Les journées de l`Entreprise de l`Institut Arabe des Chefs d`Entreprises

Les journées de l’Entreprise de l’Institut
Arabe des Chefs d’Entreprises
Décembre 2013
Le financement du stade précoce de l’innovation (Early
Stage) : Quelques pistes de réflexions
Mme Zouhour Karray*
(1er décembre 2013)
* Professeur en Sciences Economiques
Université de Tunis
Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales de Tunis
Chercheur à UAQUAP ISG de Tunis
Chercheur associé à Economic Research Forum
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I. Introduction
Dans l’état actuel de l’économie tunisienne, deux défis majeurs sont à relever. Réaliser une
croissance économique soutenue capable de créer de l’emploi relativement qualifié et de
réduire les inégalités régionales. Face à ces questions essentielles, le rôle des Petites et
Moyennes Entreprises (PME) innovantes est primordial car elles représentent le tissu
économique de demain. En effet, au fur et à mesure que se tarissent les grandes sources
d'emplois que constituent les grandes entreprises et la fonction publique, les PME innovantes
ou potentiellement innovantes apparaissent comme le seul agent économique susceptible de
croître, d'embaucher et de créer de la valeur ajoutée. Cependant, selon le Répertoire National
des Entreprises (RNE, 2011), le tissu industriel semble vulnérable dans la mesure où la
création des entreprises est largement dominée par les micro-entreprises (moins de 5
employés). En effet, 89% des créations de nouvelles entreprises sont de très petites tailles
alors que seulement 1% et 0,4% des nouvelles entrées concernent respectivement les grandes
et moyennes entreprises. Cette même dynamique est observée pour la sortie des entreprises.
Par ailleurs, durant les cinq dernières décennies, nous pouvons dire que l’économie tunisienne
a connu des transformations structurelles de son appareil productif : en passant d’une
économie basée sur l’agriculture et l’activité minière à une économie relativement
industrialisée ; en passant d’une économie interventionniste à une économie basée sur
l’initiative privée en développant le tissu industriel et l’investissement privé ; en passant d’une
économie fermée tournée vers l’intérieur à une économie ouverte dont la croissance est
induite par les exportations ; en passant d’un panier d’exportations concentrées dans le secteur
du textile & habillement et cuir & chaussures à un panier plus diversifié et à contenu
technologique relativement amélioré ; et enfin en passant d’une économie dirigée la
politique industrielle revient à une mise en place des mesures de protections tarifaires, de
subventions et d’incitations fiscales à une économie basée sur la collaboration entre les
pouvoirs publics et les acteurs privés afin qu’ils puissent identifier collectivement les
contraintes qui pèsent sur le développement industriel. Malgré tous ces efforts et ces
évolutions, la transformation économique semble inachevée, un grand chemin reste à faire
pour l’économie tunisienne afin d’assoir son développement sur les activités novatrices
capables de générer plus de valeur ajoutée et d’assurer une montée en gamme.
De toute évidence, les nouvelles stratégies étaient marquées par une orientation vers
l’économie du savoir tel que recommandé par le 10ème Plan de développement (2002-2006).
L’accélération vers une telle économie est accentuée dans le cadre du 11ème Plan de
développement (2007-2011) qui avait ciblé un taux de croissance annuelle du PIB de 6,1%.
La Tunisie devait assurer sa migration progressive des secteurs traditionnels (qui restent
coincés dans l’ensemble dans des activités de simple transformation et d’assemblage à faible
valeur ajoutée) à des industries plus avancées du point de vue technologique. En 2008, le
gouvernement a adopté une nouvelle politique industrielle baptisée « Horizon 2016 ». Elle
découle d’une étude du ministère de l’Industrie, intitulée « Stratégie industrielle nationale à
l’horizon 2016 » qui essaye d’ancrer l’innovation et la valeur ajoutée dans les stratégies de
développement des secteurs.
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Plus encore, l’innovation est largement reconnue aujourd’hui comme un moteur de la
croissance économique et une force majeur pour créer les conditions d’un développement
durable s’attaquant à des challenges environnementaux et sociaux. Cependant, les activités
innovantes sont confrontées à des difficultés particulières relatives aux sources de
financement. Un soutien efficace à l'innovation ne nécessite pas uniquement de ressources
supplémentaires. Il exige la présence d'intermédiaires financiers spécialisés qui sont en
mesure de fournir non seulement l'argent mais aussi une expertise technique et managériale.
L'émergence et la croissance d'une infrastructure de financement pour le soutien à un stade
précoce d'entreprises innovantes est un processus complexe qui dépend de plusieurs
conditions et exige une allocation efficace des capitaux.
Alors que la compétitivité d’une économie dépend essentiellement de sa capacité à innover, la
Tunisie investit insuffisamment dans l’innovation et la Recherche & Développement (R&D).
Durant la période 2005-2010, le pourcentage du PIB consacré à la R&D1 a dépassé la barre du
1% contre 0,84% pour la Turquie, 0,63% pour la Malaisie et 2,24% pour la France. Mais, en
Tunisie, l’essentiel de l’investissement est réalisé par le secteur public et souffre d’un grand
problème de valorisation. En effet, en 2009, seulement 20% de la dépense intérieure en R&D
est effectuée par le secteur privé en Tunisie contre 40% pour la Turquie, près 70% pour la
Malaisie et 61,7% pour la France. Le défit est alors double. D’une part, il s’agir de voir
comment inciter les entreprises existantes à investir dans la R&D et à innover et de les
accompagner dans leurs efforts respectifs. La compétitivité des entreprises tunisiennes passe
avant tout dans les années à venir par l’innovation et donc par la R&D. Ce n’est qu’à travers
l’innovation que ces entreprises peuvent diversifier leurs gammes de produits et conserver
leur part de marché international et même national. D’autre part, la création d’entreprises
innovantes lancées par de jeunes porteurs d’idées de projets innovants constitue une véritable
opportunité pour l’économie tunisienne. En effet, le nombre des diplômés dans les domaines
de la science et technologie est en croissance depuis plus d’une décennie. L’un des enjeux
pour la Tunisie est de faciliter la création puis le développement de ces PME innovantes car
elles représentent le tissu économique de demain capable de générer une plus grande valeur
ajoutée et des retombées positives par le biais des relations en amont et en aval.
Pour les entreprises existantes, le gouvernement suit une politique industrielle relativement
active et pour le moins généreuse (Erdle, 2011). Si les résultats sont relativement décevants en
matière d’innovation, c’est probablement en raison des politiques micro-économiques et de
l'existence d'institutions peu performantes qui apparaissent comme des facteurs dissuasifs
pour l'investissement dans l’innovation. Ceci est vrai aussi bien pour l’investissement privé
intérieur que pour l’investissement étranger qui constitue le meilleur potentiel de rattrapage
technologique.
Par contre, le financement des projets innovants qui donnent naissance à des PME innovantes
pose de grandes difficultés en Tunisie. L’environnement réglementaire et institutionnel,
l’esprit d’entreprendre, l’intensité de la concurrence ou encore le contexte économique ont un
1 Les données relatives aux dépenses intérieures de R&D sont issues de l’UNESCO (http://data.uis.unesco.org).
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impact sur le taux de natalité des entreprises innovantes. Ces activités d’innovation font face à
des difficultés pour trouver des financements appropriés. En effet, si elles offrent le plus
grand potentiel de développement et de rentabilité, les start-up innovantes présentent aussi le
risque le plus important pour les investisseurs. La question de financement de l’innovation
concerne les différentes étapes : l’amorçage/démarrage (Seed/Start-up), le développement
(Early growth) et lexpansion (Later-stage). Mais, le financement des stades précoces (early
stage) pose le plus de difficultés. En effet, les jeunes entreprises innovantes ne sont pas en
phase de production, mais en amont du processus, voir même à l’état embryonnaire du projet
et ne peuvent pas donc compter sur les mécanismes classiques de financement ou alors à un
coût prohibitif compte tenue de l’incertitude qui pèse sur leur survie et des difficultés à
évaluer ces projets. L’environnement réglementaire et juridique n’offre pas de cadre approprié
pour le financement du stade précoce de l’innovation dans la mesure où le système de
financement traditionnel ne permet pas d’assumer un tel niveau de risque dès lors que le
promoteur ne dispose pas de garanties. De même, l’absence de système de valorisation
efficace pour la recherche rend difficile la gestion du risque auquel sont exposés à la fois
l’investisseur et le promoteur. D’où la nécessité de développement des différentes formes de
financement par capital-risque (fonds d’amorçage, capital d’investissement, capital
accélérateur/incubateur, Business Angel, etc.) permettant non seulement de jouer le rôle du
financier passif mais aussi d’accompagner le jeune entrepreneur innovant en s’impliquant
dans la vie de l’entreprise au niveau des fonctions managériales et stratégiques.
L’objet de cette étude est donc double : i) préciser les défis en termes de financement par
capital-risque (venture capital) auxquels se heurtent les entrepreneurs innovants en Tunisie
pour financer le besoin en fonds propres pour le Early stage de l’innovation ; et ii) proposer
par la suite quelques réflexions afin d'identifier quel rôle le gouvernement pourrait jouer dans
la promotion du cadre réglementaire. Le reste du papier est organisé comme suit. La section
suivante fournit un bref aperçu des entreprises innovantes en discutant leur nature, leurs
besoins de financement et les difficultés à répondre à ces besoins dans leurs premiers stades
de développement. La section 3 présente les principaux mécanismes de financement par
capital-risque du Early stage de l’innovation. Le reste du papier est consacré à la discussion
de la possibilité de révision ou de mise en place des mécanismes de financement du stade
précoce de l’innovation. La section 4 revient sur le rôle manqué par les SICAR à financer ce
type d’activité. La section 5 discute la possibilité de développement des Business Angel.
Enfin, la section 6 propose un modèle mixte de liens stratégiques entre les pôles de
compétitivité et les sources de financement.
II. Nature et financement des entreprises innovantes
Entrepreneuriat et innovation sont maintenant largement reconnus comme des piliers de la
croissance économique et la création d'emplois. Les petites entreprises en particulier ont été la
principale source d'activité innovante et ont toujours représenté la grande majorité des
nouveaux emplois (Wilson et Silva, 2013). Parce que l'innovation est une activité diversifiée,
multi-facettes, il y a une variété d’entreprises innovantes, qui se distinguent par le type
d'innovation dans laquelle elles sont engagées. La source de la nouveauté peut-être de
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nouvelles connaissances scientifiques (invention), le transfert de connaissances d'un secteur à
un autre, ou d'une demande différente pour les clients nouveaux ou existants. L'application de
la nouveauté peut être sous la forme de produits nouveaux ou améliorés, des procédés
nouveaux ou améliorés, des processus organisationnels ou de commercialisation nouveaux ou
améliorés et de nouvelles sources de matières premières. Enfin, selon son ampleur et sa plus
ou moins grande continuité des processus actuels du marché, la nouveauté peut être
incrémentale ou radicale, dans laquelle l'ordre économique existant peut être «détruit» et de
nouvelles façons de faire les affaires seront établi.
La plupart des entreprises innovantes naissent petites et privées dans la mesure où une
personne ou un groupe de personnes - attirés par le potentiel commercial d'une idée nouvelle -
prennent des mesures formelles pour transformer cette idée en projet réel. En raison de la
résistance de l'ordre existant à la nouveauté, la commercialisation de nouvelles idées passe par
plusieurs obstacles qui peuvent être plus ou moins pris en compte par les étapes de
développement suivantes (UNECE, 2007) : (1) l'exploration du potentiel du marché, la
faisabilité technique et la viabilité économique, (2) le développement du produit, (3)
l'introduction sur le marché, et (4) l'expansion du marché. Dans les premières étapes, il y a
beaucoup d’incertitude technique, commerciale et économique qui rendent difficile
l’évaluation du potentiel de l'entreprise. Dès que lentreprise atteint le stade du marché, il y a
beaucoup moins de doute sur son potentiel et son attrait pour les bailleurs de fonds. Ainsi, les
entreprises innovantes se distinguent par leur besoin de résoudre l'incertitude fondamentale et
de révéler, ainsi que de créer, leur potentiel économique.
Le développement d'entreprises innovantes varie en fonction des coûts de développement de
leur produit initial et de la longueur de leur processus d’entrée et de développement sur le
marché. Il y a plusieurs étapes critiques dans ce processus de développement la
disponibilité d’un financement suffisant est cruciale : la R&D, la conception des produits et le
développement de prototypes, la définition du marché, les essais et la production initiale. Le
montant du financement nécessaire est souvent suffisamment large pour épuiser les sources
immédiatement disponibles comme les fonds propres et les fonds de la famille et des amis.
Sur la base de ces étapes de développement et des besoins de financement, plusieurs étapes de
financement peuvent être distinguées, chacune caractérisée par son montant et l'utilisation
spécifique des ressources financières. La phase d'amorçage (seed stage) couvre la recherche
initiale et le développement d'une idée ou d'un concept d'entreprise visant à déterminer sa
faisabilité technique, le potentiel du marché et la viabilité économique. La phase de
démarrage (start-up stage) couvre le développement de prototypes de produits, l’étude initiale
du marché ainsi que des activités de portée du marché et la mise en place d'une organisation
commerciale officielle. L’étape de croissance précoce (early growth) se rapporte à la
commercialisation et à la croissance à petite échelle ainsi qu’au développement des piliers de
l'évolutivité de l'entreprise. Enfin, la phase d'expansion (expansion stage) de l'entreprise
couvre la croissance substantielle de l’échelle de production et de l'impact sur le marché de
l'entreprise.
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