www.ieasm.org 1/8
Source : D. Fabre, « Dieux, déesses et pharaons », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte,
Catalogue de l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 86-
93.
DIEUX, DÉESSES ET PHARAONS
DAVID FABRE,
dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte, Catalogue de l’exposition
présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 86-
93.
www.ieasm.org 2/8
Source : D. Fabre, « Dieux, déesses et pharaons », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte,
Catalogue de l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 86-
93.
Héritage des dieux, héritage des rois
Parmi les bâtiments qui subsistent sur le site de Thônis-Héracléion figure un temple de style
pharaonique au seuil duquel se dressaient trois colosses de granite rose : un Ptolémée, son
épouse royale (SCA 279, 280), et une extraordinaire représentation de Hâpy, le dieu
personnifiant la crue du Nil (SCA 281). Les objets découverts dans le secteur « sacré » sont
nombreux : statues et fragments de statues, ustensiles rituels et figurines de bronze, monnaies,
céramiques, etc. Les dates de la plupart de ces artefacts s’échelonnent du IVe au Ier siècle av.
J.-C. et donnent une idée de la prospérité du temple aux temps des Ptolémées. Certains objets,
et tout particulièrement la céramique d’importation, attestent d’une activihumaine sur ce site
dès le VIe siècle av. J.-C. D’autres, plus spectaculaires comme le décret de Nectanébo, doublet
de la stèle de Naucratis, illustrent les temps de la « Basse Époqu (SCA 277).
À Canope, les fouilles ont révélé l’existence, entre le temple principal et le complexe
architectural chrétien, d’une zone de décharge des statues avaient éjetées, probablement
pour être débitées et servir de matériau de réemploi. Cette statuaire de l’époque des dernières
dynasties indigènes (SCA 167, 168), voire plus ancienne encore (SCA 166), et des périodes
ptolémaïque et romaine, est remarquable par sa qualité. Les statues de dieux, de pharaons, de
reines, de particuliers, ainsi que de nombreux sphinx, rivalisent de beau. Au-delà de la valeur
esthétique, ces sculptures offrent de nouveaux jalons documentaires pour l’étude des images
divines et royales. L’essence sacrée de la monarchie pharaonique s’exprime dans les attributs
de la royauté : némès – cache-perruque –, khepresh couronne bleue d’avènement hedjet et
decheret – couronnes de Haute et Basse-Égypte. Les inscriptions évoquent la fonction du
pharaon, intermédiaire entre les hommes et les dieux, et sa double nature, humaine et divine.
Les textes du naos monolithe expliquent comment Amon du Gereb avait pour le de
transmettre aux nouveaux rois l’inventaire de l’univers, autrement dit son titre de souveraineté
sur le monde1. Car Pharaon, en tant que souverain d’Égypte, est le successeur des dieux.
me si la coutume veut que la règle de succession au trône du Double-Pays
privilégie le fils aîné du roi défunt, dans l’idéologie pharaonique, c’est le dieu qui choisit son
héritier à qui il confie son royaume. On imagine alors l’apport d’un tel monument à la
reconnaissance, dans un pays traditionaliste, d’une dynastie d’origine étrangère. Dans les
années qui suivent la conquête macédonienne, Alexandre le Grand, puis son jeune fils seront
considérés officiellement comme les souverains légitimes de l’Égypte, ce qui implique que le
culte s’effectue en leur nom et qu’ils incarnent la stabilité et la prospéride l’Égypte. Il en est
de même pour leurs successeurs lagides. La conquête romaine n’apportera guère de
changements à ce comportement. De même qu’il avait appuyé le pouvoir des Ptolémées, le
clergé légitime voit en l’empereur de Rome un nouvel Horus, ritier d’Osiris, responsable de
l’ordre du monde et de la société. Les textes des temples édifiés en l’honneur des dieux
égyptiens à l’époque hellénistique et à l’époque romaine glorifient le roi grec ou l’empereur
www.ieasm.org 3/8
Source : D. Fabre, « Dieux, déesses et pharaons », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte,
Catalogue de l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 86-
93.
romain en des termes très proches de ceux autrefois employés pour les pharaons. Deux
statues jumelles de thy II (XIXe dynastie) témoignent de cette continuiidéologique (SCA
453, 454).
Ces œuvres présentent un cas particulièrement intéressant de pharaonica des temps
anciens transportés dans un contexte ptolémaïque. Les effigies anciennes matérialisent le
rayonnement des rois anciens qui néficient des rites journaliers pratiqués pour le dieu. Les
sphinx en particulier, dont la te humaine représenterait l’intelligence et le corps de lion la
puissance physique du pharaon, resteront à la mode durant toute l’époque ptolémaïque et
romaine (SCA 202, 282, 461, 625, 173, 172, 174, 175, 176, 177, 1158, 1159, 1161, 1162, 1164)
L’ensemble de ces œuvres permet de nous interroger sur les destinées des temples de
la région canopique. Elles donnent à voir ou à imaginer la complexité des créations et des
destructions de temples ainsi que la diversité des significations et utilisations des objets du
culte. Dans cette perspective, il convient de distinguer les œuvres royalescréées au nom d’un
pharaon pour décorer les temples –, des œuvres privées placées dans les édifices religieux
par des particuliers afin de bénéficier des rites pratiqués à l’intérieur des sanctuaires.
Si les enceintes monumentales dissimulaient l’aire sacrée des temples, les œuvres
royales obélisques, colosses, sphinx en avant de leur façade consentaient volontiers au
gigantisme. À noter avec Jean Yoyotte que « les restes de statues colossales découverts à
Alexandrie montrent que les Ptolémées et les Césars n’avaient pas évincé l’art pharaonique du
paysage alexandrin en le cantonnant à l’intérieur de temples indigènes » (SCA 88, 449, 450). Et
de continuer : « retenant pour leur compte l’iconographie hiératique et les épiphanies
gigantesques de leurs prédécesseurs, ils exhibaient la nature surhumaine de leur diviniaux
yeux de tous, qu’ils fussent ou non de statut, de mœurs et de goûts helléniques. L’attitude
raide, la démarche, la stylisation de la musculature, le vêtement royal, les couronnes rapportées
sont dans la pure tradition pharaonique. Le ud dont les pans tombent de la ceinture de la
reine en Isis est le seul indice de modernité. L’individualisation des visages royaux n’était pas
inconnue, le seul apport grec consiste parfois dans les cheveux bouclés qui dépassent du
némès. Ces sculptures de toute évidence sortaient des mains de bons sculpteurs égyptiens2 ».
Parfois c’était une œuvre grecque ciselée dans la roche dure égyptienne qui était commandée
par le souverain lagide pour orner un sanctuaire (SCA 204).
La volonté des Lagides de se présenter devant leurs nouveaux sujets comme les
successeurs des derniers rois indigènes les a conduits à se faire représenter suivant les
traditions ancestrales. Il eût été inconcevable de représenter ces rois autrement qu’en pharaons
dans les lieux de culte. Il en est ainsi sur tous les bas-reliefs de temples les conventions
égyptiennes ont toujours éstrictement appliquées et pour lesquels il est encore plus difficile
de différencier les Ptolées les uns des autres. Ces effigies furent nombreuses. La stèle de
Mendès nous renseigne sur l’érection de statues d’Arsinoé II, divinisée après sa mort par
Ptolémée II3 : « Sa Majesordonna qu’on élève sa statue dans tous les temples ce qui fut
agréable à leurs prêtres car ses desseins étaient connus auprès des dieux et ses bienfaits
www.ieasm.org 4/8
Source : D. Fabre, « Dieux, déesses et pharaons », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte,
Catalogue de l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 86-
93.
auprès de tout homme. » La Pierre de Rosette, datée de l’an 9 de Ptolémée V Épiphane,
apporte encore plus de précisions4 : « On fit ériger une statue du pharaon Ptolémée, vivant
éternellement, le dieu-apparaissant, dont la bonté est éclatante, et on l’appelle Ptolémée
protecteur de l’Égypte, ce qui signifie Ptolémée défendant l’Égypte ; elle fait face à une statue
du dieu local en train de lui donner le cimeterre de la victoire, dans chaque temple, à un endroit
visible de tous, selon le style égyptien. » Cela dit, il serait erroné de penser que les Grecs
n’aient exercé aucune influence sur les artistes égyptiens. Cette interaction des deux
esthétiques sur les statues de rois et de reines égyptiens se traduit dans la représentation des
vêtements des femmes, le traitement des cheveux et les assimilations aux dieux.
Ces assimilations divines participent au programme religieux au service du pouvoir
lagide. La conception grecque du roi vainqueur et de la conquête du pouvoir trouvait en effet un
écho dans la conception orientale du souverain. Miraculeusement forts et victorieux, les rois
étaient tenus de fendre les peuples. Le roi était un sauveur, bienfaiteur et restaurateur de la
paix. La conquête se concevait en termes de libération, de tablissement : elle comportait la
restitution des institutions modifiées. Le roi devait faire revivre le passé tenu pour excellent.
Alexandre se jeta à l’assaut de l’Empire perse et pénétra dans une Égypte qui avait mal
accepté la reconquête des rois achéménides. Il était cet Horus libérateur et devint pharaon. À
Siwa, en 331, le conquérant fut sal par les prêtres du nom de « fils de Zeus ». Alexandre
venait chercher dans le temple d’Ammon la confirmation de son origine divine, mais aussi la
reconnaissance par le dieu de ses aspirations à la domination universelle. « Fils de Zeus », il
avait conquis la souveraine comme son père face à Typhon ; Néos Dionysos (Osiris) et
héritier d’Horus, il était vainqueur de Seth. Alexandre et les nouveaux pharaons lagides qui lui
succédèrent trouvèrent dans les mythes un sérieux outil de propagande.
Le souverain lagide était donc tout à la fois l’héritier des pharaons et le roi hellénistique
successeur d’Alexandre. Ce double visage du pouvoir ptolémaïque se retrouve dans les
représentations figurées, et le goût de l’allégorie transparaît dans les figurations royales. Ainsi,
Ptolémée III Évergète Ier (246-222 av. J.-C.) se fait représenter dans un petit groupe de bronze
déguisé en Hermès-Thot qui terrasse Seth. Ces statuettes évoquent la victoire du souverain
lagide sur l’ennemi leucide, lutte transposée dans le monde mythique et divin qui établit, en
me temps, une relation entre le panthéon égyptien et le panthéon grec5. L’assimilation du
souverain lagide à Osiris-Dionysos est une des plus significatives. Plutarque rappelle
l’identification traditionnelle d’Osiris à Dionysos. Il décrit le règne et les conquêtes d’Osiris en se
référant au culte de Dionysos conquérant et civilisateur, inauguré par Alexandre et exploité par
les Ptolémées6 : « […] pendant son règne, Osiris commença par délivrer les Égyptiens du
dénuement et de la sauvagerie, leur fit connaître l’agriculture, leur donna des lois et leur apprit à
honorer les dieux, puis s’en alla par toute la terre apporter la civilisation, sans avoir, sinon
rarement, à recourir aux armes, amenant presque toujours les volontés à ses desseins par le
charme de sa parole persuasive et par toutes les ressources du chant et de la musique. Telle
serait la raison de son identification à Dionysos par les Grecs7 ». Le cit de Diodore de Sicile
www.ieasm.org 5/8
Source : D. Fabre, « Dieux, déesses et pharaons », dans Fr. Goddio, D. Fabre (éd.), Trésors engloutis d’Égypte,
Catalogue de l’exposition présentée au Grand Palais à Paris du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, Paris, 2006, p. 86-
93.
reflète parfaitement les thèmes de la propagande des Ptolémées concernant Dionysos (Osiris)-
Alexandre, unificateur et pacificateur de tous les peuples8. À la mort du conqrant macédonien
se veloppèrent des gendes et des récits d’aventures édifiants se mêlent Dionysos et
Alexandre9. Mais si l’historicisation du mythe osirien fut un effet probable de la propagande
lagide, elle semble prendre ses racines au VIIe siècle av. J.-C. On peut me se demander si
le personnage d’Alexandre le Grand n’apparut pas à quelques Égyptiens hellénisés ou Grecs
égyptianisés comme un avatar osirien du roi conquérant et civilisateur10.
Quant à Isis, elle avait ressuscité le dieu assassiné. Elle devint, par cette action salvatrice
et sa fonction de protectrice de l’enfant, une esse personnelle et universelle. Son culte
essaima autour de toute la Méditerranée11. Veuve et mère exemplaire, l’Isis hellénistique avait
absorbé les fonctions de la plupart des divinités grecques et égyptiennes. Magicienne, elle
reconstitua le corps de son époux assassiné qui eut encore le pouvoir de la féconder et de lui
donner un fils, Horus vengeur de son père. Naissance miraculeuse et conquête du pouvoir, cela
ne fut pas sans plaire à la nouvelle dynastie hellénistique. Ptolée II Philadelphe alisa
une « remarquable opération de propagande en faveur de la dynastie en épousant sa propre
sœur Arsinoé II, dont il sut exploiter la mort par une apothéose opportune12 ». Le roi fit de cette
union incestueuse la manifestation de la nature divine du couple royal : « Les prêtres indigènes
ne pouvaient manquer d’être sensibles à la signification mystique d’une telle union qui se
fondait dans le moule originel de la royauté pharaonique issue du couple incestueux d’Isis et
d’Osiris. Ce mariage permit de fonder sur des bases originales le culte de la dynastie autour
duquel purent se retrouver tant les Égyptiens que les Grecs13 ». La théologie royale évolua
jusqu’à l’identification du souverain à la divinité. Cléotre III devint « Isis, la Grande Mère des
dieux », et Ptolémée XII Aulète se fit appeler « dieu nouveau Dionysos ». Et lorsque Copâtre
VII se présenta devant Antoine pour lui donner des gages de l’alliance égyptienne, ce fut sous
les traits d’Isis-Aphrodite.
Dieux, temples et royauté
Nombre de monuments illustrent la politique religieuse des nouveaux maîtres de l’Égypte et leur
volonté de s’affirmer comme les continuateurs des anciens pharaons dans leur relation avec les
temples et les serviteurs des dieux. La stèle du Satrape, datée de l’été 311, rappelle ainsi les
dons consentis par Ptolémée, encore satrape, mais qui « cherchait la meilleure chose à faire
envers les dieux de la Haute et Basse-Égypte ». Les nouveaux rois d’Égypte se présentèrent
comme les fenseurs de la piété et des coutumes égyptiennes en opposition aux Perses dont
ils contribuèrent à élaborer la légende noire d’impies et de sacrilèges. D’une manière générale,
les Ptolémées durent s’assurer du soutien du clergé dont le rôle était éminent dans la vue
politique, économique, sociale et culturelle de l’Égypte. Les souverains lagides étaient
pleinement conscients que les membres sacerdotaux constituaient le seul médiateur pour
faciliter les rapports entre le pouvoir royal et les autorités religieuses, de même que
1 / 8 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !