonds à capital-risque (au lieu de 65% selon le régime précédent). De même, les SICAR bénéficient d'un champ libre qui couvre toutes les sociétés établies en Tunisie et non cotées à la bourse à l'exception de celles exerçant dans le secteur immobilier relatif à l'habitat (au lieu d'un catalogue de sociétés selon le régime précédent). Aussi, les délais de leurs interventions ont été prolongés d'une année supplémentaire. Ces réformes étant récentes, il est encore très tôt pour observer statistiquement une plus grande prise de risque de la part des SICAR que ce soit en termes de projets ou, mieux encore, en termes de montants investis. Pour Artus (2005) si l’on veut financer l’innovation par le capital-risque, il faut réallouer l’épargne domestique vers des investissements de moyenne durée et peu liquides. De même, il semblerait qu’une véritable dynamisation et orientation de l’activité des SICAR vers le financement des projets innovants nécessite la fixation d’un seuil minimal, dans leur portefeuille de financement, consacré aux activités en Early stage (par exemple 5%). 19 De même, outre les mécanismes incitatifs, le développement du capital-risque implique une évolution des pratiques managériales vers une plus grande transparence et le respect des critères d'évaluation reconnus de façon universelle, car l'un des grands enjeux est la « sortie » des investisseurs. En particulier, la sortie en Bourse des capitaux risqueurs peut constituer un facteur de dynamisation du marché du capital investissement. Une des limite constatée au niveau réglementaire réside dans le fait que le législateur a focalisé tout son effort sur la création d'entreprises et a marginalisé les stades ultérieurs de financement des entreprises qui sont le développement, la transmission et le retournement (alors que ces lacunes ont été largement dépassées dans des pays émergents, tel que le Maroc à titre d’exemple). Par ailleurs, la Tunisie a poursuivi depuis au moins cinq décennies une politique de promotion des exportations qui sont devenues un véritable moteur de croissance économique. Cette politique a donné lieu à la mise en place de plusieurs fonds et mécanismes incitatifs visant à accompagner l’entreprise tunisienne dans son effort à l’exportation. Cet effort devrait être repensé et réhabilité en fonction des priorités nationales. Dans l’état actuel de l’économie mondiale, les PME tunisiennes sont confrontées à deux difficultés majeures. L’innovation est devenue synonyme de croissance et compétitivité saines, et la rapide internationalisation des entreprises est liée à cet état de fait. Ainsi, les Fons Commun de Placement à Risque devraient pouvoir financer et accompagner les étapes initiales des sociétés innovantes et potentiellement exportatrices. Dans un bon nombre de situations, l’effort d’innovation pourrait correspondre à un effort d’adoption et d’adaptation de la technologie au besoin du marché ciblé. Les fonds d’investissement sont habituellement spécialisés dans des secteurs, des technologies, des chaînes de valeur ajoutée ou des processus particuliers, et visent à développer des synergies au sein des sociétés qui figurent dans leur portefeuille. Agissant souvent en tant que parrain, notamment lors des phases d’amorçage et de développement initial, un fonds d’investissement développe une expertise sur le marché où évolue sa société. Un fonds qui investit dans différents pays peut ainsi développer une expertise internationale, et le cas échéant constituer un groupe de sociétés travaillant au succès commun. Tel est l’avantage d’intégrer des investisseurs internationaux aux étapes initiales de sociétés innovantes. Malgré la souplesse que présentent ces instruments en matière de présentation de garanties réelles et de taux d’intérêt de remboursement, la complexité des procédures ainsi que la lourdeur et la lenteur administrative apparaissent comme un frein à leur potentiel de développement aussi bien au niveau de leur mise en place que de leur exécution. Alors que les projets innovants nécessitent la flexibilité et la célérité dans leur réalisation surtout que toute idée innovante peut être exploitée par un autre investisseur si elle n'est pas réalisée dans les meilleurs délais. Une des questions qui se posent est de savoir dans quelles mesures l’obligation de créer une société dans la phase d’amorçage et pré-amorçage pourrait être supprimée comme c’est le cas en France par exemple. En effet, toute création nécessite une série d'actes administratifs, juridiques et fiscaux. Naszalyi (2003) identifie de nombreuses difficultés qui ralentissent, fragilisent ou empêchent la création d'une entreprise. 20 Le rôle du secteur financier dans l'accompagnement des efforts d'innovation est crucial. Les institutions de capital-risque et de fonds commun de placements à risque jouent un rôle clé en offrant aux investisseurs et aux gestionnaires de firmes des capitaux pour financer le développement de produits et procédés. En assurant une meilleure liquidité des transactions de capital-risque, le marché boursier peut jouer également un rôle important. V. Comment accélérer le développement des Business Angel ? Les investisseurs particuliers, qui sont souvent des entrepreneurs ou des gens d'affaires expérimentés, sont devenus de plus en plus reconnus dans le monde (OCDE, 2013) comme une source importante de capitaux propres au démarrage et au pré-démarrage de la création de l'entreprise (Harrison et Mason, 2010). Ils opèrent dans un secteur qui se situe entre les fondateurs informels, les amis et le financement de la famille, et les investisseurs formels en capital-risque (Freear et Wetzel, 1990; Sohl, 1999). L’absence d’un cadre légal pour les business angels peut être considérée comme une barrière pour le développement de l’investissement en Early stage. L’absence de motifs juridiques aux investissements particuliers de ce type est à l’origine aussi d’une barrière d’ordre culturel (EuromedMedIbtika, 2008) : les investisseurs particuliers préfèrent parfois conserver un caractère discret à cette partie «non productive» de leur activité. Il est rare de trouver des sociétés ayant reçu l’appui d’investisseurs particuliers en dehors de leur cercle familial ou amical. Et pourtant, les réseaux d’investisseurs providentiels constituent un moyen d’améliorer le financement des start‐up innovantes, tout en respectant l’anonymat des investisseurs particuliers. Ces derniers sont souvent considérés comme le maillon manquant dans la chaîne de financement des entreprises innovantes. En effet, face à un jeune qui est porteur d’idée mais qui manque de fonds propres, le système bancaire ne peut pas proposer de solution de financement. Les SICAR et FCPR, censés fournir cet investissement en capital-risque, ne jouent que très marginalement ce rôle. Le système de financement en Tunisie souffre du manque d’un maillon dans la chaine de financement. Les business angels, par définition, complète ce maillon, à savoir celui du segment le plus risqué de la chaîne de financement, à savoir le financement du projet innovant en l’absence de fonds propres. Ils apportent également le réseau et dans certains cas introduisent les clients. Selon Euromed-MedIbtikar (2008), les réseaux d’investisseurs particuliers doivent se professionnaliser et faire acte de présence dans les pays de la région MEDA. Il est clair que la mise en réseau de plusieurs investisseurs particuliers pourrait répondre à plusieurs motifs liés au degré de conviction et de motivation des investisseurs à l’égard de cette nouvelle forme de financement par capital-risque : - - En s’associant, les investisseurs particuliers peuvent avoir accès à des projets plus intéressants et plus innovants (un réseau est un pôle d’attraction régional pour les entrepreneurs désireux d’obtenir des financements). Ils peuvent partager leurs compétences et leurs expériences avec d’autres investisseurs particuliers. 21 - Ils peuvent analyser et étudier ensemble les projets et ainsi réduire les risques d’égarement ou d’erreur. Ils peuvent enfin investir avec d’autres investisseurs particuliers dans les mêmes projets, et accéder ainsi à des projets plus importants, ou investir dans un plus grand nombre de projets, d’où une diminution des risques individuels. Cependant, ces incitations sont personnelles et sont tributaires aussi de la présence d’un blocage culturel. Sur le plan juridique, un réseau de business angels, tel que Carthage Business Angels en Tunisie, est une association permettant la mise en relation d'investisseurs potentiels et d'entrepreneurs avec un objectif général de faire réaliser des investissements par des business angels et d’être le point d’attraction des entrepreneurs à la recherche de financement. Les cadres législatif et fiscal (incitatif) devraient évoluer vers la mise en place d’un environnement propice au développement de ce type de financement. A l’instar des Société Anonyme Simplifié (SAS) qui existent aux Etats Unies ou en Angleterre, la loi doit changer pour faciliter les formalités administratives et donner plus d’avantages fiscaux. C’est un véritable challenge pour la Tunisie qui a besoin désormais d’un autre type de société qui soit facilité sur le plan structurel et institutionnel. Par ailleurs, et afin de dynamiser l’offre de ce type de capital, les investisseurs providentiels devraient pouvoir bénéficier, au moins, des mêmes incitations fiscales que les investissements institutionnels. Actuellement, un effet d’éviction par le placement boursier explique, entre autres, pourquoi le financement par business angels est en-dessous de leurs potentialités. Une meilleure définition du cadre juridique et fiscal des investissements des business angels permettrait de promouvoir ce type de financement. En effet, il s'agit là d'un investissement direct de personnes physiques à la différence des fonds d'investissement qui sont dotés de la personnalité morale en tant qu'institutions. La contractualisation de la relation entre le jeune promoteur et l’investisseur pourrait des fois poser des interrogations quand au partage du risque entre les deux partenaires. D’une part, la participation des business angles se veut «minoritaire» afin de préserver le leadership et la motivation chez l'entrepreneur. D’autre part, le promoteur est à court de fonds propres. A ce niveau, se pose également la difficulté d’évaluation du projet innovant et de son potentiel ainsi que de valorisation des connaissances. Il pourrait même être question de la mise en place d’un système incitatif qui pourrait stimuler davantage le développement d’un véritable marché de capitaux en Tunisie. VI. Comment renforcer le rôle des parcs de compétitivité en Tunisie ? Vers un modèle mixte d’introduction du financement dans les pôles de compétitivité La stratégie industrielle de la Tunisie à l’horizon 2016 établit la clusterisation comme un de ses facteurs clés de croissance, pour ancrer l’innovation et la valeur ajoutée dans les stratégies de développement des secteurs. En vue d’améliorer la compétitivité de son économie par l’innovation et favoriser la création d’une nouvelle génération d’entreprises à haute valeur ajoutée, la Tunisie a fait du développement des pôles de compétitivité et des technopôles un 22 axe stratégique de sa politique économique. Le programme des pôles de compétitivité a démarré officiellement en 2006 dès lors que la progression vers une économie du savoir est apparue dans le 10ème Plan de développement (2002-2006) et qui est encore en phase de recadrage et de montage. L’approche des pôles de compétitivité consiste à abriter sur un espace géographique donné, des entreprises, des centres de formation, et des unités de recherche publiques et privées, engagés dans une démarche partenariale destinée à dégager des synergies autour d’un marché et un domaine technologique ou scientifique pour promouvoir la compétitivité et l’innovation industrielle. Les secteurs phares de l’économie sont ciblés par la stratégie de mise en œuvre des pôles de compétitivité. De même, outre l’objectif d’une couverture de l’ensemble du territoire, le choix du lieu d’implantation de chaque pôle est réalisé en fonction des spécificités économiques de chaque région du pays. L’approche adoptée des pôles de compétitivité associant des établissements d’enseignement supérieur (des écoles d’ingénieur, des universités, etc.), des établissements de recherche scientifique (centres de recherche spécialisés), des institutions favorisant l’innovation et la valorisation (les centres de ressources technologiques et les pépinières d’entreprises) et d’un espace de production et de développement (zone industrielle) offre un cadre favorable au développement des échanges et des interactions. Malgré le démarrage relativement difficile de certains parcs technologiques (en dehors du parc El-Ghazala), en raison notamment de la période transitoire par laquelle passe le pays depuis janvier 2011, la politique de clusterisation semble indispensable pour aider les entreprises à innover, à produire des biens ayant un contenu technologique plus important, à exporter des produits plus sophistiqués et à plus forte valeur ajoutée ou pour offrir des services de pointe. L’évaluation de cette stratégie ainsi que les résultats des parcs en termes d’innovation est encore prématurée d’autant plus que certains parcs trouvent des difficultés à démarrer. Les pépinières d’entreprises fournissent un cadre d’incubation des projets innovants à travers la mise à la disposition des porteurs de projets un réseau de compétences multidisciplinaires. En plus, le pôle offre un cadre capable d’accompagner le promoteur dans ces différentes phases de recherche et de conception et aussi d’évaluer le projet innovant et ses potentialités de réussite et de croissance. Cependant, le projet innovant en question risque de rester longtemps stocké dans un incubateur en attente d’être adopté par un marché intérieur hypothétique (UE, 2008). Il y a alors une séparation totale entre les fournisseurs visibles de flux d’affaires (incubateurs, technopoles) et les investisseurs particuliers potentiels. En Tunisie, les SICAR régionales siègent au conseil d’administration des «pépinières» créées par le gouvernement. Par conséquent, ils participent à la sélection des projets à «faire croître» dans la pépinière, sont sensibilisés à l’aide et au coaching fourni aux détenteurs de projets, et des performances de projets, et sont ainsi plus à même d’investir dans certains d’entre eux. Mais, malheureusement, et comme précisé plus haut, les SICAR prennent très peu de risque et financent très peu de projets innovants. Il n’est pas toujours facile pour les jeunes entrepreneurs d’identifier un partenaire commercial (distributeur, bénéficiaire de licence, partenaire commercial pour une offre), technologique (centre de R&D, université) ou industriel (co-ou sous‐traitant). D’où, le rôle important d’un environnement favorable : programmes publics de développement international, réseaux 23 internationaux d’incubateurs, technopoles ou universités, réseaux de transfert de technologie et parrains internationaux, y compris les actionnaires financiers de l’entreprise. C‘est pour cette raison qu’il semble important d’envisager une intégration entre l’incubateur (ou le lieu d’incubation) et la source de financement. Les parcs technologiques jouent pleinement leur rôle lorsqu’ils mettent en place les infrastructures nécessaires à l’installation de nouvelles entreprises innovantes. Mais, le projet risque de finir dans la « vallée de la mort » s’il ne trouve pas d’investisseur. Un modèle doit probablement être crée où les pôles technologiques puissent disposer directement d’un fonds publics (ou un mélange de fonds publics et privés) dédié au financement des étapes en amorçage et démarrage des projets innovants des jeunes promoteurs. Ce fond pourrait être une partie issue de la Caisse des Dépôts et de Consignations (CDC) dont la gestion et l’approbation sont confiées à une commission mixte. Cette association entre lieu d’incubation et moyens de financement permet d’éviter de perdre des opportunités de projets innovants en attente de financement. Cette solution garantit d’une part la capacité d’évaluation du projet d’innovation de la part du pôle de compétitivité, et d’autre part l’engagement du pôle dans le suivi et l’accompagnement des nouveaux projets innovants allant de l’offre d’infrastructure à l’offre de financement. Créer des liens stratégiques entre les incubateurs et les fonds de capital-risque devraient ainsi être facilitées car les recherches montrent que les liens entre l'incubation d'entreprises et les fonds de capital-risque ne sont souvent pas optimaux (Callegati et al., 2005). Le cas du Bahrain fournit un exemple intéressant où la stratégie a eu un gain significatif (OCDE, 2006). L’incubateur Bahrain Business Incubator Center (BBIC), financé par la Banque de Développement du Bahrain et mis en œuvre par l'ONUDI, prévoit le renforcement des capacités et de la formation pour les jeunes entrepreneurs qui cherchent à créer leur propre entreprise tels que les conseils pour élaborer et évaluer la viabilité des projets et l’assistance dans la mise en place des plans d'affaires. Basé sur la viabilité du plan d'affaires, il organise également des liens avec la Banque de Développement de Bahrain. Le BBIC facilite la formation des joint-ventures et/ou des partenariats et la mise en place de la technologie. Le BBIC est détenue par le ministère des Finances, la Commission Pension Fund (PFC) et l'Organisation générale de l'assurance sociale. Le modèle de Bahrain a fait ses preuves et l'ONUDI / ARCEIT a essayé de reconduire ce même modèle d’intégration entre incubateur et fonds de capita-risque dans d'autres endroits au Bahrain, ainsi que dans d’autres pays tels que le Koweït, l'Arabie saoudite, la Syrie et le Liban. La Tunisie a déjà réalisé un grand pas vers l’intégration des liens entre les pépinières d’entreprises, les institutions de la recherche et les espaces productifs à travers la création et la mise en place, voire même le démarrage, des pôles de compétitivité depuis plus d’une décennie. Ces pôles ont pour principal objectif d’accélérer l’effort d’innovation des entreprises afin d’opérer une transition progressive du tissu productif des activités à faible valeur ajoutée vers des activités à plus fort contenu technologique. La Tunisie a également investit dans la promotion de l'entrepreneuriat à travers les incubateurs d'entreprises. L’effort qui semble désormais essentiel à accomplir consiste à faciliter les liens entre les incubateurs et les sources de financement. La mise en place d’un fonds technologique dédié à cette fin 24 permettrait d’accélérer sensiblement la promotion des projets innovants pour qu’ils se transforment en PME innovantes en facilitant l’accès au financement par capital-risque. Enfin, même si la Tunisie offre une panoplie de structures, de systèmes et d’organisations d’aide à la création et au financement d’entreprises, les outils existants (fonds publics, technopôles, pépinières d’entreprises, sources de financement, etc.) sont éparpillés. Les promoteurs souffrent d’un manque d’informations au niveau des organismes et institutions concernées pour aiguiller convenablement les demandeurs de fonds vers les bons relais. De même, le porteur de projet souffre d’un manque de visibilité et de transparence car la communication relative aux différents mécanismes est insuffisante. VII. Conclusion La compétitivité nationale, régionale et internationale d'une économie est de plus en plus reliée à la présence d'un environnement favorable à l'innovation et la prise de risques. L’innovation gagne en importance dans les agendas des gouvernements à travers le monde qui apprécient de plus en plus la nécessité de développer les économies fondées sur le savoir comme une condition préalable à la compétitivité et à la croissance. Compte tenu de cette reconnaissance, il devrait être peu surprenant que la conception des politiques pour soutenir l'innovation dans le secteur privé est devenue une question prioritaire pour la Tunisie. La nature même de la phase initiale du processus d’innovation, le Early stage, caractérisée à la fois par un niveau de risque élevé mais aussi par un potentiel de croissance important, fait que les mécanismes de financement bancaires sont défaillants. Le recours au financement par capital-risque est la seule voie à emprunter. En dépit de sa croissance récente, le problème général de la disponibilité de données sur ces questions montre que « l'industrie » du capitalrisque dans la région du MENA et du Maghreb, et en Tunisie en particulier, est encore à un stade précoce de développement. Malgré les efforts réalisés par la Tunisie pour stimuler l’offre en capital-risque à travers la création des SICAR et du FCPR, ces mécanismes ne semblent pas en mesure de promouvoir le financement des phases de création et d’amorçage du projet innovant. Les SICAR, étant dominantes sur le marché du capital-risque, prennent très peu de risque, fonctionnent comme des banques et ne financent par conséquent quasiment pas le Early stage de l’innovation. La contribution du FCPR, quant à lui, demeure réduite par rapport aux attentes et aux nouvelles orientations adoptées par le pays. Des suggestions quant à la révision de leur rôle ont été formulées. D’une part, la transformation des SICAR en gestionnaires de fonds tout en adoptant les normes comptables internationales dans le domaine du capital risque pourrait constituer une bonne issue pour dynamiser l’action des SICAR en matière de financement du Early stage. De même, la création d'un fonds public ouvert à la participation du secteur privé pourrait être envisagée pour des activités considérées comme à haut risque pour stimuler l'émergence d'une forte valeur ajoutée. D’autre part, l’élargissement du champ de financement du FCPR à l’étranger pourrait ouvrir de nouvelles opportunités surtout que la Tunisie est amenée à réviser sa politique de promotion des exportations afin que ces dernières puissent incorporer un contenu technologique plus important. 25 Par ailleurs, le financement du Early stage à travers les business angels et les fonds d’amorçage, quoique commençant à se développer, n’est qu’à son état embryonnaire. Une politique publique volontariste envers ces nouveaux modes de financement à travers l’élaboration d’un cadre législatif et fiscal stimulant pourrait contribuer sensiblement au financement des phases de création et de démarrage du projet innovant. Cependant, la contribution la plus significative qui pourrait déclencher un véritable saut dans le développement du financement du Early stage renvoi à la création de liens stratégiques entre les incubateurs (les pépinières d’entreprises et technopôles) et les sources de financement. Le lancement des pôles de compétitivité en Tunisie offre un excellent cadre pour développer ces relations stratégiques à travers le déblocage d’un fond dédié au financement du Early stage de l’innovation. Bien qu'il n'y ait pas de manque d'idées d'affaires intéressantes en Tunisie, leur formalisation et concrétisation représente un défi. Les pépinières d'entreprises et les pôles technologiques offrent un cadre approprié pour aider les entrepreneurs à concrétiser leurs idées et augmenter le niveau d'innovation brevetable. Renforcer ce cadre par la disponibilité des sources de financement ne peut qu’améliorer à la fois la dynamique des pôles et celles des modes de financement en gestion mixte public-privé. Enfin, indépendamment des mesures incitatives pour stimuler le développement de l'industrie du capital-risque, des progrès significatifs ne sont possibles que dans un environnement avec un taux élevé d'innovation et un cadre qui facilite la transformation des idées en plans d'affaires concrètes. Même si un grand réservoir de chercheurs est un atout pour n'importe quel pays, c'est la qualité des chercheurs et leur utilisation efficace dans le système productif (y compris le secteur privé) qui est déterminant. Malheureusement, les chercheurs en Tunisie semblent largement confinés à la sphère publique et ont peu de liens avec le secteur productif. En termes de qualité de l'enseignement des sciences et de la technologie, il semble urgent de devoir l'aligner sur les besoins des secteurs émergents et stratégiques. Par exemple, la nouvelle stratégie industrielle de la Tunisie appelle à la promotion des secteurs tels que l'électronique, l'aéronautique et les plastiques techniques. Le système éducatif doit s'adapter et fournir des ingénieurs et des techniciens dans ces nouveaux domaines. 26 Références Bibliographiques Andrews, D. et Criscuolo C. (2013), "Knowledge-Based Capital, Innovation and Resource Allocation", OECD Economics Department Working Papers, No. 1046, OECD Publishing. API (2009), Stratégie industrielle à l’horizon 2016, Agence de Promotion de l’Industrie, Ministère de l’industrie et de la technologie. 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